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Internationalisme no.321

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Grève à l'aéroport d'Heathrow: Le seul moyen de se défendre est notre solidarité de classe

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“700 vols annulés, 70 000 passagers pris en otage par une poignée d’irresponsables en pleine période de vacances”, tel a été le message matraqué sans relâche par la presse et tous les médias britanniques à propos de la grève qui a paralysé, du 11 au 14 août, l’aéroport londonien d’Heathrow. A sa façon, la violence et la hargne avec lesquelles la bourgeoisie a condamné les grévistes révèle la portée historique de cette lutte ouvrière. C’est en effet quelques semaines après les attentats de Londres du 7 juillet et alors que la bourgeoisie tentait de relancer l’union nationale à travers sa campagne anti-terroriste, qu’un millier de travailleurs de l’aéroport se sont spontanément mis en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise américaine de restauration Gate Gourmet, sous-traitante de British Aiways, dès l’annonce de leur licenciement.

Ce licenciement était déjà le résultat d’une politique cynique et provocatrice de l’entreprise, visant à remplacer les salariés actuels, la plupart d’origine indo-pakistanaise par une main-d’œuvre encore meilleur marché venue des pays de l’Est. Cette grève de solidarité illustre de façon éclatante la remontée de la combativité ouvrière. Ceci est d’autant plus significatif dans un pays où le recul du prolétariat s’est accompagné d’une profonde démoralisation après les défaites sévères qu’il a subies en 1979 et 1984, notamment à travers la grève des mineurs. Cette lutte traduit surtout la véritable nature du prolétariat avec la mise en avant des valeurs les plus essentielles de l’espèce humaine qui sont au cœur des combats ouvriers, telles que la solidarité et le sens de la dignité dans son refus de l’inacceptable face à toute l’infamie de la bourgeoisie.

En même temps, cette reprise de la lutte de classe se confirme à l’échelle internationale en offrant les mêmes caractéristiques que celles d’Heathrow. Après la lutte des ouvriers de Mercedes-Daimler-Chrysler en Allemagne l’an dernier, en Inde courant juillet, à une vingtaine de kilomètres de la capitale New Delhi, ce sont des milliers d’ouvriers de la filiale de Honda qui ont manifesté leur solidarité  envers 30 de leurs camarades licenciés, en passant outre le cadre légal du droit de grève. Ils ont dû se confronter à une très violente répression de la police anti-émeutes. En Argentine vient de se produire une vague de luttes (sur laquelle nous reviendrons ultérieurement) où se manifestent les mêmes tendances vers le développement d’une solidarité ouvrière. Du 8 au 11 août, une grève dans les mines d’or d’Afrique du Sud, bien que restant sous le contrôle syndical du NUM, a été suivie par 130 000 mineurs, constituant le plus grand mouvement de grève du pays depuis 1987. Tous ces événements sont révélateurs des potentialités contenues dans le développement international des luttes ouvrières, qui sont un exemple comme un encouragement pour l’avenir de la lutte de classe.

Les médias – la voix de l’État et de la classe dominante – se sont furieusement déchaînés contre les grévistes de Heathrow. Comment ces ouvriers ont-ils osé faire passer leur solidarité de classe avant les profits de l’entreprise ? Ne savent-ils pas que des choses comme la solidarité ouvrière et la lutte de classe sont dépassées ? Tout cela serait passé de mode depuis les années 70, n’est-ce pas ? Selon un responsable d’un concurrent de British Airways, cité par le Sunday Times du 13 août, »par beaucoup d’aspects, l’aviation reste la dernière industrie non restructurée… Elle ressemble aux docks, aux mines et à l’industrie automobile des années 70". Ces espèces de «dinosaures» ne savent-ils pas que le principe de la société actuelle est «chacun pour soi», et pas «prolétaires de tous les pays, unissez-vous» ?

Il est pourtant étonnant de voir comment cette «nouvelle» philosophie de la liberté individuelle n’empêche pas les patrons d’exiger une obéissance absolue des esclaves salariés. Certaines voix médiatiques, il est vrai, ont durement attaqué les provocations ouvertes de la compagnie Gate Gourmet : alors que les employés de la restauration tenaient une AG pour discuter de la réponse à apporter à la stratégie de la direction visant à les licencier, les vigiles ont bouclé la salle et 600 ouvriers – y compris ceux qui étaient arrêtés pour maladie ou en vacances – ont été licenciés sur-le-champ pour avoir pris part à une réunion non-autorisée, certains d’entre eux étant avertis par mégaphone. Cette réaction n’est sur le fond qu’une expression un peu plus caricaturale de la morgue patronale largement répandue. Celle-ci avait notamment été illustrée par la suppression, par la société Tesco, de l’indemnité pour les trois premiers jours d’arrêt de maladie – d’autres entreprises lorgnant avec intérêt sur cette nouvelle «réforme». Déjà, les magasiniers étaient suivis électroniquement afin de s’assurer qu’aucune seconde du temps de travail ne soit gaspillée pour l’entreprise. Le climat politique actuel – alors que nous sommes tenus d’accepter toutes les tracasseries policières au nom de «l’anti-terrorisme» - n’a fait qu’accroître l’arrogance des patrons.

Ces attaques ne dépendent pas de tel ou tel patron particulièrement «cupide» ou adoptant des méthodes «américaines». La brutalité croissante des attaques contre les conditions ouvrières de vie et de travail est la seule réponse de la classe capitaliste à la crise économique mondiale. Il faut baisser les coûts, augmenter la productivité, tailler dans les retraites, réduire les indemnités-chômage, car toutes les entreprises et tous les pays sont engagés dans une lutte désespérée pour épuiser leurs concurrents sur un marché mondial saturé.

Et face à ces attaques, la solidarité ouvrière est notre seule défense.

Les bagagistes et les autres équipes à Heathrow, qui sont partis en grève dès l’annonce des licenciements massifs, ont montré une parfaite conscience de tout cela. Eux-mêmes avaient subi le même genre d’attaques et ont dû mener des luttes similaires. Le débrayage immédiat a tout de suite montré la force des ouvriers quand ils prennent part à une action déterminée et unie. C’est la seule base sur laquelle contraindre les patrons à réintégrer les ouvriers virés, et cela fera pendant un certain temps hésiter les patrons de l’aéroport de lancer de semblables attaques. Isolés en catégories, les ouvriers sont des proies faciles pour la classe dominante. Au moment où la lutte commence à s’étendre à d’autres ouvriers, il en va tout autrement.

La solidarité de classe : le véritable espoir de l’humanité

Mais il y a une signification bien plus importante de la solidarité ouvrière.

Dans une société qui s’effondre autour de nous, le «chacun pour soi» prend la forme des bombes terroristes, des attaques racistes, du gangstérisme et de la violence permanente sous toutes ses formes. La solidarité des ouvriers au-delà de toute corporation, de toute division religieuse, sexuelle ou nationale apporte le seul antidote à ce système, le seul point de départ pour la création d’une société différente, basée sur les besoins humains et non sur la recherche du profit. Face à un système en train de sombrer dans un état de guerre généralisé et l’auto-destruction, il n’est pas exagéré de dire que la solidarité de classe est le seul véritable espoir de survie pour l’espèce humaine.

Le fait que ce ne soit pas un vain espoir est beaucoup plus clair dès lors qu’on regarde au-delà des frontières de la Grande-Bretagne. Ces deux dernières années, il y a eu un regain de luttes ouvrières après des années de désarroi. Au cours des plus importantes d’entre elles – la lutte des ouvriers français contre les attaques sur les retraites en 2003, celle des ouvriers de l’automobile en Allemagne contre les réductions d’effectifs – la solidarité a été un élément fondamental. Ces mouvements ont confirmé que la classe ouvrière internationale n’a pas disparu et n’est pas défaite.

Naturellement, les médias ont tenté de dissimuler la signification réelle des actions de solidarité de Heathrow. Ils ont commencé par parler des liens de voisinage entre les employés de la restauration, les bagagistes et les autres employés de l’aéroport. C’est vrai qu’ils existent, mais la majorité des employés de la restauration sont d’origine indienne, la plupart des bagagistes sont «blancs». En bref, on a  eu là une authentique solidarité de classe, au-delà de toute division ethnique.

Les informations télévisées ont également essayé de saper la sympathie que les autres ouvriers pouvaient ressentir pour les employés de l’aéroport en étalant les souffrances endurées par les passagers dont les vols ont été empêchés par la grève. C’est vrai que lorsque vous avez passé la plus grande partie de l’année à transpirer au boulot, ce n’est certainement pas une plaisanterie de voir que vos plans de vacances tournent au chaos. Parmi les tâches que tous les ouvriers doivent prendre en main quand ils entrent en lutte, il y a l’explication de leurs actions aux autres ouvriers et à la population en général. Mais ils doivent également résister au chantage hypocrite des médias qui cherchent constamment à faire d’eux les méchants de l’histoire.

Le véritable rôle des syndicats

Si, comme on a pu le voir, la classe dominante ne veut pas que nous voyions notre solidarité de classe, elle cherche aussi à masquer une autre vérité : c’est que la solidarité ouvrière et le syndicalisme ne sont plus la même chose.

Les méthodes utilisées au cours de cette lutte ont été un constant défi aux méthodes syndicales :

- les ouvriers de Gate Gourmet décident de tenir une AG dans leur cantine afin de discuter de la dernière manœuvre de la direction. C’était une AG non-officielle tenue sur le temps de travail. L’authentique idée de tenir des AG pour discuter et prendre des décisions va à l’encontre de la pratique syndicale officielle ;

- l’autre équipe de l’aéroport a également ignoré toute consigne officielle en débrayant sans vote ; et les ouvriers ont encore défié le syndicat en s’engageant dans un conflit «secondaire».

Ce type d’actions est dangereux pour la classe dominante car elles contiennent la menace de la perte par les syndicats du contrôle sur les ouvriers, ceux-ci étant devenus les organes «officiels» (c’est-à-dire reconnus par l’État) de contrôle de la lutte de classe. Et ces derniers temps, nous avons vu une progression continuelle de ce type d’action «sauvage» : un certain nombre de luttes à la Poste ; en même temps que la lutte à Heathrow, des luttes non-officielles chez les chauffeurs de bus d’Edimbourgh et à la fonderie Ford de Leamington Spa.

Dans le cas de Heathrow, le TGWU a réussi à étouffer la situation. Il a dû officiellement dénoncer les grèves sauvages et pousser les ouvriers à reprendre le travail. Mais avec l’aide de groupes «gauchistes» comme le SWP, le T&G a cherché à présenter la lutte comme un mouvement visant à «pousser au cul» les syndicalistes, identifiant la persécution de militants ouvriers – qui a certes été une partie de la stratégie de Gate Gourmet – comme une attaque contre les syndicats. Cela a facilité, pour la base syndicale, l’enfermement de la lutte dans le carcan syndical – beaucoup de membres du syndicat pensant ainsi défendre leurs camarades ouvriers.

Cependant, ce qui fermente sous ces apparences n’est pas une lutte pour «défendre les syndicats», mais des mouvements massifs allant se développant, au sein desquels les ouvriers vont s’affronter à la machine syndicale, leur premier obstacle. Afin de construire la solidarité de classe la plus large possible, au sein de et grâce à la lutte, les ouvriers devront se confronter au besoin de développer leurs propres assemblées générales, ouvertes à tous les ouvriers, et d’élire des comités de grève responsables exclusivement devant l’AG. Les militants ouvriers qui comprennent cette perspective ne resteront pas isolés, mais commenceront à s’assembler pour en discuter pour les luttes futures.

World Revolution/15.08.05

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [1]

Le prolétariat face à l'Etat belge (2): La Belgique, "Etat-modèle" pour l'exploitation et le massacre des ouvriers

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Dans Internationalisme n° 319, nous avons montré comment l’Etat et la nation belge qui surgissent en 1830 apparaissent comme une création contre-révolutionnaire et artificielle, mise en place par les grandes puissances de l’époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l’industrialisation et l’instauration de rapports sociaux modernes. Cette origine allait peser sur le développement ultérieur de la Belgique au cours du 19e et du début du 20e siècle, malgré la croissance économique qu’elle a connu dans le cadre de l’expansion internationale du capitalisme.

L’établissement dans le sang et la douleur d’un Etat étriqué

Le cadre étriqué de l’entité belge provoque, dès les premières années du jeune Etat, de graves difficultés économiques : les années ’30 et ’40 sont des années de stagnation économique et de paupé-risme au sein de la classe ouvrière qui débouchent en 1847-48, com-me partout en Europe, sur une terrible crise économique. Dans un article intitulé «La Belgique, Etat Modèle» (in La Nouvelle Gazette Rhénane, n° 68, 7.8.1848), K. Marx donne des chiffres éloquents dé-montrant l’ampleur de la crise : en un an (1847-48), on assiste à une diminution de plus du tiers de l’exportation des produits des mines belges et de la métallurgie ainsi qu’à un baisse de 64% en 2 ans (’46-’48) dans l’industrie lainière. Vingt ans de stagnation économique ponctuée par une crise aiguë, voilà comment débute l’histoire de cet Etat artificiel. La fermeture de l’Escaut par les hollandais en 1830 en est l’expression éclatante. La réouverture de cette voie d’eau, essentielle pour le commerce national, ne se fera qu’en ...1863 !

Economiquement en difficulté, la bourgeoisie belge ne s’en sort que par une exploitation particulièrement féroce de la force de travail. Les conditions de vie et de travail du prolétariat belge sont atroces. La journée de travail comportait en moyenne 14h, mais elle pouvait aller jusqu’à 16h. «Même dans ses usines de charbon et de métal, les travailleurs des deux sexes et de tout âge sont consommés avec une liberté totale sans aucune limitation de durée et d’heures de service (...); dans les hauts fourneaux, sur 1.000 également il y a 688 hommes, 149 femmes, 98 garçons et 65 jeunes filles de moins de 26 ans « (K. Marx, Le capital, I, 3ème section, chap. X/VII). Le salaire était très faible pour une exploitation énorme. Rappelons que déjà en 1820, le prolétaire belge ne gagnait que la moitié d’un prolétaire anglais. Pour maintenir cette situation, la répression est brutale et s’organise dès le lendemain de la «révolution belge». Fin 1830-début 1831, face à des émeutes dans le Hainaut, à Anvers, Ypres, Liège, Bruges et Gand, le Courrier Belge annonce clairement la couleur : «Nous nous voyons obligé de décréter l’état de siège dans nos villes (à Gand par ex.) pour nous protéger d’ennemis internes (nous soulignons) qui sont encore plus barbares que les soldats hollandais». La bourgeoisie met rapidement sur pied une force de répression imposante, qui fait de la Belgique pour un bon nombre d’années «le confortable paradis et la chasse gardée des propriétaires fonciers, des capitalistes et des curés. Comme la terre fait sa révolution annuelle, ainsi est-on assuré que le gouvernement belge effectue son massacre annuel d’ouvriers» (K. Marx, Adresse aux ouvriers d’Europe et des Etats-Unis, 1869). Sous le joug de cette exploitation impitoyable et de cette répression brutale, ce n’est qu’ à partir de 1868, dans la foulée du développement de l’impact de la Première Internationale,  que des luttes ouvrières importantes éclateront en Belgique et initieront le difficile combat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi que pour l’organisation de la classe ouvrière.                      

Expansion capitaliste et contradictions internes en Belgique

La deuxième partie du 19e siècle ouvre une période d’expansion du capitalisme belge qui en fait une des premières puissances industrielles d’Europe, la seule même, en Europe, à atteindre un niveau de développement proche de celui de la Grande-Bretagne. Ainsi, si les exportations, qui se montaient à 145 millions de FB en 1836, ne dépassent les 200 millions qu’en 1850, elles doublèrent carrément de 1850 à 1860 et leur progression devait ensuite demeurer rapide. Malgré la sévère dépression économique qui toucha plus particulièrement l’économie belge dans les années ’70 et ’80 après la guerre franco-prussienne de 1870, l’ampleur de l’expansion de la deuxième moitié du siècle peut s’illustrer par les chiffres suivants :

Volume de la production en millions de tonnes :

1850

1900

Hauts fourneaux   11 91
Fabriques de fer     12 84
Aciéries          0 190
Zinc      10 59
Verre    8 65

Relevons encore que les chevaux vapeur utilisés par l’industrie belge augmentent de 50 .000 en 1850 à plus de 700.000 en 1899!

Malgré ce développement économique impressionnant, le caractère étriqué de l’Etat belge continue toutefois à marquer le développement du capitalisme et à empêcher de dépasser les contradictions internes inextricables à tous les niveaux de l’ordre bourgeois même :

-Sur le plan économique, comme la Belgique est une création artificielle, elle n’a pas connu un processus progressif de centralisation nationale à travers les siècles et sa cohésion économique est dès lors également complètement artificielle. Si la texture économique de la Flandre s’oppose à celle de la Wallonie, comme s’il n’existait pas en Belgique de production nationale, c’est que cet antagonisme se retrouve tout au long de l’histoire de ces contrées. Ceci est bien illustré par le fait que l’industrialisation de la Wallonie n’est pas le résultat d’un quelconque développement économique belge mais de l’intégration de la région dans l’espace révolutionnaire français. Mais l’instauration en Belgique d’un Etat artificiel, enserrant le développement capitaliste dans un cadre trop étroit, empêche non seulement d’éliminer les séquelles de l’histoire, elle va encore accentuer la disparité entre les deux régions : en effet, la répression de l’Orangisme (partisans de l’union avec les Pays-Bas) et la fermeture de l’Escaut, par exemple, ont fait fuir de nombreux patrons du textile gantois et des armateurs anversois en Hollande, ce qui accentue encore le retard de la Flandre. Et ce cadre trop étroit va enfin entraver la poursuite de la concentration industrielle en Wallonie : le gouvernement catholique (représen-tant la bourgeoisie foncière, alliée aux petites entreprises) freine-ra pendant plus de 40 ans le développement des Sociétés Anony-mes, instrument essentiel pour le développement du capitalisme industriel. Dès 1830 donc, deux pôles économiques se distin-guent clairement : un capitalisme essentiellement industriel en Wallonie et un capitalisme essentiellement foncier en Flandre. Ce dernier ne commencera à s’industrialiser vraiment que lorsque le premier commence déjà à décliner, c’est-à-dire après la 1ère guerre mondiale.

- sur le plan politique, la classe des propriétaires fonciers, surtout implantée en Flandre (avec son expression politique : le parti catholique) maintient sa puissance puisque, après avoir été chassée du pouvoir en 1789 en France comme en Belgique, elle fut restaurée dans son pouvoir par la contre-révolution de 1815 et cela ne fut pas remis en cause par la révolution de 1830 en Belgique, qui la maintint dans ses positions économiques et politiques. La coupure entre une Flandre catholique et agraire et une Wallonie industrielle et minière est donc d’emblée inscrite dans la structure de l’Etat belge. Cette entrave pèse lourdement sur la bourgeoisie industrielle, obligée de payer d’énormes rentes aux seigneurs modernes de la terre, prélèvements qui freinent d’autant l’accumulation du capital dans 1”industrie ! La fraction wallonne de la bourgeoisie, économiquement dominant et progressive, vivait donc dans l’équivoque la plus lâche et la plus coûteuse avec les propriétaires fonciers dont elle n’avait réussi à éliminer ni le poids économique, ni l’impact politique (le parti catholique gouvernera sans partage, avec quelques interruptions momentanées, jusqu’à la première guerre mondiale). Il fallut attendre que les améliorations incorporées à la terre eussent pris une énorme extension, grâce à l’industria-lisation et à la mécanisation, pour que ces rentiers s’embour-geoisent et se soumettent enfin au capitalisme industriel. Ce mouvement débute à la fin du 19ème siècle et va de pair avec le développement d’une industrie et d’une bourgeoisie flamande.

- sur le plan linguistique, le triomphe d’une langue nationale sur les anciens patois, dialectes ou patois du moyen-âge va généralement de pair avec la propagation de la production capitaliste à l’ensemble de la nation. La question de la langue se résout donc normalement avec la révolution bourgeoise et la création d’un marché et d’une production nationales, accompagnés de 1”instauration de structures administratives et éducatives unitaires. Mais comme l’Etat belge fut imposé comme une entrave au développement des structures produc-tives et sociales plus vastes, et qu’il n’a pu dès lors imposer une centralisation économique et politique, il ne pouvait qu’échouer sur le plan linguistique. Dans le but de soutenir cette centralisation, la bourgeoisie industrielle francophone a tenté d’imposer le français comme seule langue nationale. Ainsi, le gouvernement provisoire décrétait-t-il le 16 novembre 1830 que : «le français sera en Bel-gique la langue officielle». Mais dès 1840, l’opposition se développe dans la petite bourgeoisie flamande ainsi éliminée de l’appareil étatique. Avec le développement d’une bourgeoisie fla-mande à la fin du 19ème siècle, l’opposition se renforce et marque l’échec définitif de l’unification linguistique.

Contradictions internes du capitalisme et développement de la lutte et de l’organisation du prolétariat

Si la bourgeoisie belge n’a pas su profiter de la période d’expansion du capitalisme pour effacer les contradictions issues du cadre artificiel, ces dernières ont également lourdement entravé le développement de la lutte et de l’organisation du prolétariat. Au niveau des conditions de travail et de la lutte tout d’abord, la concurrence féroce entre les ouvriers wallons et les paysans prolétarisés flamands a été exacerbée et exploitée par la bourgeoisie belge pour maintenir les conditions de vie et de travail à un niveau extrêmement bas. Ainsi, l’Anglais Seebohm Rowntree qui mène dans cette période une étude sur la pauvreté en Grande-Bretagne, puis en Belgique est-il horrifié par la situation de la classe ouvrière en Belgique et aucun pays industrialisé n’a exploité aussi longtemps que la Belgique le travail des femmes et des enfants(1).

 Cette situation explique aussi les difficultés de développement du mouvement ouvrier dans ces régions, même après l’impulsion donnée dès 1864 par la première Internationale. Les luttes ont certes fréquemment un caractère explosif et spontané, comme lors de la grande grève de 1886 dans l’ensemble du bassin industriel wallon, mais le climat est souvent plus celui d’une ‘jacquerie industrielle’ - on proteste, mais sans formuler de revendication précise – d’un rejet de la mécanisation, qu’une lutte pour l’amélioration des conditions de travail, et ces explosions sociales  débouchent sur une répression impitoyable. Malgré sa constitution ‘très démocratique’, la bourgeoisie n’hésite pas, par exemple en 1886, à faire tirer sur les masses ouvrières, faisant une trentaine de morts.

Ces difficultés se manifestent aussi sur le plan politique par la prédominance des tendances anarchistes  parmi les travailleurs : l’ « Association Le Peuple » Proudhonienne devient la section belge de la première internationale et en 1872, la section belge sous l’influence de César de Paepe choisit le côté de Bakounine contre Marx. Ces tendances mettent l’accent sur la mise en place de coopératives de producteurs et de consommateurs et manifestent un désintérêt pour la lutte économique (Proudhon rejette l’arme de la grève) ou politique (mépris pour le développement d’organisations centralisées, de la lutte pour le suffrage universel). La constitution d’une organisation politique du prolétariat est donc particulièrement ardue et lorsque le Parti Ouvrier Belge est enfin fondé au niveau national, en 1885, permettant d’offrir un cadre organisé et des perspectives aux luttes ouvrières, il surgit comme fruit de concessions très larges aux tendances anarchistes, coopérativiste et mutuelliste, donc sur des bases peu orientées vers la défense du programme révolutionnaire de la classe ouvrière (il refuse par exemple de déclarer la grève générale en 1886) mais sur une orientation prioritaire réformiste de l’instauration du suffrage universel. Au sein de la deuxième Internationale, il se caractérisera généralement par des position se rapprochant de l’aile droite de celle-ci.

La bourgeoisie belge n’a pas su profiter de la période de développement du capitalisme (l9ème siècle) pour surmonter ses contradictions économiques, politiques et linguistiques. Cet incapacité va peser lourdement lorsque, avec la 1ère guerre mondiale, le capitalisme mondial glissera lentement mais sûrement, dans une situation de crise et de guerre permanente. La décadence générale du capitalisme mettra inexorablement à nu l’absence fondamentale de cohésion de l’Etat belge. Mais elle démontrera aussi une grande habileté de la bourgeoisie à utiliser ces contradictions pour diviser et mystifier la lutte ouvrière n

Jos / 31.08.05

(1)R. Leboutte, J. Puissant, D. Scuto, Un siècle d’histoire industrielle (1873-1973). Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. Industrialisation et sociétés, SEDES.

Situations territoriales: 

  • Belgique [2]

Le terrorisme est une arme de guerre de la bourgeoisie

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Pendant trois semaines en juillet, le monde a tremblé face à une vague d’attentats meurtriers d’une fréquence sans précédent, de Londres à Charm El-Cheikh et en Turquie. A ceux-là s’ajoutent les bombes explosant quotidiennement en Irak, en Afghanistan, au Liban ou au Bengladesh.  Les Etats et leurs gouvernements cherchent à nous faire croire qu’ils combattent le terrorisme et qu’ils sont capables de protéger les populations des attentats. Quels mensonges !

 Le terrorisme est une expression de la barbarie guerrière du capitalisme

Les Etats ne combattent pas le terrorisme. Ce sont eux qui le sécrètent et le font prospérer. Ce sont de plus en plus clairement tous les Etats, grands ou petits, qui commanditent, infiltrent, manipulent, utilisent les fractions, groupes et nébuleuses terroristes partout dans le monde pour défendre ou faire valoir leurs sordides intérêts. Le terrorisme est aujourd’hui devenu une arme de plus en plus fréquemment utilisée dans la guerre ouverte ou larvée que se livrent les bourgeoisies du monde entier. Rappelons que Ben Laden et le groupe Al Qaida eux-mêmes ont été formés à l’école américaine de la CIA dans les années 1980 pour organiser la résistance à l’occupation des troupes russes en Afghanistan. Nombre de dirigeants politiques bourgeois aujourd’hui présentés comme respectables, de Begin à Arafat en passant par Gerry Adams, sont d’anciens chefs terroristes.

 Ce phénomène constitue un pur produit du capitalisme pourrissant, une des manifestations les plus criantes de la barbarie de la société capitaliste. L’Etat bourgeois profite des sentiments d’insécurité permanente, de peur et d’impuissance suscités par de tels actes dans les populations pour se présenter comme le seul rempart possible contre la montée du terrorisme. Rien n’est plus faux ! La classe ouvrière ne peut que se sentir directement interpellée, indignée et révoltée par ces attentats parce que souvent, comme à New York en 2001, à Madrid en 2004 ou à Londres cette année, ce sont des prolétaires qui se rendent sur leur lieu de travail qui sont les principales victimes de ces actes barbares. Mais la solidarité envers les victimes de ces attentats de la part de leurs frères de classe face au terrorisme ne passe nullement par l’union nationale avec la bourgeoisie mais au contraire par le refus catégorique de cette union sacrée. L’Etat nous demande de resserrer les rangs autour de sa défense et de la démocratie dans un même élan d’union nationale. On ne peut lui faire aucune confiance pour protéger les populations du terrorisme. Ce sont les gouvernements, en tant que fauteurs de guerre, qui sont responsables de ce déchaînement d’horreurs qu’ils sont bien incapables d’enrayer. Plus la bourgeoisie déclare ouvertement la guerre au terrorisme, plus se multiplient les attentats, plus les grandes puissances se vautrent dans le sang et la boue et précipitent les populations dans un engrenage sans limites de violence, de guerre et de représailles. Les seules mesures concrètes que puissent adopter la bourgeoisie au nom de l’anti-terrorisme, c’est la mise en place des différents plans Vigipirate ou ses équivalents, destinés à faire accepter un brutal renforcement de l’appareil répressif et permettant surtout la multiplication des moyens de contrôle et de surveillance de la population.

A quoi servent les campagnes anti-terroristes de la bourgeoisie ?

Les campagnes anti-terroristes actuelles ont permis de justifier avant tout un renforcement sans précédent de l’appareil répressif. La situation en Grande-Bretagne en constitue une illustration édifiante. L’exemple le plus flagrant  a été l’assassinat d’un jeune Brésilien dans le métro londonien avec l’autorisation donnée à la police de tirer à vue sur tout suspect (voir article page 4). La bourgeoisie anglaise a rapidement compris que la classe ouvrière n’était pas prête à se ranger derrière les intérêts de l’Etat bourgeois au nom de «l’anti-terrorisme». Elle s’est bien gardée d’appeler à des manifestations monstres comme celles organisées en avril 2004 contre le terrorisme dans les rues de Madrid et de toute l’Espagne après les attentats en gare d’Atocha. C’est d’ailleurs probablement elle-même qui a organisé une seconde série «ratée» d’attentats, qui avait tout d’un simulacre, précisément dans le but de relancer le message de la mobilisation nationale et pour mieux faire passer aux yeux des prolétaires les méthodes de quadrillage et de surveillance policière.

Malgré cela, la classe ouvrière a démontré qu’elle ne se laissait pas intimider. La grève d’un millier de salariés à l’aéroport d’Heathrow en Grande-Bretagne en solidarité avec 670 de leurs frères de classe brutalement attaqués et menacés de licenciement à côté d’eux en est une preuve irréfutable . En dépit de la pression policière existante, cette lutte a clairement démontré que ce qui est en jeu pour les prolétaires n’est pas le maintien de l’ordre bourgeois et sa terreur mais la défense de ses intérêts de classe face aux attaques qu’ils subissent. Et c’est justement le développement de ses luttes qui est à l’ordre du jour. Cette reprise des luttes ouvrières face à la mise en œuvre parallèle des moyens policiers montre justement quel est le véritable objectif de tout ce déploiement policier. La préoccupation essentielle de la bourgeoisie n’est nullement la chasse aux terroristes. Elle sait par contre qu’avec l’aggravation de la crise économique mondiale, elle va devoir imposer des attaques de plus en plus féroces au prolétariat et faire face à un développement à l’échelle internationale des luttes de résistance de la classe ouvrière à ces attaques.

La lutte de classe est le seul moyen de combattre la terreur capitaliste

Il n’existe pas de solution-miracle, immédiate, qui permette du jour au lendemain d’empêcher les attentats terroristes, pas plus que la guerre impérialiste de se déchaîner sur la planète. Une seule classe a la possibilité de s’opposer à terme à la montée en puissance du terrorisme, de la guerre et de la barbarie, c’est le prolétariat à travers le développement de ses luttes de résistance aux attaques de la bourgeoisie sur son terrain de classe. Le véritable enjeu qui menace l’ordre bourgeois, c’est qu’à travers le développement de la lutte de classe, la classe ouvrière est amenée à prendre conscience du lien existant entre les attaques qu’elle subit avec la guerre et le terrorisme qui débouche sur la remise en cause du système capitaliste dans son ensemble et sur la nécessité de sa destruction.

Et c’est seulement à travers le renversement du système capitaliste et de ses rapports d’exploitation que la classe ouvrière peut y parvenir. Les méthodes et les moyens d’action du prolétariat qui reposent sur la conscience et la solidarité de classe, sur le caractère collectif, unitaire, internationaliste de ses luttes sont radicalement opposées et antagoniques à ceux du terrorisme.

La classe ouvrière en Grande-Bretagne a démontré la capacité des prolétaires à affirmer leur réponse au chantage de la bourgeoisie à travers leur solidarité sur un terrain de classe face aux licenciements et aux attaques du capitalisme. C’est de cet exemple que les prolétaires de tous les pays doivent s’inspirer. C’est en menant leur combat de classe sur un terrain de résistance et de solidarité face aux attaques économiques qu’ils subissent, qu’ils pourront opposer une alternative et une perspective à l’impasse et à la barbarie guerrière du monde capitaliste qui menace la survie de l’humanité toute entière.

Non à l’union nationale,
oui à la solidarité de classe !

Wim/ 24.08.2005

Questions théoriques: 

  • Terrorisme [3]

Pensions, sécurité sociale, chômage, “Plan Marshall” wallon: L’attaque sur les prépensions n’est qu’un début !

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Derrière le flou et le brouillard, une attaque globale contre les conditions de vie de la classe ouvrière

La classe ouvrière a toutes les raisons d’être inquiète par rapport aux projets de mesures actuelles concernant les retraites, contenues dans le “programme de relance” que le gouvernement Verhofstadt soumet aux “partenaires sociaux”. En effet, ces mesures, qui se caractérisent par le flou et le brouillard, constituent en réalité une attaque d’envergure contre les pensions et contre la sécurité sociale en général.

Il s’agit aussi de masquer un cadre d’attaques plus large, qui va aggraver brutalement les conditions de vie de tous les travailleurs, et pas seulement ceux du secteur privé à qui elles s’adressent directement aujourd’hui. Ce cadre est constitué d’un ensemble de pas moins que 67 mesures en discussion de la ministre ‘socialiste’ Freya Van Den Bossche touchant tous les aspects de la vie économique et sociale des salariés, des ouvriers et des employés tout comme des chômeurs.

Le dernier trimestre de 2005 va donc lourdement compter dans la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière en Belgique, qui va devoir travailler plus longtemps pour des retraites de plus en plus maigres.

Ceci nécessite évidement une riposte déterminée de la classe ouvrière. Pour y arriver il faut dénoncer les manoeuvres des syndicats avec leurs appels aux journées d’actions qui ne visent qu’à canaliser le mécontentement et à renforcer le sentiment d’impuissance. Une véritable riposte ne peut démarrer qu’en renouant avec une véritable solidarité de classe.

De quoi s’agit-il ? Les prétentions et la réalité 

Pour sauver la sécurité sociale belge, qui, selon la bourgeoisie, est un modèle pour le monde entier, il faut appliquer des réformes profondes. Afin d’y arriver elle vise d’abord et avant tout les retraites. Ainsi l’introduction d’un système de malus pour les pensions avant 65 ans doit permettre de diminuer les pensions de 4% par an pour ceux n’ayant pas 40 ans de carrière. En s’attaquant d’autre part à l’ancienneté et périodes assimilées, le montant des retraites va diminuer également. L’attaque la plus spectaculaire est évidemment celle sur les prépensions. La prépension précédemment était en règle générale accordée à 58 ans après 25 ans de travail salarié et en cas de restructuration à 52 ou 50 ans après 20 ans de travail. Le gouvernement élever l’âge à 60 ans en partant de critères progressifs de la carrière et en tenant compte de l’ancienneté: 36, 38 et 40 ans de carrière. Vande Lanotte le répète dans une interview : “On ne vous éjectera plus de l’emploi à 50 ans. Vous pourrez travailler plus longtemps. Différemment” (Le Soir, 14.09.2005).

La véritable manoeuvre n’est pas de postposer la prépension, mais de transformer celle-ci en grande partie en chômage ouvert. Et si, pour le moment, on ne touche pas encore directement à l’âge des pensions, ce qui doit fortement inquiéter la classe ouvrière, c’est que les caisses se vident également de ce côté-là.

Après “l’Etat social actif” de la précédente coalition “arc-en-ciel”, voilà le nouveau concept livré par Madame Onkelinx : “le vieillissement actif”. Cette formulation, en fait, vise à liquider à terme les prépensions octroyées lors de restructurations et de licenciements collectifs : “Ces prépensions, résultant de licenciements collectifs, provoqués par une fermeture ou une restructuration, c’est la solution classique dont usent les employeurs pour éviter des remous sociaux. Elles sont accordées à 52 ou 54 ans. Parfois à 50... ou même 48 ans. Le gouvernement change de philosophie. On favoriserait la recherche d’un nouvel emploi. On n’offrirait la prépension qu’à ceux qui n’ont pu se reclasser.” (Le Soir, 05.10.2005). Le ministre Vande Lanotte en fait l’aveu : “Mais on doit savoir que si notre taux d’activité baisse, il est exclu de continuer à payer les pensions, les soins de santé. On pourra inventer tous les refinancements de la Sécu qu’on veut, on ne comblera jamais les contributions des travailleurs via leurs cotisations. Je soutiens que le financement alternatif le plus important c’est l’emploi” (Le Soir, 14/09/2005).

Or, les perspectives économiques sont catastrophiques, et la bourgeoisie est consciente du fait que le plein emploi ne reviendra plus. D’où justement les mesures ! Vu le chômage des jeunes, on ne peut pas imaginer que la véritable intention est de maintenir les “vieux” au travail. On vise plutôt à faire sauter la prépension, qui jusqu’à maintenant servait à cacher le chômage et éviter des tensions sociales. Vande Lanotte ajoute : “Il ne faut pas un big bang, mais des réformes progressives”, on sait donc qu’on n’est qu’au début de ces attaques. Ces mesures provoqueraient selon Le Soir du 3 et 4 septembre, et sur base d’une étude de l’ONEM, à terme “un tsunami social”. En effet, les 40 ans de carrière exigés reviendraient à ôter la prépension à 84 % des femmes. Même si l’on fixe la barre à 32 ans de carrière, la mesure prive de prépension un homme sur quatre et une femme sur deux.

Le fait qu’il n’y aurait plus assez d’actifs pour payer, financer les retraites n’est pas fondamentalement dû au vieillissement de la population et à l’allongement de l’espérance de vie. Si la société n’a pas assez  “d’actifs” – du point de vue capitaliste –, ce n’est pas lié à la pyramide des âges car tous les chômeurs, les précaires et autres types d’exclus des rangs des “actifs” ne demanderaient pas mieux que d’être complètement intégrés au monde du travail. La véritable cause de la pénurie de “salariés actifs” c’est la crise et le chômage que le capitalisme engendre et dont il est responsable.

Cela montre le cynisme de la bourgeoisie et le caractère totalement inhumain de son système. Comment faire avec tous ces “vieux salariés” qui visiblement vivent trop longtemps, au goût du capitalisme du moins. Après avoir exploité leur force de travail tout au long de leur vie de salarié et ponctionné leurs salaires - pour les pensions et prépensions, les mutuelles - le capitalisme se plaint encore d’avoir à les nourrir une fois qu’ils ne sont plus productifs !

Un des principaux pans de ce qu’on appelle le “salaire social” est en train de tomber en miettes puisque la chute libre des pensions et prépensions va aboutir à ce qu’une grande majorité de ces dernières descende en dessous du niveau du salaire minimum. Ainsi, il va arriver avec les retraites ce qui est arrivé dans tous les domaines de l’exploitation capitaliste : l’insécurité et la précarité s’installent.

C’est donc bien la crise du capitalisme qui est la source de cette exigence pour la bourgeoisie et qui lui impose de liquider à terme toute une série de composantes fondamentales de ce qu’elle appelle les “acquis sociaux”. Entre-temps, de 2003 à 2005, la bourgeoisie a poursuivi les rationalisations qui ont touché les grosses boîtes comme la Sabena, Philips, Siemens Ford, Opel, Alcatel, de même que les entreprises publiques comme Belgacom, la Poste, la SNCB pour ne citer que les plus importantes.

Parallèlement, dans certains secteurs et entreprises on a poussé et parfois imposé un retour vers les 40 heures, au nom du “sauvetage” des emplois; le chantage à la délocalisation a fait passer, dans certaines entreprises, des  diminutions de salaire et l’abandon de certaines primes légales. Cela n’a pas empêché la croissance d’être nulle  dans le courant du premier trimestre de 2005, et la pression concurrentielle des autres pays sur la foire d’empoigne du marché mondial ne peut que renforcer l’exigence de la bourgeoisie belge de soumettre la classe ouvrière à ses besoins.

C’est la crise qui fait que les caisses se vident, qu’on ne peut plus payer les pensions et prépensions, et c’est donc l’ensemble du système de la sécurité sociale qui est mis en question. En conséquence, le plan de chasse aux chômeurs de Frank Vandenbroucke qui jusqu’à maintenant épargnait les plus de cinquante ans pourrait à son tour  être activé à propos de ces derniers. Les chômeurs âgés de plus de cinquante ans bénéficiant d’un supplément d’allocation ne seraient pas oubliés par ces rapaces; suivant les modalités choisies, les bonus d’allocations  seraient retirés à 19 % des hommes et 29 % des femmes dans le meilleur cas de figure. Dans le pire, le bonus disparaîtrait pour 82 % des hommes et 90 % des femmes.

Le “Plan Marshall”, pour la Wallonie, n’est qu’une autre restructuration car il ne vise qu’à rendre quelques entreprises plus compétitives au détriment de tout le reste et sur le dos des travailleurs à travers de nouvelles mesures d’austérité que viendront aggraver celles déjà en chantier et celles encore à venir dont le fameux “programme de relance”. Tous ces éléments dévoilent que “programmes de relance” ou autres recherches de financements alternatifs ne sont rien d’autre que la recherche d’économies tous azimuts pour effacer le trou de cinq milliards d’euros du budget 2006-2007 et pour abattre des pans entiers de la sécurité sociale. Car, à l’instar de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas et de la plupart de pays européens, la bourgeoisie belge ne peut différer indéfiniment la mise en question de la sécurité sociale et du régime des pensions, afin de réduire d’une façon drastique le prix de la force de travail. Dans ce cadre de crise économique mondiale, les objectifs du gouvernement “pourpre” étaient ouvertement déclarés dès sa constitution en 2004 : l’ouverture de cinq “chantiers” visant à: a) la baisse des charges pour les entreprises, b) la modération salariale, c) la réduction des charges liées au chômage, d) l’augmentation du temps de travail par semaine et le prolongement de la carrière professionnelle, e) le financement alternatif de la sécurité sociale.

Il s’agit donc bien d’une attaque frontale et globale, mais présentée de façon à cacher les véritables conséquences, et présentant avec cynisme les réformes comme “des améliorations” pour la classe ouvrière.

Les syndicats, veulent-ils vraiment empêcher ces attaques? 

La gravité de l’attaque nécessite évidement une riposte déterminée de la classe ouvrière. Pour y arriver il faut dénoncer les manoeuvres des syndicats avec leurs appels à une “vraie concertation”, ou à des journées d’actions bidon qui ne visent qu’à embrouiller la prise de conscience de l’importance des attaques, à canaliser le mécontentement et à renforcer le sentiment d’impuissance.

Ce que la bourgeoisie appelle “la concertation” , représente en fait la division du travail en son sein, entre gouvernement et syndicats. L’astuce consiste à faire croire qu’il y a opposition entre gouvernement et syndicats. Le gouvernement ose dire: “Travaillez plus longtemps, c’est nécessaire. En échange on vous garantit des retraites décentes”; ainsi, il se pose, et en particulier les ministres socialistes en son sein, comme le “garant du maintien de l’essentiel des acquis sociaux”, au prix de“quelques sacrifices superficiels”. Quant aux syndicats, ils dénoncent le fait que c’est le patronat qui a vidé les caisses grâce à la tolérance du gouvernement. Pour les renflouer, dit le gouvernement, il faut alléger les charges patronales pour créer des emplois qui remplissent les caisses de la sécurité sociales. Ainsi, c’est un cercle vicieux, qui, vu le développement de la crise économique, entraîne une spirale irréversible vers la bas.

La baisse des charges pour les entreprises est en bonne voie comme l’avoue Johan Vande Lanotte, ministre de l’économie, dans une interview : “En trois ans on a beaucoup réduit le poids sur les salaires (de 1,5% du PNB). Mais on n’en pas beaucoup parlé… (Le Soir, 14.09.2005). Et pour cause, c’est une bonne partie du salaire différé qui servait au financement de la sécurité sociale qui retombe dans les coffres du patronat. Ce 1,5 % du PNB est donc un véritable hold-up commis dans la masse salariale. C’est cela l’allégement des charges patronales, mais il faut constater qu’il ne produit nullement l’emploi promis, ni pour les jeunes, ni pour les “vieux”.

Pour les syndicats, les “financements alternatifs” ne doivent pas peser sur le coût du travail, mais sur l’épargne, notamment via l’impôt mobilier (15-20% des recettes). C’est-à-dire, ce seront essentiellement les ouvriers qui payeront, mais d’une autre façon, car ce financement ne peut pas peser ni sur les patrons ni sur l’Etat.

Depuis longtemps, on nous dit: “il faut accepter les licenciements pour sauver des emplois.” Aujourd’hui, on ajoute avec autant de cynisme: “Il faut réduire la sécurité sociale pour la sauver.”

Combien d’ouvriers ont pleuré de rage et de honte quand se fut leur tour de rejoindre la file de chômage ? Syndicats et patronat se déclarent d’accord pour constater qu’il existe un problème de retraites. Même s’ils contestent la validité de la réforme du gouvernement, les syndicats partagent dans le fond, et depuis longtemps, l’idée que quelque chose doit être fait pour “sauver le système des retraites”, alors qu’il y aura de plus en plus de retraités et de moins en moins de salariés actifs pour les payer. Rien que la manière qu’ils ont en commun de poser le problème démontre que, sur le fond, ils sont d’accord. En effet, pour les syndicats, il s’agit aussi de demander aux exploités qu’ils prennent en compte les contradictions du système qui les exploite, non pas pour lui porter un coup fatal à travers la lutte, mais bien pour faire en sorte qu’il puisse se perpétuer à travers de nouveaux sacrifices.

La bourgeoisie sait bien que ses syndicats serviront de relais à ces promesses mensongères. Le flou gouvernemental autour des mesures d’austérité, accentué par le brouillard sur les soi-disant “alternatives possibles” syndicales, permet aux syndicats d’occuper le terrain social pour empêcher que le mécontentement ne se transforme en réelle combativité. C’est ainsi qu’ils sabotent aujourd’hui la prise de conscience sur l’ampleur des attaques.

La politique des syndicats consiste à défendre la “concertation pour adoucir les mesures.”, ou comme le président de l’ACV Luc Cortebeek l’exprimait: “Nous continuons les négociations parce qu’ainsi on peut obtenir le maximum pour les salariés.” Le patronat, de son coté, est bien d’accord : “La FEB adoptera une attitude constructive et responsable. Le dossier est trop important”. Si la bourgeoisie rétablissait l’esclavage, les syndicats iraient négocier le poids des chaînes.

Lors des négociations interprofessionnelles de décembre 2004, le sabotage syndical a utilisé un scénario qui a fait amplement ses preuves, car, après de multiples péripéties, rebondissements fréquents, crispations, provocations patronales, grèves de soutien aux négociateurs syndicaux, rejets des accords, le gouvernement décide malgré tout d’appliquer son plan “puisqu’il a été approuvé par une large majorité des employeurs et des employés belges” et la FGTB s’est inclinée, n’ayant fait de l’opposition que dans le but de maintenir sa crédibilité de syndicat combatif. Verhofstadt est alors un premier ministre heureux car “le modèle de concertation sociale a bien fonctionné, dans une période qui n’est pas facile”.

Cette année, on a vu le syndicat chrétien être le premier à faire de la musculation avant les vacances en prévoyant une journée de grève générale pour le 3 octobre. Fin septembre en pleines négociations, la FGTB annonce une grève générale pour le 7 octobre. Puis, la CSC annonce sa propre grève générale à une autre journée; pour ensuite la décommander après “concertation” avec un gouvernement qui a promis quelques miettes pour les pensions qui n’ont plus été indexées depuis des années.

Ces divisions sont du sabotage conscient et prémédité. Ainsi, quand les syndicats des cheminots font front commun, c’est bien pour mieux séparer les cheminots des autres secteurs. Quand les syndicats des hôpitaux bruxellois aussi, en “front syndical unitaire”, font grève pendant une semaine, c’est également séparés des autres secteurs, et en plus, “Cette semaine l’action de grève dans les hôpitaux sera interrompue pour ne pas perturber les actions syndicales nationales, qui auront lieu cette semaine.” (De Standaard, 03.04.2005). Cette manoeuvre a été magistralement précédée par les négociations de l’accord professionnel à La Poste signé par la CGSP au nom du pragmatisme des francophones et rejeté par les autres centrales syndicales en Flandre. Contrairement aux déclarations syndicales, le but n’est pas de faire pression sur le gouvernement ou sur le patronat. C’est un bel exercice de division qui se met en place.

Les manoeuvres visent à diviser la classe ouvrière par syndicats, par secteurs, par régions. Une véritable riposte ne peut démarrer qu’en renouant avec la solidarité entre tous les ouvriers, qu’ils soient au travail ou au chômage.

Renouer avec la solidarité de classe 

Les mesures touchent tous les travailleurs, au-delà de la division en secteurs ou régions, au-delà de la division entre secteur public et privé; elles touchent aussi bien les cheminots, les ouvriers de VW ou de Belgacom que les hospitaliers ou les postiers. Seule une riposte décidée et unitaire peut contrer les attaques.

Or, il est évident que ce n’est pas vers les syndicats que la classe ouvrière doit porter son regard si elle veut efficacement se défendre, mais plutôt vers des manifestations de la solidarité ouvrière telles qu’elles se sont concrétisées à plusieurs reprises ces derniers temps en Europe et tout dernièrement lors de la grève à l’aéroport londonien d’Heathrow où un millier de travailleurs de l’aéroport se sont spontanément mis en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise américaine de restauration Gate Gourmet, sous-traitante de British Airways, dès l’annonce de leur licenciement.

En plus des manoeuvres de division, les syndicats s’organisent aussi pour que les ouvriers restent tous dans leur coin individuellement. Dans les luttes, les ouvriers ne peuvent compter que sur eux-mêmes car les syndicats n’ont de cesse de canaliser les luttes dans le cadre du secteur ou l’entreprise et d’isoler les ouvriers pour mieux briser la lutte et les expressions de la solidarité ouvrière, pour empêcher le mécontentement de s’unifier et surtout empêcher la prise de conscience que c’est partout que la classe ouvrière est attaquée. Accepter la logique de gestion du capital, c’est capituler d’emblée, c’est accepter les licenciements car il n’y a plus assez de débouchés à la production capitaliste, c’est accepter la diminution du salaire social (pensions, remboursement des soins,…), pour ne pas affaiblir le capital national face à la concurrence internationale, c’est accepter en fait toute attaque anti-ouvrière.

Les mêmes mesures et les mêmes attaques tendent à s’uniformiser à l’échelle mondiale. Partout le capitalisme enfonce la classe ouvrière dans la même précarité. C’est un puissant révélateur de la faillite irrémédiable du capitalisme. Cela ne peut que renforcer la conscience du prolétariat qu’il n’a aucune amélioration de son sort à attendre de ce système et qu’il n’a pas d’autre choix que de lutter pour son renversement et sa destruction. Oeuvrer dans ce sens, c’est aujourd’hui l’expression la plus élevée de la solidarité prolétarienne.

La seule réponse possible, c’est le développement des luttes sur un terrain de classe. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre, sinon nous subirons toujours plus de sacrifices et d’attaques de la part de la bourgeoisie. Le développement de nos luttes est la seule façon de résister aux attaques toujours plus fortes de la bourgeoisie qui en s’enfonçant dans une crise irréversible, n’a pas d’autre choix que d’exploiter toujours plus les prolétaires et de les jeter dans la misère.

06.10.2005 / Internationalisme

Situations territoriales: 

  • Situation économique en Belgique [4]
  • Situation sociale en Belgique [5]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [6]

Plus de trente ans d'aggravation de la crise économique (1)

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Depuis la fin de la période de reconstruction de l’après Deuxième Guerre mondiale, le monde capitaliste a continué de s’enfoncer lentement mais inexorablement dans sa crise économique.  Dans la première partie de cet article nous allons montrer la réalité de cette évolution jusqu’à la fin du 20ème siècle. La deuxième partie s’attachera plus particulièrement à mettre en évidence que le capitalisme est entré dans une nouvelle phase de récession économique, sans commune mesure quant à sa gravité avec celles qui l’ont précédée.

La bourgeoisie n’est pas à une tromperie près. Au moment où la crise économique s’apprête à connaître à nouveau une brusque accélération, elle tente d’enfermer les ouvriers sur un faux terrain : celui de la lutte contre l’économie libérale et l’économie de marché. C’est cacher consciemment aux ouvriers que le grand ordonnateur de l’économie capitaliste et des attaques contre la classe ouvrière est l’Etat capitaliste lui-même. Dans «les lignes directrices de l’emploi» au sein de la constitution européenne, nous pouvions lire que les Etats doivent réformer «les conditions trop restrictives de la législation en matière d’emploi qui affectent la dynamique du marché du travail» et promouvoir la «diversité des modalités en terme de contrats de travail, notamment en matière de temps de travail.» Le rejet de la constitution ne modifiera pas d’un iota cette politique. Le prolétariat est ainsi appelé à oublier les dernières récessions mais aussi le krach boursier de 2001-2002, et avec cela toutes les attaques massives, la détérioration de ses conditions de vie qui n’ont pas cessé de se développer depuis la réapparition ouverte de la crise économique mondiale à la fin des années 1960 et qui se sont particulièrement accentuées en ce début des années 2000. La classe ouvrière paie un lourd tribut au capitalisme en faillite, sans parler de l’attaque massive sur les retraites et le démantèlement en cours de la Sécurité Sociale. La bourgeoisie, cyniquement, tente ainsi à nouveau de convaincre le prolétariat que s’il accepte de faire des sacrifices supplémentaires, alors ce sera mieux demain, le niveau de vie remontera, le chômage reculera ! Voilà encore des mensonges qui n’ont qu’un seul but, faire en sorte que la classe ouvrière accepte de payer par un accroissement de sa misère et de son exploitation, l’enfoncement catastrophique du capitalisme dans sa propre crise économique.

La crise d’un système

Les récessions de 1967, 1970-71, 1974-75, 1991-93 et 2001-2002 furent tendanciellement plus longues et profondes et cela dans un contexte de déclin constant du taux de croissance moyen de l’économie mondiale. La croissance du PIB mondial a elle aussi suivi la même tendance à la baisse, passant de plus de 4% dans les années 1950 à moins de 1% en ce début des années 2000. Après l’effondrement de l’économie qui a frappé le monde capitaliste à la fin des années 1920 et au début des années 1930 avec son cortège d’explosions de la misère et du chômage ouvrier qui allaient nécessairement en découler, le capitalisme a su tirer un maximum de leçons. Depuis lors, et après la seconde guerre mondiale, le capitalisme allait s’organiser pour tenter d’empêcher un effondrement brusque de son économie. On assiste alors au renforcement du rôle de contrôle de l’Etat sur l’ensemble de l’économie nationale. Le développement partout dans le monde du capitalisme d’Etat, en plus de la fonction économique qui vient d’être assignée, a aussi un rôle dans la militarisation de la société et l’encadrement de la classe ouvrière. Mais comme cela ne suffisait pas pour se rassurer, la bourgeoisie va se doter d’organismes internationaux tels que le COMECOM pour l’ancien bloc de l’Est et le FMI pour le bloc occidental, chargés de veiller à ce qu’il n’y ait pas des secousses trop violentes de l’économie. Dans le même sens, et contrairement à la période d’avant la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie va renforcer le rôle des banques centrales. Celles-ci vont être amenées à jouer un rôle direct dans la politique économique à travers leur action sur les taux d’intérêts et la masse monétaire.

Des reprises de moins en moins vigoureuses

Malgré cela, et contrairement à ce que nous raconte la bourgeoisie, l’évolution économique s’inscrit lentement mais sûrement dans un déclin. Le capitalisme d’Etat peut certes freiner ce processus, mais il ne peut empêcher son inexorable développement. C’est ainsi que, depuis 1960, les reprises économiques ont toujours été plus limitées et les périodes de récession plus profondes. Le monde capitaliste s’est enfoncé dans sa crise. Par delà leurs particularités, l’Afrique, l’Amérique centrale, l’ancien bloc soviétique et la plus grande partie des pays d’Asie ont plongé dans un chaos économique grandissant. Depuis maintenant quelques années, c’est aux Etats-Unis, au Japon et à l’Europe de connaître directement les effets de la crise. Aux Etats-Unis le taux de croissance par décennies entre 1950-1960 et 1990-99 est passé de 4,11% à 3% et, pour la même période, de 4,72% à 1,74% en Europe (source OCDE). La croissance du PIB mondial par habitant de 1961 à 2003 est quant à elle passée de pratiquement 4% à moins de 1%. Après la période de reconstruction de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui a été appelé par la bourgeoisie «les trente glorieuses», la production mondiale a donc progressivement, mais inexorablement repris le chemin de la récession. Si celle-ci a pu être sérieusement freinée dans son développement et entrecoupée de périodes de reprise de plus en plus courtes mais bien réelles, c’est tout simplement que la bourgeoisie mondiale a eu recours à un endettement croissant et à l’utilisation d’un déficit budgétaire toujours plus important. La première puissance mondiale en constitue, sans aucun doute, le plus bel exemple. Elle est ainsi passée d’un budget public excédentaire de 2% en 1950 à un déficit budgétaire approchant aujourd’hui les 4%. C’est ainsi que la dette totale des Etats-Unis, qui a augmenté lentement des années 1950 au début des années 1980, a connu au cours des vingt dernières années une véritable explosion. Celle-ci a carrément doublée, pour évoluer de 15 000 milliards de dollars à plus de 30 000 milliards. Les Etats-Unis sont passés de principal créancier de la planète, au pays le plus endetté. Mais il serait totalement erroné de penser que, malgré les spécificités propres à la première puissance mondiale, cette tendance ne correspond pas à l’évolution globale de l’économie capitaliste. A la fin des années 1990, l’Afrique est arrivée à plus de 200 milliards de dette, le Moyen-orient également, l’Europe de l’est à plus de 400 milliards de dollars, l’Asie et la région Pacifique (y compris la Chine) à plus de 600 milliards de dollars, comme également l’Amérique latine (source Etat du monde 1998). Si nous prenons la production industrielle, la réalité du ralentissement de la croissance économique mondiale depuis la fin de la période de reconstruction, est encore plus marquante.

De 1938 à 1973, soit en 35 ans, la production industrielle des pays développés a augmenté de 288 %. Pendant les 22 années suivantes, sa croissance atteindra seulement 30 % (source OCDE).

Le ralentissement du développement de la production industrielle mondiale apparaît ici très nettement. La classe ouvrière devait nécessairement payer cette réalité. En prenant simplement les cinq pays les plus développés économiquement au monde nous avons une évolution du chômage particulièrement parlante. Celle-ci passe en moyenne de 3,2% de 1948-1952 à 4,9% en 1979-1981, pour aboutir en 1995 à 7,4% (source OCDE). Ces chiffres sont bien entendus ceux de la bourgeoisie, à ce titre ils sous-estiment consciemment cette réalité pour la classe ouvrière. De plus, depuis 1995, le chômage n’a fait que continuer à se développer sur l’ensemble de la planète.

Afin de ralentir son enfoncement dans la crise, la bourgeoisie ne pouvait pas se contenter de se doter d’institutions nouvelles au niveau international, ni d’avoir recours à un endettement faramineux comme nous venons de le voir, afin de maintenir totalement artificiellement en vie un marché solvable en réalité totalement saturé. Encore lui fallait-il tenter de freiner la chute progressive de son taux de profit. Les capitalistes n’investissent jamais que pour tenter d’obtenir un profit toujours plus grand en rapport avec le capital investi. C’est ce qui va déterminer ce fameux taux de profit. De 1960 à 1980 celui-ci a baissé, passant de 20% à 14% également pour l’Europe, pour remonter comme par magie à 20% aux Etats-Unis et à plus de 22% en Europe à la fin des années 1990. Faudrait-il alors que la classe ouvrière croit aux miracles ? Deux facteurs pourraient expliquer cette hausse : l’accroissement de la productivité du tavail ou l’austérité accrue infligée aux ouvriers. Or la productivité du travail a subi une érosion de moitié de sa croissance sur cette période. C’est donc en attaquant les conditions de vie de la classe ouvrière que la bourgeoisie a pu restaurer, pour le moment, son taux de profit. L’évolution de la part salariale, en pourcentage du PIB (produit intérieur brut) en Europe illustre parfaitement cette réalité. Dans les années 1970-1980, celle-ci s’élevait à plus de 76% en Europe et à plus de 79% en France, pour tomber à moins de 66% chez l’une comme chez l’autre. C’est bel et bien l’aggravation de l’exploitation et le développement de la misère en milieu ouvrier qui sont les principales causes de la restauration momentanée du taux de profit dans les années 1990.

C’est dans une deuxième partie que nous illustrerons la descente aux enfers de la phase actuelle de l’aggravation de la crise économique mondiale.

T.

Questions théoriques: 

  • L'économie [7]

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