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C'EST DE PLUS EN PLUS SIMULTANEMENT QUE LES OUVRIERS REPONDENT, AUX QUATRE COINS DE LA PLANETE, AUX ATTAQUES DE PLUS EN PLUS GENERALES ET BRUTALES DE LA BOURGEOISIE. ENCORE RECEMMENT, EN BELGIQUE ET EN GRANDE-BRETAGNE, DES LUTTES ONT EXPRIME CETTE TENSION MONTANTE. DANS LES PAYS DU BLOC DE L 'EST, LES POTENTIALITES D'UNE EXPLOSION GENERALISEE SE RENFORCENT: LA BOURGEOISIE STALINIENNE, DE LA HONGRIE A L'URSS EN PASSANT PAR LA RDA, EST CONTRAINTE D'ACCORDER DES AUGMENTATIONS DE SALAIRES, DES REDUCTIONS DE TEMPS DE TRAVAIL, POUR QUE L'AUSTERITE QU’ELLE IMPOSE PUISSE PASSER SANS AFFRONTEMENT.
POUR TOUS LES PROLETAIRES, LES LUTTES DE POLOGNE SONT UN PHARE QUI ECLAIRE LEUR PRESENT ET LEUR AVENIR : DEPUIS PLUS DE 8 MOIS, LA CLASSE OUVRIERE Y AFFIRME SA FORCE UNIE, CONTRE LA LOGIQUE D'UN MONDE POURRISSANT. DANS SA LUTTE, ELLE AFFRONTE TOUTES LES ARMES QUE LA BOURGEOISIE DEPLOIE PARTOUT DANS LE MONDE : LA REPRESSION, LE PIEGE SYNDICAL, LES MYSTIFICATIONS NATIONALISTES...
La classe ouvrière, en Pologne, a réussi à maintenir l'initiative. La bourgeoisie ne parvient pas à "rétablir l'ordre" ; l'autorité du parti et de l'Etat continue d’être mise en question au point d'ébranler toute la structure politique de la classe au pouvoir. La récente vague de grèves commencée au lendemain même du nouvel an, après la "trêve de Noël" est la troisième vague depuis l'été. Et, comme les deux qui l'ont précédée, elle a abouti à faire céder partiellement les bureaucrates du Pacte de Varsovie. Mais cette fois-ci, pour g parvenir, les ouvriers ont du s'opposer plus ouvertement à l'appareil de Solidarité. La bourgeoisie ne peut plus gouverner comme bon lui semble. Elle est obligée de tenir compte de ce que font et menacent de faire les exploités.
"La fin de l'été polonais. La Pologne à l'ombre de l'armée", titrait, ce mois-ci, parmi d'autres, le "Quotidien de Paris". Non, l'été polonais, n'est pas fini. L'image d'un talon de fer sur une classe ouvrière soumise par un syndicat "bien dans le rang" n'est pas encore la réalité.
Le nouveau changement de gouvernement est présenté comme la "solution" qui, maniant habilement la carotte et le bâton, réussirait à calmer la situation et â arrêter les grèves, par un subtil dosage de promesses de liberté et de menaces de répression. Le gouvernement actuel est la manifestation de la difficulté de manœuvre de la bourgeoisie face à une classe qui depuis maintenant 8 mois n'a cessé de se battre, de réfléchir collectivement, de construire un rapport de forces capable de desserrer l'étau, stalinien et d'améliorer ses conditions d'existence. LE GOUVERNEMENT ACTUEL EST LE RESULTAT DE L’INTRANSIGEANCE OUVRIERE ET D'UN ECHEC DE L'INTRANSIGEANCE DES BUREAUCRATES.
Depuis les cérémonies d'inauguration à Gdansk en décembre du monument aux victimes de la répression des luttes de 1970, l'espoir d'une UNION NATIONALE, ce consensus social tant désiré par Walesa, a bien volé en éclats.
La réunion des responsables du Pacte de Varsovie en décembre avait abouti à mettre en première ligne de front gouvernemental les tendances les plus "fermes"(le général Moczar en tête) afin de remettre l'ordre dans le pays.
Enhardi par le calme de la "trêve de Noël",1e gouvernement s'est attaché pendant près de 2 mois â tenir le langage de la force face aux luttes sociales : refus d'appliquer les accords de Gdansk en ce qui concerne les samedis libres; intervention de la police pour évacuer les bâtiments gouvernementaux occupés par des paysans et des ouvriers; refus net de céder à toute pression revendicative (jusqu'au point de pousser des responsables locaux â reprendre les démissions qu'ils avaient déjà acceptées face à des grèves locales) menaces ouvertes du conseil des ministres de "prendre des mesures pour remettre les usines en grève au travail"; au début février, des rumeurs courent sur l'imminence de l'imposition de la loi martiale dans le pays. "Il faut passer à l'offensive" déclare le général Moczar.
Les résultats ne se font pas attendre. Des millions d'employés en grève les samedis; le mouvement des paysans se généralise avec l'appui des ouvriers; les grèves exigeant la destitution des responsables locaux gouvernementaux se multiplient, provoquant dans le sud du pays des grèves générales avec occupation comme à Jelenia Gora et à Bielsko Biala, qui regroupent des centaines d'entreprises organisées pour la lutte ensemble. Au début février les grèves s'intensifient : les usines, les chantiers navals, les bureaux, les transports publics partent en lutte. Walesa, qui saute d'un foyer à l'autre pour "négocier avec les ouvriers" - étrange représentant!- s'écrie : "Le pays est en feu!"
La direction de Solidarité ne cesse de multiplier les appels au calme et à la responsabilité, sans succès. La presque totalité des grèves importantes ont été faites CONTRE L'AVIS DE SOLIRARITE.
L'Eglise traite le gouvernement d'irresponsable pour les mesures qu'il prend et qui ne font qu'attiser le feu social. Au moment des négociations sur Bielsko Biala, les éléments dits "modérés" du bureau politique menacent de démissionner si le gouvernement ne cède pas. La bourgeoisie a été obligée de céder partiellement sur les samedis libres, sur les revendications de ceux qui réclamaient la destitution des principaux responsables locaux de l'Etat.
Face à l'échec de la «fermeté" qui n'aboutissait qu'à des tergiversations, l'Etat fait un nouvel essai, tentant d'aligner ses divergences derrière la principale force cohérente de l'Etat :
L’ARMEE, elle n'efface pas la menace de répression qui pèse comme une épée de Damoclès sur la tête des ouvriers polonais : mais c'est que la classe ouvrière est trop forte. Il faut d’abord l'affaiblir. C'est pour ce but que le gouvernement met en avant aujourd'hui la "négociation", le "dialogue", en renforçant les moyens de contrôle sur la classe que sont le syndicat et les commissions chargées de régler les questions au sommet entre syndicats et représentants du gouvernement : démobilisez-vous, le syndicat s'occupe de vous ; plus de grèves, et plus de revendications économiques, pour commencer.
La classe ouvrière est trop forte, riais trop forte localement, et les tentatives de répression entraînent des réactions immédiates, mais aussi internationalement. Les ouvriers du monde entier, et surtout ceux des Pays de l'Est, gardent les yeux sur la Pologne. Si le mouvement se tassait, si le silence pouvait se faire, alors il serait plus envisageable de faire succéder à la déroute l'écrasement physi- que de la volonté ouvrière.
Et avec quoi réprimer? Si le général Jarulewski ne "voulait" pas employer la répression en 70, c'est que les premières tentatives d'utiliser l'armée pour la répression s'étaient soldées par des fraternisai tons avec les insurgés. Quant à l'URSS, elle a déjà des problèmes de désertions dans les contingents envoyés en Afghanistan, tirer sur les ouvriers de Pologne ne se ferait pas sans mal... Cet affaiblissement de l'armée bourgeoise, c'est le résultat de la formidable pression sociale qu'exerce la classe ouvrière quand elle lutte, quand elle fait entrevoir à l'humanité la possibilité d'une autre logique que celle qui fait aujourd'hui tourner ce monde à 1'envers.
Pour réprimer aujourd'hui la classe ouvrière en Pologne, il faut tenter de noyer cette lame de fond.
Le syndicat Solidarité est aujourd'hui pour l'Etat son atout majeur, pour la classe son pire danger. La nouvelle équipe dirigeante le place en première ligne de l'offensive anti-ouvrière.
La bourgeoisie peut tenter de prendre un autre visage. Mais elle ne peut pas céder sur des revendications qui sapent son économie et elle dit clairement, par la bouche du syndicat : plus de revendications économiques. D'AILLEURS, AVEC LES DIFFERENTES "CONCESSIONS" DE LA BOURGEOISIE, LA NEGOCIATION REUSSIE AVEC LES SYNDICATS PREVOIT DE NOUVELLES RESTRICTIONS SUR LA CONSOMMATION DE LA VIANDE ET DU SUCRE.
Or, justement, la classe ouvrière n'accepte toujours pas cette logique: rentable ou non, elle a exigé les samedis. Tant que l'économie peut produire des armes à la tonne, les ouvriers ne voient pas pourquoi ils devraient vivre dans la misère.
Solidarité, comme l'Etat en général, tend à présenter le problème et ses solutions sur le plan de la "distribution" de ce qui est disponible. La classe ouvrière pose le problème du BUT DE LA PRODUCTION ; le point de vue de la classe ouvrière n'est pas de répartir une misère imposée par des besoins qui lui sont étrangers, mais de produire en fonction de ses besoins, et de les satisfaire.
Or, justement, la classe ouvrière, jusqu'à présent a montré plus que de la méfiance vis à vis de la vision syndicale des négociations en bureau fermé par des délégués qui ne sont pas des délégués d'assemblées en lutte. A Bielsko Biala et à Jelenia Gora, elle a à nouveau montré que pour imposer sa volonté, il fallait se réorganiser en comités de grèves centralisés entre les différents secteurs.
De la force qu'ont eu ces réactions de la classe ouvrière en Pologne, c'est l'ensemble de la classe ouvrière mondiale qui doit en tirer la leçon, car ces problèmes ne sont pas "spécifiquement polonais". C'est la condition pour que la classe ouvrière affirme sa force et entrave la régression; c'est la condition pour approfondir la question qu'ont posé les ouvriers en Pologne : celle de la réorientation de la société vers la satisfaction des besoins humains. Elle ne peut se faire à l'échelle de la Pologne, mais à 1'échelle du monde.
Nous publions ci-dessous une lettre d’un de nos lecteurs à propos de la lutte de classe en Pologne.
Depuis 1905, la grève en masse, arme de lutte politique- est en Pologne une tradition bien enracinée. C'est à l'emploi de cette arme que le prolétariat polonais doit les premières brèches importantes ouvertes dans l'édifice tsariste. Aujourd'hui, dans la lutte historique du prolétariat moderne pour sa libération, la classe ouvrière polonaise occupe le tout premier rang et le prolétariat du monde entier se trouve poussé à comprendre son importance historique car, il livre en Pologne une de ces batailles décisives dans la lutte émancipatrice du prolétariat mondial.
En pleine crise économique et malgré la lourde menace de la répression militaire qui plane constamment sur lui, le prolétariat polonais continue de livrer une grandiose lutte, certainement une des sources les plus fécondes en enseignements qui se soient produites depuis des décennies. Il se bat seul pour sa propre existence ; il brandit très haut sa bannière ; il remet à l'honneur la pratique de la grève en masse propulsant dans l'action des centaines de milliers de protagonistes ; il a recours à l'assemblée générale renouant par là avec la pratique des organes de dualité de pouvoir. Les premières éruptions du prolétariat ne se sont pas terminées par une navrante défaite ; au contraire, elles auront encouragé les combattants à livrer de nouveaux assauts. Maintenant, le mouvement s'affronte à des forces infiniment plus puissantes matériellement, non plus Kania et l'Eglise apostolique romaine, mais le capitalisme mondial qui a trouvé en Walesa son plus efficace cheval de Troie.
Brutalement, les dernières flambées de grèves du prolétariat polonais sont venues confirmer qu'il n'y avait pas de quelconque socialisme en Pologne, mais une économie nationale soumise aux lois de la domination impérialiste du marché mondial. Qu'il n'existait pas â Varsovie un type d'Etat "ouvrier dégénéré", mais un appareil de domination policière, grand des intérêts généraux de la classe dominante, la bourgeoisie polonaise. Que, divisée économiquement pour l'exploitation des marchés et la conquête des indispensables débouchés, la bourgeoisie mondiale était tout comme en 1871 et en 1917, solidaire lorsqu'il s'agissait de réprimer les désordres sociaux par sa gendarmerie, et, de garantie â chacune de ses fractions nationales de la continuité du capitalisme par la ressource de ses coffres-forts. Qu'à cette franc- maçonnerie des brigands d'Est et d'Ouest, le prolétariat devait opposer sa propre solidarité internationale en s'inspirant des méthodes de Marx et d'Engels œuvrant à la constitution de 1'AIT en 1864 et, de l'effort des bolcheviks luttant pour la reformation de l'Internationale. Que toute lutte, voulue et vécue par le prolétariat freinait de manière conséquente les préparatifs militaires de la bourgeoisie en vue d'un troisième carnage impérialiste.
Quoi qu'obscurci par l'emprise religieuse et les ressentiments nationalistes qui subsistent dans une classe qui se relève de la plus tragique contre révolution de son histoire, le caractère fondamental du mouvement n'est en rien marqué par l'idéologie trade-unioniste. Bien plutôt, il constitue Un des maillons de la marche en avant du prolétariat qui se fraie la voie à travers une série d'avancées et de retraites car, seule classe révolutionnaire qui soit en même temps classe exploitée, il ne peut pas poursuivre son ascension sur une route rectiligne, à l'inverse de la bourgeoisie montante.
Les grèves conduites par le prolétariat polonais constituent une puissante réaction â la pression de plus en plus insupportable d'un capitalisme dominé par la crise. Ces grèves sont spontanées, en ce sens qu'elles réagissent immédiatement à une situation sociale donnée, qu'elles rendent coup pour coup dans la lutte. Elles permettent de développer les innombrables ressources et toutes les capacités créatrices du prolétariat. C'est un flot montant de réalisation des plus positives pour l'unification de la classe qui se produit en Pologne. rt dans cette mesure où s'est effectuée la plus large mobilisation et le regroupement du meilleur des forces prolétariennes, les machinations insensées des "jaunes" en vue de stopper le mouvement ont été étouffées dans l'oeuf, et les bouchers qui rêvent du sabre et du fusil pour noyer une fois pour toutes le mouvement dans un bain de sang doivent ronger leur frein. Par sa puissance, le mouvement a contraint les dirigeants à céder plus d'une fois sur leurs revendications : "Ce n'est pas l'emploi de la force physique, mais bien la résolution révolutionnaire des masses de ne pas se laisser effrayer, le cas échéant, dans leur action de grève par les conséquences les plus extrêmes de la lutte et de faire tous les sacrifices nécessaires qui confèrent à cette action une puissance si irrésistible qu'elle peut souvent amener dans un court laps de temps de notables victoires" (Rosa Luxembourg : "Grève de masse, partis et syndicats"). Telle est bien la situation en Pologne. Prêt à tout effort, disposé aux sacrifices les plus pénibles, le prolétariat se bat et, par cette lutte, il est devenu le facteur social le plus actif, celui qui tient entre ses mains la clé de la situation. Poussé S la lutte par Eine situation de crise, il agit sur les bases des lois de l'histoire qu'il plie sous sa volonté. Au niveau actuel de son développement conscient, le prolétariat est non seulement de taille à tenir tête à ses ennemis, mais aussi capable de les terrasser.
Luttant pour atteindre leur propre but, les ouvriers polonais ne se sont pas laissés entraîner à la remorque des dirigeants du KOR. A chaque élévation de leur conscience a correspondu une chute de l'autorité et de l'influence de Walesa. Ce que ce dernier désirait, c'était une grève prise d'avance dans les rets de la légalité ; une grève qui ressemble à une pieuse occupation d'usines durant laquelle brûleraient innocemment les cierges et l'encens de la "paix sociale". Après avoir cherché à échapper aux doucereux discours démobilisateurs du KOR, les prolétaires cessaient de s'organiser dans leurs propres organes centralisés.
Cette tâche est celle que doit se donner l'avant-garde des ouvriers qui, au cours de l'affrontement, ont acquis leur conscience de classe. Chaque fois que les ouvriers auront à agir en toute responsabilité par eux-mêmes, leur maturité et leur conscience se manifesteront toujours de manière spontanée. Depuis que les appareils syndicaux sont passés au service du capital, et rien qu'à lui, plus aucun pas réel n'a été franchi au travers de ces fausses grèves soigneusement préparées pour la défaite du prolétariat. A cet égard, Luxembourg a donné une opinion définitive et il suffit de confronter les surgissements de "grèves sauvages'' avec les actions légalistes, impuissantes, initiées par les centrales syndicales pour voir qu'un abîme les sépare. De longue date rompus à la politique de l'arbitrage et des négociations, les vieux syndicats se font les fourriers des défaites successives des luttes. Mais il est erroné d'assimiler tout organe centralisé du prolétariat à un syndicat qui, par voie de conséquence, serait néfaste aux intérêts des travailleurs. De même qu'est incorrecte l'opinion selon laquelle l'action spontanée se suffit à elle-même".
Au cours de la grève en masse, la classe ouvrière devient une totalité organique, une classe pour soi, animée d'une volonté commune pour le triomphe d'un objectif identique et général. Ainsi, les grèves polonaises ont offert et continuent d'offrir d’immenses possibilités pour une germination de la conscience de classe la plus élevée. Or, jusqu'ici, elles ne se sont pas transformées en lutte révolutionnaire, en affrontement direct avec l'appareil d'Etat. Aussi nécessaires qu'elles soient, ni l'assemblée générale, ni la grève en masse n'épuisent le problème. Elles ne forment que des moments de tout un processus qui, parti de la plus modeste grève, doit aboutir nécessairement à l'insurrection. Il ne fait pas de doute que la grève en masse et l'assemblée générale entraînent régulièrement dans la lutte des masses toujours plus grandes. De la sorte, elles conservent au mouvement son caractère de masse et lui assurent sa cohésion. Mais elles ne lui confèrent pas encore son contenu politique socialiste. En elles-mêmes, ni l'une, ni l'autre ne recèlent une vertu miraculeuse ; pour devenir la force motrice la plus puissante de la révolution, la manifestation de la lutte prolétarienne qui ne finit, pour ainsi dire qu'avec la prise du pouvoir, il leur faut ne pas se laisser détacher du but final.
Le socialisme ne jaillit pas de la lutte spontanée de la classe pour satisfaire ses propres intérêts quotidiens. Celui-ci ne peut naître que de l'accentuation des contradictions du capitalisme et de la prise de conscience, par la classe, que la révolution socialiste est indispensable. Alors, et alors seulement, chaque revendication particulière, chaque lutte partielle, chaque mot d'ordre limité peut prendre une signification révolutionnaire.
Mais, pour que la classe prolétarienne prenne conscience de ses intérêts socialistes, il faut qu'en elle s'exprime durant les heurts une force politique capable d'harmoniser l’activité pratique et immédiate avec le but final, pour parler comme Luxembourg. Ce noyau a comme fonction d'empêcher que le mouvement ne vienne se briser sur l'écueil qui est la perte de vue du but final, à accélérer le mouvement spontané en expliquant aux plus larges couches du prolétariat déjà en mouvement l'essence de sa lutte. Sa fonction ne consiste pas à se substituer à elles, qui luttent avec courage et abnégation, mais de coordonner chaque phase de la lutte à la somme entière du mouvement en ¡lui fournissant son orientation consciente.
Ici, en Pologne, cette organisation politique d'avant-garde apparaîtra à chaud plutôt comme l'émanation et la conséquence de la lutte que comme condition préalable au processus révolutionnaire. Ici encore, le parti révolutionnaire sera le produit historique de la lutte de classe, le résultat de grands actes créatifs de la lutte de la classe qui les expérimente, et non pas la machine à faire les révolutions dont rêvent les vulgarisateurs mécanistes.
Que les prolétaires en action deviennent conscients de leurs propres tâches et du chemin à suivre est aujourd'hui aussi indispensable historiquement pour le triomphe du socialisme que l'ignorance de ses mêmes tâches et voies était indispensable pour la survie de la bourgeoisie et la pérennité du capitalisme.
DI NEO 11/02/81
Les syndicats ont revêtu le bleu de travail et sont descendus à 1'usine. Faisant mine de réformer l'excessif bureaucratisme de leurs appareils, ils essaient de redéployer leurs tentacules sur le terrain du syndicalisme de base. De la sorte, ils s'adaptent aux nouvelles exigences que leur impose dans la situation actuelle leur rôle de gardiens de Tordre bourgeois dans les usines. Des exemples de cela, nous les trouvons accomplis dans la lutte de Longwy-Denain en France, dans la grève de l’acier en Angleterre et dans la grève de masse en Pologne.
Ces trois exemples sont les plus parlants pour souligner le caractère international de la lutte ouvrière et des problèmes qu'elle rencontre aujourd'hui.
A Longwy-Denain, la bourgeoisie française a tenté de mettre en place dans la sidérurgie un plan de 30 000 licenciements. Devant cette attaque, une violente réaction ouvrière s'est produite : dans les zones sidérurgiques des grèves et des manifestations de masse ont éclaté.
Comment la bourgeoisie française parvint-elle à freiner et à dévoyer momentanément cette grande lutte ?
Elle a employé la répression mais, et surtout, elle a usé d’une arme plus efficace : faire en sorte que les ouvriers soient DESORGANISES, DESUNIS ET SANS COORDINATION, les empêchant de former leurs organes d'unité et de décision souveraine : les ASSEMBLEES ET LES COMITES ELUS ET REVOCABLES. A cela, elle y est arrivée en poussant en avant le syndicalisme de base : elle a donné la liberté aux unions locales de se radicaliser et de regrouper dans leur sein les ouvriers les plus combatifs.
Par ailleurs, quand la combativité ouvrière commença à fléchir, les syndicats ont trouvé dans leurs organes ; de base un point d'appui pour réinstaller Tordre, organisant la démoralisation et la débandade des rangs ouvriers.
Dans le cas de la grève de l'acier, en Grande-Bretagne, les syndicats ont créé des comités de grève pour intégrer les ouvriers les plus combatifs et dominer la lutte. Ces comités se donnèrent des allures de radicalité et se dédièrent à la généralisation de la lutte en anticipant la combativité des ouvriers. En fait, et c'est là que nous pouvons voir comment agissent ces organes néo-syndicalistes de base, cette "généralisation", ils la limitèrent à la branche sidérurgique, ils la firent par le moyen des votes à bulletins secrets, collectes d'argent, etc...
En Pologne, alors que ce qui avait fait la force des luttes ouvrières l'été dernier, c'était le manque total d'illusions des ouvriers sur les syndicats officiels, la bourgeoisie est parvenue à faire passer la reconnaissance du nouveau syndicat "Solidarité" pour une victoire ouvrière. Sitôt mis en place, ce syndicat n’a pas tardé à jouer son rôle d'étouffoir de la lutte de classe. Le pompier Walesa parcoure la Pologne pour éteindre tout conflit qui risque de mettre le feu aux poudres.
En dévoyant la lutte sur des terrains légalistes, en soulignant la nécessité d’une modération de la lutte de classe, en menant des négociations secrètes, Solidarité à bien tiré les leçons du syndicalisme occidental.
Les expériences antérieures doivent guider notre compréhension des nouvelles manœuvres des syndicats pour noyer nos luttes.
Les bases du succès mystificateur du syndicalisme de base sont au nombre de trois :
Même relatif, le succès du syndicalisme de base est d'abord fait d'une faiblesse juvénile dans le regain de la lutte de classe. Il est fort d'un manque d'assurance encore sensible du prolétariat dans ses propres forces.
En dehors de situations de lutte de classe extrême, il est facile de se laisser enjôler par ces organes syndicaux qui revêtent l'apparence du "nouveau", du "plus démocratique", d’assurer une plus grande "participation", etc., par rapport aux vieux organes syndicaux déconsidérés, du style bonze.
Nous pourrions dire que le syndicalisme de base est au syndicat ce que ce dernier est au capitalisme : un amortisseur et un coupe-feu de la lutte ouvrière.
Face à la pression de la lutte, et pour ne pas en perdre le contrôle, les syndicats "assouplissent" leur discipline interne, laissant une certaine "liberté" à leurs organes de base qui sont ceux qui ont une relation directe à la lutte, leur donnant une marge d'action et davantage de possibilités de prendre des initiatives au niveau local, de l'entreprise et du secteur. Cela se traduit en "divergences" entre base et bureaucrates. Ces “divergences" constituent un ingrédient irremplaçable du syndicalisme de base, ils en sont un de ses piliers. Un de leurs objectifs est précisément de convertir n'importe quel affrontement entre ouvriers et syndicats en litige "interne" opposant base et sommet. Un peu comme dans les feuilletons américains de la TV, pleins de mauvais capitalistes et hommes politiques, mais nous laissant entendre que ce sont des exceptions, car il y en a aussi des bons et des intègres le syndicalisme de base nous présente les choses ainsi : le mal, c'est le sommet; ce qui est pur, c’est la base qui maintient l’"essence" du syndicalisme et rachète le tout.
Le jeu est clair : les organes syndicaux de base développent toute une série d’actions "radicales" auxquelles les directions "s’opposent de toutes leurs forces", mais les "tolèrent" parce que la démocratie, c’est la démocratie... Ça, c'est pour la galerie, la réalité est que les directions laissent faire "la base", tant que la lutte demeure globalement contrôlée par elles. Mais si il y a débordement, elles rétablissent l'ordre avec le recours aux bonnes vieilles calomnies de "provocateurs", "aventuristes", etc. ; elles attaquent la lutte ouvrière avec les organes de base en première ligne. Puis, dès que la lutte ouvrière commence à décliner, reviennent en force les directions syndicales
Cette radicalisation des syndicats par leur base, les syndicats ne la font pas, comme ça. Ils s'y voient contraints par la pression de la classe. Mais cela pourtant n'est pas pour nous dissuader de dénoncer les organes syndicaux de base. Cette dénonciation ne doit pas demeurer uniquement au plan du caractère syndical, telle qu'elle se fait parfois, de façon diffuse, mais s'attaquera à l'action de ces organes de base et à leurs fonctions. En rester au simple constat qu’ils naissent sous la pression ouvrière et que, par là même, ils méritent notre confiance parce qu'ils seraient une espèce de “premier pas", est une attitude totalement erronée qui, à terme, peut nous mener à la défaite. Le syndicalisme de base est une entrave de plus que fixe le capitalisme sur la voie des travailleurs, qu’il importe obligatoirement de surmonter. Nourrir l'illusion que notre pression peut nous rendre les syndicats favorables ou, du moins, neutres, est lourd de périls.
La fonction -et le rôle- des "Comités de grève" néo-syndicalistes anglais, de l'intersyndicale en France et de “Solidarité" en Pologne a été bien claire. Et ceux que remplissent les organes syndicaux de base sont similaires:
Cette orientation va de pair avec une idéologie corporatiste et nationaliste. Ainsi, par exemple, dans la lutte de la sidérurgie en Grande-Bretagne, l'extension du mouvement fut limitée au seul domaine privé et, à Longwy-Denain, toute la stratégie syndicale s'est dirigée à rendre responsables les ouvriers sidérurgistes allemands, “parce qu'ils produisaient à mei1leur marché" et "empêchaient que l'acier français se vende". Avec l’idéologie corporatiste, il n'y a qu'une seule voie de sortie : la défaite.
La situation actuelle du capitalisme, de crise permanente fait que l’unique manière de 1'affronter est de nous unir par-dessus les branches d'industrie et autres divisions que ¡nous impose la bourgeoisie. Les nombreuses expériences de luttes très combatives qui, pour ne pas s'être étendues, sont allées à la dérive, le confirment. Précisément, une des bases du syndicalisme de base consiste bel et bien à ne pas nous faire sortir du cadre de l'usine et de la branche d'industrie ou de la région.
Avec l'idéologie nationaliste, tout également, le syndicalisme de base, et le reste du capitalisme, veut nous faire avaler la couleuvre selon quoi il s'agit de nous opposer aux travailleurs des autres pays parce qu'ils seraient les vrais responsables de notre situation.
En Pologne, le refrain nationaliste chanté par Solidarité n'a qu'un seul but, enfermer les ouvriers sur le terrain national, faire croire que la solution à leurs problèmes est en Pologne et empêcher ainsi toute extension de la lutte par-delà les frontières.
Lorsque la lutte redescend, ces organes de base n'ont pas le moindre scrupule à céder la baguette de chef d’orchestre aux directions syndicales pour que celles-ci, en complicité avec le patronat et le gouvernement, fassent à leur guise. Par exemple, prenons la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne, où une fois la lutte retombée, se sont produits des centaines de licenciements en toute complaisance des syndicats, depuis les "directions bureaucratiques” jusqu'à la très "combative" base syndicale.
Il est très important par les temps actuels, à une époque où le moment décisif de l'affrontement capital-travail se rapproche, que nous puissions créer, à l'heure de la lutte, nos propres organes (Assemblées, comités élus et révocables par l'assemblée,)
Ces assemblées et ces comités, certes, ne sont pas en soi quelque chose dont le prolétariat devra se suffire, mais du moins c'est par eux que la classe se donne la possibilité de faire face aux attaques bourgeoises. En revanche, si le prolétariat â la faiblesse de croire dans le syndicalisme de base, il se coupe toute chance de gagner et assure la défaite.
(d'après “Acción Prolétaria", n°33).