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EN AUCUN CAS, ON NE PEUT JUGER LES GENS D'APRES CE QU'ILS DISENT D'EUX- MÈMBS ET CE QU'ILS DISENT FAIRE, PAIR SUR CE QU'ILS FONT PRATIQUEMENT.
Mais le discours de “Solidarité", si crû soit-il aujourd'hui; ne serait plus opérant s'il ne parvenait pas à travestir encore la réalité. Et ce qu'il cache est ceci : une telle activité n'est pas une phase "momentanée" que traverserait le syndicat depuis "la mi-novembre". Cette activité n'est nullement "en partie contradictoire avec sa raison d'être". ELLE EST SA RAISON D’ETRE. Depuis ses débuts, l'attitude du syndicat n'a pas varié. Elle a toujours constitué un barrage directement élevé contre les luttes ouvrières.
Ainsi, c'est à travers son attitude dans le déroulement même des luttes ouvrières que Ton peut juger de l'activité du nouvel appareil syndical "Solidarité".
Rappelons les faits : dans ses luttes en juillet-août, â partir de revendications alimentaires face à la pénurie, la classe ouvrière a été rapidement amenée à s'organiser de manière autonome en assemblées générales souveraines, nommant et contrôlant de façon permanente, les membres révocables des comités de grève aux délibérations publiques par voie de hauts parleurs et organes exécutifs des décisions de l'assemblée.
Une des revendications majeures mises en avant dans les assemblées était la dissolution du carcan que constituaient les syndicats officiels, ces milices de l'Etat dans les usines, dont la tâche dominante était la surveillance des quotas de production des ouvriers.
A l'intérieur du mouvement et des MKS s'exprimaient des positions diverses comme celle des militants de l'opposition pro-occidentale du KOR et aussi celle des partisans d'un "syndicalisme libre". Cette dernière idée a connu un rapide succès d'audience dans les assemblées, car ce que voyaient les ouvriers dans le "syndicalisme libre" n'était pas une activité syndicale dont ils n'avaient que faire dans l'épanouissement de leur lutte, mais la proclamation de liberté â l'égard du pouvoir. C'est dans ces conditions que les Walesa et consorts sont parvenus à placer comme première revendication la constitution de "nouveaux syndicats libres et indépendants". Mais en acceptant le principe de nouveaux syndicats, les ouvriers laissaient se créer une brèche qui signifiait l'acceptation d'une délégation de pouvoir â une minorité agissante, la création d'une structure hiérarchisée qui les privait de leur force essentielle. De publique, la négociation entre le MKS et l'Etat qui aboutit aux accords de Gdansk de fin août devint secrète et échappa au contrôle de l’assemblée générale pour devenir une affaire de "spécialistes de la conciliation." Ces "spécialistes", â l'image de Wales., sont passés rapidement d'un langage combatif tant qu'existait la pression directe et le contrôle de l'assemblée générale â des discours de plus en plus "responsables".
Tandis que le syndicat "libre" se constituait et ouvrait les portes de son siège à 5km du Chantier Lénine de Gdansk, début septembre, il obtint la reprise du travail avec, à la clé, un accroissement de la productivité "pour réparer le mal causé par la grève",dans une ambiance houleuse et malgré l'hostilité manifestée par plus d'un tiers des ouvriers. L'appareil syndical se structure avec des permanents dont les appointements sont fixés environ â 1/3 au-dessus du salaire moyen des ouvriers, des "experts-conseillers" syndicaux s'implantent dans les usines. En 3 mois, "Solidarité" aura absorbé officiellement plus de 60% des cadres du parti et de l'effectif des structures syndicales traditionnelles.
Dès le mois de septembre, les nouveaux dirigeants syndicaux s'opposent directement aux grèves et â leur extension. Les discours définissent déjà clairement le rôle que ces syndicats entendent jouer. Un des experts-conseillers déclare dans un entretien au "Matin de Paris" :"Il va falloir que nous nous appliquions à redonner des forces à ce gouvernement sinon à lui fournir un programme pour éviter qu'il ne s'effondre."(19-09-30)
Ils se placent déjà résolument du point de vue de la défense de l'économie nationale et de la patrie, tandis que vis-à-vis des ouvriers, ils réclament la délégation de pouvoir : les structures syndicales arrachent peu à peu le contrôle aux assemblées générales, sans toutefois parvenir à les empêcher. Durant tout le mois de septembre, les grèves revendicatives se multiplient, s'étendent aux mines de Silésie, aux centres textiles de la région de Lodz, à Varsovie et sa région, à celle de Cracovie, se généralisant à tous les secteurs jusqu’aux employés des ministères et aux ouvriers agricoles.
Tandis que les nouveaux syndicats s'offrent comme organes négociateurs avec les autorités, usine par usine, secteur par secteur, ville par ville, et que, substituant au contenu matériel des revendications le problème de la reconnaissance locale du syndicat, ils parviennent tant bien que mal à faire reprendre le travail, une fois les luttes isolées, sous de vagues promesses d'augmentations salariales, les ouvriers se battent pour conserver leur pouvoir collectif et s'orientent de plus en plus résolument vers une remise en cause générale du pouvoir d'Etat : les cheminots de Varsovie, les postiers, les hospitaliers de Gdansk qui occupent la préfecture, les ouvriers des sucreries qui, en opposition directe avec la direction syndicale, occupent une maison de la culture près de Gdansk.
Des mines de Silésie à Radom, les dirigeants de "Solidarité" parcourent en tous sens le pays pour lancer des appels au calme, et souvent, conspués, parviennent difficilement à éteindre les conflits et à faire reprendre le travail. Comme le note l'envoyé spécial du "Monde", l'autorité morale de Walesa1 qui, de "prestigieux Robin des Bois, tend â devenir pompier volant" s'affaiblit notablement -tandis que les rencontres-surprise des chefs syndicaux avec le vice-premier ministre Jagielski ou avec le ministre de la Justice se multiplient "dans une ambiance de cordialité". L'adhésion au nouveau syndicat fait l'objet d'un battage intense. Syndicats et gouvernements tentent de polariser l'attention générale autour de l'enregistrement des statuts du syndicat et tentent de dévoyer les luttes sur le terrain légal et juridique. Mais pas plus la question légale que la constitution de l'appareil syndical ne sont le problème réel des ouvriers, eux dont la réponse aux appels du parti, de Gierek à Kania, était : "Leurs discours, on les connaît". Ce qu'ils refusent, c'est la soumission à l'autorité de l'Etat, c'est de reconnaître "le rôle dirigeant du parti sur l'ensemble de la vie sociale". Face aux compromis syndicaux, ils menacent même de repartir en grève à Gdansk, et de reconstituer un MKS. L'impression générale jamais démentie est:"le gouvernement se moque de nous." La question
des statuts est largement débordée et l'opposition à l'Etat, polarisée par exemple par l'arrestation d'un syndicaliste coupable de recel de documents confidentiels d'Etat sur les manœuvres répressives se traduit par toute une remise en question de ses organes institués : la justice, la police, l'armée, les cadres locaux du pouvoir comme à Czestochowa, à Bielsko-eiala, près de la frontière tchécoslovaque ou â Olsztyn. Devant cette menace de mobilisation générale, les syndicats s'affolent et multiplient les démarches secrètes auprès du gouvernement.
A plusieurs reprises (24 octobre, 10 novembre, 27 novembre) des compromis sont trouvés in extrémis. Les dirigeants de "Solidarité“ sont contraints d'intensifier leurs appels au calme au nom de "l'intérêt national et de la patrie" : "Nous sommes prêts à participer à l'alliance de la sagesse, de la pondération et de la responsabilité nationale.'1, "Il faut s'abstenir de nouvelles revendications tant que le gouvernement n'aura pas formulé un programme réaliste et cohérent. Cette attitude est motivée par la nécessité de permettre la stabilisation de l'économie." Derrière ce respect des limites économiques qu'ils mettent sans cesse en avant, il y a une des pires illusions : que les ouvriers auraient une part à prendre dans la gestion de l'économie nationale, où l'exploité lutterait sans remettre en cause son exploitation, ni la patrie, ni la religion, ni aucune institution alors que dans la réalité les ouvriers sont contraints de remettre en cause le fonctionnement global de l'Etat et de l'ensemble de la société.
Dès la fin du plénum du Comité Central , face à la menace d'une intervention russe, "Solidarité" prône ouvertement l'union nationale :
Aujourd'hui, la lutte des ouvriers polonais fait trembler la bourgeoisie russe elle-même, contrainte d'entreprendre un ravalement grossier de son appareil d'encadrement â travers une campagne "pour la moralisation des syndicats" face au risque de contagion; aujourd'hui où les ouvriers en Pologne sont devant la nécessité vitale de trouver une extension du mouvement au-delà de leurs frontières, ils trouvent devant eux un Walesa qui tente de leur masquer la portée internationale de leur lutte, qui leur parle de “sauver la nation” et leur déclare comme lors de l'inauguration du monument commémorant les massacres de la Baltique en décembre 70 : "on n'a pas le droit d'entreprendre quoi que ce soit pouvant nuire aux intérêts de la patrie".
La vie de la classe ouvrière, c'est le terrain international de ses luttes, et c'est le contrôle de ses organes de lutte. Il n'y a que deux points de vue possibles dans cette société : national ou international, celui du pouvoir d'Etat ou celui du pouvoir des ouvriers. Partout, quel que ce soit le degré d'illusions qu'il est capable de semer, l'appareil syndical est contraint d'exercer la même fonction aussi bien dans l'Etat que vis-à-vis du prolétariat. Quelle que soit l'image qu'ils puissent offrir -ce n'est pas parce que les dirigeants d'un syndicat "libre" comme le SMOT en URSS, aujourd'hui, sont pourchassés et persécutés, font figure de victimes que le "syndicalisme libre" pourrait prendre en URSS une orientation différente de celle de la Pologne, qu'il adopte un langage radical pour mieux contenir la pression ouvrière ou qu'il prône ouvertement "les sacrifices nécessaires pour les travailleurs face aux réalités de l'économie nationale", tout syndicat met en œuvre toujours et partout la même pratique qui s'oppose directement -en cela un Walesa n'est pas différent d'un Séguy ou d'un Maire- non seulement eux intérêts mais aux pratiques mêmes de la classe ouvrière en lutte.
A Test comme à l’ouest, toute forme syndicale ne peut jamais correspondre à l'expression du mouvement ouvrier, mais toujours au besoin de la classe bourgeoise de freiner ce mouvement qui la menace.
Y.D.
Les luttes ouvrières de Pologne, de par leur ampleur, leur dimension, leur unité, constituent l'événement le plus important depuis la vague révolutionnaire de 1917-23 et, par là même occasion, remettent à l'ordre du jour la question de la grève de masse et imposent aux révolutionnaire d'aborder à nouveau l'examen de cette arme fondamentale du prolétariat.
Avant d'aborder cette forme de lutte de la classe ouvrière, il est nécessaire de la différencier des conceptions des anarchistes ainsi que des syndicalistes et gauchistes.
Les anarchistes n'emploient pas les termes de grève de masse, mais plutôt de grève générale. La grève générale mise en avant dans le programme de Bakounine est le "levier" qui sert à déclencher la révolution sociale. Il suffit qu'à un jour "J", tous les ouvriers d'un pays ou du monde entier s'arrêtent de travailler, pour que le monde des oppresseurs chavire et qu'une société nouvelle se mette en place. Cette conception est totalement extérieure à la réalité. Il ne prend en compte aucun facteur matériel, aucune situation sociale déterminée. C'est une conception totalement abstraite, utopique, basée sur la bonne volonté des ouvriers, sans aucune lutte de la classe ouvrière.
La conception des syndicalistes en Allemagne, à l'époque où Rosa Luxembourg écrivait "Grève de masse, partis et syndicats", ou bien celle des gauchistes de nos jours, rejoignent d'une certaine façon la conception des anarchistes. Pour eux aussi la grève de masse est le déclencheur, est une arme qui permet de créer une situation. C'est davantage un facteur numérique, quantitatif qui entre en jeu, comme un débrayage massif pour donner du poids â une revendication, qu'un processus, un mouvement spontané au sein de la lutte de classe issu de conditions économique, politiques et sociales déterminées.
La révolution russe a mis fin pratiquement à cette conception et le mouvement en Pologne aujourd'hui est là pour nous le montrer après 50 années de contre-révolution. Comme l'écrit encore Rosa Luxembourg :
LES CONCEPTIONS DES ANARCHISTES SYNDICALISTES ET GAUCHISTES
La grève de masse est un phénomène mouvant et ne suivant pas un schéma rigide et vide. Elle n'est pas un moyen inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne dans des conditions historiques déterminées. C'est un mouvement spontané qui, par son extension, son auto-organisation, ses avancées, ses reculs, connaîtra une évolution, prendra une ampleur.
Comme on peut le voir en Russie à partir de 1905 ou en Pologne aujourd'hui, la grève de masse n'est pas un acte unique mais toute une période de lutte.
Toutes ces caractéristiques se retrouvent en 1905 en Russie, mais aussi dans les événements de Pologne, où l'on peut voir un mouvement partir sur des revendications économiques -revendications qui peuvent paraître banales au départ, telles que des augmentations de salaires ou des luttes contre la pénurie de nourriture, mouvement parti d'une ville précise ou même d’une usine, faire tâche d'huile, s'étendre à toute la Pologne, déstabiliser un Etat aux allures et à la lourdeur d'un tank et mobiliser la bourgeoisie mondiale contre lui. Il connaîtra des arrêts, même des reculs face aux promesses de la bourgeoisie, mais il reprendra avec autant d'ampleur, de force, dans d'autres usines ou dans les mêmes, par solidarité avec d'autres ouvriers en grève, ou parce que la bourgeoisie n'a pas tenu ses promesses.
Une des caractéristiques de la grève de masse c'est l'enchevêtrement des revendications économiques et politiques. L'un n'exclut pas l'autre, le mouvement ne s'oriente pas uniquement dans un sens. On peut voir la lutte politique et économique se développer en même temps, l'un dynamisant l'autre et vice versa. Même si à un moment donné, l'élément politique a plus d'importance que l'économique, cela n'exclut pas qu'à un autre moment, des luttes dures pour des revendications économiques ne ressurgissent et posent avec de nouvelles forces la question politique, c'est à dire la question des perspectives, à un niveau supérieur.
Comme l'écrit Rosa Luxembourg :
Cet enchevêtrement de luttes politiques et économiques montre bien la vie du mouvement, sa force qui est loin de ressembler au schéma que nous laissent voir les sociaux-démocrates, anarchistes et gauchistes, et même les bordiguistes, schéma statique et vide de réalité.
Cette force se retrouve aussi dans l'auto-organisation de la classe. Au. sein de la lutte naissent des comités de grève, des comités inter-entreprises qui permettent d'éviter l'isolement des luttes, avec des délégués élus et révocables en assemblée générale.
Cette auto-organisation traduit la capacité qu’à la classe ouvrière â s’organiser lorsqu'elle lutte. La grève de masse est un mouvement qui tend vers une unité consciente de la classe ouvrière.
Ce processus, de par leur expérience de lutte des années passées, les ouvriers polonais ont su le voir. La force du mouvement est la participation même des ouvriers, qui ne se replient pas derrière les bonzes syndicaux, derrière les professionnels de la négociation, c'est la volonté d'auto-organisation ; cet aspect essentiel de la lutte, les révolutionnaires doivent particulièrement le mettre en avant dans leur intervention.
Qu'une classe exploitée, dominée économiquement et idéologiquement, brimée et humiliée quotidiennement, prenne son destin et sa lutte en mains, l'organise et la dirige collectivement, constitue justement le premier acte révolutionnaire de la classe ouvrière.
Toute cette expérience de prise en main des luttes, l'auto-organisation, les ouvriers sauront s’en resservir quand le moment sera venu de reprendre la lutte. Et ce n’est que plus fort, plus conscient que le mouvement reprendra, tout en évitant les pièges tendus par la bourgeoisie avec toutes ses mystifications.
En tant qu'"océan de phénomènes", la grève de masse met en avant à certains moments les faiblesses des ouvriers, tout comme l'océan dans la tempête fait remonter des profondeurs des épaves, des déchets, etc., la grève de masse fait que les ouvriers poussent à bout leurs illusions, par exemple en Pologne la religion, le nationalisme. Mais le cadre de la grève de masse permet de dépasser ces faiblesses. Toutes ces mystifications ne tombent pas sur la tête de prolétaires atomisés, divisés, indifférents, mais dans une classe en mouvement qui saura "railler impitoyablement ses faiblesses et ses erreurs".
Mettre en avant les avancées du mouvement pour éliminer ses faiblesses, c'est le rôle indispensable de l'organisation politique de la classe dans la grève de masse aujourd'hui.
E.V.
L'invasion de l'Afghanistan par les troupes russes n’avait pas pour but la répression des luttes ouvrières, mais la constitution d'une base stratégique et militaire face au bloc américain. Si les troupes russes intervenaient en Pologne, ce serait pour réprimer la classe ouvrière, et non pas un acte de guerre contre le bloc américain.
S'il s'agissait d'une question seulement militaire, une question qui relèverait de la guerre de positions que se livrent quotidiennement le bloc russe et le bloc occidental, l'intervention de la Russie en Pologne aurait déjà eu lieu.
En déclarant qu'une intervention des troupes russes signifierait la "fin de la détente", le bloc occidental entend faire croire que la guerre que se mènent le bloc occidental et le bloc russe a des causes "idéologiques", la démocratie contre le totalitarisme, alors que les causes réelles de l'antagonisme puisent leurs sources dans l'opposition de leurs Intérêts économiques, militaires et politiques. Cette manière de voir a 1'avantage de permettre à la bourgeoisie du bloc occidental d'affirmer que la lutte des ouvriers polonais est spécifique et particulière aux ouvriers polonais. C'est leur contribution à l'isolement de la lutte des ouvriers polonais.
Cela n'est pas tout. La bourgeoisie du bloc occidental entend aussi faire croire qu'en période de crise, la lutte de classe est un facteur de "déstabilisation internationale" et provoque des tensions guerrières, alors que les forces qui poussent à la guerre mondiale sont le produit direct de la crise du capitalisme mondial.
Bien au contraire, la lutte des ouvriers polonais montre aujourd'hui très concrètement comment le développement de la lutte de classe est un frein à l'issue de la crise dans une troisième guerre mondiale. Elle pose concrètement la nécessité et la possibilité d'une perspective révolutionnaire et internationaliste contre le nationalisme guerrier de la bourgeoisie.
La répression sanglante en 70/71 des luttes ouvrières en Pologne n'a jamais réussi à paralyser la classe ouvrière. Au contraire, le souvenir de cette répression, commémorée illicitement chaque année a constitué un fil entre tous les moments de la lutte et a largement contribué à les radicaliser.
Jamais oubliée, jamais cicatrisée, cette blessure n'a servi l'Etat en rien pour maintenir la classe ouvrière dans la docilité, l'acceptation passive d'une vie toujours plus dure et sombre. Durant ces dix dernières années, l'antagonisme et la rancœur vis à vis de l'Etat n'ont fait que se renforcer, se développer et après les poussées de 76 et 79, le mouvement de ces derniers mois n'en est ressurgi que plus fort, conscient et massif, fermement décidé à gagner.
Aujourd'hui, la question de la répression des luttes ouvrières en Pologne se pose à un autre niveau qu'en 70-71, parce que la lutte elle-même est à un autre niveau et surtout parce que la situation mondiale est différente.
En 70-71 l'armée et la police de l'Etat polonais suffiront â réprimer le mouvement, aujourd'hui l'Etat polonais déstabilisé et quelque peu en déroute ne pourrait plus compter sur ses seules forces pour mener la répression. Déjà en 70-71, pour s'assurer la "fidélité" de l'armée lors des massacres organisés à Gdynia, le gouvernement a envoyé l'armée investir les chantiers la nuit, en inventant le prétexte d'une "attaque d'espions ennemis venus par la mer" ! Aussi dégueulasse que grotesque.
Aujourd'hui, seule l'armée russe pourrait assurer la répression en Pologne. De fait la question de la répression, comme celle de l'avenir de la lutte en Pologne, est une question internationale qui ne peut avoir une réponse qu'internationale. De plus avant de pouvoir répondre à la question de savoir si la Russie va intervenir militairement en Pologne, il faut au minimum avoir répondu à la question : pourquoi ne l'ont-ils pas déjà fait ?
Pour ne parler que de la répression elle-même -l'entrée éventuelle des chars russes en Pologne :
Pour ce qui est des répercussions et des conséquences internationales d'une telle répression :
Ce qui inquiète aujourd'hui les bourgeoisies d'Etat du bloc de l'Est, c'est bien sûr qu'une de leurs positions mi1itaires et stratégiques soit affaiblie mais ce qui est dominant depuis le début de la lutte des ouvriers polonais, c'est que celle-ci, par son caractère exemplaire, annonce et joue un rôle d'amorce à des mouvements ouvriers similaires dans tous les pays de l'Est. Comme tous les correspondants de journaux des pays de l'Est le rapportent (même si c'est discrètement), tous les ouvriers qui le peuvent suivent de très près la lutte des ouvriers polonais malgré le black-out des informations par les autorités, en écoutant les radios occidentales.
Dans les pays occidentaux, après les premières vagues de luttes ouvrières dans le monde entre 68 et 70, contre les premiers effets de la crise économique mondiale, l'illusion que cette crise était passagère, l'illusion que les "programmes de relance" allaient l'enrayer et ouvrir une nouvelle perspectives était générale, et les yeux de la classe ouvrière internationale ne se tournèrent pas vers la Pologne, la répression sanglante des grèves ouvrières de 70-71 ne provoqua nulle part de mouvement de solidarité. Aujourd'hui, la situation est totalement différente, tous les yeux sont tournés vers la Pologne, car la lutte des ouvriers polonais est une réponse autre que la guerre à la crise que tout le monde vit, parce que les ouvriers polonais montrent que la classe ouvrière est une force sociale déterminante capable d’imposer son point de vue, parce que la lutte des ouvriers brise en mille morceaux le mensonge du "socialisme" dans les pays de l'Est et éveille leur pensée à une autre alternative que capitalisme d'Etat ou capitalisme privé, parce que ceux qu’on présente comme nos ennemis se battent pour la vie, comme partout.
Les crédits immenses que les pays occidentaux se sont empressés d'accorder à l'Etat polonais pour que celui-ci ne s'effondre pas prouvent que, comme pour les Etats du bloc de l'Est, la préoccupation fondamentale des Etats occidentaux n'est pas une question militaire et stratégique, mais bien que la lutte des ouvriers polonais ne s'étende pas internationalement.
Le dernier épisode marquant de la lutte des ouvriers polonais, la mobilisation générale pour faire libérer deux ouvriers de Solidarité de Varsovie et la remise en cause de la justice, de la police et de l'armée qui l'a accompagnée a montré que les ouvriers polonais étaient allés le plus loin possible dans le cadre des frontières polonaises. Aller plus loin à ce moment-là signifiait remettre totalement en cause le pouvoir d'Etat et pousser celui-ci à s'effondrer. Malgré toutes les conséquences internationales que cela provoquerait, la Russie ne peut se permettre de laisser l'Etat polonais s'effondrer et dans ce cas-là, serait contrainte d'intervenir militairement.
Que ce soit du point de vue de la lutte, comme du point de vue de la répression, toutes les questions se rejoignent dans la question internationale.
C'est de cette situation que la bourgeoisie mondiale tire profit pour mener une contre-offensive contre les ouvriers polonais, non parce que ceux-ci auraient reculé, mais parce que de leur propre force, ils ne peuvent aller plus loin et dégager une perspective internationaliste. Cette contre-offensive se résume à redonner quelque force à l'Etat polonais, à le forcer au moins à adopter une attitude homogène, à agiter très sérieusement la menace d'une intervention des troupes russes, et surtout à isoler les ouvriers polonais des ouvriers du reste du monde. Pour la mener, la bourgeoisie mondiale se partage le travail :
Aujourd'hui, les ouvriers polonais ne peuvent aller plus loin, ni recommencer ce qu'ils ont déjà fait. Même si la capacité de mobilisation reste toujours aussi grande, ils ne peuvent que conserver les positions gagnées contre l'Etat. Combien de temps ? Cela non plus ne dépend pas d'eux, mais là aussi de la classe ouvrière internationale.
Prênat