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Revue Internationale no 97 - 2e trimestre 1999

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Editorial : La guerre en Europe : le capitalisme montre son vrai visage

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La guerre qui vient d'éclater dans l'ex-Yougoslavie ? avec les bombardements de la Serbie par les armées de l'OTAN, constitue l'événement le plus grave sur la scène impérialiste mondiale depuis l'effondrement du bloc de l'Est en 1989. Même si, pour le moment, l'ampleur des moyens employés reste bien moindre que lors de la Guerre du Golfe en 1991, la signification du conflit actuel est d'une tout autre dimension. Aujourd'hui, c'est au coeur de l'Europe, à une heure ou deux des principales capitales de ce continent que se déchaîne la barbarie guerrière. C'était déjà le cas tout au long des multiples affrontements qui, depuis 1991, ont ravagé l'ex-Yougoslavie et qui avaient fait déjà des centaines de milliers de victimes. Mais cette fois-ci, ce sont les principales puissances du capitalisme, à commencer par la première puissance mondiale, qui sont les protagonistes de cette guerre. 

Si le fait que cette guerre se déroule en Europe a une telle importance, c'est parce ce continent, en tant que berceau du capitalisme et première région industrielle du monde, a été le principal enjeu ainsi que l'épicentre de tous les conflits impérialistes majeurs du 20e siècle, à commencer par les deux guerres mondiales. La guerre froide elle-même qui, pendant 40 ans, a opposé le bloc russe et le bloc américain, avait comme principal enjeu l'Europe, même si les épisodes de guerre ouverte ont eu pour théâtre des pays de la périphérie ou d'anciennes colonies (guerres de Corée, du Vietnam, du Moyen-Orient, etc.). En outre, le conflit actuel se déroule dans une zone particulièrement sensible du continent, les Balkans, dont la position géographique (bien plus que l'économie), en a fait, dès avant la première guerre mondiale, un des lieux les plus disputés de la planète. N'oublions pas que la première boucherie impérialiste a commencé à Sarajevo.

Enfin, il est un autre élément qui contribue à donner au conflit actuel toute sa dimension : c'est la participation directe, active, de l'Allemagne dans les affrontements, et pas en tant que comparse mais dans une position importante. C'est une première historique depuis plus d'un demi-siècle puisque ce pays, du fait de son statut de vaincu de la seconde guerre mondiale, avait été contraint depuis lors de se dispenser de toute intervention militaire. Le fait que la bourgeoisie allemande reprenne aujourd'hui sa place sur les champs de bataille est significatif de l'aggravation générale des tensions guerrières que le capitalisme décadent, et confronté à une crise économique insoluble, ne peut qu'engendrer toujours plus.

Les politiciens et les médias des pays de l'OTAN nous présentent la guerre actuelle comme une action de “défense des droits de l'homme” contre un régime particulièrement odieux, responsable, entre autres méfaits, de la “purification ethnique” qui a ensanglanté l'ex-Yougoslavie depuis 1991. En réalité, les puissances “démocratiques” n'ont rien à faire du sort de la population du Kosovo, tout comme elles se moquaient royalement du sort des populations kurdes et shiites en Irak qu'elles ont laissé massacrer par les troupes de Saddam Hussein après la guerre du Golfe. Les souffrances des populations civiles persécutées par tel ou tel dictateur ont toujours été le prétexte permettant aux grandes “démocraties” de déchaîner la guerre au nom d'une “juste cause”. Ce fut le cas, notamment, lors de la seconde guerre mondiale où l'extermination des juifs par le régime hitlérien (extermination contre laquelle les Alliés ne firent rien, même quand ils en avaient la possibilité) servit après coup à justifier tous les crimes commis par les “démocraties” ; entre autres, les 250 000 morts de Dresde sous les bombes alliées dans la seule nuit du 13-14 février 1945 ou les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945.

Si les médias nous inondent, depuis plusieurs semaines, d'images montrant la tragédie des centaines de milliers de réfugiés albanais du Kosovo victimes de la barbarie de Milosevic, c'est pour justifier la campagne guerrière des pays de l'OTAN qui, lorsqu'elle a débuté, rencontrait un fort scepticisme sinon une hostilité dans les populations de ces pays. C'est aussi dans le but de faire adhérer celles-ci à la dernière phase de l'opération “Force déterminée”, si les bombardements ne font pas plier Milosevic : celle de l'offensive terrestre qui risque de provoquer de nombreux morts non seulement du côté serbe, mais aussi du côté des alliés. 

En réalité, la “catastrophe humanitaire” des réfugiés du Kosovo était prévue et voulue par les “démocraties” afin de justifier leurs plans de guerre ; tout comme le massacre des Kurdes et des Shiites d'Irak était voulu puisque les alliés avaient appelé ces populations à se soulever contre Saddam Hussein au cours de la guerre. 

Le véritable responsable de la guerre actuelle n'est pas à chercher à Belgrade, ou même à Washington. C'est le capitalisme comme un tout qui est responsable de la guerre ; et la barbarie guerrière, avec son cortège de massacres, de génocides, d'atrocités, ne connaîtra de terme qu'avec le renversement de ce système par la classe ouvrière mondiale. Sinon, le capitalisme agonisant risque d'entraîner dans sa mort l'ensemble de la société. 

Face à la guerre impérialiste et à toutes ses atrocités, les communistes ont un devoir de solidarité. Mais cette solidarité ne va pas à telle ou telle nation ou ethnie, dans lesquelles on retrouve pêle-mêle, exploités et exploiteurs, victimes et bourreaux, que ces derniers aient le visage de Milosevic ou de la clique nationaliste de l'UCK qui déjà enrôle de force les hommes valides dans les colonnes de réfugiés. La solidarité des communistes est une solidarité de classe qui va aux ouvriers et aux exploités serbes et albanais, aux ouvriers en uniforme de tous les pays qui se font tuer ou qu'on transforme en assassins au nom de la “Patrie” ou de la “Démocratie”. Cette solidarité de classe, c'est en premier lieu aux bataillons les plus importants du prolétariat mondial de la manifester, les ouvriers d'Europe et d'Amérique du Nord, non pas en marchant derrière les banderoles du pacifisme mais en développant leurs luttes contre le capitalisme, contre ceux qui les exploitent dans leur pays. 

Les communistes ont le devoir de dénoncer avec autant d'énergie les pacifistes que ceux qui prêchent la guerre. Le pacifisme est un des pires ennemis du prolétariat. Il cultive l'illusion que la “bonne volonté” ou les “négociations internationales” peuvent venir à bout des guerres. Ce faisant, ils entretiennent le mensonge qu'il pourrait exister un “bon capitalisme” respectueux de la paix et des “droits de l'homme” détournant ainsi les prolétaires de la lutte de classe contre le capitalisme comme un tout. Pire encore, ils sont les rabatteurs des “jusqu'au-boutistes”, des chantres des croisades guerrières : “Puisque les guerres sont provoquées par de "mauvais capitalistes", "nationalistes" et "sanguinaires", nous n'aurons la paix qu'en liquidant ces "mauvais capitalistes", au besoin… en leur faisant la guerre”. C'est exactement ce qu'on a vu en Allemagne où le principal leader des mouvements pacifistes des années 1980, Joschka Fischer, est aujourd'hui celui qui assume la principale responsabilité dans la politique impérialiste de son pays. Et il s'en félicite en déclarant que “pour la première fois depuis longtemps, l'Allemagne fait la guerre pour une bonne cause.”. 

Dès les premiers jours de la guerre, les internationalistes ont fait entendre, avec leurs moyens encore modestes, leur voix contre la barbarie impérialiste. Le 25 mars, le CCI a publié un tract qu'il distribue à l'heure actuelle aux ouvriers dans 13 pays et dont nos lecteurs pourront prendre connaissance dans nos publications territoriales. Mais notre organisation n'a pas été la seule à réagir pour défendre la position internationaliste. C'est l'ensemble des groupes se réclamant de la Gauche communiste qui a réagi au même moment et en mettant en avant les mêmes principes fondamentaux ([1] [1]). Dans le prochain numéro de notre Revue internationale nous reviendrons plus en détail sur les positions et analyses développées par ces différents groupes. Mais, dès à présent, il nous faut souligner tout ce qui nous rapproche (la défense des positions internationalistes, telles qu'elles s'étaient exprimées aux conférences de Zimmerwald et Kienthal au cours de la première guerre mondiale ainsi que dans les premiers congrès de l'Internationale communiste) et tout ce qui nous oppose à l'ensemble des organisations (staliniennes, trotskistes, etc.) qui, tout en se réclamant de la classe ouvrière, distillent en son sein le poison du nationalisme ou du pacifisme.

Evidemment, le rôle des communistes ne se limite pas à défendre les principes, aussi importante et fondamentale que soit cette tâche. Il consiste également à fournir une analyse permettant à la classe ouvrière de comprendre les enjeux, les tenants et aboutissants, des principaux aspects de la situation internationale. L'analyse de la guerre en Yougoslavie, qui venait juste de débuter, a constitué un des axes des travaux du 13e congrès du CCI qui s'est tenu début avril. Dans le prochain numéro de la Revue internationale nous reviendrons sur ce congrès, mais nous publions ici, dès à présent, la résolution sur la situation internationale qu'il a adoptée et dont une partie importante est consacrée à la guerre actuelle.

10 avril 1999

 



[1] [2] Il s'agit des organisations suivantes : Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, Partito Comunista Internazionale - Il Programma Comunista, Partito Comunista Internazionale - Il Comunista, Partito Comunista Internazionale - Il Partito Comunista

Géographique: 

  • Europe [3]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [4]

13° congrès du C.C.I. : résolution sur la situation internationale

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Le 20e siècle a vu l’entrée du système capitaliste dans sa phase de décadence marquée par la Première Guerre mondiale et par la première tourmente révolutionnaire internationale du prolétariat qui a mis fin à cette guerre et qui a engagé le combat pour une société communiste. A cette époque déjà, le marxisme révolutionnaire avait annoncé l’alternative pour l’humanité - socialisme ou barbarie - et avait prédit qu’en cas d’échec de la révolution, la Première Guerre mondiale serait suivie par une seconde et par la plus importante et dangereuse régression de la culture humaine dans l’histoire de l’humanité. Avec l’isolement et l’étranglement de la révolution d’Octobre en Russie - conséquence de la défaite de la révolution mondiale - la plus profonde contre-révolution de l’histoire, avec à sa tête le stalinisme, a triomphé pour un demi-siècle. En 1968, une nouvelle génération invaincue de prolétaires a mis fin à cette contre-révolution et a barré la route du processus inhérent de la descente du capitalisme vers une troisième guerre mondiale avec la probable destruction de l’humanité. Vingt ans plus tard, le stalinisme s’effondrait - non cependant sous les coups du prolétariat mais de par l’entrée du capitalisme décadent dans sa phase finale de décomposition.

Dix ans après, le siècle se termine comme il a commencé, c’est-à-dire dans les convulsions économiques, les conflits impérialistes et le développement des luttes de classe. En particulier l’année 1999 est, dès à présent, marquée par l’aggavation considérable des conflits impérialistes que représente l'offensive militaire de l’Otan déclenchée à la fin mars contre la Serbie.

Aujourd’hui, le capitalisme agonisant fait face à une des périodes les plus difficiles et dangereuses de l’histoire moderne, comparable dans sa gravité à celle des deux guerres mondiales, au surgissement de la révolution prolétarienne en 1917-1919 ou encore à la grande dépression qui débuta en 1929. Cependant, à l’heure actuelle, ni la guerre mondiale, ni la révolution mondiale ne sont en gestation dans un avenir prévisible. Plus exactement, la gravité de la situation est conditionnée par l’aiguisement des contradiction à tous les niveaux :

- celui des tensions impérialistes et du développement du désordre mondial ;

- une période très avancée et dangereuse de la crise du capitalisme ;

- des attaques sans précédent depuis la dernière guerre mondiale contre le prolétariat international ;

- une décomposition accélérée de la société bourgeoise.

Dans cette situation pleine de périls, la bourgeoisie a confié les rênes du gouvernement aux mains du courant politique le plus capable de prendre soin de ses intérêts : la Social-Démocratie, le principal courant responsable de l’écrasement de la révolution mondiale après 1917-1918. Le courant qui a sauvé le capitalisme à cette époque et qui revient aux postes de commande pour assurer la défense des intérêts menacés de la classe capitaliste.

La responsabilité qui pèse sur le prolétariat aujourd’hui est énorme. C’est uniquement en développant sa combativité et sa conscience qu’il pourra mettre en avant l’alternative révolutionnaire qui seule peut assurer la survie et l’ascension continue de la société humaine. Mais la responsabilité la plus importante repose sur les épaules de la Gauche communiste, sur les organisations présentes du camp prolétarien. Elles seules peuvent fournir les leçons théoriques et historiques ainsi que la méthode politique sans lesquelles les minorités révolutionnaires qui émergent aujourd’hui ne peuvent se rattacher à la construction du parti de classe du futur. En quelque sorte, la Gauche communiste se trouve aujourd’hui dans une situation similaire à celle de Bilan des années 1930, au sens où elle est contrainte de comprendre une situation historique nouvelle sans précédent. Une telle situation requiert à la fois un profond attachement à l’approche théorique et historique du Marxisme et de l’audace révolutionnaire pour comprendre les situations qui ne sont pas totalement intégrées dans les schémas du passé. Afin d’accomplir cette tâche, les débats ouverts entre les organisations actuelles du milieu prolétarien sont indispensables. En ce sens, la discussion, la clarification et le regroupement, la propagande et l’intervention des petites minorités révolutionnaires sont une partie essentielle de la réponse prolétarienne à la gravité de la situation mondiale au seuil du prochain millénaire.

Plus encore, face à l’intensification sans précédent de la barbarie guerrière du capitalisme, la classe ouvrière attend de son avant-garde communiste d’assumer pleinement ses responsabilités en défense de l’internationalisme prolétarien. Aujourd’hui les groupes de la Gauche communiste sont les seuls à défendre les positions classiques du mouvement ouvrier face à la guerre impérialiste. Seuls les groupes qui se rattachent à ce courant, le seul qui n’ait pas trahi au cours de la seconde guerre mondiale, peuvent apporter une réponse de classe aux interrogations qui ne manqueront pas de se faire jour au sein de la classe ouvrière.

C’est de façon la plus unie possible que les groupes révolutionnaires doivent apporter cette réponse exprimant en cela l’unité indispensable du prolétariat face au déchaînement du chauvinisme et des conflits entre nations. Ce faisant les révolutionnaires reprendront à leur compte la tradition du mouvement ouvrier représentée particulièrement par les conférences de Zimmerwald et de Kienthal et par la politique de la Gauche au sein de ces conférences.

Les conflits impérialistes

1) La nouvelle guerre qui vient d'éclater dans l'ex- Yougoslavie avec les bombardements de l'OTAN sur la Serbie, le Kosovo et le Monténégro, constitue l'événement le plus important sur la scène impérialiste depuis l'effondrement du bloc de l'Est à la fin des années 1980. Il en est ainsi parce que :

- cette guerre concerne non plus un pays de la périphérie, comme ce fut le cas de la guerre du Golfe en 1991, mais un pays européen ;

- c'est la première fois depuis la seconde guerre mondiale qu'un pays d'Europe - et notamment sa capitale - est bombardé massivement ;

- c'est aussi la première fois depuis cette date que le principal pays vaincu de cette guerre, l'Allemagne, intervient directement avec les armes dans un conflit militaire ;

- cette guerre constitue un pas de plus, et de grande amplitude, dans le processus de déstabilisation de l'Europe, avec un impact de premier ordre sur l’aggravation du chaos mondial.

Ainsi, après la dislocation de la Yougoslavie, à partir de 1991, c'est la principale composante de celle-ci, la Serbie qui est menacée de dislocation en même temps que se profile l'éventualité de la disparition de ce qui restait de l'ancienne fédération Yougoslave (Serbie et Monténégro). Plus largement, la guerre actuelle, notamment à travers la question de l'arrivée massive de réfugiés en Macédoine, est porteuse d'une déstabilisation de ce pays avec la menace d'une implication de la Bulgarie et de la Grèce, qui, avec leurs propres prétentions, se considèrent comme ses “ parrains ”. Avec l'implication possible de la Turquie, à partir du moment où la Grèce est concernée, la crise actuelle risque de provoquer un véritable embrasement de toute la région des Balkans et d’une bonne partie de la Méditerranée.

Par ailleurs, la guerre qui vient d'éclater risque de provoquer de très sérieuses difficultés au sein de toute une série de bourgeoisies européennes.

En premier lieu, l'intervention de l'OTAN contre un allié traditionnel de la Russie, constitue pour la bourgeoisie de ce pays une véritable provocation qui ne peut que la déstabiliser encore plus. D'une part, il est clair que la Russie ne dispose plus des moyens de peser sur la situation impérialiste mondiale dès lors que les grandes puissances, et particulièrement les Etats-Unis, y sont impliquées. En même temps, toute une série de secteurs au sein de la bourgeoisie russe se manifestent contre l'impuissance actuelle de la Russie, particulièrement les secteurs ex-staliniens et les ultra-nationalistes, ce qui va encore déstabiliser davantage le gouvernement de ce pays. Par ailleurs la paralysie de l'autorité de Moscou ne peut être qu'une incitation pour différentes républiques de la fédération de Russie à contester le gouvernement central.

En second lieu, si au sein de la bourgeoisie allemande il existe une réelle homogénéité en faveur de l'intervention, d'autres bourgeoisies comme la bourgeoisie française, peuvent être affectées par la contradiction entre leur alliance traditionnelle envers la Serbie et la participation à l'action de l'OTAN.

De même, certaines bourgeoisies comme la bourgeoisie italienne peuvent craindre les répercussions de la situation actuelle du point de vue de la menace d'un nouvel afflux de réfugiés de cette partie du monde.

2) Un des aspects qui souligne le plus l'extrême gravité de la guerre qui se développe aujourd'hui est justement le fait qu'elle se déroule au cœur même des Balkans qui, depuis le début du siècle, ont été considérés comme la poudrière de l'Europe.

Dès avant la première guerre mondiale, il y avait déjà eu deux “ guerres balkaniques ” qui constituaient certaines des prémisses de la boucherie impérialiste, et surtout celle-ci avait comme point de départ la question des Balkans avec la volonté de l'Autriche de mette au pas la Serbie et la réaction de la Russie en faveur de son allié serbe. La formation du premier Etat yougoslave après la première guerre mondiale constituait une des expressions de la défaite de l'Allemagne et de l'Autriche. En ce sens, elle constituait déjà, au même titre que l'ensemble de la paix de Versailles, un des points de friction majeurs ouvrant la porte à la seconde guerre mondiale. Alors que, au cours de la seconde guerre mondiale, les différentes composantes de la Yougoslavie s'étaient rangées derrière leurs alliés traditionnels (Croatie du côté de l'Allemagne, Serbie du côté des alliés), la reconstitution de la Yougoslavie au lendemain du deuxième conflit mondial sur des frontières très proches du premier Etat yougoslave, constituait à nouveau la concrétisation de la défaite du bloc allemand et du barrage que les alliés entendaient maintenir face aux visées impérialistes allemandes en direction du Moyen-Orient.

En ce sens, l'attitude très offensive de l'Allemagne en direction des Balkans immédiatement après l'effondrement du bloc de l'Est, lorsque la solidarité face à la Russie n'avait plus de raison d'être (attitude qui a stimulé l'éclatement de l'ex- Yougoslavie avec la constitution des deux Etats indépendants de Slovénie et de Croatie), mettait en évidence que cette région redevenait un des foyers des affrontements entre les puissances impérialistes en Europe.

Aujourd'hui, un facteur supplémentaire de la gravité de la situation est constitué par le fait que, contrairement à la première guerre mondiale ou même la seconde, les Etats-Unis affirment une présence militaire dans cette région du monde. La première puissance mondiale ne pouvait pas rester absente d'un des théâtres principaux des affrontements impérialistes en Europe et en Méditerranée signifiant ainsi sa détermination à être présente dans toutes les zones cruciales où s'affrontent les différents intérêts impérialistes.

3) Même si les Balkans constituent un des épicentres des tensions impérialistes, la forme actuelle de la guerre (l'ensemble des pays de l'OTAN contre la Serbie) ne recouvre pas les véritables antagonismes d'intérêts qui existent entre les différents belligérants. Avant que de mettre en avant les véritables buts des participants à la guerre, il importe de rejeter tant les justifications que les fausses explications qui sont données du conflit :

La justification officielle des pays de l'OTAN, c'est-à-dire une opération humanitaire en faveur des populations albanaises du Kosovo, est radicalement démentie par le simple fait que jamais cette population n'avait subi une répression aussi brutale de la part des forces armées serbes que depuis le début des bombardements de l’OTAN; et cela était déjà prévu par la bourgeoisie américaine et l'ensemble de celles de l'OTAN bien avant l'opération (comme d'ailleurs certains secteurs de la bourgeoisie américaine le rappellent aujourd'hui). L'opération de l'OTAN n'est pas la première intervention militaire qui se pare des habits de “ l'action humanitaire ”, mais c'est une de celles où le mensonge éclate de la façon la plus évidente.

Par ailleurs, il faut également écarter toute idée que l'action actuelle de l'OTAN représenterait une reconstitution du camp occidental contre la puissance de la Russie. Ce n'est pas parce que la bourgeoisie russe est gravement affectée par la guerre actuelle que les pays de l'OTAN visaient ce but en y participant. Ces pays, et notamment les Etats-Unis, n'ont aucun intérêt à aggraver le chaos qui existe déjà en Russie.

Enfin, les explications (qu'on retrouve même parmi des groupes révolutionnaires) qui essaient d'interpréter l'offensive actuelle de l'OTAN comme une tentative de contrôler les matières premières dans la région constituent une sous-estimation, voire un aveuglement, face à la véritable ampleur des enjeux. En se voulant “ matérialiste ”, en donnant une explication de la guerre basée uniquement sur la recherche d'intérêts économiques immédiats, elles s’écartent d’une véritable compréhension marxiste de la situation présente.

Cette situation est en premier lieu déterminée par la nécessité pour la première puissance mondiale d'affirmer et de réaffirmer en permanence sa suprématie militaire alors que depuis l'effondrement du bloc de l'Est son autorité sur ses anciens alliés s'est évanouie.

En deuxième lieu, la présence active de l'Allemagne pour la première fois depuis un demi siècle dans ce conflit exprime un nouveau pas accompli par cette puissance en vue d'affirmer son statut de candidat à la direction d'un futur bloc impérialiste. Ce statut suppose d'être reconnu comme une puissance militaire de premier plan capable de jouer un rôle direct sur le terrain militaire, et la couverture que lui offre aujourd'hui l'OTAN lui permet de contourner l'interdiction implicite, qui lui avait été faite depuis sa défaite dans la seconde guerre mondiale, d'intervenir militairement dans les conflits impérialistes.

En outre, dans la mesure où l'opération actuelle s'attaque à la Serbie, “ ennemi traditionnel ” de l'Allemagne dans ses visées en direction du Moyen-Orient, cette opération va dans le sens des intérêts de l'impérialisme allemand, surtout si elle aboutit au démembrement de la fédération yougoslave et de la Serbie elle-même avec la perte du Kosovo.

Pour les autres puissances qui sont impliquées dans la guerre, notamment pour la Grande-Bretagne et la France, il existe une contradiction entre leur alliance traditionnelle avec la Serbie, qui s'était manifestée de façon très claire pendant la période où l'ex-Forpronu était dirigée par ces puissances, et l'opération actuelle. Pour ces deux pays, ne pas participer à l'opération “ Force déterminée ” signifiait être exclus du jeu dans une région aussi importante que celle des Balkans ; le rôle qu'ils pouvaient jouer dans une résolution diplomatique de la crise yougoslave était conditionné par l'importance de leur participation aux opérations militaires.

4) En ce sens, la participation de pays comme la France ou la Grande-Bretagne à l'opération actuelle de “ Force déterminée ” contient des similitudes très importantes avec la participation militaire directe (cas de la France) ou financière (Allemagne, Japon) à l'opération “ Tempête du désert ” en 1991. Cependant, il existe, au delà de ces similitudes, des différences très importantes entre la guerre actuelle et celle de 1991.

Une des caractéristiques majeures de la guerre du Golfe de 1991 était la planification par la bourgeoisie américaine de l'ensemble du déroulement de l'opération depuis le piège tendu à Saddam Hussein durant l'été 1990 jusqu'à la fin des hostilités concrétisée par le retrait des troupes irakiennes du Koweït. Cela exprimait le fait que, tout de suite après  l'effondrement du bloc de l'Est conduisant à la disparition du bloc occidental, les Etats-Unis conservaient encore un leadership très fort sur la situation mondiale, ce qui leur avait permis de réaliser un sans-faute dans la conduite des opérations aussi bien militaires que diplomatiques et ce, même si la guerre du Golfe avait pour vocation de faire taire les velléités de contestation de l'hégémonie américaine qui s'étaient déjà manifestées, particulièrement de la part de la France et de l'Allemagne. A cette époque, les anciens alliés des Etats-Unis n'avaient pu encore avoir l'occasion de développer leurs propres visées impérialistes en contradiction avec celles des Etats-Unis.

La guerre qui se déroule aujourd'hui ne correspond pas à un tel scénario écrit de la première à la dernière ligne par la puissance américaine. Entre 1991 et aujourd'hui, la contestation de l'autorité des Etats-Unis s'est manifestée à de nombreuses reprises; y compris de la part de pays de second plan tel qu'Israël, mais aussi de la part des alliés les plus fidèles de la guerre froide comme la Grande-Bretagne. Justement, c'est en Yougoslavie que s'était manifesté cet événement historique inédit qui était le divorce entre les deux meilleurs alliés du 20ème siècle, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis; lorsque la Grande-Bretagne, à côté de la France, avait joué son propre jeu. Les difficultés des Etats-Unis à affirmer leurs propres intérêts impérialistes en Yougoslavie avaient d’ailleurs constitué une des causes du remplacement de Bush par Clinton.

En outre, la victoire finalement obtenue par les Etats-Unis, à travers les accords de Dayton de 1996, ne constituait pas une victoire définitive dans cette partie du monde ni un arrêt de la tendance générale de la perte de son leadership comme première puissance mondiale.

Aujourd'hui, même si les Etats-Unis sont à la tête de la croisade anti-Milosevic, ils doivent compter beaucoup plus qu'auparavant avec les jeux spécifiques des autres puissances – notamment l'Allemagne - ce qui introduit un facteur considérable d'incertitude sur l'issue de l'ensemble de l'opération.

En particulier, il n'existait pas, sur cette question, un seul scénario écrit d'avance de la part de la bourgeoisie américaine mais plusieurs. Le premier scénario qui avait les faveurs de la bourgeoisie américaine, c'était une reculade de Milosevic face au chantage de frappes militaires comme cela avait été le cas avant les accords de Dayton.

C'est ce scénario que les Etats-Unis avec l'envoi de Holbrooke ont essayé de dérouler jusqu'au bout à la suite même de l'échec de la conférence de Paris.

En ce sens, si l'intervention militaire massive des Etats-Unis en 1991 était la seule option envisagée par ce pays dans la crise du Golfe (et il a fait en sorte qu'il en n'y en ait pas d'autre, en empêchant toute solution diplomatique) l'option militaire, tel qu'elle se déroule aujourd'hui, résulte de l'échec de l'option diplomatique (avec le chantage militaire) représenté par les conférences de Rambouillet et de Paris.

La guerre actuelle avec la nouvelle déstabilisation qu'elle représente dans la situation européenne et mondiale, constitue une nouvelle illustration du dilemme dans lequel se trouvent aujourd'hui enfermés les Etats-Unis. La tendance au “ chacun pour soi ” et l'affirmation de plus en plus explicite des prétentions impérialistes de leurs anciens alliés les obligent de façon croissante à faire étalage et usage de leur énorme supériorité militaire. En même temps, cette politique ne peut aboutir qu'à une aggravation encore plus grande du chaos qui règne déjà dans la situation mondiale.

Un des aspects de ce dilemme se manifeste dans le cas présent, comme cela avait d'ailleurs été le cas avant Dayton lorsque les Etats-Unis avaient favorisé les ambitions croates dans la Krajina, par le fait que leur intervention militaire fait, d'une certaine façon, le jeu de leur principal rival potentiel, l'Allemagne. Cependant, l'échelle de temps dans lequel s'expriment les intérêts impérialistes respectifs de l'Allemagne et les Etats-Unis est très différente. C'est à long terme que l'Allemagne est obligée d'envisager son accession au rang de superpuissance alors que c'est dès maintenant, et déjà depuis plusieurs années, que les Etats-Unis sont confrontés à la perte de leur leadership et à la montée du chaos mondial.

5) Un trait essentiel du désordre mondial actuel est donc l’absence de blocs impérialistes. En effet, dans la lutte pour la survie de tous contre tous dans le capitalisme décadent, la seule forme qu’un ordre mondial plus ou moins stable peut assumer est une organisation bipolaire en deux camps guerriers rivaux. Cela ne signifie cependant pas que l’absence actuelle de blocs impérialistes est la cause du chaos contemporain puisque le capitalisme décadent a déjà connu une période où il n’y avait pas de bloc impérialiste - celle des années 20 - sans que cela implique un chaos particulier de la situation mondiale.

En ce sens, la disparition des blocs en 1989, et la dislocation de l’ordre mondial qui s’en est suivie, sont des signes que nous avons désormais atteint une étape beaucoup plus avancée dans la décadence du capitalisme qu’en 1914 ou 1939. C’est l’étape de décomposition, la phase finale de la décadence du capitalisme.

En dernière analyse, cette phase est le produit du poids permanent de la crise historique, l’accumulation de toutes les contradictions d’un mode de production en déclin s’étalant sur un siècle entier. Mais la période de décomposition a été inaugurée par un facteur spécifique : le blocage du chemin vers une guerre mondiale sur deux décennies grâce à une génération invaincue du prolétariat. En particulier, le Bloc de l’Est, plus faible, s’est finalement effondré sous le poids de la crise économique parce qu’en dernière analyse il a été incapable de s’acquitter de sa raison d’être : la marche vers la guerre généralisée.

Ceci confirme une thèse fondamentale du Marxisme à propos du capitalisme du 20e siècle selon laquelle la guerre est devenue son mode d’existence dans sa période de déclin. Cela ne veut pas dire que la guerre est une solution à la crise du capitalisme - tout au contraire. Ce que cela veut dire c’est que la marche vers la guerre mondiale - et donc en fin de compte la destruction de l’humanité - est devenu le moyen à travers lequel l’ordre impérialiste est maintenu. C’est le mouvement vers la guerre globale qui oblige les Etats impérialistes à se regrouper et à accepter la discipline des leaders de blocs. C’est le même facteur qui permet à l’Etat-nation de maintenir un minimum d’unité au sein de la bourgeoisie elle-même ; ce qui a permis jusqu'à présent au système de limiter l’atomisation totale de la société bourgeoise agonisante en lui imposant la discipline de caserne ; ce même facteur a contrecarré le vide idéologique d’une société sans avenir en créant une communauté du champ de bataille.

Sans la perspective d’une guerre mondiale, la voie est libre pour le plus complet développement de la décomposition capitaliste : un développement, qui même sans guerre mondiale, a le potentiel de détruire l’humanité.

La perspective aujourd’hui est à une multiplication et à une omniprésence de guerres locales et d’interventions des grandes puissances, que les Etats bourgeois sont en mesure de développer jusqu'à un certain point sans l’adhésion du prolétariat.

6) Rien ne nous permet d’exclure la possibilité de formation de nouveaux blocs dans l’avenir. L’organisation bi-polaire de la compétition impérialiste qui est une tendance “ naturelle ” du capitalisme en déclin, est déjà apparue en germe, au tout début de la nouvelle phase de la décadence capitaliste, en 1989-90, avec l’unification de l’Allemagne et continue à s’affirmer via la montée en puissance de ce pays.

Bien que restant un facteur important de la situation internationale, la tendance à la formation de blocs ne peut cependant être réalisée dans un futur prévisible : les contre-tendances travaillant contre elle sont plus fortes que jamais auparavant de par l’instabilité croissante à la fois des alliances et de la situation interne de la plupart des puissances capitalistes. Pour le moment, la tendance aux blocs a principalement pour effet de renforcer elle-même le “ chacun-pour-soi ” dominant.

En fait, le processus de formation de nouveaux blocs n’est pas fortuit mais suit un certain scénario et requiert certaines conditions de développement, comme les blocs des deux guerres mondiales et de la guerre froide l’ont clairement montré. Dans chacun de ces cas, les blocs impérialistes ont regroupé d’une part un nombre de pays “ démunis ” contestant la division existante du monde et ainsi assumant le rôle “ offensif ” de “ fauteurs de troubles ” et, d’autre part, un bloc de puissances “ nanties ” en tant que bénéficiaires principaux du statu-quo, et partant, principaux défenseurs de celui-ci. Pour parvenir à se constituer, le bloc challenger des insatisfaits a besoin d'un leader qui soit assez fort militairement pour défier les principales puissances du statu-quo, un leader derrière lequel les autres nations “ démunies ” peuvent se rallier.

Actuellement, il n’existe aucune puissance capable, même un tant soit peu, de défier militairement les Etats-Unis. L’Allemagne et le Japon, les rivaux les plus solides de Washington, ne disposent toujours pas de l'arme atomique, un attribut essentiel d’une grande puissance moderne. Quant à l’Allemagne, le leader “ désigné ” d’un éventuel futur bloc contre les Etats-Unis à cause de sa position centrale en Europe, elle ne fait pas partie à l'heure actuelle des Etats “ démunis ”. En 1933, l’Allemagne était quasiment une caricature d’un tel Etat : elle était coupée de ses zones d’influence stratégiques proches en Europe centrale et du sud-est suite au Traité de Versailles, financièrement en banqueroute et déconnectée du marché mondial par la grande dépression et l’autarcie économique des empires coloniaux de ses rivaux. Aujourd’hui, au contraire, la montée en puissance de l’influence allemande dans ses zones d’influence d’antan se révèle irrésistible ; c’est le cœur économique et financier de l’économie européenne. C’est pourquoi l’Allemagne, à l’opposé de son attitude avant les deux guerres, appartient aujourd’hui aux puissances les plus “ patientes ”, capable de développer sa puissance d’une manière déterminée et agressive, mais aussi méthodiquement et, jusqu’ici, souvent discrètement.

En réalité, la façon dont l’ordre mondial de Yalta a disparu - une implosion sous la pression de la crise économique et de la décomposition, et non à travers une redivision du monde via la guerre - a donné naissance à une situation dans laquelle il n’y a plus de zones d’influence des différentes puissances clairement définies et reconnues. Même les zones qui, il y a dix ans, apparaissaient comme l’arrière-cour de certaines puissances (l'Amérique Latine ou le Moyen-Orient pour les Etats-Unis, la zone francophone d’Afrique pour la France) sont englouties dans le “ chacun-pour-soi ” ambiant. Dans une telle situation, il est encore très difficile de voir quelles puissances appartiendront finalement au groupe des pays “ nantis ” et lesquelles finiront les mains vides.

7) En réalité, ce n’est pas tant l’Allemagne ou n’importe quel autre challenger de la seule superpuissance mondiale restante mais les Etats-Unis eux-mêmes qui, dans les années 1990, ont assumé le rôle de la puissance “ agressive ” militairement à l’offensive. En retour, cela est la plus claire expression d’une nouvelle étape dans le développement de l’irrationalité de la guerre dans le capitalisme décadent, directement liée à la phase de décomposition

L’irrationalité de la guerre est le résultat du fait que les conflits militaires modernes - contrairement à ceux de l’ascendance capitaliste (guerres de libération nationale ou de conquête coloniale qui aidaient à l’expansion géographique et économique du capitalisme) - visent uniquement au repartage des positions économiques et stratégiques déjà existantes. Dans ces circonstances, les guerres de la décadence, via les dévastations qu’elles causent et leur coût gigantesque, ne représentent pas un stimulant mais un poids mort pour le mode de production capitaliste. A travers leur caractère permanent, totalitaire et destructif, elles menacent l’existence même des Etats modernes. En conséquence, bien que la cause des guerres capitalistes reste la même - la rivalité entre les Etats-nations - leur but change. Plutôt que des guerres à la poursuite de profits économiques certains, elles deviennent de façon croissante des guerres à la poursuite d’avantage stratégiques destinés à assurer la survie de la nation en cas de conflagration globale. Tandis que dans l’ascendance capitaliste le militaire était au service des intérêts de l’économie, dans la décadence, c’est de plus en plus l’économie qui est au service des besoins du militaire. L’économie capitaliste devient l’économie de guerre. Comme les autres expressions majeures de la décomposition, l’irrationalité de la guerre est de ce fait une tendance générale qui se déploie tout au long du capitalisme décadent. Déjà en 1915, la brochure de Junius de Rosa Luxembourg reconnaissait la primauté des considérations stratégiques globales sur les intérêts économiques immédiats pour les principaux protagonistes de la Première Guerre mondiale. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Gauche Communiste de France pouvait déjà formuler la thèse de l’irrationalité de la guerre.

Mais durant ces guerres et la Guerre froide qui a suivi, un reste de rationalité économique s’exprimait dans le fait que le rôle offensif était principalement assumé, non par les puissances du statu-quo tirant des avantages économiques de la division existante du monde, mais par celles largement exclues de ces avantages.

Aujourd’hui, même la guerre dans l’ex Yougoslavie, dont aucun des pays belligérants ne peut attendre le moindre avantage économique, confirme ce qui s’était déjà manifesté avec éclat lors de la guerre du Golfe en 1991 : l’absolue irrationalité de la guerre d’un point de vue économique.

8) Le fait que, aujourd’hui, la guerre ait perdu toute rationlité économique, qu’elle soit uniquement synonyme de chaos, ne signifie en aucune façon que la bourgeoisie affronte cette situation de façon désordonnée ou empirique. Au contraire : cette situation contraint la classe dominante à une prise en charge particulièrement systématique et à long terme des préparatifs guerriers. Cela s’est exprimé au cours de la dernière période notamment par :

- le développement de systèmes d’armements toujours plus sophistiqués et coûteux en Amérique, en Europe et au Japon en particulier - armements qui sont avant tout requis par les grandes puissances pour des conflits futurs éventuels les unes contre les autres ;

- l’augmentation des budgets de “ défense ”, Etats-Unis en tête (100 milliards de dollars supplémentaires alloués pour la modernisation des forces armées dans les 6 années à venir) - inversant une certaine tendance vers la baisse des budgets militaires à la fin de la Guerre Froide (les prétendus “ dividendes de la paix ”) .

Au niveau politique et idéologique, des signes de préparation sérieuse à la guerre sont perceptibles par :

- le développement de toute une idéologie pour justifier les interventions militaires : celle de “ l’humanitaire ” et de la défense des “ droits de l’homme ” ;

- la venue au gouvernement dans la plupart des grands pays industrialisés des partis de gauche, les plus à même de représenter cette propagande belliciste humanitaire (d’une importance particulière en Allemagne, où la coalition SPD-Verts a le mandat de surmonter les obstacles politiques à l'intervention militaire de ce pays à l’extérieur de ses frontières) ;

- l’orchestration d’attaques politiques systématiques contre les traditions internationalistes du prolétariat contre la guerre impérialiste (dénigrement de Lénine comme agent de l’impérialisme allemand durant la Première Guerre mondiale, de Bordiga comme collabo du bloc fasciste durant la Seconde Guerre mondiale, de Rosa Luxembourg - comme récemment en Allemagne - en tant que précurseur du Stalinisme etc.). Plus le capitalisme se dirige vers la guerre, plus l’héritage et les organisations actuelles de la Gauche Communiste vont être la cible privilégiée de la bourgeoisie.

En fait, ces campagnes idéologiques de la bourgeoisie ne visent pas seulement à préparer le terrain politique pour la guerre. L'objectif fondamental qui est visé par la classe dominante est de détourner le prolétariat de sa propre perspective révolutionnaire, une perspective que l'aggravation incessante de la crise capitaliste mettra nécessairement de plus en plus à l'ordre du jour.

La crise économique

8) Si, à l’époque du déclin capitaliste, la crise économique prend un caractère permanent et chronique, c’est principalement à la fin des périodes de reconstruction après les guerres mondiales que cette crise a revêtu un caractère ouvertement catastrophique avec des chutes brutales de la production, des profits et des conditions de vie des ouvriers, une augmentation dramatique du chômage de masse. Cela a été le cas de 1929 à la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas aujourd’hui.

Bien que depuis la fin des années 1960, la crise se soit déployée d’une façon plus lente et moins spectaculaire qu’après 1929, la manière avec laquelle les contradictions économiques d’un mode de production en déclin se sont accumulées sur trois décennies, devient aujourd’hui de plus en plus difficile à cacher. Les années 1990 en particulier - malgré toute la propagande sur la “ bonne santé économique ” et les “ profits fantastiques ” du capitalisme - ont été des années d’une accélération énorme de la crise économique, dominées par des marchés chancelants, des entreprises en banqueroute et un développement sans précédent du chômage et de la paupérisation.

Au début de la décennie, la bourgeoisie a caché ce fait en présentant l’effondrement du bloc de l’Est comme la victoire finale du capitalisme sur le communisme. En réalité la faillite de l’Est a été un moment-clé dans l’approfondissement de la crise capitaliste mondiale. Elle a révélé la banqueroute d’un modèle bourgeois de gestion de la crise : le Stalinisme. Depuis lors, l'un après l’autre, les “ modèles économiques ” ont mordu la poussière, en commençant par la deuxième et la troisième puissances industrielles du monde, le Japon et l’Allemagne. Elles devaient être suivies par l’échec des Tigres et des Dragons d’Asie et des économies “ émergentes ” d’Amérique Latine. La banqueroute ouverte de la Russie a confirmé l’incapacité du “ libéralisme occidental ” à régénérer les pays d’Europe de l’Est.

Jusqu'à présent, la bourgeoisie, en dépit de décennies de crise chronique, a toujours été convaincue qu’il ne peut plus y avoir de convulsions économiques aussi profondes que celles de la “ Grande Dépression ” qui, après 1929, ont ébranlé les fondations mêmes du capitalisme. Bien que la propagande bourgeoise essaie encore de présenter la catastrophe économique qui a englouti l’Asie de l’Est et du Sud-Est en 1997, la Russie en 1998 et le Brésil au début de 1999, comme particulièrement sévère mais comme une récession conjoncturelle et temporaire, ce que ces pays ont subi en vérité est une dépression en tous points aussi brutale et dévastatrice que celle des années 1930. Le chômage qui a triplé, les chutes de 10% ou plus de la production en une année parlent d’eux-mêmes. De plus, des régions comme l’ancienne URSS ou l’Amérique Latine sont toutes deux incomparablement plus touchées par la crise que pendant les années 1930.

Il est vrai que les ravages à cette échelle sont encore principalement restreints à la périphérie du capitalisme. Mais cette “ périphérie ” inclut non seulement des producteurs agricoles et de matières premières mais aussi des pays industriels comprenant des dizaines de millions de prolétaires. Elle inclut la huitième et la dixième économie du monde : le Brésil et la Corée du Sud. Elle inclut le plus grand pays sur terre, la Russie. Elle va bientôt inclure le pays le plus peuplé, la Chine, où, après l’insolvabilité de la plus grande compagnie d’investissement, la Gitic, la confiance des investisseurs internationaux a commencé à s’effriter.

Ce que toutes ces banqueroutes démontrent c’est que l’état de santé de l’économie mondiale est bien pire que dans les années 1930. Contrairement à 1929, la bourgeoisie dans les trente dernières années n’a pas été surprise ou inactive face à la crise mais a réagi en permanence afin de contrôler son cours. C’est ce qui donne au déploiement de la crise sa nature très prolongée et impitoyablement profonde. La crise s’approfondit malgré tous les efforts de la classe dominante. La caractère soudain, brutal et incontrôlé de la crise de 1929, d’autre part, s’explique par le fait que la bourgeoisie avait démantelé le contrôle capitaliste d’Etat de l’économie (qu’elle avait été contrainte d’introduire pendant la Première Guerre mondiale), et elle n'a réintroduit et imposé ce régime qu’à partir du début des années 1930. En d’autres termes : la crise a frappé aussi brutalement parce que les instruments de l’économie de guerre des années 1930 et la coordination internationale des économies occidentales après 1945 n’avaient pas encore été développés. En 1929, il n’existait pas encore un état permanent de surveillance de l’économie, des marchés financiers et des accords commerciaux internationaux, pas de prêteur de dernier recours, pas de brigade internationale de pompiers pour renflouer les pays en difficulté. Entre 1997-99 au contraire, toutes ces économies d’une importance économique et politique considérable pour le monde capitaliste ont été anéanties malgré l’existence de tous ces instruments capitalistes d’Etat. Le Fonds Monétaire International, par exemple, avait soutenu le Brésil en injectant des fonds considérables déjà avant la crise récente, dans la continuité de sa nouvelle stratégie de prévention des crises. Il avait promis de défendre la monnaie brésilienne “ à tous prix ” - et il a échoué.

9) Bien que les pays centraux du capitalisme aient échappé à ce sort jusqu'à présent, ils sont en train de faire face à leur pire récession depuis la guerre - au Japon c’est déjà commencé.

Aujourd`hui la bourgeoisie veut rejeter la résponsabilité des difficultés accrues des économies des pays centraux sur les crises “ asiatiatique ”, “ russe ”, “ brésilienne ”, etc. mais c’est le contraire qui constitue la réalité : c'est l'impasse croissante des économies centrales, due à l'épuissement des marchés solvables, qui a provoqué l'effondrement successif des “ tigres ” et des “ dragons ”, de la Russie, du Brésil, etc. La récession au Japon révèle la réduction considérable de la marge de manoeuvre des pays centraux - une série de programmes conjoncturels “ Keynésiens ” massifs du gouvernement (la recette “ découverte ” par la bourgeoisie dans les années 1930) a échoué à remettre à flot l’économie et empêcher la récession :

- la dernière opération de sauvetage - 520 milliards de dollars pour renflouer des banques insolvables - n’a pas réussi à restaurer la confiance dans le système financier ;

- la politique traditionnelle agressive de maintien de l’emploi dans le pays, via des offensives d’exportation sur le marché mondial, a atteint ses limites : le chômage augmente rapidement, la politique des taux d’intérêts négatifs pour fournir des liquidités suffisantes et maintenir un Yen faible favorable aux exportations est à bout de souffle. Il est dorénavant clair que ces buts, de même qu’une réduction de la dette publique, ne peuvent être atteints que par un retour à une politique inflationniste à la manière des années 1970. Cette tendance, que d’autres pays industrialisés vont suivre, signifie le début de la fin de la fameuse “ victoire sur l’inflation ” et de nouveaux dangers pour le commerce mondial.

En Amérique, le prétendu “ boom ” de ces dernières années a été accompli aux dépens du reste du monde à travers une véritable explosion de sa balance commerciale, de ses déficits des paiements, et à travers un endettement faramineux des ménages (l’épargne aux Etats-Unis est maintenant virtuellement inexistante). Les limites d’une telle politique sont dorénavant en voie d’être atteintes, avec ou sans la “ grippe asiatique ”.

Quant à “ l’Euroland ”, le seul “ modèle ” capitaliste restant aux côtés de l’Amérique, la situation n'y est pas plus brillante : dans les principaux pays d'Europe occidentale  la plus courte et faible reprise d’après guerre arrive à sa fin avec la chute des taux de croissance et l’augmentation du chômage, en particulier en Allemagne.

C’est la récession dans les pays centraux qui, au début du nouveau siècle, va révéler l’étendue complète de l’agonie du mode de production capitaliste.

10) Mais si historiquement l’impasse du capitalisme est beaucoup plus flagrante que dans les années 1930 et si la phase actuelle représente l'accélération la plus importante de la crise des trois décennies écoulées, cela ne signifie pas que l’on doit s’attendre à un effondrement abrupt et catastrophique dans les pays du cœur du capitalisme comme dans les années 1930. C’est ce qui s’est passé en Allemagne entre 1929-1932 quand (selon les statistiques de l’époque) la production industrielle avait chuté de 50%, les prix de 30%, les salaires de 60% et le chômage avait augmenté de 2 à 8 millions en l’espace de 3 ans.

Aujourd’hui, au contraire, bien que considérablement profonde et s’accélérant, la crise garde son caractère plus ou moins contrôlé et étalé dans le temps. La bourgeoisie démontre sa capacité à éviter une répétition du krach de 1929. Elle a réussit cela non seulement au moyen de la mise en place d’un régime capitaliste d’Etat permanent depuis les années 1930, mais surtout à travers une gestion de la crise coordonnée internationalement en faveur des puissances les plus fortes. Elle a appris à faire cela après 1945 dans le cadre du bloc de l’Ouest qui rassemblait l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Asie orientale sous le leadership américain. Après 1989, elle a montré sa capacité à maintenir cette gestion de la crise, même en l’absence de blocs impérialistes. Ainsi, tandis qu’au niveau impérialiste, 1989 a marqué le début de la loi du chaos et du “ chacun-pour-soi ”, au niveau économique cela n’est pas encore le cas.

Les deux conséquences les plus dramatiques de la crise de 1929 furent :

- l’effondrement du commerce mondial sous une avalanche de dévaluations compétitives et de mesures protectionnistes menant à l’autarcie des années d’avant-guerre ;

- le fait que les deux nations capitalistes les plus solides, les Etats-Unis et l’Allemagne, furent les premières et les plus touchées par la dépression industrielle et le chômage de masse.

Les programmes nationaux capitalistes d’Etat qui furent alors adoptés par les différents pays - les Plans quinquennaux en URSS, les Plans de quatre ans en Allemagne, le New Deal aux Etats-Unis etc. - ne changèrent en aucune façon la fragmentation du marché mondial : ils se conformèrent à ce cadre comme leur point de départ. A l’opposé de cela, face à la crise des années 1970 et 80, la bourgeoisie occidentale a agi rigoureusement pour empêcher un retour de ce protectionnisme extrême des années 1930, puisque cela était la précondition pour s’assurer que les pays centraux ne seraient pas les premières victimes comme en 1929, mais les derniers à souffrir des conséquences les plus brutales de la crise. Le résultat de ce système a été que toute une série de secteurs de l’économie mondiale tels que l’Afrique, la plus grande partie de l’Europe de l’Est, la plus grande partie de l’Asie et de l’Amérique Latine ont été, ou vont être, pratiquement éliminés en tant qu’acteurs sur la scène mondiale et plongés dans la barbarie la plus innommable.

Dans son combat contre Staline au milieu des années 1920, Trotsky a démontré que non seulement le socialisme mais même un capitalisme hautement développé est “ impossible ” dans “ un seul pays ”. En ce sens, l’autarcie des années 1930 fut un immense retour en arrière pour le système capitaliste. En fait, cela était possible uniquement parce que la voie vers la guerre mondiale était ouverte - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

11) La gestion capitaliste d’Etat de la crise internationale actuelle impose certaines règles pour la guerre commerciale entre les capitaux nationaux - aux plans commercial, financir, monétaire ou des accords d’investissement et des traités - règles sans lesquelles le commerce mondial dans les conditions présentes serait impossible.

Que cette capacité des principales puissances (sous-estimée par le CCI au début des années 1990) n’ait pas encore atteint sa limite est attestée par le projet d’une monnaie européenne unique, montrant comment la bourgeoisie est contrainte, à cause de l’avancée de la crise, à prendre des mesures de plus en plus compliquée et audacieuses pour se protéger. L’Euro est d’abord et avant tout une gigantesque mesure capitaliste d’Etat pour contrecarrer un des points faibles du système les plus dangereux dans ses lignes de défense : le fait que parmi les deux centres du capitalisme mondial, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale, cette dernière est divisée en une série de capitaux nationaux, chacun avec leur propre monnaie. Des fluctuations monétaires dramatiques entre ces monnaies, telles que celles qui ont frappé le Système Monétaire Européen au début des années 1990, ou les dévaluations compétitives comme dans les années 1930, menacent de paralyser le commerce au sein de l’Europe. Ainsi, loin de représenter un pas vers un bloc impérialiste européen, le projet de l’Euro est soutenu par les Etats-Unis qui seraient une des principales victimes d’un effondrement du marché européen.

L’Euro, comme l’Union Européenne elle-même, illustre aussi comment cette coordination entre Etats, loin d’abolir la guerre commerciale entre eux, est une méthode en vue de l’organiser en faveur du plus fort. Si la monnaie unique est un point d’ancrage de stabilité pour l’économie européenne, elle est en même temps un système destiné à assurer la survie des puissances les plus fortes (surtout le pays qui dicte les conditions de sa mise en place, l’Allemagne) aux dépens des participants les plus faibles (qui est la raison pour laquelle la Grande-Bretagne, à cause de sa force traditionnelle comme puissance financière mondiale, peut encore se permettre le luxe de rester en dehors de la zone Euro).

Nous sommes face à un système capitaliste d’Etat infiniment plus développé que celui de Staline, Hitler ou Roosevelt dans les années 1930, au sein duquel non seulement la concurrence au sein de chaque Etat-nation mais jusqu'à un certain point celle des capitaux nationaux sur le marché mondial prend un caractère moins spontané, plus régulé - en fait plus politique. Ainsi, après la débâcle de la “ crise asiatique ”, les leaders des principaux pays industriels ont insisté pour qu’à l’avenir le FMI adopte des critères plus politiques en décidant quels pays devront être maintenus “ la tête hors de l’eau ” et à quel prix (et à l’inverse, ceux qui pourront être éliminés du marché mondial).

12) Avec l’accélération de la crise, la bourgeoisie se trouve contrainte aujourd’hui de revoir sa politique économique : c’est l’une des raisons de la mise en place de gouvernements de gauche en Europe et au Etats-Unis. En Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne, les nouveaux gouvernements de gauche ont développé une critique de la politique antérieure de la “ globalisation ” et de la “ libéralisation ” lancée dans les années1980 sous Reagan et Thatcher, appelant à plus d’intervention étatique dans l’économie et pour une régulation des flux internationaux des capitaux. La bourgeoisie se rend compte aujourd’hui que cette politique a atteint ses limites.

La “ mondialisation ”, en baissant les barrières commerciales et pour les investissements en faveur de la circulation du capital, a été la réponse des puissances dominantes au danger du retour du protectionnisme et de l’autarcie des années 1930 : une mesure capitaliste d’Etat protégeant les concurrents les plus forts au dépens des plus faibles. Mais aujourd’hui, cette mesure a besoin à son tour d’une régulation d’Etat plus forte, visant non pas à congédier mais à contrôler le mouvement “ global ” du capital.

La “ mondialisation ” n’est pas la cause de la folle spéculation internationale de ces dernières années, mais elle a ouvert tout grand les portes à son développement. En conséquence, en étant un refuge du capital menacé par l’absence d’investissements profitables réels, la spéculation est devenue un énorme danger pour le capital. Si la bourgeoisie réagit à ce danger aujourd’hui, c'est non seulement parce que ce développement est en mesure de mettre sur les genoux des économies nationales entières plus périphériques du jour au lendemain (Thaïlande, Indonésie, Brésil etc.) mais surtout parce que les principaux groupes capitalistes leaders dans les grands pays risqueraient la banqueroute dans l’affaire. En fait, le but principal des programmes du FMI pour ces différents pays, ces deux dernières années, fut de sauver non pas les pays directement touchés, mais les investissements spéculatifs des capitalistes occidentaux dont la banqueroute auraient déstabilisé les structures financières internationales elles-mêmes.

De la même façon que la “ mondialisation ” n’a jamais remplacé la concurrence de l’Etat-nation par celle des multinationales, comme l’idéologie bourgeoise le prétendait, mais était une politique de certains capitaux nationaux, de même la politique de “ libéralisation ” n’a jamais constituée un affaiblissement du capitalisme d’Etat mais un moyen de le rendre plus efficace et, en particulier, de justifier les énormes coupes sombres dans les budgets sociaux. Cependant, la situation présente de crise aigüe demande une intervention étatique beaucoup plus directe et manifeste (comme la récente nationalisation des banques japonaises en faillite, une mesure qui a été demandée publiquement par les Etats du G7). De telles circonstances ne sont plus désormais compatibles avec une idéologie “ libérale ”.

A ce niveau également, la gauche du capital est mieux à même de mettre en œuvre les nouvelles “ mesures correctives ” (quelque chose que la résolution du 10e Congrès du CCI en 1993 avait déjà pointé avec le remplacement de Bush par Clinton aux Etats-Unis) :

- politiquement, parce que la gauche est historiquement moins liée à la clientèle des intérêts capitalistes privés que la droite et ainsi mieux à même d’adopter des mesures contre la volonté de groupes particuliers mais tout en défendant le capital national comme un tout ;

- idéologiquement, parce que la droite avait inventé et principalement mis en œuvre la politique précédente qui est dorénavant modifiée.

Cette modification ne signifie pas que la politique économique dite “ néo-libérale ” va être abandonnée. En fait, et comme expression de la gravité de la situation, la bourgeoisie est obligée de combiner les deux politiques, lesquelles ont des effets de plus en plus graves sur l'évolution de l'économie mondiale. Une telle combinaison, en fait un équilibre sur la corde raide entre les deux, malgré ses effets positifs dans l'immédiat mais de plus en plus faibles, ne peut qu'aggraver à terme la situation.

Ceci ne signifie cependant pas qu’il y a “ un point de non retour ” économique au-delà duquel le système serait voué à disparaître irrévocablement, ni qu’il y aurait une limite théorique définie au montant des dettes (la principale drogue du capitalisme à l’agonie) que le système peut s’administrer sans rendre sa propre existence impossible. En fait, le capitalisme a déjà dépassé ses limites économiques avec l’entrée dans sa phase de décadence. Depuis lors, le capitalisme a seulement réussi à survivre par une manipulation croissante des lois du capitalisme : une tâche que seul l’Etat peut effectuer.

En réalité, les limites de l'existence du capitalisme ne sont pas économiques mais fondamentalement politiques. Le dénouement de la crise historique du capitalisme dépend de l'évolution du rapport de forces entre les classes :

- soit le prolétariat dévéloppe sa lutte jusqu'à la mise en place de sa dictature révolutionnaire mondiale ;

- soit le capitalisme, à travers sa tendance organique vers la guerre, plonge l'humanité dans la barbarie et la destruction définitive.

La lutte de classe

13) En réponse aux premières manifestations de la nouvelle crise ouverte à la fin des années 1960, le retour de la lutte de classe en 1968, mettant un terme à quatre décennies de contre-révolution, a barré la route à la guerre mondiale et a ouvert à nouveau une perspective à l’humanité. Pendant les premières grandes luttes de la fin des années 1960 et du début des années 1970, une nouvelle génération de révolutionnaires commença à être sécrétée par la classe et la nécessité de la révolution prolétarienne fut débattue dans les assemblées générales de la classe. Pendant les différentes vagues de luttes ouvrières entre 1968 et 1989, une expérience de lutte difficile mais importante fut acquise et la conscience dans la classe se développa en confrontation avec la gauche du capital, particulièrement les syndicats, en dépit d’une série d’obstacles placés sur le chemin du prolétariat. Le plus haut point de toute cette période fut la grève de masse de 1980 en Pologne, démontrant que dans le bloc russe aussi - historiquement condamné par sa position de faiblesse à être “ l’agresseur ” dans toute guerre - le prolétariat n’était pas prêt à mourir pour l’Etat bourgeois.

Cependant, si le prolétariat a barré la route vers la guerre, il n’a pas été capable d’effectuer des pas significatifs vers une réponse à la crise du capitalisme : la révolution prolétarienne. C’est ce blocage dans le rapport de force entre les classes, où aucune des deux principales classes de la société moderne n'est en mesure d’imposer sa propre solution, qui a ouvert la période de décomposition du capitalisme.

En revanche, ce fut le premier véritable événement historique mondial de cette période de décomposition - l’effondrement des régimes staliniens (soi-disant communistes) en 1989 - qui mit un terme à toute une période de développement des luttes et de la conscience depuis 1968. Le résultat de ce tremblement de terre historique a été le plus profond recul dans la combativité et surtout dans la conscience du prolétariat depuis la fin de la contre-révolution.

Ce revers n’a pas représenté une défaite historique de la classe, comme le CCI l’a pointé à l’époque. Dès 1992, avec les importantes luttes en Italie, la classe ouvrière avait déjà repris le chemin de la lutte. Mais au cours des années 1990, ce chemin s’est révélé plus ardu à parcourir que dans les deux décennies précédentes. Malgré ces luttes, la bourgeoisie en France en 1995, et peu après en Belgique, en Allemagne et aux Etats-Unis, fut en mesure de tirer profit de la combativité hésitante et de la désorientation politique de la classe et organisa des mouvements spectaculaires visant spécifiquement à restaurer la crédibilité des syndicats, ce qui affaiblit encore plus la conscience de classe des ouvriers. A travers de telles actions, les syndicats atteignirent leur plus haut niveau de popularité depuis plus d’une décennie. Après les manoeuvres syndicales massives en novembre et décembre 1995 en France, la résolution sur la situation internationale du 12e congrès de la section du CCI en France de 1996 notait : “ ... dans les principaux pays du capitalisme, la classe ouvrière se retrouve ramenée à une situation comparable à celle des années 1970 en ce qui concerne ses rapports aux syndicats et au syndicalisme ” (...) “ ... la bourgeoisie a momentanément réussi à effacer des consciences ouvrières les leçons acquises au cours des années 1980, suite aux expériences répétées de confrontation aux syndicats. ”

Tout ce développement confirme qu’après 1989, le chemin vers des affrontements de classe décisifs est devenu plus long et plus difficile.

14) Malgré ces énormes difficultés, les années 1990 ont été une décennie de redéveloppement des luttes de classe. Cela était déjà visible au milieu des années 1990 à travers la stratégie de la bourgeoisie elle-même :

- les manoeuvres syndicales annoncées à grand renfort de publicité visaient à renforcer les syndicats avant qu’une accumulation importante de la combativité ouvrière ne rende ces mobilisations à grande échelle trop dangereuses ;

- les “ mouvements de chômeurs ” qui ont suivi, tout aussi artificiellement orchestrés en France, Allemagne et dans d’autres pays en 1997-98, destinés à créer une division entre actifs et chômeurs – cherchant à culpabiliser les premiers, créant des structures syndicales en vue de l’encadrement futur des derniers – a révélé l’inquiétude de la classe dominante face au potentiel radical du chômage et des chômeurs ;

- les campagnes idéologiques énormes et incessantes (partant souvent de thèmes liés à la décomposition comme celle à propos de l’affaire Dutroux en Belgique, du terrorisme de l’ETA en Espagne, de l’extrème droite en France, en Autriche ou en Allemagne) appelant à la défense de la démocratie, se sont multipliées pour saboter la réflexion des ouvriers, prouvant que la classe dominante elle-même était convaincue de l’inévitabilité de l'accroissement de la combativité ouvrière avec l’aggravation de la crise et des attaques. Et il faut noter que toutes les actions préventives furent coordonnées et montées en épingle à un niveau international.

La justesse de l’instinct de classe de la bourgeoisie a été rendue évidente par une augmentation des luttes ouvrières vers la fin de la décennie.

A nouveau, la manifestation la plus importante d’un sérieux développement de la combativité est venu des pays du “ Bénélux ”, avec des grèves dans différents secteurs en 1997 aux Pays Bas, notamment dans le plus grand port du monde, Rotterdam. Ce signal important allait bientôt être confirmé dans un autre petit pays d’Europe occidentale mais hautement développé, le Dannemark, quand presqu’un million de travailleurs du secteur privé (un quart des salariés de ce pays) partirent en grève pendant presque deux semaines en mai 1998. Ce mouvement révéla :

- une tendance à la massivité des luttes ;

- l’obligation pour les syndicats de reprendre leurs habitudes de contrôler, isoler et saboter les mouvements de luttes de sorte que les ouvriers à la fin de ces mouvements n’apparurent pas euphoriques (comme en France en 1995) mais avaient perdus leurs illusions ;

- la nécessité pour la bourgeoisie de reprendre internationalement sa politique de minimisation de luttes ou, chaque fois que possible, de faire le black out sur elles afin de ne pas étaler le “ mauvais exemple ” de la résistance ouvrière.

Depuis lors, cette vague de luttes s’est poursuivie dans deux directions :

- des actions à grande échelle organisées par les syndicats (Norvège, Grèce, Etats-Unis, Corée du Sud) sous la pression d’un mécontentement ouvrier grandissant ;

- une multiplication de petites luttes non-officielles, quelques fois même spontanées, dans les nations capitalistes centrales d’Europe (France, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne) que les syndicats prennent en charge pour les encadrer et les isoler.

Significatifs sont les faits suivants :

- la simultanéité grandissantedes luttes à l'échelle nationale et internationale, notamment en Europe occidentale ;

- l’irruption du combat en réponse aux différents aspects des attaques capitalistes : licenciements et chômage, baisse des salaires réels, coupes sombres dans le “ salaire social ”, conditions insupportables d’exploitation, réduction de congés etc. ;

- l’embryon d’une réflexion au sein de la classe sur les revendications et comment lutter et même sur l’état actuel de la société ;

- l’obligation pour la bourgeoisie – bien que les syndicats officiels ne soient pas encore sérieusement discrédités dans les récents mouvements – de développer à temps la carte du “ syndicalisme de combat ” ou “ de base ” avec l’implication forte du gauchisme.

15) Malgré ces pas en avant, l’évolution de la lutte de classe depuis 1989 est restée difficile non sans reculs, surtout à cause :

- du poids de la décomposition, un facteur de plus en plus prégnant contre le développement d’une solidarité collective et d’une réflexion théorique, historique et cohérente de la classe ;

- de la véritable dimension du recul qui a débuté en 1989, qui, au niveau de la conscience, va peser négativement et à long terme puisque c’est la perspective du communisme elle-même qui a été  attaquée.

Soulignant ce recul - qui a fait revenir la lutte prolétarienne à plus de dix ans en arrière –est le fait qu’à l’époque de la décomposition, le temps ne joue plus en faveur du prolétariat. Bien qu’une classe non-vaincue puisse empêcher la dérive vers la guerre mondiale, elle ne peut empêcher la prolifération de toutes les manifestations de pourrissement d’un ordre social en décomposition.

En fait, ce recul est lui-même l’expression d’un retard de la lutte prolétarienne, face à une accélération générale du déclin du capitalisme. En particulier, malgré toute la signification de la Pologne en 1980 pour la situation mondiale, neuf ans plus tard, ce n’est pas la lutte de classe internationale qui a fait tomber le Stalinisme en Europe de l’Est – la classe ouvrière étant complètement absente au moment de son effondrement.

Néanmoins, la faiblesse centrale du prolétariat entre 1968 et 1989 ne consistait pas en un retard général (à l’opposé du rapide développement de la situation révolutionnaire qui a surgi de la Première Guerre mondiale, la lente évolution depuis 1968 en réponse à la crise économiques a de nombreux avantages) mais avant tout d’une difficulté dans la politisation de son combat.

Cette difficulté est le résultat du fait que la génération qui, en 1968, a mis un terme à la plus longue contre-révolution de l’histoire a été coupée de l’expérience des générations passées de sa classe et a réagi aux traumatismes infligés par la Social-Démocratie et le Stalinisme avec une tendance à rejeter la “ politique ”.

Ainsi le développement d'une telle “ culture politique ” devient la question centrale des luttes à venir. Cette question, en fait, contient la réponse à une seconde question : comment compenser le terrain perdu au cours des années passées pour surmonter l’amnésie présente de la classe concernant les leçons de ses luttes avant 1989 ?

Il est clair que cela ne peut être fait en répétant les combats des deux décennies précédentes : l’histoire ne permet pas de telles répétitions, encore moins aujourd’hui quand le temps manque à l’humanité. Mais surtout, le prolétariat est une classe historique. Même si les leçons de 20 années sont absentes actuellement de sa conscience, en réalité le processus de “ politisation ” n’est rien d’autre que la redécouverte des leçons du passé dans la trajectoire de redéveloppement de la perspective de lutte.

16) Nous avons de bonnes raisons de penser que la période qui vient, sur le long terme, sera par beaucoup de côtés particulièrement favorable pour une telle politisation. Ces facteurs favorables incluent :

- l’état avancée de la crise elle-même, impulsant la réflexion prolétarienne sur le besoin de confronter et dépasser le système ;

- le caractère de plus en plus massif, simultané et généralisé des attaques, posant le besoin d’une réponse de classe généralisée. Cela comprend la question de plus en plus grave du chômage, la réflexion sur la faillite du capitalisme et aussi le problème de l'inflation, qui est moyen employé par le capitalisme pour piller la classe ouvrière et d’autres couches de la société.

Cela comprend aussi le problème de la répression de l'Etat, poussé de plus en plus à mettre hors la loi toute véritable expression de la lutte prolétarienne.

Cela comprend enfin l’omniprésence de la guerre, détruisant les illusions sur un possible capitalisme “ pacifique ”. La guerre actuelle dans les Balkans, une guerre au cœur du centre du capitalisme, va avoir un impact significatif sur la conscience des ouvriers, malgré les alibis humanitaires. Quelque soit l'impact qu'elle puisse avoir dans l'évolution des lutte immédiates, elle va exprimer de façon accrue la perspective catastrophique que le capitalisme offre à l'humanité. En plus, le glissement accéléré vers la guerre va démander l'augmentation des budgets de guerre et, par voie de conséquence, des sacrifices de plus en plus extrêmes pour le prolétariat ogligeant ce dernier à défendre ses intérêts contre ceux du capital national.

Parmi les autres facteurs favorables, il faut relever :

- le renforcement de la combativité d’une classe non-défaite. C’est seulement en engageant le combat que les ouvriers peuvent rentrer en possession de l’expérience d’être une partie d’une classe collective, retrouver leur confiance en eux qu'ils avaient perdue, commencer à poser les questions de classe sur un terrain de classe et une fois de plus croiser le fer avec le syndicalisme et le gauchisme ;

- l’entrée en lutte d’une seconde et nouvelle génération d’ouvriers. La combativité de cette génération est toujours pleinement intacte. Née dans un capitalisme en crise, elle est débarrassée de certaines des illusions de la génération d'après 1968. Surtout, contrairement aux ouvriers d’après 1968, les jeunes prolétaires d’aujourd’hui peuvent apprendre d’une génération avant eux qui a déjà une expérience considérable de lutte à transmettre. Ainsi, les leçons “ perdues ” du passé peuvent être retrouvées dans la lutte par la combinaison de deux générations de prolétaires : c'est le processus normal d’accumulation de l’expérience historique que la contre-révolution avait brutalement interrompue.

- cette expérience de réflexion commune sur le passé, face au besoin d’un combat généralisé contre un système agonisant va donner naissance à des cercles de discussion ou des noyaux d'ouvriers avancés qui vont essayer de se réappropier les leçons de l'histoire du mouvement ouvrier. Dans une telle perspective, la responsabilité de la Gauche Communiste sera beaucoup plus grande que dans les années 1930.

Ce potentiel n’est pas un vœu pieux. Il est déjà confirmé par la bourgeoisie qui est pleinement consciente de ce danger potentiel et qui réagit déjà de façon préventive par des dénigrements incessants contre le passé et le présent révolutionnaire de son ennemi de classe.

Surtout, au vu de la dégradation de la situation mondiale, la bourgeoisie craint que la classe ne découvre ces épisodes qui démontrent la puissance du prolétariat, qu’elle est la classe qui détient les clés du futur de l’humanité entre ses mains : la vague révolutionnaire de 1917-1923, le renversement de la bourgeoisie en Russie, la fin de la Première Guerre mondiale via le mouvement révolutionnaire en Allemagne.

17) Cette inquiétude de la classe dominante face au danger prolétarien n’est pas moins reflétée dans la venue au pouvoir de la gauche dans 13 des 15 pays de l’Union Européenne.

Le retour de la gauche au gouvernement dans tant de pays importants, en commençant par les Etats-Unis après la Guerre du Golfe, est rendu possible par le choc sur la conscience prolétarienne subi avec les événements de 1989, comme le CCI l’avait pointé en 1990 :

“ C’est pour cette raison, en particulier, qu'il convient aujourd'hui de mettre à jour l’analyse développée par le CCI sur la "gauche dans l’opposition". Cette carte était nécessaire à la bourgeoisie depuis la fin des années 1970 et tout au long des années 1980 du fait de la dynamique générale de la classe vers des combats de plus en plus déterminés et conscients, de son rejet croissant des mystifications démocratiques, électorales et syndicales. (…) En revanche, le recul actuel de la classe n'impose plus à la bourgeoisie, pour un certain temps, l'utilisation prioritaire de cette stratégie. Cela ne veut pas dire que dans ces derniers pays on verra nécessairement la gauche retourner au gouvernement : nous avons, à plusieurs reprises, mis en évidence qu'une telle formule n'est indispensable que dans les périodes révolutionnaires ou de guerre impérialiste. Par contre, il ne faudra pas être surpris s'il advient un tel évènement, ou bien considérer qu'il s'agit d'un ”accident” ou l'expression d'une “faiblesse particulière” de la bourgeoisie de ces pays. ” (Revue Internationale n°61)

La résolution du 12e Congrès du CCI au printemps 1997, après avoir correctement prédit la victoire des Travaillistes aux élections générales de mai 1997 en Grande-Bretagne, ajoutait :

“ …il est important de souligner le fait que la classe dominante ne va pas revenir aux thèmes des années 1970 quand l’"alternative de gauche" avec son programme de mesures "sociales", et même de nationalisations, était mis en avant afin de briser l’élan de la vague de luttes qui avait débutée en 1968, en dévoyant le mécontentement et la militance vers l’impasse des élections. ”

La victoire électorale de Schröder-Fischer sur Khol en Allemagne à l’automne 1998 a confirmé :

- que le retour de gouvernements de gauche n’est en aucune façon un retour aux années 1970 : le SPD n’est pas revenu au pouvoir à l’occasion de grandes luttes, comme cela avait été le cas sous Brandt. Il n’a fait aucune promesse électorale irréaliste avant et poursuit une politique très “ modérée ” et “ responsable ” au gouvernement ;

- que dans la présente phase de lutte de classe, ce n’est pas un problème pour la bourgeoisie de mettre la gauche, en particulier les Sociaux-démocrates, au gouvernement. En Allemagne, il aurait été plus facile que dans d’autres pays de laisser la droite au gouvernement. Contrairement à la plupart des autres puissances occidentales, où les partis de droite sont soit dans un état de confusion (France, Suède), soit divisés sur la politique étrangère (Italie, Grande-Bretagne) ou accablés par des tendances irresponsables arriérées (Etats-Unis), en Allemagne, la droite, bien que quelque peu usée par 16 années de gouvernement, est en ordre de marche et est tout à fait capable de s’occuper des affaires de l'état allemand.

Cependant, le fait que l’Allemagne, le pays ayant aujourd’hui l’appareil politique le plus réglé et cohérent (reflétant son statut de leader de bloc impérialiste potentiel) ait porté au pouvoir le SPD, révèle que la carte de la gauche au gouvernement n’est pas seulement possible aujourd’hui mais est devenue une relative nécessité (tout comme la gauche dans l'opposition dans les années 1980 en était relativement une) dans le sens que ce serait une erreur pour la bourgeoisie de ne pas jouer cette carte maintenant.

Nous avons déjà montré quelles nécessités au niveau de la politique impérialiste et de la gestion de la crise avaient ouvert la voie pour la gauche au gouvernement. Mais sur le front social également, il y a surtout deux raisons importantes pour de tels gouvernements aujourd’hui :

- après de longues années de gouvernement de droite dans des pays-clé comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la mise en place de la mystification électorale demande l’alternative démocratique maintenant – d’autant plus que dans l’avenir il deviendra beaucoup plus difficile d’avoir la gauche au gouvernement. Déjà, contre la vague révolutionnaire de 1917-1923 et plus encore depuis la chute du Stalinisme, la démocratie bourgeoise s'est confirmée comme la plus importante mystification anti-prolétarienne de la classe dominante, une mystification qui doit être de façon permanente alimentée.

- bien que la gauche ne soit pas nécessairement la plus adaptée pour porter des attaques à la classe ouvrière aujourd’hui, elle a l’avantage sur la droite d’attaquer d’une manière plus prudente et surtout moins provocante que la droite. C’est une qualité très importante à l’heure actuelle où il est vital pour la bourgeoisie d’éviter autant que possible des luttes importantes et massives de son ennemi mortel, puisque de telles luttes sont la première condition - et possèdent aujourd’hui un important potentiel - pour le développement de la confiance en soi et de la conscience politique du prolétariat comme un tout.

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [5]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [6]

Crise économique : trente ans de crise ouverte du capitalisme (II. les années 1980)

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II. LES ANNEES 1980

 

Dans le numéro précédent de la Revue internationale, nous avons vu que le capitalisme, confronté depuis 1967 à la réapparition de la forme ouverte de sa crise historique, a déployé les moyens d'intervention de l'Etat dans l'économie pour tenter de ralentir et de reporter ses effets les plus nocifs vers les pays plus périphériques, vers les secteurs les plus faibles du capital et, évidemment, sur l'ensemble de la classe ouvrière. Nous avons analysé l'évolution de la crise et la réponse du capitalisme pendant les années 1970. Nous allons voir maintenant cette évolution tout au long des années 1980. Cette analyse nous permet de comprendre pourquoi la politique menée par les Etats, c'est-à-dire « la politique d'accompagnement de la crise pour provoquer une chute lente et échelonnée », n'a apporté aucune solution sinon celle d'aggraver de plus en plus les contradictions de fond du capitalisme.

 

La crise de 1980-82

 

Au 2e congrès international du CCI en 1977 ([1] [7]), nous avons mis en relief que les politiques d'expansion que venait d'employer le capitalisme étaient chaque fois moins efficaces et menaient à une impasse. L'oscillation entre les « relances » qui provoquaient l'inflation et les politiques de freinage qui aboutissaient à des récessions conduisait à ce que les économistes bourgeois appelaient la « réflation » (à la fois récession et inflation), démontrant ainsi la gravité de la situation du capitalisme et le caractère insoluble de ses contradictions. Le mal incurable de la surproduction, à son tour, aggravait globalement les tensions impérialistes de telle manière que les dernières années de la décennie ont connu un aiguisement considérable des confrontations militaires et un accroissement de l'effort d'armement tant au niveau nucléaire qu'au niveau « conventionnel » ([2] [8]).

 

Les années 1980 commencent par une récession ouverte qui se prolonge jusqu'en 1982 et qui, sur toute une série d'aspects importants, est bien plus grave que la précédente, celle de 1974-75. Il y a un ralentissement de la production (la production industrielle de Grande-Bretagne tombe en 1982 au niveau de celle de 1967), une augmentation spectaculaire du chômage (en 1982, les Etats-Unis enregistrent en un mois un demi-million de chômeurs en plus) et, pour la première fois depuis 1945, le commerce mondial chute pendant deux années consécutives (3[3] [9]). Les fermetures d'entreprises et les licenciements massifs se produisent à un niveau jamais vu depuis la crise de 1929. Ce que l'on appelle la désertification industrielle et agricole commence à se développer et ne va pas cesser de s'accroître depuis. D'une part, des régions entières de vieille tradition industrielle voient la fermeture systématique des usines et des mines et le chômage monter en flèche jusqu'à des taux de 30 %. C'est ce qui se produit dans des régions comme celles de Manchester, Liverpool ou Newcastle en Grande-Bretagne, celle de Charleroi en Belgique, celle de Détroit aux Etats-Unis ou la Lorraine en France. D'autre part, la surproduction agricole est telle que, dans de nombreux pays, les gouvernements subventionnent l'abandon de vastes zones, suppriment brutalement les aides aux exploitations agricoles et de pèche, ce qui provoque des faillites en cascade chez les paysans petits et moyens et le chômage des travailleurs agricoles.

 

Cependant, à partir de 1983, se produit une reprise de l'économie qui, dans un premier temps, va rester limitée aux Etats-Unis et, à partir de 1984-85, va atteindre l'Europe et le Japon. Cette reprise est fondamentalement permise grâce à l'endettement colossal des Etats-Unis qui ont soutenu la production et servi de locomotive aux économies du Japon et de l'Europe occidentale.

 

Ce sont les fameuses « Reaganomics » qui, à l'époque, sont présentées comme la solution enfin trouvée à la crise du capitalisme. De surcroît, cette « solution » est présentée comme un retour à « l'essence du capitalisme ». Face aux « excès » de l'intervention de l'Etat qui avait caractérisé les politiques économiques des Etats pendant les années 1970 (c'est-à-dire le keynésianisme) et qui était qualifiée de « socialiste » ou de « tendance au socialisme », les nouveaux théoriciens de l'économie se présentent comme « néo-libéraux » et répandent aux quatre vents leurs recettes du « moins d'Etat » , du « marché libre », etc.

 

En réalité, les Reaganomics ne résolvent pas grand chose (à partir de 1985, comme nous le verrons plus loin, il faudra payer la facture de l'endettement des Etats-Unis), et ne sont pas l'occasion d'un véritable « retrait de l'Etat ». Ce que fait l'administration Reagan c'est de lancer un programme massif de réarmement (la dite « guerre des étoiles » qui va puissamment contribuer à mettre à genoux le bloc rival) au moyen du recours classique à l'endettement étatique. La fameuse locomotive ne s'alimente pas avec un bon combustible constitué par une expansion véritable du marché, mais avec celui frelaté de l'endettement généralisé.

 

La « nouvelle » politique d'endettement

 

La seule nouveauté de la politique de Reagan est la forme de réalisation de l'endettement. Pendant les années 1970, les Etats étaient les responsables directs de celui-ci par des déficits croissants de la dépense publique financés par l'augmentation de la masse monétaire. Ceci supposait que c'était l'Etat qui procurait l'argent aux banques pour que celles-ci prêtent aux entreprises, aux particuliers ou aux autres Etats. C'est ce qui provoquait la dépréciation continuelle de l'argent et l'explosion de l'inflation qui en résultait.

 

Nous avons déjà vu l'impasse croissante dans laquelle se trouvait l'économie mondiale et particulièrement l'économie des Etats-Unis à la fin des années 1970. Pour sortir de celle-ci, durant les deux dernières années de l'administration Carter, le responsable de la Réserve fédérale, Volker, changea radicalement la politique du crédit. Il ferma le robinet de l'émission monétaire, ce qui provoqua la récession de 1980-82, mais simultanément il ouvrit la voie au financement massif par l'émission de bons et obligations qui se renouvelaient constamment sur le marché des capitaux. Cette orientation sera reprise et généralisée par l'administration Reagan et, plus tard, s'étendra à tous les pays.

 

Le mécanisme d'« ingénierie financière » est le suivant. D'un côté, l'Etat émet des bons et des obligations pour financer ses déficits énormes et toujours croissants qui sont souscrits par les marchés financiers (banques, entreprises et particuliers). D'un autre côté, il pousse les banques à chercher sur le marché le financement de leurs prêts, recourant, à leur tour, à l'émission de bons et obligations et à des augmentations de capital (émission d'actions). Il s'agit d'un mécanisme hautement spéculatif qui consiste à essayer de tirer profit du développement d'une masse croissante de capital fictif (plus-value immobilisée incapable d'être investie dans un nouveau capital).

 

De cette manière, les fonds privés tendent à peser beaucoup plus que les fonds publics dans le financement de la dette (publique et privée).

 

Financement de la dette publique aux Etats-Unis (milliards de dollars)

 

Fonds 1980 1985 1990 1995 1997

 

Publics 24 45 70 47 40

 

Privés 46 38 49 175 260

 

Source : Global Developmement Finance

 

Ceci signifie moins une diminution du poids de l'Etat (comme le proclament les « libéraux ») qu'une réponse aux nécessités chaque fois plus écrasantes de financement (et particulièrement de liquidités immédiates) qui obligent à une mobilisation massive de tous les capitaux disponibles.

 

La mise en marche de cette politique prétendument « libérale » et « monétariste » signifie que la fameuse locomotive Etats-Unis est financée par le reste de l'économie mondiale. En particulier, par le capital japonais qui, du fait de son énorme excédent commercial, souscrit massivement aux bons et obligations du Trésor américain ainsi qu'aux différentes émissions des entreprises de ce pays. Le résultat est que les Etats-Unis qui, depuis 1914, étaient le premier créditeur mondial se transforment en premier débiteur mondial. Un autre conséquence est qu'à la fin des années 1980, les banques japonaises possèdent pratiquement 50 % des actifs immobiliers américains. Enfin, cette forme d'endettement fait que, « alors que dans la période 1980-82 les pays industrialisés ont versé aux dits pays en développement 49 000 millions de dollars plus que ce qu'ils ont reçu, dans la période 1983-89 ce sont ces derniers qui ont fourni aux premiers plus de 242 000 millions de dollars. » (Prometeo n° 16, organe de Battaglia Comunista, « Une nouvelle phase dans la crise capitaliste », décembre 1998)

 

Pour rembourser les intérêts et l'essentiel des bons émis l'usage consiste à recourir à de nouvelles émissions de bons et obligations. Cependant ceci signifie de plus en plus de dettes et par voie de conséquence le risque que les prêteurs ne veuillent plus souscrire à de nouvelles émissions. Pour continuer à les appâter, on recoure à des réappropriations régulières du dollar en utilisant différents artifices de réévaluation de la devise. Le résultat est, d'une part, un énorme afflux de dollars sur l'ensemble de l'économie mondiale et, d'autre part, la plongée des Etats-Unis dans un énorme déficit commercial qui, année après année, va battre de nouveaux records. La majorité des Etats industrialisés suivent plus ou moins la même politique : ils jouent avec la monnaie comme instrument d'attraction des capitaux.

 

La manipulation des monnaies est une tendance qui va s'approfondir pendant les années 1990. La fonction classique de la monnaie sous le capitalisme était celle d'être la mesure de la valeur et l'étalon des prix, pour laquelle la monnaie de chaque Etat devait être soutenue par une proportion minimum de métaux précieux ([4] [10]). Cette réserve de métaux précieux reflétait de manière tendancielle l'accroissement et le développement de la richesse du pays, laquelle se traduisait, également tendanciellement, dans le cours de sa monnaie.

 

Nous avons vu dans l'article précédent comment le capitalisme a abandonné, tout au long du 20e siècle, ses réserves et a laissé circuler les monnaies sans contreparties avec les risques graves que cela comporte. Cependant, les années 1980 constituent un véritable saut qualitatif vers l'abîme : au phénomène déjà grave des monnaies complètement dissociées de toute contrepartie en or et argent, phénomène qui continue à s'accélérer tout au long de la décennie, s'est d'abord ajouté le jeu des réévaluations/dévaluations afin d'attirer les capitaux, ce qui a provoqué une spéculation effrénée sur les monnaies. Dans un second temps, il y a le recours, de manière plus systématique aux « dévaluations compétitives », c'est-à-dire des baisses du cours de la monnaie, par décret, avec l'objectif de favoriser les exportations.

 

Cette « nouvelle » politique économique dont les piliers sont d'une part l'émission massive de bons et obligations qui enfle constamment comme une boule de neige et d'autre part la manipulation, sans cohérence, des monnaies, suppose un « système financier » sophistiqué et complexe qui ne peut être, en réalité, que l'oeuvre des Etats et des grandes institutions financières (banques, caisses d'épargne et sociétés d'investissement, lesquelles ont des liens très étroits avec l'Etat). En apparence c'est un mécanisme « libéral » et « non interventionniste ». Dans la pratique, c'est une construction typique du capitalisme d'Etat à l'occidentale, c'est-à-dire une gestion fondée sur la combinaison entre les secteurs dominants du capital privé et l'Etat.

 

Cette politique nous a été présentée comme la potion magique capable de permettre une croissance économique sans inflation. Le capitalisme pendant les années 1970 s'était trouvé confronté au dilemme insoluble inflation ou récession. Maintenant, quelle que soit leur coloration politique (« socialistes », de « gauche » ou du « centre »), les gouvernants se sont convertis au nouveau credo « néo-libéral » et « monétariste » et proclament que le capitalisme a surmonté ce dilemme, l'inflation ayant été réduite à des niveaux de 2 % à 5 % sans que cela nuise à la croissance économique.

 

Cette politique de « lutte contre l'inflation » ou d'une prétendue « croissance sans inflation » est basée sur les mesures suivantes :

 

1. L'élimination des capacités productives « excédentaires » dans l'industrie et l'agriculture. Le résultat est la fermeture de nombreuses installations industrielles et des licenciements massifs.

 

2. La suppression drastique des subventions à l'industrie et à l'agriculture qui entraîne aussi licenciements et fermetures d'usines.

 

3. La pression pour réduire les coûts et augmenter la productivité, ce qui signifie, en réalité, une déflation masquée et graduelle basée sur des attaques violentes contre la classe ouvrière des pays centraux et une baisse constante des prix des matières premières.

 

4. Le transfert, au moyen de mécanismes de pression monétaire et, plus particulièrement, par l'afflux massif de dollars, des effets inflationnistes vers les pays plus périphériques. Ainsi au Brésil, en Argentine et en Bolivie par exemple, se produisent des explosions d'hyperinflation amenant les prix à croître jusqu'à 30% par jour !

 

5. Et surtout, un remboursement des dettes avec de nouvelles dettes. En passant d'un financement de la dette par l'émission de papier-monnaie à celui effectué par l'émission de titres (bons et obligations d'Etat, actions d'entreprises, etc.), on arrive à retarder plus longtemps les effets de l'inflation. Les dettes contractées par une émission de titres se remboursent avec de nouvelles émissions. Ces titres sont l'objet d'une spéculation effrénée. On surévalue ainsi leur prix (cette surévaluation vient en complément de la manipulation du cours des monnaies) et de cette manière l'énorme inflation sous-jacente se trouve toujours remise à plus tard.

 

La mesure n° 4 ne résout pas l'inflation mais la change simplement de lieu (le transfert se fait vers les pays plus faibles). Ce à quoi la mesure n° 5 aboutit c'est à reporter l'inflation à plus tard, gonflant en contrepartie la bombe de l'instabilité et du désordre au niveau financier et monétaire.

 

Quand aux mesures n° 1 à 3, si elles réduisent réellement l'inflation à court terme, leurs conséquences sont beaucoup plus graves à moyen et long terme. En effet, elles impliquent une déflation cachée, c'est-à-dire une réduction méthodique et organisée par les Etats des capacités réelles de production. Comme nous le disions dans la Revue internationale n° 59 : « La production, qui peut correspondre à des biens réellement fabriqués, n'est pas une production de valeur, (...) le capitalisme ne s'est pas enrichi, au contraire il s'est appauvri. » ([5] [11])

 

Le processus de désertification industrielle et agricole, la réduction énorme des coûts, les licenciements et l'appauvrissement général de la classe ouvrière qui s'opèrent, de manière systématique et méthodique par tous les gouvernements, tout au long des années 1980, et qui se poursuivent à une échelle supérieure pendant les années 1990, supposent un phénomène de déflation cachée et permanente. Alors qu'en 1929 s'était produite une déflation brutale et ouverte, le capitalisme est lancé, depuis les années 1980, dans une tendance inédite : la déflation planifiée et contrôlée, une espèce de démolition graduelle et méthodique des bases mêmes de l'accumulation capitaliste, une sorte de désaccumulation lente mais irréversible.

 

La réduction des coûts, l'élimination de secteurs obsolètes et non compétitifs et l'accroissement gigantesque de la productivité ne sont pas synonymes, en eux-mêmes, de croissance et développement du capitalisme. Il est certain que ces phénomènes ont accompagné les phases de développement du capitalisme au 19e siècle mais ils avaient un sens dans la mesure où ils étaient au service de l'extension et de l'élargissement des rapports de production capitalistes, de la croissance et de la formation du marché mondial. Leur fonction, à partir des années 1980, correspond à un objectif diamétralement opposé : se protéger de la surproduction. Et, de plus, ils n'aboutissent, en fait, qu'à une aggravation de la surproduction.

 

Pour cette raison, si ces politiques de « déflation compétitive », comme les appellent pudiquement les économistes, réduisent bien à court terme les bases de l'inflation, elles les stimulent en réalité et les renforcent à moyen et long terme, car la réduction de la base de la reproduction globale du capital ne peut être compensée que par des nouvelles masses toujours croissantes de dettes d'un côté, et de dépenses improductives (armement, bureaucratie étatique, financière et commerciale) de l'autre. Comme nous le disions dans le rapport sur la crise économique au 12e congrès du CCI : « ... le vrai danger de la "croissance" qui conduirait à l'inflation se situe ailleurs : dans le fait que toute croissance, toute prétendue reprise est basée sur une augmentation considérable de l'endettement, sur la stimulation artificielle de la demande, c'est-à-dire sur du capital fictif. C'est cela la matrice qui donne naissance à l'inflation parce qu'elle exprime une tendance profonde dans le capitalisme décadent : le divorce grandissant entre l'argent et la valeur, entre ce qui se passe dans le monde "réel" de la production des biens et un processus d'échanges qui est devenu "un mécanisme tellement complexe et artificiel" que même Rosa Luxemburg serait sidérée si elle pouvait voir cela aujourd'hui. » (Revue internationale n° 92)

 

Ainsi, en réalité, la seule politique qui est arrivée à maintenir un bas niveau d'inflation pendant les années 1980 et 1990 est le report permanent de la dette au moyen d'un carrousel de nouveaux titres qui se substituent aux précédents et le rejet de l'inflation globale vers les pays plus faibles (qui sont chaque fois plus nombreux).

 

Tout cela est clairement illustré avec la crise de la dette qui, depuis 1982, atteint les pays du tiers-monde (Brésil, Argentine, Mexique, Nigeria, etc.). Ces Etats, qui avec leurs énormes dettes avaient alimenté l'expansion des années 1970 (voir la première partie de cet article), menacent de se déclarer insolvables. Les pays plus riches réagissent immédiatement et leur viennent soi-disant en aide au moyen de plans de « restructuration » de la dette (Plan Brady) ou par l'intervention directe du Fond Monétaire International (FMI). En réalité, ce qu'ils cherchent c'est à éviter un effondrement brutal de ces Etats qui déstabiliserait tout le système économique mondial.

 

Les remèdes employés sont une reproduction de la « nouvelle politique d'endettement » :

 

- application de plans brutaux de déflation, sous l'égide du FMI et de la Banque Mondiale, ce qui suppose des attaques terribles contre la classe ouvrière et toute la population ; ces pays, qui pendant les années 1970 ont vécu le mirage du « développement », se réveillent brutalement avec le cauchemar de la misère généralisée de laquelle ils ne sortiront plus ;

 

- conversion des prêts en dette publique matérialisée en titres à intérêts très élevés (10 ou 20 % de plus que la moyenne mondiale) et soumis à une spéculation formidable ; l'endettement ne disparaît pas mais il se transforme en dette reportée ; avec cela le niveau de la dette des pays du tiers-monde loin de baisser croît de façon vertigineuse tout au long des années 1980 et 1990.

 

Le krach de 1987

 

A partir de 1985 la locomotive américaine commence à s'essouffler. Les taux de croissance baissent lentement mais inexorablement et touchent petit à petit les pays européens. Les politiciens et les économistes parlent d'un « atterrissage en douceur », c'est-à-dire qu'ils essaient de freiner le mécanisme d'endettement qui fait boule de neige et provoque une spéculation chaque fois plus incontrôlable. Le dollar, après des années de surévaluation, se dévalue brusquement, chutant entre 1985 et 1987 de plus de 50 %. Ceci soulage momentanément le déficit américain et parvient à réduire le paiement des intérêts de la dette. Mais la contrepartie est l'effondrement brutal de la Bourse de New York qui, en octobre 1987, chute de 27 %.

 

Ce chiffre est quantitativement inférieur à celui enregistré en 1929 (plus de 30 %), cependant un tableau comparatif de la situation de 1987 et 1929 permet de comprendre que les problèmes sont beaucoup plus graves en 1987.

 

La crise boursière de 1987 est une purge brutale de la bulle spéculative qui avait alimenté la réactivation économique des Reaganomics. Depuis lors, cette réactivation fait eau de toutes parts. La deuxième moitié des années 1980 connaît des indices de croissance de 1 % et 3 %, ce qui est, en réalité, un ralentissement. Mais en même temps, la décennie s'achève avec l'effondrement de la Russie et de ses satellites du bloc de l'Est, un phénomène qui, s'il a ses racines dans les particularités de ces régimes, est fondamentalement une conséquence de l'aggravation brutale de la crise économique mondiale.

 

En même temps que le phénomène de l'effondrement du bloc impérialiste russe, une tendance très dangereuse apparaît depuis 1987 : l'instabilité de tout l'appareil financier mondial, qui va être soumis à des cataclysmes chaque fois plus fréquents, à d'authentiques séismes qui montrent une fragilité et une vulnérabilité chaque fois plus grandes.

 

1929 :

1987 :

Au niveau de l’appareil productif

 

Crise dans les industries traditionnelles comme les mines, le textile, les chemins de fer, même si ultérieurement il y a une forte expansion.

Au niveau de l’appareil productif

 

Crise chronique dans ces secteurs qui continueront à sombrer tout au long des années 1990 et de plus crise dans les secteurs « modernes » comme l’électronique, l’automobile, l’électro-ménager.

Au niveau financier

 

La spéculation qui provoque le Krach était très récente (elle avait commencée en 1928) et était relativement nouvelle .

Au niveau financier

 

La spéculation s’est développée depuis 1980 et avait de sérieux précédents dans la décennie antérieure (pétrodollars).

Au niveau de la crise de surproduction

 

Elle se manifeste depuis 1929 après plusieurs années de croissance.

Au niveau de la crise de surproduction

 

La crise précéde le Krach et dure de façon variable depuis 20 ans.

Au niveau des politiques de capitalisme d’Etat

 

L’intervention de l’Etat est très limitée avant le Krach et se généralise à partir de 1933 pour juguler la crise et relancer la production.

Au niveau des politiques de capitalisme d’Etat

 

L’intervention de l’Etat est massive et systèmatique depuis les années 1930 et a eu recours à de nombreuses mesures depuis 1970 pour, seulement épisodiquement, relancer la production.

Au niveau de l’armement

 

La production massive de guerre retarde la crise à partir de 1934.

Au niveau de l’armement

 

Le surarmement se développe depuis 1945 et dans les années 1980 connaît une accélération gigantesque qui fait que, comme carte pour pallier ou retarder la crise, c’est un moyen très usé.

 

Bilan général des années 1980

 

Nous allons tirer quelques conclusions de l'ensemble de la décennie. Nous le ferons, comme dans l'article précédent, aussi bien sur l'évolution de l'économie que sur la situation de la classe ouvrière. La comparaison avec les années 1970 permet de constater une forte dégradation.

 

Evolution de la situation économique :

 

1) Les taux de croissance de la production atteignent un maximum en 1984 : 4,9 %. La moyenne de la période est de 3,4 % alors que la moyenne de la décennie antérieure était de 4,1 %.

 

2) Il y a une amputation importante dans l'appareil industriel et agricole. C'est un phénomène nouveau depuis 1945 qui affecte clairement les grands pays industrialisés. Le tableau suivant qui fait référence à trois pays centraux (Allemagne, Grande-Bretagne et Etats-Unis) met en évidence une chute très forte dans l'industrie et les mines et un déplacement de la croissance vers des secteurs non productifs et de caractère spéculatif.

 

 

 

 

 

Evolution de la production par secteurs entre 1974 et 1987

 

Allemagne Grande-Bretagne Etats-Unis

 

Mines - 8.1 - 42.1 - 24.9

 

Industries - 8.2 - 23.8 - 6.5

 

Construction - 17.2 - 5.5 12.4

 

Commerce et Hôtellerie - 3.1 5 15.2

 

Finances et Assurances 11.5 41.9 34.4

 

Source : OCDE.

 

3) La majorité des secteurs productifs subissent une baisse dans leurs chiffres de production, baisse qu'on observe aussi bien dans les secteurs dits « traditionnels » (chantiers navals, acier, textile, mines) que dans les secteurs de pointe (automobile, électronique, électro-ménager). Ainsi, par exemple, dans l'automobile, l'indice de production de 1987 est le même qu'en 1978.

 

4) Dans l'agriculture la situation est désastreuse :

- Les pays de l'Est et du tiers-monde se voient obligés pour la première fois depuis 1945 d'importer des aliments de première nécessité.

- Dans l'Union européenne, on décide de mettre en jachère 20 millions d'hectares.

 

5) Il est certain qu'il se produit un accroissement de l'industrie informatique, des télécommunications et des secteurs de l'électronique. Cependant, cette croissance ne compense pas la chute de l'industrie lourde et de l'agriculture.

 

6) Les phases de relance n'affectent désormais plus l'ensemble de l'économie mondiale. Elles sont plus courtes et s'accompagnent de phases de ralentissement (par exemple, entre 1987 et 1989) :

- les relances sont élevées aux Etats-Unis pendant la période 1983-85 mais, entre 1986-89, elles sont plus basses que la moyenne des années 1970 ;

- elles sont faibles (situation globale de demi ralentissement) dans tous les pays d'Europe occidentale, excepté l'Allemagne ;

- un grand nombre de pays du tiers-monde décrochent du train de la croissance et sombrent dans le marasme ;

- les pays de l'Est subissent un ralentissement quasi général pendant toute la décennie (à l'exception de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie).

 

7) Le Japon et l'Allemagne parviennent à maintenir un niveau de croissance acceptable à partir de 1983. Cette croissance est supérieure à la moyenne et permet de substantiels excédents commerciaux qui en font de gros créditeurs financiers. Cependant, les indices de croissance ne sont pas aussi hauts que dans les décennies précédentes.

 

Moyenne de croissance annuelle du PIB du Japon

 

1960-70 8,7%

1970-80 5,9%

1980-90 3,7%

Source : OCDE

 

8) Les prix des matières premières connaissent une chute tout au long de la décennie (sauf dans la période 1987-88). Cela permet aux pays industrialisés d'alléger les tensions inflationniste sous-jacentes au prix de la plongée progressive des pays du « tiers-monde » (producteurs de matières premières) dans un marasme total.

 

9) La production d'armements connaît l'accroissement le plus important de l'histoire : entre 1980 et 1988 elle augmente de 41 % aux Etats-Unis selon les chiffres officiels. Cette augmentation suppose, comme cela a déjà été mis en évidence par la Gauche communiste, un affaiblissement à terme de l'économie. Cela se vérifie pour le capital américain : en même temps que croît sa part dans la production mondiale d'armements, la part de ses exportations dans le commerce mondial de secteurs clé décroît. C'est ce que montre le tableau ci-dessous.

 

Pourcentage des exportations des Etats-Unis dans le commerce mondial

 

1980 1987

 

Machines-outils 12,7% 9%

Automobiles 11,5% 9,4%

Informatique 31% 22%

 

10) L'endettement connaît une explosion brutale aussi bien quantitative que qualitative.

 

Au niveau quantitatif,

- il augmente de façon incontrôlé dans les pays du « tiers-monde ».

 

Dette en millions de dollars des pays sous-développés

 

1980 580.000

1985 950.000

1988 1.320.000

Source : Banque Mondiale

 

- il monte en flèche de façon spectaculaire aux Etats-Unis.

 

Dette totale en millions de dollars des Etats-Unis

 

1970 450.000

1980 1.069.000

1988 5.000.000

Source : OCDE

- il cependant modéré au Japon et en Allemagne.

Au niveau qualitatif :

- les Etats-Unis deviennent un pays débiteur en 1985 après avoir été, dans les années 1970, un pays créditeur ;

- en 1988, les Etats-Unis deviennent le pays le plus endetté de la planète non seulement de manière quantitative mais aussi qualitative ; ainsi, à cette date, alors que la dette extérieure du Mexique représente 9 mois de son PNB et celle du Brésil 6 mois, celle des Etats-Unis en représente 2 ans !

- le poids du remboursement des intérêts de prêts atteint dans les pays industrialisés une moyenne de 19 % du budget de l'Etat.

11) L'appareil financier, jusqu'alors relativement stable et sain, commence à subir, à partir de 1987, des turbulences chaque fois plus sérieuses :

- Faillites bancaires significatives : la plus importante est celle des caisses d'épargne américaines en 1988 avec un trou de 500 000 millions de dollars.

- Commence une succession de krachs boursiers périodiques à partir de 1987 : en 1989 il y aura un autre krach même si ses effets seront affaiblis du fait des mesures étatiques de suspension immédiate des cotations lorsqu'elles passent au dessus de 10 %.

- La spéculation monte en flèche de manière spectaculaire. Au Japon, par exemple, la spéculation immobilière démesurée provoque un krach en 1989 dont les conséquences continuent à se faire sentir depuis.

Situation de la classe ouvrière :

1) Nous assistons à la plus importante vague de licenciements depuis 1945. Le chômage monte en flèche dans les pays industrialisés.

Nombre de chômeurs dans les 24 pays de l'OCDE

1979 18.000.000

1989 30.000.000

Source : OCDE

2) Dans les pays industrialisés, à partir de 1984, la tendance au sous-emploi apparaît (travail à temps partiel, intermittent, précaire) alors que le sous-emploi se généralise dans les pays du « tiers-monde ».

3) A partir de 1985, les gouvernements des pays industrialisés adoptent des mesures qui favorisent les contrats à durée déterminée sous prétexte de « lutte contre le chômage », de telle manière qu'en 1990 ceux-ci représentent 8 % du personnel dans les pays de l'OCDE. Le travail fixe commence à diminuer.

4) Les salaires augmentent nominalement de façon très faible (moyenne de 3 % dans les pays de l'OCDE entre 1980-88) ce qui ne parvient pas à compenser l'inflation malgré le niveau très bas de celle-ci.

5) Les prestations sociales (aides, système de Sécurité sociale, subventions au logement, à la santé et à l'enseignement) connaissent les premières coupes importantes.

La dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière est dramatique dans les pays « sous-développés » et forte dans les pays industrialisés. Dans ces derniers, elle n'est pas douce et lente comme dans la décennie précédente bien que les gouvernements, afin d'éviter une riposte unifiée de la part de la classe ouvrière, font tout pour étaler les attaques, évitant autant que possible qu'elles soient trop brusques et généralisées.

Cependant, pour la première fois depuis 1945, le capitalisme est incapable d'augmenter la force de travail totale : le nombre de salariés augmente à un rythme inférieur à celui de la population mondiale. En 1990, l'Organisation internationale du travail avance un chiffre de 800 millions de chômeurs. C'est un indicateur très clair de l'aggravation provoquée par la crise du capitalisme et le démenti le plus catégorique aux discours mensonger de la bourgeoisie sur la reprise de l'économie.

Adalen.


[1] [12] Voir revue Internationale n°11, « De la crise à l’économie de guerre », rapport sur la situation économique mondiale du 2° congrès.

[2] [13] La décénnie s’est terminée avec l’invasion russe de l’Afghanistan qui provoqua une guerre importante et devastratrice.

[3] [14] Revue Internationale n°26, « Résolution sur la crise ».

[4] [15] « Tout pays doit avoir un fond de réserve, aussi bien pour son commerce extérieur que pour sa circulation intérieure. Les fonctions

de ces réserves obeissent en partie à la fonction de l’argent comme moyen intérieur de circulation et de paiement, et en partie à sa fonction comme monnaie universelle. » (Marx, Le Capital, Livre I, Section 1, chapitre 3). Marxspécifie plus loin que : « les pays dans lesquels la production a atteint un haut degrès de développement limitent les trésors accumulés dans les banques au minimum que ses fonctions spécifique réclament. »

[5] [16] Rapport sur la crise au 8° congrès du CCI.

Questions théoriques: 

  • L'économie [17]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [6]

Le communisme n'est pas un bel idéal, il est à l'ordre du jour de l'histoire [7° partie]

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1920 : LE PROGRAMME DU K.A.P.D

Introduction

Avec la publication du programme du Parti communiste ouvrier d'Allemagne de 1920 (KAPD), nous terminons la partie de cette série consacrée aux programmes des partis communistes qui sont nés à l'apogée de la vague révolutionnaire (voir Revue internationale n° 93, "Le programme du KPD" ; n° 94, "La plate-forme de l'Internationale communiste" ; n° 95, "Le programme du parti communiste russe").

Nous avons traité par ailleurs l'arrière-plan historique de la formation du KAPD (voir la série d'articles sur la révolution allemande, en particulier dans la Revue internationale n° 89). La scission dans le jeune KPD a été sur beaucoup d'aspects une tragédie pour le développement de la révolution prolétarienne, mais ce n'est pas le lieu ici d'en analyser les causes et les conséquences. Notre but, en publiant le programme du KAPD, est de montrer le degré de clarté révolutionnaire que ce document représente, puisqu'il n'y a pas de doute que pratiquement toutes les meilleures forces du communisme en Allemagne rejoignirent le KAPD.

Selon la fable gauchiste (basée sur les conceptions, malheureusement fausses, adoptées par l'Internationale communiste après 1920), le KAPD a été la manifestation d'un courant insignifiant, sectaire, semi-anarchiste, qui a été liquidé une fois pour toutes par la publication du livre de Lénine Le gauchisme, maladie infantile du communisme. En fait, comme nous l'avons aussi montré par ailleurs (en particulier dans notre introduction à la plate-forme de l'IC), au plus haut de la vague révolutionnaire les positions de la gauche ont été dans une grande mesure dominantes à la fois dans le KPD et dans l'IC elle-même. Il est vrai que, à partir de 1920, au sein de l'IC et des partis qui la composaient, les premiers effets de la stagnation de la révolution mondiale et de l'isolement de la Russie soviétique ont commencé à se faire sentir, donnant naissance à une réaction conservatrice qui allait de plus en plus placer la gauche en situation d'opposition. Mais même comme opposition, les communistes de gauche étaient loin d'être une secte infantile ou anarchiste. En effet, ce qui ressort plus que tout autre chose de ce programme est combien les positions caractéristiques du KAPD (le rejet des tactiques parlementaire et syndicale qui seront bientôt adoptées par l'IC) se sont fondées sur une véritable assimilation de la conception marxiste de la décadence du capitalisme qui est affirmée dans le paragraphe introductif du même programme. Cette conception avait été affirmée avec une égale insistance au congrès de fondation de l'IC, mais l'Internationale comme un tout allait ensuite se montrer incapable d'en tirer toutes les implications au niveau programmatique.

La position du KAPD sur le parlement et les syndicats n'avait rien de commun avec le moralisme et le rejet de la politique préconisés par les anarchistes puisque, comme le porte-parole du KAPD Appel (Hempel) l'argumenta au 3e congrès de l'IC en 1921, elle était basée sur la reconnaissance que la participation au parlement et aux syndicats avait bien sûr été une tactique valable dans la période ascendante du capitalisme mais qu'elle était devenue obsolète dans la nouvelle période de déclin du capitalisme. En particulier, le programme montre que la gauche allemande avait déjà établi les bases théoriques pour expliquer comment les syndicats sont devenus "un des principaux piliers de l'Etat capitaliste."

L'accusation de sectarisme a aussi été portée à propos de ce que le KAPD mettait en avant comme alternative aux syndicats. Dans sa Maladie infantile, par exemple, Lénine accuse le KAPD de tenter de remplacer les organisations syndicales de masse existantes par des "syndicats révolutionnaires purs" [vérifier la citation]. En fait la méthode du KAPD était dans sa quintessence la méthode marxiste, consistant notamment à faire le lien avec le mouvement réel de la classe. Comme Hempel le pose au 3e congrès :"... comme communistes, comme gens qui veulent et doivent prendre la direction de la révolution, nous sommes obligés d'examiner l'organisation du prolétariat sous cet angle. Ce que nous, le KAPD, disons n'est pas né, comme le croit le camarade Radek, dans la tête et dans le [crucible] du camarade Gorter en Hollande, mais à travers l'expérience des luttes que nous avons menées depuis 1919." (La gauche allemande, Invariance, 1973, p.32) C'est, en effet, le mouvement réel de la classe qui a donné naissance aux conseils ouvriers ou soviets dans la première explosion de la révolution, et cela en s'opposant directement à la fois au parlementarisme et au syndicalisme. Après la dissolution ou la récupération par la bourgeoisie des conseils ouvriers qui avaient surgi en Allemagne, les luttes les plus combatives ont donné naissance aux "organisations d'usine" auxquelles il est fait référence en partie dans le programme. Il est vrai que l'insistance sur ces organisations sur les lieux de travail, plus locales, plutôt que sur les soviets centralisés était le résultat du caractère défensif de la dynamique dans laquelle la classe était entraînée. Ne comprenant pas vraiment ce qui se passait, le KAPD tendait à développer une vision fausse selon laquelle les organisations d'usine, regroupées en "Unionen", pourraient exister un peu comme des noyaux permanents des conseils du futur. Mais, parce qu'à l'époque du programme, les "Unionen" regroupaient plus de 100 000 militants ouvriers, elles n'étaient en rien une construction artificielle du KAPD.

Une autre accusation fréquemment portée au KAPD était qu'il était "antiparti". Cette formulation déforme complètement la réalité complexe du mouvement révolutionnaire allemand de l'époque. Dans une certaine mesure, le KAPD exprimait réellement un haut degré dans la clarification du rôle du parti communiste. Nous avons déjà publié les "Thèses sur le rôle du parti" du KAPD (Revue internationale n° 41, 2e trimestre 1985), qui avait été fondé sur la reconnaissance (héritée en grande partie de l'expérience bolchevik) qu'à l'époque de la révolution le parti ne pouvait pas être une organisation de "masse" mais était une minorité avancée programmatiquement dont la tâche essentielle était, par sa participation déterminée dans la lutte de classe, d'élever la "conscience de soi du prolétariat" ainsi que le programme l'affirme. Celui-ci contient aussi les premièrs éléments critiques de l'idée que la dictature du prolétariat est exercée par le parti. C'est une conception (ou plutôt une pratique, puisqu'elle n'a été théorisée que plus tard) qui devait avoir des conséquences désastreuses pour les bolcheviks en Russie.

Il n'y a pas de doute cependant qu'il y avait d'autres tendances dans le KAPD à l'époque et que certaines d'entre elles, en particulier le courant "conseilliste" autour de Otto Ruhle, étaient à l'évidence influencées par l'anarchisme. La rançon payée à ce courant est reflétée dans la préface du programme qui contient la notion fédéraliste et même individualiste selon laquelle "l'autonomie des membres dans toutes les circonstances est le principe de base du parti prolétarien, qui n'est pas un parti dans le sens traditionnel." Parce que le KAPD avait été dans une large mesure contraint de sortir du KPD à cause des manoeuvres de la clique irresponsable autour de Paul Levi, cette réaction contre les "chefs" incontrôlés et la politicaillerie bourgeoise était compréhensible. Mais elle exprimait aussi une faiblesse sur la question d'organisation qui, avec le reflux ultérieur de la révolution, allait avoir des conséquences désastreuses pour la survie de la gauche allemande.

La tendance "conseilliste" exprimait aussi une tendance à rompre la solidarité avec la révolution russe alors que celle-ci connaissait des conditions difficiles imposées par l'isolement et la guerre civile. Cette tendance se manifestera plus tard par un rejet ouvert de toute l'expérience russe comme n'étant rien de plus qu'une révolution bourgeoise tardive. Mais sur ce point il n'y avait pas du tout d'ambiguïté dans le programme : la solidarité avec le pouvoir soviétique assiégé est explicite dès le début; et la victoire de la révolution en Allemagne est également très clairement perçue comme la clé de la victoire de la révolution mondiale, donc du salut du bastion révolutionnaire en Russie.

Une comparaison avec les "mesures pratiques" contenues dans le programme du KPD de 1918 montre une grande similarité avec celles du programme du KAPD, ce qui ne devrait pas être une surprise. Ce dernier est cependant plus clair sur les tâches internationales de la révolution allemande. Il va également plus loin sur la question du contenu économique de la révolution, insistant sur la nécessité de prendre des mesures immédiates d'orientation de la production vers les besoins plutôt que vers l'accumulation (même si la possibilité d'une telle transformation rapide est discutable, tout comme la conception du programme selon laquelle un "bloc économique socialiste" formé avec la seule Russie pourrait faire des pas significatifs vers le communisme). Finalement, le programme soulève quelques "nouvelles" questions qui n'étaient pas traitées dans le programme de 1918, telles que l'approche de la révolution prolétarienne de l'art, de la science, de l'éducation et de la jeunesse. La préoccupation du KAPD pour ces questions est aussi intéressante parce qu'elle montre que ce dernier n'était pas (comme il a été souvent argumenté) un courant purement "ouvriériste", aveugle aux problèmes plus généraux posés par la transformation communiste de la vie sociale.

CDW

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [18]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [19]

Approfondir: 

  • Le communisme : à l'ordre du jour de l'histoire [20]

Questions théoriques: 

  • Communisme [21]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [22]

Programme du "Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne" (KAPD) Mai 1920

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C'est dans le tourbillon de la révolution et de la contre‑révolution que s'est accomplie la fondation du Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne. Mais la naissance du nouveau parti ne date pas de Pâques 1920, moment où le rassemblement de l'“opposition”, qui n'était unie jusqu'ici que par des contacts vagues, trouva sa conclusion organisationnelle. L'heure de la naissance du KAPD coïncide avec la phase de développement du KPD (Ligue Spartacus), au cours de laquelle une clique de chefs irresponsables, plaçant ses intérêts personnels au‑dessus des intérêts de la révolution prolétarienne, a entrepris d'imposer sa conception personnelle de la “mort” de la révolution allemande à la majorité du parti. Celui‑ci se dressa alors énergiquement contre cette conception personnellement intéressée. Le KAPD est né lorsque cette clique, se fondant sur cette conception personnelle qu'elle avait élaborée, voulut transformer la tactique du parti, jusqu'ici révolutionnaire, en une tactique réformiste. Cette attitude traîtresse des Lévi, Posner et Compagnie justifie une nouvelle fois la reconnaissance du fait que l'élimination radicale de toute politique de chefs doit constituer la première condition du progrès impétueux de la révolution prolétarienne en Allemagne. C'est en réalité la racine des oppositions qui sont apparues entre nous et la Ligue Spartacus, oppositions d'une telle profondeur que la faille qui nous sépare de la Ligue [= du KPD], est plus grande que l'opposition qui existe entre les Lévi, les Pieck, les Thalheimer etc. d'un côté et les Hilferding, les Crispien, les Stampfer, les Legien de l'autre ([1] [23]). L'idée qu'il faut faire de la volonté révolutionnaire des masses le facteur prépondérant dans les prises de position tactiques d'une organisation réellement prolétarienne, est le leitmotiv de la construction organisationnelle de notre parti. Exprimer l’autonomie des membres dans toutes les circonstances, c'est le principe de base d'un parti prolétarien, qui n'est pas un parti dans le sens traditionnel. 

Il est donc pour nous évident que le programme du parti, que nous transmettons ici à nos organisations et qui a été rédigé par la commission du programme mandatée par le congrès, doit rester projet de programme jusqu'à ce que le prochain congrès ordinaire se déclare d'accord avec la présente version ([2] [24]). Du reste des propositions d'amendements, qui concerneraient les prises de position fondamentales et tactiques du parti, sont à peine probables, dans la mesure où le programme ne fait que formuler fidèlement, dans un cadre plus large, le contenu de la déclaration programmatique adoptée à l'unanimité par le congrès du parti. Mais d'éventuels amendements formels ne changeront rien à l'esprit révolutionnaire qui anime chaque ligne du programme. La reconnaissance marxiste de la nécessité historique de la dictature du prolétariat reste pour nous un guide immuable; inébranlable reste notre volonté de mener le combat pour le socialisme dans l'esprit de la lutte de classe internationale. Sous ce drapeau, la victoire de la révolution prolétarienne est assurée.

Berlin. Mi‑mai 1920.

La crise économique mondiale, née de la guerre mondiale, avec ses effets économiques et sociaux monstrueux, et dont l'image d'ensemble produit l'impression foudroyante d'un unique champ de ruines aux dimensions colossales, ne signifie qu'une seule chose : le crépuscule des dieux de l'ordre mondial bourgeois capitaliste est entamé. Aujourd'hui il ne s'agit pas d'une des crises économiques périodiques, propres au mode de production capitaliste ; c'est la crise du capitalisme lui‑même; secousses convulsives de l'ensemble de l'organisme social, éclatement formidable d'antagonismes de classes d'une acuité jamais vue, misère générale pour de larges couches populaires, tout cela est un avertissement fatidique à la société bourgeoise. Il apparaît de plus en plus clairement que l'opposition entre exploiteurs et exploités qui s’accroît encore de jour en jour, que la contradiction entre capital et travail, dont prennent de plus en plus conscience même les couches jusque là indifférentes du prolétariat, ne peut être résolue. Le capitalisme a fait l'expérience de son fiasco définitif, il s'est lui‑même historiquement réduit à néant dans la guerre de brigandage impérialiste, il a créé un chaos, dont la prolongation insupportable place le prolétariat devant l'alternative historique: rechute dans la barbarie ou construction d'un monde socialiste.

De tous les peuples de la terre seul le prolétariat russe jusqu'ici réussi dans des combats titanesques à renverser la domination de sa classe capitaliste et à s'emparer du pouvoir politique. Dans une résistance héroïque il a repoussé l'attaque concentrée de l'armée de mercenaires organisée par le capital international et il se voit maintenant confronté à une tâche qui dépasse l’entendement par sa difficulté: reconstruire, sur une base socialiste, l'économie totalement détruite par la guerre mondiale et la guerre civile qui lui a succédé pendant plus de deux ans. Le destin de la république des conseils russes dépend du développement de la révolution prolétarienne en Allemagne. Après la victoire de la révolution allemande on se trouvera en présence d'un bloc économique socialiste qui, au moyen de l'échange réciproque des produits de l'industrie et de l'agriculture, sera en mesure d'établir un mode de production véritablement socialiste, en n'étant plus obligé de faire des concessions économiques, et par la aussi politiques, au capital mondial. Si le prolétariat allemand ne remplit pas à très court terme sa tâche historique, le développement de la révolution mondiale sera remis en question pour des années, si ce n'est des dizaines d'années. En fait c'est l'Allemagne qui est aujourd'hui la clef de la révolution mondiale. La révolution dans les pays “vainqueurs” de l'Entente ne peut se mettre en branle, que lorsqu'aura été levée la grande barrière en Europe Centrale. Les conditions économiques de la révolution prolétarienne sont logiquement incomparablement plus favorables en Allemagne que dans les pays “vainqueurs” de l'Europe Occidentale. L'économie allemande pillée impitoyablement après la signature de la paix de Versailles a fait mûrir une paupérisation qui pousse à bref délai à la solution violente d'une situation catastrophique. En outre la paix de brigands versaillaise n'aboutit pas seulement à peser au‑delà de toute mesure sur un mode de production capitaliste en Allemagne, mais elle pose au prolétariat des fers qu'il ne peut supporter: son aspect le plus dangereux, c'est qu'elle sape les fondements économiques de la future économie socialiste en Allemagne, et donc, dans ce sens, également, remet en question le développement de la révolution mondiale. Seule une poussée en avant impétueuse de la révolution prolétarienne allemande peut nous sortir de ce dilemme. La situation économique et politique en Allemagne est plus que mûre pour l'éclatement de la révolution prolétarienne. A ce stade de l'évolution historique, où le processus de décomposition du capitalisme ne peut être voilé artificiellement que par un spectacle de positions de forces apparentes, tout doit tendre à aider le prolétariat a acquérir la conscience qu'il n'a besoin que d'une intervention énergique pour user efficacement du pouvoir qu'il possède déjà effectivement. A une époque de la lutte de classe révolutionnaire comme celle‑ci, où la dernière phase de la lutte entre le capital et le travail est entamée et où le combat décisif lui‑même est déjà en train, il ne peut être question de compromis avec l'ennemi mortel, mais d'un combat jusqu'à l’anéantissement. En particulier il faut attaquer les institutions qui tendent à jeter un pont au‑dessus des antagonismes de classes et qui s'orientent ainsi vers une sorte de “communauté de travail” ([3] [25]) politique ou économique entre exploiteurs et exploités. Au moment où les conditions objectives de l'éclatement de la révolution prolétarienne sont données, sans que la crise permanente ne connaisse une aggravation définitive, ou bien au moment où une aggravation catastrophique se produit, sans qu'elle soit conçue et exploitée jusque dans ses dernières conséquences par le prolétariat, il doit y avoir des raisons de nature subjective pour freiner le progrès accéléré de la révo­lution. Autrement dit : l'idéologie du prolétariat se trouve encore en partie prisonnière de représentations bourgeoises ou petites‑bourgeoises. La psychologie du prolétariat allemand, dans son aspect présent, ne montre que trop distinctement les traces de l'esclavage militariste séculaire, avec en plus les signes caractéristiques d'un manque de conscience de soi; c'est le produit naturel du crétinisme parlementaire de la vieille social‑démocratie et de I'USPD d'un côté, de l'absolutisme de la bureaucratie syndicale de l'autre. Les éléments subjectifs jouent un rôle décisif dans la révolution allemande. Le problème de la révolution allemande est le problème du développement de la conscience de soi du prolétariat allemand. 

Reconnaissant cette situation ainsi que la nécessité d'accélérer le rythme du développement de la révolution dans le monde, fidèle également à l'esprit de la 3ème Internationale, le KAPD combat pour la revendication maximale de l’abolition immédiate de la démocratie bourgeoise et pour la dictature de la classe ouvrière. Il rejette dans la constitution démocratique le principe, doublement absurde et intenable dans la période actuelle, qui veut concéder à la classe capitaliste exploiteuse elle - aussi des droits politiques et le pouvoir de disposer exclusivement des moyens de production.

Conformément à ses vues maximalistes le KAPD se déclare également pour le rejet de toutes les méthodes de lutte réformistes et opportunistes, dans lesquelles il ne voit qu'une manière d'esquiver les luttes sérieuses et décisives avec la classe bourgeoise. Il ne veut pas esquiver ces luttes, au contraire, il les provoque. Dans un Etat qui porte tous les symptômes de la période de décadence du capitalisme, la participation au parlementarisme appartient aussi aux méthodes réformistes et opportunistes. Exhorter, dans une telle période, le prolétariat à participer aux élections au parlement, cela signifie réveiller et nourrir chez lui l'illusion dangereuse que la crise pourrait être dépassée par des moyens parlementaires; c'est appliquer un moyen utilisé autrefois par la bourgeoisie dans sa lutte de classe, alors que l'on est dans une situation où seuls des moyens de lutte de classe prolétariens, appliqués de manière résolue et sans ménagements, peuvent avoir une efficacité décisive. La participation au parlementarisme bourgeois, en pleine progression de la révolution prolétarienne, ne signifie également en fin de compte rien d'autre que le sabotage de l'idée des conseils. 

L'idée des conseils dans la période de la lutte prolétarienne pour le pouvoir politique est au centre du processus révolutionnaire. L'écho plus ou moins fort que l'idée des conseils suscite dans la conscience des masses est le thermomètre qui permet de mesurer le développement de la révolution sociale. La lutte pour la reconnaissance de conseils d'entreprise révolutionnaires et de conseils ouvriers politiques dans le cadre d'une situation révolutionnaire déterminée naît logiquement de la lutte pour la dictature du prolétariat contre la dictature du capitalisme. Cette lutte révolutionnaire, dont l'axe politique spécifique est constitué par l'idée des conseils, s'oriente,  sous la pression de la nécessité historique, contre la totalité de l'ordre social bourgeois et donc aussi contre sa forme politique, le parlementarisme bourgeois. Système des conseils ou parlementarisme ? C'est une question d'importance historique. Edification d'un monde communiste  prolétarien ou naufrage dans le marais de l'anarchie capitaliste bourgeoise ? Dans une situation aussi totalement révolutionnaire que la situation actuelle en Allemagne, la participation an parlementarisme signifie donc non seulement saboter l'idée des conseils, mais aussi par surcroît galvaniser le monde capitaliste bourgeois en putréfaction et par là, de manière plus ou moins voulue, ralentir le cours de la révolution prolétarienne.

A côté du parlementarisme bourgeois les syndicats forment le principal rempart contre le développement ultérieur de la révolution prolétarienne en Allemagne. Leur attitude pendant la guerre mondiale est connue. Leur influence décisive sur l'orientation principielle et tactique du vieux parti social‑démocrate conduisit à la proclamation de l'“union sacrée” avec la bourgeoisie allemande, ce qui équivalait à une déclaration de guerre au prolétariat international. Leur efficacité social-traître trouva sa continuation logique lors de l'éclatement de la révolution de novembre 1918 en Allemagne: ils attestèrent leurs intentions contre‑révolutionnaires en consti­tuant avec les industriels allemands en pleine crise une “communauté de travail” (Arbeitsgemeinschaff) pour la paix sociale. Ils ont conservé leur tendance contre‑révolutionnaire jusqu'à aujourd'hui, pendant toute la période de la révolution allemande. C'est la bureaucratie des syndicats qui s'est opposée avec le plus de violence à l'idée des conseils qui s'enracinait de plus en plus profondément dans la classe ouvrière allemande, c'est elle qui a trouvé les moyens de paralyser avec succès des tendances politiques visant à la prise du pouvoir par le prolétariat, tendances qui résultaient logiquement des actions de masses économiques. Le caractère contre‑révolutionnaires des organisations syndicales est si notoire que de nombreux patrons en Allemagne n'embauchent que les ouvriers appartenant à un groupement syndical. Cela dévoile au monde entier que la bureaucratie syndicale prendra une part active au maintien futur du système capitaliste qui craque par toutes ses jointures. Les syndicats sont ainsi, à côté des fondements bourgeois, l'un des principaux piliers de l'Etat capitaliste. L'histoire syndicale de ces derniers 18 mois a amplement démontré que cette formation contre-révolutionnaire ne peut être transformée de l'intérieur. La révolutionnarisation des syndicats n'est pas une question de personnes : le caractère contre-révolutionnaire de ces organisations se trouve dans leur structure et dans leur système spécifique eux-mêmes. De ce fait découle la conclusion logique que seule la destruction même des syndicats peut libérer le chemin de la révolution sociale en Allemagne. L'édification socialiste a besoin d'autre chose que de ces organisations fossiles.

C'est dans les luttes de masses qu'est apparue l'organisation d'entreprise. Elle fait surface comme quelque chose qui n'a jamais eu ne serait-ce qu'un équivalent, mais là n'est pas la nouveauté. Ce qui est nouveau, c'est qu'elle perce partout pendant la révolution, comme une arme nécessaire de la lutte de classe contre le vieil esprit et le vieux fondement qui lui est à la base. Elle correspond à l'idée des conseils ; c'est pourquoi elle n'est absolument pas une pure forme oui un nouveau jeu organisationnel, ou même une “belle nuit mystique”; naissant organiquement dans le futur, constituant le futur elle est la forme d'expression d'une révolution sociale qui tend à la société sans classes. C'est une organisation de lutte prolétarienne pure. Le prolétariat ne peut pas être organisé pour le renversement sans merci de la vieille société s'il est déchiré en métiers, à l'écart de son terrain de lutte; pour cela il faut que la lutte soit menée dans l'entreprise. C'est là que l'on est l'un à côté de l'autre comme camarades de classe, c'est là que tous sont forcés d'être égaux en droit. C'est là que la masse est le moteur de la production et qu'elle est poussée sans arrêt à pénétrer son secret et à le diriger elle-même.

C'est là que la lutte idéologique, la révolutionnarisation de la conscience se fait dans un tumulte permanent, d'homme à homme, de masse à masse. Tout est orienté vers l'intérêt de classe suprême, non vers la manie de fonder des organisations, et l'intérêt de métier est réduit à la mesure qui lui revient. Une telle organisation, l'épine dorsale des conseils d'entreprise, devient un instrument infiniment plus souple de la lutte de classe, un organisme au sang toujours frais, vue la possibilité permanente de réélections, de révocations etc. Poussant dans les actions de masse et avec elles, l'organisation d'entreprise devra naturellement se créer l'organisme central qui correspond à son développement révolutionnaire. Son affaire principale sera le développement de la révolution et non pas les programmes, les statuts et les plans dans les détails. Elle n'est pas une caisse de soutien ou une assurance sur la vie, même si ‑ cela va de soi ‑ elle ne craint pas de faire des collectes pour le cas où il serait nécessaire de soutenir des grèves. Propagande ininterrompue pour le socialisme, assemblées d'entreprise, discussions politiques etc. tout cela fait partie de ses tâches; bref, c'est la révolution dans l'entreprise.

En gros, le but de l'organisation d'entreprise est double. Le premier but, c'est de détruire les syndicats, la totalité de leurs bases et l'ensemble des idées non prolétariennes qui sont concentrées en eux. Aucun doute bien sûr que dans cette lutte l'organisation d'entreprise affrontera, comme ses ennemis acharnés, toutes les formations bourgeoises ; mais elle fera de même aussi avec les partisans de l’USPD et du KPD, soit que ceux-ci se meuvent encore inconsciemment dans les vieux schémas de la social-démocratie (même s'ils adoptent un programme politique différent, ils s'en tiennent au fond a une critique politico-morale des “erreurs” de la social-démocratie), soit qu'ils soient ouvertement des ennemis, dans la mesure où le trafic politique, l'art diplomatique de se tenir toujours “en haut” leur importe plus que la lutte gigantesque pour le “social” en général. Devant ces petites misères il n'y a aucun scrupule à avoir. Il ne peut y avoir aucun accord avec l’USPD ([4] [26]) tant qu'elle ne reconnaît pas, sur la base de l'idée des conseils, la justification des organisations d'entreprises, lesquelles ont sûrement encore besoin de transformation et sont aussi encore capables d'être transformées. Une grande partie des masses les reconnaîtra avant l’USPD comme direction politique. C'est un bon signe. L'organisation d'entreprise, en déclenchant des grèves de masses et en transformant leur orientation politique, se basant chaque fois sur la situation politique de moment, contribuera d'autant plus rapidement et d'autant plus sûrement à démasquer et à anéantir le syndicat contre-révolutionnaire.

Le deuxième grand but de l’organisation d'entreprise est de préparer l'édification de la société communiste. Peut devenir membre de l'organisation d'entreprise tout ouvrier qui se déclare pour la dictature du prolétariat ([5] [27]). En plus il faut rejeter résolument les syndicats, et être résolument libéré de leur orientation idéologique. Cette dernière condition devra être la pierre de touche pour être admis dans l'organisation d'entreprise. C'est par là que l'on manifeste son adhésion à la lutte de classe prolétarienne et à ses méthodes propres; on n'a pas à exiger l'adhésion à un programme de parti plus précis. De par sa nature et sa tendance l'organisation d'entreprise sert le communisme et conduit à la société communiste. Son noyau sera toujours expressément communiste, sa lutte pousse tout le monde dans la même direction. Mais alors qu'un programme de parti sert et doit servir en majeure partie à l'actualité (au sens large, naturellement), alors que des qualités intellectuelles sérieuses sont exigées chez les membres du parti et qu'un parti politique comme le Parti Communiste Ouvrier (KAPD), progressant en avant et se modifiant rapidement en liaison avec le processus révolutionnaire mondial, ne peut jamais avoir une grande importance quantitative (à moins qu'il ne régresse et se corrompe), les masses révolutionnaires, au contraire, sont unies dans les organisations d'entreprises par la conscience de leur solidarité de classe, la conscience d'appartenir au prolétariat. C'est là que se prépare organiquement l'union du prolétariat; alors que sur la base d'un programme de parti cette union n'est jamais possible. L'organisation d'entreprise est le début de la forme communiste et devient le fondement de la société communiste à venir.

L'organisation d'entreprise résout ses tâches en union étroite avec le KAPD (Parti Communiste Ouvrier).

L'organisation politique a comme tâche de rassembler les éléments avancés de la classe ouvrière sur la base du programme du parti.

Le rapport du parti à l'organisation d'entreprise résulte de la nature de l'organisation d'entreprise. Le travail du KAPD à l'intérieur de ces organisations sera celui d'une propagande inlassable. Il faudra décider des mots d'ordre de la lutte. Les cadres révolutionnaires dans l'entreprise deviennent l'arme mobile du parti. De plus il est naturellement nécessaire que le parti lui aussi prenne un caractère toujours plus prolétarien, une expression de classe prolétarienne, qu'il satisfasse à la dictature par en bas. Par la le cercle de ses tâches s'élargit, mais en même temps il acquiert le plus puissant des soutiens. Ce qui doit être obtenu, c'est que la victoire (la prise du pouvoir par le prolétariat) aboutisse à la dictature de la classe et non pas à la dictature de quelques chefs de parti et de leur clique. L'organisation d'entreprise en est la garantie.

La phase de la prise du pouvoir politique par le prolétariat exige la répression la plus acharnée des mouvements capitalistes bourgeois. Cela sera atteint par la mise en place d'une organisation de conseils exerçant la totalité du pouvoir politique et économique. L'organisation d'entreprise elle-même devient dans cette phase un élément de la dictature prolétarienne, exercée dans l'entreprise par le conseil d'entreprise ayant pour base l'organisation d'entreprise. Celle-ci a en outre pour tâche dans cette phase de tendre à se transformer en fondement du système économique des conseils.

L'organisation d'entreprise est une condition économique de la construction de la communauté (Gemeinwesen) communiste. La forme politique de l'organisation de la communauté communiste est le système des conseils. L'organisation d'entreprise intervient pour que le pouvoir politique ne soit exercé que par l'exécutif des conseils. 

Le KAPD lutte donc pour la réalisation du programme révolutionnaire maximum, dont les revendications concrètes sont contenues dans les points suivants : 

1. Domaine politique : 

1. Fusion politique et économique immédiate avec tous les pays prolétariens victorieux (Russie des Soviets, etc.), dans l'esprit de la lutte de classe internationale, dans le but de se défendre en commun contre les tendances agressives du capital mondial.

2  Armement de la classe ouvrière révolutionnaire politiquement organisée, mise en place de groupes de défense militaire locaux (Ortswehren), formation d'une armée rouge; désarmement de la bourgeoisie, de toute la police, de tous les officiers, des “groupes de défense des habitants” (einwohnerwehren) ([6] [28]), etc.

3. Dissolution de tous les parlements ([7] [29]) et de tous les conseils municipaux.

4. Formation de conseils ouvriers comme organes du pouvoir législatif et exécutif. Election d'un conseil central des délégués des conseils ouvriers d'Allemagne.

5. Réunion d'un congrès des conseils allemands comme instance politique constituante suprême de l'Allemagne des Conseils.

6. Remise de la presse à la classe ouvrière sous la direction des conseils politiques locaux.

7. Destruction de l'appareil judiciaire bourgeois et installation immédiate de tribunaux révolutionnaires. Prise en charge de la puissance pénitentiaire bourgeoise et des services de sécurité par des organes prolétariens adéquats.

2. Domaine économique, social et culturel.

1. Annulation des dettes d'Etat et des autres dettes publiques, annulation des emprunts de guerre ([8] [30]). 

2. Expropriation par la république des conseils de toutes les banques, mines, fonderies, de même que des grandes entreprises dans l'industrie et le commerce. 

3. Confiscation de toutes les richesses à partir d'un certain seuil qui doit être fixé par le conseil central des conseils ouvriers d'Allemagne.

4. Transformation de la propriété foncière privée en propriété collective sous la direction des conseils locaux et des conseils agraires (Gutsrüte) compétents. 

5. Prise en charge de tous les transports publics par la république des conseils. 

6. Régulation et direction centrale de la totalité de la production par les conseils économiques supérieurs qui doivent être investis par le congrès des conseils économiques. 

7. Adaptation de l'ensemble de la production aux besoins, sur la base des calculs économiques statistiques les plus minutieux.

8. Mise en vigueur impitoyable de l'obligation au travail.

9. Garantie de l'existence individuelle relativement à la nourriture, l'habillement, le logement, la vieillesse, la maladie, l'invalidité, etc. 

10. Abolition de toutes les différences de castes, des décorations et des titres. Egalité juridique et sociale complète des sexes.

11. Transformation radicale immédiate du ravitaillement, du logement et de la santé dans l'intérêt de la population prolétarienne.

 12. En même temps que le KAPD déclare la guerre la plus résolue au mode de production capitaliste et à l'Etat bourgeois, il dirige son attaque contre la totalité de l'idéologie bourgeoise et se fait le pionnier d'une conception du monde prolétarienne révolutionnaire. Un facteur essentiel de l'accélération de la révolution sociale réside dans la révolutionnarisation de tout l'univers intellectuel du prolétariat. Conscient de ce fait. le KAPD soutient toutes les tendances révolutionnaires dans les sciences et les arts, dont le caractère correspond à l’esprit de la révolution prolétarienne.

En particulier le KAPD encourage toutes les entreprises sérieusement révolutionnaires qui permettent à la jeunesse des deux sexes de s'exprimer elle‑même. Le KAPD rejette toute domination de la jeunesse.

La lutte politique contraindra la jeunesse elle-même à un développement supérieur de ses forces, ce qui nous donne la certitude qu'elle accomplira ses grandes tâches avec une clarté et une résolution totales.

Dans l'intérêt de la révolution, c'est un devoir du KAPD que la jeunesse obtienne dans sa lutte tout le soutien possible.

Le KAPD est conscient qu'également après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, un grand domaine d'activité revient à la jeunesse dans la construction de la société communiste : la défense de la république des conseils par l'armée rouge, la transformation du processus de production, la création de l'école du travail communiste qui résout ses taches créatrices en union étroite avec l'entreprise.

Voilà le programme du Parti Communiste Ouvrier D'Allemagne. Fidèle à l'esprit de la Troisième Internationale, le KAPD reste attaché à l'idée des fondateurs du socialisme scientifique, selon laquelle la conquête du pouvoir politique par le prolétariat signifie l'anéan­tissement du pouvoir politique de la bourgeoisie. Anéantir la totalité de l'appareil d'Etat bourgeois avec son armée capitaliste sous la direction d'officiers bourgeois et agraires, avec sa police, ses geôliers et ses juges, avec ses curés et ses bureaucrates ‑ voilà la première tâche de la révolution prolétarienne. Le prolétariat victorieux doit donc être cuirassé contre les coups de la contre‑révolution bourgeoise. Lorsqu'elle lui est imposée par la bourgeoisie, le prolétariat doit s'efforcer d'écraser la guerre civile avec une violence impitoyable. Le KAPD a conscience que la lutte finale entre le capital et le travail ne peut être trouver de solution à l'intérieur des frontières nationales. Aussi peu que le capitalisme s'arrête devant les frontières nationales et se laisse retenir par quelque scrupule national que ce soit dans sa razzia à travers le monde, aussi peu le prolétariat doit-il perdre des yeux, sous l'hypnose d'idéologies nationales, l'idée fondamentale de la solidarité internationale de classe. Plus l'idée de la lutte de classe internationale sera clairement conçue par le prolétariat, plus on mettra de conséquence à en faire le leitmotiv de la politique prolétarienne mondiale, et plus impétueux et massifs seront les coups de la révolution mondiale qui briseront en morceaux le capital mondial en décomposition. Bien au-dessus de toutes les particularités nationales, bien au-dessus de toutes les frontières, de toutes les patries brille pour le prolétariat, d'un rayonnement éternel, le fanal : PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ‑VOUS.

Berlin. 1920.


[1] [31]Dirigeants politiques et syndicalistes social‑démocrates.

[2] [32] Ce qui fut fait effectivement au 2e Congrès du KAPD (dit “premier congrès ordinaire”) en août 1920.

[3] [33] En allemand “Arbeitsgemeinschaft” (“communauté de travail”), du nom de l'accord signé en novembre 1918 entre syndicats et patronat allemands.

 

[4] [34] Le KPD, dont venait de scissionner le KAPD, se ralliait en permanence aux mots d'ordre de l'USPD depuis la fin de 1919 et jusqu'à décembre 1920 (moment où le reste du KPD et la majorité de l'USPD fusionnent pour former la section allemande de la 3e Internationale ou VKPD).

Il est nécessaire de rappeler que pendant toute cette période les rapports entre les sigles organisationnels (KAPD - KPD - USPD - VKPD) cachent complètement les rapports politiques réels : le KAPD est la continuation directe du KPD révolutionnaire de l'année 1919 (la quasi totalité du KPD se constitue en KAPD). Ce que l'on appelle en 1920 le KPD, c'est juste la direction droitière du KPD, sans aucune base. Cette direction (Lévi) sans armée se fond fin 1920 dans la masse de l'aile gauche (c'est-à-dire la majorité) de l'USPD, laquelle forme l'essentiel, la majorité à 90 % du VKPD ou section allemande de l’IC. En termes de majorités on a: KPD ‑> KAPD, USPD ‑> VKPD. (cf. la présentation).

[5] [35] Cf. programme de l’AAUD (l’ensemble des “organisations d'entreprises” constituant l’AAUD).

 

[6] [36] . Organisations “fascistes” avant la lettre, analogues à des “Comités d'Action Civique”.

[7] [37] Il y avait de nombreux parlements régionaux en Allemagne.

[8] [38] Donc essentiellement à l'époque : refus d'appliquer le traité de Versailles, ce qui aurait été le prétexte à la reprise de la guerre entre les puissances réactionnaires de l'Entente et une Allemagne devenue révolutionnaire (cf. dans la présentation le passage sur la théorie du “National‑bolchévisme”).

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [18]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [19]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [39]

Révolution allemande (XI)

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LA GAUCHE COMMUNISTE ET LE CONFLIT CROISSANT ENTRE L'ETAT RUSSE ET LES INTERETS DE LA REVOLUTION MONDIALE

Dans l'article précédent dans la Revue Internationale n°95, nous avons montré comment la capacité de la bourgeoisie à prévenir l'extension internationale de la révolution et le reflux de la vague de luttes ont provoqué une réaction opportuniste de l'Internationale Communiste (IC). Cette tendance opportuniste de l'IC rencontra la résistance des forces qui devaient s'appeler par la suite la Gauche communiste. Alors que le 2e Congrès, en 1920, a eu au centre de ses débats le mot d'ordre “aller aux masses”, orientation rejetée par les groupes de la Gauche communiste, le 3e Congrès de l'IC, tenu en 1921, est un moment vital dans la bataille de cette même Gauche communiste contre le début de soumission des intérêts de la révolution mondiale aux intérêts de l'Etat russe.

La contribution du KAPD

Au 3e Congrès mondial de l'IC, le KAPD intervient directement dans les débats en développant, pour la première fois, toute une série de points critiques visant l'approche globale de l'IC. Dans ses interventions sur “La crise économique et les nouvelles tâches de l'IC”, sur “Le rapport d'activités du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste”, sur “la question de la tactique et sur la question syndicale”, et surtout par rapport au développement de la situation en Russie, le KAPD ne cesse de défendre le rôle dirigeant des organisations révolutionnaires qui, contrairement aux conceptions encore défendues par la majorité de l'IC, ne peuvent plus être des partis de masse.

Tandis que les délégués d'Italie, qui ont défendu avec courage, en 1920, leur position minoritaire sur le parlementarisme contre l'IC, ne disent quasiment rien sur le développement de la situation en Russie et sur le rapport entre le gouvernement soviétique et l'IC, tout le mérite revient au KAPD d'avoir posé cette question au 3e Congrès.

Avant d'aborder plus en profondeur les positions et l'attitude du KAPD, il faut souligner qu'il est loin d'être un parti homogène et uni face à la nouvelle période et au déroulement rapide des événements. Bien qu'il ait la hardiesse de commencer à tirer les implications concrètes de la nouvelle période sur les questions parlementaire et syndicale, bien qu'il comprenne qu'il n'est plus possible de maintenir un parti de masse, malgré donc toute cette audace programmatique, le KAPD fait preuve d'un certain manque de prudence, de circonspection, d'attention et de rigueur politique dans l'évaluation du rapport de forces entre les classes et sur la question de l'organisation politique. Sans avoir utilisé tous les moyens de lutte pour la défense de l'organisation, il tend à prendre des décisions précipitées à ce niveau.

Il n'est pas étonnant que le KAPD ait partagé beaucoup de confusions du mouvement révolutionnaire de l'époque. Comme les bolcheviks, les militants du KAPD pensaient aussi que le parti devait s'emparer du pouvoir. Selon le KAPD, l'Etat post-insurrectionnel devrait être un Etat-Conseil.

Au 3e Congrès, sa délégation intervint sur la question du rapport entre l'Etat et le parti dans les termes suivant :

“Nous n'oublions pas un seul instant les difficultés auxquelles le pouvoir soviétique russe s'est heurté en raison du retard de la révolution mondiale. Mais nous sentons aussi le danger que, de ces difficultés, on puisse voir surgir une contradiction apparente ou réelle entre les intérêts du prolétariat révolutionnaire international et les intérêts actuels de la Russie soviétique.” (La révolution bolchevique, E.H. Carr, Editions de minuit). “Mais la séparation politique et organisationnelle entre la 3e Internationale et le système politique de l'Etat russe est un objectif pour lequel il faut travailler si nous voulons qu'apparaissent les conditions de la révolution en Europe Occidentale.” (PV du congrès, traduit de l'anglais par nous)

Au 3e Congrès, le KAPD tend à sous-estimer les conséquences du fait que la bourgeoisie a réussi à empêcher l'extension de la vague révolutionnaire. Au lieu de tirer toutes les implications de cette extension contrecarrée, au lieu de reprendre l'argumentation de Rosa Luxemburg qui avait déjà compris en 1917 que “en Russie, le problème ne pouvait qu'être posé. Il ne pouvait pas être résolu en Russie”, et au lieu de se baser sur l'appel du Spartakusbund de novembre 1918 - celui-ci avertissait : “Si les classes dominantes dans nos pays s'arrangent pour étrangler la révolution prolétarienne en Allemagne et en Russie, alors elles se retourneront contre vous avec encore plus de force (...). L'Allemagne est grosse de la révolution sociale, mais le socialisme ne peut être accompli que par le prolétariat mondial” (traduit par nous) -, le KAPD tend à voir les racines des difficultés générales en Russie même.

”La magnifique idée d'une Internationale Communiste est et demeure vivante mais elle n'est plus liée à l'existence de la Russie soviétique. L'étoile de la Russie soviétique a énormément perdu de son pouvoir d'attraction aux yeux des ouvriers révolutionnaires dans la mesure où la Russie soviétique, avec la petite paysannerie, devient de plus en plus un Etat anti-prolétarien. C'est sans plaisir que nous disons cela; mais nous devons savoir qu'une compréhension claire, même des faits les plus difficiles, une dénonciation impitoyable sont les seuls moyens qui permettent à la Révolution de garder son caractère vivant. (...) A cause des conditions dans lesquelles se trouvait le pays, à cause du contexte dans lequel se trouvait la situation internationale, nous devons comprendre que les Communistes russes n'avaient pas d'autre choix que celui d'instaurer la dictature du Parti qui était alors le seul organisme apte à fonctionner de façon ferme et disciplinée; nous devons comprendre que les Bolchéviks devaient s'emparer du pouvoir comme ils l'ont fait malgrè les difficultés et que les ouvriers d'Europe de l'ouest, autant que ceux d'Europe centrale, sont principalement responsables du fait que la Russie soviétique d'aujourd'hui soit obligée de s'appuyer sur les forces capitalistes plutôt que sur les forces révolutionnaires. C'est un fait établi, la Russie soviétique doit s'appuyer sur les forces capitalistes d'Europe et d'Amérique (...)

Puisque la Russie soviétique n'a pas d'autres choix que celui de compter sur les forces capitalistes dans le domaine de sa politique extérieure et intérieure, combien de temps encore va-t'elle pouvoir rester ce qu'elle est ? Combien de temps et de quelle manière le PCR pourra-t'il rester celui qu'il était à l'origine ? Peut-il accomplir sa tâche tout en étant un Parti gouvernant ? Et si - afin de rester un Parti communiste - il quittait le pouvoir, quel serait, selon nous, le développement ultérieur de la Russie ?” (Gouvernement et 3e Internationale, Kommunistische Arbeiterzeitung, automne 1921, traduit par nous). Bien que le KAPD soit conscient des dangers qui pèsent sur la classe ouvrière, il fournit une mauvaise explication. Au lieu de souligner que l'énergie vitale de la révolution (le pouvoir et l'activité des soviets) s'épuise en Russie parce que la révolution elle-même est de plus en plus isolée au niveau mondial, au lieu de montrer que c'est cela qui permet à l'Etat de se renforcer aux dépens de la classe ouvrière (amenant au désarmement des soviets, à l'étouffement des initiatives ouvrières et, de plus, avec un parti bolchevique de plus en plus absorbé par l'Etat), le KAPD opte pour une explication déterministe, en réalité fataliste. Affirmer, comme il le fait, que “à cause des conditions dans lesquelles se trouvait le pays, à cause du contexte dans lequel se trouvait la situation internationale, nous devons comprendre que les Communistes russes n'avaient pas d'autre choix que celui d'instaurer la dictature du Parti”, ne peut pas permettre de comprendre comment la classe ouvrière en Russie, organisée en soviets, a été capable de s'emparer du pouvoir en octobre 1917. L'idée d'“Etat paysan petit-bourgeois” est aussi une distorsion de la réalité. Ces idées, rapidement formulées dans ce texte, seront développées par la suite dans une vision théorique globale par les communistes de conseil.

Le CCI a rejeté ces idées fausses et non-marxistes des conseillistes concernant la révolution en Russie (voir nos articles dans la Revue Internationale n° 12 et 13, notre brochure Russie 1917, début de la révolution mondiale, notre livre sur La Gauche hollandaise).

En particulier, nous rejetons :

- la théorie de la révolution double qui apparaît dans certaines fractions du KAPD en 1921, après le début du reflux de la vague révolutionnaire et le capitalisme d'Etat naissant, selon laquelle une révolution prolétarienne a eu lieu en Russie dans les centres industriels en même temps qu'une révolution paysanne démocratique dans les campagnes ;

- la conception fataliste selon laquelle la révolution en Russie devait nécessairement céder à la pression de la paysannerie et que le parti bolchevique était destiné, dès le début, à dégénérer ;

- la division en différentes aires géographiques, avec la “théorie du méridien” selon laquelle en Russie les conditions et les possibilités pour le surgissement de la révolution seraient différentes de ceux de l'Europe occidentale ;

- l'approche erronée vis-à-vis de la question des relations commerciales avec l'Ouest car elle ouvre la porte à l'illusion que l'argent pouvait être aboli immédiatement dans un seul pays et qu'“il était possible de maintenir” ou de “construire” le socialisme dans un seul pays sur le long terme.

Cependant, en nous penchant de façon plus détaillée sur les positions du KAPD, on peut constater à quel point cette organisation, à l'instar des autres groupes de la Gauche communiste, a comme objectif premier de pousser au maximum de clarification des questions politiques.

Le conflit croissant entre l'Etat russe et les intérêts de la révolution mondiale

A un moment où l'IC soutient inconditionnellement la politique étrangère de l'Etat russe, la délégation du KAPD joue au trouble-fête et remue le couteau dans la plaie :

“Nous nous souvenons tous du très puissant effet propagandiste des notes diplomatiques de la Russie soviétique au temps où le Gouvernement Ouvrier et Paysan ne portait pas la responsabilité de signer les traités commerciaux et les clauses de ces traités déjà signés. Le mouvement révolutionnaire d'Asie, qui représente un grand espoir pour chacun d'entre nous et une nécessité pour la révolution mondiale, ne peut être soutenu, ni officiellement ni officieusement, par la Russie soviétique. Les agents anglais en Afghanistan, en Perse et en Turquie agissent de façon très habile; chaque avancée révolutionnaire de la Russie mine la mise en oeuvre des traités commerciaux. Au vu de cette situation, qui doit diriger la politique étrangère de la Russie soviétique ? Qui doit prendre les décisions ? Les représentants russes en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, en Suède etc...? Communistes ou non communistes, ils doivent de toute façon mener une politique d'accord.

En ce qui concerne la situation intérieure de la Russie, elle comporte des effets similaires, même plus dangereux. En réalité le pouvoir politique est aujourd'hui entre les mains du Parti Communiste (et pas des Soviets) (...) alors que les rares forces révolutionnaires dans le Parti sentent que leurs initiatives sont interdites et qu'ils développent une plus grande méfiance, en particulier face aux manoeuvres du gros appareil constitué par les fonctionnaires (dont l'influence s'accroît) qui ont adhéré au PC, non parce qu'il était un Parti Communiste mais parce qu'il était un Parti gouvernant.”

Tandis que la plupart des délégués soutient de plus en plus inconditionnellement le parti bolchevik qui est dans un processus d'intégration dans l'appareil d'Etat, la délégation du KAPD a le courage de pointer la contradiction ente les intérêts la classe ouvrière d'un côté, ceux du Parti et de l'Etat de l'autre.

“Le Parti Communiste Russe (PCR) a éliminé l'initiative des ouvriers révolutionnaires et s'y oppose encore plus puisqu'il doit offrir plus d'espace au capital qu'auparavant. Il a commencé à changer de caractère malgré toutes les mesures de précaution tant qu'il reste un parti de gouvernement. Déjà, il ne peut prévenir que la base économique sur laquelle il repose comme parti de gouvernement, est de plus en plus détruite et donc les fondations de son pouvoir politique deviennent de plus en plus limitées.

Ce qui va arriver à la Russie et ce qui va arriver au développement révolutionnaire dans le monde entier, une fois que le parti russe ne sera plus un parti de gouvernement, peut difficilement être envisagé. Et déjà les choses vont dans une direction où, s'il n'y a pas de soulèvements révolutionnaires en Europe agissant comme contrepoids, il deviendra nécessaire que la question soit posée avec tout le sérieux nécessaire, nous devons poser la question très sérieusement : ne serait-il pas mieux d'abandonner le pouvoir d'Etat en Russie dans l'intérêt de la révolution prolétarienne au lieu de s'y cramponner ? (...)

Le même Parti Communiste Russe qui est maintenant dans une telle situation critique par rapport à son rôle comme communiste et comme parti de gouvernement, est aussi le parti dirigeant de la 3e Internationale (...). C'est là que le noeud tragique peut être vu. La 3e Internationale a été prise d'une telle manière que son souffle révolutionnaire est étouffé. Sous l'influence décisive de Lénine, les camarades russes ne créent pas de contrepoids dans la 3e Internationale contre la politique de recul de l'Etat russe. Mais ils font tout pour synchroniser les politiques de l'Internationale avec ce cours de recul (...). Aujourd'hui, la 3e Internationale est un outil de la politique des réformistes d'entente avec le gouvernement soviétique.

Sans doute, Lénine, Boukharine, etc. sont-ils de vrais révolutionnaires dans leur coeur, mais ils sont devenus comme tout le Comité Central du parti, des porteurs de l'autorité de l'Etat, et ils sont donc inévitablement soumis à la loi du développement d'une politique nécessairement conservatrice.” (Kommunistische Arbeiterzeitung, Moscow Politics, autumn 1921)

Au congrès extraordinaire du KAPD de septembre 1921, Goldstein dit ceci : “Sera-t-il possible pour le PC de Russie de concilier ces deux contradictions d'une manière ou d'une autre sur le long terme ? Aujourd'hui le PCR montre déjà un caractère double. D'un côté, il doit représenter les intérêts de la Russie comme Etat puisqu'il est encore un parti de gouvernement en Russie. Et de l'autre, il doit et il veut représenter les intérêts de la lutte de classe internationale.”

Les communistes de gauche allemands ont tout à fait raison de souligner le rôle de l'Etat russe dans la dégénérescence opportuniste de l'Internationale Communiste et d'expliquer qu'il est nécessaire de défendre les intérêts de la révolution mondiale contre les intérêts de l'Etat russe.

Cependant, en réalité, comme nous l'avons dit précédemment, la première et principale raison du tournant opportuniste de l'IC n'est pas le rôle de l'Etat russe mais l'échec de l'extension de la révolution aux pays occidentaux et le recul de la lutte de classe internationale qui s'en suit. Ainsi, pendant que le KAPD tend à blâmer principalement le PC russe pour cet opportunisme, la politique “d'alignement” sans principe sur les illusions social-démocrates des masses affecte tous les partis ouvriers à ce moment. En fait, bien avant les communistes russes, c'est la direction-même du KPD en Allemagne qui est la première à prendre ce tournant opportuniste, après la défaite de janvier 1919 à Berlin, excluant la gauche, le futur KAPD, du parti.

En réalité, les propres faiblesses du KAPD sont d'abord et avant tout le produit de la désorientation résultant de la défaite et du reflux du mouvement révolutionnaire qui s'en suit particulièrement en Allemagne. Privée de l'autorité de sa direction révolutionnaire qui a été assassinée par la social-démocratie en 1919, la Gauche Communiste allemande, une des expressions politiques les plus claires et déterminées de la vague révolutionnaire montante, est incapable (contrairement à la Gauche italienne) de faire face à la défaite de la révolution. Quels facteurs aggravèrent ces faiblesses du KAPD ?

Les faiblesses du KAPD sur la question organisationnelle

Afin de comprendre les faiblesses dans le KAPD sur la question d'organisation, il faut faire un bref retour en arrière. Il faut se souvenir notamment qu'au sein du KPD, à cause d'une fausse conception de l'organisation, la Centrale dirigée par P. Levi a expulsé la majorité des militants ; durant le congrès d'octobre 1919, pour ses positions sur les questions syndicale et parlementaire. C'est après cela que s'est fondé le KAPD, en avril 1920 après les luttes gigantesques de la classe ouvrière lors du coup d'Etat de Kapp. Cette soudaine division des communistes a provoqué un affaiblissement fatal pour la classe ouvrière en Allemagne. Et le drame c'est que le courant de gauche - après avoir été exclu du KPD - est devenu un grand défenseur de cette conception erronée.

On peut voir une illustration de cette faiblesse, quelques mois plus tard, quand les délégués au 2e Congrès de l'IC, O. Rühle et P. Merges, se retirent des travaux du congrès et “désertent”. Un an plus tard quand il est face à l'ultimatum, adressé par le 3e Congrès de l'IC, ou de se joindre au VKPD ou bien d'être expulsé de l'IC, le KAPD fait à nouveau la preuve de sa grande faiblesse en matière de défense de l'organisation. Cette expulsion va provoquer beaucoup d'hostilité et de rancoeur dans ses rangs envers l'IC.

Cela va empêcher les forces d'opposition de gauche, qui commencent à se dégager dans l'IC, de travailler ensemble. Le courant allemand et hollandais de la Gauche communiste ne fait rien pour s'opposer, au sein de l'IC, à la pression énorme du Parti bolchevik et pour construire avec la Gauche italienne réunie autour de Bordiga une résistance commune contre l'opportunisme croissant. De plus, au même moment, le KAPD est très enclin à se précipiter et à prendre des décisions imprudentes comme on va le voir.

Comment réagir vis-à-vis du danger de dégénérescence de l'IC ? S'enfuir ou combattre ?

“Dans le futur, la Russie soviétique ne sera plus un facteur de révolution mondiale ; elle deviendra un bastion de la contre-révolution internationale.

Ainsi le prolétariat russe a déjà perdu le contrôle sur l'Etat.

Ceci signifie que le gouvernement soviétique n'a d'autre choix que de devenir le défenseur des intérêts de la bourgeoisie internationale (...) Le gouvernement soviétique ne peut que devenir un gouvernement contre la classe ouvrière après avoir rejoint ouvertement le camp de la bourgeoisie. Le gouvernement soviétique est le Parti Communiste de Russie. Par conséquent, le PCR est devenu un opposant à la classe ouvrière car, étant le gouvernement soviétique, il doit défendre les intérêts de la bourgeoisie aux dépens du prolétariat. Cela ne durera pas longtemps, le PCR devra subir une scission.

Il ne faudra pas longtemps pour que le gouvernement soviétique soit forcé de montrer son vrai visage comme Etat bourgeois national. La Russie soviétique n'est plus un Etat prolétarien révolutionnaire ou, pour être plus précis, la Russie soviétique ne peut déjà plus devenir un Etat prolétarien révolutionnaire.

Car, seule la victoire du prolétariat allemand au moyen de la conquête du pouvoir politique aurait pu éviter au prolétariat russe son destin actuel, aurait pu le sauver de la misère et de la répression de son propre gouvernement soviétique. Seules une révolution en Allemagne et une révolution en Europe occidentale aurait pu aider à une issue favorable aux ouvriers russes dans la lutte de classe entre les ouvriers et les paysans russes.

Le 3e Congrès a soumis la révolution prolétarienne mondiale aux intérêts de la révolution bourgeoise d'un simple pays. L'organe suprême de l'Internationale prolétarienne a placé celle-ci au service d'un Etat bourgeois. L'autonomie de la 3e Internationale a donc été supprimée et soumise à la dépendance directe de la bourgeoisie.

La 3e Internationale est perdue maintenant pour la révolution prolétarienne mondiale. De la même manière que la 2e Internationale, la 3e Internationale est maintenant dans les mains de la bourgeoisie.

Par conséquent, la 3e Internationale fera toujours preuve de son utilité à chaque fois que ce sera nécessaire pour défendre l'Etat bourgeois de Russie. Mais elle échouera toujours à chaque fois qu'il sera nécessaire d'appuyer la révolution prolétarienne mondiale. Ses activités seront une chaîne de trahison continue de la révolution prolétarienne mondiale.

La 3e Internationale est perdue pour la révolution prolétarienne mondiale.

Après avoir été l'avant-garde de la révolution prolétarienne mondiale, la 3e Internationale est devenue son ennemi le plus violent (...). C'est à cause de la confusion désastreuse entre la direction de l'Etat - dont le caractère à l'origine prolétarien a été transformé dans les dernières années en caractère réellement bourgeois - avec la direction de l'internationale prolétarienne dans les mains d'un seul et même organe, que la 3e Internationale a échoué dans sa tâche originelle. Confrontée à l'alternative entre une politique d'Etat bourgeois et la révolution prolétarienne mondiale, les communistes russes ont choisi la première et ont placé la 3e Internationale à son service” (“Le gouvernement soviétique et la 3e Internationale à la remorque de la bourgeoisie internationale”, août 1921).

Bien qu'il ait raison de dénoncer l'opportunisme croissant de l'IC, bien qu'il ait détecté le danger d'étranglement de celui-ci par les tentacules de l'Etat russe qui en fait son instrument, le KAPD cependant fait une erreur grave en considérant ces dangers comme déjà accomplis, comme des processus déjà achevés.

Même si le rapport de forces général s'est inversé en 1921 et que la vague internationale de luttes est en recul, le KAPD fait preuve, là, d'une impatience dangereuse et ne voit pas la nécessité vitale d'une lutte persévérante et tenace pour la défense de l'Internationale. Pour le KAPD, l'IC est “un instrument de la politique des réformistes d'entente du gouvernement soviétique (...) se situant au côté et maintenant dans les mains de la bourgeoisie. La 3e Internationale est maintenant perdue pour la révolution prolétarienne mondiale. Après avoir été l'avant-garde de la révolution prolétarienne mondiale, la 3e Internationale est devenue son ennemi le plus violent.” Cette vision, à ce moment-là, est fausse. Au sein du KAPD lui-même, elle pousse au sentiment que la bataille pour l'IC est déjà perdue. Bien que cette organisation pressente une situation qui allait s'avérer par la suite, sa mauvaise estimation de la situation générale, l'amène à refuser de se battre au sein de l'IC contre l'opportunisme.

Bien que l'ultimatum du 3e Congrès mondial soit à prendre en considération pour comprendre la colère et la rancoeur du KAPD, cela ne change rien au fait essentiel qu'il se retire de manière précipitée de la bataille et qu'il ne remplit pas son devoir de défense de l'Internationale.

On voit là, une fois de plus, comment des conceptions organisationnelles insuffisantes ou erronées peuvent avoir des conséquences désastreuses et comment elles se retournent contre des positions politiques correctes.

Un autre exemple de cette importante faiblesse se révèle dans l'attitude de la délégation du KAPD au 3e Congrès de l'IC. Alors que la délégation du KAPD au 2e Congrès s'est retiré sans combattre, celle qui est au 3e Congrès fait entendre sa voix en tant que minorité et appelle, juste après, à un congrès extraordinaire du parti.

Cette délégation accuse le 3e Congrès de chercher à tuer le débat en dénaturant les positions du KAPD, en limitant le temps de parole, en changeant l'ordre du jour et en sélectionnant la participation aux discussions. Elle affirme qu'elle est exclue de la participation au débat du Comité exécutif de l'IC qui se réunit durant le congrès pour discuter les statuts du KAPD, mais elle-même renonce à prendre la parole durant le débat sur les statuts car elle veut “éviter de participer contre son gré à une comédie”. Elle se retire du débat sous les protestations.

Au lieu de comprendre qu'il a la responsabilité de mener une lutte longue et persévérante contre la dégénérescence de l'organisation, le KAPD conclut hâtivement et condamne l'IC.

Il le déclare, ainsi que le PCR, “perdue pour le prolétariat”. De plus, bien que des contacts épisodiques existent, aucune politique commune n'est trouvée entre les délégués de la Gauche italienne et ceux du KAPD et cela alors que les premiers ont également engagé la lutte contre l'opportunisme montant dans l'IC sur la question parlementaire.

L'absence du KAPD dans l'IC du fait de son expulsion va affaiblir la position de la Gauche italienne au 4e Congrès, quand le Parti Communiste d'Italie sous la direction de Bordiga sera forcé de fusionner avec le Parti Socialiste italien. Ainsi les Gauches allemande et italienne se retrouvent toujours à lutter seules contre l'opportunisme ambiant, incapables de mener une lutte commune. Cependant, le courant réuni autour de Bordiga comprend parfaitement le besoin de mener un combat tenace pour la défense et le redressement de l'organisation politique. Ainsi, en 1923, quand Bordiga pense écrire un manifeste de rupture avec l'IC, il abandonne finalement son projet, convaincu du besoin de poursuivre son combat au sein de l'IC et au sein du Parti italien.

A sa conférence extraordinaire de septembre 1921, le KAPD se préoccupe à peine de l'estimation du rapport de forces à l'échelle mondiale et n'en tire pas les implications sur les tâches immédiates de l'organisation. La majorité du parti considère encore la révolution comme immédiatement à l'ordre du jour. La volonté pure semble plus importante que l'évaluation du rapport des forces. En outre une partie de l'organisation va se lancer dans l'aventure de la fondation de l'Internationale Communiste Ouvrière (KAI) au printemps 1922.

Cette incapacité à évaluer l'évolution du rapport de force entre les classes jouera, en fin de compte, un rôle décisif dans l'incapacité du KAPD à survivre au reflux général et aux nouvelles conditions imposées par la contre-révolution triomphante.

Les réponses erronées des communistes russes

Malgré toutes ses erreurs et ses confusions, le KAPD a le mérite de poser le problème du conflit croissant entre l'Etat russe et la classe ouvrière, entre l'Etat russe et l'Internationale, sans être capable d'y apporter les bonnes réponses. Quant aux communistes russes, ils ont les plus grandes difficultés à comprendre la nature de ce conflit.

A cause de l'intégration croissante du parti dans l'appareil d'Etat, ils ne peuvent développer qu'une vision très limitée du problème. L'attitude de Lénine - qui développa de la manière la plus claire la vision marxiste sur la question dans l'Etat et la Révolution en 1917 mais qui, depuis cette date, fait partie de la direction étatique - met en évidence ces contradictions et difficultés croissantes.

Aujourd'hui, la propagande bourgeoise se donne le plus grand mal pour présenter Lénine comme le père du capitalisme d'Etat totalitaire russe. En réalité, de tous les communistes russes d'alors, Lénine, avec sa brillante intuition révolutionnaire, est celui qui sera le plus près de la compréhension que l'Etat transitoire qui est apparu après la révolution d'octobre, ne représente pas vraiment les intérêts et la politique du prolétariat. Lénine en conclut d'ailleurs que la classe ouvrière doit lutter pour imposer sa politique à l'Etat et doit avoir le droit de se défendre contre lui.

A la 11e conférence du parti en mars 1922, Lénine remarque avec inquiétude :

“Une année s'est écoulée, l'Etat est entre nos mains, mais l'Etat fonctionne-t'il comme nous le voulons ? Non, la machine échappe au contrôle de ceux qui la conduisent : comme si quelqu'un était aux manoeuvres de la machine, mais que cette dernière emprunte une voie différente, comme mue par une main invisible...”

Il défend cette idée en particulier contre Trotsky dans le débat sur les syndicats en 1921. Alors qu'apparemment la question du rôle des syndicats au sein de la dictature prolétarienne semble être la question en jeu, en réalité celle qui est au centre est : est-ce que la classe ouvrière doit avoir le droit, ou non, de mener son propre combat de classe pour se défendre contre l'Etat traditionnel ? Selon Trotsky, puisque l'Etat de transition est par définition un Etat ouvrier, l'idée que le prolétariat puisse se défendre contre lui est une absurdité. Trotsky, qui a au moins le mérite de suivre la logique de sa position jusqu'au bout, défend ouvertement la militarisation du travail. Même si Lénine n'est pas encore capable de reconnaître clairement que cet Etat n'est pas un Etat ouvrier (position qui sera développée et défendue plus tard par la revue Bilan dans les années 1930), il insiste sur la nécessité pour les ouvriers de se défendre eux-mêmes contre l'Etat.

Ce souci parfaitement correct de Lénine ne permet pas aux communistes russes d'arriver à une vraie clarification sur cette question. Lénine lui-même, comme d'autres communistes d'alors, continue à considérer qu'en Russie c'est le poids énorme de la petite-bourgeoisie qui est la principale source de contre-révolution et non l'Etat bureaucratisé.

“Aujourd'hui, l'ennemi n'est plus le même qu'hier. L'ennemi, ce ne sont pas les masses des blancs... L'ennnemi c'est le gris de la gestion économique quotidienne dans un pays dominé par des petits paysans et dont la grosse industrie est détruite. L'ennemi, c'est l'élément petit-bourgeois. Le prolétariat est fragmenté, divisé, épuisé. Les "forces" de la classe ouvrière ne sont pas illimitées... L'affluence de nouvelles forces du prolétariat est faible, parfois très faible (...) il faudra encore s'accomoder d'une croissance ralentie des nouvelles forces de la classe ouvrière ?” (Lénine, Oeuvres complètes, vol. 33)

Le reflux de la lutte de classe permet le développement du capitalisme d'Etat

Après les défaites de la classe ouvrière au niveau international en 1920, les conditions pour la classe ouvrière en Russie s'aggravent considérablement. De plus en plus isolés, les ouvriers russes se confrontent à l'Etat - à la tête duquel se trouve le Parti bolchevik - qui leur impose de plus en plus systématiquement sa violence, comme à Kronstadt,. L'écrasement de cette révolte a mené au développement des tendances qui, dans le parti, sont pour le renforcement de l'Etat, si nécessaire aux dépens de la classe ouvrière, et pour assujettir l'IC à l'Etat russe.

L'Etat russe est de plus en plus un Etat “normal” parmi les autres Etats.

Déjà au printemps 1921, à travers des négociations secrètes, la bourgeoisie allemande prend contact avec Moscou afin d'explorer les possibilités de coopération entre les deux pays au niveau armement. Il est envisagé, par exemple, de faire fabriquer des avions par Albatrosswerke, des sous-marins par Blöhm et Voss, des fusils et des munitions par Krupp.

A la fin de l'année 1921, quand la Russie propose une conférence générale pour l'établissement de relations entre elle et le monde capitaliste, les négociations secrètes entre l'Allemagne et la Russie ont lieu depuis longtemps. A la conférence de Gênes, Tchitchérine, le dirigeant de la délégation russe exalte les immenses possibilités d'exploitation des ressources potentielles de la Russie grâce à la coopération avec les capitalistes occidentaux. Quand cette conférence prend fin, l'Allemagne et la Russie ont déjà conclu non loin de là, à Rappallo, un accord secret. Comme l'écrit E.H. Carr :“C'était la première fois que, dans une affaire diplomatique importante, la Russie soviétique aussi bien que la République de Weimar rencontraient un partenaire sur un pied d'égalité.” (La révolution bolchevique, tome 3, Editions de minuit) Mais Rappallo est plus que cela.

Durant l'hiver 1917-18 le traité de Brest-Litovsk n'est signé qu'après l'offensive allemande contre la Russie parce que les bolcheviks veulent ainsi protéger le bastion isolé de la révolution prolétarienne mondiale contre l'attaque capitaliste de l'impérialisme allemand. Ce traité est non seulement imposé à la classe ouvrière russe mais aussi il n'est signé qu'après un grand débat ouvert au sein du parti bolchevik. Par contre, il n'en est pas de même avec la signature du traité de Rappallo. Ce dernier traité, signé par les représentants de l'Etat russe, contient des accords secrets sur les armes; mais, de plus, au 4e Congrès mondial de novembre 1922, il n'est même pas mentionné.

Les instructions données par l'IC aux PC en Turquie et en Perse “pour appuyer le mouvement en faveur de la libération nationale en Turquie (et en Perse)” aboutissent en fait à une situation où les bourgeoisies nationales respectives peuvent massacrer la classe ouvrière beaucoup plus facilement. La volonté de maintenir des liens solides avec ces différents Etats montre que l'Etat russe fait prévaloir ses propres intérêts.

Etape par étape, l'IC se soumet aux besoins de la politique étrangère de l'Etat russe. Tandis qu'en 1919, à l'époque de sa fondation, l'IC a pour orientation principale la destruction des Etats capitalistes, à partir de 1921, celle de l'Etat russe est vers sa stabilisation. La révolution mondiale qui ne réussit pas à s'étendre donne suffisamment de latitude à l'Etat russe pour faire valoir sa place.

A la conférence commune des “partis ouvriers” qui se tient au début avril 1922 à Berlin, et à laquelle l'IC invite les partis de la 2e et 2e 1/2 Internationales ([1] [40]), la délégation de l'IC essaya surtout d'obtenir des appuis pour la reconnaissance de la Russie soviétique, pour l'établissement de relations commerciales entre la Russie et l'Ouest et pour l'aide à la reconstruction de la Russie. Tandis qu'en 1919, le rôle de la 2e Internationale comme boucher de la classe ouvrière était dénoncé, et tandis qu'en 1920 au 2e Congrès avaient été adoptées les 21 conditions d'admission afin de se délimiter de la 2e Internationale et la combattre, ce fut au nom de l'Etat russe que la délégation de l'IC s'assit à la même table que les partis de la 2e Internationale. Il était devenu évident que l'Etat russe n'était plus intéressé dans l'extension de la révolution mondiale mais au renforcement de l'Etat. Plus l'IC était à la remorque de l'Etat, plus clairement elle tournait le dos à l'internationalisme.

La croissance hypertrophique de l'appareil d'Etat en Russie

L'orientation politique prise par l'Etat russe en vue d'être reconnu par les autres Etats va de pair avec son propre renforcement en Russie même. L'intégration toujours croissante du parti dans l'Etat, l'augmentation de la concentration du pouvoir dans les mains d'un cercle toujours plus concentré et limité de “forces dirigeantes”, la dictature croissante de l'Etat sur la classe ouvrière sont le résultat des efforts tenaces de ces forces favorables au renforcement de l'appareil d'Etat aux dépens de la vie même de la classe ouvrière.

En avril 1922, Staline est nommé secrétaire général du parti à son 11e congrès. A partir de là, il occupe trois postes importants en même temps : il est commissaire du peuple aux questions nationales, commissaire du peuple pour l'inspection ouvrière et paysanne et il est membre du Bureau Politique. En tant que secrétaire général, il prend rapidement en main la vie quotidienne du parti et s'arrange pour rendre le Bureau Politique dépendant du secrétaire général. Auparavant, il avait déjà été nommé à la tête des “activités d'épuration” en mars 1921 au 10e Congrès du parti (2[2] [41]). Quelques membres du “Groupe de l'Opposition Ouvrière” demandent au Comité Exécutif de l'IC de “dénoncer le manque d'autonomie, la suppression de toute initiative ouvrière et le combat contre les membres qui ont des opinions divergentes. (...) Les forces unies du parti et de la bureaucratie syndicale profitant de leur pouvoir et de leur position battent en brèche le principe de la démocratie ouvrière.” (Rosmer) Mais après que le PCR ait exercé une pression sur le Comité Exécutif, celui-ci finit par rejeter la plainte du groupe de “l'Opposition Ouvrière”.

Au lieu de laisser la responsabilité de nommer les délégués aux sections locales du parti, au fur et à mesure que le parti s'intègre à l'Etat, ces nominations sont faites par la direction du parti et donc par l'Etat. Les élections et les votes dans le parti sur une base locale ne sont plus désirés dans la mesure où le pouvoir de décision est de plus en plus entre les mains du secrétaire général et du bureau d'organisation qui est tenu par Staline. Tous les délégués pour le 12e Congrès du parti en avril 1923 sont d'ailleurs nommés par la direction du parti.

Si nous soulignons le rôle du parti ici, ce n'est pas parce que nous voulons réduire le problème de l'Etat à une seule personne - Staline - et donc limiter et sous-estimer le danger venant de l'Etat. La raison en est que l'Etat qui a surgi après l'insurrection d'octobre 1917, qui absorbe le Parti bolchevik dans ses structures et qui étend ses tentacules sur l'IC, est devenu le centre de la contre-révolution. Mais la contre-révolution n'est pas processus anonyme animé par des forces inconnues, sans visage ou invisibles. Elle prend forme concrètement dans le parti et dans l'appareil d'Etat. Staline, le Secrétaire général, est un des représentants importants de ces forces qui tirent les fils du parti à différents niveaux et qui luttent contre tout ce qui reste de révolutionnaire dans le parti.

Au sein du Parti bolchevik, en effet, ce processus de dégénérescence provoque des résistances et des convulsions que nous avons déjà traitées plus spécifiquement dans nos articles dans la Revue Internationale n° 8 et 9.

Malgré les confusions que nous avons mentionnées, Lénine va devenir l'un des opposants les plus déterminés de l'appareil d'Etat. Après avoir été frappé une première fois par une attaque cérébrale en mai 1922 et une seconde le 9 mars 1923, il rédige un document - connu plus tard comme son testament - dans lequel il demande le remplacement de Staline en tant que Secrétaire général. Ce document montre que Lénine, qui a longtemps travaillé avec Staline, veut rompre avec lui et même veut engager le combat contre lui. Cependant, parce qu'il est cloué au lit, luttant contre sa propre agonie, sa rupture et sa déclaration de guerre ne sont pas publiées dans la presse du parti qui est, à ce moment-là, tenu fermement par le Secrétaire général, Staline lui-même !

Au même moment, ce n'est pas un hasard si Kamenev, Zinoviev et Staline, qui vont constituer la nouvelle direction en composant une “troïka”, défendent la conception typiquement bourgeoise de la nécessité d'un “successeur” à Lénine. C'est dans le contexte d'une lutte pour le pouvoir au sein du parti qu'un groupe d'opposants à la “troïka” fait paraître, durant l'été 1923, la “Plate-forme des 46” qui critique l'étouffement de la vie prolétarienne dans le parti, lequel, pour la première fois depuis octobre 1917, a refusé d'appeler à la révolution mondiale à l'occasion du 1ermai 1922.

A l'été 1923, un certain nombre de grèves éclatent en Russie, particulièrement à Moscou.

Au moment où l'Etat russe renforce sa position en Russie et fait tout pour être reconnu par les grands Etats capitalistes, le processus de dégénérescence de l'IC, après le tournant opportuniste du 3e Congrès, s'accélère sous la pression de l'Etat russe.

Le 4e Congrès mondial : la soumission à l'Etat russe

En adoptant la politique de Front Unique à son 4e Congrès en novembre 1922, l'IC jette par-dessus bord les positions de principes des 1er et 2e congrès au cours desquels il avait insisté sur la démarcation la plus claire avec la social-démocratie ainsi que sur le combat à mener contre elle.

Pour justifier sa politique, l'IC met en avant que le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat montre que “les grandes masses prolétariennes ont perdu leur foi dans leur capacité de s'emparer du pouvoir dans un avenir prévisible. Elles sont repoussées vers une position défensive (...) alors la conquête du pouvoir comme tâche immédiate n'est pas à l'ordre du jour.” (intervention de Radek citée par E.H. Carr, La révolution bolchevique, Editions de Minuit). Par conséquent, il est nécessaire de s'unir avec les ouvriers qui sont encore sous l'influence de la social-démocratie :

“Le slogan du 3e congrès adressé "aux masses" est plus valide que jamais (...) Les tactiques du front uni est une proposition de lutte unitaire des communistes avec tous les ouvriers issus d'autres Partis ou d'autres groupes (...) Dans certaines circonstances, les communistes doivent se préparer à s'allier des ouvriers non communistes et avec des organisations ouvrières, afin de constituer un gouvernement.” (“Thèses sur la tactique du Comintern”, 4e congrès)

C'est le Parti Communiste allemand (le KPD) qui est le premier parti à encourager cette tactique comme nous le verrons dans le prochain article de cette série.

Au sein de l'IC, ce nouveau pas opportuniste qui pousse les ouvriers dans les bras de la social-démocratie, rencontre la résistance acharnée de la Gauche italienne.

Déjà en mars 1922, une fois les thèses sur le front unique adoptées, Bordiga écrit :

“Pour ce qui est du "gouvernement ouvrier", nous demandons : pourquoi veut-on s'allier avec les social-démocrates ? Pour faire les seules choses qu'ils savent, peuvent et veulent faire, ou bien pour leur demander de faire ce qu'ils ne savent, ne peuvent, ni ne veulent faire ? Veut-on que nous disions aux social-démocrates que nous sommes prêts à collaborer avec eux, même au parlement et même dans ce gouvernement qu'on a baptisé "ouvrier" ? Dans ce cas, c'est-à-dire si l'on nous demande d'élaborer au nom du parti communiste un projet de gouvernement ouvrier auquel devraient participer des communistes et des socialistes, et de présenter ce gouvernement aux masses comme un "gouvernement anti-bourgeois", nous répondrons, en prenant l'entière responsabilité de notre réponse, qu'une telle attitude s'oppose à tous les principes fondamentaux du communisme. Accepter cette formule politique signifierait, en effet, tout simplement déchirer notre drapeau, sur lequel il est écrit : il n'existe pas de gouvernement prolétarien qui ne soit constitué sur la base de la victoire révolutionnaire du prolétariat.” (26 mars 1922, dans La défense de la continuité du programme communiste, Editions programme communiste)

Au 4e Congrès, le PC d'Italie déclare que “le parti communiste n'acceptera donc pas de faire partie d'organismes communs à différentes organisations politiques... (il) évitera également d'apparaître comme co-participant à des déclarations communes avec d'autres partis politiques, lorsque ces déclarations contrediront en partie son programme et seront présentées au prolétariat comme le résultat de négociations pour trouver une ligne d'action commune. (...) Parler de gouvernement ouvrier (...) c'est nier en pratique le programme politique communiste, c'est-à-dire la nécessité de préparer les masses à la lutte pour la dictature.” (Thèses sur la tactique de l'Internationale Communiste présentées par le PC d'Italie au 4e Congrès mondial, 22 novembre 1922)

Mais après l'exclusion du KAPD de l'IC à l'automne 1921, qui fait taire la voix la plus critique contre la dégénérescence de l'IC, la Gauche italienne se retrouve, une fois encore, seule à défendre la position de la Gauche Communiste.

A la même époque, un événement est à prendre en considération : en octobre 1922, Mussolini prend le pouvoir en Italie, ce qui conduit à une aggravation des conditions de vie pour les révolutionnaires. “Absorbée” par cette question, la Gauche italienne a du mal à se mobiliser contre la dégénérescence en cours de l'IC et du parti bolchevik.

En même temps, le 4e Congrès met en place les conditions de la soumission future de l'IC aux intérêts de l'Etat russe. Confondant les intérêts de l'Etat russe et ceux de l'IC, le président de cette dernière, Zinoviev, affirme sur la question de la stabilisation du capitalisme et des attaques contre la Russie qui s'achèvent : “Nous pouvons dès à présent dire sans exagération que l'Internationale Communiste a survécu à ses moments les plus difficiles, et qu'elle s'est consolidée à tel point qu'elle n'a plus à craindre les attaques de la réaction mondiale.” (La révolution bolchevique, E.H. Carr, Editions de minuit)

Puisque la perspective de conquête du pouvoir ne se pose plus immédiatement, le 4e Congrès donne l'orientation, outre la tactique de front unique, que la classe ouvrière doit concentrer ses efforts sur le soutien et la défense de la Russie. La résolution sur la Révolution russe montre bien jusqu'à quel point l'analyse que fait l'IC part du point de vue des intérêts de l'Etat russe et non plus de ceux de la classe ouvrière internationale, mettant ainsi la construction de la Russie au premier plan :

“Le 4e Congrès mondial de l'Internationale Communiste exprime au peuple travailleur de la Russie des Soviets ses remerciements les plus profonds et son admiration sans bornes pour avoir (...) su défendre victorieusement jusqu'à aujourd'hui contre tous les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur les conquêtes de la révolution (...). Le 4e Congrès mondial constate avec la plus grande satisfaction que le premier Etat ouvrier du monde, issu de la révolution prolétarienne, a complètement prouvé sa force de vie et de développement au cours des cinq années de son existence, malgré les difficultés et des dangers inouïs. L'Etat soviétiste est sorti renforcé des horreurs de la guerre civile. (...) Le 4e Congrès mondial constate avec satisfaction que la politique de la Russie des Soviets a assuré et renforcé la condition la plus importante pour l'instauration et le développement de la société communiste, le régime des Soviets, c'est-à-dire la dictature du prolétariat. Car, seule, cette dictature est capable de surmonter toutes les résistances bourgeoises à l'émancipation totale des travailleurs et d'assurer ainsi la défaite complète du capitalisme et la voie libre vers la réalisation du communisme.”

“Ne touchez pas à la Russie des Soviets ! Reconnaissance de la République des Soviets !”

“Tout renforcement de la Russie des Soviets équivaut à un affaiblissement de la bourgeoisie mondiale.” (Résolution sur la Révolution Russe, 4e Congrès de l'IC)

Le degré de contrôle de l'IC par l'Etat russe, six mois après Rappallo, devient palpable lorsque, dans le contexte de montée des tensions impérialistes, la Russie envisage la possibilité d'établir un bloc militaire avec un autre Etat capitaliste. L'IC affirme qu'une telle alliance peut être utilisée pour le renversement d'un autre régime bourgeois et montre, dans la réalité, qu'il est de plus en plus un instrument de l'Etat russe : “J'affirme que nous sommes dès maintenant assez forts pour conclure une alliance avec une bourgeoisie afin de pouvoir, au moyen de cet Etat bourgeois, renverser une autre bourgeoisie... En supposant qu'une alliance militaire ait été conclue avec un Etat bourgeois, le devoir des camarades de chaque pays est de contribuer à la victoire des deux alliés.” (Boukharine au congrès, cité par E.H. Carr, idem) Quelques mois plus tard, l'IC et le PC allemand mettent en avant la perspective d'une alliance entre la “nation allemande opprimée” et la Russie. Dans l'antagonisme entre l'Allemagne et les pays vainqueurs de la 1re Guerre mondiale, l'IC et l'Etat russe prennent position en faveur de l'Allemagne qui est présentée comme victime des intérêts impérialistes français.

Déjà en janvier 1922, au “1er congrès des travailleurs de l'Extrême-Orient”, l'IC donne, comme une orientation centrale, le besoin d'une coopération entre les communistes et les “révolutionnaires non-communistes”. Dans ses thèses sur la tactique, le 4e Congrès mondial décide le soutien à “tout mouvement national-révolutionnaire dirigé contre l'impérialisme” et rejeta fermement en même temps “le refus des communistes des colonies de prendre part à la lutte contre l'oppression impérialiste sous le prétexte de "défense" exclusive des intérêts de classe, est le fait d'un opportunisme du plus mauvais aloi qui ne peut que discréditer la révolution prolétarienne en Orient.” (“Thèses générales sur la question d'Orient”)

Ainsi l'IC contribue à désorienter et à affaiblir grandement la classe ouvrière.

Après que la vague révolutionnaire a atteint son point culminant en 1919, qu'elle connaît une phase de reflux suite à l'échec de l'extension internationale de la révolution, une fois que l'Etat russe a renforcé sa position et soumis l'IC à ses intérêts, la bourgeoisie peut se sentir suffisamment forte au niveau international et établir des plans pour donner le coup fatal à la partie de la classe ouvrière qui reste la plus combative : le prolétariat d'Allemagne. Nous examinerons donc les événements de 1923 en Allemagne dans le prochain article.

DV.


[1] [42] . L'“Internationale 2 1/2” est le nom donné par les communistes à la tentative avortée de regroupement des éléments “centristes” qui se sont séparés de la Social-démocratie du fait de la guerre tout en refusant d'adhérer à l'IC.

[2] [43] Alors que le nombre de membres a augmenté en 1920 jusqu'à 600 000, entre 1920-21 quelques 150 000 membres sont expulsés du parti. Il est clair que ne sont pas expulsés que des carriéristes, mais aussi beaucoup d'éléments ouvriers. La “commission d'épuration” dirigée par Staline est un des organes les plus puissants en Russie.

Géographique: 

  • Allemagne [44]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [18]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [19]

Approfondir: 

  • Révolution Allemande [45]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [39]

Question d'organisation : sommes-nous devenus "léninistes"? (II)

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Dans la première partie de cet article, nous avons répondu à l'accusation qui nous est faite d'être devenus “léninistes” et d'avoir changé de position sur la question organisationnelle. Nous avons montré que le “léninisme” s'oppose non seulement à nos principes et positions politiques, mais aussi qu'il vise à la destruction de l'unité historique du mouvement ouvrier. En particulier, il rejette la lutte des gauches marxistes au sein, puis en dehors, des 2c et 3e Internationales en dressant Lénine contre Rosa Luxemburg, Pannekoek, etc. Le “léninisme” est la négation du militant communiste Lénine. Il est l'expression de la contre-révolution stalinienne au début des années 1920.

Nous avons aussi affirmé que nous nous étions toujours revendiqué du combat de Lénine pour la construction du parti contre l'opposition de l'économisme et des mencheviks. Nous avons aussi rappelé que nous maintenions notre rejet de ses erreurs en matière d'organisation, particulièrement sur le caractère hiérarchique et “militaire” de l'organisation, de même qu'au niveau théorique sur la question de la conscience de classe qui devrait être apportée au prolétariat de l'extérieur, tout en resituant ces erreurs dans leur cadre historique afin d'en comprendre leur dimension et leur signification réelles.

Quelle est la position du CCI sur Que faire? et sur Un pas en avant, deux pas en arrière ? Pourquoi affirmons-nous que ces deux ouvrages de Lénine représentent des acquis théoriques, politiques et organisationnels irremplaçables ? Est-ce que nos critiques qui portent sur des points qui ne sont pas du tout secondaires - en particulier sur la question de la conscience telle qu'elle est développée dans Que faire? - ne remettent pas en cause notre accord fondamental avec Lénine ?

LA POSITION DU CCI SUR QUE FAIRE?

“Il serait faux et caricatural d'opposer ainsi un Que faire? substitutionniste de Lénine à une vision saine et claire de Rosa Luxemburg et de Trotsky (celui-ci d'ailleurs se fera, dans les années 1920, l'âpre défenseur de la militarisation du travail et de la dictature toute puissante du parti !).” ([1] [46]) Comme on le voit, notre position sur Que faire ? commence par reprendre notre méthode d'appréhension de l'histoire du mouvement ouvrier, méthode qui s'appuie sur l'unité et la continuité de ce dernier comme nous l'avons présenté dans la première partie de cet article. Elle n'est pas nouvelle et remonte à la fondation même du CCI.

Que faire ? (1902) comporte deux grandes parties. La première est dédiée à la question de la conscience de classe et du rôle des révolutionnaires. La deuxième porte directement sur les questions d'organisation. L'ensemble est une critique implacable des “économistes” qui ne considèrent possible un développement de la conscience dans la classe ouvrière qu'à partir de ses luttes immédiates. Ils tendent ainsi à sous-estimer et à nier tout rôle politique actif aux organisations révolutionnaires dont la tâche se limiterait à “aider” les luttes économiques. Conséquence naturelle de cette sous-estimation du rôle des révolutionnaires, l'économisme s'oppose à la constitution d'une organisation centralisée et unie capable d'intervenir largement et d'une seule voix sur toutes les questions, économiques comme politiques.

Le texte de Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière (1903), qui est un complément à Que faire ? sur le plan historique, rend compte de la rupture entre bolchéviks et mencheviks au 2e congrès du POSDR qui vient d'avoir lieu.

La faiblesse principale - nous l'avons dit - de Que faire ? est sur la conscience de classe. Quelle est l'attitude des autres révolutionnaires sur cette question ? Jusqu'au 2e congrès, seul l'“économiste” Martinov s'y oppose. Ce n'est qu'après le congrès que Plékhanov et Trotsky critiquent la conception erronée de Lénine sur la conscience apportée de l'extérieur à la classe ouvrière. Ils sont les seuls à rejeter explicitement la position de Kautsky reprise par Lénine selon laquelle “le socialisme et la lutte de classe surgissent parallèlement et ne s'engendrent pas l'un l'autre (et que) le porteur de la science n'est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois.” ([2] [47])

La réponse de Trotsky sur ce point de la conscience est assez juste, bien qu'elle reste aussi très limitée. N'oublions pas que nous nous trouvons en 1903 et la réponse de Trotsky, Nos tâches politiques, date de 1904. Le débat sur la grève de masse a à peine débuté en Allemagne, et ce n'est qu'avec l'expérience de 1905 en Russie qu'il va réellement se développer. Trotsky repousse clairement la position de Kautsky et souligne le danger de substitutionnisme qu'elle comporte. Mais pour autant, et alors qu'il est très virulent contre Lénine sur les questions d'organisation, il ne se démarque pas complètement sur cet aspect particulier. Il comprend et explique les raisons d'une telle prise de position :

“Lorsque Lénine reprit à Kautsky l'idée absurde du rapport entre l'élément "spontané" et l'élément "conscient" dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat, il ne faisait que définir grossièrement les tâches de son époque.” ([3] [48])

Outre la clémence de Trotsky sur ce plan, il convient de relever que personne parmi les nouveaux opposants à Lénine ne s'était élevé contre la position de Kautsky sur la conscience avant le 2e congrès du POSDR quand ils étaient unis dans la lutte contre l'économisme. Au congrès, Martov, leader des mencheviks, reprend exactement la même position que Kautsky et Lénine : “Nous sommes l'expression consciente d'un processus inconscient.” ([4] [49]) A la suite du congrès, cette question est jugée si peu importante que les mencheviks nient encore toute divergence programmatique et attribuent la division aux “élucubrations” de Lénine sur l'organisation :

“Avec ma faible intelligence, je ne suis pas capable de comprendre ce que peut être "l'opportunisme sur les problèmes organisationnels", posé sur le terrain comme quelque chose d'autonome, en dehors d'un lien organique avec les idées programmatiques et tactiques.” ([5] [50])

La critique de Plékhanov, si elle est juste, reste assez générale et se contente de rétablir la position marxiste sur la question. L'argumentation principale est qu'il n'est pas vrai que “les intellectuels [ont] "élaboré" leurs propres théories socialistes "de manière totalement indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier" - cela n'est jamais arrivé et ne pouvait pas arriver.” ([6] [51])

Plékhanov se limite au niveau théorique à la question de la conscience. Il n'aborde pas les débats du 2e Congrès. Il ne répond pas à la question centrale : quel Parti et quel rôle pour ce Parti ? Seul Lénine y répond.

La question centrale de Que faire? : élever la conscience

Lénine a un souci central dans sa polémique contre l'économisme sur le plan théorique : la question de la conscience de classe et son développement dans la classe ouvrière. On sait que Lénine est revenu rapidement sur la position de Kautsky. En particulier avec l'expérience de grève de masse russe de 1905 et l'apparition des premiers soviets. En janvier 1917, c'est-à-dire avant le début de la révolution en Russie, alors que la guerre impérialiste fait rage, Lénine revient sur la grève de masse en 1905. Des passages entiers sur “l'enchevêtrement des grèves économiques et grèves politiques” pourraient apparaître comme rédigés par Rosa Luxemburg ou Trotsky ([7] [52]). Et ils donnent un aperçu du rejet par Lénine de son erreur initiale en grande partie provoquée par ses “tordages de barre” ([8] [53]).

“La véritable éducation des masses ne peut jamais être séparée d'une lutte politique indépendante, et surtout de la lutte révolutionnaire des masses elles-mêmes. Seule l'action éduque la classe exploitée, seule elle lui donne la mesure de ses forces, élargit son horizon, accroît ses capacités, éclaire son intelligence et trempe sa volonté.” ([9] [54]) On est loin de ce que dit Kautsky.

Mais déjà dans Que faire?, ce qui est dit sur la conscience est contradictoire. A côté de la position fausse, Lénine affirme par exemple : “Ceci nous montre que l'"élément spontané" n'est au fond que la forme embryonnaire du conscient.” ([10] [55])

Ces contradictions sont la manifestation du fait que Lénine, comme le reste du mouvement ouvrier en 1902, n'a pas une position très précise et très claire sur la question de la conscience de classe ([11] [56]). Les contradictions de Que faire ? et les prises de position ultérieures montrent qu'il n'est pas particulièrement attaché à la position de Kautsky. D'ailleurs il n'y a que trois passages bien délimités de Que faire ? dans lesquels il écrit que “la conscience doit être apportée de l'extérieur”. Et sur les trois, il en est un qui n'a rien à voir avec ce que dit Kautsky.

Rejetant que l'on puisse “développer la conscience politique de classe des ouvriers, pour ainsi dire de l'intérieur de leur lutte économique, c'est-à-dire en partant uniquement (ou du moins principalement) de cette lutte, en se basant uniquement (ou du moins principalement) sur cette lutte)... [Lénine répond que] ...la conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.” ([12] [57]) La formule est confuse, mais l'idée est juste. Et ne correspond pas à ce qu'il défend dans les deux autres utilisations du terme “extérieur” quand il parle de la conscience. Sa pensée est encore plus précise dans un autre passage : “La lutte politique de la social-démocratie est beaucoup plus large et plus complexe que la lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement.” ([13] [58])

Lénine rejette très clairement la position développée par les économistes sur la conscience de classe comprise comme produit immédiat, direct, mécanique et exclusif des luttes économiques.

Nous sommes du côté de Que faire ? dans le combat contre l'économisme. Nous sommes aussi d'accord avec les arguments critiques utilisés contre l'économisme et nous disons qu'ils sont encore aujourd'hui d'actualité quant à leur contenu théorique et politique.

“L'idée selon laquelle la conscience de classe ne surgit pas de manière mécanique des luttes économiques est entièrement correcte. Mais l'erreur de Lénine consiste à croire qu'on ne peut pas développer la conscience de classe à partir des luttes économiques et que celle-ci doit être introduite de l'extérieur par un parti.” ([14] [59])

Est-ce là une nouvelle appréciation du CCI ? Voilà des citations de Que faire ? que nous reprenions à notre compte, en 1989, dans un article de polémique ([15] [60]) avec le BIPR pour appuyer, déjà, ce que nous disons aujourd'hui :

“La conscience socialiste des masses ouvrières est la seule base qui peut nous garantir le triomphe (...). Le parti doit avoir toujours la possibilité de révéler à la classe ouvrière l'antagonisme hostile entre ses intérêts et ceux de la bourgeoisie. [La conscience de classe atteinte par le parti] doit être diffusée parmi les masses ouvrières avec un zèle croissant. (...) il faut s'efforcer le plus possible d'élever le niveau de conscience des ouvriers en général. [La tâche du parti est de] tirer profit des étincelles de conscience politique que la lutte économique a fait pénétrer dans l'esprit des ouvriers pour élever ceux-ci au niveau de la conscience social-démocrate.” ([16] [61])

Pour les détracteurs de Lénine, les conceptions présentées dans Que Faire ? annoncent le stalinisme. Un lien unirait donc Lénine et Staline y compris en matière d'organisation ([17] [62]). Nous avons repoussé ce mensonge dans la première partie de cet article sur le plan historique. Et nous le repoussons aussi sur le plan politique, y compris sur les questions de la conscience de classe et de l'organisation politique.

Il y a une unité et une continuité de Que faire ? avec la révolution russe, mais surement pas avec la contre-révolution stalinienne. Cette unité et cette continuité existent avec tout le processus révolutionnaire qui relie les grèves de masse de 1905 et celles de 1917, qui va de février 1917 à l'insurrection d'octobre 1917. Pour nous, Que faire ? annonce les Thèses d'avril en 1917 : “Les masses trompées par la bourgeoisie sont de bonne foi. Il importe de les éclairer avec soin, persévérance, avec patience sur leur erreur, de leur montrer le lien indissoluble du capital et de la guerre impérialiste (...). Explication aux masses que les soviets représentent la seule forme possible de gouvernement ouvrier.” ([18] [63]) Pour nous, Que faire ? annonce l'insurrection d'octobre et le pouvoir des soviets.

Nos détracteurs actuels “anti-léninistes” passent complètement sous silence cette préoccupation centrale de Que Faire ? sur la conscience, reprenant ainsi un des éléments de la méthode stalinienne que nous avons dénoncée dans la première partie de cet article. Tel Staline qui faisait gommer les vieux militants bolcheviks sur les photos, ils gomment l'essentiel de ce que dit Lénine et nous accusent d'être devenus “léninistes”, c'est-à-dire staliniens.

Pour les laudateurs sans critique de Lénine tel le courant bordiguiste, nous serions d'indécrottables idéalistes par notre insistance sur le rôle et l'importance de “la conscience de classe dans la classe ouvrière” dans la lutte historique et révolutionnaire du prolétariat. Pour qui veut bien lire ce qu'a écrit Lénine et pour qui veut bien se plonger dans le processus réel de discussions et de confrontations politiques de l'époque, les deux accusations sont fausses.

La distinction de Que faire? entre organisation politique et organisation unitaire

Au niveau politique et organisationnel il y a d'autres apports fondamentaux dans Que faire ?. Il s'agit notamment de la distinction claire et précise que Lénine fait entre les organisations dont se dote la classe ouvrière dans ses luttes quotidiennes, les organisations unitaires, et les organisations politiques. Voyons d'abord l'acquis au plan politique.

“Ces cercles, associations professionnelles des ouvriers et organisations sont nécessaires partout ; il faut qu'ils soient le plus nombreux et que leurs fonctions soient le plus variées possible ; mais il est absurde et nuisible de les confondre avec l'organisation des révolutionnaires, d'effacer la ligne de démarcation qui existe entre eux (...) L'organisation d'un parti social-démocrate révolutionnaire doit nécessairement être d'un autre genre que l'organisation des ouvriers pour la lutte économique.” ([19] [64])

A ce niveau, cette distinction n'est pas une découverte pour le mouvement ouvrier. La social-démocratie internationale, particulièrement allemande, est claire sur la question. Mais Que faire ?, dans sa lutte contre la variante russe de l'opportunisme à cette époque, l'économisme, et tenant en compte les conditions particulières, concrètes, de la lutte de classe dans la Russie tsariste, est amené à aller plus loin et à avancer une idée nouvelle.

“L'organisation des révolutionnaires doit englober avant tout et principalement des hommes dont la profession est l'action révolutionnaire. Devant cette caractéristique commune aux membres d'une telle organisation doit s'effacer toute distinction entre ouvriers et intellectuels et, à plus forte raison, entre les diverses professions des uns et des autres. Nécessairement cette organisation ne doit pas être très étendue, et il faut qu'elle soit la plus clandestine possible.” ([20] [65])

Arrêtons-nous un instant là-dessus. Il serait erroné de voir dans ce passage des considérations liées uniquement aux conditions historiques dans lesquelles les révolutionnaires russes devaient agir, en particulier des conditions d'illégalité, de clandestinité et de répression. Lénine avance trois points qui ont une valeur universelle et historique. Et dont la validité n'a fait que se confirmer jusqu'à nos jours. La première est que le militantisme communiste est un acte volontaire et sérieux (il utilise le mot “professionnel” qui est aussi repris par les mencheviks dans les débats au congrès) qui engage le militant et détermine sa vie. Nous avons toujours été d'accord avec cette conception de l'engagement militant qui combat et rejette toute vision ou attitude dilettante.

Deuxièmement, Lénine défend une vision des rapports entre militants communistes qui dépasse la division ouvrier-intellectuel ([21] [66]), dirigeant-dirigé dirions-nous aujourd'hui, qui dépasse toute vision hiérarchique ou de supériorité individuelle, dans une communauté de lutte au sein du parti, au sein de l'organisation révolutionnaire. Et il s'oppose à toute division par métier ou par corporation entre les militants. Il rejette, par avance, les cellules d'entreprises qui seront mises en place lors de la bolchévisation au nom du léninisme ([22] [67]).

Enfin, il définit une organisation qui “ne doit pas être étendue”. Il est le premier à percevoir que la période des partis ouvriers de masse s'achève ([23] [68]). Certes, les conditions de la Russie favorisent surement cette clarté. Mais ce sont les nouvelles conditions de vie et de lutte du prolétariat, qui se manifestent en particulier par “la grève de masse”, qui déterminent aussi les nouvelles conditions d'activité des révolutionnaires, tout spécialement le caractère “moins étendu”, minoritaire, des organisations révolutionnaires dans la période de décadence du capitalisme qui s'ouvre au début du siècle.

“Mais ce serait (...) du "suivisme" que de penser que sous le capitalisme presque toute la classe ou la classe toute entière sera un jour en état de s'élever au point d'acquérir le degré de conscience et d'activité de son détachement d'avant-garde, de son Parti social-démocrate.” ([24] [69])

Si Rosa Luxemburg, Pannekoek ou Trotsky sont parmi les premiers à tirer les leçons de l'apparition des grèves de masse et des conseils ouvriers à la même époque, ils restent encore prisonniers d'une vision des partis comme organisations politiques de masse. Rosa Luxemburg critique Lénine du point de vue d'un parti de masse ([25] [70]). Au point d'arriver elle-aussi à déraper comme lorsqu'elle écrit que “en vérité la social-démocratie n'est pas liée à l'organisation de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière.” ([26] [71]) Victime, elle-aussi, du “tordage de barre” dans la polémique, victime de son positionnement aux côtés des mencheviks sur la question en jeu lors du 2e congrès du POSDR, elle glisse malencontreusement à son tour sur le terrain des mencheviks et des économistes en noyant l'organisation des révolutionnaires dans la classe ([27] [72]). Elle saura se ressaisir - et avec quel brio ! - par la suite. Mais sur la distinction entre organisation de l'ensemble de la classe ouvrière et organisation des révolutionnaires, les formules de Lénine restent les plus claires. Ce sont celles qui vont le plus loin.

Qui est membre du parti ?

Que faire? et Un pas en avant, deux pas en arrière représentent donc des avancées politiques essentiels dans l'histoire du mouvement ouvrier. Les deux ouvrages représentent plus exactement des acquis politiques “pratiques” sur le plan organisationnel. Comme Lénine, le CCI a toujours considéré la question organisationnelle comme une question politique à part entière. L'organisation politique de la classe se distingue de son organisation unitaire et cela a, à son niveau, des implications pratiques. Parmi celles-ci, la stricte définition de l'adhésion et de l'appartenance au parti, c'est à dire la définition du militant, de ses tâches, de ses devoirs, de ses droits, bref de ses rapports à l'organisation, est essentielle. La bataille du 2e congrès du POSDR autour de l'article 1 des statuts est connue : c'est le premier affrontement, au sein du congrès même, entre bolcheviks et mencheviks. La différence entre les formulations proposées par Lénine et Martov peut paraître tout à fait insignifiante :

Pour Lénine, “est membre du Parti celui qui en reconnaît le programme et soutient le Parti tant par des moyens matériels que par sa participation personnelle dans une des organisations du Parti.” Pour Martov, “est considéré comme appartenant au Parti ouvrier social-démocrate de Russie celui qui, tout en reconnaissant son programme, travaille activement à mettre en oeuvre ses tâches sous le contrôle et la direction des organismes du Parti.”

La divergence porte sur la reconnaissance de la qualité de membre soit aux seuls militants qui appartiennent au Parti et qui sont reconnus comme tel par ce dernier - c'est la position de Lénine -, soit aux militants qui n'appartiennent pas formellement au Parti, qui à tel ou tel moment, et sur telle ou telle activité apportent un soutien au Parti, ou bien se déclarent eux-mêmes social-démocrates. La position de Martov et des mencheviks est donc beaucoup plus large, plus “souple”, moins restrictive et moins précise que celle de Lénine.

Derrière cette différence se cache une question de fond qui est vite apparue durant le congrès et à laquelle les organisations révolutionnaires sont encore confrontées de nos jours : qui est membre du parti et, plus difficile encore parfois à définir, qui ne l'est pas ?

Pour Martov, c'est clair : “Plus sera généralisée l'appellation de membre du parti, mieux cela vaudra. Nous ne pouvons que nous réjouir si chaque gréviste, chaque manifestant, en prenant la responsabilité de ses actes, peut se déclarer membre du Parti.” ([28] [73])

La position de Martov tend à diluer, à dissoudre l'organisation des révolutionnaires, le parti dans la classe. Il rejoint l'économisme qu'il combattait auparavant aux côtés de Lénine. L'argumentation qu'il donne à sa proposition de Statut revient à liquider l'idée même de parti d'avant-garde, uni, centralisé et discipliné autour d'un Programme politique bien défini, bien précis et d'une volonté d'action militante et collective encore plus définie, précise et rigoureuse. Elle ouvre aussi la porte à des politiques opportunistes de “recrutement” sans principe de militants qui hypothèquent le développement du parti sur le long terme au profit de résultats immédiats. C'est Lénine qui a raison :

“Au contraire, plus fortes seront nos organisations du Parti englobant de véritables social-démocrates, moins il y aura d'hésitation et d'instabilité à l'intérieur du Parti, et plus large, plus variée, plus riche et plus féconde sera l'influence du Parti sur les éléments de la masse ouvrière qui l'environnent et sont dirigés par lui. Il n'est pas permis en effet de confondre le Parti, avant-garde de la classe ouvrière, avec toute la classe.” ([29] [74])

L'extrême danger de la position opportuniste de Martov en matière d'organisation, de recrutement, d'adhésion et d'appartenance au parti apparaît très rapidement dans le congrès même avec l'intervention d'Axelrod : “On peut être un membre sincère et dévoué du parti social-démocrate, mais être complètement inadapté à l'organisation de combat rigoureusement centralisée.” ([30] [75])

Comment peut-on être membre du parti, militant communiste, et “être inadapté à l'organisation de combat centralisée” ? Accepter une telle idée est tout aussi absurde qu'accepter l'idée d'un ouvrier combatif et révolutionnaire qui serait “inapte” à toute action collective de classe. Toute organisation communiste se doit de n'accepter en son sein que des militants aptes à sa discipline et à la centralisation de son combat. Comment peut-il en être autrement ? Sinon à accepter que les militants ne soient pas impérativement respectueux des rapports d'organisation et des décisions adoptées par celle-ci et de la nécessité du combat. Sinon à ridiculiser la notion même d'organisation communiste qui doit être “la fraction la plus résolue de tous les partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres.” ([31] [76]) La lutte historique du prolétariat est un combat de classe uni sur le plan historique et sur le plan international, collectif et centralisé. Et, à l'image de leur classe, les communistes mènent un combat historique, international, permanent, uni, collectif et centralisé qui s'oppose à toute vision individualiste. “Si la conscience critique et l'initiative volontaire n'ont qu'une valeur très limitée pour les individus, elles se trouvent pleinement réalisées dans la collectivité du Parti.” ([32] [77]) Quiconque est incapable de s'inscrire dans ce combat centralisé est inapte à l'activité militante et ne peut être reconnu comme membre du parti. “Que le Parti n'admette que des éléments susceptibles d'au moins un minimum d'organisation.” ([33] [78])

Cette “aptitude” est le fruit de la conviction politique et militante des communistes. Elle s'acquiert et se développe dans la participation à la lutte historique du prolétariat, tout particulièrement au sein de ses minorités politiques organisées. Pour toute organisation communiste conséquente, la conviction et l'aptitude “pratique” - non platonique - pour “l'organisation de combat rigoureusement centralisée” de tout nouveau militant sont à la fois des conditions indispensables pour son adhésion ainsi que des manifestations concrètes de son accord politique avec le Programme communiste.

La définition du militant, de la qualité de membre d'une organisation communiste est encore aujourd'hui une question essentielle. Que faire ? et Un pas en avant, deux pas en arrière fournissent les fondements et les réponses à de multiples questions en matière d'organisation. C'est pour cela que le CCI s'est toujours appuyé sur le combat des bolcheviks au 2e congrès pour distinguer, avec clarté, rigueur et fermeté un militant, c'est à dire celui “qui participe personnellement dans une des organisations du Parti”, comme le défend Lénine, et un sympathisant, un compagnon de route celui qui “adopte le programme, soutient le Parti par des moyens matériels et lui prête un concours personnel régulier [ou irrégulier, ajouterons-nous] sous la direction d'une de ses organisations”, tel que l'exprime la définition du militant selon Martov et qui est finalement adoptée par le 2e congrès. De même, nous avons toujours défendu que “dès l'instant où tu veux être membre du Parti, tu dois reconnaître aussi les rapports d'organisation, et pas seulement platoniquement.” ([34] [79])

Tout cela n'est pas nouveau pour le CCI. C'est à la base même de sa constitution comme le prouve l'adoption de ses Statuts dès son premier congrès international en janvier 1976.

Il serait erroné de croire que cette question ne pose plus problème aujourd'hui. D'abord, le courant conseilliste, même si ces dernières expressions politiques sont silencieuses, sinon sur le point de disparaître ([35] [80]), reste aujourd'hui une sorte d'héritier de l'économisme et du menchevisme en matière d'organisation. Dans une période de plus grande activité de la classe ouvrière, il ne fait pas de doute que les pressions d'ordre conseilliste pour “se leurrer soi-même, fermer les yeux sur l'immensité de nos tâches, restreindre ces tâches [en oubliant] la différence entre le détachement d'avant-garde et les masses qui gravitent autour de lui” ([36] [81]) prendront une nouvelle vigueur. Ensuite, même dans le milieu qui se revendique exclusivement de la Gauche Italienne et de Lénine, c'est-à-dire le courant bordiguiste et le BIPR, la mise en pratique de la méthode de Lénine et de sa pensée politique en matière d'organisation est loin d'être un acquis. Il n'est que de voir la politique de recrutement sans principe du PCI bordiguiste dans les années 1970. Cette politique de type activiste et immédiatiste a d'ailleurs fini par précipiter son explosion de 1982. Il n'est que de voir le manque de rigueur du BIPR (qui regroupe Battaglia Comunista en Italie, et la CWO en Grande-Bretagne) qui a du mal parfois à décider qui est militant de l'organisation ([37] [82]) et qui n'en est qu'un sympathisant, un contact proche; et cela malgré tous les risques qu'un tel flou organisationel comporte. L'opportunisme en matière d'organisation est aujourd'hui un des plus dangereux poisons pour le milieu politique prolétarien. Et malheureusement, les incantations à propos de Lénine et la nécessité du “Parti compact et puissant” ne peuvent servir d'antidote.

Lénine et le CCI : une même conception du militantisme

Que dit Rosa Luxemburg, dans sa polémique avec Lénine, sur la question du militant et de son appartenance au parti ?

“La conception qui est exprimée dans ce livre [Un pas en avant, deux pas en arrière] d'une manière pénétrante et exhaustive, est celle d'un centralisme impitoyable; son principe vital exige, d'un côté, que les phalanges organisées de révolutionnaires avoués et actifs sortent et se séparent résolument du milieu qui les entoure et qui, quoique non organisé, n'en est pas moins révolutionnaire; on y défend, d'autre part, une discipline rigide.” ([38] [83])

Sans se prononcer explicitement contre la définition précise du militant donné par Lénine, le ton ironique qu'elle a quand elle évoque “les phalanges organisées qui sortent et se séparent du milieu qui les entoure” et... son silence complet sur la bataille politique au congrès autour de l'article 1 des statuts, indiquent la vision erronée de Rosa Luxemburg, à ce moment-là, et son positionnement aux côtés des mencheviks. Elle reste prisonnière de la vision du parti de masse donnée en exemple par la social-démocratie allemande d'alors. Elle ne voit pas le problème ou l'esquive, se trompant de combat. Le fait qu'elle ne dise rien sur le débat autour de l'article 1 des statuts lors du congrès, vient donner raison à Lénine quand il affirme qu'elle “se borne à ressasser des phrases creuses sans chercher à leur donner un sens. Elle brandit des épouvantails sans aller au fond du débat. Elle me fait dire des lieux communs, des idées générales, des vérités absolues et s'efforce de rester muette sur des vérités relatives qui s'appuient sur des faits précis.” ([39] [84])

Comme dans le cas de Plékhanov et de beaucoup d'autres, les considérations générales avancées par Rosa Luxemburg - même quand elles sont justes en soi - ne répondent pas aux vraies questions politiques posées par Lénine. “C'est ainsi qu'un souci correct : insister sur le caractère collectif du mouvement ouvrier, sur le fait que «l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-même”, entraîne de fausses conclusions pratiques » disions-nous déjà à son sujet en 1979 ([40] [85]). Elle passe à côté des acquis politiques du combat des bolcheviks.

Or, sans le débat sur l'article 1, la question du parti clairement défini et clairement distinct, organisationnellement et politiquement, de l'ensemble de la classe ouvrière n'aurait pas été définitivement tranchée. Sans le combat mené par Lénine sur l'article 1, la question ne serait pas un acquis politique de première importance en matière d'organisation sur lequel les communistes d'aujourd'hui doivent impérativement s'appuyer pour constituer leur organisation, non seulement pour l'adhésion de nouveaux militants, mais aussi et surtout pour l'établissement clair, précis et rigoureux des rapports des militants à l'organisation révolutionnaire.

Est-ce que cette défense de la position de Lénine sur l'article 1 des statuts est nouvelle pour le CCI ? Avons-nous changé de position ?

“Pour être membre du CCI, il faut [...] s'intégrer dans l'organisation, participer activement à son travail et s'acquitter des tâches qui lui sont confiées” affirme l'article de nos statuts qui traite de la question de l'appartenance militante au CCI. Il est très clair que nous reprenons, sans aucune ambiguïté, la conception de Lénine, l'esprit et même la lettre du statut qu'il a proposé au 2e congrès du POSDR et surement pas celle de Martov et Trotsky. Il est dommage que les ex-membres du CCI qui nous accusent aujourd'hui d'être devenus “léninistes” aient oublié ce qu'ils avaient eux-mêmes adopté à l'époque. Sans doute l'avaient-ils fait avec une coupable légèreté et une grande insouciance dans l'enthousiasme estudiantin post-soixante-huitard. En tout cas, ils sont aujourd'hui particulièrement malhonnêtes quand ils accusent le CCI d'avoir changé de position afin de laisser entendre qu'ils seraient, eux, fidèles au vrai CCI, celui des origines.

LE CCI AUX COTES DE LENINE SUR LES STATUTS

Nous avons rapidement présenté notre conception du militant révolutionnaire et montré en quoi elle est l'héritière, pour une grande part du combat et des apports de Lénine dans Que faire ? et Un pas en avant, deux pas en arrière. Nous avons souligné l'importance de traduire le plus fidèlement et le plus rigoureusement possible dans la pratique militante quotidienne, au moyen des statuts de l'organisation, cette définition du militant. Et là encore, nous sommes fidèles depuis toujours à la méthode et aux enseignements de Lénine en matière d'organisation. Le combat politique pour l'établissement de règles précises régissant les rapports organisationnels, c'est-à-dire des statuts, est fondamental. Tout comme le combat pour leur respect bien sûr. Sans celui-ci, les grandes déclarations tonitruantes sur le Parti ne restent que des rodomontades.

Dans le cadre de cet article nous ne pouvons, faute de place, présenter notre conception de l'unité de l'organisation politique et montrer en quoi la lutte de Lénine contre le maintien des cercles, au 2e congrès du POSDR, est un apport théorique et politique considérable. Mais nous voulons insister sur l'importance pratique qu'il y a à traduire la nécessité de cette unité dans les statuts de l'organisation : “Le caractère unitaire du CCI s'exprime également dans les présents statuts” (statuts du CCI). Lénine en exprime très bien la raison et la nécessité.

“L'anarchisme de grand seigneur ne comprend pas que des statuts formels sont nécessaires précisément pour remplacer les liens limités des cercles par la large liaison du Parti. Le lien, à l'intérieur des cercles ou entre eux, ne devait ni ne pouvait revêtir une forme précise, car il était fondé sur la camaraderie ou sur une "confiance" incontrôlée et non motivée. La liaison du Parti ne peut et ne doit reposer ni sur l'une ni sur l'autre, mais sur des statuts formels, rédigés "bureaucratiquement" ([41] [86]) (du point de vue de l'intellectuel indiscipliné), dont seule la stricte observation nous prémunit contre le bon plaisir et les caprices des cercles, contre leurs disputailleries appelées libre "processus" de la lutte idéologique.” ([42] [87])

Il en est de même de la centralisation de l'organisation contre toute vision fédéraliste, localiste, ou vision de l'organisation comme une somme de parties, voire d'individus révolutionnaires, autonomes. “Le congrès international est l'organe souverain du CCI” (statuts du CCI). Sur ce plan aussi, nous nous revendiquons du combat de Lénine et de sa nécessaire traduction pratique dans les statuts de l'organisation, tant pour le POSDR à l'époque, que pour les organisations d'aujourd'hui.

“A l'époque du rétablissement de l'unité véritable du Parti et de la dissolution, dans cette unité, des cercles qui ont fait leur temps, ce sommet est nécessairement le congrès du Parti, organisme suprême de ce dernier.” ([43] [88])

C’est la même chose pour ce qui est de la vie politique interne : l'apport de Lénine concerne aussi et particulièrement les débats internes, le devoir - et non pas le simple droit - d'expression de toute divergence dans le cadre organisationnel face à l'ensemble de l'organisation; et une fois les débats tranchés et les décisions prises par le congrès (qui est l'organe souverain, la véritable assemblée générale de l'organisation), la subordination des parties et des militants au tout. Contrairement à l'idée, copieusement repandue, d'un Lénine dictatorial, cherchant à étouffer les débats et la vie politique dans l'organisation, celui-ci, en réalité, ne cesse de s'opposer à la vision menchevik qui voit le congrès comme “un enregistreur, un contrôleur, mais pas un créateur.” ([44] [89])

Pour Lénine et pour le CCI, le congrès est “créateur”. En particulier, nous rejetons radicalement toute idée de mandats impératifs des délégués par leurs mandants au congrès, ce qui est contraire aux débats les plus larges, les plus dynamiques et les plus fructueux. Et ce qui réduirait les congrès à n'être que des “enregistreurs” comme le voulait Trotsky en 1903. Un congrès “enregistreur” consacrerait la suprématie des parties sur le tout, le règne du “bougnat maître chez soi”, du localisme et du fédéralisme. Un congrès “enregistreur et contrôleur” est la négation du caractère souverain du congrès. Comme Lénine, nous sommes pour des congrès “organisme suprême” du parti qui ont pouvoir de décision et de “création”. Le congrès “créateur” implique des délégués qui ne sont pas “impérativement” limités, les mains liées, prisonniers du mandat qui leur est donné par leur mandants ([45] [90]).

Le congrès “organe suprême” implique aussi sa suprématie, en terme programmatique, politique et d'organisation, sur toutes les différentes parties de l'organisation communiste.

"Le congrès est l'instance suprême du Parti". Donc celui-là transgresse la discipline du Parti et le règlement du congrès qui, d'une façon ou d'une autre, empêche un délégué de s'adresser directement au congrès sur toutes les questions de la vie du Parti, sans réserve ni exception. La controverse se ramène par conséquent au dilemme : l'esprit de cercle ou l'esprit de Parti ? Limitation des droits des délégués au congrès, au nom de droits ou règlements imaginaires de toutes sortes de collèges ou cercles, ou dissolution complète, non seulement verbale, mais effective, devant le congrès, de toutes les instances inférieures, des anciens petits groupes.” ([46] [91])

Et sur ces points aussi, non seulement nous nous revendiquons du combat de Lénine, mais nous traduisons dans les règles organisationnelles, c'est à dire dans les statuts de notre organisation, ces conceptions dont nous sommes les héritiers et dont nous nous considérons comme les véritables continuateurs.

Les statuts ne sont pas des mesures exceptionnelles

Nous avons vu que Rosa Luxemburg et Trotsky, pour ne citer qu'eux, ne répondent pas à Lénine sur l'article 1 des statuts. Ils négligent complètement cette question tout comme celle des statuts en général. Ils préfèrent en rester, là-aussi, à des généralités abstraites. Et quand ils daignent évoquer la question des statuts, c'est pour la sous-estimer complètement. Au mieux, ils considèrent les statuts de l'organisation politique simplement comme des garde-fous, des bornes qui délimitent les côtés de la route et qu'il ne faut pas franchir. Au pire, ce ne sont que des outils de répression, des mesures exceptionnelles à n'utiliser qu'avec une extrême précaution. Relevons au passage que cette vision des statuts est la même que celle du stalinisme : lui aussi ne voit dans les statuts que des mesures de répression, la différence ne se situant que dans l'absence de “précaution”.

Pour Trotsky, la formule de Lénine dans l'article 1 aurait laissé “la satisfaction platonique [d'avoir] découvert le plus sûr remède statutaire contre l'opportunisme [...]. Aucun doute : il s'agit d'une manière simpliste, typiquement administrative de résoudre une question pratique sérieuse.” ([47] [92])

Rosa Luxemburg elle-même répond à Trotsky, sans le savoir bien sûr, quand elle affirme que, dans le cas d'un parti déjà constitué (dans le cas d'un parti social-démocrate de masse comme en Allemagne), “une application plus sévère de l'idée centraliste dans le statut d'organisation et une formulation plus stricte des paragraphes de la discipline de parti sont très appropriées en tant que digue contre le courant opportuniste.” (48[48] [93]) Elle est donc d'accord avec Lénine pour le cas allemand, c'est-à-dire en général. Pour le cas russe par contre, elle commence par dire des “vérités abstraites” (“Les égarements opportunistes ne peuvent être prévenus a priori, ils doivent être dépassé par le mouvement lui-même”) qui ne veulent rien dire et qui, dans la réalité, justifient “a priori” tout renoncement à la lutte contre l'opportunisme en matière d'organisation. Ce qu'elle ne manque pas de faire par la suite, toujours pour le cas du parti russe, c'est-à-dire dans le concret, en se moquant des statuts comme “des paragraphes de papier”, des “moyens paperassiers” et en les considérant comme des mesures exceptionnelles :

“Le statut du Parti ne devrait pas être une arme contre l'opportunisme, mais seulement un moyen d'autorité externe pour exercer l'influence prépondérante de la majorité révolutionnaire prolétarienne réellement existante dans le Parti.” ([49] [94])

Nous n'avons jamais été d'accord avec Rosa Luxemburg sur ce point : “Rosa continue à répéter que c'est au mouvement de masse lui-même à surmonter l'opportunisme ; les révolutionnaires n'ont pas à accélérer artificiellement ce mouvement. [...] Ce que Rosa Luxemburg ne parvient pas à comprendre, c'est le fait que le caractère collectif de l'action révolutionnaire est quelque chose qui se forge.” ([50] [95]) Sur la question des statuts, c'est avec Lénine que nous sommes et avons toujours été d'accord.

Les statuts comme règle de vie et comme arme de combat

Pour Lénine, les statuts sont beaucoup plus que de simples règles formelles de fonctionnement, règles auxquelles on ferait appel qu'en cas de situation exceptionnelle. A l'opposé de Rosa Luxemburg, ou des mencheviks, Lénine définit les statuts comme des lignes de conduite, comme l'esprit qui doit animer l'organisation et ses militants au quotidien. A l'opposé de la compréhension des statuts comme des moyens de répression ou de coercition, Lénine comprend les statuts comme des armes imposant la responsabilité des différentes parties de l'organisation et des militants, vis-à-vis de l'ensemble de l'organisation politique ; des armes contraignant au devoir d'expression ouverte, publique, devant toute l'organisation, des divergences et des difficultés politiques.

Lénine ne considère pas l'expression des points de vue, des nuances, des discussions, des divergences comme un droit des militants, un droit de l'individu face à l'organisation mais comme un devoir et une responsabilité vis-à-vis de l'ensemble du parti et de ses membres. Le militant communiste est responsable, devant ses camarades de lutte, de l'unité politique et organisationnelle du parti. Les statuts sont des outils au service de l'unité et de la centralisation de l'organisation, donc des armes contre le fédéralisme, contre l'esprit de cercle, contre le copinage, contre toute vie et discussions parallèles. Plus que des limites extérieures, plus même que des règles, les statuts, pour Lénine, sont comme un mode de vie politique, organisationnelle et militante.

“Les questions controversées, à l'intérieur des cercles, n'étaient pas tranchées d'après des statuts, «mais par la lutte et la menace de s'en alle” [...]. Quand j'étais uniquement membre d'un cercle [...], j'avais le droit, afin de justifier, par exemple, mon refus de travailler avec X, d'invoquer seulement ma défiance, incontrôlée, non motivée. Devenu membre du Parti, je n'ai pas le droit d'invoquer uniquement une vague défiance, car ce serait ouvrir toute grande la porte à toutes les lubies et à toutes les extravagances des anciens cercles ; je suis obligé de motiver ma confiance ou ma "défiance" par un argument formel, c'est-à-dire de me référer à telle à telle disposition formellement établie de notre programme, de notre tactique, de nos statuts. Mon devoir est de ne plus me borner à un «je fais confiance» ou «je ne fais pas confiance» incontrôlé, mais de reconnaître que je suis comptable de mes décisions, et qu'une fraction quelconque du Parti l'est des siennes, devant l'ensemble du Parti ; je dois suivre une voie formellement prescrite pour exprimer ma «défiance», pour faire triompher les idées et les désirs qui découlent de cette défiance. De la «confiance» incontrôlée, propre aux cercles, nous nous sommes élevés à une conception de parti qui réclame l'observation de formes strictes et de motifs déterminés pour exprimer et vérifier la confiance.” ([51] [96])

Les statuts de l'organisation révolutionnaire ne sont pas de simples mesures exceptionnelles, des garde-fous. Ils sont la concrétisation des principes organisationnels propres aux avant-gardes politiques du prolétariat. Produits de ces principes, ils sont à la fois une arme du combat contre l'opportunisme en matière d'organisation et les fondements sur lesquels l'organisation révolutionnaire doit s'élever et se construire. Ils sont l'expression de son unité, de sa centralisation, de sa vie politique et organisationnelle et de son caractère de classe. Ils sont la règle et l'esprit qui doivent guider quotidiennement les militants dans leur rapport à l'organisation, dans leurs relations avec les autres militants, dans les tâches qui leur sont confiées, dans leurs droits et leurs devoirs, dans leur vie quotidienne personnelle qui ne peut être en contradiction ni avec l'activité militante ni avec les principes communistes.

Pour nous, comme pour Lénine, la question organisationnelle est une question politique à part entière. Plus même, c'est une question politique fondamentale. L'adoption des statuts et le combat permanent pour leur respect et leur mise en application est au coeur de la compréhension et de la bataille pour la construction de l'organisation politique. Les statuts, eux-aussi, sont une question théorique et politique à part entière. Est-ce une découverte pour notre organisation ? Un changement de position ?

“Le caractère unitaire du CCI s'exprime également dans les présents statuts qui sont valables pour toute l'organisation [...]. Ces statuts constituent une application concrète de la conception du CCI en matière d'organisation. Comme tels, ils font partie intégrante de la plate-forme du CCI.” (Statuts du CCI)

LE PARTI COMMUNISTE SE CONSTRUIRA SUR LES ACQUIS POLITIQUES ORGANISATIONNELS APPORTES PAR LENINE

Dans la lutte du prolétariat, ce combat de Lénine représente un des moments essentiels pour la constitution de son organe politique qui s'est finalement concrétisé avec la fondation de l'International Communiste (IC) en mars 1919. Avant Lénine, la première internationale (AIT) avait représenté un moment tout aussi important. Après Lénine, le combat de la fraction italienne de la Gauche communiste pour sa propre survie organisationnelle, a représenté un autre moment important.

Entre ces différentes expériences, il y a un fil rouge, une continuité principielle, théorique, politique en matière d'organisation. Les révolutionnaires d'aujourd'hui ne peuvent ancrer leur action que dans cette continuité et dans cette unité historique.

Nous avons déjà amplement cité nos propres textes qui rappellent clairement et sans ambiguïté notre filiation et notre héritage en matière d'organisation. Notre “méthode” de réappropriation des acquis politiques et théoriques du mouvement ouvrier n'est pas une invention du CCI.

Nous en avons hérité de la fraction italienne de la Gauche communiste et de sa publication Bilan dans les années 1930, ainsi que de la Gauche communiste de France et sa revue Internationalisme dans les années 1940. C'est la méthode dont nous nous sommes toujours revendiqué et sans laquelle le CCI n'existerait pas, en tout cas pas dans sa forme actuelle.

“L'expression la plus achevée de la solution au problème du rôle que l'élément conscient, le parti, est appelé à jouer pour la victoire du socialisme, a été donnée par le groupe de marxistes russes de l'ancienne Iskra, et tout particulièrement par Lénine qui, dès 1902, a donné une définition principielle du problème du parti dans son remarquable ouvrage Que faire ?. La notion de Parti de Lénine servira de colonne vertébrale au parti bolchevik et sera un des plus grands apports de ce parti dans la lutte internationale du prolétariat.” ([52] [97])

 

Effectivement, et sans aucun doute, le Parti communiste mondial de demain ne pourra se constituer en dehors des acquis principiels, théoriques, politiques, et organisationnels que nous a fournis Lénine. La réappropriation réelle et non pas déclamatoire de ces acquis, tout comme leur mise en application rigoureuse et systématique aux conditions d'aujourd'hui, sont une des plus importantes tâches que les petits groupes communistes d'aujourd'hui doivent assumer s'ils veulent contribuer au processus de constitution de ce Parti.

RL


[1] [98] Brochure du CCI sur Organisations communistes et conscience de classe, 1979.

[2] [99] Kautsky, cité par Lénine dans Que faire ?

[3] [100] Trotsky, Nos tâches politiques, chap. Au nom du marxisme !, Editions P. Belfond, 1970.

[4] [101] PV du 2°congrès du POSDR, édition Era, 1977, traduit de l'espagnol par nous.

[5] [102] P. Axelrod, Sur l'origine et la signification de nos divergences organisationnelles, lettre à Kautsky, 1904, idem.

[6] [103] G. Plékhanov, La classe ouvrière et les intellectuels social-démocrates, 1904, idem.

[7] [104] Voir Grève de masse, parti et syndicats (R. Luxemburg, 1906) et 1905 (Trotsky, 1908-1909).

[8] [105] Voir la première partie de cet article dans le n°96 de cette revue.

[9] [106] Lénine, Rapport sur 1905, janvier 1917.

[10] [107] Lénine, Que faire ?.

[11] [108] K. Marx est beaucoup plus clair sur la question dans ses travaux. Mais ces derniers sont, pour une bonne partie d'entre eux, inconnus parmi les révolutionnaires à l'époque, car pas disponibles ou pas publiés. Ouvrage fondamental sur la question de la conscience, L'idéologie allemande, par exemple, ne sera publié pour la première fois qu'en... 1932 !

[12] [109] Lénine, Que faire ?.

[13] [110] Idem.

[14] [111] Organisations communistes et conscience de classe, brochure du CCI, 1979.

[15] [112] Cet article n'est pas du CCI, mais des camarades du Grupo Proletario Internacionalista qui ont par la suite constitué la section du CCI au Mexique. L'objet de l'article "avant de critiquer Lénine [est de] le défendre, essayer de restituer sa pensée, exprimer clairement quelles étaient sa préoccupation et ses intentions dans le combat contre le courant “économiste” contre la compréhension partielle et partiale de Que faire ? par le BIPR. Il oppose les passages cités, "la préoccupation, les intentions" de Lénine à la position du BIPR qui considère qu'"admettre que l'ensemble ou même la majorité de la classe ouvrière, compte tenu de la domination du capital, peut acquérir une conscience communiste avant la prise du pouvoir et l'instauration de la dictature du prolétariat, c'est purement et simplement de l'idéalisme" (La conscience de classe dans la perspective communiste, Revue Communiste n°2, publié par le BIPR).

[16] [113] "Conscience de classe et Parti", Revue Internationale n° 57, 1989.

[17] [114] Au milieu des mensonges de la bourgeoisie, il convient de relever la petite contribution de RV, ex-militant du CCI, qui déclare qu'"il y a une véritable continuité et cohérence entre les conceptions de 1903 et des actions comme l'interdiction des fractions au sein du parti bolchévik ou l'écrasement des ouvriers insurgés à Kronstadt" (RV, "Prise de position sur l'évolution récente du CCI", publié par nos soins dans notre brochure sur La prétendue paranoïa du CCI).

[18] [115] Lénine, "Thèses d'Avril", 1917.

[19] [116] Lénine, Que faire ?

[20] [117] Idem, c'est Lénine qui souligne.

[21] [118] Il n'est pas besoin de rappeler ici la faiblesse du niveau "scolaire" et l'analphabétisme qui régnaient parmi les ouvriers russes. Ca n'empêche pas Lénine de considérer qu'ils peuvent et doivent s'intégrer à l'activité du parti au même titre que les "intellectuels".

[22] [119] Voir la première partie de cet article dans la revue précédente.

[23] [120] "Rupture sera faite également, par lui, avec la vision social-démocrate du parti de masse. Pour Lénine, les conditions nouvelles de la lutte imposent la nécessité d'un parti minoritaire d'avant-garde qui doit oeuvrer pour la transformation des luttes économiques en luttes politiques" (Organisations communistes et conscience de classe, CCI. 1979).

[24] [121] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, sur le paragraphe 1 des statuts.

[25] [122] "Cette militante qui est passée par les écoles du parti social-démocrate, développe un attachement inconditionnel au caractère de masse du mouvement révolutionnaire" (Organisations communistes et conscience de classe, CCI. 1979).

[26] [123] Rosa Luxemburg, Questions d'organisation dans la social-démocratie russe, chap1, Belfond.

[27] [124] Le lecteur aura remarqué aussi que cette vision laisse grande ouverte la porte à la position substitutionniste du parti - le parti se substituant à l'action de la classe ouvrière... jusqu'à exercer le pouvoir d'Etat en son nom ou bien à réaliser des actions "putchistes" comme le feront les staliniens dans les années 1920.

[28] [125] Martov, cité par Lénine dans Un pas en avant, deux pas en arrière, i) le paragraphe 1 des statuts.

[29] [126] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, i) le paragraphe premier des statuts

[30] [127] Procès-verbal du 2e congrès du POSDR, édition Era, 1977, traduit de l'espagnol par nous.

[31] [128] K. Marx, Le Manifeste du Parti Communiste.

[32] [129] Thèses sur la tactique du Parti Communiste d'Italie, Thèses de Rome, 1922.

[33] [130] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, souligné par Lénine, i) paragraphe premier.

[34] [131] Le bolchevik Pavlovitch cité par Lénine dans Un pas en avant, deux pas en arrière.

[35] [132] Voir notre presse territoriale sur l'arrêt de la publication de Daad en Gedachte, la revue du groupe conseilliste hollandais du même nom.

[36] [133] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière.

[37] [134] Nous avons déjà critiqué le flou et l'opportunisme de BC en Italie sur cette question à propos des militants des GPL (cf. notre presse territoriale, en français Révolution Internationale n° 285, décembre 1998). Ce cas n'est pas isolé : est apparu sur le site Internet du BIPR un article "Est-ce les révolutionnaires doivent travailler dans les syndicats réactionnaires ?" Dans cet article, non signé, et où l'auteur peut apparaître comme membre de la CWO, il est répondu à la question du titre : "les matérialistes, pas les idéalistes, doivent répondre par l'affirmative" avec deux arguments principaux. "Beaucoup de travailleurs combatifs se trouvent dans les syndicats" et "les communistes ne doivent pas mépriser ces organisations qui regroupent les travailleurs en masse" (sic). Cette position est en contradiction complète avec la position de BC - et donc du BIPR nous supposons - réaffirmée lors de son dernier congrès qui défend qu'"il ne peut y avoir de réelle défense des intérêts ouvriers, même les plus immédiats, qu'en dehors et contre la ligne syndicale". Et surtout, le problème est qu'on ne saît pas qui a écrit l'article : un militant ou un sympathisant du BIPR ? Et dans les deux cas, pourquoi aucune prise de position, aucune critique ? Est-ce par oubli ? Par opportunisme afin de recruter un nouveau militant apparemment mal dégagé du gauchisme ? Ou bien par simple sous-estimation de la question organisationnelle ? Une fois de plus pour les groupes du BIPR, cela sent son Martov... Depuis, à notre connaissance, le texte a été retiré sans autre mention du site internet.

[38] [135] Rosa Luxemburg, Questions d'organisation de la social-démocratie russe.

[39] [136] Lénine, Réponse à Rosa Luxemburg, publié dans Nos tâches politiques, Trotsky, Edition Belfond.

[40] [137] Organisations communistes et conscience de classe, CCI.

[41] [138] Encore un exemple de la méthode polémique de Lénine qui reprend les accusations de ses adversaires pour les retourner contre eux (cf. la première partie de cet article).

[42] [139] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière. q) la nouvelle Iskra.

[43] [140] Idem.

[44] [141] Trotsky, Rapport de la délégation sibérienne.

[45] [142] Le délégué du Parti Communiste Allemand, Eberlein à ce qui n'était au départ qu'une conférence internationale en mars 1919, avait le mandat de s'opposer à la constitution de la 3e Internationale, de l'Internationale Communiste (IC). Il était clair pour tous les participants, en particulier, Lénine, Trotsky, Zinoviev, les dirigeants bolcheviks, que la fondation de l'IC ne pouvait se faire sans l'adhésion du PC allemand. Si Eberlein était resté "prisonnier" d'un mandat impératif, sourd aux débats et à la dynamique même de la conférence, l'Internationale comme Parti mondial du prolétariat, n'aurait pas été fondée.

[46] [143] Lénine, Un pas en avant, deux pas arrière, chap c) début du congrès.

[47] [144] Trotsky, Rapport de la délégation sibérienne.

 

[48] [145] Rosa Luxemburg, Question d'organisation d'organisation de la social-démocratie russe.

[49] [146] Idem, souligné par nous.

[50] [147] Organisations communistes et conscience de classe, CCI, 1979.

[51] [148] Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière. q) l'opportunisme en matière d'organisation.

 

[52] [149] Internationalisme n° 4, 1945.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [150]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [151]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [152]

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