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Le 20e siècle a vu l’entrée du système capitaliste dans sa phase de décadence marquée par la Première Guerre mondiale et par la première tourmente révolutionnaire internationale du prolétariat qui a mis fin à cette guerre et qui a engagé le combat pour une société communiste. A cette époque déjà, le marxisme révolutionnaire avait annoncé l’alternative pour l’humanité - socialisme ou barbarie - et avait prédit qu’en cas d’échec de la révolution, la Première Guerre mondiale serait suivie par une seconde et par la plus importante et dangereuse régression de la culture humaine dans l’histoire de l’humanité. Avec l’isolement et l’étranglement de la révolution d’Octobre en Russie - conséquence de la défaite de la révolution mondiale - la plus profonde contre-révolution de l’histoire, avec à sa tête le stalinisme, a triomphé pour un demi-siècle. En 1968, une nouvelle génération invaincue de prolétaires a mis fin à cette contre-révolution et a barré la route du processus inhérent de la descente du capitalisme vers une troisième guerre mondiale avec la probable destruction de l’humanité. Vingt ans plus tard, le stalinisme s’effondrait - non cependant sous les coups du prolétariat mais de par l’entrée du capitalisme décadent dans sa phase finale de décomposition.
Dix ans après, le siècle se termine comme il a commencé, c’est-à-dire dans les convulsions économiques, les conflits impérialistes et le développement des luttes de classe. En particulier l’année 1999 est, dès à présent, marquée par l’aggavation considérable des conflits impérialistes que représente l'offensive militaire de l’Otan déclenchée à la fin mars contre la Serbie.
Aujourd’hui, le capitalisme agonisant fait face à une des périodes les plus difficiles et dangereuses de l’histoire moderne, comparable dans sa gravité à celle des deux guerres mondiales, au surgissement de la révolution prolétarienne en 1917-1919 ou encore à la grande dépression qui débuta en 1929. Cependant, à l’heure actuelle, ni la guerre mondiale, ni la révolution mondiale ne sont en gestation dans un avenir prévisible. Plus exactement, la gravité de la situation est conditionnée par l’aiguisement des contradiction à tous les niveaux :
- celui des tensions impérialistes et du développement du désordre mondial ;
- une période très avancée et dangereuse de la crise du capitalisme ;
- des attaques sans précédent depuis la dernière guerre mondiale contre le prolétariat international ;
- une décomposition accélérée de la société bourgeoise.
Dans cette situation pleine de périls, la bourgeoisie a confié les rênes du gouvernement aux mains du courant politique le plus capable de prendre soin de ses intérêts : la Social-Démocratie, le principal courant responsable de l’écrasement de la révolution mondiale après 1917-1918. Le courant qui a sauvé le capitalisme à cette époque et qui revient aux postes de commande pour assurer la défense des intérêts menacés de la classe capitaliste.
La responsabilité qui pèse sur le prolétariat aujourd’hui est énorme. C’est uniquement en développant sa combativité et sa conscience qu’il pourra mettre en avant l’alternative révolutionnaire qui seule peut assurer la survie et l’ascension continue de la société humaine. Mais la responsabilité la plus importante repose sur les épaules de la Gauche communiste, sur les organisations présentes du camp prolétarien. Elles seules peuvent fournir les leçons théoriques et historiques ainsi que la méthode politique sans lesquelles les minorités révolutionnaires qui émergent aujourd’hui ne peuvent se rattacher à la construction du parti de classe du futur. En quelque sorte, la Gauche communiste se trouve aujourd’hui dans une situation similaire à celle de Bilan des années 1930, au sens où elle est contrainte de comprendre une situation historique nouvelle sans précédent. Une telle situation requiert à la fois un profond attachement à l’approche théorique et historique du Marxisme et de l’audace révolutionnaire pour comprendre les situations qui ne sont pas totalement intégrées dans les schémas du passé. Afin d’accomplir cette tâche, les débats ouverts entre les organisations actuelles du milieu prolétarien sont indispensables. En ce sens, la discussion, la clarification et le regroupement, la propagande et l’intervention des petites minorités révolutionnaires sont une partie essentielle de la réponse prolétarienne à la gravité de la situation mondiale au seuil du prochain millénaire.
Plus encore, face à l’intensification sans précédent de la barbarie guerrière du capitalisme, la classe ouvrière attend de son avant-garde communiste d’assumer pleinement ses responsabilités en défense de l’internationalisme prolétarien. Aujourd’hui les groupes de la Gauche communiste sont les seuls à défendre les positions classiques du mouvement ouvrier face à la guerre impérialiste. Seuls les groupes qui se rattachent à ce courant, le seul qui n’ait pas trahi au cours de la seconde guerre mondiale, peuvent apporter une réponse de classe aux interrogations qui ne manqueront pas de se faire jour au sein de la classe ouvrière.
C’est de façon la plus unie possible que les groupes révolutionnaires doivent apporter cette réponse exprimant en cela l’unité indispensable du prolétariat face au déchaînement du chauvinisme et des conflits entre nations. Ce faisant les révolutionnaires reprendront à leur compte la tradition du mouvement ouvrier représentée particulièrement par les conférences de Zimmerwald et de Kienthal et par la politique de la Gauche au sein de ces conférences.
Les conflits impérialistes
1) La nouvelle guerre qui vient d'éclater dans l'ex- Yougoslavie avec les bombardements de l'OTAN sur la Serbie, le Kosovo et le Monténégro, constitue l'événement le plus important sur la scène impérialiste depuis l'effondrement du bloc de l'Est à la fin des années 1980. Il en est ainsi parce que :
- cette guerre concerne non plus un pays de la périphérie, comme ce fut le cas de la guerre du Golfe en 1991, mais un pays européen ;
- c'est la première fois depuis la seconde guerre mondiale qu'un pays d'Europe - et notamment sa capitale - est bombardé massivement ;
- c'est aussi la première fois depuis cette date que le principal pays vaincu de cette guerre, l'Allemagne, intervient directement avec les armes dans un conflit militaire ;
- cette guerre constitue un pas de plus, et de grande amplitude, dans le processus de déstabilisation de l'Europe, avec un impact de premier ordre sur l’aggravation du chaos mondial.
Ainsi, après la dislocation de la Yougoslavie, à partir de 1991, c'est la principale composante de celle-ci, la Serbie qui est menacée de dislocation en même temps que se profile l'éventualité de la disparition de ce qui restait de l'ancienne fédération Yougoslave (Serbie et Monténégro). Plus largement, la guerre actuelle, notamment à travers la question de l'arrivée massive de réfugiés en Macédoine, est porteuse d'une déstabilisation de ce pays avec la menace d'une implication de la Bulgarie et de la Grèce, qui, avec leurs propres prétentions, se considèrent comme ses “ parrains ”. Avec l'implication possible de la Turquie, à partir du moment où la Grèce est concernée, la crise actuelle risque de provoquer un véritable embrasement de toute la région des Balkans et d’une bonne partie de la Méditerranée.
Par ailleurs, la guerre qui vient d'éclater risque de provoquer de très sérieuses difficultés au sein de toute une série de bourgeoisies européennes.
En premier lieu, l'intervention de l'OTAN contre un allié traditionnel de la Russie, constitue pour la bourgeoisie de ce pays une véritable provocation qui ne peut que la déstabiliser encore plus. D'une part, il est clair que la Russie ne dispose plus des moyens de peser sur la situation impérialiste mondiale dès lors que les grandes puissances, et particulièrement les Etats-Unis, y sont impliquées. En même temps, toute une série de secteurs au sein de la bourgeoisie russe se manifestent contre l'impuissance actuelle de la Russie, particulièrement les secteurs ex-staliniens et les ultra-nationalistes, ce qui va encore déstabiliser davantage le gouvernement de ce pays. Par ailleurs la paralysie de l'autorité de Moscou ne peut être qu'une incitation pour différentes républiques de la fédération de Russie à contester le gouvernement central.
En second lieu, si au sein de la bourgeoisie allemande il existe une réelle homogénéité en faveur de l'intervention, d'autres bourgeoisies comme la bourgeoisie française, peuvent être affectées par la contradiction entre leur alliance traditionnelle envers la Serbie et la participation à l'action de l'OTAN.
De même, certaines bourgeoisies comme la bourgeoisie italienne peuvent craindre les répercussions de la situation actuelle du point de vue de la menace d'un nouvel afflux de réfugiés de cette partie du monde.
2) Un des aspects qui souligne le plus l'extrême gravité de la guerre qui se développe aujourd'hui est justement le fait qu'elle se déroule au cœur même des Balkans qui, depuis le début du siècle, ont été considérés comme la poudrière de l'Europe.
Dès avant la première guerre mondiale, il y avait déjà eu deux “ guerres balkaniques ” qui constituaient certaines des prémisses de la boucherie impérialiste, et surtout celle-ci avait comme point de départ la question des Balkans avec la volonté de l'Autriche de mette au pas la Serbie et la réaction de la Russie en faveur de son allié serbe. La formation du premier Etat yougoslave après la première guerre mondiale constituait une des expressions de la défaite de l'Allemagne et de l'Autriche. En ce sens, elle constituait déjà, au même titre que l'ensemble de la paix de Versailles, un des points de friction majeurs ouvrant la porte à la seconde guerre mondiale. Alors que, au cours de la seconde guerre mondiale, les différentes composantes de la Yougoslavie s'étaient rangées derrière leurs alliés traditionnels (Croatie du côté de l'Allemagne, Serbie du côté des alliés), la reconstitution de la Yougoslavie au lendemain du deuxième conflit mondial sur des frontières très proches du premier Etat yougoslave, constituait à nouveau la concrétisation de la défaite du bloc allemand et du barrage que les alliés entendaient maintenir face aux visées impérialistes allemandes en direction du Moyen-Orient.
En ce sens, l'attitude très offensive de l'Allemagne en direction des Balkans immédiatement après l'effondrement du bloc de l'Est, lorsque la solidarité face à la Russie n'avait plus de raison d'être (attitude qui a stimulé l'éclatement de l'ex- Yougoslavie avec la constitution des deux Etats indépendants de Slovénie et de Croatie), mettait en évidence que cette région redevenait un des foyers des affrontements entre les puissances impérialistes en Europe.
Aujourd'hui, un facteur supplémentaire de la gravité de la situation est constitué par le fait que, contrairement à la première guerre mondiale ou même la seconde, les Etats-Unis affirment une présence militaire dans cette région du monde. La première puissance mondiale ne pouvait pas rester absente d'un des théâtres principaux des affrontements impérialistes en Europe et en Méditerranée signifiant ainsi sa détermination à être présente dans toutes les zones cruciales où s'affrontent les différents intérêts impérialistes.
3) Même si les Balkans constituent un des épicentres des tensions impérialistes, la forme actuelle de la guerre (l'ensemble des pays de l'OTAN contre la Serbie) ne recouvre pas les véritables antagonismes d'intérêts qui existent entre les différents belligérants. Avant que de mettre en avant les véritables buts des participants à la guerre, il importe de rejeter tant les justifications que les fausses explications qui sont données du conflit :
La justification officielle des pays de l'OTAN, c'est-à-dire une opération humanitaire en faveur des populations albanaises du Kosovo, est radicalement démentie par le simple fait que jamais cette population n'avait subi une répression aussi brutale de la part des forces armées serbes que depuis le début des bombardements de l’OTAN; et cela était déjà prévu par la bourgeoisie américaine et l'ensemble de celles de l'OTAN bien avant l'opération (comme d'ailleurs certains secteurs de la bourgeoisie américaine le rappellent aujourd'hui). L'opération de l'OTAN n'est pas la première intervention militaire qui se pare des habits de “ l'action humanitaire ”, mais c'est une de celles où le mensonge éclate de la façon la plus évidente.
Par ailleurs, il faut également écarter toute idée que l'action actuelle de l'OTAN représenterait une reconstitution du camp occidental contre la puissance de la Russie. Ce n'est pas parce que la bourgeoisie russe est gravement affectée par la guerre actuelle que les pays de l'OTAN visaient ce but en y participant. Ces pays, et notamment les Etats-Unis, n'ont aucun intérêt à aggraver le chaos qui existe déjà en Russie.
Enfin, les explications (qu'on retrouve même parmi des groupes révolutionnaires) qui essaient d'interpréter l'offensive actuelle de l'OTAN comme une tentative de contrôler les matières premières dans la région constituent une sous-estimation, voire un aveuglement, face à la véritable ampleur des enjeux. En se voulant “ matérialiste ”, en donnant une explication de la guerre basée uniquement sur la recherche d'intérêts économiques immédiats, elles s’écartent d’une véritable compréhension marxiste de la situation présente.
Cette situation est en premier lieu déterminée par la nécessité pour la première puissance mondiale d'affirmer et de réaffirmer en permanence sa suprématie militaire alors que depuis l'effondrement du bloc de l'Est son autorité sur ses anciens alliés s'est évanouie.
En deuxième lieu, la présence active de l'Allemagne pour la première fois depuis un demi siècle dans ce conflit exprime un nouveau pas accompli par cette puissance en vue d'affirmer son statut de candidat à la direction d'un futur bloc impérialiste. Ce statut suppose d'être reconnu comme une puissance militaire de premier plan capable de jouer un rôle direct sur le terrain militaire, et la couverture que lui offre aujourd'hui l'OTAN lui permet de contourner l'interdiction implicite, qui lui avait été faite depuis sa défaite dans la seconde guerre mondiale, d'intervenir militairement dans les conflits impérialistes.
En outre, dans la mesure où l'opération actuelle s'attaque à la Serbie, “ ennemi traditionnel ” de l'Allemagne dans ses visées en direction du Moyen-Orient, cette opération va dans le sens des intérêts de l'impérialisme allemand, surtout si elle aboutit au démembrement de la fédération yougoslave et de la Serbie elle-même avec la perte du Kosovo.
Pour les autres puissances qui sont impliquées dans la guerre, notamment pour la Grande-Bretagne et la France, il existe une contradiction entre leur alliance traditionnelle avec la Serbie, qui s'était manifestée de façon très claire pendant la période où l'ex-Forpronu était dirigée par ces puissances, et l'opération actuelle. Pour ces deux pays, ne pas participer à l'opération “ Force déterminée ” signifiait être exclus du jeu dans une région aussi importante que celle des Balkans ; le rôle qu'ils pouvaient jouer dans une résolution diplomatique de la crise yougoslave était conditionné par l'importance de leur participation aux opérations militaires.
4) En ce sens, la participation de pays comme la France ou la Grande-Bretagne à l'opération actuelle de “ Force déterminée ” contient des similitudes très importantes avec la participation militaire directe (cas de la France) ou financière (Allemagne, Japon) à l'opération “ Tempête du désert ” en 1991. Cependant, il existe, au delà de ces similitudes, des différences très importantes entre la guerre actuelle et celle de 1991.
Une des caractéristiques majeures de la guerre du Golfe de 1991 était la planification par la bourgeoisie américaine de l'ensemble du déroulement de l'opération depuis le piège tendu à Saddam Hussein durant l'été 1990 jusqu'à la fin des hostilités concrétisée par le retrait des troupes irakiennes du Koweït. Cela exprimait le fait que, tout de suite après l'effondrement du bloc de l'Est conduisant à la disparition du bloc occidental, les Etats-Unis conservaient encore un leadership très fort sur la situation mondiale, ce qui leur avait permis de réaliser un sans-faute dans la conduite des opérations aussi bien militaires que diplomatiques et ce, même si la guerre du Golfe avait pour vocation de faire taire les velléités de contestation de l'hégémonie américaine qui s'étaient déjà manifestées, particulièrement de la part de la France et de l'Allemagne. A cette époque, les anciens alliés des Etats-Unis n'avaient pu encore avoir l'occasion de développer leurs propres visées impérialistes en contradiction avec celles des Etats-Unis.
La guerre qui se déroule aujourd'hui ne correspond pas à un tel scénario écrit de la première à la dernière ligne par la puissance américaine. Entre 1991 et aujourd'hui, la contestation de l'autorité des Etats-Unis s'est manifestée à de nombreuses reprises; y compris de la part de pays de second plan tel qu'Israël, mais aussi de la part des alliés les plus fidèles de la guerre froide comme la Grande-Bretagne. Justement, c'est en Yougoslavie que s'était manifesté cet événement historique inédit qui était le divorce entre les deux meilleurs alliés du 20ème siècle, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis; lorsque la Grande-Bretagne, à côté de la France, avait joué son propre jeu. Les difficultés des Etats-Unis à affirmer leurs propres intérêts impérialistes en Yougoslavie avaient d’ailleurs constitué une des causes du remplacement de Bush par Clinton.
En outre, la victoire finalement obtenue par les Etats-Unis, à travers les accords de Dayton de 1996, ne constituait pas une victoire définitive dans cette partie du monde ni un arrêt de la tendance générale de la perte de son leadership comme première puissance mondiale.
Aujourd'hui, même si les Etats-Unis sont à la tête de la croisade anti-Milosevic, ils doivent compter beaucoup plus qu'auparavant avec les jeux spécifiques des autres puissances – notamment l'Allemagne - ce qui introduit un facteur considérable d'incertitude sur l'issue de l'ensemble de l'opération.
En particulier, il n'existait pas, sur cette question, un seul scénario écrit d'avance de la part de la bourgeoisie américaine mais plusieurs. Le premier scénario qui avait les faveurs de la bourgeoisie américaine, c'était une reculade de Milosevic face au chantage de frappes militaires comme cela avait été le cas avant les accords de Dayton.
C'est ce scénario que les Etats-Unis avec l'envoi de Holbrooke ont essayé de dérouler jusqu'au bout à la suite même de l'échec de la conférence de Paris.
En ce sens, si l'intervention militaire massive des Etats-Unis en 1991 était la seule option envisagée par ce pays dans la crise du Golfe (et il a fait en sorte qu'il en n'y en ait pas d'autre, en empêchant toute solution diplomatique) l'option militaire, tel qu'elle se déroule aujourd'hui, résulte de l'échec de l'option diplomatique (avec le chantage militaire) représenté par les conférences de Rambouillet et de Paris.
La guerre actuelle avec la nouvelle déstabilisation qu'elle représente dans la situation européenne et mondiale, constitue une nouvelle illustration du dilemme dans lequel se trouvent aujourd'hui enfermés les Etats-Unis. La tendance au “ chacun pour soi ” et l'affirmation de plus en plus explicite des prétentions impérialistes de leurs anciens alliés les obligent de façon croissante à faire étalage et usage de leur énorme supériorité militaire. En même temps, cette politique ne peut aboutir qu'à une aggravation encore plus grande du chaos qui règne déjà dans la situation mondiale.
Un des aspects de ce dilemme se manifeste dans le cas présent, comme cela avait d'ailleurs été le cas avant Dayton lorsque les Etats-Unis avaient favorisé les ambitions croates dans la Krajina, par le fait que leur intervention militaire fait, d'une certaine façon, le jeu de leur principal rival potentiel, l'Allemagne. Cependant, l'échelle de temps dans lequel s'expriment les intérêts impérialistes respectifs de l'Allemagne et les Etats-Unis est très différente. C'est à long terme que l'Allemagne est obligée d'envisager son accession au rang de superpuissance alors que c'est dès maintenant, et déjà depuis plusieurs années, que les Etats-Unis sont confrontés à la perte de leur leadership et à la montée du chaos mondial.
5) Un trait essentiel du désordre mondial actuel est donc l’absence de blocs impérialistes. En effet, dans la lutte pour la survie de tous contre tous dans le capitalisme décadent, la seule forme qu’un ordre mondial plus ou moins stable peut assumer est une organisation bipolaire en deux camps guerriers rivaux. Cela ne signifie cependant pas que l’absence actuelle de blocs impérialistes est la cause du chaos contemporain puisque le capitalisme décadent a déjà connu une période où il n’y avait pas de bloc impérialiste - celle des années 20 - sans que cela implique un chaos particulier de la situation mondiale.
En ce sens, la disparition des blocs en 1989, et la dislocation de l’ordre mondial qui s’en est suivie, sont des signes que nous avons désormais atteint une étape beaucoup plus avancée dans la décadence du capitalisme qu’en 1914 ou 1939. C’est l’étape de décomposition, la phase finale de la décadence du capitalisme.
En dernière analyse, cette phase est le produit du poids permanent de la crise historique, l’accumulation de toutes les contradictions d’un mode de production en déclin s’étalant sur un siècle entier. Mais la période de décomposition a été inaugurée par un facteur spécifique : le blocage du chemin vers une guerre mondiale sur deux décennies grâce à une génération invaincue du prolétariat. En particulier, le Bloc de l’Est, plus faible, s’est finalement effondré sous le poids de la crise économique parce qu’en dernière analyse il a été incapable de s’acquitter de sa raison d’être : la marche vers la guerre généralisée.
Ceci confirme une thèse fondamentale du Marxisme à propos du capitalisme du 20e siècle selon laquelle la guerre est devenue son mode d’existence dans sa période de déclin. Cela ne veut pas dire que la guerre est une solution à la crise du capitalisme - tout au contraire. Ce que cela veut dire c’est que la marche vers la guerre mondiale - et donc en fin de compte la destruction de l’humanité - est devenu le moyen à travers lequel l’ordre impérialiste est maintenu. C’est le mouvement vers la guerre globale qui oblige les Etats impérialistes à se regrouper et à accepter la discipline des leaders de blocs. C’est le même facteur qui permet à l’Etat-nation de maintenir un minimum d’unité au sein de la bourgeoisie elle-même ; ce qui a permis jusqu'à présent au système de limiter l’atomisation totale de la société bourgeoise agonisante en lui imposant la discipline de caserne ; ce même facteur a contrecarré le vide idéologique d’une société sans avenir en créant une communauté du champ de bataille.
Sans la perspective d’une guerre mondiale, la voie est libre pour le plus complet développement de la décomposition capitaliste : un développement, qui même sans guerre mondiale, a le potentiel de détruire l’humanité.
La perspective aujourd’hui est à une multiplication et à une omniprésence de guerres locales et d’interventions des grandes puissances, que les Etats bourgeois sont en mesure de développer jusqu'à un certain point sans l’adhésion du prolétariat.
6) Rien ne nous permet d’exclure la possibilité de formation de nouveaux blocs dans l’avenir. L’organisation bi-polaire de la compétition impérialiste qui est une tendance “ naturelle ” du capitalisme en déclin, est déjà apparue en germe, au tout début de la nouvelle phase de la décadence capitaliste, en 1989-90, avec l’unification de l’Allemagne et continue à s’affirmer via la montée en puissance de ce pays.
Bien que restant un facteur important de la situation internationale, la tendance à la formation de blocs ne peut cependant être réalisée dans un futur prévisible : les contre-tendances travaillant contre elle sont plus fortes que jamais auparavant de par l’instabilité croissante à la fois des alliances et de la situation interne de la plupart des puissances capitalistes. Pour le moment, la tendance aux blocs a principalement pour effet de renforcer elle-même le “ chacun-pour-soi ” dominant.
En fait, le processus de formation de nouveaux blocs n’est pas fortuit mais suit un certain scénario et requiert certaines conditions de développement, comme les blocs des deux guerres mondiales et de la guerre froide l’ont clairement montré. Dans chacun de ces cas, les blocs impérialistes ont regroupé d’une part un nombre de pays “ démunis ” contestant la division existante du monde et ainsi assumant le rôle “ offensif ” de “ fauteurs de troubles ” et, d’autre part, un bloc de puissances “ nanties ” en tant que bénéficiaires principaux du statu-quo, et partant, principaux défenseurs de celui-ci. Pour parvenir à se constituer, le bloc challenger des insatisfaits a besoin d'un leader qui soit assez fort militairement pour défier les principales puissances du statu-quo, un leader derrière lequel les autres nations “ démunies ” peuvent se rallier.
Actuellement, il n’existe aucune puissance capable, même un tant soit peu, de défier militairement les Etats-Unis. L’Allemagne et le Japon, les rivaux les plus solides de Washington, ne disposent toujours pas de l'arme atomique, un attribut essentiel d’une grande puissance moderne. Quant à l’Allemagne, le leader “ désigné ” d’un éventuel futur bloc contre les Etats-Unis à cause de sa position centrale en Europe, elle ne fait pas partie à l'heure actuelle des Etats “ démunis ”. En 1933, l’Allemagne était quasiment une caricature d’un tel Etat : elle était coupée de ses zones d’influence stratégiques proches en Europe centrale et du sud-est suite au Traité de Versailles, financièrement en banqueroute et déconnectée du marché mondial par la grande dépression et l’autarcie économique des empires coloniaux de ses rivaux. Aujourd’hui, au contraire, la montée en puissance de l’influence allemande dans ses zones d’influence d’antan se révèle irrésistible ; c’est le cœur économique et financier de l’économie européenne. C’est pourquoi l’Allemagne, à l’opposé de son attitude avant les deux guerres, appartient aujourd’hui aux puissances les plus “ patientes ”, capable de développer sa puissance d’une manière déterminée et agressive, mais aussi méthodiquement et, jusqu’ici, souvent discrètement.
En réalité, la façon dont l’ordre mondial de Yalta a disparu - une implosion sous la pression de la crise économique et de la décomposition, et non à travers une redivision du monde via la guerre - a donné naissance à une situation dans laquelle il n’y a plus de zones d’influence des différentes puissances clairement définies et reconnues. Même les zones qui, il y a dix ans, apparaissaient comme l’arrière-cour de certaines puissances (l'Amérique Latine ou le Moyen-Orient pour les Etats-Unis, la zone francophone d’Afrique pour la France) sont englouties dans le “ chacun-pour-soi ” ambiant. Dans une telle situation, il est encore très difficile de voir quelles puissances appartiendront finalement au groupe des pays “ nantis ” et lesquelles finiront les mains vides.
7) En réalité, ce n’est pas tant l’Allemagne ou n’importe quel autre challenger de la seule superpuissance mondiale restante mais les Etats-Unis eux-mêmes qui, dans les années 1990, ont assumé le rôle de la puissance “ agressive ” militairement à l’offensive. En retour, cela est la plus claire expression d’une nouvelle étape dans le développement de l’irrationalité de la guerre dans le capitalisme décadent, directement liée à la phase de décomposition
L’irrationalité de la guerre est le résultat du fait que les conflits militaires modernes - contrairement à ceux de l’ascendance capitaliste (guerres de libération nationale ou de conquête coloniale qui aidaient à l’expansion géographique et économique du capitalisme) - visent uniquement au repartage des positions économiques et stratégiques déjà existantes. Dans ces circonstances, les guerres de la décadence, via les dévastations qu’elles causent et leur coût gigantesque, ne représentent pas un stimulant mais un poids mort pour le mode de production capitaliste. A travers leur caractère permanent, totalitaire et destructif, elles menacent l’existence même des Etats modernes. En conséquence, bien que la cause des guerres capitalistes reste la même - la rivalité entre les Etats-nations - leur but change. Plutôt que des guerres à la poursuite de profits économiques certains, elles deviennent de façon croissante des guerres à la poursuite d’avantage stratégiques destinés à assurer la survie de la nation en cas de conflagration globale. Tandis que dans l’ascendance capitaliste le militaire était au service des intérêts de l’économie, dans la décadence, c’est de plus en plus l’économie qui est au service des besoins du militaire. L’économie capitaliste devient l’économie de guerre. Comme les autres expressions majeures de la décomposition, l’irrationalité de la guerre est de ce fait une tendance générale qui se déploie tout au long du capitalisme décadent. Déjà en 1915, la brochure de Junius de Rosa Luxembourg reconnaissait la primauté des considérations stratégiques globales sur les intérêts économiques immédiats pour les principaux protagonistes de la Première Guerre mondiale. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Gauche Communiste de France pouvait déjà formuler la thèse de l’irrationalité de la guerre.
Mais durant ces guerres et la Guerre froide qui a suivi, un reste de rationalité économique s’exprimait dans le fait que le rôle offensif était principalement assumé, non par les puissances du statu-quo tirant des avantages économiques de la division existante du monde, mais par celles largement exclues de ces avantages.
Aujourd’hui, même la guerre dans l’ex Yougoslavie, dont aucun des pays belligérants ne peut attendre le moindre avantage économique, confirme ce qui s’était déjà manifesté avec éclat lors de la guerre du Golfe en 1991 : l’absolue irrationalité de la guerre d’un point de vue économique.
8) Le fait que, aujourd’hui, la guerre ait perdu toute rationlité économique, qu’elle soit uniquement synonyme de chaos, ne signifie en aucune façon que la bourgeoisie affronte cette situation de façon désordonnée ou empirique. Au contraire : cette situation contraint la classe dominante à une prise en charge particulièrement systématique et à long terme des préparatifs guerriers. Cela s’est exprimé au cours de la dernière période notamment par :
- le développement de systèmes d’armements toujours plus sophistiqués et coûteux en Amérique, en Europe et au Japon en particulier - armements qui sont avant tout requis par les grandes puissances pour des conflits futurs éventuels les unes contre les autres ;
- l’augmentation des budgets de “ défense ”, Etats-Unis en tête (100 milliards de dollars supplémentaires alloués pour la modernisation des forces armées dans les 6 années à venir) - inversant une certaine tendance vers la baisse des budgets militaires à la fin de la Guerre Froide (les prétendus “ dividendes de la paix ”) .
Au niveau politique et idéologique, des signes de préparation sérieuse à la guerre sont perceptibles par :
- le développement de toute une idéologie pour justifier les interventions militaires : celle de “ l’humanitaire ” et de la défense des “ droits de l’homme ” ;
- la venue au gouvernement dans la plupart des grands pays industrialisés des partis de gauche, les plus à même de représenter cette propagande belliciste humanitaire (d’une importance particulière en Allemagne, où la coalition SPD-Verts a le mandat de surmonter les obstacles politiques à l'intervention militaire de ce pays à l’extérieur de ses frontières) ;
- l’orchestration d’attaques politiques systématiques contre les traditions internationalistes du prolétariat contre la guerre impérialiste (dénigrement de Lénine comme agent de l’impérialisme allemand durant la Première Guerre mondiale, de Bordiga comme collabo du bloc fasciste durant la Seconde Guerre mondiale, de Rosa Luxembourg - comme récemment en Allemagne - en tant que précurseur du Stalinisme etc.). Plus le capitalisme se dirige vers la guerre, plus l’héritage et les organisations actuelles de la Gauche Communiste vont être la cible privilégiée de la bourgeoisie.
En fait, ces campagnes idéologiques de la bourgeoisie ne visent pas seulement à préparer le terrain politique pour la guerre. L'objectif fondamental qui est visé par la classe dominante est de détourner le prolétariat de sa propre perspective révolutionnaire, une perspective que l'aggravation incessante de la crise capitaliste mettra nécessairement de plus en plus à l'ordre du jour.
La crise économique
8) Si, à l’époque du déclin capitaliste, la crise économique prend un caractère permanent et chronique, c’est principalement à la fin des périodes de reconstruction après les guerres mondiales que cette crise a revêtu un caractère ouvertement catastrophique avec des chutes brutales de la production, des profits et des conditions de vie des ouvriers, une augmentation dramatique du chômage de masse. Cela a été le cas de 1929 à la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas aujourd’hui.
Bien que depuis la fin des années 1960, la crise se soit déployée d’une façon plus lente et moins spectaculaire qu’après 1929, la manière avec laquelle les contradictions économiques d’un mode de production en déclin se sont accumulées sur trois décennies, devient aujourd’hui de plus en plus difficile à cacher. Les années 1990 en particulier - malgré toute la propagande sur la “ bonne santé économique ” et les “ profits fantastiques ” du capitalisme - ont été des années d’une accélération énorme de la crise économique, dominées par des marchés chancelants, des entreprises en banqueroute et un développement sans précédent du chômage et de la paupérisation.
Au début de la décennie, la bourgeoisie a caché ce fait en présentant l’effondrement du bloc de l’Est comme la victoire finale du capitalisme sur le communisme. En réalité la faillite de l’Est a été un moment-clé dans l’approfondissement de la crise capitaliste mondiale. Elle a révélé la banqueroute d’un modèle bourgeois de gestion de la crise : le Stalinisme. Depuis lors, l'un après l’autre, les “ modèles économiques ” ont mordu la poussière, en commençant par la deuxième et la troisième puissances industrielles du monde, le Japon et l’Allemagne. Elles devaient être suivies par l’échec des Tigres et des Dragons d’Asie et des économies “ émergentes ” d’Amérique Latine. La banqueroute ouverte de la Russie a confirmé l’incapacité du “ libéralisme occidental ” à régénérer les pays d’Europe de l’Est.
Jusqu'à présent, la bourgeoisie, en dépit de décennies de crise chronique, a toujours été convaincue qu’il ne peut plus y avoir de convulsions économiques aussi profondes que celles de la “ Grande Dépression ” qui, après 1929, ont ébranlé les fondations mêmes du capitalisme. Bien que la propagande bourgeoise essaie encore de présenter la catastrophe économique qui a englouti l’Asie de l’Est et du Sud-Est en 1997, la Russie en 1998 et le Brésil au début de 1999, comme particulièrement sévère mais comme une récession conjoncturelle et temporaire, ce que ces pays ont subi en vérité est une dépression en tous points aussi brutale et dévastatrice que celle des années 1930. Le chômage qui a triplé, les chutes de 10% ou plus de la production en une année parlent d’eux-mêmes. De plus, des régions comme l’ancienne URSS ou l’Amérique Latine sont toutes deux incomparablement plus touchées par la crise que pendant les années 1930.
Il est vrai que les ravages à cette échelle sont encore principalement restreints à la périphérie du capitalisme. Mais cette “ périphérie ” inclut non seulement des producteurs agricoles et de matières premières mais aussi des pays industriels comprenant des dizaines de millions de prolétaires. Elle inclut la huitième et la dixième économie du monde : le Brésil et la Corée du Sud. Elle inclut le plus grand pays sur terre, la Russie. Elle va bientôt inclure le pays le plus peuplé, la Chine, où, après l’insolvabilité de la plus grande compagnie d’investissement, la Gitic, la confiance des investisseurs internationaux a commencé à s’effriter.
Ce que toutes ces banqueroutes démontrent c’est que l’état de santé de l’économie mondiale est bien pire que dans les années 1930. Contrairement à 1929, la bourgeoisie dans les trente dernières années n’a pas été surprise ou inactive face à la crise mais a réagi en permanence afin de contrôler son cours. C’est ce qui donne au déploiement de la crise sa nature très prolongée et impitoyablement profonde. La crise s’approfondit malgré tous les efforts de la classe dominante. La caractère soudain, brutal et incontrôlé de la crise de 1929, d’autre part, s’explique par le fait que la bourgeoisie avait démantelé le contrôle capitaliste d’Etat de l’économie (qu’elle avait été contrainte d’introduire pendant la Première Guerre mondiale), et elle n'a réintroduit et imposé ce régime qu’à partir du début des années 1930. En d’autres termes : la crise a frappé aussi brutalement parce que les instruments de l’économie de guerre des années 1930 et la coordination internationale des économies occidentales après 1945 n’avaient pas encore été développés. En 1929, il n’existait pas encore un état permanent de surveillance de l’économie, des marchés financiers et des accords commerciaux internationaux, pas de prêteur de dernier recours, pas de brigade internationale de pompiers pour renflouer les pays en difficulté. Entre 1997-99 au contraire, toutes ces économies d’une importance économique et politique considérable pour le monde capitaliste ont été anéanties malgré l’existence de tous ces instruments capitalistes d’Etat. Le Fonds Monétaire International, par exemple, avait soutenu le Brésil en injectant des fonds considérables déjà avant la crise récente, dans la continuité de sa nouvelle stratégie de prévention des crises. Il avait promis de défendre la monnaie brésilienne “ à tous prix ” - et il a échoué.
9) Bien que les pays centraux du capitalisme aient échappé à ce sort jusqu'à présent, ils sont en train de faire face à leur pire récession depuis la guerre - au Japon c’est déjà commencé.
Aujourd`hui la bourgeoisie veut rejeter la résponsabilité des difficultés accrues des économies des pays centraux sur les crises “ asiatiatique ”, “ russe ”, “ brésilienne ”, etc. mais c’est le contraire qui constitue la réalité : c'est l'impasse croissante des économies centrales, due à l'épuissement des marchés solvables, qui a provoqué l'effondrement successif des “ tigres ” et des “ dragons ”, de la Russie, du Brésil, etc. La récession au Japon révèle la réduction considérable de la marge de manoeuvre des pays centraux - une série de programmes conjoncturels “ Keynésiens ” massifs du gouvernement (la recette “ découverte ” par la bourgeoisie dans les années 1930) a échoué à remettre à flot l’économie et empêcher la récession :
- la dernière opération de sauvetage - 520 milliards de dollars pour renflouer des banques insolvables - n’a pas réussi à restaurer la confiance dans le système financier ;
- la politique traditionnelle agressive de maintien de l’emploi dans le pays, via des offensives d’exportation sur le marché mondial, a atteint ses limites : le chômage augmente rapidement, la politique des taux d’intérêts négatifs pour fournir des liquidités suffisantes et maintenir un Yen faible favorable aux exportations est à bout de souffle. Il est dorénavant clair que ces buts, de même qu’une réduction de la dette publique, ne peuvent être atteints que par un retour à une politique inflationniste à la manière des années 1970. Cette tendance, que d’autres pays industrialisés vont suivre, signifie le début de la fin de la fameuse “ victoire sur l’inflation ” et de nouveaux dangers pour le commerce mondial.
En Amérique, le prétendu “ boom ” de ces dernières années a été accompli aux dépens du reste du monde à travers une véritable explosion de sa balance commerciale, de ses déficits des paiements, et à travers un endettement faramineux des ménages (l’épargne aux Etats-Unis est maintenant virtuellement inexistante). Les limites d’une telle politique sont dorénavant en voie d’être atteintes, avec ou sans la “ grippe asiatique ”.
Quant à “ l’Euroland ”, le seul “ modèle ” capitaliste restant aux côtés de l’Amérique, la situation n'y est pas plus brillante : dans les principaux pays d'Europe occidentale la plus courte et faible reprise d’après guerre arrive à sa fin avec la chute des taux de croissance et l’augmentation du chômage, en particulier en Allemagne.
C’est la récession dans les pays centraux qui, au début du nouveau siècle, va révéler l’étendue complète de l’agonie du mode de production capitaliste.
10) Mais si historiquement l’impasse du capitalisme est beaucoup plus flagrante que dans les années 1930 et si la phase actuelle représente l'accélération la plus importante de la crise des trois décennies écoulées, cela ne signifie pas que l’on doit s’attendre à un effondrement abrupt et catastrophique dans les pays du cœur du capitalisme comme dans les années 1930. C’est ce qui s’est passé en Allemagne entre 1929-1932 quand (selon les statistiques de l’époque) la production industrielle avait chuté de 50%, les prix de 30%, les salaires de 60% et le chômage avait augmenté de 2 à 8 millions en l’espace de 3 ans.
Aujourd’hui, au contraire, bien que considérablement profonde et s’accélérant, la crise garde son caractère plus ou moins contrôlé et étalé dans le temps. La bourgeoisie démontre sa capacité à éviter une répétition du krach de 1929. Elle a réussit cela non seulement au moyen de la mise en place d’un régime capitaliste d’Etat permanent depuis les années 1930, mais surtout à travers une gestion de la crise coordonnée internationalement en faveur des puissances les plus fortes. Elle a appris à faire cela après 1945 dans le cadre du bloc de l’Ouest qui rassemblait l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Asie orientale sous le leadership américain. Après 1989, elle a montré sa capacité à maintenir cette gestion de la crise, même en l’absence de blocs impérialistes. Ainsi, tandis qu’au niveau impérialiste, 1989 a marqué le début de la loi du chaos et du “ chacun-pour-soi ”, au niveau économique cela n’est pas encore le cas.
Les deux conséquences les plus dramatiques de la crise de 1929 furent :
- l’effondrement du commerce mondial sous une avalanche de dévaluations compétitives et de mesures protectionnistes menant à l’autarcie des années d’avant-guerre ;
- le fait que les deux nations capitalistes les plus solides, les Etats-Unis et l’Allemagne, furent les premières et les plus touchées par la dépression industrielle et le chômage de masse.
Les programmes nationaux capitalistes d’Etat qui furent alors adoptés par les différents pays - les Plans quinquennaux en URSS, les Plans de quatre ans en Allemagne, le New Deal aux Etats-Unis etc. - ne changèrent en aucune façon la fragmentation du marché mondial : ils se conformèrent à ce cadre comme leur point de départ. A l’opposé de cela, face à la crise des années 1970 et 80, la bourgeoisie occidentale a agi rigoureusement pour empêcher un retour de ce protectionnisme extrême des années 1930, puisque cela était la précondition pour s’assurer que les pays centraux ne seraient pas les premières victimes comme en 1929, mais les derniers à souffrir des conséquences les plus brutales de la crise. Le résultat de ce système a été que toute une série de secteurs de l’économie mondiale tels que l’Afrique, la plus grande partie de l’Europe de l’Est, la plus grande partie de l’Asie et de l’Amérique Latine ont été, ou vont être, pratiquement éliminés en tant qu’acteurs sur la scène mondiale et plongés dans la barbarie la plus innommable.
Dans son combat contre Staline au milieu des années 1920, Trotsky a démontré que non seulement le socialisme mais même un capitalisme hautement développé est “ impossible ” dans “ un seul pays ”. En ce sens, l’autarcie des années 1930 fut un immense retour en arrière pour le système capitaliste. En fait, cela était possible uniquement parce que la voie vers la guerre mondiale était ouverte - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
11) La gestion capitaliste d’Etat de la crise internationale actuelle impose certaines règles pour la guerre commerciale entre les capitaux nationaux - aux plans commercial, financir, monétaire ou des accords d’investissement et des traités - règles sans lesquelles le commerce mondial dans les conditions présentes serait impossible.
Que cette capacité des principales puissances (sous-estimée par le CCI au début des années 1990) n’ait pas encore atteint sa limite est attestée par le projet d’une monnaie européenne unique, montrant comment la bourgeoisie est contrainte, à cause de l’avancée de la crise, à prendre des mesures de plus en plus compliquée et audacieuses pour se protéger. L’Euro est d’abord et avant tout une gigantesque mesure capitaliste d’Etat pour contrecarrer un des points faibles du système les plus dangereux dans ses lignes de défense : le fait que parmi les deux centres du capitalisme mondial, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale, cette dernière est divisée en une série de capitaux nationaux, chacun avec leur propre monnaie. Des fluctuations monétaires dramatiques entre ces monnaies, telles que celles qui ont frappé le Système Monétaire Européen au début des années 1990, ou les dévaluations compétitives comme dans les années 1930, menacent de paralyser le commerce au sein de l’Europe. Ainsi, loin de représenter un pas vers un bloc impérialiste européen, le projet de l’Euro est soutenu par les Etats-Unis qui seraient une des principales victimes d’un effondrement du marché européen.
L’Euro, comme l’Union Européenne elle-même, illustre aussi comment cette coordination entre Etats, loin d’abolir la guerre commerciale entre eux, est une méthode en vue de l’organiser en faveur du plus fort. Si la monnaie unique est un point d’ancrage de stabilité pour l’économie européenne, elle est en même temps un système destiné à assurer la survie des puissances les plus fortes (surtout le pays qui dicte les conditions de sa mise en place, l’Allemagne) aux dépens des participants les plus faibles (qui est la raison pour laquelle la Grande-Bretagne, à cause de sa force traditionnelle comme puissance financière mondiale, peut encore se permettre le luxe de rester en dehors de la zone Euro).
Nous sommes face à un système capitaliste d’Etat infiniment plus développé que celui de Staline, Hitler ou Roosevelt dans les années 1930, au sein duquel non seulement la concurrence au sein de chaque Etat-nation mais jusqu'à un certain point celle des capitaux nationaux sur le marché mondial prend un caractère moins spontané, plus régulé - en fait plus politique. Ainsi, après la débâcle de la “ crise asiatique ”, les leaders des principaux pays industriels ont insisté pour qu’à l’avenir le FMI adopte des critères plus politiques en décidant quels pays devront être maintenus “ la tête hors de l’eau ” et à quel prix (et à l’inverse, ceux qui pourront être éliminés du marché mondial).
12) Avec l’accélération de la crise, la bourgeoisie se trouve contrainte aujourd’hui de revoir sa politique économique : c’est l’une des raisons de la mise en place de gouvernements de gauche en Europe et au Etats-Unis. En Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne, les nouveaux gouvernements de gauche ont développé une critique de la politique antérieure de la “ globalisation ” et de la “ libéralisation ” lancée dans les années1980 sous Reagan et Thatcher, appelant à plus d’intervention étatique dans l’économie et pour une régulation des flux internationaux des capitaux. La bourgeoisie se rend compte aujourd’hui que cette politique a atteint ses limites.
La “ mondialisation ”, en baissant les barrières commerciales et pour les investissements en faveur de la circulation du capital, a été la réponse des puissances dominantes au danger du retour du protectionnisme et de l’autarcie des années 1930 : une mesure capitaliste d’Etat protégeant les concurrents les plus forts au dépens des plus faibles. Mais aujourd’hui, cette mesure a besoin à son tour d’une régulation d’Etat plus forte, visant non pas à congédier mais à contrôler le mouvement “ global ” du capital.
La “ mondialisation ” n’est pas la cause de la folle spéculation internationale de ces dernières années, mais elle a ouvert tout grand les portes à son développement. En conséquence, en étant un refuge du capital menacé par l’absence d’investissements profitables réels, la spéculation est devenue un énorme danger pour le capital. Si la bourgeoisie réagit à ce danger aujourd’hui, c'est non seulement parce que ce développement est en mesure de mettre sur les genoux des économies nationales entières plus périphériques du jour au lendemain (Thaïlande, Indonésie, Brésil etc.) mais surtout parce que les principaux groupes capitalistes leaders dans les grands pays risqueraient la banqueroute dans l’affaire. En fait, le but principal des programmes du FMI pour ces différents pays, ces deux dernières années, fut de sauver non pas les pays directement touchés, mais les investissements spéculatifs des capitalistes occidentaux dont la banqueroute auraient déstabilisé les structures financières internationales elles-mêmes.
De la même façon que la “ mondialisation ” n’a jamais remplacé la concurrence de l’Etat-nation par celle des multinationales, comme l’idéologie bourgeoise le prétendait, mais était une politique de certains capitaux nationaux, de même la politique de “ libéralisation ” n’a jamais constituée un affaiblissement du capitalisme d’Etat mais un moyen de le rendre plus efficace et, en particulier, de justifier les énormes coupes sombres dans les budgets sociaux. Cependant, la situation présente de crise aigüe demande une intervention étatique beaucoup plus directe et manifeste (comme la récente nationalisation des banques japonaises en faillite, une mesure qui a été demandée publiquement par les Etats du G7). De telles circonstances ne sont plus désormais compatibles avec une idéologie “ libérale ”.
A ce niveau également, la gauche du capital est mieux à même de mettre en œuvre les nouvelles “ mesures correctives ” (quelque chose que la résolution du 10e Congrès du CCI en 1993 avait déjà pointé avec le remplacement de Bush par Clinton aux Etats-Unis) :
- politiquement, parce que la gauche est historiquement moins liée à la clientèle des intérêts capitalistes privés que la droite et ainsi mieux à même d’adopter des mesures contre la volonté de groupes particuliers mais tout en défendant le capital national comme un tout ;
- idéologiquement, parce que la droite avait inventé et principalement mis en œuvre la politique précédente qui est dorénavant modifiée.
Cette modification ne signifie pas que la politique économique dite “ néo-libérale ” va être abandonnée. En fait, et comme expression de la gravité de la situation, la bourgeoisie est obligée de combiner les deux politiques, lesquelles ont des effets de plus en plus graves sur l'évolution de l'économie mondiale. Une telle combinaison, en fait un équilibre sur la corde raide entre les deux, malgré ses effets positifs dans l'immédiat mais de plus en plus faibles, ne peut qu'aggraver à terme la situation.
Ceci ne signifie cependant pas qu’il y a “ un point de non retour ” économique au-delà duquel le système serait voué à disparaître irrévocablement, ni qu’il y aurait une limite théorique définie au montant des dettes (la principale drogue du capitalisme à l’agonie) que le système peut s’administrer sans rendre sa propre existence impossible. En fait, le capitalisme a déjà dépassé ses limites économiques avec l’entrée dans sa phase de décadence. Depuis lors, le capitalisme a seulement réussi à survivre par une manipulation croissante des lois du capitalisme : une tâche que seul l’Etat peut effectuer.
En réalité, les limites de l'existence du capitalisme ne sont pas économiques mais fondamentalement politiques. Le dénouement de la crise historique du capitalisme dépend de l'évolution du rapport de forces entre les classes :
- soit le prolétariat dévéloppe sa lutte jusqu'à la mise en place de sa dictature révolutionnaire mondiale ;
- soit le capitalisme, à travers sa tendance organique vers la guerre, plonge l'humanité dans la barbarie et la destruction définitive.
La lutte de classe
13) En réponse aux premières manifestations de la nouvelle crise ouverte à la fin des années 1960, le retour de la lutte de classe en 1968, mettant un terme à quatre décennies de contre-révolution, a barré la route à la guerre mondiale et a ouvert à nouveau une perspective à l’humanité. Pendant les premières grandes luttes de la fin des années 1960 et du début des années 1970, une nouvelle génération de révolutionnaires commença à être sécrétée par la classe et la nécessité de la révolution prolétarienne fut débattue dans les assemblées générales de la classe. Pendant les différentes vagues de luttes ouvrières entre 1968 et 1989, une expérience de lutte difficile mais importante fut acquise et la conscience dans la classe se développa en confrontation avec la gauche du capital, particulièrement les syndicats, en dépit d’une série d’obstacles placés sur le chemin du prolétariat. Le plus haut point de toute cette période fut la grève de masse de 1980 en Pologne, démontrant que dans le bloc russe aussi - historiquement condamné par sa position de faiblesse à être “ l’agresseur ” dans toute guerre - le prolétariat n’était pas prêt à mourir pour l’Etat bourgeois.
Cependant, si le prolétariat a barré la route vers la guerre, il n’a pas été capable d’effectuer des pas significatifs vers une réponse à la crise du capitalisme : la révolution prolétarienne. C’est ce blocage dans le rapport de force entre les classes, où aucune des deux principales classes de la société moderne n'est en mesure d’imposer sa propre solution, qui a ouvert la période de décomposition du capitalisme.
En revanche, ce fut le premier véritable événement historique mondial de cette période de décomposition - l’effondrement des régimes staliniens (soi-disant communistes) en 1989 - qui mit un terme à toute une période de développement des luttes et de la conscience depuis 1968. Le résultat de ce tremblement de terre historique a été le plus profond recul dans la combativité et surtout dans la conscience du prolétariat depuis la fin de la contre-révolution.
Ce revers n’a pas représenté une défaite historique de la classe, comme le CCI l’a pointé à l’époque. Dès 1992, avec les importantes luttes en Italie, la classe ouvrière avait déjà repris le chemin de la lutte. Mais au cours des années 1990, ce chemin s’est révélé plus ardu à parcourir que dans les deux décennies précédentes. Malgré ces luttes, la bourgeoisie en France en 1995, et peu après en Belgique, en Allemagne et aux Etats-Unis, fut en mesure de tirer profit de la combativité hésitante et de la désorientation politique de la classe et organisa des mouvements spectaculaires visant spécifiquement à restaurer la crédibilité des syndicats, ce qui affaiblit encore plus la conscience de classe des ouvriers. A travers de telles actions, les syndicats atteignirent leur plus haut niveau de popularité depuis plus d’une décennie. Après les manoeuvres syndicales massives en novembre et décembre 1995 en France, la résolution sur la situation internationale du 12e congrès de la section du CCI en France de 1996 notait : “ ... dans les principaux pays du capitalisme, la classe ouvrière se retrouve ramenée à une situation comparable à celle des années 1970 en ce qui concerne ses rapports aux syndicats et au syndicalisme ” (...) “ ... la bourgeoisie a momentanément réussi à effacer des consciences ouvrières les leçons acquises au cours des années 1980, suite aux expériences répétées de confrontation aux syndicats. ”
Tout ce développement confirme qu’après 1989, le chemin vers des affrontements de classe décisifs est devenu plus long et plus difficile.
14) Malgré ces énormes difficultés, les années 1990 ont été une décennie de redéveloppement des luttes de classe. Cela était déjà visible au milieu des années 1990 à travers la stratégie de la bourgeoisie elle-même :
- les manoeuvres syndicales annoncées à grand renfort de publicité visaient à renforcer les syndicats avant qu’une accumulation importante de la combativité ouvrière ne rende ces mobilisations à grande échelle trop dangereuses ;
- les “ mouvements de chômeurs ” qui ont suivi, tout aussi artificiellement orchestrés en France, Allemagne et dans d’autres pays en 1997-98, destinés à créer une division entre actifs et chômeurs – cherchant à culpabiliser les premiers, créant des structures syndicales en vue de l’encadrement futur des derniers – a révélé l’inquiétude de la classe dominante face au potentiel radical du chômage et des chômeurs ;
- les campagnes idéologiques énormes et incessantes (partant souvent de thèmes liés à la décomposition comme celle à propos de l’affaire Dutroux en Belgique, du terrorisme de l’ETA en Espagne, de l’extrème droite en France, en Autriche ou en Allemagne) appelant à la défense de la démocratie, se sont multipliées pour saboter la réflexion des ouvriers, prouvant que la classe dominante elle-même était convaincue de l’inévitabilité de l'accroissement de la combativité ouvrière avec l’aggravation de la crise et des attaques. Et il faut noter que toutes les actions préventives furent coordonnées et montées en épingle à un niveau international.
La justesse de l’instinct de classe de la bourgeoisie a été rendue évidente par une augmentation des luttes ouvrières vers la fin de la décennie.
A nouveau, la manifestation la plus importante d’un sérieux développement de la combativité est venu des pays du “ Bénélux ”, avec des grèves dans différents secteurs en 1997 aux Pays Bas, notamment dans le plus grand port du monde, Rotterdam. Ce signal important allait bientôt être confirmé dans un autre petit pays d’Europe occidentale mais hautement développé, le Dannemark, quand presqu’un million de travailleurs du secteur privé (un quart des salariés de ce pays) partirent en grève pendant presque deux semaines en mai 1998. Ce mouvement révéla :
- une tendance à la massivité des luttes ;
- l’obligation pour les syndicats de reprendre leurs habitudes de contrôler, isoler et saboter les mouvements de luttes de sorte que les ouvriers à la fin de ces mouvements n’apparurent pas euphoriques (comme en France en 1995) mais avaient perdus leurs illusions ;
- la nécessité pour la bourgeoisie de reprendre internationalement sa politique de minimisation de luttes ou, chaque fois que possible, de faire le black out sur elles afin de ne pas étaler le “ mauvais exemple ” de la résistance ouvrière.
Depuis lors, cette vague de luttes s’est poursuivie dans deux directions :
- des actions à grande échelle organisées par les syndicats (Norvège, Grèce, Etats-Unis, Corée du Sud) sous la pression d’un mécontentement ouvrier grandissant ;
- une multiplication de petites luttes non-officielles, quelques fois même spontanées, dans les nations capitalistes centrales d’Europe (France, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne) que les syndicats prennent en charge pour les encadrer et les isoler.
Significatifs sont les faits suivants :
- la simultanéité grandissantedes luttes à l'échelle nationale et internationale, notamment en Europe occidentale ;
- l’irruption du combat en réponse aux différents aspects des attaques capitalistes : licenciements et chômage, baisse des salaires réels, coupes sombres dans le “ salaire social ”, conditions insupportables d’exploitation, réduction de congés etc. ;
- l’embryon d’une réflexion au sein de la classe sur les revendications et comment lutter et même sur l’état actuel de la société ;
- l’obligation pour la bourgeoisie – bien que les syndicats officiels ne soient pas encore sérieusement discrédités dans les récents mouvements – de développer à temps la carte du “ syndicalisme de combat ” ou “ de base ” avec l’implication forte du gauchisme.
15) Malgré ces pas en avant, l’évolution de la lutte de classe depuis 1989 est restée difficile non sans reculs, surtout à cause :
- du poids de la décomposition, un facteur de plus en plus prégnant contre le développement d’une solidarité collective et d’une réflexion théorique, historique et cohérente de la classe ;
- de la véritable dimension du recul qui a débuté en 1989, qui, au niveau de la conscience, va peser négativement et à long terme puisque c’est la perspective du communisme elle-même qui a été attaquée.
Soulignant ce recul - qui a fait revenir la lutte prolétarienne à plus de dix ans en arrière –est le fait qu’à l’époque de la décomposition, le temps ne joue plus en faveur du prolétariat. Bien qu’une classe non-vaincue puisse empêcher la dérive vers la guerre mondiale, elle ne peut empêcher la prolifération de toutes les manifestations de pourrissement d’un ordre social en décomposition.
En fait, ce recul est lui-même l’expression d’un retard de la lutte prolétarienne, face à une accélération générale du déclin du capitalisme. En particulier, malgré toute la signification de la Pologne en 1980 pour la situation mondiale, neuf ans plus tard, ce n’est pas la lutte de classe internationale qui a fait tomber le Stalinisme en Europe de l’Est – la classe ouvrière étant complètement absente au moment de son effondrement.
Néanmoins, la faiblesse centrale du prolétariat entre 1968 et 1989 ne consistait pas en un retard général (à l’opposé du rapide développement de la situation révolutionnaire qui a surgi de la Première Guerre mondiale, la lente évolution depuis 1968 en réponse à la crise économiques a de nombreux avantages) mais avant tout d’une difficulté dans la politisation de son combat.
Cette difficulté est le résultat du fait que la génération qui, en 1968, a mis un terme à la plus longue contre-révolution de l’histoire a été coupée de l’expérience des générations passées de sa classe et a réagi aux traumatismes infligés par la Social-Démocratie et le Stalinisme avec une tendance à rejeter la “ politique ”.
Ainsi le développement d'une telle “ culture politique ” devient la question centrale des luttes à venir. Cette question, en fait, contient la réponse à une seconde question : comment compenser le terrain perdu au cours des années passées pour surmonter l’amnésie présente de la classe concernant les leçons de ses luttes avant 1989 ?
Il est clair que cela ne peut être fait en répétant les combats des deux décennies précédentes : l’histoire ne permet pas de telles répétitions, encore moins aujourd’hui quand le temps manque à l’humanité. Mais surtout, le prolétariat est une classe historique. Même si les leçons de 20 années sont absentes actuellement de sa conscience, en réalité le processus de “ politisation ” n’est rien d’autre que la redécouverte des leçons du passé dans la trajectoire de redéveloppement de la perspective de lutte.
16) Nous avons de bonnes raisons de penser que la période qui vient, sur le long terme, sera par beaucoup de côtés particulièrement favorable pour une telle politisation. Ces facteurs favorables incluent :
- l’état avancée de la crise elle-même, impulsant la réflexion prolétarienne sur le besoin de confronter et dépasser le système ;
- le caractère de plus en plus massif, simultané et généralisé des attaques, posant le besoin d’une réponse de classe généralisée. Cela comprend la question de plus en plus grave du chômage, la réflexion sur la faillite du capitalisme et aussi le problème de l'inflation, qui est moyen employé par le capitalisme pour piller la classe ouvrière et d’autres couches de la société.
Cela comprend aussi le problème de la répression de l'Etat, poussé de plus en plus à mettre hors la loi toute véritable expression de la lutte prolétarienne.
Cela comprend enfin l’omniprésence de la guerre, détruisant les illusions sur un possible capitalisme “ pacifique ”. La guerre actuelle dans les Balkans, une guerre au cœur du centre du capitalisme, va avoir un impact significatif sur la conscience des ouvriers, malgré les alibis humanitaires. Quelque soit l'impact qu'elle puisse avoir dans l'évolution des lutte immédiates, elle va exprimer de façon accrue la perspective catastrophique que le capitalisme offre à l'humanité. En plus, le glissement accéléré vers la guerre va démander l'augmentation des budgets de guerre et, par voie de conséquence, des sacrifices de plus en plus extrêmes pour le prolétariat ogligeant ce dernier à défendre ses intérêts contre ceux du capital national.
Parmi les autres facteurs favorables, il faut relever :
- le renforcement de la combativité d’une classe non-défaite. C’est seulement en engageant le combat que les ouvriers peuvent rentrer en possession de l’expérience d’être une partie d’une classe collective, retrouver leur confiance en eux qu'ils avaient perdue, commencer à poser les questions de classe sur un terrain de classe et une fois de plus croiser le fer avec le syndicalisme et le gauchisme ;
- l’entrée en lutte d’une seconde et nouvelle génération d’ouvriers. La combativité de cette génération est toujours pleinement intacte. Née dans un capitalisme en crise, elle est débarrassée de certaines des illusions de la génération d'après 1968. Surtout, contrairement aux ouvriers d’après 1968, les jeunes prolétaires d’aujourd’hui peuvent apprendre d’une génération avant eux qui a déjà une expérience considérable de lutte à transmettre. Ainsi, les leçons “ perdues ” du passé peuvent être retrouvées dans la lutte par la combinaison de deux générations de prolétaires : c'est le processus normal d’accumulation de l’expérience historique que la contre-révolution avait brutalement interrompue.
- cette expérience de réflexion commune sur le passé, face au besoin d’un combat généralisé contre un système agonisant va donner naissance à des cercles de discussion ou des noyaux d'ouvriers avancés qui vont essayer de se réappropier les leçons de l'histoire du mouvement ouvrier. Dans une telle perspective, la responsabilité de la Gauche Communiste sera beaucoup plus grande que dans les années 1930.
Ce potentiel n’est pas un vœu pieux. Il est déjà confirmé par la bourgeoisie qui est pleinement consciente de ce danger potentiel et qui réagit déjà de façon préventive par des dénigrements incessants contre le passé et le présent révolutionnaire de son ennemi de classe.
Surtout, au vu de la dégradation de la situation mondiale, la bourgeoisie craint que la classe ne découvre ces épisodes qui démontrent la puissance du prolétariat, qu’elle est la classe qui détient les clés du futur de l’humanité entre ses mains : la vague révolutionnaire de 1917-1923, le renversement de la bourgeoisie en Russie, la fin de la Première Guerre mondiale via le mouvement révolutionnaire en Allemagne.
17) Cette inquiétude de la classe dominante face au danger prolétarien n’est pas moins reflétée dans la venue au pouvoir de la gauche dans 13 des 15 pays de l’Union Européenne.
Le retour de la gauche au gouvernement dans tant de pays importants, en commençant par les Etats-Unis après la Guerre du Golfe, est rendu possible par le choc sur la conscience prolétarienne subi avec les événements de 1989, comme le CCI l’avait pointé en 1990 :
“ C’est pour cette raison, en particulier, qu'il convient aujourd'hui de mettre à jour l’analyse développée par le CCI sur la "gauche dans l’opposition". Cette carte était nécessaire à la bourgeoisie depuis la fin des années 1970 et tout au long des années 1980 du fait de la dynamique générale de la classe vers des combats de plus en plus déterminés et conscients, de son rejet croissant des mystifications démocratiques, électorales et syndicales. (…) En revanche, le recul actuel de la classe n'impose plus à la bourgeoisie, pour un certain temps, l'utilisation prioritaire de cette stratégie. Cela ne veut pas dire que dans ces derniers pays on verra nécessairement la gauche retourner au gouvernement : nous avons, à plusieurs reprises, mis en évidence qu'une telle formule n'est indispensable que dans les périodes révolutionnaires ou de guerre impérialiste. Par contre, il ne faudra pas être surpris s'il advient un tel évènement, ou bien considérer qu'il s'agit d'un ”accident” ou l'expression d'une “faiblesse particulière” de la bourgeoisie de ces pays. ” (Revue Internationale n°61)
La résolution du 12e Congrès du CCI au printemps 1997, après avoir correctement prédit la victoire des Travaillistes aux élections générales de mai 1997 en Grande-Bretagne, ajoutait :
“ …il est important de souligner le fait que la classe dominante ne va pas revenir aux thèmes des années 1970 quand l’"alternative de gauche" avec son programme de mesures "sociales", et même de nationalisations, était mis en avant afin de briser l’élan de la vague de luttes qui avait débutée en 1968, en dévoyant le mécontentement et la militance vers l’impasse des élections. ”
La victoire électorale de Schröder-Fischer sur Khol en Allemagne à l’automne 1998 a confirmé :
- que le retour de gouvernements de gauche n’est en aucune façon un retour aux années 1970 : le SPD n’est pas revenu au pouvoir à l’occasion de grandes luttes, comme cela avait été le cas sous Brandt. Il n’a fait aucune promesse électorale irréaliste avant et poursuit une politique très “ modérée ” et “ responsable ” au gouvernement ;
- que dans la présente phase de lutte de classe, ce n’est pas un problème pour la bourgeoisie de mettre la gauche, en particulier les Sociaux-démocrates, au gouvernement. En Allemagne, il aurait été plus facile que dans d’autres pays de laisser la droite au gouvernement. Contrairement à la plupart des autres puissances occidentales, où les partis de droite sont soit dans un état de confusion (France, Suède), soit divisés sur la politique étrangère (Italie, Grande-Bretagne) ou accablés par des tendances irresponsables arriérées (Etats-Unis), en Allemagne, la droite, bien que quelque peu usée par 16 années de gouvernement, est en ordre de marche et est tout à fait capable de s’occuper des affaires de l'état allemand.
Cependant, le fait que l’Allemagne, le pays ayant aujourd’hui l’appareil politique le plus réglé et cohérent (reflétant son statut de leader de bloc impérialiste potentiel) ait porté au pouvoir le SPD, révèle que la carte de la gauche au gouvernement n’est pas seulement possible aujourd’hui mais est devenue une relative nécessité (tout comme la gauche dans l'opposition dans les années 1980 en était relativement une) dans le sens que ce serait une erreur pour la bourgeoisie de ne pas jouer cette carte maintenant.
Nous avons déjà montré quelles nécessités au niveau de la politique impérialiste et de la gestion de la crise avaient ouvert la voie pour la gauche au gouvernement. Mais sur le front social également, il y a surtout deux raisons importantes pour de tels gouvernements aujourd’hui :
- après de longues années de gouvernement de droite dans des pays-clé comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la mise en place de la mystification électorale demande l’alternative démocratique maintenant – d’autant plus que dans l’avenir il deviendra beaucoup plus difficile d’avoir la gauche au gouvernement. Déjà, contre la vague révolutionnaire de 1917-1923 et plus encore depuis la chute du Stalinisme, la démocratie bourgeoise s'est confirmée comme la plus importante mystification anti-prolétarienne de la classe dominante, une mystification qui doit être de façon permanente alimentée.
- bien que la gauche ne soit pas nécessairement la plus adaptée pour porter des attaques à la classe ouvrière aujourd’hui, elle a l’avantage sur la droite d’attaquer d’une manière plus prudente et surtout moins provocante que la droite. C’est une qualité très importante à l’heure actuelle où il est vital pour la bourgeoisie d’éviter autant que possible des luttes importantes et massives de son ennemi mortel, puisque de telles luttes sont la première condition - et possèdent aujourd’hui un important potentiel - pour le développement de la confiance en soi et de la conscience politique du prolétariat comme un tout.