Submitted by Révolution Inte... on
Dans le n° 13 de Prometeo, le Partito Comunista Internazionalista – Battaglia Comunista (PCInt) a publié les documents élaborés pour son 6e congrès.
Le congrès est l'acte le plus important dans la vie d'une organisation révolutionnaire. C'est l'organe souverain qui décide collectivement des orientations, des analyses et des positions programmatiques et organisationnelles. Cela est en soi une raison suffisante pour se prononcer sur les décisions adoptées par le PCInt. Cependant, il existe une raison plus importante encore qui nous pousse à le faire : nous voulons souligner la prise de position globale du congrès qui montre une volonté de donner des réponses aux questions et enjeux posés au prolétariat et à son avant-garde par l'évolution de la situation historique : « Le congrès a servi substantiellement à fixer et intégrer dans le patrimoine 'historique' du parti ce que nous avions examiné et, dans les limites de nos forces, élaboré face aux changements répétés de la situation ; signaler le début de ce que nous inclinons à définir comme une nouvelle phase dans la vie politique du parti et plus généralement de la gauche communiste. » (Prometeo, n° 13)
Cette conscience d'une « nouvelle phase » dans la vie politique du PCint et de la Gauche communiste a poussé le PCInt à modifier certains éléments de la plate-forme programmatique et des critères de regroupement du BIPR ([1]) qui vont selon nous dans le sens d'une clarification pour l'ensemble du milieu révolutionnaire. C'est pourquoi nous pensons que le congrès a signifié un renforcement de l'ensemble de la Gauche communiste dans le combat pour sa défense et son développement.
Evidemment, le salut et l'appui à ces éléments positifs du congrès ne signifient en aucune manière que nous mettons de côté les divergences et la critique des documents du congrès quand nous sommes franchement en désaccord.. Dans le présent article nous allons signaler quelques-unes de ces divergences mais nous montrerons surtout ce que nous considérons comme une contribution pour l'ensemble de l'avant-garde communiste, comme un renforcement des positions communes de la Gauche communiste. C'est uniquement en partant de ce cadre que nous pourrons être amenés à développer ultérieurement des divergences et des critiques.
La dénonciation de la mystification démocratique
L'histoire du mouvement ouvrier au 20e siècle a montré clairement que la soi-disant « démocratie » est la principale arme de la bourgeoisie contre le prolétariat. La mascarade démocratique permet à l'Etat capitaliste de tromper, de diviser les ouvriers et de les dévoyer de leur terrain de classe ce qui lui permet, une fois ce travail accompli, d’organiser une répression implacable qui en général n'a rien à envier à celle exercée par les formes les plus crues de la dictature du capital (fascisme ou stalinisme).
Dans la situation actuelle, du fait de la désorientation dans laquelle se trouve la classe ouvrière (conséquence de l'effondrement des régimes faussement « communistes » et de toute la campagne anticommuniste qu'a organisée depuis la bourgeoisie mondiale), la mystification démocratique connaît un nouveau regain et c'est pour cela que nous assistons à un battage constant, mobilisant tous les moyens de l'Etat pour dévoyer les prolétaires vers le terrain pourri de la défense de la « démocratie ».
De ce point de vue, en ce qui concerne la dénonciation de la mystification démocratique, l'ancienne plate-forme du BIPR de 1984 ([2]) contenait des ambiguïtés et des lacunes. Ainsi le BIPR gardait le silence sur les élections et le parlementarisme. De plus, il affirmait que « la révolution démocratique n'est déjà plus une voie praticable. On doit la considérer (et cela depuis longtemps) comme définitivement fermée dans les citadelles impérialistes, impossibles à répéter dans d'autres lieux dans la période de décadence. » Nous sommes tout à fait d'accord avec cela, mais si la « révolution démocratique » était bien dénoncée comme quelque chose d'« impossible », le PCint ne se prononçait pas clairement sur la possibilité ou non de mener une lutte « tactique » pour « la démocratie » ([3]) alors que, par ailleurs, il parlait de « la prise en charge possible de la revendication de certaines libertés élémentaires dans l'agitation politique révolutionnaire. »
Dans la nouvelle version de la plate-forme, la clarification est importante :
– D'une part le BIPR ne se limite pas à dénoncer les « révolutions démocratiques » ; il attaque « la lutte pour la démocratie » :« l'ère de la lutte démocratique est terminée depuis longtemps et ne peut pas se poser dans l'ère impérialiste. »
– De plus, le BIPR a ajouté un paragraphe qui signifie un rejet explicite des élections : « La tactique du parti révolutionnaire se dirige vers la destruction de l'Etat et l'instauration de la dictature du prolétariat. Les communistes ne se font pas d'illusions sur le fait que la liberté des ouvriers puisse être conquise au travers des élections d'une majorité au Parlement. »
– De manière plus concrète, le BIPR a ajouté un autre paragraphe où il affirme que la « démocratie parlementaire est la feuille de vigne qui cache la honte de la dictature bourgeoise. Les véritables organes de pouvoir dans la société capitaliste résident en dehors du parlement. »
Le BIPR a repris les "Thèses sur la démocratie" du 1er congrès de l'Internationale communiste et s'y est rattaché avec profondeur dans ses analyses et perspectives. Il y manque cependant, à notre avis, une condamnation explicite de l'utilisation des élections. Par exemple, le BIPR ne dénonce pas la théorie du parlementarisme révolutionnaire défendue par l'IC. Cette théorie reconnaissait que le parlement est une feuille de vigne de la domination bourgeoise et qu'on ne pouvait prendre le pouvoir par la voie électorale et parlementaire. Cependant, elle préconisait l' « utilisation révolutionnaire » du parlement comme tribune d'agitation et moyen de dénonciation. Cette position, clairement erronée à l'époque, est aujourd'hui contre-révolutionnaire en étant utilisée par les trotskistes pour ramener les ouvriers dans le giron des élections.
D'autre part, le BIPR a conservé le paragraphe qui fait référence à la « revendication de certains éléments de liberté (comme partie) de la propagande révolutionnaire. » A quoi se réfère le BIPR ? Soutient-il, comme le faisait le FOR ([4]), que même s'il faut rejeter la démocratie parlementaire et les élections, il existerait certaine « libertés élémentaires » de réunion, d'association, etc. que la classe ouvrière devrait tenter de conquérir légalement comme premier pas dans sa lutte ? Défend-il, comme le font certains groupes trotskistes radicaux que ces « libertés minimales » sont un élément d'agitation qui, même si elle ne peuvent être obtenues dans le capitalisme, servent à sa défense pour « faire avancer la conscience » ? Il serait bien que le BIPR clarifie cette question.
La question syndicale
Le PCInt avait déjà défendu une position assez claire sur la question syndicale en ce qui concerne le rejet de la position bourgeoise traditionnelle selon laquelle les syndicats seraient en quelque sorte des organes « neutres » dont l'orientation vers le prolétariat ou vers la bourgeoisie dépendrait de ceux qui les dirigent. Cette position était clairement condamnée dans la plate-forme de 1984 : « Il est impossible de conquérir ou de changer les syndicats : la révolution prolétarienne devra nécessairement passer sur leur cadavre. »
Dans les positions adoptées au congrès de 1997, il y a eu des modifications qui paraissent assez minimes à première vue. Le BIPR a supprimé un paragraphe présent dans la plate-forme de 1984 qui invalidait dans la pratique la clarté affirmée théoriquement : « dans le cadre de ces principes (l'affirmation mentionnée plus haut niant toute possibilité de conquérir ou de changer les syndicats) la possibilité d'actions concrètes différentes en ce qui concerne l'utilisation du travail communiste dans les syndicats est une question qui relève de l'élaboration tactique du parti. » Il nous semble tout à fait valable d'avoir éliminé ce paragraphe parce que sa signification reléguait les affirmations de principe contre les syndicats au sanctuaire de la « stratégie » pour laisser les mains libres aux impératifs « tactiques » élastiques de « travail dans les syndicats ».
Egalement dans le même sens, le BIPR a modifié le paragraphe suivant de la plate-forme de 1984 : « le syndicat n'est pas et ne peut pas être l'organe de masse de la classe ouvrière en lutte » en supprimant le terme « en lutte » qui signifiait, sans le dire ouvertement, que le BIPR ne rejetait pas l'idée que les syndicats puissent être des organes de masse de la classe ouvrière quand celle-ci n'était pas en lutte. Cette correction est encore renforcée dans le document adopté au congrès de 1997 intitulé « Les syndicats aujourd'hui et l'action communiste » qui affirme : « on ne peut se doter d'une véritable défense des intérêts, même immédiats, des travailleurs autrement qu'en dehors et contre la ligne syndicale. » (Thèse 7, Prometeo n° 13). Avec cette précision le BIPR ferme la porte au mensonge trotskiste de la « double nature » des syndicats, supposés favorables aux travailleurs dans les moments de calme social et réactionnaires dans les moments de lutte et de montée révolutionnaire. C'est une argutie pour retourner à l'enfermement syndical à laquelle est sensible le courant bordiguiste. Nous pensons que l'élimination de ce terme « en lutte » par le BIPR condamne cette position, même si cela aurait pu être dit plus clairement.
De la même manière le BIPR, dans le document mentionné ci-dessus, se démarque aussi du syndicalisme de base, cette variante radicalisée du syndicalisme qui attaque de façon virulente les grandes centrales syndicales et ses dirigeants pour mieux défendre la prétendue « nature ouvrière » du syndicalisme. En effet il affirme que « les différentes tentatives de construire de nouveaux syndicats ont fait naufrage dans une kyrielle de sigles syndicalistes de base, dont beaucoup sont à la recherche légale de pouvoirs contractuels institutionnels, suivant en cela les syndicats officiels. » (Thèse 8).
Nous saluons également le fait que le BIPR ait remplacé le paragraphe suivant : « le syndicat est l'organe de médiation entre le travail et le capital », par la formulation beaucoup plus claire : « les syndicats sont nés comme instruments de négociation des conditions de la vente de la force de travail. » L'ancienne formulation était dangereuse pour deux raisons :
– D'un côté, elle concédait aux syndicats un caractère intemporel d'organes de médiation entre le travail et le capital, aussi bien dans la période ascendante que dans la période décadente du capitalisme, alors qu'il est dit maintenant qu'ils « sont nés comme instrument de négociation... », ce qui distingue la position du BIPR de la vision bordiguiste typique selon laquelle les syndicats n'ont jamais changé.
– D'un autre côté, l’idée même d' « organes de médiation entre le travail et le capital » est erronée car elle ouvre la porte à la vision des syndicats comme organes situés entre les deux classes antagoniques de la société. Dans la période ascendante du capitalisme les syndicats n'étaient pas des organes de médiation entre les classes mais des instruments du combat prolétarien, créés par la lutte des ouvriers et violemment persécutés par la bourgeoisie. Il est donc plus clair de parler d'organes « nés comme instrument de négociation des conditions de la vente de la force de travail » car c'était une de leurs fonctions dans cette période historique, dérivée de la possibilité d'obtenir des améliorations et des réformes en faveur des ouvriers. Le BIPR oublie cependant l'autre dimension qu'avaient les syndicats, une dimension soulignée par Marx, Engels et les autres révolutionnaires : celle d'être des « écoles du communisme », des instruments d'organisation et, dans un certain sens, également de clarification, des couches les plus importantes de la classe ouvrière.
Enfin, le BIPR a effectué une modification significative sur la question de l'intervention des communistes dans la lutte de classe. Il s'agit de la question des « groupes communistes d'usine ». La plate-forme de 1984 disait que « la possibilité de favoriser le développement des luttes du niveau immédiat auquel elles naissent à celui, plus général, de la lutte politique anticapitaliste, dépend de la présence et du caractère opérationnel des groupes communistes d'usine. », alors que la rédaction adoptée en 1997 est : « la possibilité que les luttes se développent du plan contingent à celui plus large de la lutte politique anticapitaliste est subordonnée, de fait, à la présence et l'opérativité des communistes à l'intérieur des lieux de travail pour fournir un stimulant aux ouvriers et indiquer la perspective à suivre. » Nous partageons pleinement la préoccupation du BIPR quant au développement des moyens d'intervention des révolutionnaires dans le processus concret de la lutte et de la politisation de la classe. Cependant, si la préoccupation est juste, la réponse donnée nous paraît demeurer restrictive.
D'un côté le BIPR a éliminé valablement l'idée selon laquelle la politisation de la lutte immédiate des ouvriers dépend de « la présence et l'opérativité des groupes communistes d'usine » ([5]), mais d'un autre côté il maintient que la politisation anticapitaliste des luttes ouvrières « est subordonnée à la présence et l'opérativité des communistes à l'intérieur des lieux de travail ».
La « possibilité que les luttes se développent du plan contingent à celui plus large de la lutte politique anticapitaliste » ne dépend pas seulement de la présence des communistes « sur les lieux de travail ». Les révolutionnaires doivent développer une présence politique dans les luttes de la classe à travers une intervention par la presse, les tracts, les prises de parole, dans les grèves et dans les manifestations, dans les assemblées et les réunions, bref, partout où cette intervention est possible, pas seulement sur les lieux de travail où préexiste une présence d'éléments révolutionnaires, comme le laisse à penser la formulation du BIPR.
Selon l'autre document, « Les syndicats aujourd'hui et l'action communiste », les communistes devraient constituer autour d'eux des « organismes d'intervention dans la classe » qui pourraient être « d'usine » ou « territoriaux ».
Là aussi, la formulation nous paraît assez vague. Suivant les différents moments du rapport de forces entre les classes, peuvent surgir différentes formes d'organismes au sein du prolétariat :
– dans les moments de développement des luttes, ce que nous appelons des comités de lutte qui sont des organismes au sein desquels se regroupent les éléments combatifs qui se donnent pour objectif de contribuer à l'extension des combats et à leur prise en charge par les ouvriers au travers des assemblées et des comités de délégués élus et révocables ; plus que « d'usine », ils regroupent ou tendent à regrouper des travailleurs de différents secteurs ;
– dans des moments moins cruciaux ou lors du recul après une période de lutte intense, des petites minorités créent des groupes ouvriers ou cercles de discussion, plus liés au besoin de tirer des leçons de la lutte et orientés vers les problèmes plus généraux de la lutte ouvrière.
Face à ces tendances de la classe, la position des révolutionnaires rejette le « spontanéisme » qui consiste à « attendre que la classe par elle-même et de façon isolée les crée ». Les révolutionnaires interviennent dans ces organismes et n'hésitent pas à proposer et susciter leur formation si les conditions sont adéquates pour leur apparition. Ces organismes ne sont pas pour autant des « organismes d'intervention des communistes », ils sont des organismes de la classe et dans la classe, dont l'intervention est distincte de celle de l'organisation politique communiste. C'est pourquoi nous pensons que la formulation du BIPR reste ambiguë et laisse entrouverte la porte à la conception d'organisations intermédiaires entre la classe ouvrière et les organisations communistes.
Le rôle du parti et la lutte pour sa constitution à notre époque
Le parti communiste mondial est un instrument indispensable pour le prolétariat. Comme le démontre l'expérience de la révolution d'octobre 1917, le prolétariat ne peut pas parvenir à la victoire du processus révolutionnaire et prendre le pouvoir sans constituer en son sein le parti qui intervient, dirige politiquement et impulse son action révolutionnaire.
Avec la défaite de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-23 et la dégénérescence des partis communistes, les groupes de la Gauche communiste ont essayé de tirer les leçons concrètes que ces expériences ont apportées sur la question du parti :
– En premier lieu, ils se sont consacrés à la question programmatique : la critique et le dépassement des points faibles du programme de l'Internationale communiste qui ont contribué à sa dégénérescence, particulièrement sur les questions syndicale, parlementaire et la prétendue « libération nationale » des peuples.
– En second lieu, ils ont procédé au dépassement de la conception du parti de masse liée aux tâches que le prolétariat devait accomplir dans la période ascendante du capitalisme (organisation et éducation de la classe étant donné le poids de ses origines dans l'artisanat et la paysannerie ; participation dans le parlement, étant donné la possibilité de la lutte pour des améliorations et des réformes).
Cette ancienne conception a conduit à la vision que le parti représente, encadre la classe et prend le pouvoir en son nom, vision erronée qui s'est révélée dangereuse et néfaste dans la période révolutionnaire de 1917-23. Face à cela, les groupes les plus avancés de la Gauche communiste ont clarifié que le parti est indispensable pour la classe non comme organe de masse mais comme force minoritaire capable de se concentrer sur la tâche de développer sa conscience et sa détermination politique ([6]) ; non comme organe pour exercer le pouvoir au nom de la classe mais comme facteur le plus dynamique et le plus avancé qui contribue, par son intervention et sa clarté, à ce que la classe exerce collectivement et massivement le pouvoir au travers des conseils ouvriers.
La position adoptée par le BIPR dans sa plate-forme de 1984, si elle montre bien une clarification sur les questions programmatiques (qui, comme nous l'avons vu dans les parties précédentes de cet article, a été plus développée dans le congrès de 1997), exprimait aussi une position ambiguë, faite d'affirmations générales et vagues, sur la question cruciale du parti, ses relations avec la classe, sa forme d'organisation et le processus de sa construction. Par contre, les documents du récent congrès précisent ces questions et montrent une conception beaucoup plus claire sur le processus de construction du parti et sur les pas concrets que doivent faire les organisations communistes dans la période actuelle.
Dans la plate-forme de 1984, le BIPR disait : « Le parti de classe est l'organe spécifique et irremplaçable de la lutte révolutionnaire car il est l'organe politique de la classe. » Nous sommes d’accord avec l’idée que le parti est un organe spécifique (il ne peut pas se confondre ni se diluer dans l'ensemble de la classe) et qu’il est effectivement irremplaçable ([7]). Cependant la formule « il est l'organe politique de la classe » peut laisser entendre, sans aller jusqu'à l'affirmer ouvertement (comme le font les bordiguistes), que le parti est l'organe de la prise du pouvoir au nom de la classe.
La rédaction de 1997 donne une précision très importante qui va dans le sens de positions plus conséquentes de la Gauche communiste : « Le parti de classe, ou les organisations desquelles il naîtra, comprennent la partie la plus consciente du prolétariat qui s'organise pour défendre le programme révolutionnaire. » D'une part, même si ce passage le dit de façon indirecte et implicite ([8]), le BIPR rejette la vision bordiguiste selon laquelle le parti est auto-proclamé par une minorité, indépendamment de la situation historique et du rapport de forces entre les classes, devenant LE parti pour toujours. D'autre part, le BIPR a éliminé la formule « organe politique de la classe » et l'a remplacée par une autre beaucoup plus claire : « la partie la plus consciente qui s'organise pour défendre le programme révolutionnaire ».
Evidemment renoncer à la formulation de 1984 ne signifie pas nier le caractère politique du parti. Le rôle politique du parti prolétarien ne peut pas être le même que celui des partis bourgeois qui est d’exercer le pouvoir politique au nom de ceux qu'ils représentent. Le prolétariat, comme classe exploitée privée de tout pouvoir économique ne peut déléguer à aucune minorité, pour fidèle et claire qu'elle soit, l'exercice de son pouvoir politique.
D'un autre côté, le BIPR a introduit dans son corps programmatique des leçons de la révolution russe sur lesquelles il n’y avait rien dans ses documents de 1984 : « les leçons de la dernière vague révolutionnaire ne sont pas que la classe peut se passer d'une direction organisée, non plus que le parti dans son ensemble est la classe (selon l'abstraction métaphysique des bordiguistes de ces derniers temps) mais que la direction organisée sous la forme du parti est l'arme la plus puissante que peut se donner la classe. Son objectif sera de combattre pour une perspective socialiste dans laquelle les organismes de masse seront ceux qui précèdent la révolution (soviets ou conseils). Le parti, cependant, sera une minorité dans la classe ouvrière et ne pourra pas représenter un substitut à celle-ci. L'objectif de construire le socialisme incombe à toute la classe dans son ensemble et ne peut pas être délégué, même à la partie la plus consciente du prolétariat. »
Le BIPR a introduit explicitement cette leçon essentielle de la révolution russe (qui d'un autre côté n'a fait que confirmer la devise de la 1re internationale, « l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes ») et, en même temps, amène une réflexion sur comment doit se développer la relation entre les révolutionnaires et la classe, quel est le rôle du parti, quels sont ses liens avec la classe.
Dans la plate-forme de 1997 on trouve : « l'expérience de la contre-révolution en Russie oblige les révolutionnaires à approfondir la compréhension des problèmes concernant la relation entre Etat, parti et classe. Le rôle joué par ce qui était originellement le parti révolutionnaire a conduit beaucoup de révolutionnaires potentiels à rejeter en bloc l'idée de parti de classe. » Au lieu d'éluder le problème avec des phrases déclamatoires sur l' « importance » du parti, le BIPR se montre capable de poser les choses en termes historiques : « Pendant la révolution le parti tendra à conquérir la direction politique du mouvement en diffusant et en soutenant son programme au sein des organes de masse de la classe ouvrière. De la même façon qu'il est impossible de penser à un processus de croissance de la conscience sans la présence d'un parti révolutionnaire, il est également impossible d'imaginer aussi que la partie la plus consciente du prolétariat puisse maintenir le contrôle des évènements indépendamment des soviets. Les soviets sont l'instrument à travers lequel se réalise la dictature du prolétariat et leur déclin et leur marginalisation de la scène politique russe ont contribué à l'effondrement de l'Etat soviétique et à la victoire de la contre-révolution. Les commissaires bolcheviks, en restant isolés d'une classe ouvrière épuisée et affamée, se sont vus forcés de gérer le pouvoir dans un Etat capitaliste et ont agi comme ceux qui gouvernent un Etat capitaliste. »
Le BIPR en tire une conclusion avec laquelle nous sommes tout autant d’accord : « Dans la future révolution mondiale, le parti révolutionnaire devra tenter de diriger le mouvement révolutionnaire uniquement au travers des organes de masse de la classe, lesquels pousseront à son surgissement. Même s'il n'existe pas de recette qui assure la garantie de la victoire, ni le parti ni les soviets par eux-mêmes ne représentent une défense sûre face à la contre-révolution, la seule garantie de victoire est une conscience vivante de classe de la masse ouvrière. »
Le débat et le regroupement des révolutionnaires
En continuation avec cette clarification le BIPR a ajouté une série de précisions, absentes de ses documents de 1984, sur le rapport entre les groupes révolutionnaires actuels et la façon concrète de contribuer, à notre époque, au processus qui mène à la constitution du parti révolutionnaire.
Face à l'offensive actuelle de la bourgeoisie contre la Gauche communiste qui s'est exprimée, par exemple, dans la campagne « anti-négationniste », les révolutionnaires doivent établir une ligne de défense commune. D'un autre côté, le développement, aux quatre coins du monde, de petites minorités de la classe qui sont à la recherche des positions révolutionnaires, exige que les groupes communistes abandonnent le sectarisme et l'isolement et proposent au contraire un cadre cohérent à ces éléments pour qu’ils puissent appréhender le patrimoine commun de la Gauche communiste ainsi que les divergences qui les séparent.
En répondant correctement à ces préoccupations, le BIPR a ajouté un complément aux critères des conférences internationales (qui se trouvent dans la plate-forme de 1984) qui affirme : « Nous considérons le Bureau comme une force qui se situe à l'intérieur du camp politique prolétarien, lequel comprend ceux qui se battent pour l'indépendance du prolétariat face au capital, qui n'ont rien à voir avec le nationalisme sous quelque forme que ce soit, qui ne voient rien de socialiste dans le stalinisme et l'ancienne URSS et qui, en même temps, reconnaissent Octobre 1917 comme le point de départ d'une révolution européenne plus vaste. »
Le PCint reconnaît qu’« entre les organisations qui font partie du dit camp il y a toujours des différences politiques importantes parmi lesquelles la question de la nature et de la fonction que doit avoir l'organisation révolutionnaire. » et qu’il est nécessaire d'engager une discussion sur celles-ci. C'est la méthode correcte et cela représente, sans aucun doute, un changement d'attitude important par rapport à la position du BIPR lors de la 3e conférence internationale de la Gauche communiste, qui était maintenue dans ses documents de 1984. Rappelons-nous que, soutenu par la CWO, le PCInt avait proposé lors de la dernière séance de cette conférence un critère supplémentaire sur le rôle de « direction politique » du parti qui nous paraissait n'avoir d'autre sens que d'exclure le CCI des conférences internationales, comme nous l'avons exposé ensuite ([9]), puisque le PCInt s'était refusé à discuter la contre-proposition à ce critère qu'avait présenté le CCI. Cette contre-proposition exposait le rôle de direction politique du parti mais dans le cadre de l'exercice du pouvoir par les conseils ouvriers. C’est une question que, heureusement, comme nous venons de le souligner, le BIPR a repris avec clarté dans sa plate-forme de 1997. De plus, et surtout, le PCInt rejeta un projet de résolution qui demandait une discussion large et approfondie sur la conception du parti, sa fonction, sa nature et ses rapports avec l'ensemble de la classe. Aujourd'hui avec ce complément, le BIPR propose une discussion systématique de la question, ce qui nous paraît être une ouverture sans équivoque à la clarification programmatique au sein de la Gauche communiste. Nous ne pouvons pas prendre position de façon approfondie dans le cadre de cet article sur les points énoncés par le BIPR. Nous voulons souligner cependant le point 2 (que nous partageons pleinement comme le point 6 que nous avons commenté) : « Le BIPR tend à la formation du Parti Communiste Mondial au moment où il existera un programme politique et la force suffisante pour sa constitution. Le Bureau est pour le Parti mais ne prétend pas être l'unique noyau d'origine. Le parti futur ne sera pas simplement le fruit de la croissance d'une seule organisation. »
De cette vision juste le BIPR dégage le point 3 qui est également juste : « avant de constituer le parti révolutionnaire tous les détails de son programme politique doivent être clarifiés au travers de discussions et de débats entre les parties qui vont le constituer. » ([10])
De cette affirmation se dégage l'engagement du BIPR à une discussion rigoureuse entre les groupes révolutionnaires en vue de la clarification de l'ensemble de la Gauche communiste et de la nouvelle génération des éléments sécrétés par la classe qui sont attirés par ses positions. Nous saluons cet engagement, nous incitons à le concrétiser et le développer par des attitudes et des pas pratiques. Pour notre part, nous allons contribuer de toutes nos forces à son développement.
Adalen, 16 novembre 1997.
[10]. Même si bien sûr cette vision globalement juste ne doit pas conduire à une interprétation schématique selon laquelle il faudrait retarder la fondation du parti jusqu'à “ la clarification de tous les détails ”. Par exemple en mars 1919, la fondation de la 3e Internationale (qui était déjà en retard) était urgente et a été formée suivant le point de vue de Lénine face à celui du délégué allemand qui, invoquant le fait réel qu'il restait des points à clarifier, voulait la retarder.