12e congrès du CCI : Après quatre ans de combat pour la défense de l'organisation : le renforcement politique du CCI

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Le 12e congrès du CCI qui s'est tenu en avril 1997 a marqué une étape fondamentale dans la vie de l'organisation internationale qu'est le CCI. Ce congrès a conclu une période de près de quatre ans de débat sur la question du fonctionnement de l'organisation et de combat pour la reconstitution de son unité et de sa cohésion, par l'adoption de perspecti­ves mettant en avant que : « le CCI en a fini avec la convalescence et peut, à ce 12e congrès international, se donner des pers­pectives d'un "retour à un équilibre de l'en­semble de nos activités", une prise en charge de l'ensemble des tâches pour les­quelles le prolétariat l'a fait surgir en son sein, dans le milieu politique prolétarien. »([1])

Depuis fin 1993 en effet le CCI, tout en maintenant ses activités régulières d'analyse de la situation internationale et d'interven­tion par voie de presse, s'est consacré priori­tairement à la tâche de la défense de l'orga­nisation face à des attaques à son intégrité organisationnelle menées de l'intérieur et contre une offensive sans précédent du parasitisme politique de l'extérieur.

Ce combat, qui n'a rien à voir avec une sou­daine « paranoïa » qui se serait emparée du CCI, comme en ont répandu le bruit avec complaisance les adeptes de ce même para­sitisme politique, mais également certains groupes et éléments du milieu politique prolétarien, a été marqué par plusieurs pha­ses.

Il a d'abord consisté en l'examen critique et sans concessions de tous les aspects de la vie organisationnelle qui pouvaient manifes­ter une assimilation insuffisante de la con­ception marxiste de l'organisation révolu­tionnaire et en même temps une pénétration de comportements étrangers à celle-ci. Dans cette phase, le CCI a été amené à mettre en évidence le rôle néfaste de « clans » dans l'organisation. Héritage des conditions dans lesquelles le CCI s'est formé et a grandi, à partir de cercles et de groupes, ces regrou­pements informels de militants sur des bases afinitaires, au lieu de se fondre dans l'en­semble de l'organisation conçue comme unité internationale centralisée, avaient subsisté, avec leur propre dynamique, jus­qu'à constituer insidieusement un fonction­nement parallèle au sein de l'organisation. Dans le cadre général d'une compréhension de la nécessité d'une lutte permanente con­tre l'esprit de cercle et pour l'instauration d'un esprit de parti dans l'organisation, le 11e congrès international, en 1995, avait mis en évidence le rôle dévastateur d'un clan en particulier, qui avait étendu son influence dans beaucoup de sections territoriales et sur l'organe central international. Il avait, au terme d'une longue enquête interne, démas­qué le principal inspirateur de ce clan, l'in­dividu JJ qui avait mené une politique sys­tématique de sabotage, par de multiples manoeuvres cachées, jusqu'à la constitution d'un réseau d' « initiés » à l'ésotérisme au sein de l'organisation. Le 11e congrès devait ainsi prononcer à l'unanimité des délégations et des participants l'exclusion de cet indivi­du.

Le 11e congrès international avait permis de faire la lumière sur les dysfonctionnements internes de l'organisation. Par une politique de discussion systématique de tous les mé­canismes de ceux-ci et la mise en lumière des différentes responsabilités dans les comportements anti-organisationnels, par un réexamen critique de l'histoire du CCI, mais également par une réappropriation des le­çons de l'histoire du mouvement ouvrier en matière d'organisation, le CCI pouvait con­sidérer avoir écarté la principale menace qui pesait sur son existence, et avoir restauré en son sein les principes marxistes en matière d'organisation.

L'heure n'était pourtant pas encore à la fin du débat et du combat sur la question orga­nisationnelle. C'est pourquoi le rapport d'ac­tivités du 12e congrès international devait soumettre à l'organisation le bilan de la « convalescence » de l'organisation. Après le 11e congrès en effet, le CCI devait prendre la mesure des attaques dont il était la cible. D'une part l'individu JJ devait, dès le lende­main du 11e congrès, passer à une nouvelle offensive, en exerçant une pression considé­rable sur ses « amis » restés dans l'organisa­tion et sur des militants encore indécis sur la validité de la politique du CCI ; d'autre part et conjointement « cette nouvelle offensive était immédiatement relayée au plan externe par les attaques redoublées du parasitisme à l'échelle internationale contre le CCI (...). » (Ibid.) Le CCI se trouvait ainsi confronté à une deuxième phase de son combat sur la question d'organisation : il ne s'agissait plus seulement de régler des problèmes de fonc­tionnement interne, il s'agissait de «passer du combat de défense de l'organisation à l'intérieur à celui de sa défense vers l'exté­rieur (...) en répondant contre tous les volets d'une attaque concertée de la bourgeoisie visant le CCI et la Gauche communiste dans son ensemble. » (Ibid.)

Le 12e congrès a tiré un bilan positif de cette phase. Contrairement aux dénigre­ments et rumeurs persistantes sur la «crise » et 1'« hémorragie » de militants que connaîtrait le CCI, cette politique a non seulement permis de consolider les bases retrouvées d'un fonctionnement interne collectif sain et efficace de l'organisation et de procéder à de nouvelles intégrations sur ces bases, mais elle a également été un facteur considérable de resserrement des liens de l'organisation avec des éléments en recherche, contacts et sympathisants, qui se rapprochent des positions révolutionnaires.

Il peut sembler surprenant qu'une organisa­tion révolutionnaire internationale, qui a déjà plus de vingt ans d'existence, en soit arrivée à devoir consacrer autant de temps prioritairement à la question de la défense de l'organisation. Mais cela n'est étonnant que pour ceux qui croient que cette question est secondaire ou découle mécaniquement des positions politiques programmatiques. En réalité, la question de l'organisation est non seulement une question politique à part entière, mais elle est en plus celle qui, plus que toute autre, conditionne l'existence même de l'organisation, dans l'accomplisse­ment de toutes les tâches au quotidien. Elle exige de la part des révolutionnaires une vigilance permanente et un combat contre tous les aspects de la répression directe ou de la pression indirecte de l'idéologie et du pouvoir de la bourgeoisie. Ce combat pour la défense de l'organisation révolutionnaire contre la bourgeoisie est une constante de toute l'histoire du mouvement ouvrier. Il a été mené par Marx et Engels au sein de la lre Internationale contre les influences de la petite-bourgeoisie portées par l'anarchisme et contre les intrigues du bakouninisme ; par Rosa Luxemburg contre l'embourgeoisement de la Social-démocratie allemande et le réformisme au sein de la 2e Internationale ; par Lénine contre la conception des cercles qui régnait au sein du Parti ouvrier social-démocrate russe et pour une conception d'un parti organisé, discipliné et centralisé ; par la Gauche communiste contre la dégénéres­cence de la 3e Internationale, en particulier dans sa défense du travail de Fraction par la Gauche communiste d'Italie.

Ce combat, le CCI l'a mené depuis les dé­buts de sa constitution au cours des années 1970, en combattant pour le regroupement des révolutionnaires, en défendant la con­ception d'une organisation internationale, unie et centralisée, contre les conceptions anti-organisationnelles qui prévalaient dans le mouvement de resurgissement de la lutte de classe et des positions révolutionnaires à cette époque. Dans les années 1980, le CCI a encore eu à combattre contre des concep­tions académiques et l'influence du « conseillisme ». Dans la période où nous vivons aujourd'hui, toute l'idéologie de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie en décomposition fait régner une ambiance générale de dénigrement et de dénonciation du communisme et des notions mêmes d'or­ganisation révolutionnaire  et de militantisme. Et cette même bourgeoisie ne cesse de ressasser par des campagnes idéologiques à répétition la «faillite du communisme » et même d'attaquer directement l'héritage de la Gauche communiste, en s'efforçant de pré­senter ce courant comme une sorte d'extré­misme de type «fasciste », comme une constellation de petites sectes d'illuminés. C'est pourquoi la défense de la conception marxiste de l'organisation communiste est un combat qui doit être une préoccupation constante des organisations de la Gauche communiste.

« Le CCI a gagné une bataille, il a gagné non sans mal le combat qui l'a opposé à une tendance à la destruction de l'organisation de l'intérieur. Cependant, il n'a pas gagné la guerre. Car notre guerre, c'est la guerre des classes, celle qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie, une lutte à mort qui ne laissera pas de répit à la faible avant-garde com­muniste dont le CCI est aujourd'hui la principale composante. Dans ce sens, les perspectives, si elles doivent se mesurer à l'aune de ce que l'organisation a été capable d'accomplir au cours des dernières deux années - et plus largement depuis les débuts de sa constitution- pour savoir mesurer quels sont les acquis de son combat et l'état de ses forces réelles, elles doivent aussi être déterminées par les enjeux de la lutte géné­rale de la classe ouvrière, et en son sein par la nécessité de la construction d'un parti mondial, arme indispensable de sa lutte révolutionnaire. » (Ibid.)

Le milieu politique prolétarien

Le 12e congrès a ainsi réaffirmé la concep­tion de toujours du CCI de l'existence d'un « milieu politique prolétarien ». Contraire­ment à des conceptions qui existent encore dans ce même milieu, principalement les héritiers « bordiguistes » du courant de la Gauche communiste d'Italie, le CCI ne se considère pas comme la seule organisation communiste, encore moins comme « le parti ». Mais le CCI défend l'absolue néces­sité de la construction d'un parti mondial indispensable à la lutte révolutionnaire du prolétariat, en tant qu'expression la plus avancée et facteur actif de sa prise de con­science. Pour le CCI, c'est à partir des orga­nisations de la période historique actuelle, les organisations survivantes des anciens courants de la gauche de la 3e Internationale et les nouveaux groupes qui peuvent surgir sur des positions de classe dans le feu de la lutte du prolétariat, qu'il faut s'atteler à la tâche à long terme de la construction du parti. Cette construction ne sera pas le pro­duit spontané du «mouvement» de la classe venant s'agréger automatiquement au « parti historique » de la conception bordiguiste, par la « reconnaissance » de son « programme invariant ». Elle ne sera pas non plus le produit d'un rassemblement sans principes fait de concessions mutuelles et d'opportunisme entre différentes organisa­tions prêtes à brader leurs positions. Elle sera le résultat de toute une activité con­sciente des organisations  révolutionnaires qui doit se faire dès aujourd'hui à partir de la conception que le « milieu politique pro­létarien » (ou ce que le PC Internazionalista appelle le « camp internationaliste ») « est une expression de la vie de la classe, du processus de sa prise de conscience. » ([2])

Le 12e congrès a donc réaffirmé que la poli­tique du CCI de confrontation systématique avec les positions des autres organisations du milieu prolétarien ne doit jamais perdre de vue que l'objectif n'est pas en soi la dé­nonciation des erreurs mais fondamentale­ment la clarification face à la classe ou­vrière.

« Notre but ultime est d'aller vers l'unifica­tion politique de notre classe et des révolu­tionnaires, unification qui s'exprime dans la construction du Parti et dans le développe­ment de la conscience de la classe ouvrière. Dans ce processus, la clarification politi­que est l'élément central et c'est ce qui a toujours guidé la politique du CCI dans le milieu politique prolétarien. Même lorsque dans un groupe du milieu politique prolé­tarien, la scission devient inévitable du fait de son envahissement par des courants bourgeois, il convient qu'elle soit le fruit d'une telle clarification pour servir réelle­ment les intérêts de la classe ouvrière et non ceux de la bourgeoisie. » (Ibid.)

Le 12e congrès est également revenu sur la notion de « parasitisme » approfondie au cours de ces dernières années. Il a insisté sur la nécessité d'une nette démarcation du milieu politique prolétarien de cette nébu­leuse de groupes, publications et individus, qui, tout en se réclamant plus ou moins d'une parenté avec le milieu révolutionnaire, par leurs positions politiques ou par leur ac­tivité envers ce milieu, ont pour fonction de répandre la confusion, et en dernière analyse de faire le jeu de la bourgeoisie contre le milieu politique prolétarien.

« Le parasitisme ne fait pas partie du mi­lieu politique prolétarien. La notion de pa­rasitisme politique n'est pas une innovation du CCI. Elle appartient à l'histoire du mou­vement ouvrier. En aucun cas le parasitisme n'est l'expression de l'effort de prise de conscience de la classe. Au contraire il constitue une tentative de faire avorter cet effort. En ce sens, son activité vient complé­ter le travail des forces de la bourgeoisie pour saboter l'intervention des organisa­tions révolutionnaires au sein de la classe.

Ce qui anime l'activité et détermine l'exis­tence des individus ou des groupes parasi­tes, ce n'est nullement la défense des princi­pes de classe du prolétariat, la clarification des positions politiques, mais au mieux, l'esprit de chapelle ou de "cercles d'amis", l'affirmation de l'individualisme et son in­dividualité vis-à-vis du milieu politique prolétarien. En ce sens, ce qui caractérise le parasitisme moderne, ce n'est pas la défense d'une plate-forme programmatique mais essentiellement une attitude politique face aux organisations révolutionnaires. » (Ibid.)

C'est dans ce sens que le 12e congrès a défini qu'une des priorités dans ses activités est « la défense du milieu politique prolétarien contre l'offensive destructrice de la         bourgeoisie et les agissements du parasitisme » et «faire vivre le milieu politique prolétarien dans son ensemble -qui comprend   nos   contacts   et   sympathisants », comme « une expression de la vie de la classe, du processus de sa prise de conscience. » (Ibid.)

La situation internationale et les perspectives de la lutte de classe

Le 12e congrès a également longuement débattu de la situation internationale, sur l'accélération de la crise économique, l'ag­gravation des tensions impérialistes et le développement de la lutte de classe. Cette discussion a revêtu un caractère particulièrement important du fait du chaos qui se développe aujourd'hui dans tous les domaines sous le poids de la décomposition de l'ensemble de la société capitaliste et de la  confusion qu'entretient la bourgeoisie pour masquer la faillite de son système, confusion qui atteint même les capacités des groupes révolutionnaires à défendre un cadre mar­xiste d'analyse et à dégager des perspectives pour le développement de la lutte de classe.

Sur le plan de la crise économique, le 12e congrès a réaffirmé la nécessité de s'appuyer   sur les acquis fondamentaux du marxisme pour pouvoir faire face efficacement à tous   les discours mystificateurs que la bourgeoisie distille. Il ne faut pas se limiter à l’examen empirique des « indicateurs économi­ques » de plus en plus falsifiés par les « spécialistes » de  l'économie bourgeoise,  mais toujours resituer cet examen de la situation actuelle dans le cadre de la théorie marxiste de l'effondrement du capitalisme. «Les  révolutionnaires,   les  marxistes,   ne peuvent pas prévoir les formes précises ni le rythme de l'effondrement croissant du mode de production capitaliste. Mais il leur re­vient de proclamer et de démontrer l'impasse absolue dans laquelle se trouve ce  système, de dénoncer tous les mensonges sur   une mythique 'sortie du tunnel' de celui-ci. »   ([3])

Sur le plan des tensions impérialistes, le 12e congrès s'est attaché à analyser et préciser les caractéristiques du chaos actuel, une foire d'empoigne entre les grandes puissan­ces impérialistes, cachée derrière le prétexte d'interventions « humanitaires » ou de « maintien de la paix », et qui entraîne un déferlement de la barbarie guerrière dans un nombre grandissant de régions de la planète. « La tendance au "chacun pour soi" a pris le dessus sur la tendance à la reconstitution d'alliances  stables préfigurant  de futurs blocs impérialistes ce qui a contribué à multiplier et aggraver les affrontements militaires. » (Ibid.)

Enfin ce sont surtout les perspectives de la lutte de classe qui ont fait l'objet de la dis­cussion la plus importante au cours de ce congrès. En effet, la classe ouvrière est au­jourd'hui dans une situation difficile, où elle subit de plein fouet des attaques extrême­ment brutales de ces conditions d'existence dans le contexte d'un déboussolement idéo­logique dont elle n'est pas encore sortie et que la bourgeoisie s'efforce d'entretenir par la répétition de campagnes médiatiques et de manoeuvres de toutes sortes. « Il s'agit pour la classe dominante, pleinement con­science du fait que ses attaques croissantes contre la classe ouvrière vont provoquer de la part de cette dernière des ripostes de grande envergure, de prendre les devants à un moment où la combativité n'est encore qu'embryonnaire, où pèsent encore forte­ment sur la conscience les séquelles de l'effondrement des prétendus régimes "socialistes", afin de "mouiller la poudre" et de renforcer au maximum son arsenal de mystifications syndicalistes et démocrati­ques. » (Ibid.)

Cette situation a des implications importan­tes pour l'intervention de l'organisation. Dans l'estimation de la situation, il s'agit déjà de ne pas se tromper. Les obstacles importants que monte la bourgeoisie face au développement de la lutte de classe ne si­gnifient pas que le prolétariat se trouve dans une situation de défaite similaire à celle des années 1930.

« Les campagnes des années 1930 :

 -se situaient dans un contexte de défaite historique du prolétariat, de victoire sans partage de la contre-révolution ;

-avaient comme objectif d'embrigader les prolétaires dans la guerre mondiale qui se préparait ;

-disposaient d'un faire valoir, les régimes fascistes en Italie, Allemagne et Espagne, bien réel, massif, durable et ciblé.

En revanche, les campagnes actuelles :

-se situent dans un contexte où le proléta­riat a surmonté la contre-révolution, où il n'a pas subi de défaite décisive remettant en cause le cours historique aux affronte­ments de classe ;

-ont comme objectif de saboter un cours montant de la combativité et de la con­science dans la classe ouvrière ;

-ne disposent pas d'un faire valoir unique et ciblé mais sont obligées de faire appel à des thèmes disparates et quelque fois cir­constanciels (terrorisme, "danger fa­sciste", réseaux de pédophilie, corruption de la justice, etc.), ce qui tend à limiter leur portée internationale et dans le temps. » (Ibid.)

Il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'eu­phorie du type de celle qui s'est développée suite au « mouvement » de grèves en France en décembre 1995. Cette manoeuvre pré­ventive de la bourgeoisie a fait croire à plus d'un que la route vers de nouvelles mobili­sations ouvrières significatives était large­ment ouverte et leur a fait grandement sous-estimer les difficultés actuelles de la classe ouvrière. « Seule une avancée significative de la conscience dans la classe ouvrière permettra à celle-ci de repousser ce type de mystifications. Et cette avancée ne pourra résulter que d'un développement massif des luttes ouvrières remettant en cause, comme elle avait commencé à le faire au milieu des années 1980, les instruments les plus impor­tants de la bourgeoisie en milieu ouvrier, les syndicats et le syndicalisme. » (Ibid.)

Dans ce contexte, le 12e congrès s'est donné comme une des priorités des activités de l'organisation « l'intervention dans le déve­loppement de la lutte de classe. (...)

Les perspectives de notre intervention ne seront pas de façon générale celles d'une participation active, directe et d'agitation visant à s'inscrire dans une tendance à la montée d'une lutte de classe qui se dégage clairement de l'emprise syndicale pour s'affirmer sur son propre terrain, et se don­nant pour tâche d'impulser l'extension et la prise en mains de la lutte par la classe elle-même.

De façon générale notre intervention dans la lutte de classe, tout en poursuivant la mise en avant de la perspective historique du prolétariat (défense du communisme contre les campagnes de la bourgeoisie), aura pour tâche principale le travail patient et opiniâtre de dénonciation et d'explication des manoeuvres de la bourgeoisie, des syndicats et du syndicalisme de base contre le mécontentement et la combativité mon­tante dans la classe ouvrière, une interven­tion pour beaucoup "à contre-courant" de la tendance à se laisser encore enfermer dans les pièges de la division et du radicalisme corporatiste du syndicalisme. ».

C'est un travail important dont nous n'avons pu donner ici qu'un rapide aperçu qu'a ac­compli ce 12e congrès du CCI pour tracer les perspectives des années qui viennent. Ces perspectives, nos lecteurs et sympathisants pourront les trouver dans la résolution sur la situation internationale publiée intégrale­ment ci-dessous et leurs implications dans notre presse et dans nos interventions à venir.

 

CCI.

RESOLUTION SUR LA SITUATION INTERNATIONALE

l) Les mensonges abondamment assénés lors de l'effondrement des régimes stali­niens, au tournant des années 1980 et 1990, à propos de la «faillite définitive du mar­xisme » ne sont pas nouveaux. Déjà, il y a exactement un siècle, la gauche de la 2e Internationale, avec à sa tête Rosa Luxemburg, avait eu à combattre les thèses révi­sionnistes qui affirmaient que Marx s'était lourdement trompé en annonçant que le capitalisme allait à la faillite. Les décennies suivantes, avec la première guerre mondiale, puis la grande dépression des années 1930 faisant suite à une courte période de recons­truction, ont laissé peu de marge à la bour­geoisie pour enfoncer un tel clou. En revan­che, les deux décennies de « prospérité » du deuxième après guerre ont permis une nou­velle floraison, y compris dans les milieux «radicaux », de « théories » enterrant « définitivement » le marxisme et ses prévi­sions de l'effondrement du capitalisme. Ces concerts d'autosatisfaction ont évidemment été battus en brèche par le retour de la crise ouverte du capitalisme à la fin des années 1960 mais le rythme lent de celle-ci, avec des périodes de « reprise » comme celle que connaît aujourd'hui le capital américain et britannique, a permis à la propagande bour­geoise de masquer aux yeux de la grande majorité des prolétaires la réalité et l'am­pleur de l'impasse où se trouve aujourd'hui le mode de production capitaliste. C'est pour cette raison qu'il appartient aux révolution­naires, aux marxistes, de dénoncer en per­manence les mensonges bourgeois sur les prétendues possibilités du capitalisme de « sortir de la crise » et, en particulier, de faire justice des « arguments » qui sont tour à tour employés pour tenter de « démontrer » de telles possibilités.

2) Dès le milieu des années 1970, face à l'évidence de la crise, les « experts » ont commencé à rechercher toutes les explica­tions possibles permettant à la bourgeoisie de se rassurer à bon compte sur les perspec­tives de son système. Incapable d'envisager la faillite définitive de celui-ci, la classe dominante avait besoin, non seulement dans un but de mystification des exploités, mais également pour son propre usage, d'expli­quer les difficultés croissantes de l'économie mondiale à partir de causes circonstancielles tournant évidemment le dos aux causes véritables. Tour à tour, les explications sui­vantes ont connu leur heure de gloire :

- la « crise du pétrole » faisant suite à la guerre du Kippour de 1973 (c'était oublier que la crise ouverte remontait à 6 ans au­paravant, les hausses des cours pétroliers n'ayant fait qu'accentuer une dégradation qui s'était déjà manifestée avec les réces­sions de 1967 et 1971);

- les excès des politiques néo-keynésiennes suivies depuis la fin de la guerre qui main­tenant provoquaient une inflation galo­pante : il fallait « moins d'Etat » ;

- les excès des « reaganomics » des années 1980 qui avaient provoqué une hausse sans précédent du chômage dans les principaux pays.

Fondamentalement, il fallait se cramponner à l'idée qu'il existait des portes de sortie, qu'avec une « bonne gestion », l'économie mondiale pourrait revenir à sa splendeur des « trente glorieuses ». D fallait retrouver le secret perdu de la « prospérité ».

3) Pendant longtemps, les performances économiques du Japon et de l'Allemagne, alors que les autres pays étaient confrontés au marasme, étaient supposées démontrer la capacité du capitalisme à « surmonter sa crise » : « il faut que chaque pays soit aussi "vertueux" que les deux grands vaincus de la deuxième guerre mondiale, et tout le monde se portera bien » : tel était le credo de beaucoup d'apologistes appointés du capitalisme. Aujourd'hui, le Japon et l'Allemagne font figure « d'homme malade ». Alors qu'il éprouve les plus grandes difficul­tés à relancer une « croissance » qui fit sa gloire passée, le premier vient d'être classé en catégorie D (à côté du Brésil et du Mexi­que) dans l'indice des pays à risque tant sont menaçantes les dettes qu'ont accumulées l'Etat, les entreprises et les particuliers (représentant plus de deux ans et demi de la production nationale). Quant au second pays, il connaît maintenant un des taux de chômage les plus élevés de l’Union euro­péenne et il ne parvient pas lui-même à sa­tisfaire aux « critères de Maastricht » indis­pensables pour mettre en place la « monnaie unique ». En fin de compte, on se rend compte que la prétendue « vertu » passée de ces pays ne faisait que masquer la même fuite en avant dans l'endettement qui carac­térise l'ensemble du capitalisme depuis des décennies En réalité, les difficultés présen­tes des deux « premiers de la classe » des années 1970 et 1980 constituent une illus­tration de l'impossibilité pour le capitalisme de poursuivre indéfiniment la tricherie sur lequel il a basé principalement la recons­truction du deuxième après guerre et qui lui a permis jusqu'à présent d'éviter un effon­drement semblable à celui des années 1930 : l'utilisation systématique du crédit.

4) Déjà quand elle dénonçait les « théories » des révisionnistes, Rosa Luxemburg avait été conduite à démolir l'idée qui leur était chère suivant laquelle le crédit devrait per­mettre au capitalisme de surmonter ses crises. S'il a été un stimulant indiscutable du développement de ce système, tant du point de vue de la concentration du capital que de sa circulation, le crédit n'a jamais pu se substituer au marché réel lui-même comme aliment de l'expansion capitaliste. Les trai­tes sur l'avenir permettent d'accélérer la production et la commercialisation des mar­chandises mais elles doivent être rembour­sées un jour ou l'autre. Et ce remboursement n'est possible que si ces dernières ont trouvé à s'échanger sur le marché lequel ne découle pas automatiquement de la production, comme Marx l'a systématiquement démontré contre les économistes bourgeois. En fin de compte, loin de permettre de surmonter les crises, le crédit ne fait qu'en étendre la por­tée et la gravité comme le montre, en s'appuyant sur le marxisme, Rosa Luxemburg. Aujourd'hui, les thèses de la gauche mar­xiste contre le révisionnisme, à la fin du siècle dernier, restent fondamentalement valables. Pas plus qu'alors, le crédit ne peut à l'heure actuelle élargir les marchés solvables. Cependant, confrontée à une saturation définitive de ces derniers (alors qu'au siècle dernier, il existait la possibilité d'en con­quérir de nouveaux), le crédit est devenu la condition indispensable à l'écoulement des marchandises produites, se substituant au marché réel.

5) Cette réalité s'est déjà illustrée au lende­main de la seconde guerre mondiale lorsque le plan Marshall, outre sa fonction stratégi­que dans la constitution du bloc américain, a permis aux Etats-Unis de créer un débouché pour la production de leur industrie. La re­construction qu'il a permise des économies européenne et japonaise a fait de celles-ci, au cours des années 1960, des concurrents de l'économie américaine ce qui a donné le signal du retour de la crise ouverte du capi­talisme mondial. Depuis lors, c'est principa­lement en utilisant le moyen du crédit, d'un endettement toujours plus grand, que l'éco­nomie mondiale a réussi à s'éviter une dé­pression brutale comme celle des années 1930. C'est ainsi que la récession de 1974 a été surmontée jusqu'au début des années 1980 grâce au formidable endettement des pays du tiers monde lequel a conduit à la crise de la dette du début des années 1980 qui a coïncidé avec une nouvelle récession encore plus importante que celle de 1974. Cette nouvelle récession mondiale n'a pu être surmontée à son tour que par des défi­cits commerciaux faramineux des Etats-Unis dont le montant de l'endettement extérieur est venu concurrencer celui du tiers-monde. Parallèlement, les déficits des budgets des pays avancés ont explosé ce qui a permis de soutenir la demande mais a conduit à une véritable situation de faillite pour les Etats (dont l'endettement représente entre 50 % et 130 % de la production annuelle suivant les pays). C'est d'ailleurs pour cette raison que la récession ouverte, celle qui s'exprime par des chiffres négatifs dans les taux de crois­sance de la production d'un pays, est loin de constituer le seul indicateur de la gravité de la crise. Dans presque tous les pays, le seul déficit annuel du budget des Etats (sans compter celui des administrations locales) est supérieur à la croissance de la produc­tion ; cela signifie que si ces budgets étaient équilibrés (le seul moyen de stabiliser l'en­dettement cumulé des Etats) tous ces pays seraient en récession ouverte.

La plus grosse partie de cet endettement n'est évidemment pas remboursable, il s'ac­compagne de krachs financiers périodiques de plus en plus graves qui sont de véritables séismes pour l'économie mondiale (1980, 1989) et qui demeurent plus que jamais à l'ordre du jour.

6) Le rappel de ces faits permet de remettre à leur place les discours sur la « santé » actuelle des économies britannique et amé­ricaine qui tranche avec l'apathie de celles de leurs concurrents. En premier lieu, il convient de relativiser l'importance de ces « succès ». Ainsi, la baisse très sensible du taux de chômage en Grande-Bretagne doit beaucoup, de l'aveu même de la Banque d'Angleterre, à la suppression dans les sta­tistiques (dont le mode de calcul a été mo­difié 33 fois depuis 1979) des chômeurs ayant renoncé à chercher un travail. Cela dit, ces « succès » s'appuient en bonne partie sur une amélioration de la compétitivité de ces économies sur l'arène internationale (basée notamment sur la faiblesse de leur monnaie, le maintien de la Livre hors du serpent mo­nétaire s'étant révélé, jusqu'à présent, comme une bonne opération), c'est-à-dire sur une plus grande dégradation des économies concurrentes. C'est un fait que la synchroni­sation mondiale des périodes de récession et celles de « reprise » qu'on avait connues jusque là avait partiellement masqué : la relative amélioration de l'économie d'un pays ne passe pas par l'amélioration de celle de ses « partenaires » mais, fondamentalement, par une dégradation de celle-ci puisque les « partenaires » sont avant tout des concur­rents. Avec la disparition du bloc américain faisant suite à celle du bloc russe, à la fin des années 1980, la coordination qui existait par le passé entre les principaux pays occi­dentaux (par exemple via le G7) de leurs politiques économiques (ce qui constituait un facteur non négligeable de ralentissement du rythme de la crise) a laissé la place à un « chacun pour soi » de plus en plus effréné. Dans une telle situation, il revient à la pre­mière puissance mondiale le privilège d'im­poser ses diktats dans l'arène commerciale au bénéfice de sa propre économie natio­nale. C'est ce qui explique en bonne partie les « succès » actuels du capital américain.

Cela dit, même si les performances actuelles des économies anglo-saxonnes ne sont nul­lement significatives d'une possible amélio­ration de l'ensemble de l'économie mondiale, elles-mêmes ne sont pas destinées à durer. Tributaires du marché mondial, lequel ne pourra surmonter sa totale saturation, elles f vont nécessairement se heurter à cette satu­ration. Surtout, aucun pays n'a résolu le problème de l'endettement généralisé (même f si les déficits budgétaires des Etats-Unis ont été quelque peu réduits ces dernières an­nées). La meilleure preuve de cela est la hantise qui habite les principaux responsa­bles économiques (tel le président de la Banque fédérale américaine) que la « croissance » actuelle n'aboutisse à la « surchauffe » et à un retour de l'inflation. En réalité, derrière cette crainte de la sur­chauffe il y a fondamentalement le constat que la « croissance » actuelle est basée sur un endettement exorbitant qui nécessaire­ment produira un retour de balancier catas­trophique. L'extrême fragilité des bases sur lesquelles s'appuient les « succès » présents de l'économie américaine nous a été une nouvelle fois confirmée par le début d'affolement de Wall Street ainsi que des autres Bourses lorsque la FED a annoncé fin mars 1997 un relèvement minime de ses taux d'intérêt.

7) Parmi les mensonges abondamment diffusés par la classe dominante pour faire croire à la viabilité, malgré tout, de son sys­tème, une place de choix  est  également réservée à l'exemple des pays d'Asie du sud-est, les « dragons » (Corée du Sud, Taiwan, Hongkong et Singapour) et les « tigres » (Thaïlande, Indonésie,  Malaisie) dont  les taux de croissance actuels (quelques fois à deux chiffres) font baver d'envie les bour­geois occidentaux.  Ces exemples seraient sensés démontrer qu'il est possible au capi­talisme actuel aussi bien de développer les pays arriérés que d'échapper à la fatalité de la chute ou de la stagnation de la croissance. En réalité, le « miracle économique » de la plupart  de  ces  pays  (particulièrement  la Corée et Taiwan) n'est nullement fortuit : il est la conséquence de l'équivalent du plan Marshall mis en oeuvre au cours de  la guerre froide par les Etats-Unis afin de con­tenir l'avancée du bloc russe dans la région (injection massive de capitaux représentant jusqu'à 15 % du PNB, prise en charge di­recte de l'économie nationale, en s'appuyant notamment sur l'appareil militaire, afin de suppléer à une bourgeoisie nationale pres­que inexistante et surmonter les résistances des secteurs féodaux, etc.). Comme tels, ces exemples ne sont nullement généralisables à l'ensemble du tiers-monde, lequel continue pour sa plus grande partie à sombrer dans une catastrophe sans nom. Par ailleurs, l'en­dettement de la plupart de ces pays, tant extérieur qu'au niveau de leurs Etats, atteint des niveaux considérables ce qui les soumet aux mêmes menaces que tous les autres pays. Enfin, si leur prix très bas de la force de travail a constitué un attrait pour nombre d'entreprises occidentales, le fait qu'ils de­viennent des rivaux commerciaux pour les pays avancés les soumet au risque de la mise en place d'entraves croissantes à leurs exportations de la part de ces derniers. En réalité, faisant jusqu'à présent figure d'exception, comme ce fut le cas de leur grand voisin japonais, ils ne pourront pas échapper indé­finiment aux contradictions de l'économie mondiale qui ont transformé en cauchemar d'autres « success stories » qui ont précédé la leur, telle celle du Mexique. C'est pour l'ensemble de ces raisons que, à côté des dis­cours dithyrambiques, les experts interna­tionaux et les institutions financières pren­nent dès à présent des dispositions pour limiter les risques financiers qu'ils présen­tent. Et les mesures destinées à rendre plus «flexible » la force de travail qui se trou­vaient à l'origine des récentes grèves en Corée démontrent que la bourgeoisie autoch­tone elle-même est consciente du fait qu'elle a mangé son pain blanc. Comme l'écrit le Guardian du 16 octobre 1996 : «La ques­tion est de savoir quel sera le premier des tigres d'Asie à tomber. »

8) Le cas de la Chine, que certain présente comme la future grande puissance du siècle prochain, n'échappe pas non plus à la règle.

La bourgeoisie de ce pays a réussi jusqu'à présent à opérer avec succès la transition vers les formes classiques du capitalisme, contrairement à celles des pays d'Europe de l'Est dont le marasme total (à quelques ex­ceptions près) apporte un cinglant démenti à tous les discours sur les prétendues « grandes perspectives » qui s'offraient à eux avec leur rejet des régimes staliniens. Cela dit, l'arriération de ce pays reste consi­dérable, la plus grande partie de l'économie, comme dans tous les régimes staliniens, étouffe sous le poids de la bureaucratie et des dépenses militaires. De l'aveu même des autorités le secteur public est globalement déficitaire et des centaines de milliers d'ou­vriers sont payés avec des mois de retard. Et même si le secteur privé est plus dynami­que, il ne peut surmonter les pesanteurs du secteur étatique de même qu'il reste particu­lièrement tributaire des fluctuations du mar­ché mondial. Enfin, le « formidable dyna­misme » de l'économie chinoise ne saurait cacher que, même dans l'hypothèse du maintien de sa croissance actuelle, ce ne sont pas moins de 250 millions de chômeurs qu'elle comptera à la fin du siècle.

9) De quelque côté qu'on se tourne, pour peu qu'on soit capable de résister aux sirènes des apologistes du mode de production capita­liste et de s'appuyer sur les enseignements du marxisme, la perspective de l'économie mondiale ne peut être que celle d'une catas­trophe croissante. Les prétendus « succès » présents de certaines économies (pays anglo-saxons ou d'Asie du sud-est) ne représentent nullement l'avenir de l'ensemble du capita­lisme. Ils ne sont qu'un trompe l'oeil mystifi­cateur qui ne pourra pas masquer longtemps cette catastrophe. De même, les discours sur la « mondialisation » sensée ouvrir une ère de liberté et d'expansion du commerce ne font que masquer une intensification sans précédent de la guerre commerciale dans la­ quelle les assemblages de pays comme l’Union Européenne n'ont d'autre significa­tion que l'établissement d'une forteresse contre la concurrence d'autres pays. Ainsi, une économie mondiale en équilibre instable sur une montagne de dettes qui ne seront jamais remboursées sera de plus en plus confrontée aux convulsions du « chacun pour soi », phénomène qui a toujours carac­térisé le capitalisme mais qui revêt, dans la période actuelle de décomposition, une qua­ lité nouvelle. Les révolutionnaires, les mar­xistes, ne peuvent pas prévoir les formes précises ni le rythme de l'effondrement croissant du mode de production capitaliste. Mais il leur revient de proclamer et de dé­ montrer l'impasse absolue dans laquelle se trouve ce système, de dénoncer tous les mensonges sur une mythique «sortie du tunnel » de celui-ci.

10) Plus encore que dans le domaine éco­nomique, le chaos propre à la période de décomposition exerce ses effets dans celui des relations politiques entre Etats. Au mo­ment de l'effondrement du bloc de l'Est con­duisant à la disparition du système d'allian­ces issu de la seconde guerre mondiale, le CCI avait mis en évidence :

- que cette situation mettait à l'ordre du jour, sans que cela soit immédiatement réalisa­ble, la reconstitution de nouveaux blocs, l'un étant dirigé par les Etats-Unis et l'au­tre par l'Allemagne ;

- que, de façon immédiate, elle allait débou­cher sur un déferlement d'affrontements ouverts que « l'ordre de Yalta » avait réussi auparavant à maintenir dans un ca­dre « acceptable » pour les deux gendar­mes du monde.

Dans un premier temps, la tendance à la constitution d'un nouveau bloc autour de l'Allemagne; dans la dynamique de la réuni­fication de ce pays, a accompli des pas si­gnificatifs. Mais assez rapidement, la ten­dance au « chacun pour soi » a pris le des­sus sur la tendance à la reconstitution d'al­liances stables préfigurant de futurs blocs impérialistes ce qui a contribué à multiplier et aggraver les affrontements militaires. L'exemple le plus significatif a été celui de la Yougoslavie dont l'éclatement a été favo­risé par les intérêts impérialistes antagoni­ques des grands Etats européens, Allema­gne, Grande-Bretagne et France. Les affron­tements dans l'ex-Yougoslavie ont créé un fossé entre les deux grands alliés de la Communauté européenne, l'Allemagne et la France, provoqué un rapprochement specta­culaire entre ce dernier pays et la Grande-Bretagne et la fin de l'alliance de celle-ci et des Etats-Unis, la plus solide et durable du 20e siècle. Depuis, cette tendance au « chacun pour soi », au chaos dans les rela­tions entre Etats, avec son cortège d'al­liances de circonstances et éphémères, n'a nullement été remise en cause, bien au con­traire.

11) Ainsi, la dernière période a vu s'opérer un certain nombre de modifications sensi­bles dans les alliances qui s'étaient formées dans la période précédente : -relâchement important des liens entre la France et la Grande-Bretagne illustré no­tamment par l'absence de soutien de cette dernière aux revendications de la première comme la réélection de Boutros-Ghali à la tête de l'ONU ou le commandement par un européen du versant sud du dispositif de l'OTAN en Europe ;

- nouveau rapprochement entre la France et l'Allemagne qui s'est concrétisé en particu­lier par le soutien de cette dernière à ces mêmes revendications de la France ;

-mise en veilleuse des conflits entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui s'est exprimée, entre autres, par le soutien de cette dernière à l'Oncle Sam sur ces mêmes questions.

En fait, une des caractéristiques de cette évolution des alliances est liée au fait que seuls les Etats-Unis et l'Allemagne ont, et peuvent avoir, une politique cohérente à long terme, le premier de préservation de son leadership, la seconde de développe­ment de son propre leadership sur une partie du monde, les autres puissances étant confi­nées à des politiques plus circonstancielles visant, en bonne partie, à contrecarrer celle des premières. En particulier, la première puissance mondiale est confrontée, depuis qu'a disparu la division du monde en deux blocs, à une contestation permanente de son autorité de la part de ses anciens alliés.

12) La manifestation la plus spectaculaire de cette crise de l'autorité du gendarme mondial a été la rupture de son alliance historique avec la Grande-Bretagne, à l'initiative de cette dernière, à partir de 1994. Elle s'est également concrétisée par la longue impuis­sance des Etats-Unis, jusqu'à l'été 1995, sur un des terrains majeurs des affrontements impérialistes, l'ex-Yougoslavie. Elle s'est exprimée plus récemment, en septembre 1996, par les réactions presque unanimes d'hostilité envers les bombardements de l'Irak par 44 missiles de croisière alors qu'en 1990-91 les Etats-Unis avaient réussi à ob­tenir le soutien des mêmes pays pour l'opé­ration « tempête du désert ». En particulier, concernant les Etats de la région, la con­ damnation très ferme de ces bombardements par l'Egypte et l'Arabie Saoudite tranche avec le soutien total qu'elles avaient apporté à l'Oncle Sam lors de la guerre du Golfe. Parmi les autres exemples de la contestation du leadership américain il faut encore relever:

- la protestation générale contre la loi Helms-Burton renforçant l'embargo contre Cu­ba dont le « lider maximo » a été reçu par la suite en grande pompe, et pour la pre­mière fois, par le Vatican ;

-la venue au pouvoir en Israël, contre la volonté affichée des Etats-Unis, de la droite, laquelle a tout fait depuis pour sa­boter le processus de paix avec les pales­tiniens qui constituait un des plus beaux succès de la diplomatie US ;

-plus généralement, la perte du monopole du contrôle de la situation au Moyen-Orient, zone cruciale s'il en est, notamment illustrée par le retour en force de la France qui s'est imposée comme co-parrain du rè­glement du conflit entre Israël et le Liban, fin 1995 et qui a confirmé son succès dans la région avec l'accueil chaleureux réservé à Chirac par l'Arabie Saoudite en octobre 1996;

- l'invitation récente de plusieurs dirigeants européens (dont le même Chirac qui a lancé des appels à l'indépendance envers les Etats-Unis) par un certain nombre d'Etats d'Amérique du sud confirmant la fin du contrôle sans partage de cette zone par les Etats-Unis.

13) Cela dit, la dernière période a été mar­quée, comme l'avait déjà constaté il y a un an le 12e Congrès de la section en France, par une contre-offensive massive des Etats- Unis. Cette contre-offensive s'est concrétisée en particulier par un retour en force de cette puissance dans l'ex-Yougoslavie à partir de l'été 1995 sous couvert de 1’IFOR devant prendre la succession de la FORPRONU, laquelle avait constitué pendant plusieurs  années l'instrument de la présence prépondé­rante du tandem franco-britannique. La meilleure preuve du succès américain a été la signature à Dayton, aux Etats-Unis, des accords de paix sur la Bosnie. Depuis, la nouvelle avancée de la puissance US ne s'est pas démentie. En particulier, elle a réussi à infliger au pays qui l'avait défiée le plus ou­vertement, la France, un très sérieux revers dans ce qui constitue son « pré carré », l'Afrique. Après l'élimination de l'influence française au Rwanda, c'est maintenant la principale position de la France sur ce con­tinent, le Zaïre qui est en train de lui échap­per avec l'effondrement du régime de Mobu­tu sous les coups de la « rébellion » de Kabila massivement soutenue par le Rwan­da et l'Ouganda, c'est-à-dire, par les Etats-Unis. C'est une punition particulièrement sévère que cette puissance est en train d'in­fliger à la France et qui se veut exemplaire à l'adresse de tous les autres pays qui vou­draient l'imiter dans sa politique de défi permanent. C'est une punition qui vient cou­ronner les autres revers infligés récemment par les Etats-Unis à ce pays sur la question du successeur de Boutros-Ghali et sur la question du commandement du flanc sud de l'OTAN.

14) C'est en grande partie parce qu'elle avait justement compris les risques qu'elle cour­rait en emboîtant le pas à la politique aventuriste de la France (qui de façon régulière se fixe des objectifs dépassant ses capacités réelles), que la bourgeoisie britannique à pris dernièrement ses distances avec sa consoeur d'outre-Manche. Cette brouille a été grandement favorisée par l'action des Etats-Unis et de l'Allemagne qui ne pou­vaient voir que d'un mauvais oeil l'alliance contractée par la France et la Grande-Breta­gne à partir de la question Yougoslave. C'est ainsi que les bombardements américains de l'Irak, en septembre 1996, avaient comme immense avantage d'enfoncer un coin entre les diplomaties française et britannique, la première soutenant du mieux qu'elle peut Saddam Hussein, la seconde misant, comme celle des Etats-Unis, sur le renversement de son régime. De même, l'Allemagne n'a pas manqué de saper la solidarité franco-britan­nique sur les questions qui lui font mal comme notamment celle de l'Union Européenne et de la monnaie unique (3 sommets franco-allemands en deux semaines sur cette question, en décembre 1996). C'est donc dans ce cadre qu'on peut comprendre la nouvelle évolution des alliances au cours de la dernière période qui était signalée plus haut. En fait, l'attitude de l'Allemagne et surtout des Etats-Unis confirme ce que nous disions au précédent congrès du CCI : « Dans une telle situation d'instabilité, il est plus facile pour chaque puissance de créer des troubles chez ses adversaires, de saboter les alliances qui lui portent ombrage, que de développer pour sa part des alliances soli­des et s'assurer une stabilité sur ses terres. » {Résolution sur la situation internationale, point 11). Cependant, il convient de mettre en évidence des différences importantes aussi bien dans les méthodes que dans le résultat de la politique suivie par ces deux puissances.

15) Le résultat de la politique internationale de l'Allemagne ne se limite pas, loin de là, à détacher la France de la Grande-Bretagne et obtenir de la première qu'elle renoue leur alliance passée, ce qui s'est concrétisé no­tamment, au cours de la dernière période, par des accords militaires de première im­portance, aussi bien sur le terrain, en Bosnie (mise en place d'une  brigade  conjointe) qu'au niveau des accords de coopération militaires (signature le 9 décembre  1996 d'un accord pour « un concept commun en matière de sécurité et de défense »).  En réalité, on assiste à l'heure actuelle à une avancée très significative de l'impérialisme allemand qui se concrétise notamment par :

-le fait qu'au sein de la nouvelle alliance entre la France et l'Allemagne, cette der­nière se trouve dans un rapport de forces beaucoup plus favorable que dans la pé­riode 1990-94 (la France ayant été con­trainte en bonne partie de retourner à ses anciennes amours du fait de la défection de la Grande-Bretagne) ; -une extension de sa zone traditionnelle d'influence vers les pays de l'Est, et tout particulièrement  par le développement d'une alliance avec la Pologne ;

- un renforcement de son influence en Tur­quie (dont le nouveau gouvernement dirigé par l'islamiste Erbakan est plus favorable à l'alliance allemande que le précédent) qui lui sert de relais en direction du Caucase (où elle soutient les mouvements nationa­listes qui s'opposent à la Russie) et de l'Iran avec qui la Turquie a signé d'impor­tants accords ;

- l'envoi, pour la première fois depuis la se­conde guerre mondiale, d'unités combat­tantes en dehors des frontières, et juste­ment dans la zone particulièrement criti­que des Balkans avec le corps expédition­naire présent en Bosnie dans le cadre de 1’IFOR (ce qui permet au ministre de la dé­fense de déclarer que « L'Allemagne jouera un rôle important dans la nouvelle so­ciété »).

Par ailleurs, l'Allemagne, en compagnie de la France, a engagé un forcing diplomatique en direction de la Russie dont elle est le premier créancier et qui n'a pas tiré d'avan­tages décisif de son alliance avec les Etats-Unis.

16) Ainsi, dès à présent, l'Allemagne est en train de s'installer dans son rôle de principal rival impérialiste des Etats-Unis. Cepen­dant, il faut noter qu'elle a réussi jusqu'à aujourd'hui à avancer ses pions sans s'expo­ser à des représailles du mastodonte améri­cain, en particulier en évitant systématique­ment de le défier de façon ouverte comme le fait la France. La politique de l'aigle alle­mand (qui pour le moment réussit à masquer ses griffes) se révèle en fin de compte bien plus efficace que celle du coq gaulois. C'est à la fois la conséquence des limites que son statut de vaincu de la deuxième guerre mondiale continue de lui imposer (bien que justement sa politique actuelle vise à dépas­ser ce statut) et de son assurance en tant que seule puissance ayant éventuellement la possibilité, à terme, de prendre la direction d'un nouveau bloc impérialiste. C'est aussi le résultat du fait que, jusqu'à présent, l'Alle­magne a pu avancer ses positions sans faire étalage direct de sa force militaire (même si, évidemment, elle a apporté un soutien très important à son allié Croate dans sa guerre contre la Serbie). Mais la première histori­que que constitue la présence de son corps expéditionnaire en Bosnie non seulement a brisé un tabou mais indique la direction dans laquelle elle devra s'orienter de plus en plus pour tenir son rang. Ainsi, à terme, ce ne sera plus seulement par délégation (comme ce fut le cas en Croatie, et dans une moindre mesure dans le Caucase) que l'im­périalisme allemand apportera sa contribu­tion aux conflits sanglants et aux massacres dans lesquels s'enfonce le monde actuel, mais de façon bien plus directe.

17) Pour ce qui concerne la politique inter­nationale des Etats-Unis, l'étalage et l'emploi de la force armée non seulement fait partie depuis longtemps de ses méthodes, mais elle constitue maintenant le principal instru­ments de défense de ses intérêts impérialis­tes, comme le CCI l'a mis en évidence de­puis 1990, avant même la guerre du Golfe. Face à un monde dominé par le «chacun pour soi », où notamment les anciens vas­saux du gendarme américain aspirent à se dégager le plus possible de la pesante tutelle de ce gendarme qu'ils avaient dû supporter face à la menace du bloc adverse, le seul moyen décisif pour les Etats-Unis d'imposer leur autorité est de s'appuyer sur l'instrument pour lesquels ils disposent d'une supériorité écrasante sur tous les autres Etats : la force militaire. Ce faisant, les Etats-Unis sont pris dans une contradiction :

- d'une part, s'ils renoncent à la mise en oeu­vre ou à l'étalage de leur supériorité mili­taire, cela ne peut qu'encourager les pays qui contestent leur autorité à aller encore plus loin dans cette contestation,

- d'autre part, lorsqu'ils font usage de la force brute, même, et surtout, quand ce moyen aboutit momentanément à faire ravaler les velléités de leurs opposants, cela ne peut que pousser ces derniers à saisir la moindre occasion pour prendre leur revanche et tenter de se dégager de l'emprise américaine.

En fait, l'affirmation de la supériorité mili­taire par la superpuissance agit en sens con­traire suivant que le monde est divisé en blocs, comme avant 1989, ou que les blocs n'existent plus. Dans le premier cas, l'affir­mation de cette supériorité tend à renforcer la confiance des vassaux envers le leader quant à sa capacité à les défendre efficace­ment et constitue donc un facteur de cohé­sion autour de lui. Dans le second cas, les démonstrations de force de la seule super­puissance qui ait survécu ont au contraire comme résultat ultime d'aggraver encore plus le « chacun pour soi » tant que n'existe pas une puissance qui puisse lui faire con­currence à son niveau. C'est pour cela que les succès de la contre-offensive actuelle des Etats-Unis ne sauraient être considérés comme définitifs, comme un dépassement de la crise de leur leadership. La force brute, les manoeuvres visant à déstabiliser leurs concurrents (comme aujourd'hui au Zaïre), avec  tout  leur  cortège  de  conséquences tragiques n'ont donc pas fini d'être employés par cette puissance, bien au contraire, con­tribuant à accentuer le chaos sanglant dans lequel s'enfonce le capitalisme.

18)       C'est un chaos qui a encore relativement épargné l'extrême Orient et l'Asie du Sud Est. Mais il importe de souligner l'accumu­lation de charges explosives qui s'y déroule à l'heure actuelle :

- intensification des efforts d'armement des deux principales puissances, Chine et Ja­pon ;

- volonté de ce dernier pays de se dégager le plus possible du contrôle américain hérité de la seconde guerre mondiale;

- politique plus ouvertement « contesta­taire » de la Chine (ce dernier pays tenant un peu la place de la France en occident alors que le Japon a une diplomatie beau­coup plus semblable à celle de l'Allema­gne);

- menace de déstabilisation politique en Chine (particulièrement après la mort de Deng) ;

- existence d'une multitude de « conten­tieux » entre Etats (Taiwan et Chine, les deux Corées, Vietnam et Chine, Inde et Pakistan, etc.).

Pas plus qu'elle ne pourra échapper à la crise économique, cette région ne pourra échapper aux convulsions impérialistes qui assaillent le monde aujourd'hui, contribuant à accen­tuer le chaos général dans lequel s'enfonce la société capitaliste.

19)       Ce chaos général, avec son cortège de conflits sanglants, de massacres, de famines, et plus généralement, la décomposition qui envahit tout les domaines de la société et qui risque, à terme, de l'anéantir, trouve son aliment principal dans l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capitaliste. Mais en même temps, cette impasse, avec les attaques permanentes et de plus en plus brutales qu'elle provoque nécessairement contre la classe productrice de l'essentiel de la richesse sociale, le prolétariat, porte avec elle la riposte de ce dernier et la perspective de son surgissement révolutionnaire. Depuis la fin des années 1960, le prolétariat mon­dial a fait la preuve qu'il n'était pas disposé à subir passivement les attaques capitalistes et les luttes qu'il a menées dès les premières atteintes de la crise ont démontré qu'il était sorti de la terrible contre-révolution qui s'était abattue sur lui après la vague révolu­tionnaire des années 1917-23. Cependant, ce n'est pas de façon continue qu'il a développé ses luttes mais de façon heurtée, avec des avancées et des reculs. C'est ainsi que, entre 1968 et 1989, la lutte de classe a connu trois vagues de combats successifs (1968-74, 1978-81, 1983-89) au cours desquelles les masses ouvrières, malgré des défaites, des hésitations, des retours en arrière, ont acquis une expérience croissante qui les a condui­tes, notamment, à rejeter de plus en plus l'encadrement syndical. Cependant, cette avancée progressive de la classe ouvrière vers une prise de conscience des buts et des moyens de son combat a été brutalement in­terrompue à la fin des années 1980 :

« Cette lutte, qui avait resurgi avec puis­sance à la fin des années 1960, mettant un terme à la plus terrible contre-révolution qu'ait connue la classe ouvrière, a subi un recul considérable avec l'effondrement des régimes staliniens, les campagnes idéologi­ques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. C'est sur les deux plans de sa combativité et de sa conscience que la classe ouvrière a subie, de façon massive, ce recul, sans que cela remette en cause toutefois, comme le CCI l'avait déjà affirmé à ce moment-là, le cours historique vers les affrontements de classe. » (Résolution sur la situation inter­nationale du 11e congrès du CCI, point 14)

20) A partir de l'automne 1992, avec les grandes mobilisations ouvrières en Italie, le prolétariat a repris le chemin des luttes. Mais c'est un chemin semé d'embûches et de difficultés. Lors de l'effondrement des régi­mes staliniens, à l'automne 1989, en même temps qu'il annonçait le recul de la con­science provoqué par cet événement, le CCI avait précisé que : « l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes dans la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats » (« Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est », Revue Internatio­nale n° 60) Et, effectivement, nous avons assisté, au cours de la dernière période, à un retour en force des syndicats résultant d'une stratégie très élaborée de la part de toutes les forces de la bourgeoisie. Cette stratégie avait comme premier objectif de mettre à profit le désarroi provoqué dans la classe ouvrière par les événements de 1989-91 pour recrédibiliser le plus possible à ses yeux les appareils syndicaux dont le discré­dit acquis dans beaucoup de pays tout au long des années 80 continuait à se faire sen­tir. L'illustration la plus claire de cette of­fensive politique de la bourgeoisie nous a été donnée par la manoeuvre développée par les différents secteurs de la bourgeoisie, à l'automne 1995 en France. Grâce à un habile partage des tâches entre la droite au pouvoir, déchaînant de façon particulièrement provo­cante toute une avalanche d'attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière, et les syndicats, se présentant comme les meilleurs défenseurs de celle-ci, mettant eux-mêmes en avant les méthodes prolétariennes de lutte, l'extension au delà des secteurs et la conduite du mouvement par les assemblées générales, l'ensemble de la classe bourgeoise a redonné aux appareils syndicaux une po­pularité qu'ils n'avaient pas connue depuis plus d'une décennie. Le caractère prémédité, systématique et international de la manoeu­vre s'est révélé avec l'immense publicité faite aux grèves de la fin 1995 dans tous les pays alors que la plupart des mouvements des années 1980 avaient été l'objet d'un black-out total. D s'est encore confirmé avec la manoeuvre développée en Belgique, à la même période, qui constituait une copie conforme de la première. De même, la réfé­rence aux grèves de l'automne 1995 en France a été largement employée lors de la manoeuvre mise en place au printemps 1996 en Allemagne et qui devait culminer avec l'immense marche sur Bonn du 10 juin. Cette manoeuvre était destinée à donner aux syndicats, perçus comme des spécialistes de la négociation et de la concertation avec le patronat, une image beaucoup plus comba­tive afin qu'ils soient capables dans l'avenir de contrôler les luttes sociales qui ne man­queront pas de surgir face à une intensifica­tion sans précédent des attaques économi­ques contre la classe ouvrière. Ainsi se con­firmait clairement l'analyse que le CCI avait mise en avant à son 11e Congrès : « les ma­noeuvres présentes des syndicats ont aussi, et surtout, un but préventif: il s'agit pour eux de renforcer leur emprise sur les ou­vriers avant que ne se déploie beaucoup plus leur combativité, combativité qui résul­tera nécessairement de leur colère crois­sante face aux attaques de plus en plus brutales de la crise. » (Résolution sur la situation internationale, point 17) Et le ré­sultat de ces manoeuvres venant compléter le désarroi provoqué par les événements de 1989-91 pouvait nous faire dire, lors du 12e Congrès de notre section en France : «... dans les principaux pays du capitalisme, la classe ouvrière se retrouve ramenée à une situation comparable à celle des années 1970 en ce qui concerne ses rapports aux syndicats et au syndicalisme : une situation où la classe, globalement, luttait derrière les syndicats, suivait leurs consignes et leurs mots d'ordre et, enfin de compte, s'en remettait à eux. En ce sens, la bourgeoisie a momentanément réussi à effacer des con­sciences ouvrières les leçons acquises au cours des années 1980, suite aux expérien­ces répétées de confrontation aux syndi­cats. » (Résolution sur la situation interna­tionale, point 12)

21) L'offensive politique de la bourgeoisie contre la classe ouvrière ne se limite pas, loin de là, à la crédibilisation des appareils syndicaux. La classe dominante utilise les différentes manifestations de la décomposi­tion de la société (montée de la xénophobie, conflits entre cliques bourgeoises, etc.) pour les retourner contre la classe ouvrière. C'est ainsi qu'on a assisté dans plusieurs pays d'Europe à des campagnes destinées à créer des diversions auprès des ouvriers, voire à dévoyer leur colère et leur combativité sur un terrain totalement étranger à celui du prolétariat :

-mise à profit des sentiments xénophobes exploités par l'extrême droite (Le Pen en France, Heider en Autriche) pour monter des campagnes sur le « danger de fa­scisme » ;

-en Espagne, campagnes contre le terro­risme de l'ETA dans lesquelles les ouvriers sont invités à se solidariser de leurs pa­trons ;

- utilisation des règlements de compte entre secteurs de l'appareil policier et judiciaire pour mettre sur pieds des campagnes pour un Etat et une justice « propres » dans des pays comme l'Italie (opération « mains propres ») et particulièrement en Belgique (affaire Dutroux).

Ce dernier pays a constitué au cours de la dernière période une sorte de « laboratoire » pour tout l'éventail de mystifications mises en oeuvre contre la classe ouvrière par la bourgeoisie. Celle-ci, a suc­cessivement :

- réalisé une copie conforme de la manoeu­vre de la bourgeoisie française de l'au­tomne 1995 ;

- puis développé une manoeuvre semblable à celle de la bourgeoisie allemande du prin­temps 1996;

-monté en épingle, à partir de l'été 1996, l'affaire Dutroux laquelle a été opportuné­ment « découverte » au « bon moment » (alors que tous les éléments étaient déjà connus par la justice depuis longtemps) afin de créer, grâce à un battage médiati­que sans précédent, une véritable psychose dans les familles ouvrières, en même temps que pleuvaient les attaques, et dé­fouler la colère sur le terrain interclassiste d'une «justice au service du peuple », par­ticulièrement lors de la « marche blan­che » du 20 octobre ;

- relancé, avec la « marche multicolore » du 2 février organisée à l'occasion de la fer­meture des Forges de Clabecq, la mys­tification interclassiste d'une «justice po­pulaire » et d'une « économie au service du citoyen », mystification renforcée par la promotion du syndicalisme « de combat » et « de base » autour du très médiatique D'Orazio ;

- ajouté une nouvelle couche de mensonges démocratiques suite à l'annonce début mars de la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde (fermeture qui a été condamnée par les tribunaux) en même temps qu'on faisait la promotion d'une « Europe sociale », op­posée à « l'Europe des capitalistes ».

L'immense médiatisation internationale de toutes ces manoeuvres a une nouvelle fois fait la preuve qu'elles n'étaient pas unique­ment à usage interne mais faisaient partie d'un plan élaborée de façon concertée par la bourgeoisie de tous les pays. Il s'agit pour la classe dominante, pleinement conscience du fait que ses attaques croissantes contre la classe ouvrière vont provoquer de la part de cette dernière des ripostes de grande enver­gure, de prendre les devants à un moment où la combativité n'est encore qu'embryonnaire, où pèsent encore fortement sur la conscience les séquelles de l'effondrement des préten­dus régimes « socialistes », afin de « mouiller la poudre » et de renforcer au maximum son arsenal de mystifications syndicalistes et démocratiques.

22) Le désarroi incontestable dans lequel se trouve à l'heure actuelle la classe ouvrière a donné à la bourgeoisie une certaine marge de manoeuvre quant à ses jeux politiques internes. Comme l'avait établi le CCI début 1990: «C'est pour cette raison (...) qu'il convient aujourd'hui de mettre à jour l'ana­lyse développée par le CCI sur la "gauche dans l'opposition". Cette carte était nécessaire à la bourgeoisie depuis la fin des an­nées 1970 et tout au long des années 1980 du fait de la dynamique générale de la classe vers des combats de plus en plus déterminés et conscients, de son rejet croissant des mystifications démocratiques, électorales  et syndicales. Les  difficultés rencontrées dans certains pays (par exemple la France) pour la mettre en place dans les meilleures conditions ne retiraient rien au  fait qu'elle constituait l'axe central de la  stratégie de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, ce qui a été illustré par la permanence de gouvernements de droite dans des pays aussi importants que les Etats-Unis, la  RFA et la Grande-Bretagne. En revanche, le recul actuel de la classe n'impose plus à la bourgeoisie, pour un certain temps, l'utilisation prioritaire de cette stratégie. Cela ne veut pas dire que dans ces derniers pays on  verra nécessairement la gauche retourner  au gouvernement : nous avons, à plusieurs reprises (...) mis en évidence qu'une telle formule n'est indispensable que dans les   périodes   révolutionnaires   ou   de   guerre   impérialiste. Par contre, il ne faut pas être   surpris s'il advient un tel événement, ou bien considérer qu'il s'agit d'un  "accident" ou    l'expression d'une faiblesse particulière de la bourgeoisie de ces pays. » (Revue Internationale n° 61) C'est pour cette raison que la bourgeoisie italienne a pu, en grande par­tie pour des raisons de politique internationale, faire appel au printemps 1996 à une  équipe de centre gauche où domine l'ancien parti communiste (PSD) et soutenue pendant un bon moment par l'extrême gauche de « Rifondazione Comunista ». C'est aussi pour cette raison que la probable victoire des travaillistes en Grande-Bretagne, en mai 1997, ne devra pas être vue comme une source de difficultés pour la bourgeoisie de  ce pays (qui a d'ailleurs pris le soin de mettre fin au lien organique entre le parti et l'appareil syndical afin de permettre à ce dernier de s'opposer au gouvernement, si nécessaire). Cela dit, il importe de souligner, le fait que la classe dominante ne va revenir aux thèmes des années 1970 où  « l'alternative de gauche » avec son programme de mesures « sociales », voire de  nationalisations, avait comme objectif de  briser l'élan de la vague de luttes initiée en 1968 en dévoyant le mécontentement et la combativité vers l'impasse électorale. Si des partis de gauche (dont le programme éco­nomique se distingue d'ailleurs de moins en; moins de ceux de droite) parviennent au gouvernement, ce sera essentiellement « par défaut » du fait des difficultés de la droite, et non comme moyen de mobilisation des ouvriers dont la crise a aujourd'hui ôté les illusions qu'ils pouvaient avoir dans les an­nées 1970.

23) Dans cet ordre d'idées, il convient aussi d'établir une différence très nette entre les campagnes idéologiques qui se déploient aujourd'hui et celles qui avaient été em­ployées contre la classe ouvrière au cours des années 1930. Entre ces deux types de campagnes, il existe un point commun : elles se déploient toutes sur le thème de la « défense de la Démocratie ». Cependant, les campagnes des années 1930 :

- se situaient dans un contexte de défaite historique du prolétariat, de victoire sans partage de la contre-révolution ;

-avaient comme objectif d'embrigader les prolétaires dans la guerre mondiale qui se préparait ;

-disposaient d'un faire valoir, les régimes fascistes en Italie, Allemagne et Espagne, bien réel, massif, durable et ciblé.

En revanche, les campagnes actuelles :

- se situent dans un contexte où le proléta­riat à surmonté la contre-révolution, où il n'a pas subi de défaite décisive remettant en cause le cours historique aux affronte­ments de classe ;

-ont comme objectif de saboter un cours montant de la combativité et de la con­science dans la classe ouvrière ;

- ne disposent pas d'un faire valoir unique et ciblé mais sont obligées de faire appel à des thèmes disparates et quelques fois cir­constanciels (terrorisme, « danger fa­sciste », réseaux de pédophilie, corruption de la justice, etc.) ce qui tend à limiter leur portée internationale et dans le temps.

C'est pour ces raisons que si les campagnes de la fin des années 1930 avaient réussi à mobiliser les masses ouvrières derrière elles de façon permanente, celles d'aujourd'hui :

- soit réussissent à entraîner massivement les ouvriers (cas de la « Marche blanche » du 20 octobre 1996 à Bruxelles) mais elles ne peuvent le faire que dans une durée li­mitée (c'est pour cela que la bourgeoisie belge a mis en place d'autres manoeuvres par la suite) ;

- soit se déploient de façon permanente (^cas des campagnes anti-Front National en France), mais ne réussissent pas à embri­gader les ouvriers, jouant essentiellement un rôle de diversion.

Cela dit, il importe de ne pas sous-estimer le danger de ce type de campagnes dans la mesure où les effets de la décomposition générale et croissante de la société bourgeoise pourront leur fournir de nouveaux thèmes en permanence. Seule une avancée significative de la conscience dans la classe ouvrière permettra à celle-ci de repousser ce type de mystifications. Et cette avancée ne pourra résulter que d'un développement massif des luttes ouvrières remettant en cause, comme elle avait commencé à le faire au milieu des années 1980, les instruments les plus importants de la bourgeoisie en mi­lieu ouvrier, les syndicats et le syndicalisme.

24) Cette remise en cause, qui s'accompagne de la prise en main directe des luttes et de leur extension par les assemblées générales et les comités de grève élus et révocables, passe nécessairement par tout un processus de confrontation avec le sabotage des syndi­cats. C'est un processus qui va nécessaire­ment se développer dans l'avenir du fait de l'accroissement de la combativité ouvrière en réponse aux attaques de plus en plus bruta­les que déchaînera le capitalisme. Déjà, la tendance à un développement de la comba­tivité ne permet plus aujourd'hui à la bour­geoisie, devant la menace d'un débordement, de renouveler les grandes manoeuvres « à la française » de 1995-96 destinées à recré­dibiliser massivement les syndicats. Cepen­dant, ces derniers n'ont pas eu encore l'oc­casion de se démasquer réellement même si, au cours de la dernière période, ils ont commencé à employer plus fréquemment leurs méthodes d'action « classiques » comme la division entre secteur public et secteur privé (manifestation du 11 décembre 1996 en Espagne, par exemple) ou la mise en avant du corporatisme. L'exemple le plus spectaculaire de cette tactique est la grève déclenchée à l'annonce de la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde où l'on a pu voir les syndicats des différents pays où se trou­vent des usines de cette entreprise promou­voir une mobilisation « européenne » des « Renault ». Mais le fait que cette manoeu­vre crapuleuse des syndicats soit passée inaperçue, qu'elle leur ait même permis d'augmenter quelque peu leur prestige tout en diffusant la mystification d'une « Europe sociale », fait la preuve que nous sommes aujourd'hui dans une étape charnière entre celle de la recrédibilisation des syndicats et celle où ils devront se découvrir et se dé­considérer de plus en plus. Une des caracté­ristiques de cette période consiste dans le début d'une mise en avant des thèmes du syndicalisme « de combat » suivant lesquels « la base » serait capable de « pousser » les directions syndicales à se radicaliser (exemples des Forges de Clabecq ou des mineurs en mars dernier en Allemagne) où qu'il peut exister une "base syndicale" ca­pable de défendre vraiment les intérêts ou­vriers en dépit des trahisons des appareils (exemple, notamment, de la grève des dock­ers en Grande-Bretagne).

25) Ainsi, c'est encore un long chemin qui attend la classe ouvrière sur la voie de son émancipation, un chemin que la bourgeoisie va systématiquement miner par toutes sortes de pièges, comme on l'a déjà vu au cours de la dernière période. L'ampleur des manoeu­vres mises en place par la bourgeoisie dé­montre qu'elle est consciente des dangers que recèle pour elle la situation actuelle du capitalisme mondial. Si Engels avait pu écrire que la classe ouvrière mène son com­bat sur trois plans, économique, politique et idéologique, la stratégie actuelle de la bour­geoisie qui se déploie également contre les organisations révolutionnaires (campagne sur le prétendu « négationnisme » de la Gauche communiste) fait la preuve qu'elle le sait parfaitement. Il appartient aux révolu­tionnaires, non seulement de débusquer et de dénoncer systématiquement les pièges semées par la classe dominante, et l'ensem­ble de ses organes, notamment les syndicats, mais de mettre en avant, contre toutes les falsifications qui se sont développées au cours de la dernière période, la véritable perspective de la révolution communiste comme but ultime des combats présents du prolétariat. C'est uniquement si la minorité communiste joue pleinement son rôle que la classe ouvrière pourra développer ses forces et sa conscience pour atteindre ce but.



[1] « Résolution d'activités ».

[2] « Résolution sur le milieu politique prolétarien et le parasitisme ».

[3] «r Résolution sur la situation internationale >, publiée ci-dessous.

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