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La campagne idéologique qui vise aujourd'hui à assimiler les positions politiques de la Gauche communiste face à la 2e guerre mondiale à du « négationnisme » ([1]), c'est-à-dire la remise en cause de l'extermination des juifs par les nazis, a deux objectifs. Le premier est de salir et de discréditer aux yeux de la classe ouvrière, le seul courant politique, la Gauche communiste, qui refusa de céder à l'Union sacrée face à la seconde guerre mondiale. En effet seule la Gauche communiste dénonça la guerre – comme l'avaient fait avant elle, Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg à propos de la première guerre mondiale – comme une guerre inter-impérialiste de même nature que celle de 1914-18, en démontrant que la prétendue spécificité de cette guerre, celle d'une lutte entre deux systèmes, la « démocratie » et le « fascisme », n'était qu'un pur mensonge destiné à embrigader les prolétaires dans une gigantesque boucherie. Le second objectif s'inscrit dans l'offensive idéologique qui veut faire croire aux prolétaires que la démocratie bourgeoise serait, malgré ses imperfections, le seul système possible et qu'il leur faut donc se mobiliser pour la défendre ; c'est ce qu'on leur demande aujourd'hui par le matraquage de diverses campagnes politico-médiatiques, de l'opération « mains propres » en Italie à « l'affaire Dutroux » en Belgique, en passant par le battage « anti-Le Pen » en France. Et dans cette offensive, le rôle dévolu à la campagne « anti-négationniste » est de présenter le fascisme comme « le mal absolu » et ce faisant de dédouaner le capitalisme comme un tout de sa responsabilité dans l'holocauste.
Encore une fois, nous voulons réaffirmer avec force que la Gauche communiste n'a aucune espèce de parenté, même lointaine, avec la mouvance « négationniste » rassemblant l'extrême-droite traditionnelle et « l'ultra-gauche », concept étranger à la Gauche communiste (1). Pour nous, il n'a jamais été question de nier ou de chercher à atténuer la terrifiante réalité des camps d'extermination nazis. Comme nous l'avons dit dans le numéro précédent de cette revue : « Vouloir amoindrir la barbarie du régime nazi, même au nom de la dénonciation de la mystification antifasciste, revient à amoindrir la barbarie du système capitaliste décadent, dont ce régime n'est qu'une des expressions. » Aussi, la dénonciation de l'antifascisme comme instrument de l'embrigadement du prolétariat dans le pire carnage inter-impérialiste de l'histoire et comme moyen de dissimuler quel est le vrai responsable de toutes ces horreurs, à savoir le capitalisme comme un tout, n'a jamais signifié la moindre complaisance dans la dénonciation du camp fasciste dont les premières victimes furent les militants prolétariens. L'essence de l'internationalisme prolétarien, dont la Gauche communiste s'est toujours faite le défenseur intransigeant – dans la droite ligne de la vraie tradition marxiste et donc à l'encontre de tous ceux qui l'ont bafouée et trahie, trotskistes en tête – a toujours consisté à dénoncer tous les camps en présence et à démontrer qu'ils sont tous également responsables des horreurs et des souffrances indicibles que toutes les guerres inter-impérialistes infligent à l'humanité.
Nous avons montré dans des numéros précédents de cette revue que la barbarie dont a fait preuve le « camp démocratique » durant la seconde boucherie mondiale n'avait rien à envier à celle du camp fasciste, dans l'horreur comme dans le cynisme avec lequel furent perpétrés ces crimes contre l'humanité que furent les bombardements de Dresde et de Hambourg ou encore le feu nucléaire s'abattant sur un Japon déjà vaincu ([2]). Nous nous attacherons dans cet article à montrer de quelle complicité consciente ont fait preuve les Alliés, en gardant soigneusement le silence jusqu'à la fin de la guerre sur les génocides auxquels se livrait le régime nazi, et ce alors que le « camp de la démocratie » n'ignorait rien de la réalité des camps de concentration et de leur fonction.
Le fascisme a été voulu et soutenu par la bourgeoisie
Avant de démonter la complicité des Alliés par rapport aux crimes perpétrés par les nazis dans les camps, il est bon de rappeler que l'avènement du fascisme – lequel, de la droite classique à la gauche et jusqu'à l'extrême gauche du capital, est toujours présenté comme un monstrueux accident de l'histoire, comme une pure aberration surgie du cerveau malade d'un Hitler ou d'un Mussolini – est au contraire bel et bien le produit organique du capitalisme dans sa phase de décadence, le résultat de la défaite subie par le prolétariat dans la vague révolutionnaire qui a fait suite à la première guerre mondiale.
Le mensonge selon lequel la classe dominante ne savait pas quels étaient les vrais projets du parti nazi, en d'autres termes qu'elle se serait fait piéger, ne tient pas un seul instant face à l'évidence des faits historiques. L'origine du parti nazi plonge ses racines dans deux facteurs qui vont déterminer toute l'histoire des années 1930 : d'une part l'écrasement de la révolution allemande ouvrant la porte au triomphe de la contre-révolution à l'échelle mondiale et d'autre part la défaite essuyée par l'impérialisme allemand à l'issue de la première boucherie mondiale. Dès le départ, les objectifs du parti fasciste naissant sont, sur la base de la terrible saignée infligée à la classe ouvrière en Allemagne par le Parti social-démocrate, le SPD des Noske et Scheidemann, de parachever l'écrasement du prolétariat afin de reconstituer les forces militaires de l'impérialisme allemand. Ces objectifs étaient partagés par l'ensemble de la bourgeoisie allemande, au-delà des divergences réelles tant sur les moyens à employer que sur le moment le plus opportun pour les mettre en oeuvre. Les SA, milices sur lesquelles s'appuie Hitler dans sa marche vers le pouvoir, sont les héritiers directs des corps francs qui ont assassiné Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht ainsi que des milliers de communistes et de militants ouvriers. La plupart des dirigeants SA ont commencé leur carrière de bouchers dans ces mêmes corps francs. Ils ont été « la garde blanche » utilisée par le SPD au pouvoir pour écraser dans la sang la révolution, et cela avec l'appui des très démocratiques puissances victorieuses. Celles-ci d'ailleurs, tout en désarmant l'armée allemande, ont toujours veillé à ce que ces milices contre-révolutionnaires disposent des armes suffisantes pour accomplir leur sale besogne. Le fascisme n'a pu se développer et prospérer que sur la base de la défaite physique et idéologique infligée au prolétariat par la gauche du capital, laquelle était seule en mesure d'endiguer puis de vaincre la vague révolutionnaire qui submergea l'Allemagne en 1918-19. C'est ce qu'avait compris parfaitement l'état-major de l'armée allemande en donnant carte blanche au SPD afin de porter un coup décisif au mouvement révolutionnaire qui se développait en janvier 1919. Et si Hitler ne fut pas suivi dans sa tentative de putsch à Munich en 1923, c'est parce que l'avènement du fascisme était jugé encore prématuré par les secteurs les plus lucides de la classe dominante. Il fallait, au préalable, parachever la défaite du prolétariat en utilisant jusqu'au bout la carte de la mystification démocratique. Celle-ci était loin d'être usée et bénéficiait encore, au travers de la République de Weimar (bien que présidée par le junker Hindenburg), d'un vernis radical grâce à la participation régulière, dans ses gouvernements successifs, de ministres venant du soi-disant parti « socialiste ».
Mais dès que la menace prolétarienne fut définitivement conjurée, la classe dominante, sous sa forme – soulignons le – la plus classique, au travers des fleurons du capitalisme allemand tels Krupp, Thyssen, AG Farben, n'aura de cesse de soutenir de toutes ses forces le parti nazi et sa marche victorieuse vers le pouvoir. C'est que, désormais, la volonté de Hitler de réunir toutes les forces nécessaires à la restauration de la puissance militaire de l'impérialisme allemand, correspondait parfaitement aux besoins du capital national. Ce dernier, vaincu et spolié par ses rivaux impérialistes suite à la première guerre mondiale, ne pouvait que chercher à reconquérir le terrain perdu en s'engageant dans une nouvelle guerre. Loin d'être le produit d'une prétendue agressivité congénitale germanique qui aurait enfin trouvé dans le fascisme le moyen de se déchaîner, cette volonté n'était que la stricte expression des lois de l'impérialisme dans la décadence du système capitaliste comme un tout. Face à un marché mondial entièrement partagé, ces lois ne laissent aucune autre solution aux puissances impérialistes lésées dans le partage du « gâteau impérialiste » que celle d'essayer, en engageant une nouvelle guerre, d'en arracher une plus grosse part. La défaite physique du prolétariat allemand d'une part, et le statut de puissance impérialiste spoliée dévolu à l'Allemagne suite à sa défaite en 1918 d'autre part, firent du fascisme – contrairement aux pays vainqueurs où la classe ouvrière n'avait pas été physiquement écrasée – le moyen le plus adéquat pour que le capitalisme allemand puisse se préparer à la seconde boucherie mondiale. Le fascisme n'était qu'une forme brutale du capitalisme d'Etat qui était en train de se renforcer partout, y compris dans les Etats dits « démocratiques ». Il était l'instrument de la centralisation et de la concentration de tout le capital dans les mains de l'Etat face à la crise économique, pour orienter l'ensemble de l'économie en vue de la préparation à la guerre. C'est donc le plus démocratiquement du monde, c'est-à-dire avec l'aval total de la bourgeoisie allemande, qu'Hitler arriva au pouvoir. En effet, une fois la menace prolétarienne définitivement écartée, la classe dominante n'avait plus à se préoccuper de maintenir tout l'arsenal démocratique, suivant en cela le processus alors déjà à l'oeuvre en Italie.
Le capitalisme décadent exacerbe le racisme
« Oui, peut-être... » nous dira-t-on, « mais ne faites-vous pas abstraction de l'un des traits qui distinguent le fascisme de tous les autres partis et fractions de la bourgeoisie, à savoir, son antisémitisme viscéral, alors que c'est justement cette caractéristique particulière qui a provoqué l'holocauste ? » C'est cette idée que défendent en particulier les trotskistes. Ceux-ci, en effet, ne reconnaissent formellement la responsabilité du capitalisme et de la bourgeoisie en général dans la genèse du fascisme que pour ajouter aussitôt que ce dernier est malgré tout bien pire que la démocratie bourgeoise, comme en témoigne l'holocauste. Selon eux donc, devant cette idéologie du génocide, il n'y a pas à hésiter un seul instant : il faut choisir son camp, celui de l'antifascisme, celui des Alliés. Et c'est cet argument, avec celui de la défense de l'URSS, qui leur a servi à justifier leur trahison de l'internationalisme prolétarien et leur passage dans le camp de la bourgeoisie durant la seconde guerre mondiale. Il est donc parfaitement logique de retrouver aujourd'hui en France par exemple, les groupes trotskistes – la Ligue Communiste Révolutionnaire et son leader Krivine avec le soutien discret, mais bien réel, de Lutte Ouvrière – en tête de la croisade antifasciste et « anti-négationniste », défendant la vision selon laquelle le fascisme est le « mal absolu » et, de ce fait, qualitativement différent de toutes les autres expressions de la barbarie capitaliste ; ceci impliquant que face à lui, la classe ouvrière devrait se porter à l'avant-garde du combat et défendre voire revitaliser la démocratie.
Que l'extrême droite (le nazisme en particulier) soit profondément raciste, cela n'a jamais été contesté par la Gauche communiste pas plus d'ailleurs que la réalité effrayante des camps de la mort. La vraie question est ailleurs. Elle consiste à savoir si ce racisme et la répugnante désignation des juifs comme boucs-émissaires, responsables de tous les maux, ne serait que l'expression de la nature particulière du fascisme, le produit maléfique de cerveaux malades ou s'il n'est pas plutôt le sinistre produit du mode de production capitaliste confronté à la crise historique de son système, un rejeton monstrueux mais naturel de l'idéologie nationaliste défendue et propagée par la classe dominante toutes fractions confondues. Le racisme n'est pas un attribut éternel de la nature humaine. Si l'entrée en décadence du capitalisme a exacerbé le racisme à un degré jamais atteint auparavant dans toute l'histoire de l'humanité, si le 20e siècle est un siècle où les génocides ne sont plus l'exception mais la règle, cela n'est pas dû à on ne sait quelle perversion de la nature humaine. C'est le résultat du fait que, face à la guerre désormais permanente que doit mener chaque Etat dans le cadre d'un marché mondial sursaturé, la bourgeoisie, pour être à même de supporter et de justifier cette guerre permanente, se doit, dans tous les pays, de renforcer le nationalisme par tous les moyens. Quoi de plus propice, en effet, à l'épanouissement du racisme que cette atmosphère si bien décrite par Rosa Luxemburg au début de sa brochure de dénonciation du premier carnage mondial : « (...) la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n'importe qui, à molester les femmes, à crier : hourrah, et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrom, où le seul représentant de la dignité humaine était l'agent de police au coin de la rue. » Et elle poursuit en disant : « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse, voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est... » (La crise de la Social-démocratie). On pourrait reprendre exactement les mêmes termes pour décrire les multiples scènes d'horreur en Allemagne durant les années 1930 (pillages des magasins juifs, lynchages, enfants séparés de leurs parents) ou évoquer, entre autres, l'atmosphère de pogrom qui régnait en France en 1945 quand le journal stalinien du PCF titrait odieusement : « A chacun son boche ! ». Non, le racisme n'est pas l'apanage exclusif du fascisme, pas plus que sa forme antisémite. Le célèbre Patton, général de la très « démocratique » Amérique, celle-là même qui était censée libérer l'humanité de « la bête immonde », ne déclarait-il pas, lors de la libération des camps : « Les juifs sont pires que des animaux » ; tandis que l'autre grand « libérateur », Staline, organisa lui-même des séries de pogroms contre les juifs, les tziganes, les tchétchènes, etc. Le racisme est le produit de la nature foncièrement nationaliste de la bourgeoisie, quelle que soit la forme de sa domination, « totalitaire » ou « démocratique ». Son nationalisme atteint son point culminant avec la décadence de son système.
La seule force en mesure de s'opposer à ce nationalisme qui suintait par tous les pores de la société bourgeoise pourrissante, à savoir le prolétariat, était vaincue, défaite physiquement et idéologiquement. De ce fait le nazisme, avec l'assentiment de l'ensemble de sa classe, put s'appuyer notamment sur le racisme latent de la petite-bourgeoisie pour en faire, sous sa forme antisémite, l'idéologie officielle du régime. Encore une fois, aussi irrationnel et monstrueux que soit l'antisémitisme professé puis mis en pratique par le régime nazi, il ne saurait s'expliquer par la seule folie et perversité, par ailleurs bien réelles, des dirigeants nazis. Comme le souligne très justement la brochure publiée par le Parti Communiste International, Auschwitz ou le grand alibi, l'extermination des juifs « ... a eu lieu, non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise et guerre impérialistes. C'est donc à l'intérieur de cette gigantesque entreprise de destruction qu'il faut l'expliquer. Le problème se trouve de ce fait éclairci : nous n'avons plus à expliquer le "nihilisme destructeur" des nazis, mais pourquoi la destruction s'est concentrée en partie sur les juifs. »
Pour expliquer pourquoi la population juive, même si elle ne fut pas la seule, fut désignée tout d'abord à la vindicte générale, puis exterminée en masse par le nazisme, il faut prendre en compte deux facteurs : les besoins de l'effort de guerre allemand et le rôle joué dans cette sinistre période par la petite bourgeoisie. Cette dernière fut réduite à la ruine par la violence de la crise économique en Allemagne et sombra massivement dans une situation de lumpen prolétarisation. Dès lors, désespérée et en l'absence d'un prolétariat pouvant jouer le rôle de contrepoison, elle donna libre cours à tous les préjugés les plus réactionnaires, caractéristiques de cette classe sans avenir, et se jeta, telle une bête furieuse, encouragée par les formations fascistes, dans le racisme et l'antisémitisme. Le « juif » était supposé représenter la figure par excellence de « l'apatride » qui « suce le sang du peuple » ; il était désigné comme le responsable de la misère à laquelle était réduite la petite-bourgeoisie. Voila pourquoi les premières troupes de choc utilisées par les nazis étaient issues des rangs d'une petite-bourgeoisie en train de sombrer. Et cette désignation du « juif » comme l'ennemi par excellence aura aussi comme fonction de permettre à l'Etat allemand, grâce à la confiscation des biens des juifs, de ramasser des fonds destinés à contribuer à son réarmement militaire. Au début, il dut le faire discrètement pour ne pas attirer l'attention de ses vainqueurs de la première guerre mondiale. Les camps de déportation, au départ, eurent la fonction de fournir à la bourgeoisie une main d'oeuvre gratuite, toute entière dédiée à la préparation de la guerre.
Le silence complice des Alliés sur l'existence des camps de la mort
Alors que, de 1945 à aujourd'hui, la bourgeoisie n'a eu de cesse de nous exhiber, de façon obscène, les montagnes de squelettes trouvés dans les camps d'extermination nazis et les corps affreusement décharnés des survivants de cet enfer, elle fut très discrète sur ces mêmes camps pendant la guerre elle-même, au point que ce thème fut absent de la propagande guerrière du « camp démocratique ». La fable que nous ressert régulièrement la bourgeoisie selon laquelle ce n'est qu'avec la libération des camps en 1945 que les Alliés se seraient véritablement rendus compte de ce qui se passait à Dachau, Auschwitz ou Treblinka, ne résiste pas à la moindre étude historique. Les services de renseignement existaient déjà et étaient très actifs et efficaces comme l'attestent des centaines d'épisodes de la guerre où ils jouèrent un rôle déterminant ; et l'existence des camps de la mort ne pouvait échapper à leur investigation. Cela est confirmé par toute une série de travaux d'historiens de la seconde guerre mondiale. Ainsi le journal français Le Monde, par ailleurs très actif dans la campagne « anti-négationniste », écrit dans son édition du 27 septembre 1996 : « Un massacre [celui perpétré dans les camps] dont un rapport du parti social-démocrate juif, le Bund polonais, avait, dès le printemps 1942, révélé l'ampleur et le caractère systématique fut officiellement confirmé aux officiels américains par le fameux télégramme du 8 août 1942, émis par G. Riegner, représentant du Congrès Juif mondial à Genève, sur la base d'informations fournies par un industriel allemand de Leipzig du nom d'Edouard Scholte. A cette époque on le sait, une grande partie des juifs européens promis à la destruction étaient encore en vie. » On voit donc que les gouvernements Alliés au travers de multiples canaux, étaient parfaitement au courant des génocides en cours dès 1942. Pourtant les dirigeants du « camp démocratique », les Roosevelt, Churchill et consorts, firent tout pour que ces révélations, pourtant incontestables, ne fassent l'objet d'aucune publicité et donnèrent à la presse de l'époque des consignes d'extrême discrétion sur ce sujet. En fait ils ne levèrent pas le moindre petit doigt pour tenter de sauver la vie de ces millions de condamnés à mort. C'est ce que confirme ce même article du journal Le Monde : « (...) l'Américain D. Wyman a montré, au milieu des années 1980, dans son livre Abandon des juifs (Calmann-Lévy), que quelques centaines de milliers d'existences auraient pu être épargnées sans l'apathie, voir l'obstruction, de certains organes de l'administration américaine (comme le Département d'Etat) et des Alliés en général. » Ces extraits de ce très bourgeois et démocratique journal ne font que confirmer ce qu'a toujours affirmé à ce propos la Gauche communiste, en particulier dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi. Et c'est ce texte qui est aujourd'hui désigné à la vindicte comme étant, ce qui est un mensonge infâme, à l'origine des thèses « négationnistes ». Le silence de la coalition impérialiste opposée à l'Allemagne hitlérienne montre déjà ce que valent ces vertueuses et tonitruantes proclamations d'indignation devant l'horreur des camps après 1945.
Ce silence s'expliquerait-il par l'antisémitisme latent de certains dirigeants Alliés comme l'ont soutenu des historiens israéliens après la guerre ? Que l'antisémitisme ne soit pas l'apanage des tenants des régimes fascistes est, comme nous l'avons évoqué plus haut, une chose certaine. Mais ce n'est pas là la véritable explication du silence des Alliés dont d'ailleurs certains des dirigeants étaient juifs ou très proches des organisations juives, comme Roosevelt par exemple. Non, là encore, l'origine de cette remarquable discrétion réside dans les lois qui régissent le système capitaliste, quels que soient les oripeaux, démocratiques ou totalitaires, dont il drape sa domination. Comme pour l'autre camp, toutes les ressources du camp Allié étaient mobilisées au service de la guerre. Pas de bouches inutiles, tout le monde doit être occupé, soit au front, soit dans la production d'armements. L'arrivée en masse des populations en provenance des camps, des enfants et des vieillards qu'on ne pouvait pas envoyer au front ou à l'usine, des hommes et des femmes malades et épuisés qu'on ne pouvait immédiatement intégrer dans l'effort de guerre, aurait désorganisé ce dernier. Dès lors on ferme les frontières et on empêche par tous les moyens une telle immigration. Le ministre de sa très gracieuse et très démocratique majesté britannique, A. Eden décida en 1943 (c'est-à-dire à une période où la bourgeoisie anglo-saxonne n'ignorait rien de la réalité des camps), à la demande de Churchill, « qu'aucun navire des Nations unies ne peut être habilité à effectuer le transfert des réfugiés d'Europe. » Et Roosevelt ajoutait que « transporter tant de monde désorganiserait l'effort de guerre » (Churchill, Mémoires, T.10). Voilà les sordides raisons qui conduisirent ces « grands démocrates » et « antifascistes » patentés à garder le silence sur ce qui se passait à Dachau, Buchenwald et autres lieux de sinistre mémoire ! Les considérations humanitaires qui étaient censées les animer n'avaient pas leur place devant leurs sordides intérêts capitalistes et les besoins de l'effort de guerre.
La complicité directe du « camp démocratique » dans l'holocauste
Les Alliés ne se contentèrent pas d'entretenir soigneusement le silence durant toute la guerre sur les génocides perpétrés dans les camps ; ils allèrent beaucoup plus loin dans le cynisme et l'abjection. Si d'un côté ils n'ont jamais hésité à faire tomber un déluge de bombes sur les populations allemandes, pour l'essentiel ouvrières, de l'autre ils se sont refusés à tenter la moindre opération militaire en direction des camps de la mort. Ainsi, alors que dès le début 1944 ils pouvaient sans difficultés bombarder les voies ferrées menant à Auschwitz, ils se sont volontairement abstenus. Non seulement cet objectif était à ce moment-là à portée de leur aviation mais deux évadés du camp leur avaient décrit en détail le fonctionnement de celui-ci et la topographie des lieux.
Dans l'article cité plus haut, Le Monde rapporte : « des dirigeants juifs hongrois et slovaques supplient les Alliés de passer à l'action, alors que les déportations des juifs de Hongrie ont commencé. Ils désignent même un objectif : le carrefour ferroviaire de Kosice-Pressow. Les allemands pouvaient, il est vrai, assez rapidement réparer les voies. Mais cet argument ne vaut pas pour la destruction des crématoires de Birkenau, qui aurait incontestablement désorganisé la machine d'extermination. Rien ne sera fait. En définitive, il est difficile de ne pas reconnaître que même le minimum n'a pas été tenté, noyé qu'il a été par la mauvaise volonté des états-majors et des diplomates. »
Mais contrairement à ce que déplore ce journal bourgeois, ce n'est pas par une simple « mauvaise volonté » ou « lourdeur bureaucratique » que le « camp démocrate » fut complice de l'holocauste. Cette complicité fut, comme on va le voir, totalement consciente. Les camps de déportation furent au début essentiellement des camps de travail où la bourgeoisie allemande pouvait bénéficier à moindre coût d'une main d'oeuvre réduite à l'esclavage, toute entière consacrée à l'effort de guerre. Même si déjà à l'époque il existait des camps d'extermination, ils étaient jusqu'en 1942 plus l'exception que la règle. Mais à partir des premiers revers militaires sérieux subis par l'impérialisme allemand, en particulier face au formidable rouleau compresseur mis en place par les Etats-Unis, le régime nazi ne pouvait déjà plus nourrir convenablement la population et les troupes allemandes. Il décida de se débarrasser de la population excédentaire enfermée dans les camps, et dès lors, les fours crématoires se répandirent un peu partout et accomplirent leur sinistre besogne. L'horreur indicible de ce qui se perpétrait dans les camps pour alimenter la machine de guerre allemande était le fait d'un impérialisme aux abois qui reculait sur tous les fronts. Cependant bien que l'holocauste fut perpétré sans le moindre état d'âme par le régime nazi et ses sbires, il ne rapportait pas grand chose au capitalisme allemand qui était, comme on l'a vu, lancé dans une course désespérée pour réunir les moyens nécessaires à une résistance efficace face à une avancée de plus en plus irrésistible des Alliés. C'est dans ce contexte que plusieurs négociations furent tentées par l'Etat allemand, en général directement par les SS, auprès des Alliés dans le but de chercher à se débarrasser, avec profit, de plusieurs centaines de milliers, voir de millions de prisonniers.
L'épisode le plus célèbre de ce sinistre marchandage fut celui qui a concerné Joël Brand, le dirigeant d'une organisation semi-clandestine de juifs hongrois. Ce dernier, comme l'a raconté A. Weissberg dans son livre L'histoire de J. Brand et comme cela a été repris dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi, fut convoqué à Budapest pour y rencontrer le chef des SS chargé de la question juive, A. Eichmann. Celui-ci le chargea de négocier auprès des gouvernements anglo-américains la libération d'un million de juifs en échange de 10 000 camions. Eichmann était prêt à réduire ses prétentions, voire à accepter d'autres types de marchandises. Les SS, pour preuve de leur bonne foi et du caractère on ne peut plus sérieux de leur offre, se déclarèrent prêts à libérer sans contrepartie 100 000 juifs dès qu'un accord de principe serait obtenu par J. Brand. Dans un premier temps, celui-ci connut les pires difficultés (jusqu'à subir une incarcération dans des prisons anglaises du Proche-Orient) pour rencontrer des représentants des gouvernements Alliés. Ces difficultés n'étaient pas le fruit du hasard : à l'évidence, une rencontre officielle avec cet « empêcheur de tourner en rond » était à éviter.
Quand il put enfin discuter des propositions allemandes avec Lord Moyne, le responsable du gouvernement britannique pour le Proche-Orient, celui-ci lui opposa un refus catégorique qui n'avait rien de personnel (il ne faisait qu'appliquer les consignes du gouvernement britannique) et qui était encore moins l'expression d'un « refus moral face à un odieux chantage ». Aucun doute n'est en effet possible à la lecture du compte rendu que fit Brand de cette discussion : « Il le supplie de donner au moins un accord écrit, quitte à ne pas le tenir, ça ferait toujours 100 000 vies sauvées, Moyne lui demande alors quel serait le nombre total ? Eichmann a parlé d'un million. Comment imaginez-vous une chose pareille, mister Brand ? Que ferais-je de ce million de juifs ? Où les mettrai-je ? Qui les accueillera ? Si la terre n'a plus de place pour nous, il ne nous reste plus qu'à nous laisser exterminer dit Brand désespéré. » Comme le souligne très justement Auschwitz ou le grand alibi à propos de ce glorieux épisode de la seconde boucherie mondiale : « Malheureusement si l'offre existait, il n'y avait pas de demande ! Non seulement les juifs mais aussi les SS s'étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des alliés Les alliés n'en voulaient pas de ce million de juifs ! Pas pour 10 000 camions, pas pour 5 000, même pas pour rien. »
Une certaine historiographie récente tente de montrer que ce refus était avant tout dû au veto opposé par Staline face à ce type de marchandage. Ce n'est là qu'une tentative de plus pour chercher à masquer et à atténuer la responsabilité des « grandes démocraties » et leur complicité directe dans l'holocauste. C'est ce que révèle la mésaventure survenue au naïf J. Brand dont on ne peut sérieusement contester le témoignage. De plus, durant toute la guerre, ni Roosevelt ni Churchill n'ont eu pour habitude de se laisser dicter leur conduite par Staline. Avec le « petit père des peuples », ils étaient plutôt au diapason, faisant preuve du même cynisme et de la même brutalité. Le très « humaniste » Roosevelt opposera d'ailleurs le même refus à d'autres tentatives ultérieures des nazis, en particulier lorsque, fin 1944, ils essayèrent encore de vendre des juifs à l' « Organisation des Juifs Américains », transférant pour preuve de leur bonne volonté près de 2 000 juifs en Suisse, comme le raconte dans le détail Y. Bauer dans un livre intitulé Juifs à vendre (Editions Liana Levi).
Tout ceci n'est ni une bavure ni le fait de dirigeants devenus « insensibles » à cause des terribles sacrifices qu'exigeait la conduite de la guerre contre la féroce dictature fasciste comme veut le faire croire la bourgeoisie. L'antifascisme n'a jamais exprimé un réel antagonisme entre d'un côté un camp défendant la démocratie et ses valeurs, et de l'autre un camp totalitaire. Il n'a été dès le départ qu'un « chiffon rouge » agité devant les yeux des prolétaires pour justifier la guerre à venir en masquant son caractère classiquement inter-impérialiste pour le repartage du monde entre les grands requins capitalistes (c'est ce que l'Internationale Communiste avait mis en avant dès la signature du Traité de Versailles et qu'il fallait absolument gommer de la mémoire ouvrière). Il a été surtout le moyen de les embrigader dans la plus gigantesque boucherie de l'histoire. Si, pendant la guerre, il fallait faire le silence sur les camps et fermer soigneusement les frontières à tous ceux qui tentaient d'échapper à l'enfer nazi pour « ne pas désorganiser l'effort de guerre », après la fin de la guerre il en a été tout autrement. L'immense publicité faite soudain, à partir de 1945, aux camps de la mort représentait une formidable aubaine pour la bourgeoisie. Braquer tous les projecteurs sur la réalité monstrueuse des camps de la mort permettait en effet aux Alliés de masquer les crimes innombrables qu'ils avaient eux-mêmes perpétrés. Ce battage assourdissant permettait aussi d'enchaîner solidement une classe ouvrière (qui risquait de renâcler contre les immenses sacrifices et la misère noire qu'elle continuait de subir même après la « Libération ») au char de la démocratie. Celle-ci était présentée par tous les partis bourgeois, de la droite aux staliniens, comme une valeur commune aux bourgeois et aux ouvriers, valeur qu'il fallait absolument défendre pour éviter, à l'avenir, de nouveaux holocaustes.
En attaquant la Gauche communiste aujourd'hui, la bourgeoisie, en fidèle adepte de Goebbels, met en pratique son célèbre adage selon lequel plus un mensonge est gros plus il a de chances d'être cru. Elle cherche en effet à la présenter comme l'ancêtre du « négationnisme ». La classe ouvrière doit rejeter une telle calomnie et se souvenir qui a fait fi du terrible sort réservé aux déportés dans les camps, qui a utilisé cyniquement ces même déportés pour en faire le symbole de la supériorité intangible de la démocratie bourgeoise et justifier ainsi le système d'exploitation et de mort qu'est le capitalisme. Aujourd'hui face à tous les efforts de la classe dominante pour raviver la mystification démocratique notamment au moyen de l'antifascisme, la classe ouvrière doit se souvenir ce qui lui est advenu, durant les années 1930-40, quand elle s'est faite piéger par ce même antifascisme et qu'elle a finalement servi de chair à canon au nom de « la défense de la démocratie ».
RN.