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La C.W.O et le cours historique, une accumulation de contradictions
Dans le n° 5 de Revolutionary Perspectives, organe de la Communist Workers Organisation (CWO), on peut lire un article intitulé « Sectes, mensonges et la perspective perdue du CCI » qui se veut une réponse à celui que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 87, « Une politique de regroupement sans boussole » (ce texte étant lui-même une réponse à une lettre de la CWO publiée dans la même Revue). Il aborde beaucoup de questions, notamment sur la méthode de construction des organisations communistes, sur lesquelles nous reviendrons dans d'autres numéros de la Revue Internationale. Dans l'article qui suit nous nous contenterons de traiter principalement d'un des aspects de la polémique de la CWO : l'idée suivant laquelle le CCI serait en crise du fait de ses erreurs dans l'analyse de la perspective historique.
Dans plusieurs textes publiés dans la Revue Internationale ainsi que dans notre presse territoriale ([1]), nous avons rendu compte de la crise qu'a dû affronter notre organisation dans la dernière période et qui s'est traduite notamment, comme le signale l'article de la CWO, par un nombre important de démissions dans sa section en France. Le CCI a identifié les causes de ses difficultés organisationnelles : la persistance en son sein du poids de l'esprit de cercle résultant des conditions historiques dans lesquelles notre organisation s'était formée après la plus longue et profonde période de contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier. Le maintien de cet esprit de cercle avait notamment conduit à la formation de clans au sein de l'organisation qui avaient gravement miné le tissu organisationnel. Dès l'automne 1993, l'ensemble du CCI avait engagé le combat contre ces faiblesses et son 11e Congrès, tenu au printemps 1995, avait pu conclure qu'elles avaient, pour l'essentiel, été surmontées ([2]).
Pour sa part, la CWO donne des difficultés organisationnelles du CCI une explication différente :
« (...) la crise actuelle du CCI... est le résultat ... d'une démoralisation politique. La véritable raison en est que les perspectives sur lesquelles le CCI a été fondé se sont finalement effondrées face à la réalité que le CCI a tenté pendant des années d'ignorer. En fait, ce que nous disions à propos de la précédente scission de 1981 s'applique à la crise présente.
"Les causes de la crise présente se sont développées pendant plusieurs années et peuvent être trouvées dans les positions de base du groupe. Le CCI affirme que la crise économique "est là" dans toutes ses contradictions est qu'il en a été ainsi depuis plus de 12 ans. Il considère que la conscience révolutionnaire surgit directement et spontanément chez les ouvriers en lutte contre les effets de cette crise. De ce fait, il n'est pas surprenant, alors que la crise a été loin de provoquer le niveau de lutte de classe prédit par le CCI, que cela conduise à des scissions dans l'organisation." (Workers' Voice n° 5)
Depuis lors, la situation de la classe ouvrière a empiré et celle-ci a été acculée à la défensive. Au lieu de le reconnaître, le CCI a proclamé tout au long des années 80 que nous étions dans les "années de vérité" conduisant à des confrontations de classe encore plus grandes. (...) Les contradictions évidentes entre les perspectives du CCI et la réalité capitaliste auraient provoqué plus tôt la crise actuelle s'il n'y avait pas eu l'effondrement du stalinisme. Ce seul phénomène historique a complètement escamoté le débat sur le cours historique dans la mesure où la pause faisant suite à un bouleversement d'une telle ampleur a repoussé pour un temps le cours de la bourgeoise vers la guerre et a permis également à la classe ouvrière de disposer de plus de temps pour se regrouper avant que les nouvelles attaques du capital ne rendent à nouveau nécessaires des conflits sociaux à grande échelle au niveau international. Il a permis au CCI d'échapper par des contorsions aux conséquences de la perspective des "années de vérité". Pour lui, mai 1968 a mis fin à la contre-révolution et a ouvert la période où la classe ouvrière pourrait jouer son rôle historique. Presque trente ans après (c'est-à-dire plus d'une génération !) qu'en est-il de cette confrontation de classe ? C'est la question que nous avons posée au CCI en 1981 et c'est encore aujourd'hui là où le bât blesse.
Le CCI sait cela, et c'est dans le but de prévenir une nouvelle démoralisation qu'il s'est tourné vers un vieux truc, la recherche d'un bouc émissaire. Le CCI se refuse à affronter sa crise actuelle en tant que résultat de ses erreurs politiques. Au lieu de cela, il a essayé – et ce n'est pas la première fois – de renverser la réalité dans sa tête et insiste sur le fait que les problèmes qu'il rencontre sont dus à des éléments "parasites" extérieurs qui le minent sur le plan organisationnel. »
Evidemment, n'importe quel lecteur de notre presse aura pu constater que jamais le CCI n'a attribué ses difficultés organisationnelles internes à l'action des éléments parasites. Ou bien la CWO ment délibérément (et dans ce cas, nous lui demandons dans quel but elle fait cela) ou bien elle a très mal lu ce que nous avons écrit (et nous conseillons à ses militants d'acheter des lunettes ou d'en changer). En tout état de cause une telle affirmation fait preuve d'une accablante absence de sérieux qui est absolument regrettable dans le débat politique. C'est pour cela que nous n'allons pas nous y attarder préférant traiter le fond des désaccords qui existent entre le CCI et la CWO (et le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, BIPR, dont elle est un des constituants). Plus particulièrement nous allons aborder dans cet article l'idée suivant laquelle les perspectives mises en avant par le CCI concernant la lutte de classe auraient fait faillite ([3]).
La perspective du CCI a-t-elle fait faillite ?
Pour évaluer la validité ou non de la perspective que nous avions tracée, il est nécessaire de revenir sur ce que nous écrivions à la veille des années 1980.
« (...) tant que pouvait subsister l'apparence qu'il y avait des solutions à la crise, elle [la bourgeoisie] a bercé les exploités de promesses illusoires : "acceptez l'austérité aujourd'hui et ça ira mieux demain" (...)
Aujourd'hui ce langage ne prend plus (...) Puisque promettre des "lendemains qui chantent" ne trompe plus personne, la classe dominante a changé de registre. C'est le contraire que l'on commence à promettre maintenant en disant bien fort que le pire est devant nous mais qu'elle n'y est pour rien, que "c'est la faute des autres", qu'il n'y a pas d'autre issue... Ainsi la bourgeoisie, en même temps qu'elle perd ses propres illusions, est obligée de parler clair à la classe ouvrière quant à l'avenir qu'elle lui réserve.
(...) Si la bourgeoisie n'a pas d'autre avenir à proposer à l'humanité que la guerre généralisée, les combats qui se développent aujourd'hui démontrent que le prolétariat n'est pas prêt à lui laisser les mains libres et que LUI a un autre avenir à proposer, un avenir où il n'y aura plus de guerre ni d'exploitation : le communisme.
Dans la décennie qui commence, c'est donc cette alternative qui va se décider : ou bien le prolétariat poursuit son offensive, continue de paralyser le bras meurtrier du capitalisme aux abois et ramasse ses forces pour son renversement, ou bien il se laisse piéger, fatiguer et démoraliser par ses discours et sa répression et, alors, la voie est ouverte à un nouvel holocauste qui risque d'anéantir la société humaine. Si les années 1970 furent, tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat, les années d'illusion, les années 1980, parce que la réalité du monde actuel s'y révélera dans toute sa nudité, et parce que s'y décidera pour bonne part l'avenir de l'humanité, seront les années de la vérité. » ([4])
Comme le dit la CWO, nous avons maintenu cette analyse tout au long des années 1980. En particulier, chacun des congrès internationaux que nous avons tenus dans cette période a été l'occasion pour le CCI de réaffirmer sa validité.
« A l'aube des années 1980, nous avons analysé la décennie qui commençait comme "les années de vérité" (...) A la fin du premier tiers de cette période, on peut constater que cette analyse s'est pleinement confirmée : jamais depuis les années 1930, l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capitaliste ne s'était révélée avec une telle évidence ; jamais, depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait déployé de tels arsenaux militaires, n'avait mobilisé de tels efforts en vue de la production de moyens de destruction ; jamais depuis les années 1920, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. (...) » ([5])
Cependant, lors de ce congrès, nous relevions le fait que le prolétariat mondial venait de subir une défaite très sérieuse qui s'était notamment concrétisée par l'instauration de l'état de guerre en Pologne :
« Alors que les années 1978-79-80 avaient été marquées par une reprise mondiale des luttes ouvrières (grève des mineurs américains, des dockers de Rotterdam, des ouvriers de la sidérurgie en Grande-Bretagne, des ouvriers de la métallurgie en Allemagne et au Brésil, affrontements de Longwy-Denain en France, grèves de masse en Pologne), les années 1981 et 1982 se sont distinguées par un net reflux de ces luttes ; ce phénomène étant particulièrement évident dans le plus "classique" des pays capitalistes, la Grande-Bretagne, où l'année 1981 connaissait le nombre le plus faible de grèves depuis la seconde guerre mondiale alors qu'en 1979 celles-ci avaient atteint leur niveau quantitatif le plus élevé de l'histoire avec 29 millions de jours d'arrêt de travail. Ainsi, l'instauration de l'état de guerre en Pologne et la violente répression qui s'est abattue sur les ouvriers de ce pays n'arrivaient pas comme un éclair dans un ciel bleu. Point le plus marquant de la défaite ouvrière après les formidables combats de l'été 1980, le coup de force de décembre 1981 participait d'une défaite de tout le prolétariat. (...)
Quelle que soit la gravité de la défaite enregistrée ces dernières années par la classe ouvrière, elle ne remet pas en cause le cours historique dans la mesure où :
- ce ne sont pas les bataillons décisifs du prolétariat mondial qui se sont trouvés en première ligne de l'affrontement ;
- la crise qui maintenant atteint de plein fouet les métropoles du capitalisme obligera le prolétariat de ces métropoles à exprimer ses réserves de combativité qui n'ont pas été jusqu'à présent entamées de façon décisive. »
Il n'a pas fallu attendre plus de trois mois pour que se confirme cette prévision. Dès septembre 1983 en Belgique et peu après aux Pays-Bas, les travailleurs du secteur public entraient massivement dans la lutte ([6]). Ces mouvements n'étaient nullement isolés. En fait, en quelques mois, les mouvements sociaux touchent la plupart des pays avancés : Allemagne, Grande-Bretagne, France, Etats-Unis, Suède, Espagne, Italie, Japon ([7]). Rarement on n'avait connu une telle simultanéité internationale dans les affrontements de classe, en même temps que la bourgeoisie de tous les pays organisait un black-out presque total sur ces mouvements. Evidemment, la bourgeoisie n'est pas restée les bras croisés et a organisé toute une série de campagnes et de manoeuvres, principalement de la part des syndicats, destinées à écoeurer les ouvriers, à éparpiller leurs luttes, à les enfermer dans des impasses corporatistes ou sectorielles. Cela conduit, au cours de l'année 1985, à une certaine accalmie des luttes ouvrières dans les principaux pays européens, notamment ceux qui avaient connu les mouvements les plus importants au cours des années précédentes. En même temps, ces manoeuvres n'ont pu qu'accentuer un peu plus le discrédit qui, dans la plupart des pays avancés, frappait les syndicats ce qui constituait un élément très important dans la prise de conscience de la classe ouvrière puisque ces organes sont ses principaux ennemis, ceux qui ont comme fonction de saboter de l'intérieur ses luttes.
« C'est pour cet ensemble de raisons que le développement actuel de la méfiance à l'égard des syndicats constitue une donnée essentielle du rapport de forces entre les classes et donc de toute la situation historique. Cependant, cette méfiance elle-même est en partie responsable, de façon immédiate, de la réduction du nombre de luttes dans différents pays et plus particulièrement là où justement le discrédit des syndicats est le plus fort (comme en France, suite à l'arrivée accidentelle de la gauche au pouvoir en 1981). Lorsque pendant des décennies les ouvriers ont eu l'illusion qu'ils ne pouvaient mener des combats que dans le cadre des syndicats et avec l'appui de ceux-ci, la perte de confiance en ces organes s'accompagne de façon momentanée d'une perte de confiance en leur propre force et les conduit à opposer la passivité à tous les soi-disant "appels à la lutte" qui en émanent. » ([8]) Les luttes très importantes qui allaient se dérouler peu après dans deux grands pays marqués par une faible combativité en 1985, la France (notamment la grève des chemins de fer en décembre 1986) et l'Italie en 1987 (notamment dans le secteur de l'éducation, mais aussi dans les transports) faisaient la preuve que la vague de luttes débutée en septembre 1983, en Belgique, se poursuivait. Cette réalité était également illustrée, et de quelle manière, justement dans ce dernier pays, par un mouvement de luttes de six semaines (avril-mai 86), le plus important depuis la seconde guerre mondiale, englobant le secteur public, le secteur privé et les chômeurs, qui paralysait pratiquement la vie économique et contraignait le gouvernement à reculer sur toute une série d'attaques qu'il avait préparées. Au cours de la même période (1986-87), se déroulaient d'autres mouvements d'ampleur dans les pays scandinaves (Finlande et Norvège début 1986, Suède à l'automne 1986), aux Etats-Unis (été 1986), au Brésil (un million et demi de grévistes en octobre 1986, luttes massives en avril-mai 1987), en Grèce (2 millions de grévistes en janvier 1987), en Yougoslavie (printemps 1987), en Espagne (printemps 1987), au Mexique, en Afrique du Sud, etc. Il faut relever également la grève spontanée, en dehors des syndicats, des 140 000 travailleurs de British Telecom fin janvier 1987.
Evidemment, la bourgeoisie réagissait à cette combativité en mettant en oeuvre de nouvelles manoeuvres de grande envergure. Il s'agissait de créer des diversions avec des campagnes idéologiques amplement médiatisées sur le « terrorisme islamique », sur la « paix » entre les grandes puissances (signature des accords de réduction des armements nucléaires), sur l'aspiration des peuples à la « liberté » et à la « démocratie » (mise en scène internationale de la « glasnost » de Gorbatchev), sur l'écologie, sur les interventions « humanitaires » dans le tiers-monde, etc. ([9]) Il s'agissait surtout de pallier au discrédit croissant qui affectait les syndicats classiques en promouvant de nouvelles formes de syndicalisme (de « combat », de « base », etc.). La manifestation le plus marquante de cette manoeuvre bourgeoise (souvent prise en charge par les organisations gauchistes, mais également par des syndicalistes et des partis de gauche traditionnels, staliniens ou socio-démocrates) a été la constitution de « coordinations » dans les deux pays où le syndicalisme classique était le plus discrédité, l'Italie (particulièrement dans les transports) et la France (en premier lieu dans l'importante grève des hôpitaux à l'automne 1988) ([10]). Une des fonctions de ces organes, qui se présentaient comme « émanation de la base » et « anti-syndicaux », était d'introduire le poison corporatiste dans les rangs prolétariens avec l'argument que les syndicats ne défendaient pas les intérêts ouvriers parce qu'ils étaient organisés par branches et non par métiers.
Ces manoeuvres ont eu un certain impact que nous avons relevé à l'époque : « Cette capacité de manoeuvre de la bourgeoisie est parvenue jusqu'à présent à entraver le processus d'extension et d'unification dont est porteuse la vague présente de lutte de classe. » ([11]) En outre, parmi les autres causes des difficultés éprouvées par la classe ouvrière, nous relevions : « le poids de la décomposition idéologique environnante sur laquelle s'appuie et s'appuieront de plus en plus les manoeuvres bourgeoises visant à renforcer l'atomisation, le "chacun pour soi", et à saper la confiance croissante de la classe ouvrière en sa propre force et en l'avenir que porte son combat. » (Ibidem)
Cependant nous notions également que si « le phénomène de la décomposition pèse à l'heure actuelle et pour toute une période d'un poids considérable » et si « il constitue un danger très important auquel la classe doit s'affronter (...) ce constat ne doit être nullement une source de démoralisation ou de scepticisme » puisque « tout au long des années 1980, c'est malgré ce poids négatif de la décomposition, systématiquement exploité par la bourgeoisie, que le prolétariat a été en mesure de développer ses luttes face aux conséquences de l'aggravation de la crise... ». ([12]).
Voici donc l'analyse que nous faisions de l'état de la lutte de classe quelques mois avant un des événements les plus considérables de l'après-guerre, l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et de l'URSS.
Le CCI n'avait pas prévu cet événement (pas plus que les autres organisations du milieu prolétarien ou que les « experts » de la bourgeoisie). Il fut cependant, dès septembre 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin, parmi les premiers à l'identifier ([13]). Dès ce moment-là nous avons qualifié l'effondrement du bloc de l'est comme la manifestation majeure jusqu'à ce jour de la décomposition de la société capitaliste. Et en ce sens, nous avons immédiatement annoncé que cet événement allait provoquer « Des difficultés accrues pour le prolétariat » ([14]). Ainsi, en cohérence avec nos précédentes analyses, nous écrivions : « L'identification systématiquement établie entre communisme et stalinisme, le mensonge mille fois répété, et encore plus martelé aujourd'hui qu'auparavant, suivant lequel la révolution prolétarienne ne peut conduire qu'à la faillite, vont trouver avec l'effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'attendre. (...) En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats. Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classes, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne. » ([15])
C'est avec beaucoup de légèreté que la CWO affirme que l'effondrement du stalinisme « a permis au CCI d'échapper par des contorsions aux conséquences de la perspective des "années de vérité" ». Ce n'est pas pour « écraser le coup » et tenter de masquer la faillite de notre perspective sur le développement des luttes au cours des années 1980 que nous avons annoncé que les événements de la fin 1989 allaient provoquer un recul de la classe ouvrière. Comme on l'a vu plus haut, nous n'avons pas sorti cette thèse comme on tire un lapin d'un chapeau, mais elle était en complète cohérence avec notre cadre d'analyse. Si les années 1980 se terminaient donc avec un recul très important de la classe ouvrière, cela ne signifiait nullement que l'analyse du CCI de la période historique était erronée, comme le prétend la CWO.
En premier lieu, on ne peut, pour affirmer une telle idée, se baser sur le surgissement d'un phénomène qui n'avait été prévu par personne (même si, après coup, le marxisme permet de l'expliquer). Après tout, les révolutionnaires du 19e siècle avaient-ils prévu un des événements les plus considérables de ce siècle, la Commune de Paris ? Lénine avait-il prévu ce qui allait se passer quelques semaines plus tard, la révolution de février 1917 en Russie, prélude de l'Octobre rouge, lorsqu'il disait aux jeunes ouvriers suisses : « Nous les vieux, nous ne verrons peut être pas les luttes décisives de la révolution imminente. » (« Rapport sur la révolution de 1905 », janvier 1917) ? En tout état de cause, il appartient aux marxistes de savoir réagir rapidement face aux événements imprévus et de savoir en tirer immédiatement les conséquences et les leçons. C'est ce que Marx avait fait avec la Commune avant même qu'elle ne soit écrasée (La guerre civile en France). C'est ce que Lénine a su faire dès l'annonce de la révolution de février (Lettres de loin et Thèses d'avril). Pour notre part, nous avons dès la fin de l'été 1989 mis en évidence les bouleversements que les événements de l'Est allaient provoquer, tant du point de vue des antagonismes impérialistes que du développement de la lutte de classe.
Cela dit, même ces bouleversements imprévisibles n'ont pas remis en cause notre analyse de fin 1979 : « Les années 1980, (...) parce que s'y décidera pour bonne part l'avenir de l'humanité, seront les années de la vérité. »
Effectivement, c'est bien au cours de cette période que s'est jouée pour une part la perspective historique. Au début des années 1980, la bourgeoisie, particulièrement celle d'Occident, avait lancé, en même temps qu'elle développait de façon massive ses armements, de vastes campagnes visant à soumettre les prolétaires à la botte du capital afin de pouvoir les embrigader dans une nouvelle guerre mondiale. Pour ce faire, elle avait essayé de mettre à profit la défaite et l'écrasement des ouvriers de Pologne en 1981 qui, outre qu'il avait provoqué une grande désorientation parmi les ouvriers d'Occident, lui donnait le prétexte de stigmatiser « L'Empire du Mal » (suivant les termes de Reagan). La vague de luttes qui a commencé en 1983 a déjoué cet objectif. Pas plus que dans les années 1970, la classe ouvrière des pays centraux n'était prête à se laisser embrigader pour une nouvelle guerre généralisée.
De plus, le fait que la bourgeoisie n'ait pu donner sa propre réponse à la crise de son système, la guerre impérialiste, en même temps que le prolétariat n'était pas encore en mesure de mettre en avant sa propre perspective révolutionnaire, a précipité la société capitaliste dans sa phase de décomposition ([16]) dont une des manifestations majeures a été justement l'effondrement des régimes staliniens ce qui a repoussé dans la futur la possibilité d'une nouvelle guerre mondiale.
Enfin, d'une façon inattendue, les années 1980 ont abouti, avec l'effondrement du bloc de l'Est et toutes ses conséquences, sur une mise en évidence sans précédent de la vérité du capitalisme décadent : celle d'un chaos indescriptible, d'une barbarie sans nom qui ne font que s'aggraver chaque jour plus.
L'aveuglement de la CWO et du BIPR
Ainsi, comme on peut le voir, la thèse de la CWO sur « la faillite de la perspective du CCI » ne résiste pas au rappel des faits et de nos propres analyses. Et si une organisation a été réellement aveugle à ce qui se passait au cours des années 1980, ce n'est pas le CCI mais la CWO (et le BIPR) elle-même. Une organisation qui décrit les luttes de classe de cette période dans les termes suivants :
« (...) à partir de 1976, la classe dominante, en utilisant principalement les syndicats et la social démocratie, a été capable de restaurer une nouvelle fois la paix sociale. Ce fut une paix sociale ponctuée par de grandes luttes de la classe ouvrière (Pologne 1980-81, les dockers belges en 1983 et la grève des mineurs britanniques en 1984-85). Cependant, il n'y a pas eu de vague internationale de grèves comme en 1968-74, et tous ces mouvements se sont achevés par un recul encore plus grand face aux attaques capitalistes. » ([17])
On reste sidéré devant une telle affirmation. Pour ne prendre que quelques exemples, la CWO n'a retenu des luttes en Belgique de 1983 que celle des dockers en faisant l'impasse sur celle de l'ensemble du secteur public. Pour elle, les luttes du printemps 1986 dans ce pays, encore plus importantes (1 million de travailleurs mobilisés pendant plus d'un mois dans un pays comptant moins de 10 millions d'habitants), n'ont pas existé. De même, les luttes dans le secteur public aux Pays-Bas à l'automne 1983, les plus importantes depuis le début du siècle, lui sont passées complètement inaperçues. Peut être peut-on penser que cette cécité de la CWO provient du fait qu'elle-même, ou l'autre organisation du BIPR, Battaglia Comunista, n'est pas présente dans ces pays et qu'elle a été, comme la grande majorité du prolétariat mondial, victime du black-out international organisé par les médias bourgeoises pour occulter les mouvements sociaux qui s'y sont déroulés. Même si c'est le cas, ce n'est pas une excuse : une organisation révolutionnaire ne peut se contenter, pour analyser la situation de la lutte de classe, des informations répercutées par les journaux des pays où elle est présente. Elle peut éventuellement s'appuyer sur ce que rapporte la presse d'autres organisations révolutionnaires, notamment la nôtre qui a amplement rendu compte de ces événements. Mais c'est justement là où se trouve le problème : ce n'est pas le CCI qui a été confronté à des « contradictions évidentes entre [ses] perspectives et la réalité capitaliste », ce n'est pas lui qui « a tenté pendant des années d'ignorer la réalité » pour se masquer ses erreurs sur la perspective, comme le prétend la CWO, c'est la CWO elle-même. La meilleure preuve de cela : lorsque la CWO évoque « les grandes luttes de la classe ouvrière » qui « ont ponctué la paix sociale » dans le pays où elle est implantée, la Grande-Bretagne, elle ne fait référence qu'à la grève des mineurs de 1984-85 en ignorant totalement les formidables mobilisations de 1979, les plus importantes depuis plus d'un demi-siècle. De même, elle ne fait nullement référence au mouvement très important de 1987 en Italie, dans le secteur de l'école, alors que son organisation soeur, Battaglia Comunista, s'y trouvait en première ligne.
A quoi faut-il attribuer la cécité de la CWO, son incapacité à voir, ou plutôt à chercher à voir la réalité ? La CWO nous donne la réponse (en attribuant cette démarche au CCI) : parce que cette réalité a démenti ses propres perspectives. En particulier, la CWO, comme le BIPR n'a jamais compris la question du cours historique.
Le BIPR et le cours historique
Le CCI, et la Revue Internationale notamment, a déjà consacré de nombreuses polémiques avec le BIPR sur la question du cours historique ([18]). Nous n'allons pas revenir sur tout ce que nous avons écrit à ces occasions et qui constitue une critique de l'absence de méthode avec laquelle le BIPR aborde la question de la phase historique dans laquelle prennent place les luttes ouvrières de notre temps. En quelques mots, disons que le BIPR rejette la notion même de cours historique telle qu'elle avait été notamment développée au cours des années 1930 par la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie. C'est parce qu'elle avait compris que le cours à la guerre et le cours aux affrontements de classe ne sont pas parallèles mais s'excluent mutuellement que la fraction avait été capable de prévoir, dans une période de profonde contre-révolution, l'inéluctabilité de la seconde guerre mondiale dès lors que le capitalisme, depuis 1929, connaissait une nouvelle crise ouverte de son économie.
Pour le BIPR : « le cycle d'accumulation qui a commencé après la seconde guerre mondiale approche de sa fin. Le boom d'après guerre a depuis longtemps laissé la place à la crise économique globale. Une nouvelle fois la question de la guerre impérialiste ou de la révolution prolétarienne est placée à l'ordre du jour de l'histoire. » (Plate forme du BIPR de 1994) En même temps, il reconnaît aujourd'hui (ce n'était pas le cas à l'époque) qu'il y a eu une « réponse ouvrière massive à l'échelle internationale aux attaques de la crise capitaliste, à la fin des années 60 et au début des années 70 » (« Perspectives de la CWO », Revolutionary Perspectives n° 5). Cependant, le BIPR s'est toujours refusé à admettre que si le capitalisme n'avait pas été précipité vers une nouvelle guerre mondiale à partir de la fin des années 1960, cela était dû essentiellement au fait que la réponse apportée par la classe ouvrière dès les premières attaques de la crise faisaient la preuve que celle-ci n'était pas prête, contrairement aux années 1930 à se laisser embrigader dans un nouvel holocauste. Ainsi, pour répondre à la question « pourquoi la guerre mondiale n'a-t-elle pas encore éclaté » alors que « au niveau objectif sont présentes toutes les raisons pour le déclenchement d'une nouvelle guerre généralisée », la revue théorique de Battaglia Comunista, Prometeo n° 11 (décembre 1987) commence par affirmer que « il est clair qu'aucune guerre ne pourra jamais être menée sans la disponibilité (au combat et dans la production de guerre) du prolétariat et de toutes les classes laborieuses. Il est évident que, sans un prolétariat consentant et embrigadé, aucune guerre ne serait possible. Il est évident, de même, qu'un prolétariat en pleine phase de reprise de la lutte de classe serait la démonstration du surgissement d'une contre-tendance précise, celle de l'antithèse à la guerre, celle de la marche vers la révolution socialiste. » C'est exactement de cette façon que le CCI pose le problème, mais c'est justement cette méthode qui était critiquée dans un autre article publié dans Battaglia Comunista n° 83 (mars 1987), et repris en anglais dans l'organe du BIPR Communist Review n° 5, intitulé « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée ». Dans cet article on peut lire, entre autres choses, « la forme de la guerre, ses moyens techniques, son rythme, ses caractéristiques par rapport à l'ensemble de la population, ont beaucoup changé depuis 1939. Plus précisément, la guerre aujourd'hui nécessite moins de consensus ou de passivité de la part de la classe ouvrière que les guerres d'hier... l'engagement dans des actions de guerre est possible sans l'accord du prolétariat ». Comprenne qui pourra. Ou plutôt on comprend que le BIPR ne comprend pas très bien de quoi il parle. La cohérence, en tout cas, n'est pas sa préoccupation première.
On peut d'ailleurs trouver une preuve de ce manque de cohérence dans la façon dont le BIPR a réagi à la crise qui allait aboutir à la guerre du Golfe, début 1991. Dans la version en anglais d'un appel adopté à cette occasion par le BIPR (la version en italien est différente !) on peut lire : « Nous devons combattre ses plans et préparatifs de guerre [de notre Etat]... Toutes les tentatives d'envoyer de nouvelles forces doivent être combattues par des grèves aux ports et aux aéroports par exemple... nous appelons les ouvriers britanniques du pétrole de la mer du Nord à développer leur lutte et à empêcher les patrons d'augmenter la production. Cette grève doit être étendue afin d'inclure tous les ouvriers du pétrole et tous les autres ouvriers. » (Workers Voice n° 53) Si « l'engagement dans des actions de guerre est possible sans l'accord du prolétariat », à quoi rime ce type d'appel ? La CWO pourrait-il nous l'expliquer ?
Pour revenir à l'article de Prometeo n° 11, celui qui commence par poser la question dans les mêmes termes que le CCI, nous pouvons y lire : « La tendance à la guerre avance d'un pas rapide mais le niveau de l'affrontement de classe, par contre, est absolument en dessous de ce qui serait nécessaire pour repousser les pesantes attaques lancées contre le prolétariat international ». Donc, pour le BIPR, ce n'est pas la lutte de classe qui permet de répondre à la question qu'il posait lui-même : « pourquoi la guerre mondiale n'a-t-elle pas encore éclaté ? ». Les réponses qu'il donne sont au nombre de deux :
- les alliances militaires ne sont pas encore suffisamment constituées et stabilisées ;
- les armements atomiques constituent un facteur de dissuasion pour la bourgeoisie du fait de la menace qu'ils représentent pour la survie de l'humanité ([19]).
Dans la Revue Internationale n° 54, nous avons longuement répondu à ces « arguments ». Nous nous contenterons ici de rappeler que le deuxième constitue une concession incroyable pour des marxistes aux campagnes de la bourgeoisie sur le thème de l'armement atomique comme garant de la paix mondiale. Quant au premier, il a été réfuté par le BIPR lui même lorsqu'il a écrit, au moment de l'éclatement de la guerre du Golfe : « la troisième guerre mondiale a commencé le 17 janvier » (BC de janvier 1991) alors que les alliances militaires qui avaient dominé la planète pendant près d'un demi-siècle venaient juste de disparaître. Il faut signaler que, par la suite, le BIPR est revenu sur cette analyse de l'imminence de la guerre. Par exemple, les perspectives de la CWO nous disent aujourd'hui que « une guerre à grande échelle entre les puissances impérialistes dominantes a été repoussée dans le temps ». Le problème, c'est que le BIPR a la fâcheuse habitude d'aligner les analyses contradictoires. Ce faisant, il peut ainsi se mettre hors de portée de la critique qu'il fait au CCI d'avoir maintenu la même analyse tout au long des années 1980. Mais cela n'est sûrement pas un signe de la supériorité de la méthode ou des perspectives du BIPR sur celles de notre organisation.
La CWO va probablement nous accuser encore de dire des mensonges, comme elle le fait abondamment dans son article de polémique. Elle va peut être ouvrir le grand parapluis de la « dialectique » pour affirmer que tout ce qu'elle dit (ou le BIPR) n'est nullement contradictoire. Avec le BIPR, la « dialectique » a bon dos : dans la méthode marxiste, elle n'a jamais signifié qu'on peut dire une chose et son contraire.
« Falsification ! » va crier la CWO. Alors, nous donnerons encore un autre exemple, non pas sur une question de second plan ou circonstancielle (pour laquelle les contradictions sont plus facilement pardonnables) mais sur une question essentielle : la contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière à la suite de l'échec de la vague révolutionnaire du premier après guerre est-elle terminée ?
On peut supposer que même si le BIPR n'est pas capable de donner une réponse claire et cohérente sur la question du cours historique – puisque la compréhension de cette question est apparamment au-dessus de ses forces ([20]) – il peut quand même répondre à celle que nous venons de formuler.
Une telle réponse, pourtant essentielle, nous ne la trouvons ni dans la plate forme du BIPR de 1994 ni dans les « Perspectives » de la CWO de décembre 1996 où pourtant il serait essentiel qu'elle trouve place. Ceci-dit on trouve quand même des réponses dans d'autres textes :
- dans l'article de Revolutionary Perspectives n° 5 cité plus haut, la CWO semble dire que la contre-révolution n'est pas encore terminée puisqu'elle rejette l'idée du CCI suivant laquelle : « mai 1968 a mis fin à la contre-révolution » ;
- cette affirmation semble être dans la continuité des thèses adoptées par le 5e congrès de Battaglia Comunista" de 1982 (voir Prometeo n° 7), même si les choses ne sont pas dites avec autant de clarté : « si le prolétariat aujourd'hui, confronté à la gravité de la crise et subissant les coups répétés des attaques bourgeoises, ne s'est pas encore montré capable de riposter, cela signifie simplement que le long travail de la contre-révolution mondiale est encore actif dans les consciences ouvrières. »
Si on s'en tient à ces deux textes, on pourrait dire qu'il existe une certaine constance dans la vision du BIPR : le prolétariat n'est pas sorti de la contre-révolution. Le problème c'est qu'en 1987 on pouvait lire dans « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée » (Communist Review n° 5) : « la période contre-révolutionnaire qui a suivi la défaite de la révolution d'octobre a pris fin » et « il ne manque pas de signes d'une reprise de la lutte de classe et on ne manque pas de les signaler. »
Ainsi, même sur une question aussi simple, il n'existe pas une position du BIPR mais plusieurs positions. Si on essaye de résumer ce qui ressort des différents textes publiés par les organisations constituant le BIPR, nous pouvons formuler ainsi son analyse :
- « les mouvements qui se sont développés en 68 en France, en 69 en Italie puis dans bien d'autres pays, sont essentiellement des révoltes de la petite-bourgeoisie » (position de Battaglia Comunista à cette époque) mais ils constituent néanmoins « une réponse ouvrière massive à l'échelle internationale aux attaques de la crise capitaliste » (CWO en décembre 1996) ;
- « le long travail de la contre-révolution est encore actif dans les consciences ouvrières » (BC en 1982), cependant « la période contre-révolutionnaire qui a suivi la défaite de la révolution d'octobre a pris fin » (BC en 1987), ce qui n'empêche pas que la période actuelle est sans conteste « une continuation de la domination capitaliste qui a régné, en étant seulement sporadiquement contestée, depuis la fin de la vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale » (CWO en 1988 dans une lettre envoyée au CBG publiée dans le n° 13 de son Bulletin) ;
- « à partir de 1976 [et jusqu'à aujourd'hui] la classe dominante... a été capable de restaurer une nouvelle fois la paix sociale » (CWO, décembre 1996) bien que « ces luttes [le mouvement des Cobas en 1987 dans l'éducation en Italie et les grèves en Grande-Bretagne de la même année] confirment le commencement d'une période marquée par l'accentuation des conflits de classe. » (BC n° 3 de mars 1988)
Evidemment, nous pourrions considérer que ces différentes positions contradictoires correspondent à des divergences existant entre la CWO et Battaglia Comunista. Mais il ne faut surtout pas dire une telle chose car c'est « une calomnie » du CCI qui est invité à « la fermer » lorsqu'il avance cette idée (« Sectes, mensonges et la perspective perdue du CCI », note n° 1). Puisqu'il n'existe pas de désaccord entre les deux organisations, il faut alors en conclure que c'est dans la tête de chaque militant du BIPR que cohabitent des positions contradictoires. Nous nous en doutions un peu, mais la CWO a l'obligeance de nous le confirmer.
Sérieusement, est-ce que toutes ces contradictions ne font pas réfléchir les militants du BIPR ? Ces camarades sont par ailleurs capables d'avoir une pensée cohérente. Comment se fait-il que lorsqu'ils essaient de développer leurs analyses de la période on arrive à une telle bouillie ? N'est-ce pas justement parce le cadre qu'ils se sont donnés n'est pas adéquat, qu'il prend des distances, au nom de la « dialectique », avec la rigueur marxiste pour sombrer dans l'empirisme et l'immédiatisme, comme nous l'avons déjà mis en évidence dans d'autres articles de polémique ?
Aux difficultés qu'éprouve le BIPR pour apréhender de façon claire et cohérente l'état actuel de la lutte de classe, il existe une autre cause : une analyse confuse de la question syndicale, qui ne lui permet pas de comprendre, par exemple, toute l'importance du phénomène qu'on a connu tout au long des années 1980 de discrédit croissant des syndicats. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain article.
Pour le moment, nous pouvons déjà répondre à la CWO : ce n'est pas à cause de ses analyses sur la période historique actuelle et sur le niveau de la lutte de classe que le CCI a connu la crise dont nous avons parlé dans notre presse. Pour une organisation révolutionnaire, il peut exister, contrairement à ce que pense la CWO qui fait toujours le même diagnostic depuis 1981, d'autres facteurs de crise, et particulièrement les questions organisationnelles. C'est bien ce que nous a montré, parmi beaucoup d'autres exemples, la crise qu'a connu le POSDR à la suite de son 2e Congrès de 1903. Cependant, nous nous permettrons de mettre fraternellement en garde la CWO (et le BIPR) : si une analyse erronée de la situation historique constitue pour elle le seul, ou même le principal, facteur de crise (peut-être est-ce le cas dans sa propres expérience), alors il convient qu'elle soit particulièrement vigilante car avec la montagne d'incohérences que contient sa propre analyse, elle court un grand danger.
Ce n'est certainement pas notre souhait. Notre souhait le plus sincère serait que la CWO et le BIPR rompent une fois pour toutes avec leur empirisme et leur immédiatisme et reprennent à leur compte les meilleures traditions de la Gauche communiste et du marxisme.
Fabienne
[20]. C'est bien le constat qu'il fait dans l'article « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée » en rejetant toute possibilité de définir le cours historique : « En ce qui concerne le problème que le CCI nous pose, de devenir les prophètes exacts du futur, la difficulté est que la subjectivité ne suit pas mécaniquement les mouvements objectifs... Personne ne peut croire que la maturaton de la conscience... puisse être déterminée de manière rigide à partir de données observables et mises dans un rapport rationnel ». Evidemment, nous ne demandons pas que les révolutionnaires soient des « prophètes exacts du futur » ou qu'ils « déterminent la conscience de manière rigide », mais tout simplement qu'ils répondent à la question : « les luttes qui se sont développées depuis 1968 étaient-elles ou non un signe que le prolétariat n'était pas prêt à se laisser enrôler dans une troisième guerre mondiale ? » En altérant la formulation de la question, le BIPR démontre soit qu'il ne l'a pas comprise, soit qu'il n'est pas capable d'y répondre.