Chine 1928-1949 : maillon de la guerre imperialiste (I)

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Selon l'histoire officielle, une « révolution populaire » aurait triomphé en Chine en 1949. Cette idée, répandue autant par la dé­mocratie occidentale que par le maoïsme, fait partie de la mons­trueuse mystification, mise en place avec la contre-révolution stalinienne, sur la soi-disant créa­tion des « Etats socialistes ». Il est vrai que la Chine connut du­rant la période de 1919 à 1927 un imposant mouvement de la classe ouvrière, partie intégrante de la vague révolutionnaire internatio­nale qui secouait le monde capita­liste à cette époque; ce mouve­ment, cependant, se solda par un massacre de la classe ouvrière. Par contre, ce que les idéologues de la bourgeoisie présentent comme le « triomphe de la révo­lution chinoise » n'est que l'instau­ration d'un régime de capitalisme d'Etat dans sa variante maoïste, la culmination de la période de conflits impérialistes en territoire chinois, période ouverte à partir de 1928, après la défaite de la révolution prolétarienne.

Dans la première partie de cet article, nous exposerons les conditions dans lesquelles a surgi la révolution prolétarienne en Chine, en en tirant quelques unes des principales leçons. Nous con­sacrerons prochainement une deuxième partie à la période des conflits impéria­listes, durant laquelle apparut le maoïsme, et à la dénonciation des aspects fondamentaux de cette forme de l'idéologie bourgeoise.

La 3e Internationale et la révolution en Chine

L'évolution de l'Internationale commu­niste (IC) et son action en Chine jouè­rent un rôle crucial dans le cours de la révolution dans ce pays. L'IC représente le plus grand effort, réalisé à ce jour par la classe ouvrière, pour se doter d'un parti mondial capable de guider sa lutte révolutionnaire. Cependant, sa forma­tion tardive au cours même de la vague révolutionnaire mondiale, sans avoir eu au préalable le temps suffisant pour se consolider organiquement et politique­ment, la conduisit, malgré la résistance de ses fractions de gauche ([1]), vers une dérive opportuniste. En effet, devant le recul de la révolution et l'isolement de la Russie soviétique, le Parti bolchevi­que - le plus influent au sein de l'Internationale - commença à hésiter entre la nécessité d'asseoir les bases pour une nouvelle montée de la révolution dans le futur, même au prix du sacrifice du triomphe en Russie, ou bien celle de dé­fendre l'Etat russe surgi de la révolu­tion, au prix d'accords et d'alliances conclues avec les bourgeoisies nationa­les. Ces accords et alliances représentè­rent une énorme source de confusion pour le prolétariat international et con­tribuèrent à accélérer sa défaite dans de nombreux pays. La dérive opportuniste de l'IC, l'abandon des intérêts histori­ques de la classe ouvrière au profit d'une politique de collaboration entre les clas­ses, la conduisit à une dégénéres­cence progressive qui culmina en 1928, avec l'abandon de l'internationalisme prolétarien au nom de la prétendue « défense du socialisme dans un seul pays » ([2]).

La perte de confiance dans la classe ou­vrière conduisit progressivement l'IC, devenue de plus en plus un instrument du gouvernement russe, à vouloir créer une barrière de protection contre la pé­nétration des grandes puissances impérialistes, au moyen de l'appui aux bour­geoisies des « pays opprimés » d'Europe orientale, du Moyen et d'Extrême-Orient. Cette politique s'avéra désas­treuse pour la classe ouvrière interna­tionale. En effet, pendant que l'IC et le gouvernement russe soutenaient politi­quement et matériellement les bour­geoisies nationalistes supposées « révolutionnaires » de Turquie, de Perse, de Palestine, d'Afghanistan... et finalement de Chine, ces mêmes bourgeoisies, qui acceptaient en toute hypo­crisie l'aide soviétique sans rompre leurs liens avec les puissances impérialistes ni avec la noblesse foncière qu'elles étaient censées combattre, écrasaient les luttes ouvrières et anéantissaient les organisa­tions communistes avec les armes mê­mes que leur fournissait la Russie. Idéologiquement, cet abandon des posi­tions prolétariennes trouvait sa justifi­cation dans les « Thèses sur la question nationale et coloniale » du 2e Congrès de la 3e internationale (dans la rédac­tion desquelles Lénine et Roy avaient eu un rôle prépondérant). Ces Thèses con­tiennent assurément une ambiguïté théorique de principe, en opérant une distinction erronée entre bourgeoisies « impérialistes » et « anti-impérialis­tes », ce qui allait ouvrir la voie aux plus grandes erreurs politiques. En effet, à cette époque, la bourgeoisie avait cessé d'être révolutionnaire et avait pris par­tout un caractère impérialiste, y compris dans les « pays opprimés » : non seule­ment de par les nombreux liens qu'elle avait avec l'une ou l'autre des grandes puissances impérialistes, mais aussi parce qu'à partir de la prise de pouvoir par la classe ouvrière en Russie, la bourgeoisie internationale avait formé un front commun contre tout mouve­ment révolutionnaire de masse. Le capitalisme était entré dans sa phase de décadence, et l'ouverture de l'ère de la révolution prolétarienne avait définitivement clos l'ère des révolutions bourgeoises.

Les Thèses, malgré cette erreur, étaient cependant capables de prévenir certains glissements opportunistes, qui malheu­reusement iraient en se généralisant peu de temps après. Le rapport présenté par Lénine reconnaissait que, dans cette nouvelle période, « un certain rappro­chement se produit entre la bourgeoisie des pays exploiteurs et celle des pays coloniaux, de telle façon que, très fré­quemment, la bourgeoisie des pays op­primés, tout en appuyant les mouvements nationaux, est en même temps d'accord avec la bourgeoisie impéria­liste, c'est-à-dire qu'elle lutte avec celle-ci contre les mouvements révolu­tionnaires » ([3]). C'est pourquoi les Thè­ses appelaient à s'appuyer essentielle­ment sur les paysans et insistaient avant tout sur la nécessité pour les organisa­tions communistes de maintenir leur indépendance organique et de principe face à la bourgeoisie : « L'Internationale communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colo­nies et les pays arriérés, qu'à la condi­tion que les éléments des plus purs par­tis communistes - et communistes en fait - soient groupés et instruits de leurs tâ­ches particulières, c'est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique... consentant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire » ([4]). Mais le sou­tien inconditionnel, ignominieux, de l'Internationale au Kuomintang en Chine allait manifester l'oubli de tout cela : tant du fait que la bourgeoisie na­tionale n'était plus révolutionnaire et se trouvait étroitement liée aux puissances impérialistes, que de la nécessité de for­ger un Parti communiste capable de lut­ter contre la démocratie bourgeoise, en même temps que de l'indispensable indépendance du mouvement de la classe ouvrière.

La « Révolution » de 1911 et le Kuomintang

Le développement de la bourgeoisie chinoise et son mouvement politique durant les premières décennies du 20e siècle, loin de montrer ses aspects pré­tendument « révolutionnaires », nous donne plutôt une illustration de l'ex­tinction du caractère révolutionnaire de la bourgeoisie et de la transforma­tion de l'idéal national et démocratique en pure mystification, au moment où le capitalisme entre dans sa phase de dé­cadence. L'inventaire des faits nous montre, non pas une classe révolution­naire, mais une classe conservatrice, conciliante, dont le mouvement politique ne cherchait ni à expulser complètement la noblesse ni à rejeter les « impérialistes », mais plutôt à se faire une place à leur côté.

Les historiens ont coutume de souligner les différences d'intérêts, censées exis­ter, entre les différentes fractions de la bourgeoisie chinoise. Ainsi, il est cou­rant d'identifier la fraction spéculatrice commerçante comme une alliée de la noblesse et des « impérialistes », tandis que la bourgeoisie industrielle et l'intel­ligentsia composeraient la fraction « nationaliste », « moderne », « révolu­tionnaire ». En réalité, ces différences n'étaient pas aussi marquées. Non seulement parce que ces fractions étaient intimement liées, pour raisons de né­goce ou par liens familiaux, mais sur­tout parce que les attitudes, autant de la fraction commerçante que de la fraction industrielle et de l'intelligentsia, n'étaient pas très différentes : toutes deux cherchaient en permanence l'appui des « seigneurs de la guerre » liés à la noblesse foncière ainsi que celui des gouvernements des grandes puissances.

Vers 1911, la dynastie mandchoue était déjà complètement pourrie et sur le point de tomber. Ce n'était pas le produit d'une quelconque action révolutionnaire de la bourgeoisie nationale, mais la conséquence du partage de la Chine entre les mains des grandes puissances impérialistes qui avait mené au dépeçage du vieil Empire. La Chine tendait de plus en plus à resté divisée en régions contrôlées par des militaristes possédant des armées mercenaires plus ou moins puissantes, tou­jours prêts à se vendre au plus offrant et derrière lesquels se trouvait l'une ou l'autre grande puissance. La bourgeoisie chinoise, de son côté, se sentait appelée à prendre la place de la dynastie, en tant qu'élément unificateur du pays, bien que ce ne fut pas dans le sens de briser le régime de production, dans lequel se mêlaient les intérêts des propriétaires fonciers et des impérialistes avec les siens propres, mais plutôt dans le but de le maintenir. C'est dans ce cadre que se déroulèrent les événements qui vont de ce qu'on a appelé la « Révolution de 1911 » jusqu'au « Mouvement du 4 mai 1919».

La «Révolution de 1911 » commença par une conspiration des  militaristes conservateurs soutenus par l'organisa­tion bourgeoise nationaliste de Sun Yat-sen, la Toung Meng-houi. Les militaris­tes renièrent l'Empereur et proclamèrent un nouveau régime à Wou-Tchang. Sun Yat-sen, qui se trouvait aux Etats-Unis en quête d'un soutien financier pour son  organisation, fut appelé à occuper la présidence d'un nouveau gouvernement, des négociations entre les deux gouvernements commencèrent et, au bout de quelques semaines, on décida le retrait de l'Empereur ainsi que celui de Sun Yat-sen, en échange d'un gouvernement unifié avec à sa tête Yuan Che-kai qui était le chef des troupes impériales, le véritable homme fort de la dynastie, tout ceci signifie que la bourgeoisie laissait de côté ses prétentions « révolutionnaires » et « anti-impérialistes »  en  échange  du   maintien  de l'unité du pays.

Fin 1912 se forme le Kuomintang, la nouvelle organisation de Sun Yat-sen représentant cette bourgeoisie. En 1913, le Kuomintang participe à des élections présidentielles,  restreintes aux classes sociales possédantes, desquelles il sort vainqueur. Cependant, le tout nouveau président, Sun Chao-yen est assassiné. Sun Yat-sen essaya alors de former un nouveau gouvernement en s'alliant avec quelques militaristes sécessionnistes du centre-sud du pays, mais il fut défait par les forces de Pékin.

Comme on peut le voir, les velléités na­tionalistes de la bourgeoisie chinoise étaient soumises au jeu des seigneurs de la guerre et, par conséquent, à celui des grandes puissances. L'éclatement de la Première Guerre mondiale assujettit encore davantage le mouvement poli­ tique de la bourgeoisie chinoise au jeu des intérêts impérialistes. En 1915, plusieurs provinces devinrent « indépendantes », les seigneurs de la guerre se partagèrent le pays, soutenus par l'une ou l'autre des grandes puissan­ces. Dans le Nord, le gouvernement de Anfou - soutenu par le Japon - disputait la première place à celui de Chili - sou­tenu par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. De son côté, la Russie tsariste essayait de faire de la Mongolie un protectorat. On se disputait aussi le Sud. Sun Yat-sen réalisa de nouvelles allian­ces avec certains seigneurs de la guerre. Le décès de l'homme fort de Pékin ai­guisa encore davantage la lutte entre les militaristes.

C'est dans ce contexte, à la fin de la guerre en Europe, que vit le jour en Chine le « Mouvement du 4 mai 1919 », tant vanté par les idéologues comme un « véritable mouvement anti-impéria­liste ». En réalité, ce mouvement de la petite-bourgeoisie n'était pas dirigé con­tre l'impérialisme en général, mais plu­tôt contre le Japon en particulier : en ef­fet, celui-ci avait réussi à obtenir la province chinoise de Chan-Tong lors de la Conférence de Versailles (la confé­rence au cours de laquelle les pays dé­mocratiques vainqueurs se partagèrent le monde), ce à quoi les étudiants chi­nois s'opposaient. Cependant il faut no­ter que l'objectif de ne pas céder de ter­ritoires chinois au Japon répondait également aux intérêts d'une autre puis­sance rivale : les Etats-Unis, qui parvin­rent finalement à « libérer » la province de Chan-Tong de la domination exclu­sivement japonaise en 1922. C'est-à-dire qu'indépendamment de l'idéologie radi­cale du mouvement du 4 mai, celui-ci resta également dans le cadre des con­flits impérialistes. Et il ne pouvait en être autrement.

Par contre, il faut souligner que pendant le mouvement du 4 mai, dans un sens différent, la classe ouvrière fit sa première apparition dans les manifesta­tions, arborant non seulement les mots d'ordre nationalistes du mouvement, mais aussi ses propres revendications de classe.

La fin de la guerre en Europe ne mettra un terme ni aux guerres entre les mili­taristes ni aux luttes entre grandes puissances pour le partage de la Chine. Ce­pendant, peu à peu vont prendre forme deux gouvernements plus ou moins in­stables : l'un dans le nord, dont le siège était à Pékin, sous les ordres du milita­riste Wou Pei-fou ; l'autre au sud, ayant pour siège Canton et ayant à sa tête Sun Yat-sen et le Kuomintang. L'histoire officielle présente le gouvernement du nord comme l'expression des forces « réactionnaires », de la noblesse et des impérialistes, et le gouvernement du sud comme l'expression des forces nationa­listes et « révolutionnaires », à savoir la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie et les travailleurs. Il s'agit d'une scandaleuse mystification.

En réalité Sun Yat-sen et le Kuomin­tang ont toujours été soutenus par les seigneurs de la guerre du sud : en 1920 Tchen Choung-ming, qui avait occupé Canton, invita Sun Yat-sen à former un autre gouvernement. En 1922, Sun Yat-sen suivant la tendance des militaristes du sud tenta pour la première fois d'avancer vers le nord ; il fut défait et expulsé du gouvernement mais, en 1923, il retourna à Canton avec l'appui des militaristes. D'un autre côté, on parle beaucoup de l'alliance du Kuomin­tang avec l'URSS. En réalité, l'URSS entretenait des relations et des alliances avec tous les gouvernements proclamés de Chine, y compris ceux du nord. Ce fut le penchant définitif du nord pour le Japon qui obligea l'URSS à privilégier sa relation avec le gouvernement de Sun Yat-sen ; lequel, par ailleurs, n'abandonna jamais son jeu consistant à de­mander de l'aide à différentes puissan­ces impérialistes. Ainsi en 1925, peu avant sa mort et alors qu'il se rendait dans le nord pour négocier, Sun Yat-sen, passa par le Japon à la recherche d'appuis pour son gouvernement.

C'est ce parti, le Kuomintang, repré­sentant crime bourgeoisie nationale (commerçante, industrielle et intellec­tuelle) intégrée dans le jeu des gran­des   puissances   impérialistes  et   des seigneurs de la guerre, que l'Interna­tionale communiste arrivera à déclarer « Parti sympathisant ». C'est à ce parti que devront se soumettre jour après jour les communistes en Chine, au nom de la prétendue « révolution nationale », et, pour lui, ils devront «jouer les Coolies » ([5]).

Le Parti communiste de Chine » à la croisée des chemins

L'histoire officielle présente le surgissement du Parti communiste en Chine comme un sous-produit du mouvement de l'intelligentsia bourgeoisie des débuts du siècle. Le marxisme aurait été im­porté d'Europe parmi d'autres « philosophies » occidentales, et la fon­dation du Parti communiste ferait parti du surgissement de beaucoup d'autres organisations littéraires, philosophiques et politiques de cette époque. Avec ce genre d'idées, les historiens bourgeois créent un pont entre le mouvement po­litique de la bourgeoisie et celui de la classe ouvrière et donnent finalement, à la formation du Parti communiste, une signification spécifiquement nationale. En réalité, le surgissement du parti communiste en Chine - comme dans beaucoup d'autres pays à l'époque - n'est pas fondamentalement lié au dévelop­pement de l'intelligentsia chinoise, mais à l'avancée du mouvement révolutionnaire international de la classe ouvrière.

Le Parti communiste de Chine (PCC) fut créé en 1920 et 1921, à partir de pe­tits groupes marxistes, anarchistes et socialistes, sympathisants de la Russie soviétique. Comme tant d'autres partis, le PCC naquit directement en tant que composante de l'IC et sa croissance fut liée au développement des luttes ouvriè­res qui ne manquèrent pas de surgir suivant l'exemple des mouvements insur­rectionnels en Russie et en Europe Oc­cidentale. C'est ainsi que, de quelques dizaines de militants en 1921, le parti se développera en quelques années pour en compter un millier ; durant la vague de grèves de 1925 il atteint 4000 membres et, au moment de la période insurrec­tionnelle de 1927, il en comptait près de 60 000. Ce rapide accroissement numé­rique exprime, d'une certaine façon, la volonté révolutionnaire qui animait la classe ouvrière chinoise durant la période de 1919 à 1927 (la majorité des militants, à cette époque, sont des ou­vriers des grandes villes industrielles). Cependant il faut dire que l'accroisse­ment numérique n'exprimait pas un ren­forcement équivalent du parti. L'admis­sion hâtive des militants contredisait la tradition du parti bolchevique de former une organisation solide, bien trempée, de l'avant-garde de la classe ouvrière, plutôt qu'une organisation de masse. Mais ce qui s'avéra pire que tout fut l'adoption, à partir de son second con­grès, d'une politique opportuniste dont il n'allait plus parvenir à se défaire.

Vers le milieu de 1922, à la demande de l'Exécutif de l'Internationale, le PCC lance le malencontreux mot d'ordre du « Front unique anti-impérialiste avec le Kuomintang », et de l'adhésion indivi­duelle des communistes à ce dernier. Cette politique de collaboration de clas­ses (qui commença à s'étendre en Asie à partir de la « Conférence des peuples d'Orient » de janvier 1922) était le ré­sultat des négociations, engagées en se­cret, entre l'URSS et le Kuomintang. Dès juin 1923 (3° congrès du PCC) est votée l'adhésion des membres du parti au Kuomintang. Le Kuomintang lui-même est admis dans l'IC en 1926 comme organisation sympathisante et participe au 7e Plénum de l'IC, alors même que l'opposition unifiée (Trotsky, Zinoviev,..) n'est pas autorisée à y par­ticiper. En 1926, tandis que le Kuomin­tang préparait le coup final contre la classe ouvrière, à Moscou on élaborait l'infâme théorie selon laquelle le Kuo­mintang était un « bloc anti-impéria­liste comprenant quatre classes » (le prolétariat, la paysannerie, la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie).

Cette politique eut les plus funestes con­séquences sur le mouvement de la classe ouvrière en Chine. Tandis que le mou­vement de grèves et les manifestations se développaient spontanément et impé­tueusement, le parti communiste, noyé au sein du Kuomintang, s'avérait inca­pable d'orienter la classe ouvrière, de faire preuve d'une politique de classe indépendante. La classe ouvrière, dé­pourvue également d'organisations uni­taires comme les conseils ouvriers pour sa lutte politique, s'en remit, à la de­mande du PCC lui-même, au Kuomin­tang, c'est-à-dire accorda sa confiance à la bourgeoisie.

Cependant, il est certain que la politique opportuniste de subordination au Kuomintang a rencontré, dès le début, une résistance constante au sein du PCC (comme ce fut le cas du courant repré­senté par Chen Tou-hsiou). Déjà, dès le 2° congrès du PCC, une opposition s'était dressée contre les thèses défen­dues par le délégué de l'Internationale (Sneevliet), suivant lesquelles le Kuo­mintang ne serait pas un parti bour­geois, mais un front de classes auquel le PCC devrait se soumettre. Pendant toute la période d'union avec le Kuomintang, les voix n'ont pas manqué de se faire entendre, au sein du parti communiste, pour dénoncer les préparatifs anti-prolé­tariens de Chang Kai-chek ; demandant, par exemple, que les armes fournies par l'URSS soient destinées à l'armement des ouvriers et des paysans, plutôt que de venir renforcer l'armée de Chang Kai-chek, comme cela fut le cas, affir­mant, enfin, l'urgence de sortir de la souricière que constituait le Kuomin­tang pour la classe ouvrière : « La révo­lution chinoise a deux chemins possi­bles : l'un est celui que le prolétariat peut tracer et par lequel nous pourrons atteindre nos objectifs révolutionnai­res ; l'autre est celui de la bourgeoisie, et cette dernière trahira la révolution au cours de son développement ». ([6])

Cependant il s'avéra impossible, pour un parti jeune et sans expérience, de passer outre les directives erronées de l'Exécutif de l'Internationale, et il re­tomba dedans. Le résultat fut que, tandis que le prolétariat s'engageait dans un combat contre les fractions des classes possédantes adversaires du Kuomin­tang, celui-ci lui préparait déjà le coup de poignard dans le dos : ce que la classe ouvrière s'avéra incapable d'em­pêcher parce que son parti ne l'avait pas prévenue. Et s'il est vrai que la révoluti­on en Chine avait peu de chance de triompher - en effet au niveau interna­tional la colonne vertébrale de la révol­ution mondiale, le prolétariat en Alle­magne, était cassée depuis 1919- l'op­portunisme de la 3e Internationale pré­cipita la défaite.

La classe ouvrière se soulève

Le maoïsme a prétexté de la faiblesse de la classe ouvrière en Chine pour justifier le déplacement du PCC vers les campa­gnes à partir de 1927. Certes, la classe ouvrière en Chine, au début du siècle, était minuscule en nombre comparati­vement à la paysannerie (une proportion de 2 à 100), mais son poids politique ne suivait pas la même proportion.

D'une part, il y avait déjà environ 2 millions d'ouvriers urbains hautement concentrés dans le bassin du fleuve Yang-Tseu avec la cité côtière de Shanghai et la zone industrielle de Wou-Han (la triple ville Han-Keou, Wou-Tchang, Han-Yang) , dans le complexe Canton-Hong-Kong et dans les mines de la province du Yunnan (sans compter les 10 millions d'artisans plus ou moins prolétarisés qui peu­plaient les villes). Cette concentration donnait à la classe ouvrière une force extraordinaire, capable de paralyser et de prendre en mains les centres vitaux de la production capitaliste. De plus, dans les provinces du sud (surtout à Kouang-Tong) existait une paysannerie étroitement liée aux ouvriers, en effet elle fournissait en forces de travail les villes industrielles et pouvait constituer une force d'appoint pour le prolétariat urbain.

D'autre part, il serait erroné de considé­rer la force de la classe ouvrière en Chine en se basant exclusivement sur son nombre en comparaison avec les au­tres classes du pays. Le prolétariat est une classe historique qui puise sa force dans son existence mondiale, et l'exemple de la révolution en Chine en est une preuve concrète. Le mouve­ment de grèves n'avait pas son épicentre en Chine mais en Europe, c'était une manifestation de l'onde d'expansion de la révolution mondiale. Les ouvriers de Chine, comme ceux d'autres parties du monde, se lançaient dans la lutte face à l'écho de la révolution triomphante en Russie et des tentatives insurrectionnel­les en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe.

Au début, comme la majorité des usines de Chine étaient d'origine étrangère, les grèves ont une teinte « anti-étrangers » et la bourgeoisie nationale pensa s'en servir comme instrument de pression. Cependant, le mouvement de grèves prendra de plus en plus un caractère de classe affirmé, contre la bourgeoisie en général, qu'elle soit nationale ou étran­gère. Les grèves revendicatives se suc­cèdent de façon croissante à partir de 1919, malgré la répression (il n'était pas rare que des ouvriers soient décapités ou brûlés dans les chaudières des locomoti­ves). Vers le milieu de 1921, éclate la grève dans les textiles de Hou-Nan. Au début de 1922, une grève des marins de Hong-Kong se poursuit durant trois mois jusqu'à la satisfaction de leurs re­vendications. Dans les premiers mois de 1923 éclate une vague d'une centaine de grèves dans lesquelles prennent part plus de 300 000 ouvriers ; en février, le militariste Wou Pei-fou ordonne la répression de la grève des chemins de fer au cours de laquelle sont assassinés 35 ouvriers, et laissant de nombreux bles­sés. En juin 1924 éclate une grève géné­rale à Canton - Hongkong qui durera trois mois. En février 1925 les ouvriers du coton de Shanghai se mettent en grève. C'est le prélude du gigantesque mouvement de grèves qui allait parcou­rir toute la Chine durant l'été 1925.

Le mouvement du 30 mai

En 1925, la Russie soutenait fermement le gouvernement de Canton du Kuomintang. Déjà depuis 1923, l'alliance entre l'URSS et le Kuomintang avait été dé­clarée ouvertement ; une délégation mi­litaire du Kuomintang commandée par Chang Kai-chek s'était rendue à Moscou et, dans le même temps, une délégation de l'Internationale donnait au Kuomintang des statuts et une structure organisationnelle et militaire. En 1924, le premier Congrès officiel du Kuomin­tang approuva l'alliance et, en mai, s'établit l'Académie Militaire de Wham-poa avec des armes et des conseillers militaires soviétiques, dirigée par Chang Kai-chek. En fait, ce que faisait le Gouvernement russe, c'était former une armée moderne, au service de la fraction de la bourgeoisie groupée au sein du Kuomintang, ce dont celle-ci avait jusqu'alors manqué. En mars 1925; Sun Yat-sen se rend à Pékin (l'URSS continuait aussi à maintenir des relations avec le gouvernement de Pé­kin) pour essayer de construire une al­liance visant à unifier le pays, mais il meurt des suites d'une maladie avant d'avoir atteint son but.

C'est dans ce contexte d'alliance idylli­que que surgit, de toutes ses forces, le mouvement de la classe ouvrière, rappe­lant à la bourgeoisie du Kuomintang et aux opportunistes de l'Internationale l'existence de la lutte de classe.

Au début de 1925 monta la vague d'agi­tations et de grèves. Le 30 mai, la police anglaise de Shanghai ouvrit le feu sur une manifestation d'étudiants et d'ou­vriers : 12 manifestants furent tués. Ce fut le détonateur d'une grève générale à Shanghai qui commença à s'étendre ra­pidement aux principaux ports com­merciaux du pays. Le 19 juin éclate également la grève générale à Canton. Quatre jours plus tard les troupes bri­tanniques de la concession britannique de Shameen (proche de Canton) ouvri­rent le feu contre une autre manifesta­tion. En riposte, les ouvriers de Hong­kong se mirent en grève. Le mouvement s'étendit, arrivant jusqu'à la lointaine Pékin où, le 30 juillet, eut lieu une ma­nifestation de quelques 200 000 tra­vailleurs, et renforçant l'agitation pay­sanne dans la province de Kouang-Tong.

A Shanghai les grèves durèrent trois mois ; à Canton-Hong-Kong éclata une grève-boycott qui dura jusqu'en octobre de l'année suivante. A ce moment-là, commencèrent à se créer des milices ouvrières. Des milliers d'ouvriers ralliè­rent les rangs du parti communiste. La classe ouvrière en Chine se montrait pour la première fois en tant que force réellement capable de menacer le régime capitaliste dans son ensem­ble.

Malgré le fait que le mouvement du 30 mai eut comme conséquence directe la consolidation et l'extension dans le sud du pouvoir du gouvernement de Canton, ce même mouvement réveilla l'instinct de classe de la bourgeoisie nationaliste groupée dans le Kuomintang, et qui jus­ qu'alors avait « laissé faire » les grévis­tes tant qu'ils dirigeaient leurs luttes es­sentiellement contre les usines et les concessions étrangères. Les grèves de l'été 1925 avaient revêtu un caractère anti-bourgeois, ne « respectant » même pas les capitalistes nationaux. Ainsi, la bourgeoisie nationaliste et «révolutionnaire », avec à sa tête le Kuomintang (soutenu par les grandes puissances et avec l'appui aveugle de Moscou), se lança rageusement avant tout dans l'affrontement avec celui qu'elle avait identifié comme étant son ennemi de classe mortel : le prolétariat.

Le coup de force et l'expédition au nord de Chang Kai-chek

Entre les derniers mois de 1925 et les premiers de 1926 se déroule ce que les historiens ont décidé de nommer la «polarisation entre la gauche et la droite du Kuomintang », celle qui selon eux comporterait le fractionnement de la bourgeoisie en deux parties,  l'une demeurant fidèle au nationalisme, l'au­tre virant vers une alliance avec l'impérialisme. Cependant nous avons déjà vu que, même les fractions de la bourgeoi­sie les plus « anti-impérialistes », ne cessèrent jamais leurs relations avec les impérialistes. Ce qui se passait en réa­lité ce n'était pas que la bourgeoisie se fractionnait, mais qu'elle se préparait à affronter la classe ouvrière, se débarras­sant des éléments gênants au sein du Kuomintang (les militants communis­tes, une partie de la petite-bourgeoisie et quelques généraux fidèles à l'URSS). Ainsi donc, le Kuomintang, se sentant suffisamment de force politique et mi­litaire, ôtait son masque de « bloc de classes » et apparaissait pour ce qu'il avait toujours réellement été : le parti de la bourgeoisie.

Fin 1925 le chef de la «gauche », Liao Ching-hai, fut assassiné et le harcèle­ment contre les communistes commen­ça. Ceci constitua le prélude du coup de force de Chang Kai-chek, devenu l'homme fort du Kuomintang, qui mar­qua le début de la réaction de la bour­geoisie contre le prolétariat. Le 20 mars, Chang Kai-chek à la tête des cadets de l'Académie de Whampoa, proclame la loi martiale à Canton, ferme les locaux des organisations ouvrières, désarme les piquets de grève et fait arrêter nombre de militants communistes. Dans les mois suivants, les communistes seront éjectés de tous les postes à responsabili­té du Kuomintang.

L'Exécutif de l'Internationale, à la botte de Boukharine et de Staline, demeure « aveugle » devant la réaction du Kuomintang et, malgré l'opposition in­sistante d'une grande partie du PCC, il donne l'ordre de maintenir l'alliance, cachant les événements aux membres de l'Internationale et des PC ([7]). Enhardi, Chang Kai-chek exige de l'URSS un soutien militaire dans son expédition vers le nord qui commence en juillet 1926.

Comme tant d'autres actions de la bour­geoisie, l'expédition dans le nord est faussement présentée par l'histoire officielle comme un « événement révoluti­onnaire », comme une tentative d'étendre le régime « révolutionnaire » et d'unifier la Chine. Mais les intentions du Kuomintang de Chang Kai-chek étaient loin d'être aussi altruistes. Son grand rêve (à l'égal d'autres militaristes) consistait en l'appropriation du port de Shanghai et l'obtention, de la part des grandes puissances, de l'administration de sa riche douane. Pour ce faire, il pouvait compter sur un argument de chantage extrêmement puissant : sa ca­pacité à contenir et soumettre le mou­vement ouvrier.

Dès le début de l'expédition militaire du Kuomintang, la loi martiale est décrétée dans les régions qu'il contrôle déjà. Ainsi, au moment même où les tra­vailleurs du nord préparaient avec en­thousiasme l'appui aux forces du Kuo­mintang, celui-ci interdisait formelle­ment les grèves ouvrières dans le sud. En septembre, une force de gauche du Kuomintang prend Han-Keou, mais Chang Kai-chek refuse de la soutenir et s'établit à Nanchang. En octobre, on donne l'ordre aux communistes de frei­ner le mouvement paysan dans le sud et l'armée met un terme à la grève-boycott de Canton/Hong-Kong. Ceci constitua pour les grandes puissances (au premier rang desquelles l'Angleterre) la preuve la plus tangible que l'avancée vers le nord du Kuomintang n'avait aucune prétention anti-impérialiste et, peu de temps après, commencèrent les négo­ciations secrètes avec Chang Kai-chek.

Fin 1926, le bassin industriel du fleuve Yang-Tseu bouillonnait d'agitation. En octobre, le militariste Sia-chao (qui venait de rejoindre le Kuomintang) avança sur Shanghai, mais il s'arrêta à quelques kilomètres de la ville, laissant les trou­pes « ennemies » du nord (sous les or­dres de Sun Chouan-fang) entrer les premières dans la ville, étouffant ainsi un soulèvement imminent. En janvier 1927, les masses travailleuses occupè­rent au moyen d'actions spontanées les concessions britanniques de Han-Keou (dans la triple ville de Wou-Han) et de Jiujiang. Alors, l'armée du Kuomintang ralentit son avance pour permettre, dans la plus pure tradition des armées réac­tionnaires, que les seigneurs de la guerre locaux puissent réprimer les mouvements ouvrier et paysan. Au même moment, Chang Kai-chek se lance publiquement à l'attaque des communistes et le mouvement paysan de Kouang-Tong (dans le sud) est étouffé. Voila le scénario selon lequel se déroula le mouvement insurrectionnel de Shanghai.

L'insurrection de Shanghai

Le mouvement insurrectionnel de Shan­ghai est le point culminant d'une dé­cennie de luttes constantes et ascendan­tes de la classe ouvrière. Il constitue le point le plus élevé atteint par la révolu­tion en Chine. Cependant, les condi­tions dans lesquelles il mûrissait ne pouvaient guère être plus défavorables pour la classe ouvrière. Le parti com­muniste se trouvait pieds et poings liés, désarticulé, frappé et soumis par le Kuomintang. La classe ouvrière, trom­pée par la mystification du « bloc des quatre classes », ne s'était pas non plus dotée d'organismes unitaires, chargés de centraliser effectivement sa lutte, de type conseils ouvriers ([8]). Pendant ce temps, les canonnières des puissances impérialistes étaient pointées sur la ville, et le Kuomintang lui-même s'ap­prochait de Shanghai, paraissant arbo­rer la bannière de la « révolution anti-impérialiste », mais avec le véritable but d'écraser les ouvriers. Seuls, la volonté révolutionnaire et l'héroïsme de la classe ouvrière peuvent expliquer sa ca­pacité à s'emparer dans de telles condi­tions, et même si ce n'est que pour quel­ques jours, de la ville qui représente le coeur du capitalisme en Chine.

En février 1927, le Kuomintang reprend son avancée. Le 18, l'armée nationaliste se trouve à Chiaching, à 60 kilomètres de Shanghai. A ce moment-là, devant la défaite imminente de Sun Chouan-fang, éclata la grève générale à Shanghai : « ...le mouvement du prolétariat de Shanghai, du 19 au 24 février, constitua objectivement une tentative du proléta­riat de Shanghai d'assurer son hégémo­nie. Aux premières nouvelles de la dé­faite de Sun Chouan-fang, à Zhejiang, l'atmosphère de Shanghai devint brû­lante et, pendant les deux jours, éclata avec la puissance d'une force élémen­taire une grève de 300 000 travailleurs qui se transforma irrésistiblement en in­surrection armée pour rapidement som­brer dans le néant, par manque de di­rection... » ([9]).

Le Parti communiste, pris par surprise, hésitait à lancer le mot d'ordre de l'in­surrection alors que celle-ci se déroulait dans les rues. Le 20, Chang Kai-chek ordonna d'un coup de suspendre l'atta­que contre Shanghai. Ce fut le signal pour les forces de Sun Chouan-fang de déchaîner la répression dans laquelle des dizaines d'ouvriers furent assassinés et qui parvint à contenir momentané­ment le mouvement.

Durant les semaines qui suivirent, Chang Kai-chek manoeuvra habilement pour éviter d'être relevé du commande­ment de l'armée et pour faire taire les rumeurs d'une alliance avec la droite et les puissances, et sur ses préparatifs anti-ouvriers.

Enfin, le 21 mars 1927 éclate la tenta­tive insurrectionnelle finale. Ce jour-là, on proclame une grève générale à laquelle participent pratiquement tous les ouvriers de Shanghai : 800 000 ouvriers. « Tout le prolétariat était en grève, ainsi que la majeure par­tie de la petite-bourgeoisie (épiciers, artisans, etc.) (...) en une dizaine de mi­nutes, toute la police fut désarmée. A deux heures, les insurgés possédaient déjà quelques 1500 fusils. Immédiate­ment après, les forces insurgées se diri­gèrent vers les principaux édifices gou­vernementaux et s'employèrent à dés­armer les troupes. De sérieux combats s'engagèrent dans le quartier ouvrier de Tchapei... Finalement, le deuxième jour de l'insurrection, à quatre heures de l'après-midi, l'ennemi (environ 3000 soldats) était définitivement défait. Une fois ce rempart mis à bas, tout Shanghai (excepté les concessions et le quartier international) se trouvait entre les mains des insurgés » ([10]). Cette action, après la révolution en Russie et les ten­tatives insurrectionnelles en Allemagne et dans d'autres pays européens, consti­tua une nouvelle secousse contre l'or­dre capitaliste mondial. Elle montra tout le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. Cependant, la machine répressive de la bourgeoisie était déjà en marche et le prolétariat n'était pas en état de l'affronter.

La bourgeoisie « révolutionnaire » massacre le prolétariat

Les ouvriers prirent la ville de Shan­ghai... seulement pour en ouvrir les por­tes à l'armée nationale « révolutionnaire » du Kuomintang qui finit par entrer dans la ville. Elle finissait à peine de s'installer à Shanghai quand Chang Kai-chek commença à préparer la répression, en accord avec la bourgeoisie spéculatrice et les bandes mafieuses de la ville. Ainsi commença un rapprochement ouvert avec les repré­sentants des grandes puissances et avec les seigneurs de la guerre du nord. Le 6 avril Chang Tso-lin (en accord avec Chang Kai-chek) attaqua l'ambassade de Russie à Pékin et arrêta des militants du Parti communiste qui furent, par la suite, assassinés.

Le 12 avril se déchaîna à Shanghai la répression massive et sanglante prépa­rée par Chang Kai-chek. Les bandes du lumpenproletariat des sociétés secrètes, qui avaient toujours joué le rôle de bri­seurs de grèves, furent envoyées contre les ouvriers. Les troupes du Kuomintang prétendument « alliées » des ouvriers -furent directement utilisées pour désar­mer et arrêter les milices prolétariennes. Le jour suivant, le prolétariat essaya de réagir en lançant une grève, mais les contingents des manifestants furent in­terceptés par la troupe, occasionnant de nombreuses victimes. Immédiatement la loi martiale fut appliquée et toutes les organisations ouvrières interdites. En peu de jours 5 000 ouvriers furent as­sassinés, parmi lesquels de nombreux militants du parti communiste. Les ra­fles et les assassinats allaient continuer pendant des mois.

Simultanément, par une manoeuvre conjointe, les militaires du Kuomintang qui étaient restés à Canton déchaînèrent un autre massacre, exterminant encore des milliers d'ouvriers.

La révolution prolétarienne, noyée dans le sang des ouvriers de Shanghai et de Canton, résistait encore de façon précaire à Wou-Han. Cependant, de nou­veau, le Kuomintang, et plus particuliè­rement son aile gauche, ôta son masque « révolutionnaire » et, en juillet, rejoi­gnit les rangs de Chang Kai-chek, dé­chaînant là aussi la répression. Ainsi, les hordes militaires se livrèrent à la destruction et au massacre dans les campagnes des provinces du centre et du sud. Les travailleurs furent assassi­nés par dizaines de milliers dans toute la Chine.

L'Exécutif de l'Internationale, tentant de masquer sa politique néfaste et crimi­nelle de collaboration de classe, se déchargea de toute responsabilité sur le PCC et ses organes centraux et, plus particulièrement, sur le courant qui, justement, s'était opposé à cette politique (celui de Chen Tou-hsiou). Pour para­chever le tout, il ordonna au Parti communiste de Chine, déjà affaibli et démo­ralisé, de s'engager dans une politique aventureuse qui se termina par la soi-di­sant « insurrection de Canton ». Cette tentative absurde de coup de force « planifié » ne fut pas suivie par le prolétariat de Canton et n'aboutit qu'à sou­mettre encore plus ce dernier à la ré­pression. Cela marque pratiquement la fin du mouvement ouvrier en Chine, dont on ne verra plus d'expression si­gnificative pendant les quarante années suivantes.

La politique de l'Internationale face à la Chine fut un des axes de dénonciation du stalinisme montant, qui se trouve à l'origine de 1' « Opposition de gauche », le courant incarné par Trotsky (dans le­quel ce même Chen Tou-hsiou finit par s'engager). Ce courant, confus et tardif, d'opposition à la dégénérescence de la 3e Internationale, bien qu'il se soit maintenu sur un terrain de classe prolé­tarien à propos de la Chine - dénonçant la soumission du PCC au Kuomintang comme étant la cause de la défaite de la révolution - ne parvint jamais à dépas­ser le cadre erroné des Thèses du deuxième congrès de l'Internationale sur la question nationale. Ce qui à son tour, sera un des facteurs qui le mèneront à une dérive opportuniste (par une ironie de l'histoire, Trotsky soutiendra le nou­veau   front   de   classes   résultant,   en Chine, des luttes impérialistes à partir des années 30), jusqu'à son passage dans le camp de la contre-révolution, au cours de la deuxième guerre mondiale ([11]). D'une façon ou d'une autre, tout ce qui demeurait révolutionnaire interna­tionaliste en Chine, fut appelé désor­mais « trotskisme » (des années après, Mao Tsé-tung poursuivra comme « agents trotskistes de l'impérialisme japonais » les quelques internationalis­tes qui s'opposaient à sa politique con­tre-révolutionnaire).

Quant au Parti communiste de Chine, il fut littéralement anéanti, après que près de 25 000 de ses militants aient été assassinés des mains du Kuomintang et les autres emprisonnés ou persécutés. Sans doute, des rescapés du parti communiste, ainsi que quelques détache­ments du Kuomintang, purent se réfu­gier à la campagne. Mais, à ce déplacement géographique, correspondait un déplacement politique toujours plus pro­fond : dans les années suivantes, le parti adopta une idéologie bourgeoise, sa base sociale - dirigée par la petite-bourgeoi­sie et la bourgeoise devint à prédomi­nante paysanne et il participa aux cam­pagnes de guerres impérialistes. Au prix du maintien de son nombre, le parti communiste de Chine cessa d'être un parti de la classe ouvrière et se convertit en organisation de la bourgeoisie. Mais cela est déjà une autre histoire, objet de la seconde partie de cet article.

Signalons, en guise de conclusion, quel­ques enseignements tirés du mouvement révolutionnaire en Chine :

* La bourgeoisie chinoise ne cessa pas d'être révolutionnaire au moment où elle se lança contre le prolétariat en 1927. Déjà depuis la «révolution de 1911 », la bourgeoisie nationaliste avait montré son aptitude à partager le pouvoir avec la noblesse, à s'allier avec les militaristes et à se soumettre aux puissances impérialistes. Ses as­pirations démocratiques, « anti-impé­rialistes » et même « révolution­naires », n'étaient que le masque qui cachait ses intérêts réactionnaires ; ceux-ci furent mis à nu quand le prolétariat commença à représenter un menace. Dans la période de décadence du capitalisme, les bourgeoisies des pays faibles sont aussi réactionnaires et impérialistes que celles des grandes puissances.

* La lutte de classe du prolétariat en Chine de 1919 à 1927 ne peut être analysée dans un contexte purement national. Elle constitue un moment de la vague révolutionnaire mondiale qui ébranla le capitalisme au début du siècle. La force élémentaire avec la­quelle se souleva le mouvement ou­vrier en Chine, secteur du prolétariat mondial considéré alors comme fai­ble, au point d'être capable de prendre spontanément entre ses mains les grandes villes, montre le potentiel que la classe ouvrière possède pour abattre la bourgeoisie, même si pour ce faire elle a besoin de sa conscience et de son organisation révolutionnaires.

Le prolétariat ne peut plus s'allier avec une fraction de la bourgeoisie quelle qu'elle soit. Par contre, il peut entraî­ner dans son mouvement révolution­naire des secteurs de la petite-bour­geoisie urbaine et rurale (comme le montrèrent l'insurrection de Shanghai et le mouvement paysan de Kouang-Tong). Cependant, le prolétariat ne doit pas fusionner organiquement avec ces secteurs dans un quelconque «front », il doit au contraire mainte­nir à tous moments son autonomie de classe.

Pour vaincre, le prolétariat a besoin d'un parti politique qui l'oriente dans les moments déterminants, ainsi que d'une organisation unitaire en conseils ouvriers. Il doit en particulier se doter à temps de son Parti communiste mondial, ferme dans les principes et trempé par la lutte, avant que n'éclate la prochaine vague révolutionnaire internationale. Ce parti doit être capable de combattre en permanence l'opportunisme qui sacrifie l'avenir de la révolution au nom de « résultats immédiats »

Leonardo.


[1] Nous ne pouvons, dans le cadre de cet article, dé­velopper sur la lutte menée par les Fractions de gau­che de l'Internationale contre l'opportunisme et la dégénérescence de celle-ci. lutte qui se déroulait à la même époque que les événements en Chine. Ces derniers sont d'ailleurs les seuls, à notre connais­sance, qui aient donné lieu à un manifeste signé en commun par toute l'Opposition, y compris la gauche italienne. Il s'agit du Manifeste « Aux communistes chinois et du monde entier!» (La Vérité, 12 septembre 1930). Sur cette question, nous recom­mandons notre brochure La Gauche communiste d'Italie et la série d'articles sur La Gauche hollan­daise.

[2] Cette dégénérescence allait de pair avec celle de l'Etat surgi de la révolution, qui mena à la reconsti­tution de l'Etat capitaliste sous sa forme stalinienne. Cf. Manifeste du 9e Congrès du CCI.

[3] Lénine, Rapport de la Commission nationale et coloniale pour le Deuxième congrès de l'Internatio­nale communiste, 26 juillet 1920. Extrait de La Question chinoise dans l'Internationale commu­niste, présentation et compilation de Pierre Broué.

[4] « Thèses et additions sur la question nationale et coloniale », 2e congrès, Les quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale communiste, 19i'9-23, Ed. Maspéro.

[5] Autrement dit les porteurs d'eau. Expression utili­sée par Borodine, délégué de l'IC en Chine en 1926. E.-Il. Carr, Le Socialisme dans un seul pays.

[6] Chen Tou-hsiou ; cité par lui-même dans sa «Lettre à tous les membres du PCC» 1929; Extrait de La question chinoise... op. cit.

[7] Chang Kai-chek avait été nommé membre hono­raire quelques semaines auparavant, et le Kuomin­tang « parti sympathisant » de l'Internationale. Même après le coup de force, les conseillers russes refusèrent de fournir 5000 fusils aux ouvriers et pay­sans du sud, les réservant pour l'année de Chang Kai-chek.

[8] On parle beaucoup du rôle d'organisation joué par les syndicats dans le mouvement révolutionnaire en Chine. Il est vrai que durant cette période, les syndi­cats surgissent et se développent au rythme du développement du mouvement de grèves. Cepen­dant, dans la mesure où ils n'essaient pas de contenir le mouvement dans le cadre de revendications économiques, leur politique restera soumise au Kuomintang (y compris les syndicats influencés par le PCC). Le mouvement de Shanghai se donnera ainsi comme objectif d'ouvrir la voie à l'armée nationaliste. En décembre 1927, les syndicats du Kuomintang iront même jusqu'à participer à la répression contre les ouvriers. Que les seules organi­sations de masse dont disposent les ouvriers soient les syndicats ne constitue évidemment pas un avan­tage, mais traduit leur faiblesse.

[9] Lettre de Shanghai de trois membres de la mission de TIC en Chine, datée du 17 mars 1927. Extraite de La Question chinoise, op. cit

[10] Neuberg, L'Insurrection armée. Ce livre, écrit semble-t-il aux alentours de 1929 (après le 6e congrès de l'IC), contient quelques informations va­lables sur les événements de l'époque. Cependant, il tend à voir l'insurrection comme un coup de main et fait une apologie grossière du stalinisme. D'autre part, on ne doit pas s'étonner du fait que la tentative insurrectionnelle de Shanghai, malgré son ampleur et son écrasement sanglant, soit à peine mentionnée (quand elle n'est pas totalement occultée), aussi bien dans les livres historiques - qu'ils soient « pro-occidentaux » ou « pro-maoïstes » - que dans les ma­nuels maoïstes. C'est sur la base de cette occultation qu'il a été possible de maintenir le mythe selon, lequel ce qui était en jeu dans les années 1920, c'était une « révolution bourgeoise ».

[11] Pour connaître plus complètement notre position sur Trotsky et le trotskisme, on peut lire notre brochure Le trotskisme contre la classe ouvrière.

 

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