Conscience de classe et parti - GPI, Mexique : débat avec le BIPR

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Avertissement préliminaire :

Parmi les divers groupes politiques prolétariens avec lesquels le GPI a pu prendre contact et établir un échange de publications, le BIPR (et, au sein de celui-ci, plus particulièrement le Parti Communiste Internationaliste -PCInt) a été un des rares groupes à s'être donné la peine de faire une critique directe et élaborée de nos positions, telles qu'elles sont exprimées dans Revolucion Mondial. C’est une attitude du BIPR que nous saluons. Les questionnements dont nous ont fait part ces camarades sont d'ordres divers, mais ils tournent tous autour d'une préoccupation centrale : selon eux, le GPI « a adopté de manière immédiate et manquant de sens critique toutes les positions qui caractérisent particulièrement le CCI au sein du camp prolétarien ». Bien entendu, ils expliquent ceci par le contact "direct et exclusif avec le CCI" qui a été « à l'origine dit GPI, bien que -poursuivent les camarades - vu que nous sommes convaincus que le CCI (sans nier sont mérite d'être une organisation de militants sincères et fidèles à la classe prolétarienne) ne représente pas un pôle de regroupement valable pour la constitution du parti révolutionnaire international, nous croyons que les camarades du GPI doivent faire des pas ultérieurs vers un réel processus de clarification, de décantation et de sélection des positions utiles à la constitution d’un pôle révolutionnaire au Mexique (...) la discussion politique sérieuse et les faits qui en découleront pourront démontrer que nous avons raison" ([1])

Que le GPI s'est constitué sous l'influence du CCI, reprenant de manière immédiate ses positions (ou, si on veut le poser dans une autre perspective : que nous sommes un résultat du travail militant du CCI), c'est quelque chose que nous n'avons jamais omis de signaler. Nous avons déjà dit qu'actuellement, face aux faiblesses du milieu révolutionnaire international, face à l'absence d'un pôle unique de référence et de regroupement des forces révolutionnaires, les nouveaux militants surgissent sous l'influence déterminante de tel ou tel groupe, héritant autant ses mérites que ses déficiences, se trouvant d'emblée devant la nécessité de "prendre parti" face aux divergences existantes dans le milieu.

Mais il n'est pas juste de dire que le GPI a adopté ses positions avec peu de sens critique. Car nous avons reconnu dès le début l'existence d'un camp de groupes politiques prolétariens, ce qui veut dire que nous ne considérons pas le CCI comme le détenteur de "toute la vérité" et nous aurons l'occasion d'exposer nos divergences avec lui. Bien que, a dire vrai, la connaissance des positions des autres regroupements nous a laissé la certitude que le CCI, au moins, est parmi ceux qui maintiennent la plus grande cohérence théorique politique.

Nous insistons une fois encore sur le fait que le GPI considère que sa consolidation ne pourra se faire qu'en approfondissant les positions politiques auxquelles, il est parvenu, notamment en les confrontant sérieusement à celles que soutiennent les différents groupes du milieu communiste international. Que nous sommes ouverts à la discussion et à la collaboration avec d'autres groupes, jusqu'au point où le permet le maintien des principes prolétariens, car nous nous considérons comme une minuscule partie du processus vers la constitution du Parti Communiste Mondial.

C'est dans ce sens que nous publions ici notre prise de position sur la conception du BIPR de la conscience de classe et de la fonction du parti.

Nous pensons que les conditions pour le regroupement des révolutionnaires en un nouveau parti international sont encore loin d'être données ; probablement seul un événement très important de la lutte de classe permettra une polarisation claire et effective des forces révolutionnaires existantes. Nous n'avons pas encore idée de la forme concrète que prendra cette polarisation. Ce qui est certain c’est que la nécessité d'un parti communiste à échelle mondiale se pose au prolétariat de manière chaque fois plus urgente, et ses minorités révolutionnaires doivent aujourd'hui s'efforcer de déblayer le chemin qui conduit à sa constitution, en posant les bases pour que les différents groupes existants en viennent au regroupement avec la plus grande définition politique possible en commençant par la mise au clair des points d'accord et de désaccord qui existent sur la fonction du parti communiste dans la classe ouvrière.

De toute évidence le GPI ne fait ici que s' « immiscer » dans le débat fondamental qui a occupé les révolutionnaires depuis de nombreuses années et qui a connu récemment deux moments importants lors des conférences convoquées par le PCInt et ensuite avec les réponses à la "Proposition Internationale" fait en 1986 par Emancipacion Obrera). Et si nous entrons dans ce débat avec les camarades du PCInt c'est parce que tous les points qu'ils ont mis en discussion nous renvoient à la question de la conscience de classe et du parti. Nous sommes loin de prétendre apporter maintenant une solution de dernière instance à la question. Mais si nous arrivons au moins à poser clairement ce qui constitue à nos yeux les faiblesses du BIPR (et de ceux qui partagent ses positions), nous considérerons que nous avons atteint le but de cet article.

Nos critiques se réfèrent fondamentalement à l'article la conscience de classe dans la perspective marxiste (Revue Communiste n° 2), à la plate-forme du BIPR et à la correspondance que nous a envoyée le PCint directement.

1. DONNEES DU PROBLEME

Dans l'article "La conscience de classe dans la perspective marxiste", le BIPR expose sa conception sur le sujet, essayant a la fois de démontrer que dans la polémique qui tournait autour de Lénine et de Rosa Luxembourg au sujet de la formation de la conscience de classe et la fonction du parti, le premier avait raison et la deuxième se trompai( et avec elle, ses "héritiers" actuels).

II y a en effet, dans le milieu communiste international, une tendance à présenter les divergences actuelles sur le parti (et sur tous les sujets) comme une reproduction ou une continuation des anciens débats qui ont animé de tout temps les révolutionnaires. C'est là le résultat non d'un exercice académique, mais de l'effort réel des regroupements politiques prolétariens de ne pas perdre le fil historique des positions révolutionnaires.

II est évident cependant que le débat actuel ne peut pas être exactement le même qu'il y a presque un siècle. "Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts" depuis lors : le prolétariat a vécu non seulement la vague révolutionnaire la plus grandiose qu'on ait connue jusqu'à nos jours, mais aussi la plus longue période de contre-révolution. Pour les minorités révolutionnaires actuelles il y a une immense accumulation d'expériences qui pose les bases de la clarification d'une série de problèmes qui vont se poser au prolétariat dans sa lutte, mais en même temps elles éprouvent une plus grande difficulté à faire cette clarification, étant donné leur existence précaire. C'est ainsi que le débat actuel entre les révolutionnaires sur le rapport conscience de classe - parti reproduit apparemment les mêmes divergences qu'entre la tendance exprimée par Lénine et celle exprimée par Rosa Luxembourg, mais il cache une divergence beaucoup plus profonde, plus grave que celle qui séparait ces deux dirigeants du prolétariat.

En effet, au début du siècle la préoccupation des révolutionnaires portait sur le processus par lequel les masses prolétariennes arrivent à la conscience de classe, c'est-à-dire, à la compréhension de l'antagonisme irréconciliable entre bourgeoisie et prolétariat et la nécessité ainsi que la possibilité d'une révolution communiste ; si cette préoccupation subsiste encore, elle est doublée par une autre, plus générale et élémentaire, plus « primitive » pourrait-on dire : celle de savoir si, de manière générale, les masses prolétariennes arrivent ou non -d'une manière ou d'une autre- à la conscience de classe. Une partie du milieu révolutionnaire actuel, y compris le BIPR, considère que "le parti communiste est le seul ou le principal dépositaire de la conscience de classe", jusqu'à la destruction de l'Etat bourgeois et l'instauration de la dictature du prolétariat, et que ce n'est qu'à ce moment que les masses acquerront une conscience de classe. L'autre partie, dans laquelle s'inscrit le GPI, considère que la condition fondamentale préalable pour la destruction de l'Etat bourgeois et l'instauration de la dictature du prolétariat, c'est la prise de conscience de classe du prolétariat, de masses déterminantes de la classe (au moins la majorité des prolétaires des grandes villes). De là qu'il existe un véritable abîme dans la conception défendue sur la fonction du parti (et plus spécifiquement sur le rôle que doivent jouer actuellement les minorités révolutionnaires organisées). Au fond, le débat ne concerne pas le rôle plus ou moins décisif que joue le parti dans le processus de constitution du prolétariat en classe pour soi ; le problème majeur n'est pas de définir si le parti Il oriente" ou "dirige", mais une question plus générale : qu'entend-on par "classe pour soi" `?

Ainsi par exemple, nous pourrions peut-être nous mettre d'accord sur le fait que la fonction du parti est de "diriger" le prolétariat. Mais cet accord ne serait qu'apparent : car à partir du moment ou l'on considère "idéaliste" que les masses prolétariennes puissent développer une conscience révolutionnaire comme condition préalable à 1a prise du pouvoir, il est évident que par "direction" il faut entendre alors un rapport essentiellement identique à celui qui existe, par exemple, entre l'officier et les soldats dans l'armée moderne, ou entre le patron et les ouvriers clans l'usine, c'est-à-dire, un rapport dans lequel seul le dirigeant connaît les buts réels poursuivis, tandis que, pour la partie dirigée, ces buts demeurent dans l'obscurité, confus, voilés par des nuages idéologiques -et c'est pour cela même qu'elle se laisse diriger ; il s'agit alors d'une direction imposée (que ce soit de manière patriarcale ou de manière autoritaire), d'un rapport de dominant à dominés. Pour nous, au contraire, la direction du parti communiste n'est pas autre chose que la compréhension, la conviction profonde que développe l'ensemble de la classe ouvrière de la justesse des positions programmatiques et des mots d'ordre du parti, lesquels sont l'expression du mouvement même de la classe. Une conviction à laquelle parviennent les masses à travers les enseignements historiques qu'elles tirent de leurs luttes, auxquelles le parti participe en tant qu'avant-garde. Entre le parti et la masse prolétarienne il existe un rapport d'un type nouveau, propre 3 la classe ouvrière.

Ainsi, pour les uns, la constitution du prolétariat en classe signifie que le parti, seul dépositaire de la conscience prolétarienne-révolutionnaire, se met à la tête des masses, lesquelles, malgré toutes leurs expériences de lutte, demeurent sous la domination de l'idéologie bourgeoise. Pour d'autres, au contraire, la constitution du prolétariat en classe signifie que les masses, grâce à leur expérience et à l'intervention du parti, développent une conscience prolétarienne révolutionnaire. Le BIPR soutient la première position. Nous la deuxième. Le GPI serait-il submergé dans l'idéalisme ?

II. COMMENT LE BIPR ESSAIE D'APPROFONDIR LENINE

Une des premières questions qui ressortent de l'article cité du BIPR, c'est la nouvelle formulation qu'il fait des thèses que Lénine a exprimées dans son ouvrage Que Faire ?. Mais les changements introduits par les camarades dans la terminologie employée par Lénine n'entraînent pas tant une "précision" de sa pensée qu'une distorsion de celle-ci, derrière laquelle se trouve un déplacement du débat de la question de "comment est-ce que les masses arrivent à la conscience de classe ?" A celle de savoir si, en général, il est possible qu'elles y arrivent. C'est pour cela que, bien que nous ne partagions pas la démarche de Lénine selon laquelle la conscience est apportée à la classe ouvrière de l'extérieur, avant d'essayer de "critiquer" Lénine, nous devrons le "défendre", essayer de restituer sa pensée, exprimer clairement quelles étaient sa préoccupation et ses intentions dans le combat contre le courant "économiste" (pour qu'il n'y ait pas de mauvaises interprétations, disons clairement que quand nous nous référons à "Lénine" ou a n'importe quel autre révolutionnaire, nous ne recherchons pas si celui-ci "se trompait" ou s'il était "infaillible" en tant que personne. Nous le prenons comme représentant d'un courant politique à un moment donné ; et ce n'est que parce que tel ou tel courant s'exprime plus clairement dans tel ou tel ouvrage que nous pouvons le prendre comme "spécimen").

Bien. Lénine appelle conscience trade-unioniste (syndicaliste) la "conviction qu'il faut s'unir en syndicats, se battre contre !es patrons, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers..." ([2]), et conscience social ­démocrate (nous dirions aujourd'hui communiste) la "conscience de l'opposition irréductible de leurs intérêts (celui des ouvriers) avec tout ordre politique et social existant" ([3]). D'après Lénine, la classe ouvrière, à partir de ses luttes spontanées, de résistance, n'est capable d'atteindre qu'une conscience tride-unioniste -de là que la conscience communiste doive lui être "apportée de l'extérieur" par le parti.

Le BIPR modifie la formulation de Lénine en posant que "l'expérience immédiate de la classe ouvrière la mène à prendre conscience de son identité de classe et de la nécessité de lutter collectivement (...)", que "les conditions d'existence du prolétariat, ses luttes et ses réflexions sur celles-ci , élèvent sa conscience au point qu'il peut se reconnaître comme une classe à part et se définir par la nécessité de lutter contre la bourgeoisie. Mais identité de classe ne veut pas dire conscience communiste." ([4]) Et un peu plus haut il signalait que 'pour que l'identité de classe se transforme en conscience communiste, l'organisation des prolétaires 'en classe, et donc en parti politique si nécessaire". Nous verrons tout de suite plus précisément ce que le BIPR entend quand il parle de "transformation". D'abord il faut signaler que les camarades appellent ici  « conscience de identité de classe » ce que Lénine appelait « conscience trade-unioniste ».

Ceci dit, Lénine posait que si l'élément spontané est la forme embryonnaire du conscient. "puisque les masses ouvrières sont incapables d’élaborer elles-mêmes une idéologie indépendante dans le cours de leur mouvement, le problème se pose en ces seuls termes : il faut choisir entre idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n'y a pas de milieu (…) le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l'idéologie bourgeoise (...) c’est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie, est de combattre la spontanéité de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée du trade-unioniste à se réfugier sous l'aile de la bourgeoisie, pour l'attirer sous l'aile de la social-démocratie révolutionnaire (le parti prolétarien de l'époque).([5])

I1 y a lieu de demander alors : de quel côté le BIPR situe-t-il cette "conscience de l'identité de classe" qu'élaboreraient les ouvriers '? Et il répond : "les expériences acquises par la classe ouvrières dans son combat contre la bourgeoisie son politiquement revêtues par les analyses et les interprétations de la bourgeoisie elle-même . elles donnent seulement naissance un sentiment (?) d'identité de classe qui reste une forme de conscience bourgeoise" ([6]). Ainsi donc, en faisant tout un détour (en remplaçant "conscience" par "sentiment") le BIPR nous dit que la conscience d'identité de 1a classe ouvrière est... une forme de la conscience bourgeoise. Retenons ceci qui, d'emblée. n'est que l'introduction d'une énorme confusion de termes dans le marxisme. Mais nous ne faisons que commencer ; le BIPR (fort maintenant expliquer comment l'identité de classe, c'est-à-dire, cette forme de conscience bourgeoise "se transforme en conscience communiste" :

« une partie de    la                  bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette partie des idéologues bourgeois qui se sont élevés jusqu'à l'intelligence théorique de l'ensemble du mouvement historique" (Manifeste du Parti Communiste). Sous une forme lapidaire, on trouve là la conception matérialiste de la conscience de classe. La lutte spontanée de la classe ouvrière peut élever sa conscience jusqu'au niveau de l'identité de classe, lui permettant de se rendre compte qu'elle n'est pas une fraction du 'peuple", mais une classe en soi (sic). C’est un préalable indispensable pour que puisse s'opérer le saut qualitatif vers la conscience de classe (l'apparition d’une classe pour soi,. mais celui-ci ne peut intervenir que si la "philosophie", que si la compréhension théorique du mouvement historique dans son ensemble se développe et s’empare de la classe. C'est-à-dire si la classe parvient à se convaincre de la nécessite d'un parti Porteur d'une interprétation scientifique globale. Une telle analyse globale est nécessairement élaborée au-dehors de la lutte de classe (bien qu'elle y puise en partie ses matériaux) et au­ dehors de l'existence quotidienne de l'ensemble du prolétariatt, même si des prolétaires isoles participent à son élaboration ([7]).

Un trouve dans ce paragraphe du BIPR une telle quantité de confusions qu'il nous est très difficile de choisir par où commencer. Essayons de reprendre le raisonnement. Le BIPR nous offre ici trois "niveaux" de conscience -appelons-les ainsi- :

- Premier niveau : conscience de l'identité de classe, laquelle n'est plus considérée maintenant comme identité de classe en opposition aux patrons, mais seulement comme "différenciation d'avec le 'peuple"'. Le BIPR rabaisse par là cet "embryon de conscience" produit des luttes dont parlait Lénine, au niveau de la "connaissance" vulgaire de n'importe quel ouvrier, ou encore de n'importe quel enfant, qui sait faire la distinction entre "ouvriers", "paysans", etc. Mais en même temps, le BIPR signale cette identité comme un préalable indispensable pour que puisse s'opérer le saut vers la conscience de classe. Cependant le BIPR nous disait il y a un instant que cette "identité de classe" n'était pas autre chose qu'une forme de la conscience bourgeoise. D'où il résulte que la conscience bourgeoise est un préalable indispensable pour... la conscience prolétarienne : en d'autres termes! la seule chose que nous disent les camarades c'est que, pour que le prolétariat parvienne à être une "classe pour soi" il a besoin, avant, d'être une "classe en soi", ou, pour que le prolétariat parvienne à la conscience de classe, c'est un préalable indispensable qu'il ne l'ait pas.

Deuxième niveau : la conscience de classe. Par un saut qualitatif le prolétariat devient classe pour soi. En quoi consiste ce saut ? En la conviction des masses de la nécessité d'un parti porteur, lui, de la conscience communiste. Mais cette conviction implique-t-elle que les masses prolétariennes rompent, en fin de comptes, avec l'idéologie bourgeoise? D'après le raisonnement du BIPR non. Les masses ne peuvent pas développer la conscience communiste avant la prise du pouvoir et, comme il n'y a pas de "milieu", alors le saut qualitatif en question, en réalité, n'en est pas un.

Le prolétariat, d'après le BIPR, se constitue en classe pour soi, mais les masses prolétariennes demeurent sous la domination de l'idéologie bourgeoise. II y aurait lieu de demander alors : sur quelle base les masses sont-elles "convaincues" de la nécessité d'un parti communiste ? II n'en existe aucune, mis à part cette même idéologie bourgeoise. Autrement dit : comment est ce que les masses reconnaissent le parti "juste" ? Etann donné qu'elles demeurent sous la domination de l'idéologie bourgeoise et que, donc, elles ne peuvent pas comprendre les positions révolutionnaires du parti, une telle "conviction" devient un pur hasard, quelque chose qui dépend non pas de la justesse des positions du parti, mais de l'habileté plus ou moins grande à manoeuvrer de celui-ci par rapport aux autres partis (bourgeois et petits-­bourgeois) qui essaieront aussi de "convaincre" les masses. C'est à cela que le BIPR réduit la constitution du prolétariat en classe pour soi.

Troisième       niveau : la conscience communiste, compréhension théorique du mouvement, interprétation scientifique globale dont le parti est porteur. D'où provient­ elle ? Avant nous comprenions,   avec Marx, que "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découvert par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante. d'un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux ." (Manifeste communiste). Mais maintenant le BIPR, "approfondissant" Lénine, a découvert que les thèses, théoriques des communistes se fondent sur les analyses élaborées au-dehors de la lutte de classe (bien qu'elles y puisent leurs matériaux) par tel ou tel idéologue bourgeois ou par tel ou tel prolétaire isolé qui s'élève au niveau d'idéologue. Très bien. Mais la lutte de classe est la forme d'existence réelle des classes, son processus, sa forme de mouvement ; les classes n'existent que dans la lutte. Affirmer, donc, comme le fait le BIPR, que la conscience communiste s'élabore en dehors de la lutte des classes revient à dire qu'elle s'élabore en dehors des classes, de manière indépendante, à la marge de celles-ci, et notamment à la marge du prolétariat. Et en effet, le raisonnement du BIPR tend à faire une différence entre ce qui serait la conscience de classe du prolétariat da conviction de la nécessité du parti), et ce qui serait la conscience communiste, faisant de cette dernière une sorte de... "philosophie" inaccessible aux profanes.

Certes, on peut trouver dans l'article du BIPR de magnifiques paragraphes qui contredisent ce qui précède, comme là où il est dit que "le parti doit étudier en profondeur la réalité sociale, les contradictions qui travaillent la société bourgeoise, sa courbe historique ; en même temps qu'il doit intervenir concrètement dans la lutte de classe. Il cherche ainsi à souder toutes les parcelles de conscience communiste provenant de la lutte de classe, à les fondre dans une vision globale et homogène et à rassembler tous ceux qui souscrivent à cette analyse en une seule et même force capable d'intervenir, capable d'intégrer l'expérience de la classe ouvrière dans un cadre communiste cohérent" ([8]). Ainsi formulée, la question de l'élaboration de la théorie communiste n'a rien à voir avec la conception selon laquelle elle serait l'oeuvre d'idéologues qui se situent en dehors de la lutte de classes. Mais ce n'est pas nous mais le BIPR qui doit choisir une de ces deux positions qui sont en contradiction.

En quoi consiste donc l'approfondissement de Lénine fait par le BIPR ?

D'après Lénine, les masses prolétariennes ne peuvent pas, par elles-mêmes, à partir de leurs luttes spontanées, s'élever à la conscience communiste. A cause de cela le parti doit leur insuffler cette conscience, la leur apporter, car il soutient que "la conscience socialiste des masses ouvrières est la seule base qui peut nous garantir le triomphe ". « Le parti doit avoir toujours la possibilité de révéler à la classe ouvrière l'antagonisme hostile entre ses intérêts et ceux de la bourgeoisie ». La conscience de classe atteinte par le parti « doit être diffusée parmi les masses ouvrières avec un zèle croissant ». Si on trouve des ouvriers dans l'élaboration de la théorie socialiste, "ils n'y participent que dans la mesure ou ils parviennent à acquérir les connaissances plus ou moins parfaites de leur époque et à les faire progresser. Or, pour que les ouvriers y parviennent plus souvent, il faut s'efforcer le plus possible d'élever le niveau de conscience des ouvriers en général." (Le BIPR a cité la première partie de cet extrait de Lénine, mais il a "oublié" de citer la seconde).

Que la tache du parti est de "tirer profit des étincelles de conscience politique que la lutte économique a fait pénétrer dans l'esprit des ouvriers pour élever ceux-ci au niveau de la conscience politique social-démocrate" (c'est-à-dire communiste). Que la "conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. La seule sphère dans laquelle on peut trouver ces connaissances et celle des rapports de toutes les classes entre elles". Que le militant communiste est partisan du "développement intégral de la conscience politique du prolétariat". Que "la sociale-démocrate (le parti) est toujours en première ligne ... proposant un matériel abondant pour le développement de la conscience politique et de l’activité politique du prolétariat". Enfin, que le parti doit s'occuper « d’une agitation politique multiforme, c'est-à-dire, d'un travail qui justement tend à rapprocher et à fusionner en un tout la force destructive spontanée de la foule et la force destructive consciente de l'organisation des révolutionnaires ».

A l'opposé de cela, le BIPR considère qu’  « admettre que l'ensemble ou même la majorité de la classe ouvrière, compte tenu de la domination du capital, peut acquérir une conscience communiste avant la prise du pouvoir et l'instauration de la dictature du prolétariat, c'est purement et simplement de l'idéalisme » ([9])

Les camarades devraient étendre leur critique au-delà de Rosa Luxembourg et de ses "héritiers". Au-delà de leur critique à Engels, dont ils qualifient de "crétinisme social-démocrate" son affirmation selon laquelle "Le temps des coups de main, des révolutions exécutées par de petites minorités conscientes à la tête des masses inconscientes et passé. Là où il s'agit d'une transformation complète de l'organisation de la société, il faut que les masses elles-mêmes y coopèrent, qu'elles aient déjà compris elles-mêmes de quoi il s'agit, pour quoi elles interviennent (avec leur corps et avec leur vie).(...). Mais pour que les masses comprennent ce qu'il y a à faire, un travail long, persévérant est nécessaire" ([10]) Des formules de ce type « impliquent -d'après le BIPR- une surestimation du degré de conscience communiste auquel pourrait s'élever le prolétariat grâce au parti » ([11])

Mais alors le BIPR devrait étendre sa critique, disions-nous, à Lénine lui-même,car apparemment lui aussi "surestimait" le degré de conscience communiste auquel pouvait s'élever le prolétariat, au point de considérer le travail du parti d'élever cette conscience comme sa tache de base et fondamentale, au point de considérer que la conscience communiste des masses est la seule garantie pour le triomphe de la révolution.

Tout le combat de Lénine exprimé dans le Que faire ? était dirigé contre "les économistes", contre ceux qui - objectivement- maintenaient les ouvriers au niveau du trade-­unionisme, dans le spontanéisme qui conduit les ouvriers à rester sous la domination de l'idéologie bourgeoise. Et voici que le BIPR, pour soi-disant combattre le "spontanéisme", au lieu de chercher comment élever la conscience des masses, érige au contraire en théorie le maintien de ces masses sous la domination de l'idéologie bourgeoise.

Les camarades ne se sont pas aperçus qu'en essayant d'approfondir Lénine, ce qu'ils ont fait -sans le vouloir, bien entendu-, c'est se rapprocher de ces mêmes "économistes" que Lénine combattait. La thèse du BIPR selon laquelle les masses ne peuvent pas se débarrasser de la domination idéologique de la bourgeoisie avant la prise du pouvoir, ce qui ne leur laisse d'autre choix que de se convaincre de la nécessité d'un parti porteur, lui, de la conscience communiste, ressemble trop à la thèse fondamentale de l"'économisme" : "que les ouvriers s'occupent de la lutte trade-unioniste et qu'ils laissent aux intellectuels marxistes la lutte politique".

Et ainsi, alors que pour Lénine la constitution du prolétariat en classe pour soi signifiait élever les masses à la conscience communiste, fonder ainsi en un tout le mouvement spontané et le socialisme scientifique, pour le BIPR par contre, la constitution du prolétariat en classe pour soi signifie le maintien des masses sous la domination de l'idéologie bourgeoise, la fusion en un tout de l'idéologie bourgeoise avec la conscience communiste. C'est à cela que se réduit sa "dialectique".

Dans le prochain numéro de Revolucion Mundial nous poursuivrons ce travail. Nous aborderons les fondements du marxisme sur la conscience du prolétariat et la fonction du parti.

Ldo. (Octobre 1988)


[1] Lettre du BIPR au GPI, 19 mars 1988.

[2] Que Faire ? , Lénine, Ed. Seuil.

[3] Ibid.

[4] "La conscience de classe dans la perspective marxiste",. Revue Communiste n° 2.

[5] Que Faire ?

[6] "La conscience de classe dans la perspective marxiste",. Revue Communiste

[7] idem

[8] idem

[9] idem

[10] Introduction d'Engcls aux luttes de Classe en France. cité dans le Même article de la Revue Communiste.

[11] idem

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