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Le Ferment Ouvrier Révolutionnaire (FOR) est aujourd'hui une composante du milieu prolétarien révolutionnaire. Il est l’un des rares groupes qui défendent les positions communistes (contre les syndicats, le parlementarisme, les luttes de libération nationale, le frontisme, le capitalisme d'Etat, etc.) et interviennent dans la lutte de classe. Par ce fait, il n'est pas indifférent de faire un bilan politique de ce groupe dont les positions sont mal connues au sein du milieu prolétarien.
A travers un de ses militants les plus connus, G. Munis, le FOR est issu de l’ancien groupe trotskyste espagnol qui se constitua dans les années 30. L'évolution de Munis et de ses partisans vers des positions révolutionnaires ne se fit pas sans mal. Munis -suivant les consignes de Trotsky- fut partisan de l’entrée des "bolcheviks léninistes" dans les Jeunesses Socialistes/ mais par contre refusa la fusion avec le POUM, parti "socialiste de gauche" qui devait jouer un rôle essentiel dans la défaite des ouvriers espagnols en 1936-37. En 1936, Munis et ses amis allaient, temporairement, servir dans les milices socialistes sur le front de Madrid. Un itinéraire qui était loin d'être révolutionnaire et s'écartait notablement des positions intransigeantes de la Gauche communiste à l’époque (Gauche italienne, et même Gauche hollandaise). C'est seulement en 1937, lors des événements de Mai -où le prolétariat de Barcelone se fit massacrer par le gouvernement de Front Populaire— que le groupe de Munis commença à abandonner sa fausse trajectoire ([1]) en se plaçant résolument du côté des insurgés, en dénonçant les staliniens ainsi que le POUM et la CNT-FAI. L'attitude révolutionnaire courageuse de Munis lui valut d'être emprisonné en 1938. En 1939, il réussit à s'évader, échappant à l'assassinat de la part des staliniens, pour gagner finalement le Mexique.
L'immense mérite de Munis et de ses amis au Mexique — dont le poète surréaliste Benjamin Péret— fut de dénoncer la politique de "défense de l'URSS" et l'intégration dans la guerre impérialiste de la "4e Internationale" trotskyste. Cela amena Munis à faire une rupture en 1948 avec l'organisation trotskyste, pour sa trahison de l'internationalisme, en même temps que d'anciens trotskystes espagnols. Mais, caractéristique du groupe de Munis —qu'on retrouve encore aujourd'hui dans le FOR— celui-ci estimant que la révolution était une simple question de volonté, fit décider le départ du groupe pour une action clandestine en Espagne franquiste. Pris par la police, Munis subit un dur emprisonnement.
Il n'est pas indifférent que le rapprochement du groupe de Munis des positions de la gauche communiste, dans le début des années 50, fût favorisé par les discussions entamées avec les groupes issus de la gauche communiste italienne. Les discussions avec "Internationalisme" puis avec le groupe de Damen ([2]) ne furent pas étrangères au fait que l'Union ouvrière internationaliste (nom du groupe de Munis) pût quelque peu se "décrotter" de toute une idéologie trotskyste, pour trouver une vraie trajectoire révolutionnaire.
Au cours des années 60, le groupe de Munis et de Benjamin Péret (mort en 1959) s'est maintenu courageusement, en une période de pleine contre-révolution, sur des positions révolutionnaires prolétariennes. C'est au cours de cette période difficile, où les éléments révolutionnaires étaient extrêmement peu nombreux et dispersés, que l'ancêtre du FOR actuel publia ses textes politiques de référence: "Les syndicats contre la révolution" et "Pour un second manifeste communiste" ([3]). Ces textes, après la longue nuit de contre-révolution qui s'étendit sur le monde jusqu'à la reprise internationale des luttes prolétariennes qu'a marquée Mai 68 en France, ont joué un rôle non négligeable vis-à-vis de jeunes éléments qui, avec difficulté, se réappropriaient les positions de la Gauche communiste et cherchaient à combattre les théories nauséabondes du maoïsme et du trotskysme. Le FOR, qui publie aujourd'hui en France "Alarme" et en Espagne "Alarma" ([4]), est la continuation organisationnelle de l'ancien groupe de Munis et défend en conséquence les positions politiques exprimées dans les anciens textes. Malheureusement, le FOR se réclame aussi de textes des années 40, où le groupe de Munis montre à l'évidence qu'il ne s'était guère débarrassé de sa gangue trotskyste, et qu'il continue à diffuser ([5]), comme s'il y avait une continuité entre les anciens groupes trotskystes espagnol et mexicain de cette époque et le FOR d'aujourd'hui.
Il est donc nécessaire de voir dans quelle mesure le FOR actuel se situe clairement sur le terrain de la Gauche communiste et s'il lève les ambiguïtés de ses origines.
L'HERITAGE DU TROTSKYSME
On doit malheureusement constater que le FOR et Munis n'ont pas proclamé sans réticence la rupture avec le courant et l'idéologie trotskystes. Si d'un côté, il est affirmé que depuis la 2e Guerre mondiale le trotskysme est passé à la contre-révolution, de l'autre côté il subsiste une très forte nostalgie de ce courant, au temps où, dans les années 30, il conservait encore un caractère prolétarien.
C'est avec étonnement qu'on peut lire les assertions suivantes, dans la littérature du FOR:
"C'est l’opposition de gauche (trotskyste) qui formula le mieux l'opposition au stalinisme" (Munis, "Parti Etat, stalinisme, révolution", Cahiers Spartacus, 1975)
"L'oeuvre de Trotsky et du mouvement originel de la 4e Internationale a constitué un apport considérable pour la compréhension du Thermidor russe." ("Pour un second manifeste communiste", Losfeld Paris, 1965, p. 57)
Ou encore, tout récemment:
"Le trotskisme étant le seul courant internationaliste en activité dans des dizaines de pays et plusieurs continents, il incarnait la continuité du mouvement révolutionnaire depuis la Première Internationale et préfigurait la liaison pertinente avec le futur. " (Munis, "Analisis de un vacio", Barcelona, 1983, p. 3)
A lire ce panégyrique du trotskysme et de Trotsky des années 30, on croirait qu'il n'a jamais existé de Gauche communiste. En proclamant que seul le courant trotskyste a été "internationaliste" dans les années 30, on aboutit à une falsification grossière et éhontée de l'histoire. Munis et ses amis passent sous silence l'existence d'une Gauche communiste (en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Russie) oui, bien avant que le courant trotskyste n'existe, mena le combat contre la dégénérescence de la Révolution russe, pour l'internationalisme.
Ce travail d'escamotage du VERITABLE mouvement révolutionnaire des années 20 et 30 (KAPD, GIC, "Bilan" et la fraction italienne) ne peut avoir qu'un but: absoudre à tout prix la politique opportuniste originelle du trotskysme et de Trotsky et donner un brevet révolutionnaire à l'activité des trotskystes espagnols dont Munis faisait partie. Munis et le FOR ont-ils "oublié" que la politique de défense de l'URSS des trotskystes devait les amener directement à participer à la seconde boucherie impérialiste? Ont-ils oublié la politique antifasciste de ce mouvement, qui l'amena à proposer le "front unique" avec ces bouchers du prolétariat que furent et sont toujours les partis staliniens et social-démocrate ? Munis a-t-il "oublié" la politique d'entrisme dans le Parti socialiste espagnol qu'il soutint dans les années 30? De tels silences sur ces faits expriment dans le FOR des ambiguïtés graves qu'il est loin d'avoir surmontées.
De tels "oublis" ne sont pas innocents. Ils manifestent un attachement sentimental à l'ancien courant trotskyste, qui conduit directement à des falsifications et à des mensonges. Lorsque le FOR proclame allègrement que "Trotsky n'a jamais défendu même critiquement le Front populaire ni en Espagne ni ailleurs" (cf. "L'arme de la critique", organe du FOR, n°l, mai 1985), il s'agit d'un mensonge manifeste ([6]). A moins que le FOR ignore complètement l'histoire réelle du mouvement trotskyste... Il n'est jamais trop tard pour apprendre.
Nous donnons sans commentaires, à l'intention de Munis et de ses amis, quelques citations "édifiantes" de Trotsky, extraites du recueil de Broué "La révolution espagnole (1930-1940)":
"Renoncer à soutenir les armées républicaines, seuls peuvent le faire les poltrons et les traîtres, agents du fascisme" (p.355); "Tout trotskyste en Espagne doit être un bon soldat au côté de la Gauche" (p.378); "Partout et toujours, là où les ouvriers révolutionnaires ne sont pas dans l'immédiat assez forts pour renverser le régime bourgeois, ils défendent, contre le fascisme, même la démocratie pourrissante, mais surtout ils défendent leurs propres positions à l'intérieur de la démocratie bourgeoise" (p. 431); "Dans la guerre civile espagnole, la question est démocratie ou fascisme" (p. 432).
En fait, on doit constater que cet attachement de Munis et de ses amis à l'ancien mouvement trotskyste des années 30 n'est pas seulement "sentimental". Il existe bel et bien des restes importants d'idéologie trotskyste aujourd'hui dans le FOR. Sans en dresser une liste exhaustive, on peut en relever quelques-uns parmi * les plus significatifs:
a) L'incompréhension du capitalisme d'Etat en Russie qui amène le FOR à parler, comme les trotskystes, de l'existence non d’une classe bourgeoise mais d'une bureaucratie:
". ..Il n'y (en Russie) existe pas une classe propriétaire, pas plus nouvelle que vieille. Les tentatives pour définir la bureaucratie comme une sorte de bourgeoisie sont aussi inconsistantes que taxer de bourgeoise la révolution de 1917... Ce n'est pas à l'heure où la concentration de son développement capitaliste atteint des proportions mondiales et élimine par sa propre dynamique la fonction des capitaux privés agissant chaotiquement qu'une bourgeoisie toute fraîche va se constituer. Le processus caractéristique de la civilisation capitaliste ne peut se répéter nulle part, même si l'on en imagine des formes modifiées. " (Munis, "Parti-Etat", idem p. 58)
Le FOR considère donc, comme les trotskystes, que le capitalisme se définit par sa forme juridique d'appropriation. La suppression de l'appropriation privée implique la disparition de la classe bourgeoise. Il n'entre pas dans l'esprit du FOR que la "bureaucratie" dans les pays de l'Est (et en Chine, etc.) est la forme que prend la bourgeoisie décadente en s'appropriant les moyens de production (Pour cette question, nous renvoyons à nos textes de base).
b) La mise en plan d'un nouveau "Programme de transition" à l'exemple de Trotsky en 1938, marque chez le FOR une incompréhension de la période historique, celle de la décadence du capitalisme. En effet, le FOR a cru bon -dans "Pour un second manifeste communiste"- de mettre en avant toutes sortes de revendications transitoires, en l'absence de mouvements révolutionnaires du prolétariat. Cela va de la semaine de 30 heures, de la suppression du travail aux pièces et du chronométrage; dans les usines, à la "revendication du travail pour tous, chômeurs et jeunes", sur le terrain économique. Sur le plan politique, le FOR exige de la bourgeoisie le "droit"(!) et la "liberté" démocratiques: "liberté de parole, de presse et de réunion; le droit d'élire pour les ouvriers, leurs délégués permanents d'atelier, d'usine, profession", "sans aucune formalité judiciaire ou syndicale" ("Second Manifeste", p. 65-71).
Cela se situe dans la "logique" trotskyste, selon laquelle il suffirait de poser des revendications bien choisies pour arriver graduellement à la révolution. Pour les trotskystes, le tout est de savoir être pédagogue avec les ouvriers, qui ne comprendraient rien à leurs revendications, et de brandir les carottes les plus appétissantes dans le but de pousser les ouvriers dans leur "parti"... Est-ce cela que veut Munis, avec son programme de transition "bis"?...
Aujourd'hui, ce n'est pas aux groupes révolutionnaires qu'il revient de dresser un catalogue de revendications e l'avenir; les ouvriers sont assez grands pour trouver eux-mêmes, dans la lutte, spontanément, des revendications précises.
Aujourd'hui telle ou telle revendication précise, comme le "droit au travail" pour les chômeurs, peut être reprise par des mouvements bourgeois et utilisée contre le prolétariat (camps de travail, chantiers collectifs des années 30, etc.).
Aujourd'hui, c'est seulement à travers la lutte massive que le prolétariat peut faire face aux attaques de la bourgeoisie, et c'est dans la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie que les ouvriers pourront réellement satisfaire leurs revendications. Le capitalisme décadent n'est plus en état de concéder des réformes durables au prolétariat.
De façon très caractéristique, le FOR met sur le même plan ses mots d'ordre réformistes de "droits et libertés" démocratiques pour les ouvriers et des mots d'ordre qui ne peuvent surgir que dans une période pleinement révolutionnaire. On trouve ainsi pêle-mêle les mots d'ordre de:
- "expropriation du capital industriel, financier et agricole";
- "gestion ouvrière de la production et de la distribution des produits";
- "destruction de tous les instruments de guerre, atomiques aussi bien que classiques, dissolution des armées, des polices, reconversion des industries de guerre en production de consommation";
- "armement individuel des exploités sous le capitalisme, territorialement organisé, selon le schéma des comités démocratiques de gestion et de distribution";
- "suppression du travail salarié en commençant par élever le niveau de vie des couches sociales les plus pauvres pour atteindre finalement la libre distribution des produits selon les besoins de chacun";
- "suppression des frontières et constitution d'un seul gouvernement et d'une seule économie au fur et à mesure de la victoire du prolétariat dans divers pays. "
Et le FOR d'ajouter à tout ce catalogue le commentaire suivant:
"C’est seulement sur les ailes de la subjectivité (sic) - révolutionnaire que l'homme franchira la distance du règne de la nécessité au règne de la liberté" (idem, p. 71).
En d'autres termes, le FOR prend ses désirs pour des réalités et considère la révolution comme une simple question de volonté subjective, et non de conditions objectives (la maturation révolutionnaire du prolétariat dans la crise historique du capitalisme plongé dans la crise économique).
Tous ces mots d'ordre montrent des confusions énormes. Le FOR semble avoir abandonné toute boussole marxiste. Aucune distinction n'est faite entre une période prérévolutionnaire, où domine politiquement le capital, une période révolutionnaire, où s'établit un double pouvoir, et la période de transition (après la prise du pouvoir par le prolétariat) qui seule peut mettre à l'ordre du jour (et non immédiatement!) la "suppression du travail salarié" et la "suppression des frontières".
A l'évidence, ces "mots d'ordre" du FOR montrent non seulement des restes mal digérés du programme de transition trotskyste, mais de fortes tendances anarchistes. Les mots d'ordre de "gestion ouvrière" font partie du bagage anarchiste, conseilliste ou "gramscien" mais certainement pas du programme marxiste. Quant à "l'armement individuel" (et pourquoi pas collectif?) du prolétariat et à l'exaltation de la "subjectivité" (individuelle, sans doute) ils s'inscrivent dans le confusionnisme anarchiste.
Finalement, la "théorie" du FOR apparaît comme un mélange de confusions héritées du trotskysme et de l’anarchisme. Les positions du FOR sur l'Espagne en 1936-37 le montrent de façon éclatante.
LA "REVOLUTION ESPAGNOLE" DANS L'EVANGILE DU FOR
Nous avons déjà eu l'occasion dans la presse du CCI ([7]) de critiquer les conceptions de Munis et ses amis sur les événements d'Espagne de 1936-37. Il est nécessaire d'y revenir, car l’interprétation du FOR conduit aux pires aberrations politiques, inévitablement fatales pour un groupe se situant sur le terrain de la révolution prolétarienne.
Pour le groupe de Munis, les événements d'Espagne sont le moment le plus élevé de la vague révolutionnaire qui débuta en 1917. Mieux, ce qu'il appelle la "révolution espagnole" serait plus révolutionnaire que la révolution russe:
"Plus nous regardons rétrospectivement les années qui vont jusqu'en 1917, plus la révolution espagnole acquiert de l'importance. Elle fut plus profonde que la révolution russe.... " (Munis, "Jalons de défaite, promesse de victoire", Mexico, 1948; postface "Réaffirmation", 1972).
Bien plus, et rien moins que cela, les événements de Mai 37, où le prolétariat espagnol se fit écraser par les staliniens avec la complicité des "camarades ministres" anarchistes, est "le degré de conscience suprême de la lutte du prolétariat mondial" (Munis, "Parti-Etat; stalinisme-révolution", Spartacus, 1975, p. 66)
Munis ne fait que reprendre l'analyse trotskyste sur les événements en Espagne, et jusqu'aux conceptions anti-fascistes. Pour lui, les événements d'Espagne n'ont pas été une contre-révolution permettant à la bourgeoisie d'écraser le prolétariat, mais la révolution la plus importante de l'histoire. De telles assertions sont justifiées de la façon suivante:
- en juillet 36, l'Etat aurait quasiment disparu; des "comités-gouvernement" auraient surgi à la place de l'Etat ([8]);
- les collectivités de 36 en Espagne auraient instauré un véritable communisme local! (et pourquoi pas le communisme dans un seul village?);
- la situation internationale était objectivement révolutionnaire, avec la France "au bord de la guerre ci-" vile" et "la renaissance de l'offensive ouvrière en Angleterre" ("Jalons", p.380).
Il est inutile d'insister sur la fausseté des paroles d'évangile contenues dans "Jalons". Elles sont caractéristiques d'une secte qui "s'élevant sur les ailes de la subjectivité", prend ses fantasmes pour la réalité, au point de devenir mystificateur et de s'auto mystifier. L'invention de "comités-gouvernement" par Munis, qui n'ont nullement existé -seules ont surgi les Milices qui étaient un cartel de partis de gauches et de syndicats— montre une tendance à l’automystification, et surtout au bluff, dont les trotskystes ont toujours été friands.
Mais le plus grave, chez Munis, est le fait qu'il reprend à son compte l'analyse des trotskystes et anarchistes de l'époque, pour finalement mieux les absoudre. En saluant l'action des trotskystes espagnols comme "révolutionnaire", Munis les absout de leur appel à "assurer la victoire militaire" de la République contre le fascisme (idem p. 305). Et que dire de l'enthousiasme manifesté pour les tristement célèbres "Brigades Internationales—avec Marty, le boucher des ouvriers d'Albacete- en lesquelles Munis voit un exemple magnifique où des milliers d'hommes offrirent "leur sang pour la révolution espagnole" (p. 395). Quant au sang ouvrier versé par les bouchers staliniens composant ces brigades, un pudique silence est gardé.
En continuant à répéter les mêmes erreurs que les trotskystes espagnols en 36, le FOR aboutit à une totale incompréhension qui est inévitablement fatale à tout groupe prolétarien:
- d'abord, l'incompréhension des conditions de la disparition de l'Etat capitaliste et de l'ouverture d'une véritable période de transition du capitalisme au communisme. En affirmant que le 19 juillet 36, "l'Etat capitaliste cessa d'exister" ("Jalons", p.280), non seulement Munis travestit la réalité historique mais considère que la disparition de l'Etat s'accomplit sur-le-champ, en quelques heures, dans un seul pays. Une telle vision est identique à celle de l'anarchisme.
- Munis et ses amis considèrent que la révolution prolétarienne peut s'accomplir sans l'existence et de conseils ouvriers et d'un parti révolutionnaire. Ainsi, sans organisation unitaire et sans organisation politique, la révolution se déroulerait spontanément. Malgré sa reconnaissance de la nécessité d'un parti révolutionnaire pour catalyser le processus de fa révolution, le FOR introduit par la bande les conceptions conseillistes.
Finalement, le FOR manifeste une totale incompréhension des conditions de la révolution prolétarienne aujourd'hui.
L'AVENIR D'UNE SECTE
Le FOR se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Toute sa raison d'être a été l'affirmation que la révolution était une question de volonté et de subjectivité. Pour cela, il n'a cessé d'affirmer que les conditions objectives (crise générale du capitalisme, décadence économique) importaient peu. De façon idéaliste, le FOR n'a cessé de prétendre qu'il n'y avait pas un déclin économique mais une décadence "morale" du capitalisme. Pire, il n'a voulu voir depuis les années 70 dans la crise économique du capitalisme qu'une "simple ruse de guerre de la bourgeoisie" comme l'affirmait Munis lui-même, au début de la 2ème conférence internationale des groupes de la gauche communiste ([9]).
A l'heure où les deux "lundis noirs" du krach boursier d'octobre 1987 (19 et 26 octobre) sont la confirmation éclatante de la faillite économique du système capitaliste mondial, le FOR va-t-il continuer tranquillement à affirmer qu'il n'y a pas de crise? A l'heure où se confirme avec éclat l'effondrement du capitalisme, le FOR va-t-il répéter -comme en 1975- que "le capitalisme résout toujours ses propres contradictions -les crises de surproduction" (cf. RI n°14, mars 75, "Réponse à Alarma")?
Si le FOR continuait à se placer au delà de la réalité sur les "nuages" roses de sa "subjectivité", il apparaîtrait comme une secte condamnée par la réalité objective elle-même. Or, par définition, une secte qui est repliée sur elle-même, pour défendre ses propres "dadas" —comme la "révolution espagnole" et l'absence de crise économique- et nie la réalité, est condamnée soit à disparaître totalement, soit à éclater en multiples morceaux dans la pire confusion.
Le FOR se trouve à la confluence de trois courants: le trotskysme, le conseillisme et l'anarchisme.
Du trotskysme, le FOR conserve non seulement des résidus (Espagne 36, "revendications transitoires", volontarisme) mais aussi une singulière attraction pour ses éléments "critiques" en rupture. Si le FQR est clair aujourd'hui que "rien de révolutionnaire ne peut prendre sa source dans aucune tendance dite trotskyste" (Munis, "Analisis de un vacio", 1983), il garde l'illusion que des scissions du trotskysme "pourraient contribuer à bâtir une organisation du prolétariat mondial" (idem). C'est cette même illusion qu'il avait entretenue en 1975, lorsque s'était constitué le groupe Union Ouvrière, issu de "Lutte Ouvrière" en France. Le FOR n'avait pas hésité à voir dans cette scission sans lendemain le "fait organique le plus positif arrivé en France pour le moins depuis la fin de la guerre jusqu'à aujourd'hui" ("Alarma" n°28,1975, "Salut à Union Ouvrière").
Le FOR doit dire clairement maintenant, alors que les responsabilités des révolutionnaires sont autrement plus écrasantes aujourd'hui qu'il y a dix ans, si oui ou non il se considère comme une composante de la gauche communiste, oeuvrant à son regroupement, ou au contraire comme une composante du milieu marécageux dans lequel barbotent les différents groupuscules "critiques" issus du trotskysme. Le FOR doit se prononcer sans ambiguïtés sur les conditions de formation du parti révolutionnaire. Il doit dire clairement si celui-ci se constituera autour des groupes issus de la gauche communiste, qui se réclament de l'apport des gauches des années 20 et 30 (KAPD, "Bilan", Gauche hollandaise), ou autour des groupes issus du trotskysme. Une réponse claire à cette question déterminera la participation du FOR à des conférences de la Gauche communiste, participation qu'il a déclinée en 1978, de façon sectaire.
En deuxième lieu, il apparaît que le FOR a ouvert toutes grandes les portes vers le "conseillisme". En considérant comme secondaire et même inexistante la crise économique du capitalisme, en affirmant que la conscience du prolétariat ne peut surgir que de la lutte elle-même ([10]), le FOR sous-estime non seulement les facteurs objectifs de la révolution mais le facteur subjectif, celui de l'existence d'une organisation révolutionnaire, qui est le point le plus haut, le plus élaboré de la conscience de classe.
En troisième lieu, le FOR montre des attaches et une attraction très dangereuses vers les conceptions anarchistes. Si le FOR a rejeté la vision trotskyste des "révolutions politiques c'est pour mieux proclamer que la révolution sera d'abord et avant tout "économique et non politique:
"Cette vision politique de la révolution partagée par l’extrême gauche et la plupart de ce qui est appelé l’ultra-gauche est une vision bourgeoise de la prise du pouvoir." ("L'arme de la critique", n°l, mai 1985). Cette conception était exactement la même que celle du GIC conseilliste hollandais (voir brochure à paraître sur la gauche communiste germano hollandaise), qui se rapprochait ainsi de l’anarchisme. En croyant et en faisant croire qu'une révolution fera disparaître immédiatement la loi de la valeur et réalisera rapidement les tâches économiques du communisme, le FOR tombe dans l'illusion anarchiste selon laquelle le communisme est une simple question économique, pour mieux évacuer la question du pouvoir politique du prolétariat (dictature es conseils à l'échelle mondiale, ouvrant réellement la période de transformation économique de la société).
Le FOR est à la croisée des chemins. Ou bien il restera une secte sans avenir amenée à mourir de sa belle mort, ou bien il se décomposera en morceaux attirés vers les courants trotskyste, anarchiste et conseilliste, ou bien il s'orientera résolument vers la Gauche Communiste. En tant que secte hybride, mariant la carpe et le lapin, dédaignant la réalité présente, le FOR n'est pas un groupe viable. Nous ne pouvons que souhaiter et contribuer de toutes nos forces à ce que le FOR s'oriente vers une réelle confrontation avec le milieu révolutionnaire. Pour cela, il devra faire une autocritique de son attitude négative en 1978, lors de la seconde conférence des groupes de la Gauche Communiste.
Le milieu révolutionnaire prolétarien a tout à gagner à ce que des éléments révolutionnaires, comme ceux du FOR, ne se perdent pas et s'unissent aux forces révolutionnaires existantes, celles de la Gauche communiste. L'accélération brutale de l'histoire met le FOR devant ses responsabilités historiques. Il y va de son existence, et surtout de celle des jeunes énergies révolutionnaires qui le composent.
Ch.
[1] Les militants du FOR qui ironisent sur la "fausse trajectoire" de Révolution Internationale -titre de leur brochure diffusée à la seconde conférence des groupes de la gauche communiste- feraient mieux d'analyser la fausse trajectoire des trotskystes espagnols avant 1940 (cf. pour cela les textes cités par Munis lui-même dans son livre "Jalons d'une défaite, promesses de victoire" et le livre de Broué: "La Révolution» espagnole", éditions de Minuit, 1975).
[2] Il s'agit du Parti communiste internationaliste de Damen, issu de la scission en 1952 d'avec la fraction de Bordiga, regroupé autour de la publication "Battaglia Comunista".
[3] "Pour un second manifeste communiste", bilingue français et espagnol, Eric Losfeld, Paris, 1965; "Les syndicats contre la révolution" de B.Péret et de G. Munis, Eric Losfeld, Paris, 1968. Publier les textes de Péret des années 50 (qui se trouvent dans ce dernier recueil), dans le "Libertaire", organe de la Fédération anarchiste, était plus qu'ambigu. C'était donner un brevet révolutionnaire aux éléments anarcho-syndicalistes qui ont trempé dans la guerre antifasciste en 36-37, et continuent à être les chantres de la CNT, syndicat anarchiste.
[4] Alarme, BP 329,75624 Paris cedex 13 (France); Alarma Apartado 5355 Barcelona (Espagne).
[5] Ainsi les textes de critique de la 4e Internationale publiés au Mexique entre 1946 et 1949.
[6] cf. la Revue Internationale n° 25,1981, "Critique de Munis et du FOR"; brochure du CCI en espagnol sur l'Espagne 36-37 (1987) et l'article "Critica de Jalones de derrota, promesas de Victoria'".
[7] cf. la Revue Internationale n° 25,1981, "Critique de Munis et du FOR"; brochure du CCI en espagnol sur l'Espagne 36-37 (1987) et l'article "Critica de Jalones de derrota, promesas de Victoria'".
[8] Ce n'est pas par hasard si le trotskyste Broué reprend à son compte l’affirmation de Munis, selon laquelle auraient existé des "comités-gouvernement" assimilables aux conseils ouvriers, pour mieux prouver l'existence d'une "révolution espagnole", cf. Broué, "La révolution espagnole. 1931-39", Flammarion, 1973, p. 71.
[9] 2e Conférence des groupes de la Gauche communiste, novembre 1978. Le FOR, décidant de "rester en marge de la Conférence", la quitta finalement dès le début, ne voulant pas reconnaître l'existence d'une crise du capitalisme.
[10] "...l'école du prolétariat ne sera jamais la réflexion théorique ni l'expérience accumulée et bien interprétée mais le résultat de ses propres réalisations EN PLEINE LUTTE. L'existence précède la conscience; le fait révolutionnaire sa propre conscience pour l'écrasante majorité des protagonistes..."
"En somme, la motivation MATERIELLE de la liquidation du capitalisme est donnée par la déclinante (?) contradiction existant entre le capitalisme et la liberté du genre humain" ("Alarme" n°13, juillet septembre 1981, "Organisation et conscience révolutionnaires".