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Dans le précédent numéro de la Revue Internationale est paru un article de discussion signé JA et intitulé "Le CCI et la politique du moindre mal", exprimant les positions d'un certain nombre de camarades qui se sont récemment constitués en "tendance". Faute de temps (1'article nous étant parvenu quelques jours seulement avant la publication de la Revue), nous n'avions pas apporté de réponse à cet article lors de sa parution : nous nous proposons donc de le faire dans le présent numéro. Cependant, cette réponse ne sera pas exhaustive dans la mesure où le texte de la camarade JA aborde une multitude de questions diverses qu'on ne saurait traiter de façon sérieuse dans un seul article. Le fait que nous n'apportions pas de réponse à la totalité des arguments et questions contenus dans le texte ne signifie donc nullement que nous désirions esquiver ces questions (sur lesquelles nous serons amenés à revenir), mais tout simplement que nous préférons permettre au lecteur de se faire une idée claire et précise des positions de 1'organisation, plutôt que semer la confusion en mélangeant tous les sujets comme le fait malheureusement la camarade JA dans son article.
Le texte de JA a en effet pour caractéristique d'apporter bien plus de confusion que de clarté sur la véritable teneur des questions en débat : le lecteur non informé de ce débat risque de s'y perdre complètement. En fait ce texte ne fait qu’exprimer de façon particulièrement significative (on pourrait dire presque caricaturale) la confusion dans laquelle se débattent eux-mêmes à l1heure actuelle les camarades qui ont décidé de constituer une "tendance". C'est pour cela, qu'avant même de pouvoir répondre directement à l'article de la camarade JA, il est nécessaire -et de notre responsabilité- que nous présentions au lecteur un certain nombre d'éléments sur la façon dont le débat est apparu et s'est développé dans notre organisation, ne serait-ce que pour rectifier et éclaircir ce que dit là-dessus cet article.
L'ORIGINE DU DEBAT
Les difficultés du CCI en 1981
Comme pour l'ensemble des organisations communistes, les années 80, "années de vérité" ([1]), ont été un test pour le CCI. L'aggravation considérable de la crise du capitalisme durant ces années, l'intensification des tensions entre blocs impérialistes, l'ampleur croissante des enjeux et de la portée des luttes ouvrières, ont mis à l'épreuve la capacité des groupes révolutionnaires de se hisser à la hauteur de leurs responsabilités. Cette épreuve s'est traduite, au sein du milieu prolétarien, par des convulsions importantes allant jusqu'à la désagrégation de certaines organisations comme "Programme Communiste" (accompagnée par une évolution de ses débris vers le gauchisme), la disparition complète d'autres groupes comme "Pour une Intervention Communiste", la fuite en avant dans des pratiques parfaitement opportunistes (flirt du tandem "Battaglia Comunista"-"Communist Workers Organisation" avec des groupes nationalistes kurdes-iraniens, participation des "Nuclei Leninisti Internazionalisti" à toutes sortes de"collectifs"avec les gauchistes et au référendum en Italie) ([2]). Pour sa part, le CCI n'a pas été épargné puisque :
"Depuis son 4ème Congrès (1981), le CCI a connu la crise la plus grave de son existence. Une crise qui a secoué profondément 1'organisation, lui a fait frôler 1'éclatement, a provoqué directement ou indirectement le départ d'une quarantaine de ses membres, a réduit de moitié les effectifs de sa deuxième section territoriale. Une crise qui s'est traduite par tout un aveuglement, une désorientation comme le CCI n'en avait pas connus depuis sa création. Une crise qui a nécessité, pour être dépassée, la mobilisation de moyens exceptionnels : la tenue d'une Conférence Internationale extraordinaire, la discussion et 1 'adoption de textes d'orientation de base sur la fonction et le fonctionnement de 1'organisation révolutionnaire, 1'adoption de nouveaux statuts." (Revue Internationale n°35, Présentation du 5ème Congrès du CCI).
Un redressement effectif, mais incomplet : les déviations conseillistes
Avec la Conférence extraordinaire de janvier 82, le 5ème Congrès du CCI (juillet 83) devait représenter un moment important du ressaisissement de notre organisation après les difficultés rencontrées en 1981. Cependant, malgré l'adoption de rapports et résolutions (voir Revue Internationale n°35) tout à fait corrects et qui ont conservé leur validité, ce congrès devait révéler, par ses débats, l'existence au sein de l'organisation d'un certain nombre de faiblesses sur trois questions essentielles :
- l'évolution des conflits impérialistes dans la période actuelle ;
- les perspectives du développement de la lutte de classe ;
- le processus de prise de conscience du prolétariat.
Sur le premier point, on pouvait constater une certaine tendance à la sous-estimation de l'ampleur de ces conflits, à considérer que, puisque le cours historique est à l'heure actuelle aux affrontements de classe généralisés (et non à la guerre mondiale comme dans les années 30) ([3]), nous allions assister à une atténuation progressive des tensions entre blocs impérialistes.
Sur le deuxième point, il s'était développé dans les débats du Congrès la thèse suivant laquelle le recul des luttes ouvrières constaté par le CCI dès 1981 serait de "longue durée" et qu'il faudrait un "pas qualitatif" dans la conscience et les luttes du prolétariat pour qu'on puisse assister à une nouvelle vague de combats de classe. Quelques mois après le Congrès, cette thèse -qui pourtant ne figurait ni dans le rapport, ni dans la résolution sur la situation internationale- devait révéler son caractère pernicieux et dangereux en empêchant de nombreux camarades et plusieurs sections du CCI de reconnaître l'importance des luttes dans le secteur public en Belgique et aux Pays-Bas de l'automne 83 comme les premières manifestations d'une reprise générale des combats ouvriers.
Sur le troisième point, il avait été exposé tant au Congrès que dans les textes internes et sans que cela provoque de réfutation sensible de la part de l'organisation, une analyse nettement conseilliste du processus de prise de conscience du prolétariat dont on peut se faire une idée par les extraits qui suivent :
"...la formule 'maturation souterraine de la conscience est à rejeter. D'abord parce que le seul et unique creuset de la conscience de classe c'est sa lutte massive et ouverte. D'autre part, les moments de recul dans la lutte marquent une régression de la conscience. La formule maturation souterraine de la conscience exprime une confusion entre deux processus qui, même s'ils sont étroitement liés, sont différents : le développement des conditions objectives et la prise de conscience.
Placés au centre du processus historique capitaliste, la classe ouvrière et surtout ses fractions centrales peuvent comprendre et traduire dans le fait de la prise de conscience la maturation des conditions objectives, mais cela elles ne peuvent le faire seulement que dans la lutte, c'est-à-dire dans l'affrontement avec le capitalisme (...).
La conscience de classe n'avance pas comme dans un cours scolaire... Phénomène global, il implique nécessairement une vision d'emblée globale et d'ensemble et pour cela son seul creuset c'est la lutte massive et ouvrière (...).
Cette formule ("maturation souterraine de la conscience") sous-estime un phénomène qui se produit dans les moments de recul : la régression qui s'opère dans la classe, une régression de la conscience. Et cela il ne faut pas avoir peur de le reconnaître parce que de la même façon que la lutte ouvrière se déroule en dents de scie, la conscience ne se développe pas de manière linéaire mais au contraire fait des avancées et des reculs. (...)Ce sont deux facteurs qui déterminent le niveau et le développement de la prise de conscience: la maturation de la crise historique du capitalisme et le rapport de forces entre les classes. Ces deux facteurs posés à 1 'échelle mondiale déterminent dans chaque période de la lutte de classe la clarté sur ses buts historiques, les confusions, les illusions,les concessions mêmes à 1'ennemi (...) cela se fait en donnant une réponse aux problèmes posés dans les luttes précédentes par les nouvelles luttes."
Les camarades qui s'identifiaient avec cette analyse pensaient être en accord avec les conceptions classiques du marxisme (et donc du CCI) sur le problème de la conscience de classe. En particulier, ils ne rejetaient nullement de façon explicite la nécessité d'une organisation des révolutionnaires dans le développement de celle-ci. Mais en fait, ils avaient été conduits à faire leur une vision conseilliste :
- en faisant de la conscience un élément uniquement déterminé et jamais déterminant de la lutte de classe ;
- en considérant que "le seul et unique creuset de la conscience de classe, c'est la lutte massive et ouverte", ce qui ne laissait aucune place aux organisations révolutionnaires ;
- en niant toute possibilité pour celles-ci de poursuivre un travail de développement et d'approfondissement de la conscience de classe dans les moments de recul de la lutte,
La seule différence majeure entre cette vision et le conseillisme, c'est que ce dernier va jusqu'au bout de sa démarche en rejetant explicitement la nécessité des organisations communistes, alors que nos camarades n'allaient pas jusque là.
La résolution de janvier 1984
Face aux différentes faiblesses qui s'étaient manifestées au sein du CCI, son organe central devait adopter en janvier 1984 une résolution en trois volets (conflits impérialistes, perspectives des luttes de classe, développement de la conscience) dont nous reproduisons ici le dernier (points 7 et 8).
7. Ce sont donc 1'aggravation de la crise et les attaques économiques contre la classe ouvrière qui constituent le moteur essentiel du développement des luttes et de la conscience de la classe. C'est notamment pour cela qu'à l'heure actuelle, et pour un bon moment encore, c'est la riposte aux agressions contre le niveau de vie des ouvriers, et non aux menaces de guerre, qui sera le facteur de leur mobilisation, même si les luttes économiques constituent en fait un obstacle à ces menaces. Cependant il ne faut pas donner à cette constatation matérialiste élémentaire, au rejet de la vision idéaliste critiquée plus haut, une interprétation restrictive et unilatérale étrangère au marxisme. Il faut se garder en particulier de la thèse qui ne voit la maturation de la conscience de classe que comme résultat ou reflet de la maturation des conditions objectives', qui considère que les luttes provoquées par cette 'maturation des conditions objectives' sont le 'seul creuset' où se forge la conscience, laquelle 'régresserait' à chaque recul des luttes. A une telle vision, il est nécessaire d'opposer les points suivants :
a) Le marxisme est une démarche matérialiste et dialectique : la pratique de la classe est praxis, c'est-à-dire qu'elle intègre comme facteur actif la conscience de la classe. La conscience n'est pas seulement déterminée par les conditions objectives et par la lutte, elle est également déterminante dans la lutte. Ce n'est pas un simple résultat statique de la lutte mais elle a sa propre dynamique et devient à son tour 'force matérielle ' (Marx).
b) Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c'est-à-dire son étendue à un moment donné. Autant cette dernière relève d'un grand nombre de facteurs, aussi bien généraux-historiques que contingents-immédiats -notamment le développement des luttes- autant la première est connaissance de soi, non seulement dans1'existence immédiate de la classe, dans son présent, mais également dans son devenir. La condition de la prise de conscience est donnée par 1 'existence historique de la classe capable d'appréhender son avenir, et non pas les luttes contingentes-immédiates. Celles-ci, 1'expérience, apportent de nouveaux éléments à son enrichissement, notamment dans les moments d'intense activité du prolétariat. Mais elles ne sont pas les seules : la conscience surgissant avec 1'existence a également sa propre dynamique : la réflexion, la recherche théorique, qui sont autant d'éléments nécessaires à son développement.
c) Les périodes de recul de la lutte ne déterminent pas une régression ni même un arrêt dans le développement de la conscience de classe : 1'ensemble de 1 'expérience historique, depuis 1'approfondissement de la théorie après la défaite de la révolution de 1848 jusqu'au travail des gauches en pleine contre-révolution atteste du contraire. Là encore, il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1 élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : 1'éten due de leur assimilation et de leur impact dans 1 'ensemble de la classe.
d) Ce n'est pas uniquement dans et au cours des luttes futures que se donnée la réponse aux questions et problèmes posés dans les luttes passées. En effet, non seulement les organisations révolutionnaires contribuent largement dans les après- luttes, et avant que ne surgissent des luttes nouvelles, à tirer les leçons des expériences vécues par la classe et à les propager en son sein, mais il se fait dans la tête de 1'ensemble des ouvriers tout un travail de réflexion qui va se manifester dans ses luttes nouvelles. Il existe une mémoire collective de la classe, et cette mémoire contribue également au développement de la prise de conscience et à son extension dans la classe, comme on a pu le constater une nouvelle fois en Pologne où les luttes de 80 révélaient 1'assimilation de l'expérience de celles de 70 et 76. Sur ce plan, il importe de souligner la différence existant entre une période de recul historique du prolétariat -le triomphe de la contre-révolution- où les leçons de ses expériences sont momentanément perdues pour sa très grande majorité, des périodes comme aujourd'hui, où ce sont les mêmes générations ouvrières qui participent aux vagues successives de combats contre le capitalisme et qui intègrent progressivement dans leur conscience les enseignements de ces différentes vagues.
Les luttes massives et ouvertes sont effectivement un riche creuset du développement de la conscience et surtout de la rapidité de son extension dans la classe. Cependant, elles ne sont pas le seul. L'organisation des révolutionnaires constitue un autre creuset de la prise de conscience et de son développement, un outil indispensable à la classe pour sa lutte immédiate et historique.
Pour cet ensemble de raisons, il existe, entre les moments de lutte ouverte, une 'maturation souterraine' de la conscience (la 'vieille taupe' chère à Marx), laquelle peut s'exprimer tant par l'approfondissement et la clarification des positions politiques des révolutionnaires que par une réflexion et une décantation dans 1'ensemble de la classe, un dégagement des mystifications bourgeoises.
8. En fin de compte, toute conception qui fait découler la conscience uniquement des conditions objectives et des luttes que celles-ci provoquent est incapable de rendre compte de 1'existence d'un cours historique. Si, depuis 1968, le CCI a mis en évidence que le cours historique présent est différent de celui des années 30, que 1'aggravation de la crise économique ne débouche pas vers la guerre impérialiste mondiale mais vers des affrontements de classe généralisés, c'est justement parce qu'il a été en mesure de comprendre que la classe ouvrière d'aujourd'hui n'est plus, et de loin, aussi perméable aux mystifications bourgeoises -notamment le mythe de 1'URSS et 1'antifascisme- qui avaient permis de dévoyer son mécontentement, d'épuiser sa combativité et de 1'embrigader sous les drapeaux bourgeois.
Avant même que ne s'engage la reprise historique des luttes à la fin des années 60, la conscience du prolétariat était donc déjà la clé de toute la perspective de la vie de la société en cette fin de siècle."
LE DEVELOPPEMENT DU DEBAT ET LA CONSTITUTION D'UNE "TENDANCE"
Les "réserves" sur le point 7 de la résolution et leur caractérisation par le CCI
Lorsque cette résolution fut adoptée, les camarades du CCI qui avaient auparavant développé la thèse de la "non-maturation souterraine" avec toutes ses implications conseillistes s'étaient rendu compte de leur erreur. Aussi se prononcèrent-ils fermement en faveur de cette résolution et notamment son point 7 qui avait comme fonction spécifique de rejeter les analyses qu'ils avaient élaborées auparavant. Par contre, on vit surgir de la part d'autres camarades des désaccords sur ce point 7 qui les conduisirent soit à le rejeter en bloc, soit à le voter "avec réserves" en rejetant certaines de ses formulations. On voyait donc apparaître dans l'organisation une démarche qui, sans soutenir ouvertement les thèses conseillistes, que la résolution condamnait, consistait à servir de bouclier, de parapluie à ces thèses en se refusant à une telle condamnation ou en atténuant la portée de celle-ci. Face à cette démarche, l'organe central du CCI était amené à adopter en mars 84 une résolution rappelant les caractéristiques :
"- de 1'opportunisme en tant que manifestation de la pénétration de 1'idéologie bourgeoise dans les organisations prolétariennes et qui s'exprime notamment par :
. un rejet ou une occultation des principes révolutionnaires et du cadre général des analyses marxistes ;
. un manque de fermeté dans la défense de ces principes ;
- du centrisme en tant que forme particulière de l'opportunisme caractérisée par :
. une phobie à 1'égard des positions franches, tranchantes, intransigeantes, allant jusqu'au bout de leurs implications ;
. 1'adoption systématique de positions médianes entre les positions antagoniques ;
. un goût de la conciliation entre ces positions;
. la recherche d'un rôle d'arbitre entre celles-ci ;
. la recherche de l'unité de 1'organisation à tout prix y compris celui de la confusion, des concessions sur les principes, du manque de rigueur, de cohérence et de continuité dans les analyses. "
Ensuite, la résolution "souligne le fait que, au même titre que toutes les autres organisations révolutionnaires de 1 'histoire du mouvement ouvrier, le CCI doit se défendre de façon permanente contre la pression constante et le danger d'infiltration en son sein de 1'idéologie bourgeoise." Elle considère que, "comme pour toutes les autres organisations, la tendance au centrisme constitue une des faiblesses importantes du CCI et parmi les plus dangereuses". Elle "estime que cette faiblesse s'est manifestée en de multiples occasions dans notre organisation et notamment (...) :
- lors du développement d'une démarche conseilliste au nom du rejet de la notion de 'maturation souterraine de la conscience par une réticence très nette à rejeter vigoureusement cette démarche;
- (en janvier 84) par une difficulté à se prononcer clairement, par des hésitations et des 'réserves' non ou peu explicitées (...), à l'égard de la résolution sur la situation internationale."
Puis la résolution "met fermement en garde 1'ensemble du CCI contre le danger de centrisme". Elle "appelle toute 1'organisation à prendre pleinement conscience de ce danger afin de le combattre avec détermination chaque fois qu'il se manifestera."
Enfin, la résolution estime "qu'une des menaces importantes à 1'heure actuelle est constituée par les dérapages vers le conseillisme -dérapages dont l'analyse rejetant la 'maturation souterraine' constitue une illustration- et qui, dans la période qui vient de luttes massives du prolétariat dans les pays centraux du capitalisme, constituera pour 1 'ensemble de la classe et ses minorités révolutionnaires, un réel danger, plus important, quant à son influence néfaste, que le danger d'entraînement vers des conceptions substitutionnistes." Et la résolution conclut "qu'il existe à 1 'heure actuelle au sein du CCI, une tendance au centrisme - c'est-à-dire à la conciliation et au manque de fermeté - à 1'égard du conseillisme."
La tendance au centrisme à l'égard du conseillisme
Cette tendance au "centrisme à l'égard du conseillisme" devait s'illustrer dans les "explications de votes" qui avaient été demandées aux camarades ayant voté "avec réserves" le point 7 de la résolution ou l'ayant rejeté. Si certains camarades reconnaissaient leurs propres doutes et manque de clarté, d'autres attribuaient à la résolution elle-même ce manque de clarté en l'accusant:
- "de frôler de trop près des conceptions qui voient dans la lutte révolutionnaire deux consciences" (comme la conscience socialiste et la conscience trade-unioniste telles qu'elles sont distinguées par Kautsky et Lénine) ;
- d'utiliser des formulations "qui laissent la porte ouverte à des interprétations de type 'Kautsky-léninistes' du processus de prise de conscience de la classe ouvrière" OU ayant "une résonance toute hégélienne" ou encore ne disant "rien d'autre que ce que disent, par exemple, les bordiguistes" de "flirter avec des conceptions léninistes", de "constituer une régression" par rapport au "dépassement du léninisme" opéré antérieurement par le CCI ;
-de "s'enfermer dans une démarche qui ferait croire que la conscience de classe est une donnée achevée" qui "est dans les mains d'une minorité et que la contribution de la classe ouvrière dans son ensemble historiquement ne serait que de l'accepter, 1'assimiler."
Une des caractéristiques des "réserves" était donc d'attribuer à la résolution des idées qui ne s'y trouvaient pas et qu'elle rejetait même explicitement (comme on peut s'en rendre compte en la relisant). On y voyait en particulier des conceptions "bordiguistes" ou "léninistes", ce qui est l'accusation classique des conseillistes à l'égard des positions du CCI (tout comme les groupes "léninistes" ou "bordiguistes" considèrent ces positions comme "conseillistes"). Les concessions au conseillisme étaient encore plus flagrantes lorsque telle "réserve" tendait à renvoyer dos à dos les analyses conseillistes apparues auparavant et leur critique par le point 7 de la résolution, en considérant que si les premières "pour démontrer une idée fausse étaient amenées à citer une idée juste", la seconde "pour rappeler des idées justes est maladroitement conduite à combattre ce qui était correct" dans ces analyses. Ces concessions s'exprimaient également dans telle autre "réserve" qui considérait que ces analyses "viennent plus d'une exagération abusive dans le débat sur la maturation souterraine... que d'un conseillisme sournois et délibéré". C'était là de belles illustrations de la "démarche centriste à l'égard du conseillisme" telle qu'elle avait été identifiée par le CCI, puisque ces réserves : se posaient en arbitre entre les positions qui s'affrontaient ; venaient au secours de la position conseilliste en se refusant de l'appeler par son nom ; créaient des rideaux de fumée (par exemple, l'introduction des épithètes "sournois" et "délibéré" qui n'étaient jamais apparues dans le débat) afin de faire obstacle à la clarté du débat.
Cette démarche, nous la retrouvons dans le texte de la camarade JA (Revue n°41, p.32) lorsqu'il essaie de présenter "les origines du débat" :
"Bien que la maturation souterraine soit rejetée à la fois explicitement par "Battaglia-CWO" par exemple (...), ce rejet étant parfaitement conséquent avec la théorie 'léniniste ' de la conscience 'trade-unioniste' de la classe, et à la fois par des théorisations du conseillisme dégénéré (...), l'organisation a décidé que le rejet de la maturation était en lui-même uniquement le fruit du conseillisme latent en nos rangs".
Il suffit de relire les extraits cités plus haut des analyses apparues dans le CCI rejetant la notion de "maturation souterraine de la conscience" pour se rendre compte que la démarche employée pour opérer un tel rejet est bien de nature conseilliste (même si d'autres que les conseillistes, et avec d'autres arguments, rejettent également cette notion). Encore faut-il, pour être en mesure de faire ce constat, ne pas être soi-même victime d'une vision conseilliste. Les camarades qui ont critiqué le point 7 se sont focalisés sur cette question de la "maturation souterraine" sans voir qu'elle s'appuyait sur une démarche conseilliste, parce qu'ils sont en fin de compte d'accord avec une telle dé marche même s'ils ne vont pas jusqu'au bout de toutes ses implications (autre caractéristique du centrisme) .C'est pour cela d'ailleurs que le point 7 de la résolution ne traite de la "maturation souterraine "que dans son 6ème et dernier paragraphe après avoir réfuté l'ensemble des maillons du raisonnement qui conduit au rejet de cette notion. Pour le CCI, comme pour le marxisme en général, il importe d'attaquer les conceptions qu'il combat à. la racine sans se contenter de faire un sort à telle ou telle brindille. C'est la différence entre une critique de fond propre au marxisme et une critique superficielle affectionnée par toutes les visions étrangères au marxisme, notamment le conseillisme .
L'escamotage des problèmes par les camarades "réservistes"
Cette incapacité des camarades "réservistes" à réfuter véritablement les conceptions conseillistes qui s'étaient introduites dans l'organisation, s'est illustrée dans le fait qu'ils n'ont jamais proposé une autre formulation du point 7 malqré les demandes répétées du CCI, et bien qu'ils se soient engagés à le faire en avril 84. Il n'y a là rien de bien mystérieux : lorsqu'on est soi-même d'une vision conseillisante, on est bien mal armé pour condamner le conseillisme. C'est d'ailleurs ce qu'ont compris certains de ces camarades: ayant échoué dans leur effort de reformuler ce point, ils ont pris conscience de leurs erreurs conseillistes et ont finalement apporté à ce point un soutien sans réserve comme l'avaient fait dès janvier 84 les camarades qui avaient élaboré l'analyse conseilliste de la "non-maturation souterraine". Les autres camarades, par contre, ont préféré escamoter le problème : pour tenter de masquer leur incapacité à condamner clairement le conseillisme, ils ont commencé à soulever toute une série d'autres questions étrangères au débat initial. C'est ainsi, qu'entre autres objections (nous ferons grâce au lecteur d'une liste exhaustive), il a été soulevé :
1°. que "rien n'autorise à décider unilatéralement, sans preuves, que le CCI se trouve dans ce débat en présence d'une tendance conseilliste ou de conciliation vis-à-vis du conseillisme", qu'on avait à faire avec "une campagne donquichottesque contre des moulins à vent conseillistes et centristes" ;
2°. que la résolution de mars 84 donne une "définition psychologisante et comportementale du centrisme", "une définition purement subjective du centrisme en termes de comportement et non plus en termes politiques" ;
3°. qu'on ne peut pas de toute façon parler de centrisme dans le CCI, puisque le centrisme, comme l'opportunisme en général, sont des phénomènes spécifiques de la période ascendante du capitalisme, idée qu'on retrouve dans le texte de JA.
4°. que, de ce fait, on ne pouvait en aucune façon considérer que l'USPD, donné dans le débat comme exemple de parti centriste, appartenait à la classe ouvrière ; que c'était dès l'origine "l'expression de la radicalisation de 1'appareil politique de la bourgeoisie, une première expression du phénomène du gauchisme, cette barrière extrême de 1'Etat capitaliste contre la montée révolutionnaire" (article de JA).
Nous n'entrerons pas dans cet article dans une réfutation de ces objections, irais il importe à leur sujet de préciser quelques points.
1°. On comprend tout à fait que les camarades qui sont eux-mêmes prisonniers d'une démarche centriste envers le conseillisme considèrent que le combat engagé par le CCI contre cette démarche n'est pas autre chose qu'une "campagne donquichottesque contre des moulins à vent conseillistes et centristes" : tout le monde connaît l'histoire du cavalier qui ne retrouve pas le cheval sur lequel il est assis. Cependant, la myopie et la distraction -de même que l'ignorance (comme disait Marx contre Weitling)- ne sont pas des arguments.
2°. Leur tentative d'opposer dans la définition du centrisme les "termes politiques" aux "termes de comportement" démontre qu'ils n'ont pas compris une des bases du marxisme : dans le combat de classe, le comportement est une question éminemment politique. Les hésitations, les vacillations, l'indécision, l'esprit de conciliation, le manque de fermeté dont peut faire preuve dans ce combat la classe ouvrière ou son organisation révolutionnaire, ne sont nullement réductibles à de la "psychologie", mais sont des données politiques qui témoignent de capitulations ou de faiblesses face à la pression de l'idéologie bourgeoise et face à l'ampleur, sans précédent dans l'histoire, des taches qui attendent le prolétariat. Les marxistes ont toujours posé le problème en ces termes. C'est ainsi que Rosa Luxemburg, dans sa polémique contre l'opportunisme, pouvait écrire : "Le petit jeu politique de 1'équilibre qui se traduit par les formules : 'd'une part, d'autre part', 'oui, mais', cher à la bourgeoisie d'aujourd'hui, tout cela trouve son reflet fidèle dans le mode de pensée de Bernstein, et le mode de pensée de Bernstein est le symptôme le plus sensible et le plus sûr de son idéologie bourgeoise". (Réforme ou Révolution).
De même lorsqu'elle se proposait d'expliquer la capitulation honteuse de la social-démocratie le 4 août 1914, elle invoquait, à côté des "causes objectives", "la faiblesse de notre volonté de lutte, de notre courage, de notre conviction" (La crise de la Social-Démocratie).
C'est pour cela également que Bordiga définissait le parti révolutionnaire comme "un programme et une volonté d'action" et que la plateforme du CCI caractérise les révolutionnaires comme "les éléments les plus déterminés et combatifs dans les luttes de la classe" (point 17b.).
3°. L'idée que l'opportunisme et le centrisme sont des menaces constantes pour les organisations révolutionnaires, et non spécifiques de la période ascendante du capitalisme, n'est nullement une "nouvelle orientation" du CCI comme l'écrit la camarade JA dans son article. C'était au contraire un acquis de l'organisation qu'on retrouve non seulement dans de nombreux articles de notre presse, mais également dans des prises de position officielles du CCI telles que la Résolution adoptée par le CCI à son 2ème Congrès sur "les groupes politiques prolétariens" où l'on peut lire : "toute erreur ou précipitation en ce domaine (les critères définissant la nature de classe d'une organisation)... porte en germe des déviations de caractère soit opportuniste, soit sectaire qui seraient des menaces pour la vie même du courant" de même que "(les fractions communistes qui peuvent apparaître comme réaction à un processus de dégénérescence des organisations prolétariennes) se basent non sur une rupture, mais sur une continuité du programme révolutionnaire précisément menacé par le cours opportuniste de 1'organisation". (Revue Internationale n°ll).
Ces notions étaient également des acquis pour la camarade JA elle-même lorsqu'elle écrivait dans la Revue Internationale n°36 (à propos de la démarche de "Battaglia Comunista") : "Au début des années 20, la majorité centriste de l'Internationale Communiste, les Bolcheviks en tête, préfère éliminer la Gauche pour s'allier à la Droite (Indépendants en Allemagne, etc...). Si 1'histoire se répète en farce, 1'opportunisme reste, lui, toujours le même". (Réponse aux réponses). On ne saurait être plus clair. Il faut donc constater qu'en plus d'être myopes et un peu distraits les camarades de la minorité ont aussi la mémoire courte…. et pas mal de culot.
4°. Toute l'insistance des camarades de la minorité sur la question de la nature de classe de l'USPD (insistance qu'on retrouve dans l'article de JA alors que ce n'est pas son sujet) n'est en fait qu'une diversion. Même si on considérait que l'USPD était une organisation bourgeoise (comme cela a été écrit à tort il y a dix ans dans la Revue Internationale, ce que la camarade JA se plaît à rappeler) cela ne remettrait nullement en cause l'idée que l'opportunisme et le centrisme sont aujourd'hui encore des dangers pour les organisations prolétariennes, sont "toujours les mêmes" comme le disait si bien JA il y a un an et demi.
L'hétérogénéité des critiques aux orientations du CCI
Outre les remarques qui précèdent, il faut signaler que les différentes objections soulevées contre les orientations du CCI ne provenaient pas des mêmes camarades, lesquels pendant près d'une année ont défendu dans l'organisation des positions divergentes.
C'est ainsi que, parmi les camarades de la minorité, certains ont voté contre le point 7 de la résolution de janvier 84, d'autres ont voté pour avec réserves et d'autres pour sans réserves tout en rejetant explicitement les arguments des "réservistes". De même, la thèse de l'inexistence des phénomènes de l'opportunisme et du centrisme dans la période de décadence du capitalisme n'a été défendue pendant longtemps que par certains camarades minoritaires (en fait, ceux qui, par ailleurs, étaient d'accord avec le point 7), alors que les autres considéraient que l'opportunisme et le centrisme :
- soit n'ont jamais été des maladies des organisations prolétariennes mais des expressions directes de la bourgeoisie (à l'image des bordiguistes qui qualifient "d'opportunistes" des organisations bourgeoises comme les PS et les PC) ;
- soit ils peuvent exister (et se sont déjà manifestés) dans le CCI, mais pas à l'égard du conseillisme.
Encore faut-il préciser que ces différentes positions n'étaient pas forcément défendues par des camarades différents, certains les défendant successivement même simultanément (!). Enfin, la position sur le danger de conseillisme telle qu'elle est exprimée dans le texte de JA n'était pas non plus celle de la totalité des camarades minoritaires pendant très longtemps.
Une "tendance" sans bases cohérentes
Jusqu'à la fin de l'année 84, cette hétérogénéité entre les positions des différents camarades minoritaires s'est exprimée dans le débat et était d'ailleurs reconnue par ces camarades eux-mêmes. Aussi, la constitution d'une "tendance" au début 85 par ces mêmes camarades fut-elle une surprise pour le CCI. Aujourd'hui, ces camarades affirment partager une même analyse sur les trois questions principales ayant provoqué des désaccords depuis janvier 84 :
- le point 7 de la résolution;
- le danger de conseillisme;
- la menace de l'opportunisme et du centrisme dans les organisations prolétariennes,
Ce que la camarade JA exprime en ces termes :
" C'est au moment des "réserves" sur cette formulation du point 7 que s'est introduite dans l'organisation la nouvelle orientation du "conseillisme, le plus grand danger", du "centrisme par rapport au conseillisme" et du centrisme appliqué à 1'histoire du mouvement ouvrier dans la période de décadence. La minorité actuelle qui se constitue en tendance se situe contre 1'ensemble de cette nouvelle orientation, considérant qu'elle pose le danger d'une régression dans notre armement théorique".
Pour sa part, le CCI considère qu'il ne s'agit pas là d'une véritable tendance présentant une orientation alternative positive à celle de l'organisation, mais d'un rassemblement de camarades dont le véritable ciment n'est ni la cohérence de leurs positions, ni une profonde conviction de ces positions, mais une démarche contre les orientations du CCI dans son combat contre le conseillisme comme cela transparaît d'ailleurs dans le passage du texte de J.A qui précède.
Cependant, si le CCI estime que la constitution de la "tendance" n'est pas autre chose que la poursuite de la politique d'escamotage dans laquelle se sont laissé entraîner depuis un an les camarades en désaccord, il ne leur accorde pas moins les droits d'une tendance - qui sont reconnus par nos principes d'organisation tels qu'ils sont énoncés, par exemple, dans le "Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires" (Revue Internationale N° 33). Les camarades minoritaires pensent qu'ils sont une tendance ; le CCI pense le contraire mais préfère convaincre ces camarades de leur erreur plutôt que de les empêcher de fonctionner comme une tendance. Par contre, il est de la responsabilité du CCI de dire claire-, ment, comme il est fait dans cet article, ce qu'il pense de la démarche de ces camarades de même que de l'article de J.A qui constitue une illustration de cette démarche.
L'ARTICLE DE LA CAMARADE J.A : UNE ILLUSTRATION DE LA DEMARCHE DES CAMARADES MINORITAIRES
Nous avons vu que les glissements centristes vers le conseillisme des camarades en désaccord s'étaient traduits tout au long du débat par une tendance de la part de ces camarades à escamoter les véritables problèmes en discussion. C'est encore cette démarche qu'emploie le texte de la camarade J.A lorsqu'il se propose de répondre à l'article de la Revue Internationale N° 40 et à l'analyse du CCI sur le "danger du conseillisme". Nous ne pouvons citer ici tous les exemples de cette démarche : cela risquerait d'être fastidieux. Nous nous contenterons d'en signaler un certain nombre parmi les plus significatifs.
La prétendue "politique du moindre mal" du CCI
Le titre, ainsi que divers passages de l'article de J.A suggèrent ou même affirment nettement que l'analyse du CCI relèverait d'une "politique du moindre mal" :
" Toute la problématique de choisir entre "sous" et "sur"-estimer la parti, toute la politique du moindre mal que le CCI a toujours rejetée au niveau théorique, il l'introduit aujourd'hui au niveau pratique sous couvert de vouloir donner une perspective "concrète" à la classe : il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une 'perspective'!". (Revue Internationale N° 41, page 29).
Nous sommes obligés de dire que soit la camarade J.A ne sait pas de quoi elle parle, soit elle falsifie de façon délibérée et proprement inadmissible nos positions.
La "politique du moindre mal" consiste, comme son nom l'indique, à choisir un mal contre un autre. Elle s'est particulièrement illustrée dans les années 30, de la part du trotskysme notamment, par un choix entre deux maux capitalistes, la démocratie bourgeoise et le fascisme, au bénéfice de cette première. Elle conduisait à appeler les ouvriers à privilégier la lutte contre le fascisme au détriment des autres aspects de la lutte contre l'Etat capitaliste. Elle emboutissait à soutenir (quand ce n'était pas à y participer directement) l'embrigadement des ouvriers dans un camp de la guerre impérialiste. En politique les mots ont le sens que leur a conféré l'histoire : l'essence de la "politique du moindre mal" telle qu'elle s'est illustrée dans l'histoire, c'est la soumission des intérêts du prolétariat aux intérêts d'un secteur capitaliste et donc à l'ensemble du capitalisme. Utiliser cette notion à propos des positions du CCI, c'est suggérer que le CCI est engagé sur le même chemin que celui qui a conduit, par exemple, le trotskysme dans le camp bourgeois. Nous osons espérer que c'est plus par ignorance que de propos délibéré que la camarade J.A s'est laissée aller à substituer à l'argument polémique la simple insulte gratuite, bien qu'on puisse penser le contraire lorsqu'elle écrit que "quand une organisation introduit le raisonnement du moindre mal, elle ne dit jamais explicitement qu'il faut tordre les principes. C'est plutôt une logique d'engrenage". Mais même si c'est par ignorance, celle-ci n'est pas plus "un argument"aujourd'hui que du temps de Marx.
Pour ce qui est de la façon dont le CCI pose le problème, il est clair qu'en aucune façon il n'appelle à choisir entre le mal conseilliste et le mal substitutionniste : l'un et l'autre constituent, s'ils ne sont pas dépassés par le prolétariat, des dangers mortels pour la révolution.
La question qui est posée par le CCI n'est donc pas : "lequel est préférable à l'autre ?", mais bien "lequel exercera le plus d'influence dans la période à venir ?" de façon à ce que l'organisation et l'ensemble de la classe soient les mieux armés possible face aux embûches qui vont se présenter. Lorsqu'on se promène, on peut par exemple être mordu par un serpent venimeux ou écrasé par une voiture. Les deux dangers sont mortels et doivent être évités avec une égale méfiance. Cependant, tout être sensé cheminant dans un sentier de forêt portera son attention sur le premier danger sans que cela veuille dire qu'il "préfère" être écrasé par une voiture. Cette image, déjà employée dans le débat interne a du paraître trop"simpliste" à la camarade JA. Elle préfère attribuer au CCI des positions qui ne sont pas les siennes : c'est évidemment plus facile pour les combattre mais cela ne fait pas avancer d'un pouce le débat, sinon en mettant en évidence l'indigence des arguments des camarades de la "tendance" et leur propension à escamoter les vraies questions.
"Le plus grand danger, c'est la bourgeoisie".
"La divergence ne porte pas sur le danger du conseillisme mais... sur la nouvelle théorie unilatérale du conseillisme le plus grand danger parce qu'elle s'accompagne d'un rabaissement du substitutionnisme au niveau du "moins grand danger"; parce qu'elle détourne 1'attention du véritable danger essentiel pour le prolétariat que représente 1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière (les partis de gauche, les gauchistes, le syndicalisme de base et tout le mécanisme de la récupération capitaliste à l'époque du capitalisme d'Etat) pour se focaliser sur de prétendues tares conseillistes du "prolétariat des pays avancés" (Idem, p.28) "Cette théorie détourne 1'attention du véritable danger essentiel pour la classe ouvrière -1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière- et ne fait qu'émousser dans la confusion notre critique du substitutionnisme présenté comme le 'moindre mal'".
Comme on peut le voir, la question du "moindre mal" n'est pas la seule à faire l'objet d'une falsification des positions du CCI. La camarade JA fait également dire au CCI que le conseillisme serait le plus grand danger menaçant la classe ouvrière. Elle fait ainsi la preuve soit de sa mauvaise foi, soit de son incompréhension de la différence entre un superlatif et un comparatif ce qui est pourtant du programme de l'école primaire. Dire que le conseillisme est dans la période actuelle et à venir un plus grand danger pour la classe ouvrière que le substitutionnisme est toute autre chose que dire que le conseillisme est le plus grand danger, dans l'absolu. D'ailleurs, avec le même manque élémentaire de rigueur, JA nous fait "rabaisser le substitutionnisme au niveau du 'moins grand danger'". Vaut-il la peine d'expliquer à la camarade JA que si, dans un groupe on constate que "Pierre est le plus grand" ou que "Pierre est plus grand que Paul", cela ne veut pas dire nécessairement que Paul soit le plus petit, à moins que le groupe soit réduit à ces deux éléments ce qui, dans la question débattue voudrait dire que le CCI ne voit pour la classe ouvrière que deux dangers : celui de conseillisme et celui de substitutionnisme. La camarade JA ne va pas jusqu'à affirmer une telle absurdité mais c'est pourtant l'accusation implicite qui est contenue dans sa lourde insistance sur le "véritable danger essentiel pour le prolétariat: 1'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière". Franchement, si c'était pour nous apprendre que le plus grand danger qui menace le prolétariat vient de la classe ennemie et de son Etat, ce n'était pas la peine que la camarade JA se donne la peine d'écrire son article : nous le savions déjà. Et là encore le débat n'a pas beaucoup avancé sinon en faisant apparaître qu'en plus de la falsification des positions du CCI, il existe un autre moyen d'escamoter les vrais problèmes : enfoncer des portes ouvertes.
La caricature comme moyen de ne pas débattre sur le fond
Pour escamoter les vraies questions, il n'est pas toujours nécessaire d'enfoncer des portes ouvertes ou de falsifier les positions qu'on prétend combattre, on peut également se contenter de les caricaturer. La camarade JA ne s'en prive pas. Ainsi, l'article de la Revue n°40 sur "le danger du conseillisme" décrit dans sa partie sur "conditions d'apparition et caractéristiques du conseillisme", comment le conseillisme a gangrené la gauche allemande en la faisant glisser vers le rejet du centralisme, le localisme, un néo-syndicalisme révolutionnaire, l'usinisme, l'ouvriérisme, l'individualisme. Il montre que si ce ne sont pas des caractéristiques spécifiques du conseillisme, celui-ci est amené à tomber dans ce genre de pièges à travers tout un processus, un enchaînement logique, qui part de la négation ou de la sous-estimation du rôle du parti révolutionnaire. De même, il essaye de mettre en évidence comment dans la période qui suit 1968, le poids du conseillisme a conduit beaucoup de groupes à sombrer dans le modernisme, 1'immédiatisme et l'activisme, notamment comme expression de la pression de l'idéologie de la petite bourgeoisie révoltée.
Lorsque la camarade JA se propose de nous dire ce qu'elle a compris de cette argumentation, elle nous démontre soit qu'elle ne l'a pas compris, soit qu'elle ne s'est pas donné la peine de la comprendre. Qu'on en juge :
"En quoi consisteraient ces 'réflexes conseillistes' de la montée de la lutte de classe, comment on les reconnaît ? Selon 1'article, ils sont l'ouvriérisme, le localisme, le suivisme, le modernisme, l'apolitisme des ouvriers, la petite-bourgeoisie, 1'immédiatisme, l'activisme et l'indécision. En somme, tous les maux de la terre le conseillisme serait à lui tout seul le mal permanent du mouvement ouvrier !
Puisque toutes les faiblesses subjectives de la classe ouvrière deviennent, par ce jeu de définitions, 'des réflexes conseillistes', le remède est... le parti. En d'autres termes, le CCI, le milieu politique prolétarien et la classe ouvrière toute entière se protégeront contre 1'immédiatisme, la petite bourgeoisie, 1'hésitation, etc... En reconnaissant dès à présent le danger n°l de 'sous-estimer', 'minimiser' le parti".
Il suffira au lecteur de relire l'article de la Revue n°40 pour constater que ce qui y est décrit comme un processus dont on met en évidence le lien de causalité qui enchaîne les différentes étapes n'a rien à voir avec la photographie chaotique présentée par la camarade JA. Cette façon de caricaturer les positions du CCI est peut-être efficace pour convaincre celui qui est déjà convaincu ou celui pour qui une pensée rigoureuse est un carcan intolérable. Elle n'est pas par contre très efficace pour clarifier le véritable débat.
Pour conclure cette partie, on peut préciser à l'intention de la camarade JA et de l'ensemble des camarades de la "tendance" que la brochure du CCI "Organisations communistes et conscience de classe", dont ces camarades ne cessent de se réclamer, mérite les mêmes reproches que fait l'article de JA à l'article sur "le danger du conseillisme", notamment lorsqu'elle affirme (p.54) :
"Il est logique que cette conception immédiatiste de la conscience de classe conduise les conseillistes à verser dans 1'ouvriérisme et le localisme…."
"Mais poussée à ses ultimes conséquences, 1'apologie que les conseillistes font de la lutte strictement économique du prolétariat aboutit à 1 'autodissolution pure et simple de toute organisation révolutionnaire".
Les non réponses de la camarade JA
Les différentes techniques d'escamotage du débat qu'on vient de voir (et qui sont beaucoup plus amplement utilisées dans l'article de JA que ce que nous en signalons ici) sont complétées par la technique la plus simple qui soit : on ignore purement et simplement les arguments les plus importants de l'analyse qu'on prétend combattre. C'est ainsi que les arguments suivants du texte sur "le danger du conseillisme" ne trouvent pas le début d'une réponse dans l'article de JA :
- le poids du substitutionnisme par le passé était lié à l'héritage de la conception social-démocrate du parti comme "éducateur" et "représentant ou état-major de la classe" ;
- ces conceptions ont pu prendre pied dans une période de croissance du prolétariat et donc d'immaturité de celui-ci (ce qui est particulièrement net dans les pays plus arriérés avec un prolétariat jeune et faible) ;
- ces conceptions auront beaucoup moins de poids sur le prolétariat après l'expérience de la contre-révolution stalinienne et toute la réflexion théorique de la gauche communiste sur celle-ci et sur le rôle du parti dans la révolution ;
- le fait que la prochaine vague révolutionnaire partira nécessairement des pays avancés, avec le prolétariat le plus ancien et le plus expérimenté affaiblira d'autant le poids du substitutionnisme dans l'ensemble de la classe ouvrière : en ce sens, l'expérience de la révolution en Allemagne entre 1918 et 1923 -avec le poids non du substitutionnisme mais du conseillisme sur les éléments les plus avancés de la classe- est beaucoup plus significatif pour la révolution à venir que l'expérience de la révolution en Russie où le substitutionnisme joua le rôle négatif que l'on sait
- ce poids du conseillisme sera d'autant plus renforcé dans cette révolution qu'elle se fera contre les partis staliniens et socio-démocrates dont la méfiance qu'ils inspirent aux ouvriers se répercutera, et se répercute déjà sous forme d'une méfiance à l'égard de toute organisation politique ;
- y compris celle des révolutionnaires prétendant lutter pour la défense des intérêts prolétariens ;
- la contre-révolution de près d'un demi-siècle subie par la classe ouvrière et la rupture organique qu'elle a provoquée dans ses organisations communistes non seulement conduit un grand nombre d'ouvriers parmi les plus combatifs à ne pas comprendre la nécessité de s'engager dans ces organisations mais est responsable chez les militants de celles-ci d'une énorme difficulté à comprendre toute l'importance de leur rôle, le caractère absolument indispensable du parti révolutionnaire et des organisations qui le préparent, l'énorme responsabilité qui pèse sur leurs épaules, toutes, manifestations de déviations conseillistes.
Le fait que la camarade JA escamote la réponse à cette argumentation (dont seule la trame est ici reproduite) qui est justement centrale dans la défense de l'analyse du CCI est significatif de l'incapacité de la "tendance" à opposer des arguments serieux à cette analyse. Le plus ironique de l'affaire est certainement le fait qu'un des rares arguments sérieux contenus dans le texte de JA, probablement le plus important dans la défense de la position de la "tendance" reste pratiquement inexploité, comme si la camarade JA préférait attaquer une forteresse au lance pierre alors qu'elle dispose quand même d'un canon (même s'il est de calibre insuffisant).
Un argument sérieux
On a l'impression que c'est presque par mégarde que la phrase suivante se trouve dans le texte de JA :
"En réduisant le substitutionnisme, expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classes, à une quantité négligeable, la nouvelle théorie arrive à une minimisation du danger de 1'Etat capitaliste, son appareil politique et le mécanisme de son fonctionnement idéologique".
Laissons de côté la façon cavalière (affectionnée par JA) dont est évoquée la "quantité négligeable" que serait pour le CCI le substitutionnisme. Ce n'est évidemment pas une position du CCI. Le fait est que le substitutionnisme est incontestablement une "expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classe". En ce sens, on peut être amené à en conclure que puisque des millénaires de société de classe imprègnent toute la société y compris la classe révolutionnaire, celle-ci aura les plus grandes difficultés à se débarrasser du poids idéologique lié à la division hiérarchique du travail qui a prévalu depuis ces millénaires et notamment sous la forme du substitutionnisme. En fait, cela a été particulièrement valable dans le passé où le substitutionnisme qui s'exprimait notamment dans les sectes babouvistes ou blanquistes résultait directement de l'influence du schéma de la révolution bourgeoise où c'est nécessairement un parti qui prend le pouvoir (par exemple, les jacobins) pour le compte de l'ensemble de sa classe. Ce modèle de la révolution bourgeoise a continué d'exercer une influence très forte dans la classe ouvrière -qui tendait à y voir le seul modèle possible de la révolution- tant qu'elle ne s'est pas engagée elle-même dans des combats massifs contre le capitalisme et dans des tentatives révolutionnaires. Mais l'accumulation de ces expériences positives et négatives (comme la dégénérescence de la révolution d'une part et d'autre part l'éloignement dans le temps des révolutions bourgeoises en Russie) ont permis au prolétariat de se dégager progressivement de ce poids du passé. Cela veut-il dire que le substitutionnisme ne peut plus menacer la classe ouvrière ou ses organisations politiques ? Il est évident que non et le CCI, comme on peut le constater dans l'article de la Revue n°40, a toujours été clair là-dessus. La question posée est plutôt : suivant quelles modalités, avec quel impact ce poids continuera-t-il à peser ? En ce sens, dans "Le 18 Brumaire", Marx nous donne une clé lorsqu'il montre que si les révolutions bourgeoises s'habillaient nécessairement des oripeaux du passé, "ce poids des générations mortes qui pèse sur le cerveau des vivants" tendra à s'amenuiser avec la révolution prolétarienne "qui tire sa poésie de 1'avenir". La révolution prolétarienne ne pourra avoir lieu que sur la base d'une rupture radicale avec des siècles de domination de l'exploitation capitaliste, des millénaires de division de la société en classes et en ayant en vue la société communiste ("la poésie de l'avenir") ce qui comporte en particulier la nécessaire rupture avec le substitutionnisme. Par contre un élément pèsera très longtemps sur le prolétariat, comme il a déjà pesé considérablement dans le passé, un élément qui, s'il est exploité et activé en permanence par l'idéologie bourgeoise résulte d'une caractéristique propre de la classe ouvrière qu'elle ne partage avec aucune des autres classes révolutionnaires du passé. C'est le fait que le prolétariat est la seule classe de l'histoire qui soit à la fois, classe révolutionnaire et classe exploitée. Cet élément a pesé sous forme d'une difficulté très grande pour la classe -et pour sa minorité révolutionnaire- à faire la relation entre ces deux aspects de son être, une relation qui ne soit ni une identité ni non plus une séparation. Ce qu'exprime en bonne partie le conseillisme par son rejet du rôle des organisations communistes, c'est une difficulté à concevoir le prolétariat comme classe au devenir révolutionnaire -dont l'existence de ces organisations est justement une des manifestations. C'est pour cela que le conseillisme en arrive à rejoindre l'anarcho-syndicalisme chez qui les organes de lutte du prolétariat comme classe exploitée- les syndicats- devaient être les organes de gestion de la future société. C'est pour cela que le conseillisme sombre inéluctablement dans l'économisme ou l'usinisme qui expriment cette incapacité de concevoir la lutte du prolétariat comme autre chose qu'une lutte tristement limitée aux lieux de travail où les ouvriers sont exploités et qui tournent le dos à une vision générale, sociale, mondiale, politique du processus révolutionnaire.
Ainsi, lorsqu'on essaie d'examiner les difficultés auxquelles sera confrontée la classe ouvrière dans son chemin vers la révolution, il importe de prendre en compte 1'ensemble et non seulement certains des éléments historiques qui déterminent et détermineront ces difficultés. Sinon, la perspective que l'on dégage est faussée et de bien piètre utilité pour les combats qui attendent le prolétariat. Encore, faut-il évidemment estimer qu'une telle perspective présente une utilité pour ces combats et ne pas tomber dans la vision de C.W.O (Battaglia Comunista) pour qui l'analyse du cours historique (vers la guerre mondiale ou vers des affrontements de classe généralisés) n'est d'aucun intérêt. C'est ce que semble contester la camarade JA lorsqu'elle ironise : "il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionnisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une perspective". Ce qu'elle propose en somme, c'est : pas de perspective !
LE FOND DE LA DEMARCHE DE J.A. : LES GLISSEMENTS CONSEILLISTES
En réalité, de façon contradictoire (puisque vers la fin de son texte elle semble dire que ni le substitutionnisme ni le conseillisme ne seront un danger suite à la faillite après 1968 des courants se réclamant de la gauche italienne et de la gauche allemande) ce qui ressort au fond de l'argumentation de JA, c'est que le substitutionnisme est un bien plus grand danger que le conseillisme.
C'est pour cela qu'elle s'applique longuement dans son texte à identifier substitutionnisme et gauchisme, substitutionnisme et contre-révolution alors que l'article de la Revue n°40 montrait justement que le substitutionnisme est une "erreur mortelle" certes, mais concerne le rapport entre la classe et ses propres organisations et non celle de la bourgeoisie.
C'est pour cela qu'elle écrit : "on escamote de plus en plus le fait que donner un rôle bourgeois au Parti ne défend pas mieux son rôle indispensable que de rejeter toute notion de parti : les deux conceptions, aussi bien 1'une que 1'autre, nient la fonction réelle du parti". Alors qu'en réalité, le débat sur le rôle du parti se situait depuis le siècle dernier au sein du marxisme qui a toujours défendu la nécessité d'un parti révolutionnaire alors que le rejet de tout parti est extérieur au marxisme et trouve ses premiers défenseurs chez les anarchistes. Pour être en mesure de dire que le rôle du parti n'est pas de prendre le pouvoir, il faut d'abord reconnaître qu'il a un rôle.
En fin de compte, ce qu'aspire à démontrer la thèse de la "tendance" défendue par JA dans son article, même si elle ne le dit pas ouvertement, c'est qu'il n'existe aucune menace de conseillisme notamment dans les organisations révolutionnaires, et plus particulièrement dans le CCI. Comme cela, les camarades de la "tendance" peuvent être tranquilles : ils ne peuvent en aucune façon être victimes de glissements vers le conseillisme et le CCI ne fait que combattre des "moulins à vent".
Pour la "tendance", il n'y a pas de réel danger de conseillisme. Pour le CCI, ce danger est une menace réelle. La preuve : la démarche de la "tendance".
F.M.