Où en est la crise économique? : L’entrée dans la récession

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L'année 1984 s'est terminée en fanfare pour la capi­talisme américain avec la réélection de Reagan à la présidence des Etats-Unis. Pendant toute sa campagne électorale, celui-ci a pu se targuer d'avoir vaincu la crise économique, d'avoir vaincu l'inflation revenue à 3,2 % en 1984, d'avoir résorbé le chômage en le ra­menant de 9,6 % en 83 à 7,3 % en 84, d'avoir revi­talisé la production avec un taux de croissance record de 6,8 % toujours en 84, et enfin d'avoir restauré la suprématie du roi-dollar dont le cours a culminé a clés sommets jamais atteints. On a ainsi vu s'orchestrer une grande messe à la gloire du capitalisme américain, à sa puissance, à sa santé, pour faire croi­re qu'enfin, après des années d'échec, la politique économique du matamore Reagan, les fameuses "Reaganomics" étaient la solution enfin trouvée à la crise économique mondiale qui, depuis deux décennies, fait de plus en plus gravement sentir ses effets sur l'économie  planétaire.

Le capitalisme américain est puissant, nul ne peut le nier : pas simplement par la puissance de ses armes, mais surtout par la puissance de son économie qui contrôle la plus grande partie de l'économie mondiale. Les USA sont le premier producteur qui fournit 20 à 23 % du total de la production mondiale ; ils sont aussi  le premier marché, la principale puissance financière dont la monnaie s'est imposée aux capitalistes du monde entier et avec laquelle se font 80 % des échanges mondiaux, et qui en 1982 constituait 11% des réserves de devises des grandes banques centrales des pays industrialisés. L'ensemble de l'économie mon­diale dépend de la bonne santé du capitalisme améri­cain, et si le capitalisme américain est puissant, par contre il est en mauvaise santé, et l'économie mon­diale avec  lui.

L'euphorie électorale passée, plus question de taux de croissance record du PNB pour 1983. Le ton a chan­gé à Washington, le nouveau mot d'ordre de l'adminis­tration Reagan est : "il faut que l'économie américai­ne atterrisse en douceur." Dans la mesure où un "at­terrissage" de l'économie américaine signifie un "atterrissage" de l'économie mondiale, et que nous sommes tous les passagers de cet avion là, on ne peut que se demander ce que signifie cette annonce du pilote.

Pour quelles raisons faut-il atterrir?

Si l'économie américaine se porte si bien que l'a pré­tendu Reagan, pourquoi faut-il qu'elle atterrisse main­tenant ? Les effets de la reprise américaine se sont à peine fait sentir sur l'économie  européenne (Voir Tableau 1), alors  que  les pays sous-développés ont conti­nué à voir leur économie s'effondrer systématiquement.

La reprise américaine n'a pas été une reprise mon­diale, elle aura été brève ; c'est en fait une reprise avortée.

Cette situation montre, par rapport aux années 70, une très forte dégradation de l'économie mondiale. Les USA sont aujourd'hui incapables de répéter ce qu'ils avaient pu faire dans le passé : relancer provisoirement l'économie mondiale, jouer le rôle de loco­motive. Aucune politique économique ne peut aujour­d'hui permettre au capitalisme de masquer longtemps ses contradictions. La reprise américaine n'a pu se faire que par un endettement pharamineux des USA dont la dette publique dépasse aujourd'hui les 1500 milliards de dollars, et la dette cumulée de l'Etat, des entreprises et des ménages, le chiffre astronomi­que de 6000 milliards de dollars (2 fois le PNB annuel des USA), tandis qu'en 1985 les investissements étran­gers aux USA deviennent supérieurs aux avoirs améri­cains à l'étranger, les USA devenant ainsi débiteurs vis-à-vis du reste du monde. (Voir Revue Internationale n°41, "Dollar : le roi est nu"). Mais même les déficits budgétaires et commerciaux gigantesques accumu­lés par les USA ne sont pas suffisants pour résorber le trop-plein de surproduction de l'économie mondiale. Et cette politique, les USA ne peuvent continuer à la mener sans risquer rapidement une crise monétaire catastrophique autour du dollar. Il faut atterrir d'ur­gence, les USA ne peuvent maintenir leur taux de croissance, ils ne peuvent continuer à s'autoriser de tels déficits budgétaires et commerciaux. L'avion n'a plus beaucoup de carburant et ses moteurs fonction­nent mal.

UN SEUL TERRAIN  D'ATTERRISSAGE : LA RECESSION MONDIALE

Dans la situation de marasme dans laquelle se trouve l'économie mondiale, une chute ou un arrêt de la croissance aux USA ne peut signifier qu'une plongée dans une récession mondiale profonde et durable : les pays sous-développés se sont toutes ces années enfon­cés dans la récession sans issue pour en sortir. L'Eu­rope et le Japon n'ont pu maintenir une croissance tout à fait relative que par l'ouverture du marché américain ; si celui-ci se contracte, ils seront les premiers touchés et menacés de voir leurs exporta­tions, et donc leur production s'effondrer.

L'atterrissage dont nous parle le pilote va se faire sur un terrain en pente, sur la pente de la récession. Lors de la précédente récession, la production améri­caine avait chuté de 11 % entre1981et 1982. Mais le pilote se veut rassurant, il nous annonce un "atter­rissage en douceur".


 

Un atterrissage en douceur?

"Tout va bien" nous dit-on, mais les passagers com­mencent à être inquiets. Ces derniers mois ont vu le dollar jouer au yoyo, varier de plus de 10 % en quel­ques mois ; les faillites bancaires aux USA se sont multipliées et, comme en 1929, les épargnants pani­ques ont fait la queue devant les guichets fermés. Le temps est à la tourmente, l'avion est secoué. Pour le premier trimestre 85, les économistes de Washington prévoyaient un taux de croissance en bais­se à 3 %. Après de constantes évaluations en baisse - 2,8 %, 2,1 %, 1,6 % - le gouvernement américain a du annoncer en mai un taux de croissance de 0,7 % pour le 1er trimestre 85, en rythme annuel. Le pilote navigue à vue, il ne sait trop où il va.

De plus, on ne peut qu'avoir quelques doutes sur sa capacité à piloter. L'échec de la reprise à la Reagan marque l'impuissance de la bourgeoisie face à la crise économique mondiale de surproduction. Les recettes de Reagan, malgré toute sa propagande, ne sont pas nouvelles, ce sont celles du capitalisme d'Etat : ré­duction des impôts pour relancer la consommation in­térieure, grands programmes d'armement pour relancer l'industrie (195 milliards de dollars en 83, 184 en 84). Pour atténuer les secousses de la crise économique, pour empêcher l'effondrement de pans entiers de la production, l'Etat présidé par Reagan est obligé, com­me tous les autres, d'intervenir de plus en plus fré­quemment et de contrôler de plus en plus étroitement les processus économiques (Voir Tableau 2). Contraire­ment à tous ses discours, Reagan a quasi nationalisé la Continental Illinois en faillite, et subventionné l'agriculture américaine avec un budget de 2 milliards de dollars. Mais ces recettes éprouvées depuis 40 ans ne suffisent plus pour éviter la récession, l'effondre­ment de l'économie mondiale.

 Reagan veut un "atterrissage en douceur", mais cette "douceur" signifie pour le prolétariat 5u monde entier encore plus de misère, encore plus de chômage. Dans la situation de combativité de la classe ouvrière au­jourd'hui, avec l'aggravation de la situation économi­que, la situation sociale va devenir explosive. On com­prend dans ces conditions que la bourgeoisie freine le plus possible cette plongée dans la récession, qu'elle veuille cet "atterrissage en douceur". Mais comment y parvenir ? La question qui se pose aux économistes du monde entier, ce n'est plus : comment sortir de la crise ; mais : comment y plonger le plus doucement possible.

Aujourd'hui, Reagan fait appel à ses alliés européens et japonais pour qu'ils relancent leur économie afin de contrebalancer les effets de la baisse de croissance américaine sur l'économie mondiale. Mais cette mesu­re ne peut être qu'un palliatif provisoire de plus, car c'est tout ce qui reste au capitalisme mondial ; frei­ner de toutes ses forces l'arrivée de l'inéluctable, la plongée accélérée dans une récession comme l'humani­té n'en a pas encore connue.

Freiner la récession revient pour tous les Etats à s'endetter encore plus. Une telle politique, conjuguée avec la récession qui jette les ouvriers au chômage, plonge les entreprises dans la faillite, met les Etats en cessation de paiement, ne peut mener qu'à une ex­plosion de l'inflation. Aujourd'hui, cette inflation continue à faire des ravages à la périphérie du capitalis­me, dans les pays les moins développés, et ces  derniers mois ont vu dans les pays les plus développés, qui croyaient l'avoir jugulé, son taux remonter : ainsi aux USA, si en 1984 l'inflation a été de 3,2 %, d'avril 84 à avril 85, elle a été de 3,7 %.

L"'atterrissage" dans la récession ne peut qu'avoir lieu, mais ils ne se fera pas "en douceur". Nul économiste de la bourgeoisie n'ose prévoir les conséquences de la fin de la reprise aux USA. Elles sont catastro­phiques : chômage, misère, faillites, inflation. Mais si elles sont catastrophiques pour l'économie capitaliste, c'est d'abord sur le plan politique : l'aggravation des conditions de vie qui en découle pour la classe ouvriè­re ne peut que signifier une accentuation de la reprise de la lutte de classe qui se développe depuis l'autom­ne 83. Avec l'effondrement de l'économie capitaliste, c'est, vu la combativité actuelle du prolétariat, la perspective révolutionnaire qui s'annonce comme seule alternative réelle.

JJ. 9/6/85.

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