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A l'époque de l'informatique, des communications par satellites, l'information circule à la vitesse de là lumière autour du globe et les échanges font de même. Quelques coups de téléphone et ce sont des milliards de dollars qui s'échangent, ce sont des fortunes qui se font et se défont en quelques minutes. Le dollar poursuit sa sarabande effrénée autour de la planète dans un mouvement incessant : de New York à Chicago, de Chicago à Tokyo, de Tokyo à Hong-Kong, à Zurich, Paris, Londres chaque place financière prend le relais de l'autre pour maintenir le mouvement incessant des capitaux.
LA MONTEE DE LA SPECULATION
Le dollar est la monnaie mondiale par excellence ; plus de 80 % des échanges mondiaux se font en dollars. La variation des cours du dollar affecte l'ensemble de l'économie mondiale. Et le cours du dollar est tout sauf stable : durant les mois de janvier et février 1985, le dollar a poursuivi son ascension fulgurante, grimpant par rapport au franc français de 10 centimes par semaine d'abord, et accélérant son mouvement de 10 centimes par jour ensuite. Le 27 février, après les déclarations alarmistes de Volcker, président de la Banque Fédérale américaine, et l'intervention des grandes banques centrales, c'est la dégringolade. En quelques minutes le dollar passe par rapport au franc français de 10,61 F à 10,10 pour remonter à 10,20 F : 40 centimes de perdus vis-à-vis du franc, 5 % de dévalorisation vis-à-vis du Deutsch Mark. C'est ainsi plus de 10 milliards de dollars qui se sont envolés en fumée sur le marché mondial. Déjà en septembre 1984, le dollar avait en une journée perdu 40 centimes, mais cela ne l'avait pas empêché de reprendre son ascension par la suite sous la pression de la spéculation internationale.
POURQUOI LE DOLLAR GRIMPE-T-IL ?
Les économistes y perdent leur latin. Ainsi, Otto Piehl, gouverneur de la Banque Centrale de R.F.A., lors d'un symposium qui réunissait le gratin de la finance internationale, ironise : "Le dollar est miraculeux et sur ce point notre vision est confuse, mais après la discussion nous serons confus à un niveau supérieur."Voilà qui n'est guère rassurant pour l'économie mondiale.
Qu'y a-t-il donc de si miraculeux dans la "santé" actuelle du dollar par rapport aux autres monnaies ? Simplement que la montée actuelle du cours du dollar ne correspond absolument pas à la réalité économique de la compétitivité du capital américain par rapport à ses concurrents. Le dollar est énormément surévalué.
Dans ce cas, pourquoi une telle spéculation effrénée sur le dollar sur toutes les places financières du monde ? A cela deux raisons essentielles :
1) La politique américaine de déficit budgétaire et commercial crée un énorme besoin de l'économie américaine en dollars pour le combler. Le déficit budgétaire a ainsi atteint 195 milliards de dollars en 1983 et 184 milliards de dollars en 1984 (voir tableau No 3), et le déficit commercial a été de 123,3 milliards de dollars en 1984. Et ce déficit ne se réduit pas comme le montre le tableau No 1 ci-dessous.
Et ce ne sont pas les timides propositions de réduction du déficit budgétaire annoncées par Washington depuis décembre 1984 qui freineront la tendance. Au contraire, cela ne peut que rassurer les spéculateurs et pousser encore plus à la hausse du dollar. Ce qui s'est effectivement produit.
2) Les USA sont la première puissance économique et mondiale. La forteresse du capital international. Devant le ralentissement de la reprise et les risques de la récession qui pointent à l'horizon, les capitaux du monde entier viennent se placer aux USA pour tenter de se préserver du mouvement de reflux qui s'annonce. Le mouvement de spéculation actuel est le signe de 1 ' inquiétude de la finance internationale.
L' ENDETTEMENT : UNE BOMBE A RETARDEMENT PLACEE AU COEUR DE L'ECONOMIE MONDIALE
Pour combler ces déficits, les USA s'endettent. Les USA ne peuvent trop faire marcher la planche à billets de peur de relancer un processus inflationniste incontrôlable ; ils font appel aux capitaux étrangers. Mais comme le dit Volcker, "Les Etats-Unis ne pourront vivre indéfiniment au-dessus de leurs moyens grâce aux capitaux étrangers". En effet, l'endettement actuel est pharamineux.
La dette totale des USA est de 6 000 milliards de dollars. De tels chiffres perdent leur sens, un 6 suivi de 12 zéros, de quoi donner le vertige. Cela représente deux ans de production des USA, six du Japon, dix de l'Allemagne !
La dette publique, avec ses 1 500 milliards de dollars, à elle seule, implique le paiement de près de 100 milliards de dollars d'intérêts en 1984 et ce service de la dette passera à 214 milliards en 1989. A ce rythme les USA vont devenir débiteurs du reste du monde en 1985.
Pour n'importe quel pays sous-développé, une telle situation serait catastrophique. Le FMI interviendrait de toute urgence pour imposer un plan d'austérité draconien. Cela montre à l'évidence que la force actuelle du dollar est une tricherie gigantesque par rapport aux lois économiques. Les USA profitent de leur position de force économique et militaire pour imposer au travers du dollar, leur monnaie nationale mais aussi principale monnaie d'échange internationale, leur loi au monde.
Les lois économiques ne jouent-elles plus leur rôle ? Le dollar échappe-t-il à toutes les règles? Son ascension est-elle inéluctable et inévitable ? Certainement pas. Les politiques de capitalisme d'Etat peuvent repousser l'échéance de la crise par des artifices monétaires, mais cela ne fait que reporter les contradictions à un niveau plus élevé, plus explosif.
Les déclarations de Volcker qui ont provoqué la chute des cours le 27 février sont sans ambiguïté sur ce point. Lui qui, il y a un an, déclarait que l'endettement extérieur était "un pistolet braqué sur le coeur des Etats-Unis", a récidivé en disant que "du fait de la taille du déficit budgétaire, le gonflement des emprunts américains à 1'étranger contient les germes de sa propre destruction" et de préciser à propos de la chute du cours du dollar " Je ne peux prédire quand, mais le scénario est en place".
LA RECESSION SE PROFILE A L'HORIZON
La croissance de l'économie américaine, très soutenue au printemps 1984 s'est ralentie ces derniers mois. Les commandes passées à l'industrie se sont ralenties : août : - 1,7 %, septembre : - 4,3 %, octobre : - 4,1 %, décembre : - 2,1 %. La croissance du P.N.B. qui avait atteint 7,1 % au printemps n'était plus que de 1,9 % au troisième trimestre 1984.
Le déficit américain n'est plus suffisant, malgré son importance, pour maintenir la min ireprise mondiale dont les effets ont d'ailleurs surtout été marquants aux USA alors que l'Europe stagnait. Le spectre de la récession pointe à l'horizon et cette perspective ne peut que remplir les financiers capitalistes d'effroi.
Toutes les grandes banques américaines ont énornément prêté, prêts de dix fois leurs avoirs réels. Comme exemple, prenons simplement l'engagement des principales banques américaines vis-à-vis de cinq pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Venezuela, Maxique, Chili) : Citicorp 174 % de l'avoir des actionnaires, Bank of America 158 %, Chase Manhattan 154 %, Manufacturers Hanover 262 %, Continental Illinois 107 %, etc. Il y a ainsi environ 14 500 banques américaines qui sont dans le même cas ([1]).
La récession, cela signifie des millions d'ouvriers réduits au chômage, des milliers d'entreprises en faillite, des dizaines de pays en situation de cessation de paiement. Autant de secteurs qui ne pourront ainsi rembourser leurs dettes, jettent à leur tour les banques dans la faillite. La faillite de la Continental Illinois n'a pu être comblée que par l'injection de 8 milliards de dollars frais grâce à l'aide des autres banques et de l'Etat américain, mais ce qui se profile à l'horizon ne pourra être résorbé aussi facilement. Ce qui se prépare c'est la banqueroute du système financier international, avec au coeur de cette banqueroute, le dollar.
Une brève récession de six mois seulement ferait passer le déficit fédéral de 200 à 500 milliards de dollars selon une étude de la Chase Econometrics. Devant une telle situation, les USA n'auraient d'autre recours que de combler ce déficit par le recours massif à la planche à billets car les capitaux du monde entier ne suffiraient pas, relançant ainsi la spirale inflationniste galopante que Reagan se targue tant d'avoir vaincue. Une telle situation ne peut que provoquer une panique sur les marchés financiers, amenant un retour de tendance où la spéculation jouerait cette fois contre le dollar, plongeant l'économie mondiale dans les affres d'une récession comme elle n'en a jamais connue et qui se conjuguera avec une hyperinflation.
Voilà le "scénario" dont parle Volcker. C'est un scénario catastrophe. Le gouvernement américain essaie d'utiliser tous les artifices pour reculer cette échéance : suppression des retenues à la source, internationalisation du Yen, appels de Reagan aux Européens afin que ceux-ci s'endettent encore plus pour soutenir l'effort américain et maintenir l'activité économique. Mais tous ces expédients sont insuffisants et la fuite en avant actuelle ne fait que montrer l'impasse du capitalisme mondial et annoncer la catastrophe future.
QUELLES CONSEQUENCES POUR LA CLASSE OUVRIERE ?
La reprise reaganienne s'est essentiellement limitée aux USA où le taux de chômage a diminué de 2,45 %. En 1984, par contre, pour 1'ensemble des pays sous-développés, elle a signifié une plongée dans une misère insondable, une situation de famine comme en Ethiopie, comme au Brési1, tandis qu'en Europe, le relatif maintien de l'économie n'a pas empêché une progression du chômage : 2,25 % en 1984 dans la CEE. Avec le ralentissement de la reprise, ces derniers mois ont vu une relance du chômage : 600 000 chômeurs de plus pour la CEE en janvier 1984, 300 000 pour la seule RFA qui, avec cette progression, bat son record de 1953 avec 2,62 millions de chômeurs. La perspective de la récession implique une explosion du chômage et une plongée dans la misère tiers-mondiste au coeur du capitalisme industriel. La chute complète de l'illusion sur la possible reprise économique va montrer l'impasse du capitalisme à l'ensemble du prolétariat mondial. Posant toujours plus la nécessité de la mise en avant d'une perspective révolutionnaire' comme seul moyen de survie de l'humanité, alors que le capitalisme la mène à sa destruction.
Le capitalisme mondial est dans l'impasse économique, au bord du vide, et la bourgeoisie elle-même commence à s'en rendre compte. Elle est de plus en plus poussée du terrain économique vers le plan militaire dans sa fuite en avant devant la catastrophe économique.
L'essentiel du déficit budgétaire américain sert à financer son effort de guerre où des capitaux gigantesques sont engouffrés et stérilisés (voir tableau 3 page précédente).
En janvier 1985 les commandes de biens durables ont augmenté de 3,8 % aux USA. Mais si on supprime les commandes militaires, c'est en fait à une chute de - 11,5 % des commandes à laquelle on assiste. Derrière la plongée accélérée dans la crise économique ce qui se profile c'est l'exacerbât ion et l'accélération des tensions inter-impérialistes, la fuite en avant de la bourgeoisie vers la guerre.
Le capitalisme n'a plus d'avenir à offrir à l'humanité. Les dernières illusions sur sa capacité de s'en sortir, sur une hypothétique révolution technologique, vont se fracasser contre la réalité de la banqueroute.
Le président Reagan ne restera certainement pas dans l'histoire comme le matamore qui a vaincu la crise, mais comme le président de la plus grande crise économique qu'ait connue le capital.
Le compte à rebours est commencé, la récession est inéluctable. Cette récession va signifier une nouvelle accélération des tensions, un approfondissement des antagonismes de classe. De la capacité du prolétariat à développer ses luttes, à mettre en avant dans celles-ci une perspective révolutionnaire, dépend l'avenir de l'humanité face à la destruction qui la menace. Car le capitalisme va vers la banqueroute et c'est toute l'humanité qu'il risque d'entraîner dans sa propre perte dans un nouvel holocauste mondial.
Le dollar est encore le dollar-roi qui domine toute l'économie mondiale. Mais le roi est nu et cette évidence va bientôt percer tous les rideaux de fumée de la propagande capitaliste.
J.J. ,2/3/85
[1] Institut d’économie internationale de Washington, 1983.