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A la suite d'une erreur technique les Thèses sur la situation au Portugal sont incomplètes. En effet il leur manque l'introduction écrite au moment de leur adoption, le 01/11/75.
INTRODUCTION
Depuis le 21 septembre où ces thèses ont été écrites? L’évolution do la situation au Portugal a confirmé l'analyse qu'elles contiennent.
1° L'incapacité pour le gouvernement Azavedo de faire face à la crise économique? Sociale, politique et militaire traduit l'épuisement? Souligné dans les Thèses, des formules classiques de gestion de l'Etat "bourgeois? D’encadrement et de mystification de la classe ouvrière. Elle rend d'autant plus indispensable la mise sur pied d'une solution prenant pour axe les fractions los plus "gauchistes" de l'année, en particulier celles s'appuyant sur le COPCGH et utilisant les différents organes tels que les Commissions de travailleurs et de quartiers comme instruments d'encadrement de la classe, ouvrière.
2° Le fait que les seuls succès obtenus par le 6ème Gouvernement provisoire se situent sur le plan de 1’obtention d'une aide de la CEE et des USA alors que sur le plan intérieur celui-ci est encore plus inapte que le 5ème à stabiliser la situation, confirme que la crise de l'été soit momentanément et principalement dénouée sur des problèmes de politique étrangère. Le choix du principal protagoniste de l'offensive contre la fraction pro-PC de l'armée, Melo Antunos comme ministre des affaires étrangères n'est pas fait pour démentir cette vision.
L'élément nouveau étant survenu depuis cotte date? Et qui s'inscrit dans la perspective tracée par les thèses, est l'apparition des S.U.V. et des Comités de soldats qui, bien qu'expression de la décomposition de l'ensemble du corps social, ne constituent en rien à l'inverse des Comités de soldats de 1917-19, une manifestation révolutionnaire de classe. Bien au contraire, ces organes sont essentiellement un instrument de "démocratisation" de l'armée devant lui permettre de mieux exercer son rôle de répression contre, la classe ouvrière.
PRESENTATION
Ces thèses ont été écrites le 21 Septembre 1975 et leur introduction ainsi que les points 6 et 8 de la dernière thèse datent du 1e Novembre. Depuis cette date sont intervenus, au Portugal, des événements importants qui semblent, à première vue, démentir totalement la perspective tracée. En effet depuis le 25 Novembre, à la suite d'une mutinerie des parachutistes de Tancos, fraîchement convertis à la politique "gauchiste", on a assisté à une vigoureuse "reprise en main" qui s'est traduite par l'élimination totale des rouages de l'Etat de la fraction qui est présentée dans les thèses comme la plus apte à diriger la défense du capital national portugais : la fraction COPCON-CARVALLO. En fait, le limogeage de Carvallo, Fabiao, Cdutinho, l'arrestation de Dinis, de Almeda etc., signifient que l'extrême gauche a perdu ce qui constituait son point fort : le contrôlé des forces de répression et d'intervention. Bien que le sixième gouvernement reste pratiquement inchangé, c'est la droite, qui gouverne maintenant au Portugal dans la mesure où, dans ce pays, c'est l'armée qui exerce l'essentiel du pouvoir. Le fait que ce soient des corps d'extrême droite comme les commandos d'Amadora et la Garde Nationale qui aient "rétabli l'ordre", le 26 Novembre et soient depuis chargés de la répression indique qu'elle est la véritable coloration du pouvoir politique actuel. Le retour en force d'officiers spinolistes aux postes laissés vacants par les "gauchistes" démis ou emprisonnés, la libération d'un nombre important d'agents de l'ex PIDE confirment cette indication.
Donc, ce que démontre clairement la situation présente, c'est la validité de l'idée essentielle des thèses : "du point de vue" des rouages politiques de gestion de la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l'expérience portugaise signe l'échec de la" démocratie" classique..." (Thèse N°4). En effet, cette dernière, représentée essentiellement par le PS et le PPD qui dominent aussi bien la Constituante que le gouvernement Azevedo, a besoin, pour asseoir son pouvoir, du concours de l'extrême droite, ce qui lui retiré toute possibilité de mystification de Ta classe ouvrière et de contrôle de celle-ci autre que la répression ouverte.
Au Portugal, la crise, tant économique que politique, est tellement catastrophique qu'il n'existe pas de voie moyenne pour l'affronter. Pour contraindre la classe ouvrière a accepter les terribles sacrifices seuls capables d'empêcher une banqueroute totale, les solutions extrêmes sont seules envisageables: une répression d'extrême droite à la Pinochet, immédiate et ouverte, préconisée par. Spinola et Jaime Néves chef des commandos, ou bien la solution d'encadrement "gauchiste" définie par le document du COPCGW d'Août 1975.
Pour le moment, c'est la première solution qui .semble prévaloir. Mais le Portugal n'est pas le Chili. Il ne s'agit pas d'un pays "lointain" et "exotique" où on peut se permettre de massacrer sans problème, des dizaines de millier de travailleurs : le prolétariat du Portugal "est autrement plus puissant que celui du Chili et, d'autre par£ la bourgeoisie européenne n'est pas prête à accepter qu'.une guerre civile prématurée ne vienne dévoiler le véritable enjeu de la lutte de classe aujourd'hui. C'est pour cela, et bien qu'une erreur grossière de la bourgeoisie soit toujours possible, que la solution politique qui prévaut en ce moment au Portugal, ne devrait pas se prolonger très longtemps. Avec la reprise de "la, lutte prolétarienne qui depuis l'été, avait été paralysée par l'écran de" fumée d'une "alternative gauchiste" et qui ne manquera pas de se développer face à l’"austérité" aujourd'hui mise en; place, sera de nouveau à l'ordre du jour, pour la bourgeoisie portugaise, l'utilisation de ses formes les plus "radicales" de gouvernement, seules aptes à dévoyer la combativité ouvrière.
Le 3 Janvier 1976
ENSEIGNEMENTS DE LA SITUATION AU PORTUGAL
1 — Le Portugal constitue une illustration flagrante du fait que dans la période de décadence du capitalisme il n'y a pas de place pour un réel développement économique des pays sous-développés y compris les mieux lotis d’entre eux. Grande puissance coloniale, ce pays ne réussit pas, malgré sa part appréciable du gâteau impérialiste, à assurer au cours du 20ème siècle, le décollage de son économie, à tel point qu'il réussit le rare exploit, à la veille du 25 avril 1974, d'être à la fois le pays le plus-pauvre d'Europe, hormis la Yougoslavie, et le dernier à détenir des colonies.
D'abord conséquence de sa faiblesse économique, le retard avec lequel le Portugal donne l'indépendance à ses colonies se meut en un handicap très sévère pour son capital (dépenses d'armement, d'administration coloniale, immobilisation pendant quatre années des travailleurs potentiels, (émigration politique) à tel point qu'en 1974 le Portugal présente la plupart des caractéristiques d'un pays du Tiers-Monde :
- P.I.B. annuel par tête : 1250 $ (Grèce : 1790; France : 4900),
- secteur agricole très important (29% de la population active, France : 12%, Grande-Bretagne:3%)
- existence d'une structure agraire archaïque comprenant essentiellement des latifundia (moins de 1% des exploitations couvrent 39% des terres et des propriétés minuscules (92% des exploitations couvrent 33% des terrés) ayant dans les deux cas des rendements extrêmement, faibles.
- concentration très grande d'une industrie récente en deux zones, Porto et Lisbonne-Setubal, à côté d'une petite industrie archaïque et peu compétitive (32 000 entreprises de moins de 100 salariés contre 156 de plus de 500).
2 — La crise ouverte du capitalisme qui commence vers 1965-67 heurte de plein fouet le Portugal à partir de 1973 compte tenu :
- de la faiblesse structurelle de son économie de moins en moins compétitive,
- du poids de plus en plus écrasant des guerres coloniales,
- du chômage qui se développe parmi les travailleurs, émigrés qui, soit rentrent dans leur pays d’origine, soit cessent les envois de devises. En même temps que la crise qui se caractérise en 1973 par le taux d'inflation le plus élevé d'Europe, la lutte de classe, après l'épuisement de la vague de 1968-70 reprend avec une intensité accrue au début 1974 (Timex, -Lisnave, TAP, etc.)
3 — Le putsch du 25 avril correspond de la part des fractions les plus lucides de la classe bourgeoise, à une tentative de remise en ordre de l'économie nationale devant nécessairement passer:
- par la liquidation de l'hypothèque coloniale,
- par une : mise au pas de la classe ouvrière.
C'est 1'armée qui est l'agent de cette politique dans la mesure où c est pratiquement la seule force organisée de la société (en dehors du parti unique salazariste) et qui, en plus:
- est directement mise en contact avec la vanité d'une solution militaire dans les colonies,
- a suffisamment de distance avec les intérêts capitalistes particuliers liés au régime; de Salazar-Caetano pour avoir une vue globale des intérêts du capital national.
Si, au départ, le putsch se fait en accord avec les grands groupes privés (Champalimaud, CUF, etc.) dont Spinola est le principal représentant au sein de la Junte, la dynamique propulsée par les besoins objectifs de 1' économie nationale, conduit l'armée à prendre de plus en plus de mesures dans le sens du capitalisme d'Etat.
Celle-ci s'identifie d'autant plus à cette forme de capitalisme :
- qu'elle n'est pas liée directement à la propriété privée, surtout depuis que les guerres coloniales l’ont obligée à faire appel à toute une série de cadres issus de la petite-bourgeoisie intellectuelle ;
- que la-structure centralisée, hiérarchique et monolithique s’apparente à celle du capitalisme d’Etat.
C'est à travers une série de crises et de tentatives plus où moins effectives, de putsch des fractions classiques du capital que se fait cette évolution : juillet; 74, septembre 74, mars 75.
Même si, au départ, elles expriment une résistance des fractions anachroniques du capital, ces différentes crises viennent chaque fois à point nommé pour briser une offensive ouvrière (grèves de mai-juin, grèves, d'août-septembre en particulier à la TAP, mouvements de février mars) en défoulant le mécontentement contre les "fascistes" et les "réactionnaires" dont on se complet à exagérer l'importance; .pour renforcer lés mesures économiques et politiques de capitalisme d'Etat (renforcement de la "gauche" du MFA. et élimination des fractions de "droite" comme Spinola, nationalisations présentées comme de "grandes victoires" ouvrières, réforme agraire, etc.). C'est à travers ces différentes crises, que se manifeste de plus en plus ouvertement le poids de l'armée dans la conduite de l'Etat et que se renforce la fraction; pro-PCP de celle-ci. La concordance des politiques du PCP et de 1’armée s'explique par lé fait que ce parti représenter une des fractions les plus dynamiques du capitalisme d'Etat et qu'il est au départ le mieux armé pour contrôler la classe ouvrière. Cette concordance exprime également une tentative menée par le capital portugais de se soustraire partiellement, sur le plan économique et politique, de l'influence, du bloc occidental en se rapprochant du bloc de l'Est. Effectivement, même si le PCP, comme l'ensemble des partis staliniens, est avant tout un parti national, il n’en exprime pas moins, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapport auxquels doit se déterminer chaque capital national, une tendance du capital portugais à se placer sous l'orbite russe ou du moins, à s'éloigner de l'orbite américaine,
4— Des objectifs que se fixait le coup d'État du 25 avril, seul celui de la décolonisation a été atteint9 Et encore, le résultat obtenu n'est pas particulièrement positif pour le capital portugais puisqu'il se traduit par un abandon de son influence au bénéfice des grands blocs impérialistes (particulièrement en Angola, colonie la plus riche) et qu'il aboutit au rapatriement d'un demi-million de colons complètement in-intégrables dans une économie métropolitaine en complète déconfiture. En effet, malgré l'ensemble des mesures de capitalisme d'Etat.et les flots de démagogie antifasciste ou "révolutionnaire" du gouvernement, jamais l'économie portugaise ne s'est portée aussi mal et à aucun moment la classe ouvrière n'a pu être réellement remise au pas, ni enrôlée dans "la bataille de production" dont les staliniens et leur intersyndicale se sont faits les incessants propagandistes.
Pour le capital portugais, le problème posé depuis le 25avril reste entier :
- comment assainir l'économie nationale ?
-comment encadrer la classe ouvrière ?
Quels que soient les détours ou les hésitations dans la mise en œuvre de cette politique, la seule issue possible réside en une étatisation croissante de l'économie, en une concentration toujours plus grande du pouvoir économique et politique. En effet, seule une telle politique peut préserver un peu de cohésion dans une économie et un corps social en pleine anarchie, au bord de la dislocation, et également se présenter comme "révolutionnaire" aux yeux du principal ennemi du capital : le prolétariat.
En ce sens, plus que jamais, au Portugal comme partout dans un monde plongé dans des convulsions économiques et sociales croissantes, l'heure est au capitalisme d'Etat. En ce sens, seules peuvent avoir un avenir les formations politiques qui représentent de façon la plus dynamique cette tendance. Celles qui s'accrochent à des formes anachroniques du capitalisme ou à des formes moins évoluées de capitalisme d'Etat comme le PPD ou le PS et ceci l'en s'appuyant essentiellement sur la petite-bourgeoisie liée à la propriété, ne peuvent que régresser sur la scène-politique en même temps que les structures politiques (élections, constituante, partis démocratiques), elles-mêmes anachroniques, à travers lesquelles elles s'expriment.
Comme dans la plupart des pays du Tiers-Monde, l'armée représente, au Portugal, le principal agent du capitalisme d'Etat et en son sein, la frac-tien qui est appelée à jouer un rôle croissant est celle qui est la plus concentrée, la plus opérationnelle et en thème temps la plus lucide : le COPCON. Dans son orbite, les deux autres grandes tendances du capitalisme d'Etat -le PCP et les gauchistes- sont appelées à conserver, quoi qu'il arrive, un rôle important dans l'appareil d'Etat dans la mesure où ces deux forces assument l'essentiel du contrôle de la classe ouvrière.
Du point de vue des rouages politiques, de gestion de. la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l’expérience portugaise signe l'échec de la "démocratie" classique tant du point de vue de la technique de mystification électorale que de l'utilisation des partis comme gérants de l'Etat, De force essentielle de l'Etat auquel l’armée est inféodée, les partis deviennent des appendices de l'armée dans la direction de celui-ci. De même, le mode d'encadrement syndical se révèle de plus en. plus incapable de contrôler une classe ouvrière qui n'a pas connu des décennies d'opium "démocratique" et syndicaliste, A la place de ces techniques en voie d'épuisement, l'unique solution pour le capitalisme d'Etat portugais passe par un encadrement direct de l’armée sur la classe ouvrière à travers des organes de "base" comme les "commissions, de travailleurs", de locataires, de quartiers, chargées de prendre à leur compte l'administration des localités et la gestion des entreprises. A la démocratie classique électoraliste, le capitalisme d'Etat substitue de plus en plus une "participation" "apartidaire" des ouvriers à leur exploitation et à leur oppression. L’"autogestion" et le "contrôle ouvrier" ont de beaux jours à vivre au Portugal et c'est justement ce qu'exprime le document du COPCON du mois d'août 75. De telles nécessités objectives outre qu'elles ne peuvent signifier que l'écartement du PS et du PPD de tout pouvoir effectif, se traduisent par un renforcement de la tendance capitalisme d’Etat la plus liée aux techniques d'encadrement "à la base" au détriment de celle s'appuyant sur le syndicalisme classique. Le "soutien critique" des gauchistes au PCP risque de se convertir de plus en plus en un "soutien critique du PCP aux gauchistes,
5 — Dans le cadre d'une telle analyse, la situation politique actuelle au Portugal semble incompréhensible. En effet, si on admet que le PC représente une forme plus adaptée que le PS aux besoins actuels de l’économie portugaise, on .comprend mal son recul face à celui-ci à la suite de la longue crise de l'été passé. Ce qui se serait compris plus facilement, c’est que le nouveau gouvernement soit plus "gauchiste" que le précédent et non plus "social-démocrate". Tel n'est pas le cas.
En fait, c'est à moyen ou à long terme que s'expriment les besoins objectifs, tant économiques que politiques du capital. Et en ce sens, celui-ci sera obligé de faire appel aux formes d1organisa ion économique, aux mystifications et modes d'encadrement du prolétariat les plus .appropriés ainsi qu'aux forces et formations politiques qui en sont les agents et les véhicules. Mais c'est à travers toute une série de soubresauts apparemment contradictoires que peuvent être appelées à se dégager ces tendances à long terme. Et ceci pour plusieurs raisons :
1 — contrairement au prolétariat dont la prise de contrôle sur la société est nécessairement un acte lucide et conscient, ses propres préjugés de classe interdisent à la classe capitaliste une pleine conscience de son activité politique. En ce sens, c'est souvent à travers des louvoiements et des affrontements entre ses fractions les plus lucides qu'elles est amené à adopter l'orientation-la plus, apte à la défense de ses intérêts;
2 —.le jeu politique bourgeois est par excellence celui où "tous les coups sont permis", où les allies d’aujourd’hui peuvent devenir les adversaires de demain, où les combinaisons les plus surprenantes, apparemment "contre nature", peuvent se faire jour pour faire face à telle nécessité immédiate et circonstancielle et se dénouer quand cette nécessité a disparu;
3 — la profondeur de la crise actuelle s'exprime, dans tous les pays du monde, par le caractère contradictoire des mesures que la bourgeoisie tente de prendre pour la résoudre ou l’atténuer. Ce qui vaut pour le choix des plans économiques prisonniers de l'alternative implacable, récession/inflation, vaut seulement pour le choix des diverses solutions politiques : contradiction .entre la nécessité de jouer le plus vite possible les cartes de gauche afin de paralyser l'élan prolétarien à son début et la nécessité de ne pas user trop vite cette carte, contradiction entre, d'une part, le nécessaire renforcement des blocs imposé par l1approfondissement de la crise et la montée des tensions inter impérialistes et, d'autre part, la mise en avant d'une politique "d'union nationale" contre "l'impérialisme" capable d'entraîner le prolétariat derrière le char de son capital national, etc. Obligée de parer au plus pressé, la bourgeoisie adopte un jour une mesure dans un sens pour la remettre en cause le lendemain quand se déplace l'urgence des contradictions qui l'assaillent. C'est pourquoi, dans un pays, la conduite de la politique apparaît d'autant plus heurtée et contradictoire que la crise y est profonde.
Pour comprendre la crise de l'été passé et sa "solution" présente, il faut donc prendre en compte ces différentes considérations et faire intervenir non seulement les nécessités à long terme du capital portugais mais' également les nécessités plus circonstancielles et les manœuvres éventuelles que leur "solution" a pu provoquer entre les différences forces bourgeoises.
En l'occurrence, ce ne sont pas Seulement des données de politique intérieure qui; sont à l'origine réelle de la crise, même si c'est l'affaire "Republica" qui en est le détonateur, mais également des éléments de politique extérieure. Certes, plus la lutte de classe devient un facteur décisif dans la politique d'un Etat et plus celle-ci' se détermine en fonction de besoins internes mais cela ne signifie pas :
- que les besoins externes cessent d'exister ;
- que ceux-ci soient incapables de prendre momentanément le dessus à l'occasion d'une accalmie de la lutte de classe comme c'est le cas en juillet 75.
Début juillet, la fraction du MF A proche du PCP, dirigée par Vasco Gonzalves, exerce un pouvoir extrêmement important au sein de l'Etat : majorité au sein du gouvernement réel -le conseil de la révolution- ainsi que dans le gouvernement civil, contrôle de l'essentiel des moyens d'information et de propagande, (en particulier la 5° division), contrôle de l'Intersyndicale. Il s’agit là d'une solution inadaptée-aux besoins du capital portugais, et cela à deux titres:
- la force du PCP et de son intersyndicale va en décroissant au sein de la classe ouvrière ;
- le Portugal doit abandonner toute perspective de désengagement du bloc occidental tant du point de vue économique que militaire. L’échec des tentatives commerciales en direction de l'Europe de l’Est dont l'économie, très faible, offre peu de possibilités à celle du Portugal, les conditions mises à une aide éventuelle de la CE ainsi que les déclarations de Kissinger et la mise au point consécutive de l'URSS indiquent que la place du Portugal est au sein de l'Otan et de l'économie occidentale.
Même si le PCP continue de correspondre en partie au besoin du capitalisme d'État, sa place au sein de celui-ci doit nécessairement être réajustée au " bénéfice d'une autre fraction, à la fois plus "gauchiste", et moins liée à une politique extérieure pro-russe.
On assiste donc à une lutte dont l'a-prêté et la durée ainsi que la désorganisation qu'elle provoque dans l'Etat traduit la solidité des trois forcés qu'elle oppose : les restes du capitalisme classique, "démocratique", pro-atlantiste regroupées derrière le PS, le PPD, et en partie, la fraction Antunes de 1'armée; la fraction Gonzalves -PCP, pro-russe, la fraction COPCON appuyée sur les gauchistes, "réaliste" en politique extérieure (son slogan sera : "contre les impérialismes, indépendance nationale).
C'est au sein de l'armée que se produit l'affrontement décisif dans la mesure où celle-ci exerce l'essentiel du pouvoir. Et c'est la fraction Melo An tunes, prônant l'ouverture vers 1'Europe, qui y mène le combat le plus décidé contre la fraction Gonçalves, Le succès du document Antunes est le fruit de la conjonction de tous ceux qui se retrouvent contre Gonçalves pour des raisons de politique extérieure ou intérieure. Ce succès momentané et circonstanciel de la fraction Antunes propulse celle-ci au sein du MF A et lui fait acquérir, dans cet organe, la position dominante au détriment de la fraction PC-Gonçalves (qui s'y maintient avec relativement de force) et avec la neutralité de la fraction COPCON-Carvalho qui reste la plus lucide quant aux intérêts réels du capital portugais.
En ce sens l'actuelle "victoire" du PS et du PPD, expression circonstancielle des besoins du capital portugais en politique extérieure et du réajustement du poids de la fraction PCP ne doit pas cacher les faits :
- que c'est l'armée qui est restée le cadre décisif du conflit et donc se maintient comme unique source du pouvoir réel môme si on reparle actuellement de "ranimer" la Constituante ;
- que le cours vers le capitalisme d'Etat ne peut pas être réellement remis en cause ;
- que les problèmes de politique extérieure sur lesquels s'est joué en bonne partie le conflit (cf., Antunes aux affaires étrangères) ne sauraient rester longtemps au premier plan face à une reprise de la lutte de classe ;
- que l'actuel gouvernement ne possède pratiquement aucun pouvoir de mystification sur la classe ouvrière.
En fait, la fraction la plus forte militairement au sein de l'armée et la plus lucide, le COPCON-Carvalho, s'est servie des fractions "démocratiques" du Capital (Antunes dans l'armée et PS-PPD en dehors) uniquement en vue d'amoindrir la fraction PCP en évitant au maximum de faire cette tâche par elle-même (exception faite de l'occupation des locaux de la 5° division par le COPCON et la lettre de Carvalho à Gonçalves lui enjoignant "amicalement" de démissionner). Cette prudence s'explique par le fait que cette fraction devra compter sur 1' appui de la fraction PCP pour gouverner et qu'elle ne pouvait compromettre cette alliance nécessaire par une attaque trop ouverte.
En apportant un "soutien extrêmement critique" (Carvalho) à l'actuel gouvernement, la fraction Carvalho laisse celui-ci et les forces politiques qui le dominent (Antunes, PS, PPD) prendre la responsabilité des mesures d'austérité draconiennes que le capital portugais doit adopter de façon urgente et qui ne manqueront pas d'accélérer l'usure de ces forces au bénéfice de cette même fraction.
Par conséquent, ce gouvernement ne saurait rester longtemps en place et, assez rapidement, la solution préconisée par le COPCON et les gauchistes d'un pouvoir militaire utilisant une "assemblée nationale populaire" des différentes structures populaires de base comme moyen d'encadrement de la classe, sera à l'ordre du jour.
6 — Plus généralement, il est clair que l'activité autonome de la classe ne peut se manifester que dans le cadre des Comités d'usine et des Conseils ouvriers et, que ceux-ci ne peuvent survivre que comme organes au service de la classe. Il ne s'agit donc par là de simples "formes" sans importance comme le prétendent les bordiguistes. Cependant la simple existence de ces organes ne leur confère pas automatiquement, comme le pensent les conseillistes un mode d'activité conforme aux intérêts du prolétariat. L'expérience, entre autres, des Conseils ouvriers allemands en 1918 le montrait déjà. La situation au Portugal tond à le confirmer aujourd'hui dans le cas de celles des commissions qui ne sont pas de simples créations de gauchistes, mais qui ont surgi spontanément au cours des luttes. Il ne suffit donc pas aux révolutionnaires d'exalter de façon béate ces organes autonomes mais il leur revient la tâche fondamentale de défendre, au sein de ceux-ci, les positions communistes afin d'en faire un instrument véritable de la lutte prolétarienne.
7 — Du point de vue de sa localisation géographique à la périphérie de l'Europe comme de son importance économique, le Portugal n'est pas appelé à jouer un rôle fondamental dans les affrontements de classe qui se préparent. Néanmoins, dans la mesure où c'est aujourd'hui le pays d'Europe où, d'emblée, compte-tenu de sa faiblesse structurelle, les problèmes économiques et politiques ont été posés avec le plus d'acuité, le Portugal constitue un champ d'expérimentation des différentes armes de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial et par suite un terrain d'analyse très riche pour la prise de conscience de ce dernier« Les enseignements essentiels de la situation portugaise sont les suivants :
1° — Le capitalisme d'Etat se confirme comme la seule option capable de faire, face à la crise tant pour empêcher la dislocation totale de l'économie que pour mystifier la classe ouvrière. La situation actuelle confirme la nécessité pour le capital de mettre en place un mode d'encadrement de la classe ouvrière avec lequel elle s'identifie au maximum et qui est le seul capable de lui imposer une certaine "discipline".
2° — La mystification antifasciste continue d'être une des armes les plus efficaces du capital et celui-ci 1'utilisera jusqu'au bout partout où cela sera possible. L'actuelle campagne pour la grâce des condamnés à mort Espagnols qui se développe tant en Espagne que dans d'autres pays confirme amplement ce fait. Le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer impitoyablement ces mystifications et tous ceux qui les entretiennent.
3° — La présente situation au Portugal fait apparaître que là où elles n'ont pas pu se développer pleinement les institutions classiques d'encadrement de la classe -syndicats classiques et démocratie parlementaire- sont rapidement dépassées quand la lutte de classe s'approfondie. C'est là un phénomène qui s'était déjà manifesté en Russie en 1917* Mais se qui exprime l'impuissance actuelle de ces institutions au Portugal va au-delà des conditions spécifiques à ce pays. Après un demi-siècle ou plus pendant lequel se sont perpétuées ces institutions non plus sur la base de la fonction pour, laquelle elles avaient surgi dans l'histoire mais comme simple instrument de mystification, celles-ci sont maintenant en partie usées pour 1'accomplissement de cette seconde fonction. Les parties qui sont attachées à ces formes d'encadrement de la classe, les P.S et les P.C sont eux-mêmes atteints par cette usure, d'autant plus qu'ayant accompli l'essentiel de leurs fonctions au cours de la période de plus profonde contre-révolution ils ne sont pas nécessairement bien préparés pour affronter la situation nouvelle que représente la reprise de la classe.
4° — Comme déjà maintenant au Portugal, face à l'usure des formes classiques d'encadrement le capital tendra de plus en plus à utiliser les organes que la classe se sera, donnés au cours de sa lutte pour en faire des institutions d'étouffement de cette lutte. Il ne fera là que reprendre.une méthode qui a déjà fait ses preuves pendant la période de décadence : la récupération des organes et institutions de la classe qu'il ne parvient pas à combattre de front. Il en a été ainsi des syndicats .à une époque, puis plus tard des conseils ouvriers que la vague révolutionnaire des années 17-23 avait fait surgir. Avec le développement de la lutte de classe cette méthode sera sans doute employée à grande échelle et les révolutionnaires eux-mêmes devront prendre garde à ne pas tomber dans le piège des nouveaux "conseils ouvriers" ou des nouveaux "soviets",
5° — Une des formes la plus courante que revêtira cette récupération sera sans doute, à l'image du Portugal l'utilisation de ces organes comme instruments de "l'autogestion" et du "contrôle ouvrier", d'autant plus que ces formules apparaissent, d'une part, comme une variété plus "à gauche" du capitalisme d'Etat, et, d'autre part, s'accommoderont bien du cortège de faillites qui accompagnera la crise.
Donc à la place des formes classiques de "participation" médiatisée à la gestion de la société à travers syndicats et parlements, les travailleurs seront de plus en plus conviés à une "participation" beaucoup plus directe à leur exploitation et à leur oppression,
6° — Compte-tenu de cet ensemble de faits les différentes variétés gauchistes: "antifasciste", "anti-impérialiste", moins liées aux modèles classiques d'encadrement que les partis de gauche officiels seront appelés à jouer un rôle fondamental comme rabatteurs pour le compte de ces partis quand ce ne sera pas comme force de rechange. Là encore, le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer avec la plus grande rigueur tous ces courants et d'annoncer clairement à la classe la fonction répugnante qu'ils seront amenés à accomplir.
8 — L'appel à des modes d'encadrement "à la base" et populistes de la classe ainsi que la mise en avant des gauchistes posera à terme, pour le capital, au fur et à mesure où il sera obligé d'y recourir, le problème de l'épuisement de ces moyens de mystification. Cet épuisement ouvrira alors la possibilité d'une claire prise de conscience par le prolétariat de ses véritables intérêts de classe. Derrière l'épuisement des formules classiques d'encadrement de la classe qui est déjà avancé aujourd'hui au Portugal et qui, demain, à des rythmes différents suivant les pays, tendra à se généraliser, se profile donc la perspective de l'organisation autonome de la classe luttant pour ses intérêts historiques et donc de son affrontement direct avec la bourgeoisie. Ce fait doit être pleinement compris par les révolutionnaires afin qu'ils mettent tout en œuvre dans le but d'être à la hauteur, du point de vue de leur organisation et de leur intervention, des responsabilités que cette perspective leur confère.
C.G.