Pourquoi l'alternative guerre ou révolution : La guerre est-elle une condition favorable pour la révolution communiste ?

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De 1845 à 1847, le monde, particulièrement l'Europe, par suite de mauvaises récoltes agrico­les, va connaître une grave crise économique : le prix du blé double en France, éclatent alors des émeutes de la faim. Les paysans ruinés ne peuvent plus acheter aux industriels, la construction de chemins de fer s'arrête, le chômage se généralise, les salaires baissent, les faillites se multiplient. La classe ouvrière engage une lutte pour des ré­formes : pour la limitation de la durée de travail pour un salaire minimum, pour l'obtention de travail, pour un droit de coalition et de grève, pour l'égalité civique et la suppression des pri­vilèges, etc. Consécutivement : les journées explo­sives de février 1848 en France, si bien condensées dans le fameux opuscule de Marx "Les luttes de clas­se en France", devaient léguer comme leçon majeu­re à la postérité la nécessité pour la classe ou­vrière de se démarquer désormais de la classe bour­geoise, de préserver une indépendance de classe. On oubli un aspect essentiel de cette révolution, pourtant : elle n'avait pas été provoquée par une guerre. Les causes en étaient oubliées, l'atten­tion se concentrait sur l'écrasement de l'insurr­ection de juin 48 et la question d'un meilleur armement des ouvriers, de combats de rue mieux or­ganisés, à l'encontre des leçons tirées par Marx et Engels sur la période historique et la nature de la lutte de classe.

Plus tard, si le désastre de Sedan entraîna l'ef­fondrement de l'Empire en septembre 1870 puis la constitution d'un "gouvernement de Défense Nationa­le" avec le bourgeois Thiers à sa tête - qui allait échouer à désarmer la population parisienne et en­traîner en réaction l'érection de la Commune au mois de mars - ce fût certes la première insurrection prolétarienne victorieuse de l'histoire, ce fut malgré tout un "accident" comme le reconnut Marx en cette période encore ascendante du capitalisme. Une nouvelle fois la bourgeoisie triomphait du pro­létariat en train de se constituer. L'invocation de la Commune de Paris réitérée en oubliant son ca­ractère accidentel conforta bien des confusions sur les possibilités pour une révolution proléta­rienne de sortir victorieuse à long terme d'une guerre. Certes comme le notait Engels dans une introduction à "La Guerre Civile en France" : "... dès le 18 mars, le mouvement parisien avait un ca­ractère de classe jusqu'alors dissimulé par la lut­te contre l'invasion étrangère". Mais les condi­tions objectives n'étant pas réunies les communards étant en avance sur la marche de l'histoire, deux facteurs contribuèrent à la défaite : l'isolement (une ville assiégée) et le terrain militaire pro­pre à la bourgeoisie ("la guerre contre l'armée versaillaise, sans cesse renforcée, absorba toutes les énergies" Engels), sans oublier le poids de l'entier soutien des forces prussiennes à la bourgeoisie française. Incroyable "ironie" de l'his­toire, la Commune, tout en montrant concrètement la possibilité et la nécessité de la dictature du prolétariat, laissait accroire que toute révolution pouvait désormais émerger d'une guerre, et par vacuité théorique entraîna de fausses théorisations dans le mouvement ouvrier ; par exemple Franz Mehring et Jules Guesde théorisèrent la guerre "révolutionnaire" ; cette thèse confinera chez Guesde avec la thèse nationaliste de soumission à sa propre bour­geoisie. Or, surtout avec la fin du siècle consa­crant l'entrée en décadence du capitalisme, il n'y avait plus de guerre "révolutionnaire", il n'y en avait d'ailleurs jamais eu pour le prolétariat. Nous verrons tout au long de ce texte pourquoi la guerre n'est pas en soi un "mal nécessaire" à la révolu­tion.

Evidemment, comme toute expérience originale, la Commune -bien qu'à l'origine réaction ultime de "Défense Nationale"- confrontait pour la première fois en temps de guerre une bourgeoisie surprise et inexpérimentée face à la menace prolétarienne et ré­vélait qu'une guerre est inévitablement stoppée par l'éruption du prolétariat ou en tout cas qu'elle ne peut pas être menée n'importe comment s'il subsiste le moindre îlot de résistance prolétarienne. L'arrêt de la guerre dans de telles conditions per­met un repli des forces bourgeoises, la fin tempo­raire de leurs antagonismes guerriers et impérialistes afin de contourner puis étrangler conjointement le prolétariat.

En dépit de ce type de situation plus favorable à la bourgeoisie, pendant des décennies on accepta comme un axiome dans le mouvement ouvrier que les guerres créaient ou pouvaient créer les conditions les plus favorables à la généralisation des luttes et ainsi à l'explosion révolutionnaire. On s'abstint de con­sidérer le handicap presque insurmontable créé par les situations de guerre mondiale qui limite ou ré­duit à néant une réelle extension victorieuse de la révolution. C'est véritablement à l'orée de la pério­de décadente du capitalisme que l'enjeu va apparaître plus clairement dans le cours vers la 1ère guer­re mondiale à travers la question : Guerre OU Révolu­tion, et non pas Guerre ET Révolution.

La lutte de classe dans  les conditions de guerre

 

Les révolutions de 1905 et 1917 dans le cours vers la guerre mondiale

 

N'en déplaise aux glorificateurs d'un passe considé­ré comme sans failles, les minorités révolutionnaires russes et allemandes à l'intérieur de la IIème Internationale n'ont pas considéré suffisamment les conditions imposées par le changement de période du capitalisme. Même s'il est vrai qu'il était terri­blement difficile de s'extraire du processus d'involution de la IIème Internationale, les futurs fondateurs de l'Internationale Communiste furent surpris par l'entrée en guerre et ne se sont pas consacrés à tout le travail de préparation nécessaire pour le prolétariat.

Depuis quelques années, le CCI est parvenu à déga­ger l'importance de la notion de cours historique et le poids défavorable des conditions de guerre par le passé pour les révolutions (il est utile de se reporter à l'article "Le cours historique" Revue Internationale n°26). Rétrospectivement, on peut considérer qu'il revient à l'audacieux et lucide Trotsky avec sa fraction au début du siècle, non seulement d'a­voir compris dès avant 1914 mieux que la majorité des bolcheviks qu'il n'y avait plus de révolution bourgeoise à l’ordre du jour en Russie, mais d'a­voir aussi commencer à déblayer le terrain des fausses théorisations en délimitant les conditions aggravantes de cette révolution de 1905 en Russie "attardée" et "ratée" selon ses propres termes :

"La guerre, incontestablement, a joué un rôle énorme dans le développement de notre révolution, elle a désorganisé matériellement l'absolutisme : elle a disloqué l'armée, elle a donné de l'audace à la masse des habitants. Mais heureusement elle n'a pas créé la révolution et c'est une chance parce que la révolution née de la guerre est im­puissante : elle est le produit de circonstances extraordinaires, repose sur une force extérieure et en définitive se montre incapable de conserver les positions conquises". (Notre révolution) La minorité autour de Trotsky, publiant "Naché Slovo" (Notre parole), produit et cristallisation d'u­ne forte poussée de la classe au début du siècle en Russie, sera une des plus aptes à tirer des leçons cruciales sur la spontanéité historique du proléta­riat se dotant de Conseils ouvriers, mais aussi mettra en lumière une raison essentielle à l'échec de 1905 : la situation de guerre. Dans son article "Catastrophe militaire et perspec­tives politiques" (Naché Slovo, avril-sept 1915), Trotsky, au nom de sa fraction, se refuse à spécu­ler sur la guerre en soi, non par motifs d'ordre humanitaires, mais pour des conceptions internatio­nalistes. Il met en évidence le clivage insurmontable introduit par le processus de guerre : si la défaite ébranle le gouvernement vaincu et peut par conséquent favoriser sa décomposition, il n'en est rien pour le gouvernement victorieux qui est au con­traire renforcé. De surcroît, dans le pays défait, rien n'est joué s'il n'existe pas un prolétariat fortement développé et apte à déstabiliser complè­tement son gouvernement vaincu militairement par homologue ennemi. Les contradictions entraînées par la guerre constituent un facteur très douteux d'impulsion historique du prolétariat dans la voie du succès ; constatation qui ne peut être infirmée à posteriori par aucun des échecs révolutionnaires, y compris la courte vague de bouleversements sociaux ouverte par l'année 1917.

La guerre n'est pas un tremplin assuré pour la révo­lution, elle est un phénomène dont le prolétariat ne peut avoir un parfait contrôle ou en disposer de son plein gré pour la faire disparaître alors qu'elle sévit mondialement. Trotsky au cours de ces années d'apprentissage, conçoit ainsi parfaitement l'impuissance d'une ré­volution basée uniquement sur des "circonstances extraordinaires". Les circonstances défavorables d'une révolution issue d'une défaite militaire dans un pays, sont, outre d'être circonscrite à ce seul pays, de trouver en héritage : "Une vie économique détruite, des finances exsangues et des relations internationales peu favorables" (Naché Slovo). Par conséquent, la situation de guerre ne peut conduire qu'à une réalisation plus difficile, voire impossi­ble, des objectifs d'une révolution. Sans nier qu'une situation de défaitisme puisse pré­figurer la catastrophe militaire et politique d'un Etat bourgeois et doive être utilisée par les révo­lutionnaires, Trotsky répète que ceux-ci ne font pas à leur guise les circonstances historiques mais représentent une des forces du processus historique. D'ailleurs ces révolutionnaires n'avaient-ils pas été induits en erreur en 1903 croyant à l'imminence d'une révolution avec un développement massif des grèves en Russie, qui devaient être paralysées dans un premier temps par la guerre russo-japonaise, puis, malgré le sursaut de 1905, défaites avec l'arrêt de cette même guerre ? Trotsky peut tracer une analo­gie historique avec les importantes grèves de 1912-1913 qui tiraient profit, à un niveau plus élevé pourtant des expériences précédentes, pour être en fin de compte bloquées à nouveau par la préparation de la guerre mondiale cette fois-ci. La défaite rus­se dans ces nouvelles circonstances ne dit rien qui vaille à Trotsky, d'autant plus que les sociaux- pa­triotes Lloyd George, Vandervelde et Hervé envisa­gent favorablement cette défaite comme propre à éveil­ler "le bon sens gouvernemental des classes diri­geantes", autrement dit spéculent en vulgaires dé­faitistes sur "la force automatique du krach militai­re, sans intervention directe des classes révolu­tionnaires". Cette méfiance se justifiait d'autant plus que la défaite militaire en soi n'est pas la voie royale à la victoire révolutionnaire ; il faut, dit encore Trotsky insister sur l'importance de l'a­gitation des révolutionnaires dans cette période de bouleversements qui s'ouvre bien que défavorable­ment compte tenu de l'expérience historique antérieure.

La catastrophe militaire en épuisant les moyens de domination économique et politique de l'autocratie capitaliste ne risque-t-elle pas de ne provoquer mé­contentement et protestations que dans une certaine limite ? Le risque ne demeure-t-il pas que l'épuise­ment des masses consécutif à la guerre ne les condui­se à l'apathie ou au désespoir ? Le poids de la guer­re est colossal, il n'y a pas d'automatisme vers une explosion révolutionnaire. Les dégâts prolongés de la guerre peuvent couper l'herbe sous le pied à tou­te alternative révolutionnaire. Malheureusement Trotsky se trompe sur un point, il croit que l'accumulation de défaites guerrières ne favoriserait pas la révolution, tout le contraire est vrai, c'est justement pour éviter cela que la bourgeoisie mondiale, prévoyante et inspirée par son passé, arrêtera la guerre en 1918. D'autre part, il utilise encore le mot d'ordre de "lutte pour la paix" au lieu de défaitisme révolutionnaire plus conséquent et défendu fermement par Lénine. Cependant, et déjà dans les circonstances tragiques et défavorables à long terme de la 1ère guerre mon­diale, Trotsky détermine clairement le saut qualita­tif nécessaire par rapport à 1905 : le mouvement ré­volutionnaire ne peut plus être "national" mais "de classe" à l’encontre des pleurnicheries des sociaux-patriotes mencheviks et libéraux alignés derrière le slogan capitaliste de "victoire", c'est à dire de prolongation de la guerre. Le prolétariat en Russie est confronté à toutes les fractions bourgeoises qui veulent l'isoler et l'empêcher de réagir sur son terrain de classe ; contrairement à 1905, il ne peut plus bénéficier de la "neutralité bienveil­lante" de la bourgeoisie. En 1905, il était faible car sans aide externe, isolé des masses proléta­riennes d'Europe, quand au contraire le tsarisme bénéficiait de l'appui des Etats européens. En 1915, se posent deux questions : faut-il recom­mencer une révolution nationale où le prolétariat serait de nouveau dépendant de la bourgeoisie, ou bien faut-il faire dépendre la révolution russe de la révolution internationale ? Trotsky répond par l'affirmative à la deuxième question. Plus nette­ment qu'en 1905, le mot d'ordre "A bas la guerre !" doit se transformer en "A bas le pouvoir !". En conclusion : "seule la révolution internationale peut créer les forces grâce auxquelles le combat du prolétariat en Russie peut être mené jusqu'au bout". Ce long résumé de l'intéressant article de Trotsky nous fournit, par sa pertinence dans l'analyse des circonstances défavorables au prolétariat en pério­de de guerre impérialiste, des éléments pour pour­fendre les idéologies gauchistes et trotskistes de nos jours qui veulent nous faire avaler que les lut­tes de classe auraient toujours pris leur véritable essor révolutionnaire dans le cadre du nationalisme et de la guerre ; ainsi ces idéologues ne font que révéler que leur camp d'appartenance est celui de la bourgeoisie.

L’explosion d'octobre 17 contraignit le monde capi­taliste à faire cesser la guerre, mais, bien que compte tenu de la faiblesse et maladresse de la bourgeoisie russe, le capitalisme mondial ait été pris de vitesse par le prolétariat des centres in­dustriels de Russie, il saura se ressaisir pour stopper la vague révolutionnaire soulevée par ce premier succès. L'écrasement du mouvement révolu­tionnaire en Allemagne portera un coup décisif à l'internationalisation de la révolution. Ce ressaisissement de la bourgeoisie mondiale condamnera le prolétariat en Russie à l'isolement et par consé­quent à une longue mais inéluctable dégénérescence fatale pour toute cette période à l'ensemble du prolétariat mondial. Cette première gigantesque ap­parition du prolétariat sur la scène du XXème siè­cle aura été brièvement victorieuse, la bourgeoisie le lui fera payer très cher par une contre-révolu­tion dont le prolétariat international ne devait pas se relever de sitôt, même au cours de la IIème guerre mondiale.

 

L'absence de réaction du proletariat pendant et après la deuxième guerre mondiale

 

Au milieu de ce demi-siècle de contre-révolution triomphante, la IIème guerre mondiale ne fera que parachever la défaite dans l'isolement des années 20, On ne verra pas surgir de mouvements révolutionnaires un tant soit peu comparables à ceux de 1905 ou 1917-19. On peut citer bien sûr la dite Commune de Var­sovie social-démocrate de 1944- réaction désespé­rée d'une population martyrisée et décimée sous la botte militaire- qui tint 63 jours puis fut extermi­née par les hitlériens avec le consentement de Staline. On peut aussi citer les grèves de 1943-44 en Italie réprimées avec l'aval des "Alliés" anglais. Aucun de ces cas n'est probant pour estimer qu'il y aurait eu amorce d'un resurgissement du proléta­riat à l'échelle mondiale menaçant la continuation de la guerre impérialiste.

Dans l'ensemble ce fut le coma le plus intense, le plus tragique du mouvement ouvrier dont les meil­leures forces avaient été décimées par la contre-révolution stalinienne et achevées par le déchaînement terrible des belligérants capitalistes démo­crates et hitlériens avec leurs blocs de résistance et leurs bombardements aveugles. Ce deuxième carna­ge impérialiste mondial montait un degré plus haut dans l'horreur que le précédent. Une révolution allait-elle mettre fin, surgir dans ou après cette tuerie planétaire ? Des révolution­naires isolés et dispersés ont pu l'espérer vainement, quand les contre-révolutionnaires des maquis de "libération nationale" l'ont fait croire impuné­ment dans le cadre de leurs idéologies chauvines, avec pour toute perspective une "libération" dans l’ordre, par étape, avec les démocrates briseurs de grève, les Churchill, De Gaulle et Eisenhower aux côtés de leur"camarade" Staline. La guerre cessa enfin, non sous une nouvelle menace prolétarienne, mais parce que les limites de la destruction totale avaient été atteintes, parce que plusieurs capita­listes "alliés" étaient venus à bout de la volonté d'hégémonie mondiale de l'un d'entre eux. Aucun nouvel Octobre 17 n'avait vu le jour. Le capi­talisme retrouvant des airs de jeunesse, comme les herbes qui poussent sur les charniers humains, amorçait une période de reconstruction sur des rui­nes. Période de reconstruction temporaire qui ne devait pas l'empêcher de retomber un peu plus de deux décennies plus tard dans le marasme économique, poursuivant implacablement le développement de son économie de guerre en préparation...d'une 3ème guer­re mondiale. Les quelques révoltes ouvrières dans le monde qui se produisirent les années suivantes restèrent fragmentées et isolées, que ce soit en France, en Pologne ou dans le tiers-monde, elles furent canalisées et étouffées dans l'ornière de la reconstruction capitaliste ou dans les dites libéra­tions des colonies planifiées par les deux "Grands". Fondamentalement le cours de l'histoire était enco­re défavorable au prolétariat, il devait mettre longtemps à se remettre de l'échec physique et idé­ologique des années 20. Il faut se rendre compte de la profondeur d'une telle défaite pour compren­dre comment la guerre mondiale a pu se reproduire inéluctablement dans les années 40.

 

Les limites du processus révolutionnaire dans les conditions de guerre

 

La guerre mondiale est le plus haut moment de la crise du capitalisme décadent, elle ne favorise pas en soi les conditions de la généralisation de la révolution. Prendre conscience de cela est met­tre en évidence la responsabilité historique du pro­létariat contre une possible 3ème guerre mondiale. En examinant la période de la 1ère guerre mondiale, nous pouvons considérer que, après avoir été battu idéologiquement et bien que ressurgissant en Russie, en Allemagne et en Europe centrale, le prolètariat resta cloisonné dans chaque nation. La bourgeoisie stoppant la guerre pour mieux faire face à l'attaque prolétarienne renforçait les barrières nationales. Bien que produites par la situation d‘aggra­vation économique et reprise des fortes luttes du début des années 1910, ces actions combatives du prolétariat ne pourront pas dépasser l'illusion vé­hiculée par la IIème Internationale traître selon laquelle la révolution devait se produire graduel­lement pays par pays et malgré la fondation justi­fiée d'une 3ème Internationale réellement commu­niste, la boucle du nationalisme étant refermée par le social-chauvinisme. En outre, avec cet arrêt de la guerre, l'inégalité des retombées économiques dans les pays vaincus et vainqueurs maintiendra et favorisera une division illusoire dans le pro­létariat international. En avançant l'idée de "paix" la bourgeoisie mondiale était consciente des dangers du défaitisme révolutionnaire et des risques de contagion malgré tout des pays vaincus aux pays vainqueurs. Seul l'armistice entre les différents belligérants capitalistes pouvait leur permettre de souder leurs rangs pour rétablir la "paix sociale". Ainsi Clemenceau pût venir prêter main forte à Hindenbourg et Noske contre le prolé­tariat en Allemagne. Le prolétariat isolé sera ain­si acculé à des insurrections rapides et défavora­bles. Les conditions de l'échec sont réunies con­tre le prolétariat par cet arrêt de la guerre en Allemagne, la réussite est isolée en Russie dans des conditions exceptionnelles de "maillon faible" c'est à dire ne frappant pas de façon décisive au coeur géographique du capitalisme: l'Europe. Dans ce premier affrontement historique déterminant et inévitable entre la bourgeoisie réactionnaire et la classe révolutionnaire, la bourgeoisie restait maîtresse du terrain. Nous pouvons donc considérer que toute la période de la 1ère guerre mondiale n'a pas sécrété les meilleures conditions pour fa­voriser la révolution prolétarienne. Répétition sanglante de la barbarie capitaliste, la 2ème guerre mondiale était issue directement des clauses de l’"Armistice" de 1918, une paix provisoire et hypocrite pour justifier un nouveau partage ca­pitaliste du monde. Cette répétition était d’autant plus possible qu'après la défaite physique du pro­létariat au début des années 20, triomphaient les idéologies contre-révolutionnaires du stalinisme, du fascisme et de 1'anti-fascisme. Si le prolétariat a pu entraver sérieusement le processus de la 1ère guerre mondiale c'est bien sûr parce qu'il n'avait pas été écrasé physique­ment et frontalement auparavant, c'est parce que en se battant sur son terrain de classe il avait été amené inévitablement à s'opposer à la guerre, c'est aussi parce que le type de guerre de tran­chées favorisait, par la proximité des combattants la contagion révolutionnaire. Ce dernier facteur n'existait déjà plus au cours de la seconde avec l'utilisation des bombardiers et des sous-marins. Le capitalisme en perfectionnant les capacités de destruction à longue portée de ces engins de mort, et en mettant au point ses premières armes nuclé­aires -"testées" à Hiroshima par la très "démocra­tique" bourgeoisie américaine - faisait déjà des préparatifs en 1945 pour "aller plus loin" dans une 3ème guerre mondiale, pour empêcher toute pos­sibilité de révolte interne en pouvant détruire des villes entières, en instaurant la menace de guerre sur n'importe quel recoin de la planète. Faire état de ce danger de gradation dans la des­truction de la part du capitalisme n'a rien de mystique, mais rehausse la responsabilité du pro­létariat qui a pour tâche historique de s'opposer à cette marche à la destruction généralisée avec les armes de la lutte de classe avec une vigueur au moins comparable à celle de la vague révolu­tionnaire du début du siècle. Pouvons nous croire une 3ème guerre mondiale inévitable pourtant ? Ces dernières années peuvent incliner à établir des comparaisons avec les pério­des qui ont précédé les deux guerres mondiales : "paix armée", détérioration des relations inter­nationales capitalistes, guerres locales, accroisse­ment illimité du militarisme, social-pacifisme, bour­rage de crânes tout azimut. La comparaison est fa­cile et les arguments ne sont pas solides face à la réalité sociale. Il ne s'agit pas de prendre ses désirs pour des réalités mais de prendre la réali­té des années 80 à bras le corps.

 

QUATRE CONDITIONS POUR LA  REVOLUTION A NOTRE EPOQUE

 

Si nous restions obnubilés en surface par les phé­nomènes et les conséquences des deux plus grands carnages impérialistes de l'histoire de l'humanité, nous pourrions dire avec dépit : "jamais deux sans trois !", comme le philistin superstitieux du bis­trot à côté. Mais, en utilisant la méthode marxiste,

nous répétons que "les grands événements de l'his­toire se répètent pour ainsi dire deux fois : la première fois comme tragédie la seconde fois comme farce"! Mais que le communisme ne soit pas inéluc­table si le prolétariat ne se hausse pas à la hau­teur de sa responsabilité historique, nous le savons bien, mais la 3ème guerre mondiale n'est pas fatale non plus si sont comprises les potentiali­tés immenses du prolétariat à notre époque. Plus que jamais, il revient aux révolutionnaires qui ont tiré le bilan des défaites passées de montrer à la racine la voie laissée ouverte par les géné­rations mortes.

Il faut constater cependant, aujourd'hui encore, que les masses prolétariennes dans leur grande ma­jorité ne sont pas encore pleinement conscientes de 1'enjeu, ni prêtes â engager les batailles déci­sives ; elles sont malgré tout amenées de plus en plus à poser de sérieux jalons de préparation. Nous ne prouverions rien en parlant vaguement des mécontentements sociaux ou en décomptant des mil­lions d'heures de grèves dans tous les pays depuis 20 ans. Les courbes de ces grèves ont été plutôt décroissantes, et la plupart des luttes échouent régulièrement. La bourgeoisie réussit même à orga­niser de fausses grèves, des simulacres de luttes et à illusionner des ouvriers pour l'autogestion de leurs usines en faillite. Mais, malgré le tableau peu reluisant et à signification limitée des sta­tistiques et données journalistiques, un certain nombre d'événements et d'explosions de luttes ouvri­ères se sont produits depuis près de deux décen­nies aux quatre coins du globe du Brésil à la Po­logne, accumulant toute une série d'expériences in­ternationales. Cette série de jalons, bien qu’irré­gulière, révèle par contre-coup des conditions es­sentielles pour la révolution mondiale.

 

Le marasme économique mondial

 

La première véritable condition favorable pour la révolution réside dans le marasme économique mondial qui a endeuillé définitivement toutes les espérances bourgeoises en un monde capitaliste en perpétuel développement. Cette crise économique mondiale imparable et inguérissable est venue mieux que tout discours révolutionnaire déchirer la mysti­fication du progressisme vers une humanité capita­liste heureuse (reléguant l'avenir de la classe ou­vrière au 19ème siècle).

Bien supérieure en longueur et en intensité aux cri­ses économiques cycliques du 19ème siècle ou à la période charnière du début de ce siècle, cette crise atteint indifféremment tous les recoins de la planè­te, pas un seul capitaliste n'en réchappe, pas un seul pays, pas un seul bloc. Ses effets concernent, mutilent, aggravent la situation de l'ensemble de la classe ouvrière mondiale. L'infrastructure économique s'effondre lentement révélant les vices de forme du système. Ce n'est plus la faute à l'ennemi de l'autre côté du Rhin ou des Pyrénées, c'est "partout pareil". Malgré les diverses censures, déformations ou désinformations à l'Est comme à l'Ouest, "ils" ne peuvent plus gou­verner comme avant. Dans sa décadence avérée ce système capitaliste dévoile sa nature rétrograde et doit renouveler incessamment ses panoplies de mys­tifications. En tant que force étatique de contrainte, "ils" ce n'est plus seulement les patrons de droit divin mais surtout une superstructure d'en­cadrement social : gouvernements, syndicats, partis de gauche et de droite au langage commun d'austé­rité. L'effritement de l'infrastructure économique n'est pas sans ébranler la superstructure politi­que bourgeoise mais celle-ci tente de freiner et d'empêcher l'entière prise de conscience par le prolétariat des causes du marasme économique. Trou­ver des dérivatifs aux responsabilités du capitalis­me n'est pas tâche aisée car ce système en crise fondamentale dans ses soubassements -ne disposant plus de débouchés réels comme dans sa phase ascen­dante du 19ème siècle- peut difficilement cacher à l'humanité que sa seule perspective n'est que la destruction, le gaspillage et la paupérisation, cul­minant dans une nouvelle guerre mondiale.

 

La perspective de guerre mondiale

 

Cette unique perspective de guerre mondiale dans l'optique capitaliste, particulièrement invoquée partout depuis deux ans, devient ainsi la deuxiè­me condition impliquant la nécessaire émergence de l'alternative prolétarienne. Ce n'est pas paradoxal. Deux guerres mondiales laissent encore des traces indélébiles malgré la vanité capitaliste des "libé­rateurs". Au départ, la bourgeoisie à travers tou­tes ses composantes, avait toujours préparé et pré­senté ces deux guerres mondiales comme : - permettant la résolution des difficultés économi­ques ("exporter ou périr")

- inévitables, indépendamment des bonnes volontés conciliatrices ("la faute aux autres", "on ne peut faire autrement" ).

L'exacerbation de la compétition impérialiste et la paupérisation consécutives à ces deux guerres, de même que la gigantesque crise économique mondiale aujourd'hui, révèlent l'inanité du premier argument. La barbarie de deux guerres mondiales n'a pu se produire qu'en fonction d'une bourgeoisie impuis­sante à résoudre les aberrations de son système, et même si une fraction de celle-ci -le stalinisme- a pu se parer outrageusement du terme, entraver et retarder d'autant plus la marche vers le "communis­me".

Quant à l'idée d'inévitabilité de guerre au futur, elle est d'autant plus mensongère que les capita­listes n'en sont pas persuadés eux-mêmes tant que le prolétariat et l'immense population de la planète n'en sont pas convaincus. Guerre inévitable s'il fallait s'en tenir simplement à l'argument militai­re, mais en réalité la bourgeoisie n'est pas simple­ment son appareil militaire, même si celui-ci est aux rênes de commande pendant la guerre ou aux pre­miers rangs pour la répression physique. La bour­geoisie ne pourrait pas faire fonctionner sa socié­té avec les seuls militaires ; elle n'a jamais pu entraîner à la guerre et réprimer le prolétariat simplement autour de cartes d’Etat-major qui ne recouvrent pas la réalité sociale. Un raisonnement d'Etat major militaire ne peut pas permettre de comprendre pourquoi le prolétariat ne se laisse pas soumettre par la bourgeoisie, il n'y a pas de troupes dans un camp donné avec des uniformes dis­tincts, des généraux, des munitions, face à un camp adverse. La menace provient de l'intérieur même de tous les pays capitalistes amis ou ennemis, elle a pour nom conscience et unité prolétarienne. L'hypothèse à court terme d'une 3ème guerre mon­diale supposerait une parfaite imbécillité, folie suicidaire ou tout au moins une incapacité à vou­loir en contrôler le déclenchement et le déroule­ment de la part de la bourgeoisie. Il ne faut ja­mais oublier que les capitalistes et leurs géné­raux ne peuvent faire une guerre sans troupes. Les guerres mondiales précédentes n'ont pas été des conflits d'armées de métier ou de seuls mercenaires.

Il ne s'agit pas de croire que les capitalistes voudraient préparer de nouvelles guerres de tranchées ou d'arquebuses dépassées, mais de compren­dre qu'en regard du monde entier, ils ne peuvent apparaître comme des assassins de l'humanité ; il y a toujours un Hitler ou un vaincu pour être gra­tifié de cette réputation. Le capitalisme en tant que tel doit être exempté de cette responsabilité pour être perpétué. Jamais ni Foch, ni Clemenceau, ni Churchill, ni Wilson, ni Staline, ni Eisenhower n'ont avoué organiser la guerre pour les mesquins intérêts de rapine capitaliste, ils invoquaient la "liberté", le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", le "socialisme". Chacun se parait d'une mystification pour entraîner ses troupes au massa­cre et tous se retrouvèrent en fin de compte pour parader devant les catafalques de ceux qu'ils y avaient expédiés au nom de "la patrie ou la mort". Aujourd'hui 1'administration Reagan peut-elle invo­quer les intérêts de l'humanité sans honte, l'admi­nistration Brejnev ou Mitterrand le socialisme sans faire vomir ? Seule la révolution prolétarienne peut permettre de rejeter à jamais les guerres lo­cales et mondiales dans les ordures du passé capi­taliste.

 

LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA CLASSE V   OUVRIERE

 

Troisième condition fondamentale pour l'affaiblissement de la perspective de guerre, mais surtout en faveur de la révolution, qui transparaît dans les deux premières, c'est le sursaut conscient organisé et centralisé de la seule force révolutionnaire :1e prolétariat en action depuis la fin des années 60.

Il n'était pas resté endormi après la fin de la 2ème guerre mondiale, mais pendant les années de recons­truction ses réactions furent des coups de butoir isolés et la prospérité relative retrouvée par le capitalisme avait permis des concessions économi­ques. Tournant capital, l'année 1968 fût marquée par la grève massive de mai en France, mais surtout par le fait que des luttes ouvrières se produisaient en plusieurs endroits du monde simultanément. Le début des années 70 fut marqué par une succession de luttes importantes dans plusieurs pays européens; mais avec le sabotage réussi de la gauche bourgeoi­se déviant plus spécialement dans cette zone le mé­contentement sur le terrain électoral, on pouvait croire jusqu'à la fin des années 70 que le proléta­riat avait été calmé. D'ailleurs la bourgeoisie avec sa ribambelle de larbins sociologiques à la Marcuse, Bahro ou Gorz semblait vouloir faire croi­re à sa nouvelle disparition (et énième), quand les prolétaires en Pologne se sont chargés de la rame­ner sur terre. Tant pis pour les idéologues, aujour­d'hui comme en 1918 le prolétariat est la seule classe apte dans les faits à stopper la perspective de guerre et à présenter à l'humanité l'alternati­ve communiste. Contre tous ceux qui encouragent d'une façon ou d'une autre la survie du capitalis­me le prolétariat doit opposer le cri "Guerre OU Révolution". Ce cri on ne l'a pas entendu monter de la Pologne, mais une affirmation de la lutte de classe comme celle d'août 80, cela revient au même. Alors que depuis deux ans on nous rebattait les oreilles en occident avec l'invasion de l'Afghanis­tan "confirmant" la "menace russe", qu'on renché­rissait sur le soi-disant retard du potentiel mili­taire américain comparé à celui du pacte de Varsovie, tout à coup le spectre prolétarien est revenu hanter l'Europe et l'ensemble des capitalistes et, confirmer, malgré des luttes inégales dans le temps, le sursaut de la classe ouvrière depuis la fin des années 60.

Ce sursaut du prolétariat s'il prend racine dans la lutte contre l'austérité capitaliste, mûrit également grâce aux contradictions du capitalisme décadent.

L'essentiel, la conscience de classe, se développe à partir de l'usure d'un certain nombre de mystifi­cations bourgeoises. Au 19ème siècle déjà Marx pou­vait considérer dans le "Manifeste communiste' que la bourgeoisie produisait ses propres fossoyeurs, de même aujourd'hui nous pouvons considérer que "la bourgeoisie fournit aux prolétaires les élé­ments de sa propre éducation, c'est à dire des ar­mes contre elle-même" (Le Manifeste p. 45). Au tournant du siècle, certains pouvaient douter encore de la proximité de la révolution en fonction d'une classe ouvrière sortie peu à peu de l'artisa­nat ou émergeant des campagnes, en fonction des ré­sidus du féodalisme, de l'analphabétisme. Aujour­d'hui, il n'y a plus d'hésitations possibles, dans les principaux pays industrialisés, le prolétariat est vraiment constitué en classe, de même dans beaucoup de pays du tiers-monde, il existe comme une force contrainte historiquement de dépasser les faiblesses et les échecs de son passé. Aujourd'hui les leçons de toute l'histoire du mouvement ouvri­er peuvent être réappropriées beaucoup plus vite dans les fanges du capitalisme, il n'y a pas néces­sité d'une "éducation socialiste" ni d'écoles de cadres du parti. En combattant les lois économiques du Capital, le prolétariat introduit du même coup le chambardement dans la superstructure idéologique de domination bourgeoise. Ceci à travers deux fac­teurs, avec les réserves d'usage : l'éducation dis­pensée par la société bourgeoise et les moyens de communication moderne,

Il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de l'éduca­tion bourgeoise qui a pour but de reproduire les inégalités sociales, ni d'exalter le savoir qui n'est pas un gage de conscience de classe. D'ail­leurs cette éducation dispensée et fabriquée par le capitalisme est pour une grande part un moyen de manipulation considérable qui, en un sens, vulnérabilise les individus, les discipline socialement, remplace l'obscurantisme religieux féodal. Mais il s'agit de comprendre que, à un certain degré de dégénérescence de toute société, même les meilleurs pare-feux peuvent provoquer un retour de flamme. L'analphabétisme n'existe pratiquement plus dans les principaux pays industrialisés, de nombreux pro­létaires ont suivi des études secondaires et pra­tiquent une autre langue que la leur. En soi ce "progrès" et cette "éducation" ne sont pas "révol­tants" ; s'ils favorisent la révolte c'est unique­ment parce qu'ils sont synonymes de DEQUALIFICATION et de chômage car la bourgeoisie a développé anarchiquement la formation scolaire et universitaire. Nombreux sont les ouvriers ou les employés bache­liers, nombreux les chômeurs diplômés d'université, donc sans qualification "productive". Après avoir été bercé tout au long de ses études par la promes­se de pouvoir échapper à la condition ouvrière, l'ancien élève ou étudiant confronte durement la ré­alité capitaliste s'il ne l'a pas sérieusement appréhendée auparavant, un ouvrier analphabète pouvait avaler des discours de maître d'école, croi­re à l'inégalité d'intelligence à la naissance, s’en remettre à ceux qui "savaient", s'en laisser comp­ter sur "1'ennemi" ; est-ce comparable aujourd'hui? Les moyens de communication électronique modernes sont également une arme à double tranchant. Si au premier abord l'émission radio et TV, avec son caractère veule et son usage du mensonge par omission atteint jusqu'à la moindre cellule d'immeuble, jus­qu'au moindre prolétaire atomisé même s'il ne veut pas lire un journal, et tente d'endormir la conscience de classe, en revanche ces émissions de pro­pagande sophistiquée de la bourgeoisie -il faut bien les appeler par leur nom- ne peuvent plus à un certain moment prétendre jouer un rôle de "directeur de conscience" quand les conditions de vie sont aggravées ou que l'huissier frappe à la por­te, elles ne peuvent même pas cacher l'horreur du capitalisme en décomposition. . Cette crise générale des valeurs idéologiques bour­geoises d'abrutissement est d'autant plus avérée par la simple comparaison avec le 19ème siècle. De 1’ouvrier analphabète, recevant tardivement les nouvelles du monde, gavé de patriotisme, le système en est venu à procréer un ouvrier constamment insa­tisfait et pénétré d'un doute tout aussi constant quant aux promesses des diverses idéologies. De dé­moralisants en soi en l'absence de lutte de classe ces facteurs d'aliénation de la société contempo­raine se retournent contre la bourgeoisie avec le développement de cette même lutte de classe, et hâtent la remise en cause de son système d'oppression.

 

L'internationalisation des luttes proletariennes

 

L'internationalisation des luttes prolétariennes est ce quatrième facteur qui va non seulement favoriser, mais être l'étape décisive vers la révolution mondiale. Au 19ème siècle encore, le développement des luttes pouvait être perçu au sein des nations, et, comme l'exprimait Marx : "Les nations ne peu­vent constituer le contenu de l'action révolution­naire. Elles ne sont que des formes à l'intérieur desquelles fonctionne le seul moteur de l'histoire : la lutte des classes". Dans la 1ère et 2 ième Inter­nationale, on conçut ainsi l'idée de la réalisation du socialisme mondial : des luttes s'additionne­raient d'abord entreprises par entreprises (natio­nalisations), puis elles deviendraient des révolu­tions pays par pays, ceux-ci se "fédérant" ensuite entre eux ; c'est encore la vision de l'aile bordiguiste du mouvement révolutionnaire. Cependant, si les conditions du changement de pério­de historique du capitalisme déclinant ont brisé cet­te vision, l'idée de Marx n'est pas remise en cause, elle est prolongée : la forme à l'intérieur de la­quelle fonctionne la lutte de classe est l'ensemble du monde capitaliste, par delà ses barrières natio­nales ou de blocs. La bourgeoisie mondiale exploite tout prolétaire en n'importe quel pays, le tourneur italien, le maçon russe comme l'électricien améri­cain. L'ouvrier sud-américain employé dans une fi­liale de Renault sait que son principal patron rési­de en France, le métallurgiste polonais qu'il dépend d'un commanditaire en Russie. Si tout ceci explique concrètement, à la racine, l'intérêt de tous les ca­pitalistes à serrer les coudes contre toute grève ou lutte de masse, par contre l'appartenance corpo­rative à une même branche industrielle n'a jamais permis réellement à la solidarité ouvrière de fran­chir les clivages nationaux. La nature de la classe ouvrière ne passe pas par la définition corporatiste mais indépendamment des diverses professions. Les aiguilleurs du ciel américain ont fait récemment la tragique expérience de l'absence de solidarité in­ternationale de corporation, l'idéologie de gauche du capitalisme laissant croire à cette illusion. Dans une concurrence capitaliste débridée, les métal­lurgistes anglais en grève ont pu voir un acier "étranger" préféré au "leur" et à meilleur coût, les mineurs français voir livrer du charbon "polo­nais" ou "allemand". Le terrain de la défense ou de l'exaltation du produit d'une corporation est celui où le capital règne en maître, en particulier par l'entremise des syndicats, c'est un lieu où le chau­vinisme peut encore être entretenu. Espérer l'exten­sion de la lutte à la même branche ou filiale c'est placer les prolétaires sur le même terrain concur­rentiel que les diverses firmes qui fabriquent un même produit, c'est sous-estimer le patriotisme d'en­treprise lié à la production d'une marchandise don­née quand les capitalistes font accroire que le pro­duit de leur travail appartiendrait aux ouvriers ; ainsi les prolétaires sont limités et déterminés aux bornes de l'entreprise, au mode de fabrication déviés de la remise en cause de l'ensemble du mode de production capitaliste.

Le prolétariat dans son entier produit toutes les richesses, la production capitaliste parcellisée et mercantile lui est étrangère, et il n'a pas droit de regard sur son utilisation en bout de chaîne. Dans ces conditions un prolétaire se définit avant tout comme être salarié, sujet exploité dans un sys­tème social marchand qui lui est hostile. Lorsque les prolétaires luttent, ils ne luttent pas au pre­mier abord pour un meilleur charbon français ou un meilleur acier anglais, ils luttent -quelles que soient leurs professions- contre les condition d'ex­ploitation et de soumission, et en prolongement au niveau plus élevé du développement de leurs luttes- s'ils ne se laissent pas entraver par les barrages syndicalistes- remettent en cause l'Etat capitaliste. La généralisation des luttes au niveau international ne peut donc provenir d'une extension corporative. La grève massive de mai 68 en France et les grèves dans le monde au même moment, ou la grève de masse d'août 80 en Pologne ne se sont pas produites par une addition de corporations en lutte, par la même branche puis les unes aux côtés des autres. C'est en dépassant la vision d'une somme de corpo­rations que les prolétaires en Pologne ont trouvé le réel chemin de la lutte contre l'Etat, en posant les mêmes objectifs des usines vers la rue ; leur révolte contre les conditions d'exploitation de­vint lutte contre l'ordre capitaliste et non pas meilleure gestion ou production de marchandises. La réaction de l'Etat polonais témoigna de la solidarité des divers Etats capitalistes contre la lutte ouvrière, derrière lui se tenaient à la fois l'Etat russe et les Etats occidentaux. Cette coalition de la bourgeoisie est une leçon de cho­ses en ce qui concerne le manque d'unité interna­tionale du prolétariat. A charge de revanche cette coalition bourgeoise montre la nécessité d'une unité de combat de l'ensemble du prolétariat con­tre la force capitaliste qui sait faire cesser mo­mentanément ses divisions intrinsèques pour parer à la lutte de classe. Si toutes les fractions de la bourgeoisie mondiale se sont jetées comme un seul homme sur l'incendie polonais, cela prouve que, malgré ses difficultés économiques insurmon­tables, cette classe rétrograde veille à empêcher à tout prix sa destruction par le prolétariat ; cela prouve qu'elle a la hantise de 1'imitation et de la contagion. La répression organisée de longue main internationalement pour apparaître com­me un "règlement de compte" entre "polonais", ne peut cacher que derrière la milice et l'armée po­lonaise se tenait toute la bourgeoisie mondiale (il était plus lucide d'avoir recours à la mys­tification nationaliste de "charbonnier maître chez soi"). L'utilisation renouvelée des barriè­res nationales est encore un trait dominant de la politique bourgeoise et rend plus difficile à en­visager une simultanéité absolue d'explosions de luttes de classe dans plusieurs pays à la fois où les prolétaires, hors des corporations, se ten­draient la main par-dessus les frontières. Mais l'approfondissement de la crise économique brise ces barrières dans la conscience d'un nombre gran­dissant de prolétaires à travers les faits qui mon­trent qu'il s'agit d'une MEME lutte de classe. Il faut tirer les leçons du fait que les principales luttes de ces dernières années se soient succédées étalées dans le temps, sans liens de classe directs d'un pays à l'autre. En effet, d'autant plus que la crise économique ne frappe pas un pays puis un autre, le premier remontant la pente quand l'autre la redescend, comme dans la période de reconstruction suivant la 2ème guerre mondiale, elle tend à frapper en même temps l'ensemble des pays et sur­tout les plus industrialisés et têtes de pont ca­pitalistes florissants jusque là. Ainsi le tourbil­lon du marasme économique, s'il procède avec len­teur, tend à rapprocher le moment où comme pendant l’année 68 et avec une accélération soudaine, les luttes ouvrières se produiront dans plusieurs pays à la fois sur les mêmes bases : lutte contre l'austérité capitaliste, contre la menace du chô­mage et implicitement contre la menace de guerre. Beaucoup plus qu'à travers ces luttes qui se sont succédées ces dernières années, c'est à travers une simultanéité dans la mesure du possible de nouvelles luttes en plusieurs pays que se posera le problème de la jonction par delà les barrières nationales et de blocs impérialistes, contraignant la bourgeoisie mondiale à une réaction dispersée, encourageant la prise de conscience que 1'ennemi capitaliste est le même partout. Qu'il le veuille ou non, c'est la prochaine étape qualitative nécessaire pour le prolétariat, possible dans la conjoncture mondiale, obligatoire pour son renforcement. Dans une telle situation un mouvement de masse comparable à celui de la Pologne en 1980 ne restera pas isolé mais trouvera la solidarité par le développement d'autres mouvements de masse.

En ces années 80 le prolétariat devra frapper au coeur des principales métropoles capitalistes s'il veut donner un solide élan à son combat internatio­nal. C'est particulièrement au vieux coeur du capi­talisme, l'Europe, que les échanges entre zones de lutte ne devront plus être une caricature de bons offices syndicaux. La concrétisation d'échanges in­ternationaux sera là exemplaire pour le monde entier. Cela sera décisif pour la révolution inter­nationale. Le problème de la destruction des Etats bourgeois sera posé plus abruptement mais ne sera pas résolu pour autant.

Gieller

 

"La guerre, incontestablement, a joué un rôle énorme dans le dé­veloppement de notre révolution, elle a désorganisé matérielle­ment l'absolutisme : elle a dis­loqué 1'armée, elle a donné de 1'audace à la masse des habitants. Mais heureusement, elle n'a pas créé la révolution, et c'est une chance parce que la révolution née de la guerre est impuissante : elle est le produit de circons­tances extraordinaires, repose sur une force extérieure et en définitive se montre incapable de conserver les positions con­quises. "(Trotsky, "Notre Révolu­tion").

Cette juste conception que Trotsky développe après le mouve­ment de 1905 en Russie, sera contredite par les théories que Trotsky développera après la révolution de 1917, elle aussi déclenchée à la suite d'une guer­re.

Pourtant, l'échec de la révolu­tion russe après son isolement fut une vérification supplémen­taire du caractère défavorable que constituent les conditions que crée la guerre.

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