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Les luttes ouvrières de Pologne constituent le mouvement le plus important du prolétariat mondial depuis plus d'un demi-siècle. Un an après leur début, le bilan est riche d'enseignements pour la classe ouvrière de tous les pays et pour ses secteurs les plus avancés, les groupes révolutionnaires. Ce sont des éléments pour un tel bilan, ainsi que pour les perspectives qui s'en dégagent, que nous donnons dans cet article. Des éléments seulement, car cette expérience du prolétariat est tellement importante et riche, qu’on ne saurait la traiter de façon exhaustive dans le cadre d'un seul article. De même, la situation créée en Pologne est, par certains côtés, tellement nouvelle, elle évolue encore à une telle rapidité, qu'elle commande aux révolutionnaires la plus grande ouverture d'esprit, beaucoup de prudence et d'humilité dans les jugements qu'il convient de porter quant au devenir du mouvement.
UN BILAN QUI CONFIRME LES POSITIONS DE LA GAUCHE COMMUNISTE
Le mouvement ouvrier a une longue histoire. Chacune de ses expériences successives constitue un pas dans un chemin qui a commencé il y a près de deux siècles. En ce sens, si toute nouvelle expérience est confrontée a des conditions et circonstances inédites qui permettent d'en tirer des leçons spécifiques une des caractéristiques de ce mouvement est qu'à chacune de ses étapes, il est en général conduit, avant que de pouvoir aller glus loin, à redécouvrir des méthodes et des enseignements qui avaient déjà été siens dans le passe.
Au siècle dernier, et au cours des premières années de ce siècle, ces enseignements du passé faisaient partie de la vie quotidienne des prolétaires à travers notamment l'activité et la propagande de leurs organisations : syndicats et partis ouvriers. Avec l'entrée du capitalisme dans une autre phase de son existence, celle de sa décadence, le mouvement de la classe avait du s'adapter aux nouvelles conditions ainsi créées : la révolution de 1905 dans l'Empire russe constitue la première expérience d'une nouvelle époque de la lutte de classe, celle qui doit aboutir au renversement violent du capitalisme et à la prise du pouvoir par le prolétariat mondial. Ce mouvement de 1905 était riche d'enseignements pour les combats qui allaient suivre et tout particulièrement pour la vague révolutionnaire qui va de 1917 à 1923. Il avait fait découvrir au prolétariat deux instruments essentiels de sa lutte dans la période de décadence du capitalisme : la grève de masse et son auto-organisation en conseils ouvriers.
Mais si les enseignements de 1906 étaient présents dans la mémoire des prolétaires russes en 1917, si l'exemple d'octobre 1917 a éclairé les combats du prolétariat en Allemagne, en Hongrie, en Italie et dans beaucoup d'autres pays entre 1918 et 1973 et jusqu'au 1927 en Chine, la période suivante a connu une toute autre situation. En effet, cette vague révolutionnaire qui suit la première guerre mondiale a laissé la place à la plus longue et profonde contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier. Tout l'acquis des luttes du premier quart du 20ème siècle a progressivement été perdu pour les masses prolétariennes et seuls quelques petits groupes ont été en mesure de conserver et défendre contre vents et marées ces acquis : les groupes de la gauche communiste (la fraction de gauche du Parte Communiste d'Italie, le KAPD, les Communistes Internationalistes de Hollande et les noyaux qui se sont rattachés politiquement à ces courants).
Ce qui se dégage des événements de Pologne, c'est-à-dire de l'expérience la plus importante du prolétariat mondial depuis la reprise historique de ses combats à la fin des années 60, c'est une confirmation éclatante des positions défendues par la gauche communiste depuis des décennies. Que ce soit sur la nature des pays soi-disant ''socialistes'' sur l'analyse de la période actuelle de la vie du capitalisme, sur la fonction des syndicats, et les caractéristiques du mouvement prolétarien dans cette période, sur le rôle des révolutionnaires dans ce mouvement, les luttes ouvrières en Pologne ont constitué une vérification vivante de la justesse de ces positions progressivement élaborées par les différents courants de l'entre-deux guerres et qui devaient trouver: avec la Gauche Communiste de France (qui publiait ''Internationalisme'' jusqu'au 1952) et avec le CCI aujourd'hui, leur formulation la plus complète et synthétique.
LA NATURE DES PAYS DITS ''SOCIALISTES''
Tous les courants de la gauche communiste n'ont pas su analyser avec la même clarté et la même promptitude la nature de la société qui s'était établie en URSS à la suite de la défaite de la vague révolutionnaire du premier après-guerre et de la dégénérescence du pouvoir issu de la révolution d'octobre 1917 en Russie. Pendant longtemps, la gauche italienne a parlé d'un ''Etat ouvrier'' alors que, dès les bénies 20, la gauche germano-hollandaise a analysé cette société comme un ''capitalisme d'Etat''. Mais le mérite commun de tous les courants de la gauche communiste a été, contre le stalinisme , évidemment, et également contre le trotskyste, de dire de façon claire que le régime existant en URSS était contre-révolutionnaire, que le prolétariat y était exploité comme partout ailleurs, qu'il n'avait dans ce pays aucun ''acquis'' à défendre et que tout mot d'ordre de ''défense de l’URSS'' n'était pas autre chose qu'un drapeau de ralliement pour la participation è une nouvelle guerre impérialiste.
Depuis, la nature capitaliste de la société existant en Russie et dans les pays dits ''socialistes'' est parfaitement claire pour l'ensemble des courants de la gauche communiste. Dans la classe ouvrière mondiale cette idée est également en train de se développer à tel point que certains sociaux-démocrates n'hésitent pas à parler de ''capitalisme d'Etat'' pour qualifier ces pays? Dans le but de damer le pion aux partis staliniens et de tenter de propager les prolétaires à une défense de l'occident capitaliste certes, mais ''démocratique'', contre le bloc de l'Est capitaliste et totalitaire.
Mais, contre les mystifications que continuent à faire peser les staliniens et les trotskistes sur la véritable nature de ces régimes, les luttes ouvrières de Pologne constituent une arme décisive. Elles mettent en évidence pour les ouvriers de tous les pays que dans le ''socialisme réel'' comme partout ailleurs, la société est diviser en classes aux intérêts irréconciliables, qu'il existe des exploiteurs avec des privilèges tout à fait semblables à ceux des exploiteurs d'occident et des exploités sur qui pèse une misère et une oppression croissantes au fur et è mesure que sombre l'économie mondiale. Elles jettent une lumière crue sur ces prétendues ''conquêtes'' ouvrières dont les prolétaires de ces pays n'ont entendu parler que dans les discours de la propagande officielle. Elles font justice des ''mérites'' de ''l'économie planifiée'' et du ''monopole du commerce extérieur'' chantés par les trotskistes : ces grands ''acquis'' n'ont pas empêché l'économie polonaise d'être totalement désorganisée et endettée jusqu'au cou. Ces luttes, enfin, par leurs objectifs et leurs méthodes, font la preuve que le combat prolétarien est le même dans tous les pays et cela parce que partout il est mené contre un même ennemi : le capitalisme.
Ce coup porté par les ouvriers de Pologne aux mystifications sur la nature véritable des pays dits ''socialistes'' est de la plus haute importance pour la lutte du prolétariat mondial même si, depuis quelque temps l'étoile du ''socialisme réel'' était quelque peu ternie. En effet, c'est la mystification de l'URSS ''socialiste'' qui avait été au centre de l'offensive contre-révolutionnaire du capitalisme avant et après la seconde guerre mondiale : soit pour dévoyer les luttes prolétariennes vers la ''défense de la patrie socialiste'' soit pour écœurer les ouvriers et leur faire tourner le dos à toute lutte et à toute perspective révolutionnaire.
Pour pouvoir aboutir, le mouvement révolutionnaire dont on voit aujourd'hui les signes avant- coureurs devra faire la plus grande clarté sur le fait qu'il est confronté partout à un même ennemi, qu'il n'existe aucun ''bastion ouvrier'' même dégénéré, dans le monde. Les luttes de Pologne lui ont fait accomplir un grand pas dans cette direction
LA PERIODE PRESENTE DE LA VIE DU CAPITALISME
A la suite de l'Internationale Communiste, la gauche communiste ([1]) qui s'en est dégagée au cours des années 20, a basé ses positions sur l'analyse de la période ouverte par la première guerre mondiale comme celle de la décadence du capitalisme. La période où ce système ne se survit plus qu'à travers un cycle infernal de crise aiguë, guerre, reconstruction, nouvelle crise, etc.
Après toutes les illusions sur un ''capitalisme enfin libéré des crises'' que les prix Nobel d'économie et leurs comparses ont pu répandre è la faveur de la reconstruction du deuxième après-guerre, la crise qui depuis glus de dix ans frappe tous les pays a commencé a redonner corps è cette position classique du marxisme. Cependant, la thèse a longtemps été maintenue par des idéologies de à gauche, et non sans succès parmi certains secteurs du prolétariat, que l'étatisation de l'économie ne pouvait constituer un remède à cette maladie. Un des grands enseignements des luttes ouvrières en Pologne, avec tout le délabrement de l'économie nationale qu'elles mettent en évidence, est que ce ''remède'' n'en est pas un, et qu'il est même capable d'être pire que le mal. La faillite dans 1aquelle s'enfonce le modèle de capitalisme qui prime en occident n'est pas liée au ''Jeu des grands monopoles'' et autres ''multinationales''. La faillite des modèles complètement étatisés fait la preuve que ce n'est pas telle ou telle forme de capitalisme qui est caduque et en putréfaction. C'est le mode de production capitaliste comme un tout qui se trouve dans ce cas et qui doit donc laisser la place à un autre mode de production.
LA NATURE DES SYNDICATS
Un des enseignements les plus importants des luttes de Pologne concerne le rôle et la nature des organisations syndicales déjà mis en évidence par la gauche allemande et hollandaise.
En effets ces luttes ont démontré que le prolétariat n'a pas besoin de syndicats pour engager le combat de façon massive et déterminée. S'ils existaient en aout 1980 en Pologne, 1es syndicats n'étaient pas autre chose - et chaque ouvrier en avait conscience - que l'auxiliaire servile du Parti gouvernant et de la police. C'est donc en dehors et contre les syndicats que le prolétariat s'est mis en action en Pologne, se dotant de ses organes de combat, les MKS (comités de lutte reposant sur les assemblées générales et les délégués élus et révocables de celles-ci), au cours de la lutte et non de façon préalable.
Depuis août 1980 toute l'action de Solidarité a fait la démonstration que même ''libres'', ''indépendants'' et jouissant de la confiance des travailleurs les syndicats étaient les ennemis de la lutte de classe. L’expérience que vivent aujourd'hui les ouvriers de Pologne est riche d'enseignement pour le prolétariat mondial. Elle est une preuve vivante du fait que si partout dans le monde la lutte de classe se heurte aux syndicats, ce n est pas seulement parce que ceux-ci sont bureaucratisés ou que leurs dirigeants sont des vendus. L'idée que la lutte de classe va redonner une vie prolétarienne aux syndicats existants ou bien celle que les travailleurs doivent créer de nouveaux syndicats qui échapperont aux tares des anciens, sont démenties chaque jour en Pologne. Dans ce pays, à peine créé et avec à sa tête les principaux dirigeants de la grève d'août 1980, le nouveau syndicat ne fait pas autre chose que ce que faisaient les anciens et que font partout dans le monde les organisations syndicales : saboter les luttes, démobiliser et décourager les ouvriers, dévoyer leur mécontentement vers les voies de garage de ''l'autogestion'' et de la défense de l'économie nationale. Et ce n'est nullement ici une affaire de ''mauvais dirigeants, de ''manque de démocratie'' : la structure syndicale, c'est-à-dire une organisation permanente basée sur la défense des intérêts immédiats des travailleurs, ne peut se maintenir du côté de la classe ouvrière. Dans le capitalisme décadent, à l'époque où il n'y a plus de réformes possibles dans un système en putréfaction, où l'Etat tend à intégrer en son sein toute la société civile, une telle structure ne peut être qu'aspirée par l'Etat et devenir un instrument de sa devenue et de celle du capital national. Et une telle structure se donne les dirigeants et les rouages qui correspondent à sa fonction. Le meilleur militant ouvrier deviendra un bonze syndical cogne les autres s'il accepte de prendre une place dans cette structure. La plus grande démocratie formelle comme celle qui existe en principe dans Solidarité, ne pourra empêcher un Walesa de négocier directement avec les autorités les conditions et les modalités du sabotage des luttes, de passer son temps à jouer les ''pompiers volants'' aux quatre coins du pays lorsque se déclenche le moindre incendie social.
Le bilan d'une année de luttes en Pologne est clair. Jamais le prolétariat n'a été aussi fort que lorsqu'il n'y avait pas de syndicats, lorsque c'étaient les assemblées des ouvriers en lutte qui avaient l'entière responsabilité de la conduite de celle-ci, qui élisaient, contrôlaient et éventuellement révoquaient les délégués envoyés dans les organes de centralisation du mouvement.
Depuis, la création et le développement de Solidarité, ont permis qu'à une aggravation de leurs conditions de vie sans commune mesure avec celle qui avaient provoqué les grèves de l'été 1980 les ouvriers n'aient pu apporter qu'une réponse bien plus faible et disperser. C'est Solidarité qui a permis de faire accepter ce que les anciens syndicats ne pouvaient plus imposer : un allongement de la semaine de travail (renonciation aux samedis libres), un triplement du prix du pain et des augmentations massives des prix d'autres biens de première nécessité, une pénurie chaque jour plus intenable. C'est Solidarité qui a réussi à engager les prolétaires polonais dans l'impasse de l'autogestion dont ils se détournaient l'année dernière et qui va les conduire à désigner eux-mêmes (quand cela sera compatible avec les vues du Parti règnent) celui qui va se charger d'organiser leur exploitation. C'est Solidarité enfin qui a préparé, en démobilisant chaque lutte, le terrain de l'offensive présente des autorités sur le plan de la censure et de la répression.
Le prolétariat de Pologne est beaucoup plus faible aujourd'hui avec une organisation syndicale ''libre'' et en qui ''il a 'confiance'' que lorsqu'il ne comptait sur aucun syndicat pour défendre ses intérêts. Et toutes les éventuelles ''rénovations'' du syndicat par des éléments plus ''radicaux'' que Walesa n'y pourront rien. Dans tous les pays du monde, le syndicalisme ''de base'' ou ''de combat'' a fait ses preuves : il n'a d'autre fonction, quelles que soient les illusions de ses promoteurs: que de redorer le blason d'un mode d'organisation qui ne peut servir d'autres intérêts que ceux du capitalisme.
Voila ce que les courants les plus lucides de la gauche communiste affirment depuis longtemps. Voila ce que devront finir par comprendre les courants communistes qui, à travers des bavardages sur ''l’associationnisme ouvrier'' maintiennent des illusions sur la possibilité pour le prolétariat de se doter d'organisations de type syndical.
Les luttes de Pologne, même si aujourd'hui les ouvriers de ce pays sont en bonne partie enfermés dans le piège de Solidarité, et justement à cause de cela, ont mis les pieds dans le plat d'une des mystifications les plus tenaces et dangereuses pour le prolétariat : la mystification syndicale.
Aux prolétaires et aux révolutionnaires de tous les pays d'en tirer les enseignements.
LES CARACTERISTIQUES DES LUTTES PRESENTES DE PROLETARIAT ET LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES
Dans les colonnes de cette revue, nous avons amplement traité de cette question (''Grève de masse en Pologne 1980'', n°23 ; ''Notes sur la grève de masse, hier et aujourd'hui dans ce n° ; ''A la 1umière des évasements de Pologne, le rôle des révolutionnaires'', n°24). Nous n'y reviendrons brièvement dans cet article que pour mettre en évidence deux points :
1) en renouant avec le combat, le prolétariat retrouve nécessairement l'arme de la grève de masse ; 2) le développement de la lutte en Pologne éclaire la nature des tâches des révolutionnaires dans la période actuelle de décadence du capitalisme.
C'est Rosa Luxemburg (cf. article dans ce no de la revue) qui, la première en 1906, a mis en évidence les caractéristiques nouvelles du combat prolétarien et a analysé avec profondeur le phénomène de la grève de masse. Elle basait son analyse sur l'expérience de la révolution de 1905- 1906 dans l'empire russe et notamment en Pologne où elle se trouvait au cours de cette période.
Par une ironie de l'histoire c'est encore en Pologne au sein du bloc impérialiste russe, que le prolétariat a renoué avec le plus de détermination avec cette méthode de lutte. Ce n'est d'ailleurs pas totalement le fruit du hasard. Comme en 1905, le prolétariat de ces pays est un de ceux qui subit le plus violemment les contradictions du capitalisme. Comme en 1905, il n'y avait pas dans ces pays de structures syndicales ou ''démocratiques'' capables de constituer des tampons face au mécontentement et à la combativité des ouvriers.
Mais au delà de ces analogies, il est nécessaire de mettre en évidence l'importance de l'exemple des grèves de masse en Pologne, et notamment le fait que la lutte prolétarienne de notre époque, contrairement à ce qui était le cas au siècle dernier et à ce que pensaient les bonzes syndicaux contre lesquels polémiquait Rosa Luxemburg: que cette lutte ne résulte pas d’une organisation préalable, mais qu’elle surgit spontanément du sol de la société en crise. L’organisation ne précède pas la lutte, elle se crée dans la lutte.
Ce fait fondamental donne aux organisations révolutionnaires une fonction très différente de celle qui était la leur au siècle dernier. Lorsque l'organisation syndicale était une condition de la lutte (voir ''La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme, Revue Internationale no23), le rôle des révolutionnaires était de participer activement à 1’édification de ces organes de combat. On peut considérer que, d'une certaine façon, à cette époque, les révolutionnaires ''organisaient'' la classe ouvrière en vue de ses luttes quotidiennes contre le capital. Par contre, lorsque l'organisation est un produit de la lutte, laquelle surgit spontanément à partir des convulsions qui assaillent la société capitaliste, il ne saurait plus être question pour les révolutionnaires « d’organiser » la classe ou de « préparer » ses mouvements de résistance contre les attaques croissantes du capital. Le rôle des organisations révolutionnaires se situe alors sur un tout autre il plan : non la préparation des luttes économiques immédiates, mais la préparation de la révolution prolétarienne par une défense au sien de ces luttes de leurs perspectives mondiale, globale et historique et plus généralement de l'ensemble des positions révolutionnaires.
L'expérience des luttes ouvrières en Pologne, les enseignements que des secteurs importants du prolétariat mondial commencent à en tirer (comme ces ouvriers de la FIAT de Turin qui manifestaient en scandant ''Gdansk, Gdansk !''), sont une illustration vivante de comment procède le développement de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière. Comme on l'a vu, un grand nombre des enseignements des luttes de Pologne faisaient depuis des décennies partie du patrimoine programmatique de la gauche communiste. Mais toute la propagande patiente et obstinée des groupes de ce courant pendant des décennies a moins fait, et de très à loin, que quelques mois de luttes des ouvriers en Pologne pour faire assimiler au prolétariat mondial ces enseignements. La conscience du prolétariat ne précède pas son être mais accompagne l'épanouissement de celui-ci. Et cet épanouissement ne se réalise que par ce combat contre le capitalisme et par son auto-organisation dans et pour ce combat.
Ce n'est que lorsqu’il commence à agir comme classe, donc à lutter à une échelle massive, que le prolétariat est en mesure de tirer les leçons de ses luttes tant présentes que passées. Cela ne veut pas dire que les organisations révolutionnaires n'ont aucun rôle à jouer dans ce processus. Leur fonction est justement de systématiser ces enseignements de les intégrer dans une analyse globale et cohérente, de les rattacher à toute l'expérience passée de la classe et aux perspectives d'avenir de son combat: Mais leur intervention et leur propagande au sein de la classe ne peuvent réellement rencontrer d'écho dans les masses ouvrières que lorsque celles-ci sont confrontées, dans 1a pratique, par une expérience vivante, aux questions fondamentales soulevées par cette intervention.
Ce n'est qu'en s'appuyant sur les premiers éléments d'une prise de conscience, prise de conscience dont elles sont elles-mêmes une manifestation, que les organisations révolutionnaires sont en mesure de se faire entendre par l'ensemble de la classe, de féconder son combat.
LES PROBLEMES NOUVEAUX QUE LES LUTTES DE POLOGNE METTENT EN EVIDENCE
Si les mouvements importants du prolétariat sont en général l'occasion d'une redécouverte par les travailleurs de méthodes et d'enseignements déjà valables dans le passé, il ne faudrait pas en déduire que la lutte de classe est constituée d'une simple répétition monotone du même scénario. Dans la mesure où il se déroule dans des conditions en évolution constante, chaque mouvement de la classe apporte ses propres enseignements qui viennent enrichir le patrimoine de son expérience globale. A certains moments cruciaux de la vie de la société, copie les révolutions ou les périodes charnière entre deux époques de celle-ci, il arrive même qu'une lutte particulière apporte au prolétariat mondial des éléments nouveaux si fondamentaux pour son mouvement historique que c'est toute la perspective de celui-ci qui en est affectée. Il en fut ainsi de la Commune de Paris, des révolutions de 1905 et 1917 en Russie. La première fit découvrir au prolétariat la nécessité de détruire de fond en comble l'Etat capitaliste. La deuxième, située au tournant de la vie du capitalisme, entre sa phase ascendante et sa phase de décadence, lui montra de quels instruments elle avait besoin dans cette nouvelle période, tant pour résister aux attaques du capital que pour partir à l'assaut du pouvoir : la grève de masse et les conseils ouvriers. La troisième, seule expérience sérieuse à ce jour de la prise du pouvoir politique par le prolétariat dans un pays, doit lui permettre d'aborder, mieux armé que par le passé, les problèmes de la dictature du prolétariat, de ses rapports avec l'Etat de la période de transition et de la place du parti prolétarien dans l'ensemble du processus révolutionnaire.
Les luttes ouvrières en Pologne: malgré toute leur importance, n'ont pas apporte è l'expérience du prolétariat des éléments aussi fondamentaux que ceux qu'on vient d'évoquer. Cependant, il est nécessaire de signaler certains problèmes auxquels la pratique n'a pas encore donné de réponse décisive, bien qu'ils se soient posés depuis longtemps sur le plan théorique, et que les évasements de Pologne remettent au premier plan des préoccupations de la classe.
En premier lieu, les luttes de Pologne sont une illustration claire d'un phénomène général que nous avons déjà signalé dans notre presse et qui est nouveau dans l'histoire du mouvement ouvrier le développement d'une vague révolutionnaire du prolétariat non à partir de la guerre (comme en 1905 et 1917 en Russie, en 1918 en Allemagne et dans le reste de l'Europe), mais à partir d'un effondrement économique du capitalisme, ''conformément'' pourrait-on dire, au schéma que Marx et Engels avaient envisagé au siècle dernier. Nous avons dans d'autres textes amplement analysé les caractéristiques qu'imposent à la vague présente des combats ouvriers les conditions dans lesquelles elle se développe : mouvement de longue durée, mobilisation à partir de revendications essentiellement économiques (alors qu'en 1917, par exemple, la revendication principale, la paix, était directement politique). Nous n'y reviendrons pas ici sinon pour constater que ces circonstances nouvelles exigent des révolutionnaires vigilance, esprit critique, modestie, ouverture d'esprit afin d'éviter d'être empêtrés dans des schémas du passé devenus caducs aujourd'hui. C'est dans de tels schémas rigides que se sont enfermés les groupes qui considèrent que le prochain mouvement révolutionnaire de la classe surgira, comme par le passé, de la guerre impérialiste. Les luttes de Pologne démontrent justement que le capitalisme ne sera en mesure d'apporter sa réponse propre à la crise générale de son économie qu'après avoir mis au pas le prolétariat. Tant que les diverses fractions nationales de la bourgeoisie seront menacées dans leur survie comme classe par la combativité ouvrière, elles ne prendront pas le risque de laisser leurs luttes pour l'hégémonie mondiale dégénérer en une confrontation centrale qui les affaiblirait devant leur ennemi commun et mortel : le prolétariat. C'est ce qu'a démontré l'année 1980 : si la première partie est marquée par une aggravation très sensible des tensions entre les deux blocs impérialistes, ces tensions, tout en se maintenant, passent au second plan pour la bourgeoisie mondiale après les grèves du mois d'août. Ce qui importe à la bourgeoisie, après ces luttes, c'est de faire tout son possible, et de façon coordonnée, pour étouffer la combativité ouvrière. Et pas un de ses secteurs ne manque à l'appel. L'URSS et ses acolytes font force manœuvres militaires et promesses d'''aide fraternelle'' pour intimider les ouvriers polonais ; ils dénoncent soigneusement Walesa et Kuron chaque fois que ceux-ci ont besoin de redorer un blason qui a tendance à se ternie au fil de leurs incessantes opérations antigrèves. Les pays occidentaux accordent des reports de dettes et des livraisons de denrées de base à bas prix ; ils envoient leurs syndicalistes apporter matériel de propagande et bons conseils à Solidarité ; ils font tout leur possible pour rendre crédible la thèse d'une intervention du Pacte de Varsovie au cas où l'agitation ne se calmerait pas, ils confient au chancelier ''socialiste'' d'Autriche Kreisky et à Brandt, président de l'''internationale Socialiste'' , le soin d'exhorter les prolétaires polonais ''au travail '' .
En d'autres termes, si les différents gangsters qui se partagent le monde ne perdent pas une occasion de se tirer dans le dos, ils sont prêts à réaliser l'''union sacrée'' dès que se manifeste l'ennemi prolétarien. La lutte de la classe ouvrière, telle qu'elle est engagée aujourd'hui, est bien le seul obstacle à une nouvelle guerre généralisée. Les événements de Pologne démontrent une nouvelle fois que la perspective n'est pas à celle-ci, mais à la guerre de classe. La prochaine révolution ne surgira pas de la guerre mondiale, c'est uniquement sur le cadavre de la révolution que la guerre pourra éventuellement surgir.
L'autre problème que posant les évasements de Pologne concerne plus spécifiquement la nature des armes bourgeoises que la classe ouvrière devra affronter dans les pays du bloc russe.
En Pologne, on a pu constater que la bourgeoisie a du adopter , à son corps défendant , la tactique couramment employée en occident : le partage du travail entre des équipes gouvernementales à qui revient la tâche de ''parler clair'' le langage de 1'austérité de la répression et de 1'intransigeance (modèle Reagan ou Tchatcher) , et des équipes d'opposition au langage ''ouvrier'' chargées de paralyser la riposte ouvrière face aux attaques capitalistes . Mais alors que les bourgeoisies occidentales sont rompues à ce genre de partage des responsabilités pour lequel elles disposent d'un système ''démocratique'' bien rodé , les bourgeoisial du bloc de 1'Est dont le mode de domination est basé sur l'existence d'un parti-Etat , maître absolu de tous les rouages de la société , ces bourgeoisies éprouvent les plus grandes difficultés à maitriser un tel jeu .
En décembre 1980, nous mettions déjà en évidence cette contradiction : ''...pas plus aujourd'hui qu'hier, le régime stalinien ne peut tolérer sans dommage ni danger l'existence de telles forces d'opposition. Sa fragilité et sa rigidité congénitales n'ont pas disparu par enchantement par la grâce de l'explosion des luttes ouvrières. Bien au contraire ! Ainsi, contraint de tolérer dans ses entrailles un corps étranger dont il a besoin pour survivre, mais que rejettent toutes les fibres de son organisme , le régime est plongé aujourd'hui dans les convulsions les plus douloureuses de son histoire (Revue Internationale n°24, p.3).
Depuis, le Parti a réussi, notamment après son 9ème Congrès et grâce, une fois encore, à la collaboration des grandes puissances, à stabiliser sa situation interne autour de Kania et à établir un modus vivendi avec Solidarité. Ce modus vivendi n'est pas exempt d'attaques et de dénonciations acerbes. Comme en occident, elles font partie du jeu qui permet è chacun des protagonistes d'être crédible dans son rôle : en montrant les dents, le ''méchant'' veut faire la preuve que, si c'est nécessaire, il n'hésitera pas à réprimer et en même temps, il attire la sympathie du public sur le ''gentil'', lequel, en bravant le premier, se donne des allures de ''héros''.
Mais, les affrontements entre Solidarité et le POUP ne sont pas uniquement du cinéma, comme n'est pas uniquement du cinéma l'opposition entre droite et gauche dans les pays occidentaux. En occident, cependant, le cadre institutionnel permet en général, de ''gérer'' ces oppositions afin qu'elles ne menacent pas la stabilité du régime et que les luttes pour le pouvoir soient contenues et se résolvent dans la formule la plus appropriée pour affronter l'ennemi prolétarien. Par contre, si en Pologne même, la classe dominante est parvenue, avec beaucoup d'improvisation, mais momentanément avec succès, à instaurer des mécanismes de ce style, rien ne dit qu'il s'agisse d'une formule définitive et exportables vers d'autres pays ''frères''. Les mêmes invectives qui servent à crédibiliser un partenaire-adversaire quand celui-ci est indispensable au maintien de l'ordre, peuvent accompagner son écrasement quand il n'est plus utile (celles relations entre fascisme et démocratie entre les deux guerres mondiales).
En la contraignant à un partage des tâches auquel la bourgeoisie d'Europe de l'Est est structurellement réfractaire, les luttes prolétariennes de Pologne ont créé une contradiction vivante. Il est encore trop tôt pour prévoir comment elle se résoudra. Face è une situation historiquement inédite (''une époque des jamais vus'' comme disait un leader de Solidarité, Gwiazda), la tâche des révolutionnaires est de se mettre modestement à 1’écoute des faits.
LES PERSPECTIVES
Prévoir dans le détail de quoi demain sera fait est une tâche qui échappe, comme on vient de le voir, à la compétence des révolutionnaires. Par contre, ils doivent être capables de dégager de l'expérience les perspectives plus générales du mouvement, d'identifier le prochain pas que devra accomplir le prolétariat sur son chemin vers la révolution. Et ce pas, nous l'avons défini dès le lendemain des luttes d'août 1980 dans le tract international diffusé par le CCI, ''Pologne: à l'Est conte à l'Ouest, une même lutte ouvrière contre l'exploitation capitaliste'' (6/9/82) : la généralisation mondiale des combats.
L'internationalisme est une des positions de base du programmer prolétarien si non la plus importante. Il est exprimé avec force par la devise de la Ligue des Communistes de 1847, ainsi que par l’hymne de la classe ouvrière. C'est la 1igne de partage entre courants prolétariens et courants bourgeois dans les 2ème et 3ème Internationales dégénérescences. Cette place privilégiée de 1'internationalisme n'est pas la traduction d'un principe général de fraternité humaine. Elle exprime une nécessité vitale de la lutte pratique du prolétariat. Dès 1847, Engels pouvait écrire : ''La révolution communiste ne sera pas une révolution purement nationale. Elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés . . .''( ''Principes du communisme'' ) .
Les événements de Pologne mettent en évidence combien était juste cette affirmation. Ils démontrent la nécessité d'une unité mondiale du prolétariat face à une bourgeoisie qui, de son côté, est capable d'agir de façon concertée et solidaire par dessus tous ses antagonismes impérialistes. Puisqu'elle est face à son ennemi mortel. En ce sens, on ne peut que dénoncer le mot d'ordre parfaitement absurde de la ''Communist Workers' organisation'' qui dans le n°4 de ''Workers'voice'' appelle les ouvriers polonais à la ''révolution maintenant ! '' . Dans cet article, la CWO prend soin de préciser que ''appeler à la révolution aujourd'hui: n'est pas de l'aventurisme propre à un simple d'esprit, tout en précisant que : ''Du fait que l'ennemi de classe a eu 12 mois pour se préparer à écraser la classe et que les ouvriers polonais n'ont pas encore créé une direction révolutionnaire consciente de l'enjeu de la situation, les chances de victoire apparais- sent très minces. Malgré son inconscience: la CWO se rend quand même compte que I'URSS ne laisserait pas impunément le prolétariat faire la révolution a ses portes, mais elle a trouvé la solution : ''Nous appelons les travailleurs de Pologne à prendre le chemin de la lutte armée contre l'Etat capitaliste et à fraterniser avec les travailleurs en uniforme qui seront envoyés pour les écraserai. Voila ! Il suffisait d'y penser : il n'y a qu'à '' fraterniser avec les soldats russes''. Il est sûr qu'une telle possibilité n'est pas à exclure : c'est une des raisons qui expliquent que l'URSS ne soit pas intervenue en Pologne pour mettre au pas le prolétariat. Mais de là à penser que le Pacte de Varsovie ne pourrait déjà plus trouver en son sein les moyens d'exercer une répression, c'est se faire d'incroyables illusions sur la maturité présente des conditions de la révolution dans toute l'Europe de l'Est et dans le monde entier. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : le prolétariat ne pourra faire la révolution dans un pays que si, partout ailleurs, il est déjà en marche. Et ce ne sont pas les quelques grèves qui ont pu se produire en tchécoslovaque, en Allemagne de l'Est, en Roumanie et même en URSS depuis août 1980 qui permettent de dire que la situation est mûre dans ces pays pour l'affrontement de classe généralisé.
Le prolétariat ne pourra faire la révolution ''par surprises''. Un tel bouleversement sera le résultat et le point culminant d'une vaque de luttes internationales dont nous n'avons vu jusqu'à présent qu'un tout petit début ; Toute tentative du prolétariat dans un pays donné de se lancer à l'assaut du pouvoir sans tenir compte du niveau des luttes dans les autres pays est condamnée à un échec sanglant. Et ceux, comme la CWO, qui appellent les prolétaires à se lancer dans de telles tentatives sont des imbéciles irresponsables.
L'internationalisation des luttes n'est pas seulement indispensable en tant qu'étape vers la révolution prolétarienne, comme moyen d'arrêter le bras meurtrier de la bourgeoisie face aux premières tentatives de prise du pouvoir par le prolétariat. Elle est une condition du dépassement par les prolétaires polonais et ceux des autres pays à des mystifications qui pèsent sur eux et conduisent à une paralysie de leur combat. En effet, si on examine les causes du succès présent des manœuvres de Solidarité, on constate qu'elles tiennent pour l'essentiel, à l'isolaient où se trouve encore le prolétariat en Pologne
Tant que le prolétariat des autres pays du bloc de l'Est, et notamment de Russie, n'aura pas engagé le combat, le chantage è l'intervention des '' frères'' pourra fonctionner, le nationalisme pays anti-russe et la religion qui va avec conserveront un poids.
Tant que les ouvriers d'occident n'auront pas développé les luttes contre ''leurs'' syndicats l'indépendants'' et ''leurs'' régimes ''démocratiques'' ceux de l'Est ne pourront combattre jusqu'au bout leurs illusions sur le ''syndicalisme libre'' et la ''démocratie'' Tant que la pratique même d'une lutte mondiale n'aura pas fait comprendre aux prolétaires qu'ils n'ont pas d’''économie nationale'' à défendrezà qu'il n'y a pas de possibilité d'améliorer la gestion de celle-ci dans le cadre d'un pays et des rapports de production capitalistes, les sacrifices au nom de l'''intérêt national'' pourront être acceptés, les mystifications sur l'''autogestion'' avoir un impact.
En Pologne, comme partout, le prochain pas qualitatif des luttes dépend de leur généralisation à l'échelle mondiale. C'est ce que les révolutionnaires doivent dire clairement a leur classe au lieu de présenter les luttes ouvrières de Pologne
Comme le résultat des conditions historiques particulières de ce pays. En ce sens, un article comme celui de ''Programme Communiste'' n'en qui remonte aux partages de 1773. 1792 et 1796 et à ''l'héroïsme de Kosciuszko'' pour expliquer les luttes présentes au lieu de les resituer dans le cadre de la reprise mondiale des combats de classe, un article qui fait du prolétariat polonais l'héritier héroïque de la bourgeoisie polonaise révolutionnaire du siècle dernier et brocards la bourgeoisie polonaise aujourd'hui pour sa soumission à la Russie, un tel article, malgré les phrases internationalistes qu'on peut y trouver, n'est pas fait pour contribuer à une prise de conscience de la classe ouvrière.
Plus que jamais il s'agit d'affirmer clairement comme nous le faisions en décembre 1980 : ''En Pologne, le problème ne peut être que posé, c'est au prolétariat mondial de le résoudre'' (Revue Internationale, n°24, p.7). Et c'est le capitalisme mondial lui-même qui, par la généralisation de son effondrement économique, est en train de créer les conditions de ce surgissement mondial de la lutte de classe.
FM 03/10/81
[1] Bordiga, de fondateur de la gauche italienne réfutait l’analyse de la décadence du capitalisme: ce courant par contre, notamment avec ''Bilan'', s’est tenu ferme sur cette analyse jusqu’à la 2ème guerre.