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"Bien loin d'être une somme de prescriptions toutes faites qu'on n'aurait qu'à mettre en application, la réalisation pratique du socialisme comme système économique, social et juridique est une chose qui réside dans le brouillard de l'avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs, montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indications, d'ailleurs d'un caractère surtout négatif. Nous savons à peu près ce que nous aurons à supprimer tout d'abord pour rendre la voie libre à l'économie socialiste; mais, par contre, de quelle nature sont les mille et mille mesures pratiques, grandes et petites, propres à faire entrer les principes socialistes dans l'économie, dans le droit, dans tous les rapports sociaux, là-dessus il n'y a pas de programme de parti, pas de manuel socialiste qui donne des renseignements. Ce n'est pas un défaut : c'est au contraire l'avantage du socialisme scientifique sur le socialisme utopique." [1]
C'est ainsi que Rosa Luxemburg pose la question des mesures économiques et sociales que doit assumer la dictature du prolétariat. Cette affirmation reste toujours vraie aujourd'hui. Le prolétariat doit avant tout s'assurer d'avoir détruit l'appareil d'Etat capitaliste. Le pouvoir politique est l'essence de la dictature du prolétariat. Sans ce pouvoir, il lui sera impossible d'effectuer aucune transformation sociale, économique, juridique dans la période de transition du capitalisme au communisme.
L'expérience de la contre-révolution stalinienne a apporté d'autres indications très concrètes de caractère négatif. Les nationalisations par exemple, ne peuvent être identifiées à la socialisation des moyens de production. La nationalisation stalinienne, et même celle de la période du "communisme de guerre"(1918-1920), ont consolidé le pouvoir totalitaire de la bureaucratie étatique russe, lui ouvrant l'accès direct à la plus-value extraite des travailleurs russes. La nationalisation est devenue partie intégrante de la tendance au capitalisme d'Etat, basé sur une économie de guerre croissante et permanente. En Russie, la nationalisation a directement stimulé la contre-révolution.
Pourtant il existe des tendances dans le mouvement révolutionnaire actuel qui, bien que prétendant défendre cette position générale du marxisme, la déforment et la"révisent" avec toutes sortes de recettes "économiques et sociales" ajoutées au pouvoir politique de la dictature du prolétariat.
Parmi ces tendances, nous pensons que le F.O.R ("Fomento Obrero Revolucionario": : Ferment ouvrier révolutionnaire, qui publie Alarma, Alarme, Focus, entre autres) se distingue par de dangereuses confusions. Notre critique portera sur les positions de ce groupe sur les mesures politiques et économiques que doit prendre la dictature de la classe ouvrière.
L"EXPERIENCE D'OCTOBRE
1917, SELON LE F.O.R
Pour le F.O.R, l'expérience de la révolution russe montre la nécessité de socialiser les moyens de production dès le premier jour de la révolution. La révolution communiste, selon le F.O.R, est en même temps sociale et politique, et :
"..la révolution russe constitue un avertissement décisif, et la contre-révolution qui l'a supplantée, la plus cruelle leçon : La dégénérescence de la révolution a été facilitée en 1917 par l'étatisation des moyens de production qu'une révolution ouvrière doit socialiser. Seule l'extinction de l'Etat, telle que l'envisageait le marxisme aurait permis de transformer en socialisation l'expropriation de la bourgeoisie. Or, l'étatisation
s'est avérée l'étrier de la contre-révolution." [2]
Le F.O.R se trompe en affirmant qu'en 1917, il y a eu étatisation des moyens de production. Mais c'est nécessaire de le dire pour présenter ensuite le "communisme de guerre" comme un "dépassement" du projet bolchevik initial. La vérité, c'est que :
"Presque toutes les nationalisations qui se font avant l'été 1918 sont dues à des raisons punitives,
provoquées par l'attitude des capitalistes, qui se refusent à collaborer avec le nouveau régime ." [3]
En 1917, le parti bolchevik n'a aucune intention d'étendre à une grande échelle le secteur étatisé. C'est déjà un secteur énorme qui montre toutes les caractéristiques bureaucratiques et militarisées de l'économie de guerre. Au contraire, ce que les bolcheviks veulent, c'est CONTROLER POLITIQUEMENT ce capitalisme d'Etat, dans l'attente de la révolution mondiale. La désorganisation du pays et de l'administration est si profonde qu'il n'existe pratiquement aucun impôt d'Etat. Les bolcheviks contribueront sans le vouloir à une inflation monstrueuse, étant donné que les banques ne les aidaient pas, obligés à émettre ainsi leur propre papier-monnaie (en 1921, il y a plus de 80 000 roubles-billets pour 1 rouble-or).
Les bolcheviks n'ont aucun plan économique concret en 1917 , seulement le maintien du pouvoir ouvrier des soviets, dans l'attente de la révolution mondiale, particulièrement en Europe. Le mérite des bolcheviks, comme disait Rosa Luxemburg, est "d'avoir pris la tête du prolétariat international en conquérant le pouvoir politique" [4]. Sur le plan économique et social, R. Luxemburg les critique sévèrement, non parce qu'ils défendent une somme de recettes théoriques, mais parce que beaucoup des mesures du gouvernement soviétique ne sont pas adéquates en la circonstance. Elle les critique parce qu'elle voit dans ces mesures empiriques des obstacles pour le développement futur de la révolution.
Le "communisme de guerre" qui s'est développé durant la guerre civile, marque cependant une théorisation dangereuse des mesures prises. Pour le FOR, cette période contient des "rapports non capitalistes" [5]. En réalité, le FOR ignore romantiquement que c'était une ECONOMIE DE GUERRE, laissant entendre que c'était une production et une distribution "non capitalistes". Les bolcheviks, Lénine, Trotski, Boukharine, entre autres, en sont arrivés à affirmer que cette politique économique les menait vers le communisme. Boukharine, de façon délirante, écrit en 1920 :
"La révolution communiste du prolétariat s'accompagne, comme toute autre révolution, d'une diminution des forces productives. La guerre civile, les dimensions gigantesques à la mesure de la guerre de classes moderne où non seulement la bourgeoisie, mais aussi le prolétariat, sont organisés en pouvoir d'Etat, signifie une pure perte sur le plan économique." Mais, il n'y a rien à craindre, nous console Boukharine : "Vus dans cette perspective, les faux-.frais de la révolution et de la guerre civile apparaissent comme une diminution temporaire des forces productives, qui crée néanmoins la base de leur puissant développement ultérieur en ceci que les rapports de production ont été reconstruits selon un nouveau plan." [6].
Le FOR remarque : "L'échec de cette tentative (le "communisme de guerre"), dû à la chute verticale de la production (au-dessous de 3% de celle de 1913) provoqua le retour au système mercantile qui reçut le nom de Nouvelle Politique Economique (N.E.P.)." [7]
Mais le FOR ne critique pas le"communisme de guerre" de façon sérieuse. Si on suit sa critique contre la NEP, c'est comme si cette politique avait marqué un " retour au capitalisme". Etant donné que, pour le FOR, le "communisme de guerre" était une politique "non capitaliste", il est logique de supposer que la NEP était son contraire. Mais ceci est faux.
Il faut dire ouvertement que le "communisme de guerre" n'a rien à voir avec la "production et la distribution communistes". Identifier le communisme et la guerre est une monstruosité, même entre guillemets. La Russie soviétique de 1918-1920 est une société militarisée au plus haut point. LA CLASSE OUVRIERE A PERDU SON POUVOIR DANS LES SOVIETS PENDANT CETTE PERIODE que le FOR idéalise. C'est vrai que la guerre contre la contre-révolution devait être menée et gagnée, et elle ne pouvait se faire qu'en conjonction avec la révolution mondiale et la formation d'une armée rouge. Mais la révolution mondiale n'a pas eu lieu et toute la défense de la Russie a reposé sur l'Etat organisé comme une caserne. La classe ouvrière et les paysans ont appuyé de manière héroïque et fervente cette guerre contre la réaction mondiale, mais il ne faut pas idéaliser, ni dépeindre les choses de manière différente de ce qui s'est passé en réalité.
La guerre civile et les méthodes sociales, économiques et policières, en plus des méthodes militaires, ont énormément accru la bureaucratie étatique infectant le parti et écrasant les soviets. Cet appareil répressif, qui n'avait déjà plus rien de "soviétique" est celui que la NEP a organisé. Entre le "communisme de guerre" et la NEP il y a une indubitable continuité. Le FOR ne répond pas à la question : quel était le mode de production dans le "communisme de guerre" ? "Non capitaliste" n'explique rien et ne fait au contraire que tout embrouiller. Une économie de guerre ne peut être autre que capitaliste. C'est l'essence de l'économie décadente, de la production systématique d'armements, de la domination totale du militarisme.
Le "communisme de guerre" était un effort POLITIQUE ET MILITAIRE de la dictature du prolétariat contre la bourgeoisie. Ce qui importe, c'est L'ASPECT POLITIQUE DE CONTROLE ET D’ORIENTATION PROLETARIENS, plus que tout. C'était un effort temporaire, passager, qui est devenu nocif par le fait que la révolution mondiale se faisait attendre. C'était un effort qui contenait des dangers énormes pour le prolétariat, déjà organisé dans les casernes, pratiquement sans voix propre. Ce contenu "non capitaliste" n'existe pas, sauf au niveau politique déjà mentionné. S'il n'en était pas ainsi, l'empire inca et sa production et distribution "non capitaliste serait un bon précurseur de la révolution. Communiste !
Le "communisme de guerre" russe se basait sur ces procédés dits "anti-capitalistes" :
- concentration de la production et de la distribution à travers des départements bureaucratiques (les "glavki") ;
- administration hiérarchique et militaire de toute la vie sociale ;
- système "égalitaire" de rationnement
- utilisation massive de la force de travail à travers des "armées industrielles" ;
- application des méthodes terroristes de la Tcheka dans les usines, contre les grèves et les éléments "contre-révolutionnaires" ;
- accroissement énorme du marché noir
- politique de réquisition à la campagne
- élimination des stimulants économiques et utilisation effrénée des méthodes de choc (udarnost) pour éliminer les déficiences dans les secteurs industriels ;
- nationalisation effective de toutes les branches qui servaient à l'industrie de guerre
- élimination de la monnaie ;
- utilisation systématique de la propagande étatique pour relever le moral de la classe ouvrière et du peuple ;
- service gratuit des transports, communication et loyers d'habitation ;
Si nous ne considérons pas l'aspect politique du pouvoir de la classe ouvrière -quoique celui-ci existe- c'est là une description d'une économie de guerre, UNE ECONOMIE DE CRISE. Il est intéressant de noter que le "communisme de guerre" n'a jamais pu être planifié. Une telle mesure, qui aurait signifié une consolidation rapide, permanente et totalitaire de la bureaucratie, aurait rencontré une résistance de la classe ouvrière. La planification militaire n'était possible que sur un prolétariat complètement écrasé et défait. C'est pour cela que le stalinisme en 1928 et après, a ajouté la planification (décadente) à une économie qui, pour le reste, ressemblait au "communisme de guerre". La différence fondamentale était que la classe ouvrière AVAIT PERDU LE POUVOIR POLITIQUE EN 1928. Si en 1918-20, elle pouvait contrôler quelque peu le "communisme de guerre" (qui en fin de compte exprimait des nécessités passagères, quoique urgentes), et même l'utiliser pour battre la réaction extérieure, pendant les dernières années de la NEP, elle avait déjà perdu tout le pouvoir politique. Mais, autant sous le "communisme de guerre" que sous la NEP, et le plan quinquennal stalinien, la loi de la valeur continue à dominer. Le salariat pu être déguisé, la monnaie a pu "disparaître", mais le capitalisme n'a pas cessé d'exister pour autant. Il ne peut être détruit par des mesures administratives ou purement politiques dans un seul pays.
Que le parti bolchevik bureaucratisé se soit rendu compte que le "communisme de guerre" ne pourrait survivre à la fin de la guerre civile, montre que ce parti ouvrier conservait un certain contrôle politique sur l'Etat qui surgit de la révolution russe. Il faut dire "un certain contrôle", car ce contrôle était relatif, et toujours plus faible. Il ne faut pas oublier non plus que la nécessité d'en finir avec le "communisme de guerre", ce sont les ouvriers et les marins de Petrograd et Kronstadt qui l'ont rappelé aux bolcheviks. Ces derniers ont payé très cher leur audace. En réalité, la rébellion de Kronstadt s'est faite contre les soi-disant "production et distribution non capitalistes" et contre tout l'appareil terroriste étatique et du parti unique déjà dominant en Russie durant la guerre civile.
Nous ne pouvons pas simplement répéter sans cesse que tout ceci était du à l'isolement de la révolution. C'est vrai. Mais c'est insuffisant. La manière dont un tel isolement s'est manifesté A L'INTERIEUR de la révolution russe est aussi important, parce qu'elle nous donne des exemples et des leçons concrètes pour la future révolution mondiale. Le "communisme de guerre" fut une expression inévitable mais funeste de cet isolement Politique de la classe ouvrière en Russie vis-à-vis de ses frères de classe en Europe.
En théorisant le "communisme de guerre", certains bolcheviks, comme Boukharine, Kritsman, etc.. ont défendu implicitement une sorte de COMMUNISME DANS UN SEUL PAYS. Bien sûr, aucun bolchevik en 1920, n'en était arrivé à le dire ouvertement. Mais c'était contenu dans l'idée de la "production et la distribution non capitalistes" faites dans un pays ou un "Etat prolétarien" (conception également fausse que le FOR semble tantôt défendre, tantôt réfuter).
L'erreur fondamentale INTERNE de la révolution russe fut celle d'avoir identifié la dictature du parti et la dictature du prolétariat qui était la dictature des conseils ouvriers. Ce fut une erreur substitutionniste fatale de la part des bolcheviks Sur un plan historique plus général, cette erreur exprimait toute une période de pratique et de théorie révolutionnaire qui n'existe plus. Chez les bordiguistes, on retrouve des restes caricaturaux de cette vieille conception substitutionniste désormais caduque et réactionnaire. Mais l'erreur des bolcheviks, ou la limitation de la révolution russe si on veut, n'est pas qu'ils n'ont pas dépassé le niveau "purement politique" de la révolution sociale. Comment y parvenir si la révolution reste isolée ? Ce qui s'est fait sur le plan économique et social est le plus qui pouvait se faire. Cela est vrai par rapport au "communisme de guerre" et même à la NEP. Ces deux politiques contenaient des dangers profonds et des pièges insoupçonnés pour le pouvoir politique du prolétariat. Mais tant que le prolétariat se maintient au pouvoir, les erreurs économiques peuvent se résoudre et s'arranger tout en attendant la révolution mondiale. S'il n'était pas possible d'arriver au communisme "intégral" (formule creuse de la "Comunist Workerls Organisation" en Grande-Bretagne), ce n’était pas parce que la classe ouvrière ne cherchait pas ou n'avait pas d'autres "grandes expériences" (comme les collectivités de 1936 en Espagne ...) La pauvreté en Russie, le niveau culturel très bas, la saignée par la guerre mondiale et la guerre civile, tout cela n'a pas permis à la classe ouvrière de conserver son pouvoir politique, et la trahison des bolcheviks doit aussi être ajoutée comme une raison interne fondamentale.
Mais l'absence de mesures "non capitalistes", comme la disparition de la loi de la valeur, du salariat, de la marchandise, de l'Etat et même des classes (dans un seul pays ?), tout ceci peut-il expliquer la défaite interne de la révolution russe ? C'est ce que semble dire le FOR.
"Le capitalisme s'ouvrira toujours une brèche, si dès le début sa source n'est pas asséchée : la production et la distribution basées sur le travail salarié. Ce qui doit compter pour chaque prolétariat est le niveau industriel du monde, et pas celui de "sa" nation seulement." [8]
Pourtant, contrairement à ce que le FOR suggère ici, la "source" du capitalisme mondial ne se trouve pas dans de petites plaques à assécher pays par pays. Le FOR semble ne pas prendre en compte que le capitalisme, comme système social, existe à l'échelle mondiale, comme un rapport international. Pour cela, la loi de la valeur ne peut être éliminée qu'à l'échelle mondiale. Comme elle touche tout le prolétariat mondial, il est impossible de penser qu'un secteur isolé du prolétariat puisse échapper à ses lois. C'est une mystification typique du volontarisme anarchiste qui pensait que l'Etat et le capitalisme pouvaient être éliminés à travers un faux communautarisme de village et de canton. Dans la tradition anarcho-syndicaliste, l'idée a trouvé sa variante "industrielle" mais suit la même mystification localiste, étroite, égoïste.
Dans l'article de Munis cité plus haut, on nous dit que le prolétariat ne doit pas compter"seulement"sur le niveau industriel de "sa" nation. Sage conseil, mais peu clair. S'il s'agit de la possibilité et la nécessité de prendre le POUVOIR POLITIQUE dans un pays, quel qu'il soit, c'est un bon conseil, quoique pas tellement nouveau !
C'est vrai que ce qui importe c'est le niveau mondial, non celui de chaque pays. Cependant, si on met en avant l'idée que la production et la distribution communistes peuvent commencer "immédiatement", comme le fait le FOR, ceci implique que le niveau industriel de chaque pays est absolument important. Il serait l'aspect fondamental, décisif. Il est clair qu'une telle affirmation amènerait le FOR -bien qu'il soit une tendance révolutionnaire- dans la tradition chauviniste d'un Volmar ou d'un Staline. Mais ce qui est réellement tragique est qu'il devrait accepter, pour être logique avec lui-même, que le communisme est impossible, étant donné qu'il n'est pas possible dans un pays. Le FOR répondra avec colère qu'il ne défend pas l'idée du "socialisme en un seul pays". C'est bien, mais on ne peut nier que sa manière de poser la question des taches économiques et sociales, considérées de son point de vue comme aussi importantes que les tâches politiques, suggère une sorte de "communisme en un seul pays". Quel autre sens peut avoir l'affirmation que le capitalisme s'ouvrira toujours une brèche, à moins d"'assécher" sa "source" ? Nous avons déjà dit qu'on ne peut "assécher" dans un seul pays
Est-ce que le travail salarié peut être éliminé dans un seul pays ou une seule région ?
Selon le FOR, il semble que oui. C'est là la question. Si on accepte cela, on accepte le socialisme dans un seul pays. Il faut être cohérent.
Dans une polémique (excellente sur d'autres aspects) contre les bordiguistes du "Prolétaire", Munis répète :
"Dans notre conception ... c'est là le plus important de ce que doit imposer la dictature du prolétariat, et sans cela, il n'existera jamais de période de transition au communisme".[9]
On se réfère ici à la nécessité d'abolir le travail salarié, quant à la nécessité du pouvoir politique, Munis la taxe de "... lieu commun plus que centenaire". Mais on peut en dire autant de l'abolition du salariat !
Maintenant, il est certain que sans abolition du salariat, il n'y aura pas de communisme. La même chose s'applique aux frontières, à l'Etat, aux classes. Il n'est pas nécessaire de répéter que le communisme est un mode de production basé sur la libération la plus complète de l'individu, sur la production de valeurs d'usage, sur la disparition complète des classes et de la loi de la valeur. Là dessus, nous sommes d'accord avec le FOR.
La différence apparaît lorsque nous abordons la primauté des mesures économiques et sociales. Nous allons voir que la question du pouvoir politique, loin d'être un "lieu commun", est ce qui est décisif pour la révolution mondiale. Pas pour le FOR.
L'insistance de Munis est enfermée dans toute l'optique (myope) des oppositions trotskistes et même boukhariniennes, à la contre-révolution stalinienne. Il pense que les garanties contre la contre-révolution, ce sont les mesures économiques et sociales de type "non capitaliste" qui vont les donner. Malgré l'importance de beaucoup d'écrits de Préobrajensky, Boukharine et autres économistes bolcheviks, leurs apports n'éclairent pas sur les problèmes réels qu'a affronté la classe en 1924-1930. Préobrajensky parlait d'une "accumulation socialiste", de la nécessité d'établir un équilibre économique entre la ville et la campagne, etc. Boukharine, malgré ses divergences politiques avec l'opposition de gauche, a utilisé des arguments semblables. Tous sont restés prisonniers de l'idée qu"'on peut faire quelque chose économiquement dans un seul pays" pour survivre.
C'est un faux problème qui a surgi quand la classe ouvrière a déjà perdu son pouvoir de classe, son pouvoir politique. A ce point, toute discussion sur 1"'économie" soviétique devient une pure charlatanerie et une mystification technocratique. La racaille stalinienne a donné la réponse définitive à ces faux débats avec ses plans quinquennaux barbares, avec sa terreur policière, et le massacre définitif du parti bolchevik déjà vaincu.
S'il est vrai que la révolution prolétarienne d'aujourd'hui se produira dans des conditions plus favorables qu'en 1917-27, nous ne pouvons nous consoler en pensant que les énormes problèmes vont disparaître. Le prolétariat héritera d'un système économique en putréfaction et décadent. La guerre civile accentuera encore cette usure. Le délire apologétique de Boukharine par rapport à cette accentuation doit être évité à tout prix, comme tout type de pensée apocalyptique ou messianique sur une révolution communiste "immédiate". Il ne s'agit pas de gradualisme. Il s'agit d'appeler les choses par leur nom.
Il est évident que si la classe ouvrière prend le pouvoir, en Bolivie par exemple (même momentanément), sa capacité à "socialiser" sera très limitée. Il est possible que pour le FOR, cet inconvénient ne soit pas gênant. Le prolétariat bolivien pourrait, par exemple, ressusciter l'esprit "communiste" aymara et même ressusciter Tupac Amarù comme commissaire du peuple. Au Paraguay, pour donner un autre exemple, le prolétariat pourrait retourner à une vieille forme de "communisme" jésuite du temps de la conquête. Il faut bien, comme on peut embellir les mauvais jours. Marx lui-même ne parlait-il pas d'un "communisme barbare", basé sur la misère généralisée ? On pourrait arguer : est-ce que cela ne serait pas un type de "communisme" ? Mais, est-il applicable à notre époque ? Que le FOR nous le dise. Il semble que son attachement aux "Collectivités" en Espagne lui a transmis une nostalgie particulière sur le "communisme primitif"
Si on laisse de côté les blagues (que nous espérons que le FOR ne prendra pas de travers), il faut dire que le prolétariat prend le pouvoir politique dans la perspective de la révolution communiste mondiale. Pour cette raison, les mesures sur le plan économique et social doivent être dirigées dans ce sens. Pour cela, elles sont subordonnées la nécessité de conserver le pouvoir politique des conseils ouvriers, libres, souverains et autonomes en tant qu'expression de la classe révolutionnaire dominante. Le pouvoir politique est la CONDITION PREMIERE de toute "transformation sociale" ultérieure, immédiate, médiate, ou comme on voudra l'appeler. LA PRIMAUTE, C'EST LE POUVOIR POLITIQUE. On ne peut rien y changer. Sur le plan économique il y a un énorme champ d'expérience (relativement) et donc aussi le risque de commettre des erreurs qui ne doivent pas être fatales. Mais toute altération sur le plan politique implique rapidement le retour complet du capitalisme.
La profondeur des transformations sociales possibles dans chaque pays dépendra, bien sûr, du niveau matériel concret de ce pays. Mais en aucun cas, ces transformations ne tourneront le dos aux nécessités de la révolution mondiale. Dans ce sens, on peut imaginer un type de "communisme de guerre", ou bien une économie de guerre sous le contrôle direct des conseils ouvriers. Non pas les nationalisations, mais la participation active et responsable d'un appareil de gouvernement soviétique contrôlé par la classe ouvrière. Le FOR pense t'il que c'est impossible ? C'est cela être "trop attaché au modèle russe" ?
Donner la primauté à l'abolition du salariat en pensant qu'avec cela, on arrive à "l'affaiblissement immédiat de la loi de la valeur (échange d'équivalents) jusqu'à sa disparition médiate..."[10], est une pure fantaisie "moderniste". C'est ce type d'illusion qui, à certains moments, aidera à désarmer le prolétariat, l'isolant du reste de la classe ouvrière mondiale. Lui dire qu'il a"socialisé""son" secteur de l'économie mondiale, qu'il a "brisé" la loi de la valeur dans "sa" région, c'est lui dire qu'il doit défendre ce secteur "communiste" qualitativement supérieur au capitalisme extérieur. Rien ne serait plus faux que cette démagogie. Ce que nous défendons est le POUVOIR POLITIQUE DE LA CLASSE.
Ce qui abattrait tout secteur de la classe ouvrière ayant pris le pouvoir, c'est l'isolement de la révolution, c'est à dire le manque de conscience claire de la part du reste de la classe mondiale sur la nécessité d'étendre la solidarité et la révolution mondiale. C'est là le vrai problème. Le FOR ne le met pas en évidence, même si parfois il daigne porter son attention sur la question. Le problème n'est pas que le capitalisme va "resurgir", là où n'a pas été "asséchée" sa "source", mais que le capitalisme CONTINUE A EXISTER à l'échelle mondiale bien qu'un ou quelques Etats capitalistes aient été détruits. Penser qu'on peut le détruire dans un seul pays est une charlatanerie pure qui implique une profonde ignorance de l'économie capitaliste selon l'analyse de Marx. Ou alors, il s'agit d'une "révolution simultanée" dans tous les pays, capable d'écourter énormément la période de guerre civile pour passer à la période de transition proprement dite (à l'échelle mondiale). Ce serait l'idéal, mais il est probable que cela ne se passera pas ainsi, de manière simultanée, malgré les efforts du FOR. Avoir des espoirs, être ouvert aux possibilités inespérées idéales est une chose. Mais c'est autre chose de baser toute la perspective révolutionnaire là-dessus et jusqu'à écrire un "Second Manifeste Communiste" dans cet esprit. La liberté véritable, c'est la reconnaissance de la nécessité qui nous la donne et non les simagrées volontaristes.
Malgré ses confusions de base sur ce qu'a été le "communisme de guerre" dans la révolution d'Octobre, le FOR comprend au moins qu'il s'agissait d'une révolution prolétarienne, d'un effort politique de la classe pour conserver le pouvoir. Mais voyons maintenant ce que dit le FOR sur l'Espagne 36.
LES COLLECTIVITES DE 1936 EN ESPAGIE,
SELON LE F.O.R.
Selon le FOR, la tentative du "communisme de guerre", même si elle a introduit des rapports "anti-capitalistes", n'a jamais dépassé le stade de l'exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière. Comme exemple beaucoup plus profond de mesures ou rapports "non-capitalistes", le FOR présente les collectivités de 1936-37 en Espagne. Munis les décrit ainsi :
"Les collectivités de 1936-37 en Espagne ne sont pas un cas d'autogestion... Certaines organisèrent une sorte de communisme local (sic), sans autre rapport marchand que vers l'extérieur, précisément comme les anciennes sociétés de communisme primitif. D'autres étaient des coopératives de métier ou de village, dont les membres se distribuaient les anciens bénéfices du capital. Toutes abandonnèrent plus ou moins la rétribution des travailleurs selon les lois du marché de la force de travail -et certaines plus que d'autres- en fonction du travail nécessaire et du surtravail d'où le capital tire la plus-value et toute la substance de son organisation sociale. De plus, les collectivités firent aux milices de combat des dons en espèces aussi abondants que répétés. On ne peut pas alors définir les collectivités sinon par leurs caractéristiques révolutionnaires (sic !), en somme par le système de production et de distribution en rupture avec les notions capitalistes de valeur (d'échange nécessairement)..." [11]
Dans son livre "Jalons de défaite; promesse de victoire" (1948), Munis est encore plus enthousiaste :
"Ayant pris l’industrie, sans autre exception, que celle de petite échelle, les travailleurs la remirent en marche, organisés en collectivités locales et régionales par branches d'industrie. Phénomène qui contraste avec celui de la révolution russe, qui met en évidence l'intensité du mouvement révolutionnaire espagnol, la grande majorité des techniciens et des gens spécialisés en général, loin de se montrer hostiles à l'intégration dans la nouvelle économie, collaborèrent valeureusement dès le premier jour avec les travailleurs des collectivités. La gestion administrative et la production en bénéficièrent : le pas vers l'économie sans capitaliste s'effectua sans les heurts et la perte de productivité que le sabotage des techniciens infligea à la révolution russe de 1917. Bien au contraire, l'économie régie par les collectivités réalisa des progrès rapides et énormes. Le stimulant d'une révolution considérée triomphante, la jouissance de travailler pour un système qui substituerait à l'exploitation de l'homme son émancipation du joug de la misère salariée, la conviction d'apporter à tous les opprimés de la terre une espérance, une occasion de victoire sur les oppresseurs, réalisèrent des merveilles. La supériorité productive du socialisme sur le capitalisme a été éminemment démontrée par l’œuvre des collectivités ouvrières et paysannes, tant que l'intervention de l'Etat capitaliste régi par les voyous politiques du Front Populaire n'a pas reconstitué le joug détruit en juillet (de 1936) " [12]
Ce n'est pas là le lieu de poursuivre une polémique sur la guerre civile d'Espagne. Nous avons déjà souvent publié des textes sur ce chapitre tragique de la contre-révolution qui a ouvert la marche au second massacre impérialiste [13]. Nous dirons ici brièvement que Munis et le FOR ont toujours défendu l'idée erronée qu'en Espagne a eu lieu une "révolution". Rien n'est plus étranger à la réalité. S'il est bien sûr que la classe ouvrière en Espagne a bousculé l'appareil bourgeois en 1936 et qu'en mai 1937 elle s'est, bien tardivement, soulevée contre le stalinisme et le gouvernement de front populaire, ceci n'élimine pas le fait que la lutte de classe a été déviée et absorbée par la lutte inter-impérialiste entre la République et le fascisme. La classe a succombé idéologiquement sous le poids de cette vile campagne antifasciste; elle a été massacrée dans la guerre et écrasée par la dictature franquiste, une des pires du siècle.
Les collectivités furent idéales pour dévier l'attention du prolétariat de son véritable objectif immédiat : la destruction totale de l'appareil d'Etat bourgeois et de tous ses partis, de gauche inclus. Ces derniers revitalisèrent l'appareil d'Etat bousculé en 1936 par les ouvriers armés. Mais, après cela, la classe fut séduite par la lutte du front populaire contre le soulèvement franquiste. Les collectivités et les comités de fabrique se plièrent devant cette ignominie. L'appareil d'Etat se reconstitua en intégrant la classe ouvrière à son front militaire, déviant ainsi la lutte ouvrière vers le massacre entre fractions bourgeoises.
Le groupe "Bilan" (de la fraction italienne de la Gauche Communiste) s'opposa à toute idée d'appuyer cette "révolution espagnole". "Bilan" écrivit correctement : " ... quand le prolétariat n'a pas le pouvoir -et c'est le cas en Espagne- , la militarisation des usines équivaut à la militarisation des usines dans n'importe quel Etat capitaliste en guerre" [14]. "Bilan" appuyait la classe ouvrière en Espagne en ces heures tragiques ; il lui indiquait le seul chemin à suivre :
"Quant aux prolétaires de la péninsule ibérique, ils n'ont qu'une sortie : celle du 19 juillet : grèves dans toutes les entreprises, qu'elles soient de guerre ou non, tant du côté de Companys que du côté de Franco ; contre les chefs des organisations syndicales et du Front Populaire et pour la destruction du régime capitaliste" [15].
Combien ces paroles sont loin des bavardages sur la "supériorité du socialisme sur le capitalisme" démontrée par les collectivités ! Non, la vérité doit être dite clairement : IL N'Y A PAS EU EN ESPAGNE DE REVOLUTION SOCIALE. Le capitalisme a survécu parce que la classe ouvrière en Espagne, isolée de la révolution mondiale agonisante, fut entraînée à "autogérer" l'économie de guerre "collectivisée", en faveur du capitalisme espagnol. Dans ces conditions, affirmer que la "révolution espagnole" alla plus loin que la révolution russe au niveau des rapports "non capitalistes" est une tricherie idéologique.
Munis et le FOR révèlent ici une incapacité à comprendre ce que fut la révolution d'Octobre et ce que fut la contre-révolution d’Espagne. Erreur de taille pour une tendance révolutionnaire ! Minimiser le contenu de la première en faveur de la seconde est tout simplement incroyable. En réalité, en défendant les collectivités, Munis et le FOR "théorisent" l'appui donné au gouvernement républicain par les trotskistes pendant la guerre civile. Il n'y a pas d'autre manière d'expliquer cet attachement fanatique aux "collectivités", appendices de la bourgeoisie républicaine en 1936-37. Nous savons que selon le FOR, la tradition trotskyste est révolutionnaire -le FOR étant son héritier historique. Mais voyons en passant ce que disaient les trotskistes de la section bolchévik-léniniste d'Espagne (pour la 4ème Internationale)
"Vive l'offensive révolutionnaire !
"Pas de compromis. Désarmement de la Garde Nationale Républicaine (garde civile) et de la Garde d'Assaut réactionnaire. Le moment est décisif. La prochaine fois, il sera trop tard. Grève générale dans toutes les industries qui ne travaillent pas pour la guerre. Seul le pouvoir prolétarien peut assurer la victoire militaire.
Armement total de la classe ouvrière ! Vive l'unité d'action CNT-FAI-POUM ! Vive le front révolutionnaire du prolétariat ! Dans les ateliers, dans les usines, dans les quartiers : comités de défense révolutionnaire" [16].
Le caractère réactionnaire
de la position trotskyste saute aux yeux : assurer la victoire
militaire". De qui ? De la République ! Cette
"victoire militaire" ne doit pas être menacée par des grèves
irresponsables dans les industries de guerre, selon les trotskistes
Oui, il y avait -il y a- une différence fondamentale entre le trotskisme et le marxisme. Les premiers ne savaient pas distinguer la révolution de la contre-révolution, et les seconds, non seulement le savaient, mais confirmèrent aussi la position marxiste sur la primauté, la nécessité fondamentale d'assurer le pouvoir politique comme condition première à toute tentative de "réorganiser" la société. Si la guerre bourgeoise d'Espagne a apporté quelque chose pour la théorie révolutionnaire, ce fut de confirmer cette leçon de la classe ouvrière.
Dans le chapitre XVII de "Jalons...", intitulé "La propriété", Munis dit ouvertement qu'en Espagne "naissait un nouveau système économique, le système socialiste" [17]. La révolution communiste future, nous dit il, devra continuer et perfectionner cette oeuvre. Peu importe pour Munis que tout cet effort "socialiste" était attaché à une guerre 100 % capitaliste, un massacre et la préparation à la seconde boucherie mondiale avec ses 60 millions de cadavres. Au fond, Munis continue à appuyer la guerre antifasciste de 1936-39 et dans ce sens, il n'a pas rompu avec les mythes du trotskisme La mystification subie par le prolétariat, Munis l'admet, mais sans savoir quoi dire : "Le prolétariat a continué de considérer l'économie comme sienne, et le capitalisme a définitivement disparu " [18].
Au lieu de critiquer les mystifications qui illusionnent le prolétariat, Munis s'adapte à elles, les idolâtre et les "théorise". C'est là ce qu'il y a de négatif, de rétrograde dans le FOR et ses litanies sur la "révolution espagnole". Sa critique est purement économique : elle se réfère surtout au manque de planification à l'échelle nationale. Pour Munis, "la prise et la mise en marche des centres productifs par les travailleurs de ces centres, étaient un premier pas obligatoire. Rester à ce niveau devait avoir des résultats funestes" [19]. Il parle ensuite aussi du pouvoir politique qui était"décisif" (!) pour la révolution. Mais c'est pour dire que la CNT n'était pas à la hauteur des choses, admettant par là que la CNT était un organisme des travailleurs, autre mensonge. Selon le FOR, la CNT était une organisation prolétarienne qui oublia le "lieu commun" de la nécessité du pouvoir politique. C'est ainsi que le FOR, clair et tranchant, pose la question de la "révolution espagnole".
Le livre de Munis est paru en 1948, Il se peut que ses idées aient changé. Mais au moins, dans sa "Réaffirmation" de mars 1972 (à la fin du livre), il ne fait ni commentaire, ni critique des activités trotskistes en Espagne. Dans ce sens, Munis n'a pas changé ses idées sur la "révolution espagnole" en plus de 45 ans. Etre trop attachés au "modèle russe" n'est pas un crime pour les révolutionnaires ; cela peut être une "entrave conservatrice", mais la révolution russe appartient à l'histoire de notre classe et pour cela nous devons en tirer toutes les leçons, car il s'agit d'une révolution prolétarienne. C'est le contraire pour 1a dite "révolution espagnole". Là, notre classe n'a jamais pris le pouvoir politique -au contraire, elle fut convaincue, en partie à travers l'expérience des "collectivités", que c'était un "1ieu commun" à laisser entre les mains de ces messieurs de la CNT-FAI-POUM. Ainsi la classe fut immobilisée et massacrée par les républicains et par leurs bourreaux staliniens, puis par les franquistes. Pour Munis, ce massacre n'enlève rien à la sublime oeuvre des collectivités. Face à un tel lyrisme, nous disons qu'être attaché -même un peu- au "modèle espagnol", est une monstrueuse erreur pour les révolutionnaires
Pour Munis et le FOR, le pouvoir politique de la classe apparaît parfois comme quelque chose d'important et de décisif, et parfois comme quelque chose qui peut -et même doit- venir après. Un "lieu commun" qui n'a pas à soulever de grandes discussions puisque "on le sait déjà". Mais en vérité, le FOR ne le sait pas. L'expérience d'Espagne montre, de manière négative la PRIMAUTE DU POUVOIR POLITIQUE SUR LES DITES MESURES OU RAPPORTS "SOCIALISTES". Munis et le FOR ne voient pas que dans la guerre d'Espagne, pouvoir politique et mystification "collectivistes" ont existé en proportion inverse l'un de l'autre. L'un niait l'autre, et il ne pouvait en être autrement. [20].
Dans sa "Réaffirmation", Munis écrit : "Plus nous regardons rétrospectivement les années qui vont jusqu'en 1917, plus la révolution espagnole acquiert de l’importance. Elle fut plus profonde que la révolution russe... dans le domaine de la pensée, on ne peut élaborer aujourd'hui que de méprisables ersatz de théorie, si on se passe de l'apport de la révolution espagnole, et précisément en ce qu’il diffère, en le dépassant et en le niant, de l'apport de la révolution russe".
Pour notre part, nous préférons baser nos orientations sur les expériences véritables du prolétariat et non sur les "innovations"modernistes comme celle du FOR.
En tant que classe exploitée et révolutionnaire, la classe ouvrière exprime au travers de ses luttes cette nature complémentaire. C'est ainsi qu'elle utilise ses luttes revendicatives, pour s'aider à avancer dans la compréhension de ses tâches historiques. Cette compréhension révolutionnaire trouve son obstacle immédiat dans chaque Etat capitaliste, qui doit être détruit par la classe ouvrière dans chaque pays.
Mais la classe ne peut se dissoudre comme catégorie exploitée qu'à l'échelle universelle, parce que cette possibilité est intimement liée à l'économie mondiale qui dépasse les recours existant au niveau de chaque économie nationale. Mais le caractère capitaliste de l'économie mondiale, du marché mondial, ne peut être éliminé qu'à l'échelle universelle. La classe ouvrière peut instaurer sa dictature (quoique pour peu de temps) dans un seul pays ou dans une poignée de pays isolés, mais ne peut pas créer le communisme dans un seul pays ou une région du monde. Son pouvoir révolutionnaire s'exprime par son orientation nettement internationaliste, engagé surtout à détruire l'Etat capitaliste partout, à détruire cet appareil terroristo-policier dans le monde entier. Cette période peut durer quelques années, et tant qu'elle n'est pas terminée, il sera difficile, sinon impossible, de prendre des mesures réellement et définitivement communistes. La destruction totale des bases économiques du mode de production capitaliste ne peut être la tâche que de toute la classe ouvrière mondiale, centralisée et unie, sans nation ni échange marchand. D'une certaine manière, jusqu'à ce que la classe ouvrière atteigne ce niveau, elle restera une classe économique, étant donné que les conditions de pénurie et de déséquilibre économique subsistent encore. C'est ainsi que les deux caractères de la nature de classe du prolétariat (classe exploitée et classe révolutionnaire) tendent à fusionner consciemment dans le feu du processus historique qui est la dictature du prolétariat et la transformation communiste totale.
ooooooooooo
Nous ne prétendons pas en finir avec une discussion aussi importante. Mais nous voulons présenter nos critiques des conceptions du FOR sur ces problèmes de la révolution prolétarienne. Rien de ce qui est défendu par rapport au "communisme immédiat" ne nous convainc que l'affirmation de Rosa Luxemburg citée au début de cet article est erronée. Les idées du FOR sur les taches de notre époque, sont liées à cette vision d'un socialisme qui peut être atteint à tout moment et quand le prolétariat en aura envie. Cette conception immédiatiste, volontariste, a déjà été critiquée plusieurs fois dans nos publications [21]
Les confusions dangereuses du FOR cachent une incapacité à comprendre ce qu'est la décadence du capitalisme et quelles sont les tâches de la classe ouvrière dans cette période historique. De même, le FOR n'a jamais été capable de comprendre la signification des cours historiques qui se sont manifestés au cours de ce siècle depuis 1914. Il n'a jamais compris, par exemple, que la lutte du prolétariat espagnol en 1936 ne pouvait changer le cours vers le second conflit mondial. La confirmation cruciale de cela fut la confusion politique terrible du prolétariat en Espagne, qui, au lieu de continuer sa lutte contre l'appareil d'Etat et toutes ses ailes politiques et syndicales, s'est laissé immobiliser par ces dernières, abandonnant son terrain de classe [22].
Là est la véritable tragédie du prolétariat mondial en Espagne ! Mais, pour le FOR, ce "jalon de défaite" a confirmé la "supériorité du socialisme sur le capitalisme".
Combien est fausse cette
appréciation sur la révolution communiste, appréciation incapable de montrer à
quel moment ce mouvement pour la libération totale de l'humanité s'est vue précipiter
dans l'abîme le plus barbare. Si le
prolétariat est incapable de comprendre quand et comment sa lutte, ses
perspectives et ses forces les plus dévouées, ont été vaincues par la classe
ennemie, et récupérées par elle momentanément, le prolétariat ne sera
jamais à la hauteur de sa mission historique.
Sa future libération mondiale requiert constamment un bilan profond des
50 dernières années. Que le FOR prenne
conscience de cette nécessité et surtout de ce qu'a été le trotskisme et la
dite "révolution espagnole", alors seulement il pourra réellement
avancer et réaliser la promesse de cette énorme passion révolutionnaire
contenue dans ses publications.
MACK.
[1] Rosa Luxembourg, "la révolution russe", ed. Spartacus, dans "démocratie et dictature"
[2] FOR, "Pour un second manifeste communiste" Losfeld, Paris 1965, p.24.
[3] cité dans l'intéressant fascicule de José Antonio Garcia Diez, "URSS, 1917-1929 : de "la révolution à la planification" (traduit par nous), Madrid 1969, p.53. Cela est aussi développé par d'autres historiens de la révolution russe comme Carr, Davies, Dobb, Erlich, Lewin, Nove, etc...
[4] Luxembourg, idem.
[5] FOR, idem, p.25.
[6] Nicolas Boukharine, "théories économiques de la période de transition" ed. EDI.
[7] FOR, idem, p.25.
[8] Grandizo-Munis, "Classe révolutionnaire organisation politique, dictature du prolétariat dans "Alarma" n°24, ler trimestre 73, p.9 (traduit par nous)
[9] Munis, idem, dans "Alarma" n°'25, deuxième trimestre 1973, p.13 (traduit par nous).
[10] Munis, idem, "Alarma" n'25,p.6 (traduit par nous).
[11] Munis, "Lettre de réponse à la revue autogestion et socialisme" dans "Alarma n° 22, 23, 3ème et 4ème trimestre, 1972, p11.
[12] Munis, "Jalons de défaite et promesse de victoire'(Espagne 1930-39), Mexico 1948, p.340. (traduit par nous).
[13] Nous citons ici les articles de "Bilan" parus dans la "Revue Internationale" du CCI Nos 4, 6, 7 et l'article "Le mythe des collectivités anarchistes" dans le N°15.
[14] Bilan, "textes sur la révolution espagnole"'(sic !), 1936-38, Barcelone 1978, p.103.
[15] Idem, p.116.
[16] Munis dans "Jalons ... " p.305
[17] Munis idem, p. 339-340.
[18] Munis idem, p.346.
[19] Munis, idem, p. 345.
[20] Comme nous l'avons dit, Munis insiste parfois sur le fait que le pouvoir politique est décisif. Voir par exemple, dans "Jalons..." p.357-58. C'est un dualisme auquel n'échappe pas le FOR
[21] Nous mentionnons entre autres : des articles dans "Révolution internationale" Nos 7, 14,54, 56, 57, 58, la "Revue Internationale" n°l6, la "critique à Focus" dans "Internationalism" (USA) n°25, "Le FOR, une confusion dangereuse" dans "Accion Proletaria" n°'17.
[22] Dans une récente polémique, plus qu'acerbe, le FOR répète ses affirmations habituelles sur l'Espagne 36, sans ajouter rien de nouveau, en continuant à parler de la fameuse "révolution espagnole" (voir l'article "la trajectoire tordue de révolution Internationale").