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La hausse du prix du pétrole constitue depuis la fin de 1973 le principal argument avec lequel les gouvernements et les économistes expliquent dans le monde occidental la crise économique et ses conséquences : le chômage et l'inflation. Quand une entreprise ferme ses portes, les travailleurs jetés dans la rue s'entendent dire : "c'est la faute au pétrole11. Lorsque les travailleurs voient leur salaire réel diminuer sous le poids de la hausse des prix, les mass-médias leur expliquent : "c'est à cause de la crise du pétrole". La "crise du pétrole" est devenue l'alibi, le prétexte avec lequel la bourgeoisie en crise entend tout faire gober aux exploités. Elle est devenue dans la propagande des classes dominantes une sorte de cataclysme naturel contre lequel les hommes ne pourraient rien, sinon subir impuissants toutes ces calamités qui ont nom : chômage et inflation.
Et pourtant qu'y-a-t-il de "naturel" dans le fait que des marchands de pétrole vendent plus cher leur produit à d'autres marchands. La hausse du pétrole est une péripétie, non pas de la nature, mais du commerce capitaliste. La classe capitaliste, comme toutes les classes exploiteuses dans l'histoire attribuent ses privilèges aux volontés de la nature. Les lois économiques qui font d'eux les maîtres de la société sont dans leurs imaginations aussi naturelles et immuables que la loi de la pesanteur, lorsque la subsistance de ces lois -devenues avec le temps inadaptées- provoque des crises qui plongent la société dans la misère et la désolation, les nantis attribuant toujours la raison aux imperfections de la "nature" : la nature est trop pauvre ou les hommes sont trop nombreux. Jamais leur esprit ne parvient à concevoir que ce puisse être le système économique existant qui soit devenu anachronique, obsolète.
A la fin du moyen-âge, dans la décadence du XIV° siècle, des moines annonçaient la fin du monde à cause de l'épuisement de terres fertiles. Aujourd'hui on nous assène 10 fois par jour que si tout va mal, c'est à cause de l'épuisement du pétrole.
Y A-T-IL VRAIMENT EPUISEMENT DU PETROLE DANS LA NATURE ?
En mars 1979, les pays producteurs de pétrole de l'OPEP se réunissaient pour proclamer solennellement qu'ils allaient réduire leur production, une fois de plus. Ils réduisent leur production pour maintenir le prix réel, tout comme des paysans détruisent des excédents de fruits pour empêcher que leur prix ne s’effondre.
L'Europe risque de manquer de pétrole en 1980 nous annonce-t-on. Peut-être, mais qui croira encore qu'il s'agit d'une pénurie naturelle, physique ?
Les pays de l'OPEP ne produisent pas à pleine capacité, loin de là. Depuis quelques années, des gisements nouveaux et importants ont été mis en service en Alaska, en Mer du Nord, au Mexique. Chaque semaine, on découvre quelque part dans le monde de nouveaux gisements. Par ailleurs, on nous dit que des réserves de pétrole sous la forme de schistes bitumeux, relativement plus chers à exploiter, sont énormes par rapport aux réserves de pétrole connues actuellement. Comment dans ces conditions peut-on parler de pénurie physique de pétrole ? On peut concevoir qu'un jour un minerai servant de matière première arrive à être épuisé dans la planète à cause d'une exploitation sans limites de l'homme. Mais cela n'a rien à voir avec le fait que des marchands décident de réduire leurs ventes afin de préserver leur profit. Dans le premier cas, il s'agirait effectivement d'un épuisement dans la nature, dans le second, il s'agit d'une vulgaire opération de spéculation marchande.
Si la situation économique mondiale était par ailleurs "saine" dans tous ses aspects, si le seul problème existant actuellement était celui d'un épuisement physique et imprévu du pétrole dans la nature, nous assisterions non pas à un ralentissement de la croissance- du commerce et des investissements comme c'est le cas actuellement, mais au contraire à un boom économique mondial extraordinaire : la réadaptation du monde à de nouvelles formes d'énergie se traduirait par une véritable nouvelle révolution industrielle. Il y aurait certes des crises de restructuration ici et là dans certains secteurs avec des fermetures d'entreprises et des licenciements, mais ces fermetures et ces licenciements seraient immédiatement compensés par l'ouverture de nouvelles entreprises et la multiplication de nouveaux postes de travail.
Or, nous assistons à quelque chose de complètement différent : les pays qui produisent le pétrole le plus rentable réduisent leur production; les entreprises qui ferment ne sont pas remplacées par d'autres; les travailleurs licenciés ne trouvent pas de travail ailleurs; les investissements dans la recherche de nouvelles formes d'énergie restent insignifiants dans la plupart des puissances.
La thèse de l'épuisement physique du pétrole dans la nature est utilisée par les médias et les économistes pour expliquer la hausse vertigineuse du prix du pétrole en 1974 et en 1979. Mais comment explique-t-on alors les hausses spectaculaires de l'ensemble des produits de base, autres que le pétrole, sur le marché mondial en 1974 ou en 1977 ? Comment explique-t-on les accès de fièvre qu'ont connu les prix des métaux de base tel le cuivre, le plomb, l'étain au début de 1979 ? A suivre les "experts" de la bourgeoisie, il faudrait croire qu'il n'y a pas que le pétrole qui est en train de s'épuiser dans la nature, mais aussi la plupart des métaux, et même les denrées alimentaires. En effet, entre 1972 et 1974, l'indice des prix des minéraux et des métaux exportés dans le monde, autres que le pétrole a plus que doublé, celui des denrées alimentaires a lui, presque triplé. Au deuxième trimestre de 1977, ces mêmes denrées coûtaient encore sur le marché mondial trois fois plus qu'en 1972. Nous serions donc en train d'assister au tarissement de la nature non seulement en pétrole mais dans tous les domaines. Ce qui est une pure absurdité.
La théorie de l'épuisement physique de la nature parvient difficilement à expliquer la hausse des prix du pétrole; mais elle est en plus grande difficulté encore lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi le prix réel du pétrole, payé par les pays importateurs industrialisés, c'est à dire le prix payé compte tenu de l'évolution de l'ensemble de l'inflation mondiale et de l'évolution de la valeur du dollar US ([1]), a régulièrement diminué avant 1973-1974 et après jusqu'en 1978. Entre 1960 et 1972, le prix réel du pétrole brut importé a diminué de 11% pour le Japon, de 14% pour la France, de 30% pour l'Allemagne! En 1978, ce même prix avait diminué par rapport aux niveaux de 1974 ou 1975 de 14% au Japon, de 6% en France, de 11% en Allemagne.
Comment le prix de matières en cours d'épuisement définitif dans la nature pourrait-il diminuer au point de contraindre les producteurs à réduire leur production artificiellement afin d'éviter l'effondrement des cours ?
Si l'on veut comprendre les actuelles hausses et baisses des cours des matières premières, ce n'est pas vers la plus ou moins grande générosité de la mère nature qu'il faut tourner ses regards, mais vers le monde en décomposition du commerce capitaliste.
Nous sommes en présence non pas de la découverte soudaine de certaines pauvretés grotesques de la nature, mais de gigantesques opérations de spéculations marchandes sur les matières premières. Ce n'est pas là un phénomène nouveau; toutes les crises économiques importantes du capitalisme sont accompagnées de fièvres spéculatives sur des matières premières.
LA SPECULATION : UNE CARACTERISTIQUE TYPIGUF DES CRISES ECONOMIQUES DU CAPITALISME
La source réelle de tous les profits capitalistes réside dans l'exploitation des prolétaires au cours du processus de production. Le profit, la plus-value, c'est du surtravail extirpé aux salariés. Lorsque les affaires des capitalistes vont bien, c'est à dire lorsque tout ce qui est produit parvient à être vendu avec des taux de profit suffisants, les capitalistes réinvestissent les profits ainsi obtenus dans le processus de production. L'accumulation du capital, c'est ce processus qui consiste à transformer le surtravail des ouvriers en capital, c'est à dire en nouvelles machines, nouvelles matières premières, nouveaux salaires pour exploiter de nouvelles quantités de travail vivant.
C'est ainsi que les capitalistes font ce qu'ils appellent "travailler l'argent". Mais lorsque les affaires vont mal, l’orque la production ne rapporte plus par manque de débouchés, ces masses de capitaux sous forme monétaire qui cherchent à s'investir tendent à se réfugier dans des opérations spéculatives.
Ce n'est pas qu'ils raffolent de ce genre d'opérations avec des risques aussi élevés où l'on peut se retrouver ruiné du jour au lendemain. Ils lui préfèrent mille fois mieux la paisible exploitation par la production. Mais, lorsqu'il n'y a plus de placement rentable dans la production, que faire ? Garder l'argent dans un coffre, c'est le voir perdre tous les jours de la valeur sous l'effet de l'érosion monétaire. La spéculation constitue alors un placement risqué certes, mais qui peut rapporter très gros en très peu de temps.
C'est ainsi que lors de chaque crise économique capitaliste, on a assisté à des phénomènes de spéculation d'une ampleur extraordinaire. La loi interdit la spéculation mais ceux qui spéculent ne sont autres que ceux qui ont fait les lois. Très souvent cette spéculation s'est polarisée sur une matière première. Ainsi, par exemple, lors de la crise économique de 1836, le directeur de la Banque des Etats-Unis, un certain BEAGLE, avait profité du fait que la demande de la Grande-Bretagne était encore forte pour s'emparer de toute la récolte de coton et la vendre à prix d'or aux anglais plus tard. Malheureusement pour lui, sous le coup de la crise, la demande de coton s'effondra en 1839 et les stocks soigneusement cumulés dans la folie spéculative devinrent invendables. Les cours de coton s'effondrèrent sur le marché mondial. Ce qui vint faire croître le nombre déjà élevé de faillites (1000 banques en banqueroute aux USA).
La crise économique, après avoir provoqué la hausse des prix des matières premières de manière spectaculaires, fait s'effondrer celles-ci par manque de demande.
Ces montées subites du prix d'une matière première suivie d'un effondrement vertigineux sont typiques de la spéculation en temps de crise. Ces phénomènes se produisent de façon particulièrement nettes lors des crises de 1825, 1836 et 1867 sur le coton ou sur la laine; lors des crises de 1847 et de 1857 sur le blé; en 1873, 1900 et 1912 c'est sur l'acier et sur la fonte; en 1907, c'est sur le cuivre; en 1929, c'est sur presque tous les métaux.
La spéculation est l'œuvre non pas de quelques individus épars, assez troubles, travaillant dans l'illégalité ou de petits "détenteurs" comme le laisse entendre la presse. Les spéculateurs, ce sont les gouvernements, les Etats, les banques grandes et petites, les grands industriels, bref, les détenteurs de l'essentiel de la masse monétaire qui cherche à se rentabiliser, à faire des profits.
La spéculation n'est pas non plus "une tentation" à laquelle les capitalistes peuvent échapper en temps de crise économique. Le banquier qui a la responsabilité de faire rapporter des milliers de comptes d'épargne n'a pas le choix. Lorsque le profit se fait de plus en plus rare, il faut le prendre quel qu'il soit et où qu'il soit. Les scrupules hypocrites des temps de prospérité où l'on promulgue des lois "interdisant la spéculation" disparaissent, et les plus respectables institutions financières se jettent tête baissée dans la tourmente spéculative. Dans la jungle capitaliste, seul celui qui fait du profit survit. Les autres sont dévorés. Lorsque la spéculation devient le seul moyen de faire des profits, la loi devient : celui qui ne spécule pas ou qui spécule mal est dévoré.
Ce qu'on a coutume d'appeler "la crise du pétrole" constitue en fait une gigantesque opération spéculative au niveau de la planète.
POURQUOI LE PETROLE ?
Le pétrole n'a pas été au cours des dernières années le seul objet de spéculation. Depuis la dévaluation de la Livre Sterling en 1967, la spéculation n'a cessé de se développer dans le monde entier s'attaquant à une liste toujours plus longue de produits : les monnaies, l'immobilier, les matières premières, végétales ou minérales, l'or, etc. Mais la spéculation sur le pétrole marque pour son importance financière. Elle a provoqué des mouvements de capitaux d'une ampleur et d'une rapidité probablement sans précédent dans l'histoire. En quelques mois, un flot gigantesque de dollars s'est mis à couler vers les grands pays exportateurs de pétrole, à partir de l'Europe et du Japon. Pourquoi en se portant sur le pétrole, la spéculation a-t-elle réussi de tels profits ? Premièrement^ parce que toute l'industrie moderne repose sur l'électricité et l'électricité, elle repose pour l'essentiel sur le pétrole. Aucun pays ne peut produire aujourd'hui sans pétrole. Le chantage spéculatif à la pénurie de pétrole est un chantage qui a l'atout de la force économique. Mais le pétrole n'est pas seulement un moyen indispensable pour produire et construire. Il est tout aussi indispensable pour détruire et faire la guerre.
L'essentiel de l'armement moderne, des chars aux bombardiers, des porte-avions aux camions et aux jeeps, tout cela fonctionne avec du pétrole. S'armer, c'est non seulement produire des armes mais aussi se procurer les moyens pour les faire fonctionner aussi longtemps que nécessaire. La course aux armements est aussi une course au pétrole. La spéculation sur le pétrole touche donc à un produit dont l'importance économique et militaire est de premier ordre. Et c'est cela une des raisons de son succès au moins momentané. Mais elle n'est pas la seule.
LA BENEDICTION DU CAPITAL AMERICAIN
Un des thèmes favoris du bla-bla-bla des commentateurs des médias sur le pétrole est celui de la "revanche des pays sous-développés sur les pays riches". Par leur simple décision de réduire la production et d'augmenter le prix du pétrole,, des pays qui font partie du peloton des nations du tiers-monde, condamnées depuis des décennies à produire et vendre à bon marché des matières premières pour les pays industrialisés, ont réussi à prendre à la gorge les principales puissances industrielles. C'est le David et Goliath des temps modernes.
La réalité est tout autre. Derrière la "crise du pétrole" il y a le capital américain. Il suffirait pour s'en convaincre de prendre en considération deux facteurs simples et évidents :
1) les pays les plus puissants de l'OPEP se comptent en même temps parmi les plus inconditionnellement soumis à l'impérialisme US. Les gouvernements de l'Arabie Saoudite, premier exportateur de pétrole mondial, de l'Iran du Shah ou du Venezuela, pour ne prendre que quelques exemples, ne prennent aucune décision importante sans l'accord explicite de leur puissant "protecteur";
2) la quasi totalité du commerce mondial du pétrole se trouve sous le contrôle des grandes compagnies pétrolières américaines: les profits réalisés par ceux-ci grâce aux variations des prix du pétrole sont si gigantesques que le gouvernement US a dû organiser une parodie de procès à la télévision pour tenter de canaliser sur les "7 big sisters" -les "7 grandes sœurs"- la colère de la population américaine qui se voit imposer des plans d'austérité au nom de la "crise pétrolière".
Mais au cas où cela ne suffirait pas pour se convaincre du rôle déterminant joué par les USA dans la "hausse du prix du pétrole", rappelons quelques uns des avantages qu'a tiré la première puissance économique mondiale de la "crise pétrolière":
1) Sur le marché international, le pétrole est payé en dollars US. Concrètement, cela veut dire que les USA peuvent se procurer du pétrole en faisant simplement fonctionner leur planche à billets alors que tous les autres pays doivent se procurer des dollars ([2]);
2) les Etats-Unis ne dépendent du pétrole importé que pour 50% de leurs besoins nationaux. Leurs concurrents directs sur le marché mondial -l'Europe et le Japon- par contre, doivent importer la quasi totalité de leur pétrole. Toute augmentation du prix du pétrole se répercute donc de façon beaucoup plus puissante sur les coûts de production des marchandises européennes et japonaises. La compétitivité des marchandises US s'en trouve augmentée automatiquement d'autant. Ce n'est pas par hasard si les exportations US connaissent
des progressions spectaculaires au détriment de celles de leurs concurrentes au lendemain de chaque hausse du pétrole.
3) Mais c'est certainement sur le plan militaire que les USA ont tiré les plus grands avantages de la "crise pétrolière".
Comme on l'a vu, le pétrole demeure un instrument majeur de la guerre. La hausse du prix du pétrole a permis la rentabilisation de nouveaux gisements à proximité du territoire US (Alaska, Mexique, ainsi qu'au sein même des USA). De ce fait, le potentiel militaire américain se trouve moins dépendant des sources de pétrole du Moyen-Orient, trop distantes de Washington et trop proches de l'URSS. D'autre part, les énormes revenus pétroliers ont permis le financement de la "Pax Americana" au Moyen-Orient par l'Arabie Saoudite interposée. En effet, le passage de l'Egypte dans le bloc US a été payé à prix d'or, en partie par les aides financières de l'Arabie Saoudite au nom de la fraternité arabe. L'Arabie Saoudite a influencé directement la politique de pays tels que l'Egypte, l'Irak, le Syrie (pendant le conflit du Liban) moyennant de substantielles "aides" payées avec les revenus pétroliers. L'actuel rapprochement de l'O.L.P. du bloc américain n'est pas complètement étranger à l'aide financière que l'Arabie Saoudite fournit à 1'O.L.P.
L'impérialisme américain s'est ainsi payé le luxe de faire financer sa politique internationale par ses concurrents et alliés européens et japonais.
Ainsi, pour des raisons aussi bien économiques que militaires, les USA ont eu tout intérêt à laisser se développer, voire à encourager, la hausse du prix du pétrole.
L'attitude du gouvernement Carter lors de la fièvre spéculative déclenchée par l'interruption des livraisons de pétrole de l'Iran est éloquente à cet égard. Au moment même où l'Allemagne et la France cherchaient à juguler les hausses spéculatives qui se développaient au premier semestre de 1979 sur le "marché libre" de Rotterdam, le gouvernement US a cyniquement annoncé qu'il était prêt à acheter toute quantité de pétrole à un cours supérieur aux plus élevés atteints dans le port hollandais. Malgré l'envoi de délégués spéciaux de Bonn et de Paris à Washington pour "protester énergiquement" contre ce "coup de poignard dans le dos", la Maison Blanche n'est pas revenue sur son offre.
Quelle que soit la raison de cette hausse, une question demeure : quels ont été ses effets sur l'économie mondiale. La propagande officielle a-t-elle raison lorsqu'elle affirme que c'est la hausse des prix du pétrole qui a engendré la crise économique ?
LES EFFETS DE LA HAUSSE DU PRIX DU PETROLE
Il ne fait aucun doute que la hausse du prix d'une matière première constitue une entrave à la rentabilité d'une entreprise capitaliste. Pour le capital industriel, les matières premières constituent en frais de production, une dépense. Si ses frais augmentent, sa marge de profit tend à se réduire d'autant. Pour lutter contre les effets de cette réduction de sa rentabilité, il ne dispose que de deux moyens :
- réduire les autres frais de production, en particulier les frais en main-d’œuvre;
- répercuter l'augmentation de ses frais dans le prix de vente.
Les capitalistes se servent généralement des deux moyens en même temps. Ils s'appliquent à réduire leurs frais de production en imposant des politiques d'austérité sur les salariés ; ils cherchent à maintenir leurs profits en alimentant l'inflation. Il est donc certain que la hausse des prix du pétrole est un facteur qui impose à chaque capital national de nouveaux efforts de rentabilisation : élimination des secteurs les moins productifs, réduction des salaires, concentration du capital. Tout comme il est vrai que la hausse du pétrole est en partie responsable de l'inflation.
La hausse du prix du pétrole a effectivement constitué un facteur aggravant de la crise. Mais, contrairement à ce que prétend la propagande des médias, elle n'a été que cela : un facteur aggravant et non la cause, ni même une cause importante de la crise économique.
Il suffit pour s'en convaincre de constater que la crise économique n'a pas commencé avec la hausse du pétrole. La spéculation pétrolière n'a été qu'une des conséquences de la série de bouleversements économiques qui ont secoué le capitalisme mondial dès la fin des années 60.
A entendre "les experts" de la bourgeoisie, on croirait qu'avant la date fatidique du second semestre 1973, tout allait pour le mieux dans l'économie mondiale.
Pour mieux justifier leur politique d'austérité, ces messieurs oublient, ou feignent d'oublier, qu'au début de 1973, avant les premières grandes hausses du prix du pétrole, le taux d'inflation avait, en moins d'un an, doublé aux USA, triplé au Japon; ils prétendent oublier que de 1967 à 1973, le capitalisme avait déjà connu deux récessions importantes : une en 1967 (le taux de croissance annuel de la production diminua de moitié aux USA -1,8 % au premier semestre 1967- et tomba au dessous de zéro en Allemagne) ; l'autre en 1970-71 : aux USA, la production recule de façon absolue. Ils oublient ou cachent que le nombre officiel de chômeurs dans la zone de l'O.C.D.E. (les 24 pays industrialisés du bloc US) avait presque doublé en six ans, passant de 6 millions et demi en 1966 à plus de 10 millions en 1972. Ils font semblant d'ignorer qu'au début de 1973, après six ans d'instabilité monétaire commencée avec la dévaluation de la livre sterling de 1967, le système monétaire international s'était définitivement effondré avec la seconde dévaluation du dollar en moins de deux ans.
La spéculation pétrolière n'éclate pas dans un climat de sereine prospérité économique. Elle apparaît au contraire comme une nouvelle convulsion du capitalisme, secoué depuis six ans par la crise la plus profonde qu'il ait connue depuis la 2ème guerre mondiale.
A moins de vouloir expliquer les bouleversements de la période 1967-1973 par les hausses pétrolières de 1974, il est absurde d'affirmer que l'augmentation du prix du pétrole est la cause de la crise économique du capitalisme.
La spéculation sur le pétrole a porté un coup à l'économie mondiale, mais il n'était ni le premier ni le plus grave. La relativité du coup porté par la hausse du pétrole peut être mesurée "en négatif" en observant la situation d'un pays industrialisé qui a réussi à éliminer le problème du pétrole grâce à l'exploitation de gisements propres. Tel est le cas de la Grande-Bretagne qui n'a plus besoin d'importer du pétrole grâce à ses gisements de la Mer du Nord. En 1979, le taux de chômage en Grande-Bretagne est deux fois supérieur à celui de l'Allemagne, trois fois supérieur à celui du Japon, deux pays qui pourtant continuent d'importer la quasi totalité de leur pétrole. Quant à l'inflation des prix à la consommation, elle y est le double qu'en Allemagne et neuf fois plus importante qu'au Japon. Enfin, quant au taux de croissance de la production, il est le plus faible des sept grandes puissances économiques occidentales (au premier semestre de 1979, la production brute n'a pas augmenté : elle a même diminué de 1 % en taux annuel).
Les causes de l'actuelle crise du capitalisme sont autrement plus profondes que les péripéties de la spéculation sur le pétrole.
Depuis le milieu des années 60, le capitalisme vit dans une permanente fuite en avant pour tenter de retarder les conséquences de la fin de la période de reconstruction. Depuis plus de dix ans, les régions industrielles détruites pendant la seconde guerre mondiale ont non seulement été reconstruites -faisant disparaître ce qui avait constitué le débouché principal des exportations américaines-mais sont devenues de puissants concurrents des USA sur le marché mondial. Les Etats-Unis sont devenus un pays qui exporte moins qu'il n'importe et qui doit, pour financer son déficit, inonder la planète de papier monnaie sans couverture. Depuis dix ans, avec la fin de la reconstruction, la croissance mondiale repose essentiellement sur les ventes à crédit aux pays sous-développés et sur la capacité des USA à maintenir son déficit. Or, aussi bien les uns que les autres sont au bord de la banqueroute financière. L'endettement des pays du tiers-monde a atteint des proportions insoutenables (l'équivalent du revenu annuel d'un milliard d'hommes dans ces régions). Quant aux USA, ils sont actuellement contraints de se jeter dans une nouvelle récession pour parvenir à réduire leurs importations et la croissance de leur endettement. La récession qui commence aux USA annonce inévitablement une nouvelle récession majeure au niveau mondial. Une récession qui, suivant le déclin engagé en 1967, sera plus profonde que les trois précédentes.
Les spéculations sur le prix du pétrole ne sont qu'un aspect secondaire d'une réalité autrement plus importante : l'inadaptation définitive des rapports de production capitalistes aux possibilités et aux nécessités de l'humanité.
Après près de quatre siècles de domination sur le monde, les lois capitalistes ont fait leur temps. Après avoir été des forces de progrès, elles sont devenues des entraves à la survie même de l'humanité.
Ce ne sont pas quelques pétroliers venus du désert qui ont mis à genoux la production capitaliste. Le capitalisme s'effondre économiquement de lui-même parce qu'il est de plus en plus rongé par ses contradictions internes, et, en premier lieu, par son incapacité à créer des débouchés suffisants pour écouler sa production avec profit. Nous vivons la fin d'un nouveau tour du cycle crise-guerre-reconstruction, que le capitalisme impose à l'humanité depuis plus de soixante ans.
Pour l'humanité, l'issue n'est ni dans des baisses des prix de vente du pétrole, ni dans des baisses de salaires, mais dans l'élimination de la vente et du salariat, dans l'élimination du capitalisme comme système à l'Est comme à l'Ouest.
Seule une nouvelle organisation de la société mondiale, suivant des principes réellement communistes, peut lui permettre d'échapper à l'holocauste sans fin que lui promet le capitalisme en crise.
R. VICTOR
[1] Constater que le prix courant du pétrole augmente ne veut en soi rien dire puisque l'inflation mondiale touche tous les produits et revenus. Pour un pays importateur de pétrole, la vraie question c'est de savoir si les prix du pétrole augmentent plus vite ou plus lentement que celui de ses exportations. Pour un pays importateur de pétrole, la hausse des prix du pétrole n'a de conséquence négative qu'à partir du moment où elle est plus rapide que celle des prix des marchandises qu'il exporte lui-même, c'est-à-dire, la source de ses revenus sur le marché mondial. Que lui importe de payer le pétrole 20 % plus cher s'il peut simultanément augmenter le prix de ses propres exportations d'autant.
[2] De ce fait, le danger de nouvelles pressions vers la dévaluation du dollar, du fait des nouvelles masses de dollars-papier introduites par les USA sur le marché mondialise trouve relativement limité par l'accroissement de la demande de dollars provoqué par la hausse du prix du pétrole.