Submitted by Revue Internationale on
1 - A l'exception de quelques révolutionnaires particulièrement bornés, plus personne ne songe aujourd'hui à nier la réalité de la crise mondiale du capitalisme. Malgré les différences de forme avec celle de 1929, sur lesquelles se basent ceux qui essayent d'en minimiser la gravité, la crise actuelle révèle toute son ampleur :
- par une sous-utilisassions massive et croissante des moyens de production et de la force de travail notamment dans les grands pays industriels du bloc US où des secteurs aussi significatifs que l'acier, la construction navale ou la chimie sont en pleine débandade;
- par une incapacité de plus en plus nette des pays du bloc de l'Est de réaliser des plans économiques pourtant de moins en moins ambitieux et qui accentue le manque de compétitivité de leurs marchandises sur le marché mondial ;
- par la catastrophe qui secoue les pays sous-développés où les "miracles" à la brésilienne ont fait long feu pour laisser la place à une inflation débridée et à un endettement colossal;
- par la chute constante du taux de croissance du commerce mondial.
Si les chiffres officiels font apparaître les difficultés présentes de l'économie mondiale et révèlent qu'elles trouvent leurs causes dans un engorgement généralisé du marché, ils masquent souvent la gravité de celles-ci en négligeant le poids énorme des productions et des ventes d'armements qui constituent le pire gaspillage de forces productives puisque, ni comme capital variable, ni comme capital constant ces armements n'entrent dans un cycle productif ultérieur.
Après plus d'une décennie de dégradation lente mais inéluctable de son économie et d'échec de tous les "plans de sauvetage" mis en œuvre, le capitalisme a administré la preuve de ce que les marxistes n'ont cessé d'affirmer depuis longtemps : ce système est entré dans sa phase de déclin historique et il est absolument incapable de surmonter les contradictions économiques qui l'assaillent aujourd'hui.
Dans la période qui vient, nous allons assister à un nouvel approfondissement de la crise mondiale du capitalisme sous forme notamment d'une nouvelle flambée d'inflation et d'un ralentissement sensible de la production qui risque de faire oublier celui de 1974-75 et provoquera une aggravation brutale du chômage.
2 - L'effondrement de l'infrastructure économique se répercute sur l'ensemble de la société et, en premier lieu, par une exacerbation des tensions inter-impérialistes. Au fur et à mesure de l'aggravation de ces conflits se révèle notamment l'absurdité de la théorie de "l'effritement des blocs impérialistes" : en réalité, le corollaire de cette aggravation est la nécessaire intégration chaque jour plus forte de chaque pays au sein d'un des blocs, ce qu'illustre par exemple :
- la prise en charge croissante par la France des tâches du bloc américain particulièrement comme gendarme de l'Afrique;
- l'insertion complète du Vietnam dans le bloc russe;
- l'insertion plus grande de la Chine dans le bloc américain.
Plus encore que sur le plan économique, le renforcement des blocs impérialistes sur le plan militaire est une réalité qui s'inscrit dans la préparation de la seule "issue" que le capitalisme puisse donner à sa crise : la guerre impérialiste généralisée.
De même, il serait faux de considérer, comme certains le font, qu'on s'achemine vers une réorganisation des alliances fondamentales existant aujourd'hui, qui serait la condition indispensable pour qu'une guerre généralisée puisse avoir lieu. D'une part, l'expérience a montré que les changements d'alliance peuvent intervenir après le déclenchement de la guerre. D'autre part, l'ampleur des liens économiques, politiques et militaires qui unissent les principales puissances constituant les blocs ne permettent pas une redistribution brutale des cartes conduisant, par exemple, à la reconstitution des blocs de la deuxième guerre. Une telle redistribution des cartes ne peut, à l'heure actuelle, toucher que les pays périphériques, notamment ceux du tiers-monde, qui justement continuent à être le terrain privilégié des règlements de comptes entre brigands impérialistes.
Si l'année 1978 a vu le continent africain en pre. mi ère ligne de ces affrontements, la relative stabilisation de la situation dans cette zone, liée essentiellement au repli de l'URSS, n'a pas signifié pour autant la fin des conflits ou même une pause dans ceux-ci : sitôt contenue en un endroit, l'incendie impérialiste se ranimait en Extrême-' Orient mettant à mal le mythe de la libération nationale et de la "solidarité entre pays socialistes". Les affrontements entre la Chine et le Vietnam, parce qu'ils ont mis directement aux prises les deux principales puissances militaires de la région, parce qu'ils ont jeté sur les champs de bataille des centaines de milliers d'hommes et provoqué en quelques jours des dizaines de milliers de morts constituent un moment important de l'aggravation des tensions impérialistes et présentent aux prolétaires du monde entier le visage hideux de ce qui attend toute la société s'ils laissent les mains libres au capitalisme.
3 - La crise de son économie ne provoque pas seulement une aggravation des déchirements entre fractions nationales de la bourgeoisie. Elle se répercute également à l'intérieur de chaque pays sous forme de crise politique. Celle-ci touche toutes les parties du monde mais connait ses formes les plus violentes dans les pays arriérés. L'exemple de l'Iran où le départ du Shah n'a pas réussi à stabiliser la situation et où l'unanimité qui s'était faite contre lui a laissé place à des affrontements chaotiques, est à cet égard significatif. Mais cette crise politique frappe également le pays les plus développés et a connu, en particulier ces derniers mois, des soubresauts importants en Europe.
Une crise politique résulte en général des difficultés d'adaptation de la classe capitaliste aux nécessités contradictoires qui trouvent leur origine dans les contradictions de l'infrastructure économique. Dans les années passées cette adaptation avait en Europe, pour axe un renforcement de la gauche, en particulier la social-démocratie, comme alternative gouvernementale. Cette orientation correspondait à la fois à des préoccupations de politique internationale (fidélité de la social-démocratie au bloc américain) et à des préoccupations de politique intérieure (renforcement des mesures de capitalisme d'Etat et dévoiement du mécontentement ouvrier). Mais aujourd'hui se manifeste une tendance à un rejet dans l'opposition des forces de gauche qui répond, non pas à la fin de la fonction essentielle de ces forces dans la défense du capitalisme contre la classe ouvrière, mais à une meilleure adaptation à l'accomplissement de cette fonction liée :
- au discrédit subi par les partis de gauche, quand ils ont effectivement dirigé les gouvernements comme l'illustre de façon éclatante la situation en Grande-Bretagne;
- à l'épuisement de la mystification de "l'alternative de gauche" quand elle n'a pu finalement se réaliser comme ce fut notamment le cas en France;
- à la nécessité de saboter "de l'intérieur" les luttes ouvrières qui tendent à réapparaître après I les avoir contenues et dévoyées par des alternatives illusoires.
Ainsi, après avoir eu pendant des années comme principal ennemi la gauche au pouvoir ou en marche vers le pouvoir, la classe ouvrière dans la période qui vient retrouvera de façon quasi générale le même ennemi dans l'opposition n'hésitant pas à radicaliser son langage pour pouvoir mieux saboter ses luttes.
4 - Les données présentes de la crise de l'appareil politique de la bourgeoisie font donc apparaître le poids croissant de la lutte de classe dans la vie de la société. C'est là la traduction du fait qu'a près une période de relatif recul des luttes couvrant le milieu des années 70, la classe ouvrière tend à renouer aujourd'hui avec une combativité qui s'était manifestée de façon généralisée et souvent spectaculaire à partir de 1968. Cette vague de combativité prolétarienne, qu'un nombre important de courants révolutionnaires (comme le FOR et Battaglia Comunista) n'a pas su reconnaître, constituait la première réponse de la classe révolutionnaire à l'aggravation de la crise du capitalisme qui suivait la fin de la reconstruction. Elle révélait qu'avait pris fin la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat au cours des années 20. Après un premier temps de surprise, la bourgeoisie a mené une contre-offensive en règle avec comme fer de lance la gauche qui, s'appuyant sur les faiblesses tout à fait normales d'un mouvement à ses débuts, a réussi à canaliser et étouffer les luttes à travers :
- la mystification démocratique ;
- la perspective de la gauche au pouvoir ;
- les "solutions nationales" à la crise.
Cet étouffement et encadrement idéologique des ouvriers a été complété par un renforcement considérable des préparatifs de la terreur étatique notamment au moment des "affaires" Baader en Allemagne et Moro en Italie, ce qui démontre que, si certains révolutionnaires ont été incapables de comprendre la reprise prolétarienne, la bourgeoisie, elle, sur ce point a été beaucoup plus lucide
La tendance actuelle au développement des luttes (mineurs américains des Appalaches, sidérurgistes allemands, hospitaliers italiens, camionneurs et travailleurs du secteur public en Grande-Bretagne, ouvriers espagnols et travailleurs du téléphone au Portugal, ouvriers de la sidérurgie en France, etc.) marque l'épuisement de cette contre-offensive de la bourgeoisie et, loin de se résumer à un simple feu de paille, constitue l'annonce d'une reprise générale du prolétariat qui viendra combler le décalage qui s'était développé dans les années passées entre le niveau de gravité atteint par la crise et le niveau de la riposte ouvrière au détriment du second. Par la détérioration inéluctable qu'elle continuera à provoquer sur les conditions de vie des ouvriers, la crise obligera même les plus hésitants à reprendre le chemin de la lutte.
Bien qu'elle n'apparaisse pas immédiatement en pleine lumière, une des caractéristiques essentielles de cette nouvelle vague de luttes sera de redémarrer au niveau qualitatif le plus élevé atteint par la vague précédente. Cette caractéristique se manifestera essentiellement par une tendance plus marquée que par le passé à un débordement des syndicats à l'élargissement des combats au delà des limites catégorielles et professionnelles, à une conscience plus claire du caractère international de la lutte de classe. Par ailleurs, un élément tendra à devenir décisif dans ces luttes : le développement du chômage. Après avoir, dans un premier temps, lors de son apparition massive après 1974, contribué à paralyser le prolétariat, cet élément tend aujourd'hui à devenir un des facteurs les plus explosifs de mobilisation prolétarienne poussant d'emblée les ouvriers à dépasser les différentes divisions catégorielles. C'est ce qu'a d'ailleurs bien compris la bourgeoisie européenne et qui explique sa campagne présente sur les 35 heures.
5 - Si d'un côté donc, l'aggravation de la crise pousse ce système de façon inexorable vers la guerre impérialiste, d'un autre côté, elle pousse la classe ouvrière vers des combats de plus en plus acharnés contre lui. Ainsi se trouve de nouveau posée l'alternative historique définie par l'Internationale Communiste pour la période de décadence du capitalisme : guerre impérialiste ou révolution prolétarienne. La question qui se pose aux révolutionnaires et à laquelle ils donnent aujourd'hui les réponses les plus contradictoires est donc : le capitalisme a-t-il les mains libres pour imposer sa "solution" à la crise : la guerre généralisée, ou au contraire, la montée prolétarienne interdit-elle pour le moment un tel aboutissement ?
Une réponse correcte à cette question suppose qu'o se la pose correctement et notamment qu'on rejette l'idée de l'existence de deux cours simultanés, parallèles et indépendants vers la guerre impérialiste et vers la guerre de classe. En fait, comme réponses des deux classes irrémédiablement antagoniques, ces deux issues sont elles-mêmes antagonique et s'excluent mutuellement. L'histoire a démontré que, classe divisée en multiples fractions aux intérêts contradictoires, notamment entre fractions nationales, la bourgeoisie n'est capable d'une unité que face à une offensive de la classe ouvrière. C'est pour cela que les révolutionnaires ont affirmé depuis le début du siècle que la lutte de classe constituait le seul obstacle véritable à la guerre impérialiste.
La question à laquelle il faut donc répondre est bien : "le niveau actuel de la combativité ouvrière est-il suffisant pour barrer la route à la guerre mondiale ?" Certains révolutionnaires, se basant sur le fait que seule une révolution met fin en 1917 pour la Russie, en 1918 pour l'Allemagne, à la guerre impérialiste, estiment qu'aujourd'hui seules des luttes révolutionnaires pourraient empêcher un nouveau conflit et que celles-ci n'existant pas encore, la voie est libre pour le capitalisme. En réalité, le problème se pose en termes différents suivant que la guerre généralisée a déjà éclaté ou qu'elle est seulement en cours de préparation. Dans le premier cas, l'histoire a effectivement montré que des luttes à caractère révolutionnaire étaient nécessaires pour mettre fin à la guerre ; dans le deuxième cas, elle a fait apparaître, notamment au cours des longs préparatifs pour la deuxième guerre mondiale, que le capitalisme ne pouvait se lancer dans une telle aventure que lorsqu’il avait embrigadé la classe ouvrière derrière le capital national. La comparaison entre les situations qui prévalent en 1974 et 1939 et la situation présente démontrent que le capitalisme n'a pas réuni aujourd'hui les conditions lui permettant d'apporter à la crise sa propre réponse : la guerre impérialiste généralisée. Bien que sur le plan de la gravité de la crise, les préparatifs militaires et stratégiques, les conditions d'un nouvel holocauste soient mûres depuis longtemps, la combativité présente de la classe ouvrière constitue un obstacle décisif sur la voie d'un tel holocauste.
6 - Dans la mesure où le capitalisme ne peut éventuellement imposer sa propre réponse à la crise qu'après avoir brisé la combativité ouvrière, la perspective présente n'est donc pas celle d'un affrontement impérialiste généralisé mais celle d'un affrontement de classe. C'est à cet affrontement décisif, puisque de son issue dépend le sort de toi te la société, que préparent les combats présents de la classe. Le rôle des révolutionnaires est donc d'intervenir dans ces combats pour en faire ressortir l'importance et l'enjeu. Toute attitude ou conception de leur part qui tend à sous-estimer cet enjeu, à négliger le rôle essentiel de ces combats comme obstacle à la guerre impérialiste ou à démoraliser les ouvriers en annonçant - à tort - l'inéluctabilité d'une telle issue, conduit à un affaiblissement de ces combats et favorise donc la victoire finale du capitalisme.
Aujourd'hui, seule une attitude résolue des révolutionnaires tendant à démontrer l'importance cruciale de ces combats, non pour les paralyser mais pour les stimuler, favorise l'issue positive de l'affrontement qui se prépare : la révolution prolétarienne, le communisme.