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Ce texte a été rédigé pour être publié dans le milieu révolutionnaire en Scandinavie. En effet, des camarades d'Oslo (Norvège) avaient l'intention de publier un texte de Solidarity qui s'intitule "Le Tiers-mondisme et le Socialisme" et ils nous ont demandé une réponse critique à ce texte. Puisque vraisemblablement, ce projet ne s'est pas réalisé jusqu'à présent, nous jugeons utile de publier ce texte nous-mêmes dans notre presse.
On constate que des éléments révolutionnaires en Scandinavie -comme d'autres qui surgissent en Amérique, en Inde ou à Hong-Kong- tombent souvent sous l'influence des idées anarchistes, "libertaires", telles qu'elles sont véhiculées par le groupe Solidarity. Les thèmes traités dans cette critique -signification de la décadence capitaliste, des "luttes de libération nationale"; nature de classe de la révolution russe- sont particulièrement difficiles à comprendre pour les éléments révolutionnaires d'aujourd'hui coupés des acquis théoriques des fractions communistes du passé. Chaque fois, on en revient aux mêmes questions comme si elles n'avaient jamais été posées dans le passé. "Oui, Cuba ou la Chine sont des pays capitalistes mais... il doit y avoir quand même quelque chose de progressiste dans le développement de ces régimes..." ou bien "La Russie est un pays capitaliste aujourd'hui et par conséquent... la révolution d'Octobre 17 est une révolution bourgeoise...". Bien que débattre de ces questions soit nécessaire à la clarification politique, celle-ci est souvent bloquée par l'intervention de courants qui cherchent à donner un cadre plus élaboré à ces confusions inextricables. Tel est le rôle de Solidarity avec sa théorie du "nouveau capitalisme bureaucratique"; tel est le râle des bordiguistes avec leurs fantaisies sur les "jeunes capitalismes" du tiers-monde ou la "révolution double" (c'est-à-dire bourgeoise et prolétarienne) d'Octobre 17. Dans le texte qui suit, nous nous efforçons de confronter ces aberrations théoriques avec la vision historique claire défendue par Rosa Luxembourg à l'époque de la première guerre mondiale et par Bilan dans les années 30 : à l'époque de la décadence capitaliste, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise nulle part dans le monde; c'est la révolution prolétarienne qui est à l'ordre du jour partout, dans tous les pays.
Le texte traite brièvement des origines de Solidarity et des idées de Cardan telies qu'elles sont présentées dans "Modem Capitalism" et "The Cnsis of Modem Society". Rupture positive avec le trotskisme à l'origine, Socialisme ou Barbarie, le groupe de Cardan/Chaulieu et Solidarity plus tard, tous deux imprégnés de conceptions héritées du trotskysme, ont été incapables de répondre aux événements. Socialisme ou Barbarie a eu le bon goût de disparaître avant que le resurgissement de la crise capitaliste mondiale n'ait démystifié sa théorie d'un soi-disant capitalisme "sans crises", et avant que le groupe n'ait abandonné toute prétention à une position prolétarienne. Par contre, l'existence actuelle de Solidarity ne fait que souligner les contradictions, les absurdités de ses idées. Ecrit avant la fusion de Solidarity avec un autre groupe libertaire, Social Révolution (scission du groupe fossilisé The Socialist Party of Great Britain), le texte note déjà une tendance qui semble s'accélérer depuis la fusion : l'abandon progressif des positions de classe en faveur du point de vue de "l'individu autonome". Cette évolution vers l'individualisme ([1]) et l'"alternate life-styles" (la vie quotidienne "désaliénée") s'accompagne d'une évolution rapide vers des positions purement et simplement gauchistes sur des questions cruciales telles que les syndicats et l'anti-fascisme. L'incohérence théorique mène toujours à l'opportunisme en pratique, vers la trahison des principes fondamentaux.
En publiant ce texte donc, nous espérons contribuer à l'évolution politique des courants qui surgissent actuellement -de la Californie à Bombay, d'Oslo à Hong-Kong. Contrairement à Socialisme ou Barbarie et Solidarity, la majorité de ces courants ne vient pas du marasme contre-révolutionnaire du trotskysme, mats a surgi dans une période plus favorable au développement des groupes communistes que ne liétaient les années 50 ou le début des années 60. Il y a ainsi plus de chances d'éviter de répéter les erreurs du passé et de devenir partie prenante de l'avenir révolutionnaire.
La brochure de Solidarity : "Ceylan : la montée du JVP en avril 1971", contient un appendice qui s'appelle "tiers-mondisme ou socialisme ?" (paru par ailleurs dans une autre brochure de Solidarity : "Viêt-Nam : quelle victoire ?".) Le point de vue de Solidarity sur les soi-disant luttes de libération nationale apparaît particulièrement clairement dans cet appendice, qui contient aussi quelques brefs commentaires sur la révolution russe. Nous tenterons de traiter ici des positions de Solidarity sur ces deux questions d'importance vitale, dans 1'espoir d'ouvrir une discussion dans le mouvement révolutionnaire actuel.
La Question des Révolutions bourgeoises dans les Sphères Arriérées du Capitalisme Mondial
L'appendice établit que "dans des conditions favorables, toute bureaucratie peut "résoudre" le problème des tâches bourgeoises dans le tiers-monde". Il parle aussi "des nouvelles classes dominantes" dans le tiers-monde qui prennent en charge la réalisation de "l'accumulation primitive" du capital dans le cadre de leurs frontières nationales". Les "révolutions bourgeoises tardives" dit aussi Solidarity, permettent d'"élever le niveau de consommation des masses"et de mettre en place des "programmes sociaux" pour elles.
En 1919, l'Internationale Communiste (IC) a affirmé que le capitalisme était entré dans sa phase de décadence, l'ère de la révolution prolétarienne ou de la guerre inter-impérialiste. Mais pour Solidarity, nous sommes à l'époque du "capitalisme moderne" où tout est possible, y compris "des révolutions bourgeoises tardives" ainsi qu'un progrès économique sans fin pour l'ensemble du capitalisme. Le CCI défend aujourd'hui l'analyse de TIC ([2]). A la lumière des 50 dernières années de contre -révolution et de guerres inter-impérialistes, il devrait être évident que la classe capitaliste, existant à l'échelle mondiale, est devenue une classe complètement réactionnaire, en même temps qu'avec la première guerre mondiale, le capitalisme entrait dans sa période de décadence. L'époque des révolutions bourgeoises, l'époque de l'ascendance du capitalisme en tant que système progressif de reproduction humaine a pris fin avec la première guerre mondiale. Les guerres de "libération nationale" de ce siècle sont devenues des arènes pour la confrontation impérialiste mondiale, des bancs d'essai pour d'autres guerres impérialistes mondiales et des charniers pour les ouvriers et les paysans sans terres. Aujourd'hui, il n'y a plus de révolutions bourgeoises possibles et seule la révolution communiste peut ouvrir à l'humanité une nouvelle ère de progrès et de développement.
Aux 18ème et 19ème siècles, la révolution bourgeoise était une possibilité historique. De telles révolutions, comme Marx fut capable de l'analyser, étaient des mouvements politiques progressistes qui permettaient de libérer les énormes forces productives du capitalisme ascendant. Ces révolutions ont irrésistiblement arraché les entraves précapitalistes et féodales pour pouvoir développer le progrès social. A partir des marchés locaux, régionaux, nationaux, la bourgeoisie a étendu son système jusqu'à créer le marché mondial et le prolétariat mondial. La fonction la plus progressive qu'a en fin de compte remplie le jeune ordre bourgeois, c'est la création et la consolidation du marché mondial. Mais en 1914, ce marché était devenu complètement saturé par rapport à la capacité progressive croissante du système dans son ensemble. Dès lors, le système est entré dans sa phase de déclin, une période de crise permanente et de guerre impérialiste cyclique, une période caractérisée par la croissance incessante de la production de gaspillage et les préparatifs de guerre.
Il est tout aussi faux de parler d'"accumulation primitive" dans les aires arriérées du capitalisme aujourd'hui. Cette étape du développement du capitalisme constituait un moment progressif dans la destruction du féodalisme et la création du prolétariat à l'échelle mondiale. L'accumulation primitive est donc une composante historique du capitalisme ascendant. Elle ne peut avoir à nouveau lieu pendant sa phase de décadence. C'est un non-sens que de parler à la fois d'impérialisme et d'accumulation primitive qui auraient lieu au même moment, dans un système qui a créé le marché capitaliste mondial. Non seulement les conditions objectives du socialisme existent à l'échelle mondiale, mais encore elles existent depuis 50 ans. Seule la défaite de la vague de luttes prolétariennes en 1917-23 a permis qu'ait lieu la contre-révolution bestiale du stalinisme et autres variantes capitalistes d'Etat comme le maoïsme, ou le castrisme. Ces mouvements contre-révolutionnaires n'ont pas libéré les forces productives, nationalement ou internationalement. Ils n'ont pas ouvert à l'humanité des horizons nouveaux comme le firent la révolution française de 1789 ou les révolutions européennes de 1848. Ils sont bien plutôt apparus comme des expressions de la victoire de la contre-révolution sur le prolétariat. Les plans quinquennaux de Staline et les collectivisations de Mao n'étaient pas historiquement progressifs ; ils furent inévitables une fois que l'alternative prolétarienne à la décadence capitaliste - la révolution mondiale - fut écrasée par la bourgeoisie, y compris et surtout par ses fractions de gauche comme les staliniens. Seule la révolution prolétarienne est aujourd'hui progressive pour l'humanité. Toute autre sorte de "révolution" n'est qu'une convulsion d'une fraction de la bourgeoisie qui répond à la crise, à la guerre impérialiste, et à la nécessité d'étatiser l'économie. Et puisque l'ensemble de l'économie mondiale est aujourd'hui déterminé par des rapports de production complètement décadents, toute étatisation de l'économie nationale (ou ce que Solidarity appelle "l'accumulation primitive") ne constitue qu'un renforcement de ces rapports de production dépassés, sur une échelle nationale. Pour toutes ces raisons, la République de Weimar par exemple n'était pas une révolution bourgeoise allemande "tardive". Au contraire, elle représentait la destruction de la révolution prolétarienne en Allemagne, le massacre de plus de 20000 militants prolétariens entre 1918 et 1919. Les révolutionnaires ne peuvent pas confondre la victoire de la contre-révolution mondiale avec la période, à jamais finie, d'ascendance du capitalisme.
En dépit des banalités répandues par les "experts" en économie, le progrès matériel ne se mesure pas par des augmentations de rendement, par la création de nouvelles usines, par le plein emploi ni par la croissance numérique apparente de la classe ouvrière. Aujourd'hui, de tels mythes de technocrates ne servent qu'à cacher le gonflement de production de gaspillage. En d'autres termes, le développement de moyens de destruction ne représente pas un accroissement des valeurs d'usage qui peuvent être consommées de façon productive dans le processus d'accumulation capitaliste. Pour le capital global, y inclus les secteurs arriérés de l'économie mondiale, la production de gaspillage et les dépenses militaires constituent une stérilisation de la plus-value. Un bref examen du "progrès économique" réalisé par les "révolutions bourgeoises tardives" de Solidarity montrera qu'il n'y a pas eu de progrès matériel dans ces pays. Le déclin économique s'est poursuivi là comme ailleurs, et s'il s'est produit quelque chose c'est que les contradictions dans ces pays sont devenues plus brutales et plus intolérables. La Chine, Cuba, le Vietnam, etc. ont des dépenses d'Etat énormes, orientées vers la production de gaspillage et une économie de guerre ; la Chine dépense plus de 30% de son produit national en armements. Ces pays ne peuvent pas échapper aux lois du système, pas plus que ne le peuvent les pays européens, la Russie et les Etats-Unis.
Partout le prolétariat se trouve confronté à l'austérité, au chômage - masqué ou non -, à une exploitation croissante, à une répression policière plus grande, à l'inflation et à des réductions de salaires brutales. Partout le prolétariat se trouve face aux diktats d'un système qui s'oriente de plus en plus vers la guerre impérialiste, vers une barbarie complète. Où sont donc les "plus hauts niveaux de consommation" et les "programmes sociaux" de Solidarity ?
La Première Internationale a pu soutenir Lincoln et le Nord contre les esclavagistes du Sud, durant la guerre civile mexicaine ; de même, le mouvement ouvrier du siècle dernier a soutenu la petite-bourgeoise "jacobine" d'Italie, de Pologne et d'Irlande dans sa lutte contre le féodalisme et la réaction absolutiste. Comment était-ce possible ? Solidarity ne le voit pas du tout. A cette époque, le prolétariat luttait encore dans un contexte social où le système était économiquement progressif. Aussi la classe ouvrière pouvait-elle soutenir certaines tendances capitalistes spécifiques sans perdre pour autant sa propre autonomie de classe. La lutte contre le féodalisme que menait la bourgeoisie et que soutenait le prolétariat, libérait les rapports de production capitalistes et dans ce sens, renforçait le prolétariat dans la préparation de sa propre révolution, lorsque le capitalisme aurait achevé son rôle historiquement progressif. Dans les conditions d'aujourd'hui, une telle stratégie ne fait que mener le prolétariat au massacre puisque partout la bourgeoisie s'affronte directement au prolétariat. Aujourd'hui le capitalisme est un système mondial. Le féodalisme a été vaincu par le développement du capitalisme dans sa période ascendante. Dans une époque d'impérialisme mondial, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise contre le féodalisme. La libération nationale dans le tiers-monde aujourd'hui ne veut pas dire la lutte d'un capitalisme montant contre des modes de production précapitalistes ou féodaux mais veut dire lutte inter-impérialiste menée à l'échelle d'un capital national particulier. Dire, comme le fait Solidarity, que des "révolutions bourgeoises" peuvent se produite aujourd'hui mais que le prolétariat ne doit pas soutenir la bourgeoisie dans sa "lutte", est complètement absurde. Quand les révolutions bourgeoises contre le féodalisme étaient possibles, le prolétariat les soutenait. Aujourd'hui, si le prolétariat ne peut pas soutenir une quelconque fraction de la bourgeoisie, c'est parce que le capitalisme a termine sa mission historique. Ce qui est aujourd'hui historiquement à Tordre du jour, c'est la révolution communiste.
Cependant, puisque Solidarity défend l'idée que des "révolutions bourgeoises" sont possibles aujourd'hui dans les pays sous-développés, sur quoi se base-t-il donc pour s'opposer aux régimes qui surgissent de ces "révolutions" ? Après tout, Solidarity est d'accord avec les proclamations de ces gouvernements selon lesquels la "révolution" a pour résultat le développement économique. Solidarity veut même flatter ces gouvernements en les traitant de "jacobins" ou de révolutionnaires bourgeois. Mais en abandonnant ainsi l'analyse matérialiste du développement historique du capitalisme, Solidarity n'en reste qu'au moralisme lorsqu'il établit son opposition à ces régimes. C'est une opposition purement idéaliste et utopique. Voila Solidarity qui déverse son mépris quand il parle des ""Révolutionnaires bourgeois tardifs" de Ceylan, de la Chine ou du Vietnam, tout en admettant en même temps qu'ils remplissent une tâche historique progressiste et inévitable en développant les forces productives du capitalisme. Mais si c'était vrai, il n^ aurait alors rien de "tardif" à la montée de Mao, Castro ou Allende. En fait, leur montée au pouvoir serait tout à fait à propos pour le capital. De plus, toute cette période pourrait être caractérisée, de façon tout à fait justifiée, comme celle des "révolutions bourgeoises tardives", promettant au capitalisme un développement éternel jusqu'au moment où le dernier village de Patagonie se sera engagé dans la "reproduction élargie", après avoir terminé sa "propre" "accumulation primitive".
Dans le point de vue de Solidarity, il y a donc une étrange séparation entre la réalité économique et la lutte de classe. Pour les marxistes, le capitalisme doit entrer dans sa phase de décadence en tant que système social avant que le prolétariat mondial puisse directement lutter pour le communisme. Si le capitalisme peut continuer à se développer économiquement, si des "révolutions bourgeoises", "tardives" ou autres, peuvent se produire aujourd'hui,alors la révolution communiste n'est pas seulement une impossibilité objective, mais est subjectivement impossible jusqu'au moment où le capital aura terminé son évolution progressiste. Mais pour Solidarity, cela n'a aucune importance de savoir si oui ou non le capitalisme est décadent en tant que système de reproduction économique. Ce qui est important, c'est la conscience subjective des "dirigés" et c'est tout. Si les "dirigés" veulent la révolution, alors la révolution aura lieu, même si cela veut dire que la révolution prolétarienne est simultanée à une révolution bourgeoise dans un autre coin du globe. Si Solidarity était logique, alors il défendrait la position que la révolution était possible n'importe quand, même au 19ème siècle. Si les conditions objectives de la décadence capitaliste n'ont aucune importance aujourd'hui, pourquoi les conditions objectives du développement capitaliste dans sa phase d'ascendance en auraient-elles ?
Aux yeux du mouvement marxiste cependant, la révolution prolétarienne obéit à une nécessité historique. La révolution prolétarienne n'est historiquement à Tordre du jour que lorsque le capitalisme est entré mondialement dans une ère de déclin. D'après Solidarity, le capitalisme aurait une superstructure politique complètement autonome, indépendante des fondements économiques. Cuba, la Chine, la Russie se sont tous développés "économiquement", mais"politiquement" les répercussions de ces "révolutions bourgeoises tardives" sont négatives et réactionnaires. La vérité, c'est qu'il existe une interconnexion réelle entre le déclin économique du système capitaliste mondial et son déclin politique. Le "progrès économique" de bien des nations arriérées "libérées" comme la Chine, la Corée du Nord ou le Vietnam peut bien impressionner des scribes tels que Myrdal ou Cajo Brendel, mais les révolutionnaires doivent comprendre le contenu réel de ce "progrès". Nous avons déjà mentionné la production de gaspillage chronique de ces économies et le fait que ce sont des Etats policiers. La nécessité pour la bourgeoisie à notre époque et dans ces régimes en particulier, de réprimer brutalement le prolétariat exprime la profonde faiblesse de tels régimes, à la fois au niveau économique et politique. De tels régimes doivent se lancer dans la concurrence de façon militaire s'ils veulent survivre sur le marché mondial.
A l'exception de la Russie (qui est elle-même une puissance impérialiste dominante même si elle est plus faible que les Etats-Unis), de tels régimes ne peuvent qu'avoir une existence fragile et précaire, passant d'un bloc impérialiste à l'autre. Il est complètement impossible pour ces régimes de conquérir une quelconque indépendance nationale. Chaque fois que ces aires ont servi comme arènes de la lutte inter impérialiste (comme l’héroïque" Vietnam), elles n'ont fait que renforcer la puissance impérialiste de l'un ou 1'autre des deux grands blocs impérialistes. Les luttes de libération nationale (sic) n'"affaiblissent" jamais l'impérialisme comme les gauchistes (et Solidarity dans sa brochure sur le Vietnam) le prétendent. La bourgeoisie américaine est tout autant assurée de sa puissance impérialiste qu'elle ne l'était avant la guerre du Vietnam. C'est tout autant absurde de parler de "révolutions bourgeoises" dans le tiers-monde qui développeraient des forces productives dans ces pays. Aucun de ces capitaux nationaux "libérés" n'a atteint un niveau de productivité du travail qui soit comparable à celui des pays développés. Au lieu de faire des comparaisons arbitraires au niveau local comme le font les apologistes de ces régimes, une comparaison véritable doit être faite entre la productivité économique des pays avancés par rapport à celle qu'accomplissent aujourd'hui les régimes de "libération nationale". Plutôt que de comparer la Chine de Mao à celle du Kuomintang, une vraie comparaison serait de la mesurer aux niveaux économiques des secteurs avancés du capitalisme. La crise des rapports de production capitalistes que subissent les économies occidentales avancées (avec leurs 22 millions de chômeurs, leurs usines inutilisées et l'inflation galopante) est la même contradiction qui étrangle aujourd'hui l'économie chinoise. C'est d'ailleurs cette caractéristique même qui fait que la productivité du travail reste extrêmement basse en Chine en comparaison avec les pays développés, tout comme la Russie stalinienne n'a pas réussi en cinquante ans à atteindre le niveau de productivité du travail des pays capitalistes avancés de l'Ouest. De ce point de vue concret, on peut voir que le décalage entre le les secteurs plus développés et les secteurs arriérés du capital mondial s’accroît favorablement chaque année, en progression géométrique. Et les pays avancés confrontés à la décadence de l'ensemble du système s'orientent vers une autre guerre impérialiste généralisée et entraînent toutes les nations "libérées" derrière eux dans la barbarie.
La question des aires arriérées du capitalisme ne peut être posée qu'à l'échelle globale. Solidarity, comme les mencheviks et des tendances similaires dans la Social Démocratie avant eux, base toute sa perspective sur l'exemple isolé d'une économie nationale. Selon l'analyse que fit Rosa Luxembourg au début de notre époque, l'avenir des aires arriérées du capitalisme mondial est indissolublement lié à la décadence de l'ensemble du système. Aujourd'hui, après deux guerres mondiales, après l'établissement d'une économie de guerre permanente, après plus de 50 années de déclin économique et social prolongé dans le sillage d'une révolution internationale défaite, il est impossible de prendre au sérieux les fantaisies de Paul Cardan et de son "capitalisme moderne", et la proclamation du développement éternel du capitalisme. Pour le prolétariat, la question de savoir si le système se développe ou décline a été tranchée pour toujours par le cycle barbare de crise, guerre et reconstruction de ce siècle. Et alors que le prolétariat international ressurgit sur l'arène politique après avoir subi la pire période contre-révolutionnaire de son histoire, seuls les aveugles continuent à parler de "révolutions bourgeoises tardives" au moment où se font entendre les premiers bruits de la seconde vague révolutionnaire de ce siècle.
LA REVOLUTION RUSSE
L'autre confusion principale dans l'appendice publié par Solidarity réside dans les remarques que fait le groupe sur la révolution russe. Ces remarques révèlent les profondes confusions de Solidarity sur cet épisode vital du mouvement ouvrier. Nous pouvons lire :
"...la "révolution permanente" en Russie à la fois débuta et finit comme une révolution bourgeoise (malgré le fait que le prolétariat ait assumé le "rôle dirigeant" dans le déroulement du processus)".
Il est ahurissant que cette vieille thèse menchevik soit présentée par Solidarity comme une grande découverte. Malheureusement pour Solidarity, cette grande "innovation" n'avait déjà aucune base dans la réalité à l'époque où les mencheviks l'ont défendue. Elle n'en a pas plus aujourd'hui.
Beaucoup de tendances anarchistes, de même que les Sociaux-Démocrates, ont rejeté la révolution russe. Ce n'est pas surprenant puisqu'elles rejettent le marxisme. En ce qui concerne Solidarity, bien qu'il ne se soit jamais prétendu marxiste, il a néanmoins ressenti le besoin de rejeter l'expérience de la révolution prolétarienne d'octobre 17 pour se joindre au choeur des libertaires. Le refrain de ce choeur, c'est l'affirmation que le stalinisme égale le léninisme égale le marxisme. Avec cette formule, les libertaires commencent avec la contre-révolution et l'identifient à la pensée et à l'action de la classe ouvrière. En commençant par le rejet de la contre-révolution et ce qu'il en comprend, Solidarity finit par rejeter à la fois l'expérience pratique de l’outil théorique de la lutte de classe,. Il rejette non seulement les expériences ouvrières de la révolution russe mais encore la totalité de la période de luttes révolutionnaires qui va de 1917 à 1923 : le développement du mouvement ouvrier en Europe, les surgissements ouvriers, le regroupement des révolutionnaires dans la Troisième Internationale et la clarification qui s'est faite dans ses premiers Congrès, et enfin la compréhension qui se fit à travers les luttes et que l'aile gauche de TIC défendit contre la dégénérescence de celle-ci alors que la révolution mondiale commençait à refluer. Est-ce que tout cela n'était que de l'aventurisme, simplement la conséquence de la "révolution bourgeoise" russe comme les mencheviks le proclamaient ? Est-ce que c'était une"révolution bourgeoise"russe qui était à l'ordre du jour durant cette époque de déclin impérialiste, cette époque de guerres et de révolutions, durant cette époque de lutte à mort entre le capitalisme mondial et le prolétariat international ? Les révolutionnaires qui s'étaient regroupés autour du slogan "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", étaient-ils des utopistes dans l'erreur ou même des machiavéliques rusés qui voulaient prendre le pouvoir pour eux-mêmes aux dépens de l'effort de guerre impérialiste ? Toute l'expérience russe de la dictature du prolétariat - ce qu'elle fut historiquement, c'est-à-dire une tentative -, les conseils ouvriers, l'activité autonome de la classe ouvrière, tout cela était-ce simplement une illusion, quelque chose que le prolétariat d'aujourd'hui ferait mieux d'oublier ?
Est-ce que l'échec final de la révolution russe était identique à l'évolution de la conscience du prolétariat en 1917, quand il devint conscient de la nécessité de détruire l'Etat bourgeois de Kerensky - un événement qui a fait de la dictature du prolétariat une réalité vivante de cette époque révolutionnaire ? Que la classe ouvrière n'ait pas été capable d'étendre son pouvoir à l'échelle internationale, est évident. Il est tout aussi évident quand on lit les documents des premières années de l'IC et les écrits des révolutionnaires russes de cette époque, que le camp prolétarien comprenait qu'un isolement continu de la révolution russe se terminerait en une défaite du bastion prolétarien. Sur le plan subjectif, les confusions du prolétariat que ses minorités politiques, y compris les bolcheviks, reflétaient, ont finalement condamné la révolution russe et l'ensemble du mouvement révolutionnaire à l'échec. Mais ce serait d'une pensée stérile et d'un curieux fatalisme de dire que février et octobre 17 ont été condamnés à l'échec (en Russie et internationalement) depuis le début. Et c'est ce que dit Solidarity dans son appendice sur la révolution russe. On peut déjà voir la mort dans un bébé nouveau-né, et peut-être que sur ce plan Kierkegaard est plus profond que Marx. Mais les processus historiques dépendent de l'intervention active et consciente des forces de classe qui ne peuvent être analysées comme un jeu de mystères médiéval. Ce qui a manqué au prolétariat en 17, c'était une expérience et une clarté suffisantes sur les besoins qui surgissaient devant lui avec l'avènement d'une nouvelle époque. Il a été catapulté dans une nouvelle phase historique au moment où il sortait juste du carnage de la première guerre impérialiste mondiale. Il a tenté de détruire le capitalisme mais il a échoué. Mais aucun révolutionnaire de l'époque n'aurait affirmé que tout était perdu d'avance! Ceux qui proclamaient alors que seule une "révolution bourgeoise" était à l'ordre du jour, c'étaient Plekhanov en Russie, Ebert et Noske en Allemagne qui, soit cherchaient à excuser l'exécution du prolétariat révolutionnaire, soit en devinrent eux-mêmes les bourreaux.
Solidarity va rapidement atteindre la fin de sa longue et négative évolution, et disparaître comme beaucoup d'autres groupes. Les positions incohérentes de Solidarity sont le résultat de son incapacité à rompre pleinement avec son passé gauchiste. Tout comme le groupe français Socialisme ou Barbarie qui défendait des idées similaires et s'est dissout en 1967, Solidarity vient d'une scission du trotskysme après la guerre. Se prenant pour des "innovateurs", ces tendances n'ont jamais tenté d'établir une continuité avec les traditions et les leçons défendues par les fractions communistes de gauche (les Gauches Italienne, Allemande et Hollandaise). Elles n'ont donc jamais rompu complètement avec la contre-révolution. Elles n'ont pas vu, par exemple, que leurs "innovations" étaient des conceptions usées ou des incompréhensions qui furent réfutées il y a longtemps par le mouvement révolutionnaire. Toute leur vision se basait sur une critique individualiste et fragmentaire de la contre-révolution. Ainsi, Socialisme ou Barbarie pouvait encore défendre 1'idë d'un parti léniniste et défendre les luttes de libération nationale et le "travail syndical de boîte". Graduellement, les conceptions anarchistes de Stirner, de Proudhon ont commencé à pénétrer ses activités. Solidarity et d'autres groupes similaires ont commence a défendre ce qu'ils appellent "l'autogestion", et de plus en plus on ne savait pas si la classe ouvrière était la classe communiste de notre époque. Ces confusions étaient rationnaiisées par la forte influence de la sociologie bourgeoise et bien vite nos "innovateurs" de S ou B et de Solidarity se sont mis à défendre les idées des renégats comme Burn-ham, Rizzi et autres académiciens bourgeois comme Marcuse et Bell qui proclamaient la mort du prolétariat et que la "bureaucratie" était une nouvelle classe sociale qui mettait en question le marxisme.
Bien que la rupture initiale de Solidarity avec le trotskysme révélait un véritable effort de clarification, elle a aussi montré la quasi-impossibilité d'un développement sain de la part d'une tendance qui vient de l'appareil politique capitaliste. Aujourd'hui, alors que le prolétariat surgit à nouveau à l'échelle mondiale, les idées de Solidarity apparaîtront de plus en plus cyniques et anachroniques. A côté de ce resurgissement et avec lui, le mouvement révolutionnaire actuel contribuera aussi à la mort des idées de Solidarity. En fait, le mouvement actuel doit critiquer sans merci toutes les confusions qui restent de la contre-révolution. Et il est forcé de la faire par les nécessités mêmes de la révolution communiste qui requiert la plus grande clarté et cohérence comme condition première à la pratique révolutionnaire. L'incapacité de dire ce qui est et ce qui n'est pas, l'incapacité de tirer les leçons du passé, la mollesse et l'impuissance politiques, toutes ces caractéristiques sont celles d'une tendance politique mourante. Solidarity est perclus de tous ces défauts majeurs. Si le mouvement révolutionnaire actuel peut bénéficier d'une dernière contribution de la part de Solidarity, ce serait la disparition rapide de sa stérile existence.
J.McIver août 77
L'auteur de cette critique a participé à la rédaction du texte de Solidarity "Tiers-mondisme ou socialisme", il y a plusieurs années. Aujourd'hui, dans le Courant Communiste International ce camarade peut apprécier l'attraction que les idées de Solidarity ont dans le mouvement révolutionnaire actuel L'espoir est donc non seulement que s'ouvre et se poursuive une discussion sur ces sujets, mais que les nouveaux révolutionnaires acquièrent la clarté nécessaire pour confronter ces conceptions usées qui ne peuvent être que des obstacles à l'activité révolutionnaire. Sans cette clarté nécessaire, le but qu'ils défendent ne deviendra jamais "dur comme l'acier, clair comme le cristal" (Gorter).