Rapport sur la situation mondiale

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1) L'approfondissement de la crise aiguë du capitalisme se poursuit de façon inexorable. On avait pu assister en 1975-76 à un semblant de reprise après l'aggravation très sensible de 1974, mais 77 a vu partout revenir une profonde "morosité". Si quelques pays réussissent à s'en sortir un peu mieux sur le plan des échanges commerciaux, comme l'Allemagne et le Japon, ils ne peuvent éviter une stagnation de la production ni une élévation du chômage. D'autres pays, comme les Etats-Unis réussissent mieux à faire face à une baisse de la production et sont momentanément parvenus à stopper une augmentation du chômage, mais en même temps ils connaissent un déficit commercial catastrophique et un effondrement de leur monnaie. Et ce tableau ne concerne que les pays les plus développés et puissants; donc les mieux armés face à la crise. La situation des autres est désespérée : inflation de plus de 20 %,  chômage de plus en plus écrasant, endettement extérieur insurmontable et qui va en s'aggravant. On peut donc conclure à la faillite totale de toutes les politiques économiques tentées par la bourgeoisie : qu'elles soient néo-keynésiennes ou "monétaristes", inspirées de Harvard ou de "l'école de Chicago".

Et il ne reste plus qu'à essayer de s'en consoler en attribuant des prix Nobel aux économistes qui se sont trompés le plus : le sommet étant atteint évidemment quand on récompense un économiste de ses échecs professionnels en le nommant chef de gouvernement. En fait, la seule "perspective" que la bourgeoisie puisse présenter face à la crise est celle d'une nouvelle guerre impérialiste généralisée.

2) Une telle perspective, les secteurs "optimistes" de la classe dominante essaient évidemment d'en écarter la possibilité ou bien d'en rejeter la "responsabilité" sur les "forces du mal et du bellicisme". Dans la vision pacifiste, une entente entre belligérants et même entre blocs impérialistes est possible et mérite donc qu'on se mobilise pour elle. En fait, une telle vision est une expression typique de l'humanisme petit- bourgeois. Le plus grand reproche qu'on peut lui faire n'est pas qu'elle tourne le dos à la réalité mais qu'elle tende à maintenir des illusions extrêmement dangereuses dans la classe ouvrière :

- possibilité de réforme et d'harmonisation du capitalisme,

- non nécessité de sa destruction pour mettre fin aux catastrophes qu'il engendre.

De plus, une telle conception qui oppose un capitalisme "pacifique" à un capitalisme "belliqueux" constitue une excellente base pour une mobilisation guerrière des pays "pacifiques" contre les pays "militaristes". A l'heure actuelle, on peut assister à une forte offensive de la bourgeoisie sur ce terrain. C'est tout particulièrement le cas au Moyen-Orient où les négociations entre l'Egypte et Israël ne constituent absolument pas une "victoire de la paix", comme dirait le Pape, mais un simple renforcement des positions américaines en vue de mieux préparer les affrontements futurs avec l'autre bloc. Plus généralement, tout le battage sur la "sécurité européenne", la "défense des droits de l'homme" et autres "croisades de paix" de Carter ne constituent que les préparatifs idéologiques de ces affrontements au même titre que les grandes déclarations de soutien au "socialisme", à "l'Indépendance nationale" et à "l’anti-impérialisme" de la part de l'URSS.

3) Une version "moderne" de la conception pacifiste consiste à considérer qu'un affrontement généralisé entre puissances impérialistes n'est plus possible de par l'évolution de leurs armements et particulièrement la possession d'armes thermonucléaires qui, pour la première fois de l’'histoire "favoriseraient l'offensive au détriment de la défensive" et dont l'utilisation se traduirait par des destructions insurmontables pour toutes les bourgeoisies. Ce qu'il faut répondre à une telle conception c'est que :

- elle n'est pas nouvelle ayant déjà été utilisée à l'égard des gaz asphyxiants et des bombardements et ayant "prédit" la fin de toutes les guerres à la veille de 1914 et de 1939,

- elle suppose une "rationalité" du capitalisme et de sa classe dominante, chose qu'ils n'ont pas,

- elle induit l'idée que les guerres sont le résultat du vouloir des gouvernements et non le résultat nécessaire des contradictions propres du système,

- elle débouche sur la possibilité d'une 3ème alternative autre que guerre ou révolution. Outre qu'elle peut démobiliser la classe ouvrière en atténuant les dangers qui menacent l'humanité en l'absence de sa propre action, une telle vision a enfin le tort très grave d'apporter de l'eau au moulin de toute la mystification bourgeoise qui dit "si tu veux la paix, prépare la guerre".

4) En fait, l'expérience de plus d'un demi-siècle a démontré que le seul obstacle qui puisse s'opposer à la "solution " bourgeoise de la crise, la guerre impérialiste, n'est autre que la lutte de classe du prolétariat qui culmine dans la révolution. Si la guerre, par les sacrifices quelle impose aux classes exploitées et le traumatisme qu'elle provoque dans l'ensemble du corps social a pu déboucher sur la révolution, on ne peut pas en conclure qu'il y ait une marche simultanée ou parallèle vers chacune des deux alternatives. Bien au contraire : l'une s'oppose à l'autre. C'est parce que la classe ouvrière est embrigadée par la social-démocratie belliciste et donc battue idéologiquement que la bourgeoisie peut aller à la guerre en 14.

De même, la victoire du fascisme et de ses "alter-ego", les "Fronts populaires" constitue le préalable nécessaire à la guerre de 1939. Réciproquement c'est la lutte de classe et la révolution qui, en 1917 en Russie et 1918 en Allemagne, mettent fin à la guerre. A tous moments, la tendance dominante entre cours vers la guerre et cours vers la révolution est fondamentalement la traduction du rapport de forces entre les deux principales classes de la société : bourgeoisie et prolétariat. C'est pour cela que la perspective sur laquelle débouche la crise actuelle est déterminée par la nature de ce rapport de forces : la capacité pour le capitalisme de mettre en place sa propre "solution" à la crise est Inversement proportionnelle à la capacité de la classe ouvrière de résister et de répondre sur son terrain aux empiétements de la crise.

LE RAPPORT DE FORCES ENTRE CLASSES SOCIALES

5) Le niveau des luttes de la classe connaît à l'heure actuelle, à son détriment, un décalage très net par rapport au niveau atteint par la crise économique. Ce décalage ne peut pas s'exprimer dans l'absolu par rapport à un schéma idéal qui, à une valeur X de la crise, ferait correspondre une valeur Y de la lutte de classe. Par contre, il peut être mis en évidence en termes relatifs par une comparaison entre le niveau dos luttes actuelles et celui des luttes à la fin des années 60, début des années 70, alors que la crise frappait de façon beaucoup moins violente que maintenant.

Une telle comparaison peut et doit se faire tant sur un plan "quantitatif" du nombre de luttes et dont les statistiques peuvent donner une image, que sur un plan "qualitatif" de la capacité de ces luttes à remettre en cause l'encadrement syndical et rejeter les mystifications capitalistes. Ces deux plans sont nécessaires dans la mesure où il n'existe pas un lien mécanique entre la combativité et la conscience de la classe mais où également le nombre des luttes constitue en soi une donnée traduisant un certain niveau de conscience ou étant apte à favoriser celle-ci. Sur le plan "quantitatif", la comparaison fait apparaître depuis quelques années et particulièrement pour 1977, une diminution du nombre de grèves et de travailleurs impliqués dans celles-ci. On peut citer en exemple un grand nombre de pays mais certains sont particulièrement significatifs, comme la France entre 1968 et maintenant ou bien l'Italie entre 1969 et aujourd'hui. Sur le plan "qualitatif'', la comparaison entre le "mai rampant" italien, qui a connu le rejet explicite des syndicats de la part d'un nombre élevé de travailleurs et la situation présente où les syndicats contrôlent, malgré quelques ratés, l'ensemble de la classe ouvrière, parle d'elle-même. Une évolution semblable, bien que plus récente, s'est manifestée en Espagne où une période combats très durs pendant lesquels la classe ouvrière s'est donnée des formes de lutte comme les assemblées, a débordé fréquemment y compris les syndicats non-officiels et a manifesté des tendances à la généralisation dans une ville ou une région, est suivie par une période beaucoup plus "calme" où la signature d'un plan d'austérité n'a pas provoqué de réactions majeures et où les seules mobilisations massives se font sur des thèmes aussi mystificateurs que "l'autonomie nationale" y compris dans des provinces encore peu touchées jusqu'Ici par un tel virus.

6)     A l'heure actuelle, les seuls pays qui connaissent des luttes importantes appartiennent à des zones excentrées par rapport au cœur du capitalisme. Il s'agit essentiellement de pays sous-développés ou à mi-chemin entre développement et sous-développement comme l'Amérique Latine (Argentine, Equateur, Bolivie), le Moyen-Orient ou l'Afrique du Nord (Algérie et Tunisie). De telles luttes sont une confirmation du fait qu'il existe dans ces pays, contrairement aux théories prétendant qu'ils doivent encore connaître un développement capitaliste pour qu'il s'y développe une classe ouvrière, un prolétariat capable de lutter pour ses propres Intérêts de classe au point même, dans certains cas, de faire reculer partiellement les menaces de guerre sur un plan local. Mais, en même temps, le fait qu'il faille chercher des luttes Importantes de la classe dans des pays où justement elle est moins concentrée, Illustre d'une façon frappante le fait que globalement la lutte de classe se trouve actuellement dans un creux,

7)     Quand II s'agit d'expliquer les causes du décalage entre niveau de la crise et niveau de la lutte de classe, certains courants comme le FOR, par exemple, ont une Interprétation toute prête. Pour eux, la crise, l'insécurité, le chômage pèsent sur la combativité et la conscience de la classe ouvrière au point, de plus en plus, de la paralyser et de la jeter dans les bras des forces politiques bourgeoises. Dans cette conception, il ne peut y avoir de révolution contre le système que quand celui-ci fonctionne "normalement", en dehors des périodes de crise. A une telle analyse, on peut apporter les réfutations suivantes :

La crise ne constitue pas une "anomalie" du fonctionnement du capitalisme; bien au contraire, elle est une expression, la plus véridique et significative de son fonctionnement normal et ce qui était déjà valable dans la phase ascendante de ce mode de production prend une ampleur toute particulière dans la phase de décadence, si on estime que la classe ouvrière ne se révolte que quand "tout va bien" alors on rejette la vision historique du socialisme comme nécessité objective, on en revient aux théories de Bernstein et en niant l'existence d'une relation entre effondrement du système et lutte révolutionnaire, on est obligé de chercher pour cette dernière d'autres facteurs capables de la provoquer - tels que la conscience "fruit de l'éducation" ou la "révolte morale" toute l'histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que les révolutions ne viennent qu'après des crises (1846) ou des guerres (1871, 1905, 1917), c'est-à-dire des formes aigues de crise de la société.

Il est vrai que dans certaines circonstances historiques, la crise a pu aggraver la démoralisation et la sujétion Idéologique de la classe (comme ce fut le cas au cours des années 30), mais c'était dans les moments où celle-ci était déjà battue, les difficultés qu'elle rencontrait venant alors Intensifier sa détresse au lieu de radicaliser ses luttes. Il se peut également que certaines manifestations de la crise comme le chômage puissent momentanément désorienter les travailleurs mais, ici encore, l'histoire enseigne que le chômage constitue lui aussi un facteur puissant de prise de conscience de la faillite du système.

En fin de compte, cette conception n'a pas pour seul inconvénient d'être fausse et Incapable de rendre compte ce  la réalité historique maïs, de plus, elle conduit è la démoralisation de la classe ouvrière et à son apathie dans la mesure où elle aboutit logiquement à l'idée    :

-      qu'elle doit attendre patiemment que le système soit sorti de la crise avant d'espérer pouvoir le combattre victorieusement,

-      qu'elle doit, pendant ce temps, modérer ses luttes qui ne sont promises qu'à des défaites.

Avec une telle conception, on est donc amené, et pire on incite la classe; à renoncer à la révolution au moment même où elle devient possible et donc à toute perspective révolutionnaire,

8) Pour rendre compte des périodes de creux dans la lutte prolétarienne et donc d'un décalage pouvant apparaître entre niveau d'une crise et le niveau des luttes, le marxisme a déjà mis en évidence le cours sinueux et en dents de scie du mouvement de la classe, différent en cela de celui de la bourgeoisie par exemple et l'explique par le fait que le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l'histoire n'ayant dans la vieille société aucune assise économique, marchepied de sa future domination politique, que par suite sa seule force réside dans son organisation et sa conscience acquises dans la lutte et qui sont constamment menacées par les aléas de cette lutte et l'énorme pression exercée par l'ensemble de la société bourgeoise. Ces caractéristiques permettent d'expliquer le caractère convulsif et explosif des luttes prolétariennes, y compris quand le développement de la crise revêt une forme beaucoup plus progressive. Maïs ces traits de la lutte de classe déjà valables au siècle dernier sont encore bien plus nets dans la période de décadence du capitalisme avec la perte pour le prolétariat de ses organisations de masse : parti et syndicats. Et ce phénomène est encore amplifié par le poids de la contre-révolution qui suit la vague révolutionnaire de 1917-23 et qui conduit à une disparition presque totale des organisations politiques de la classe et à la perte de tout un capital d'expérience transmis entre les générations ouvrières.

A ces causes générales et historiques motivant un cours en dents de scie il faut ajouter les conditions particulières de la reprise prolétarienne de la fin des années 60 pour comprendre les caractéristiques présentes de la lutte de classe.

Les débuts du mouvement entre 1968 et 1972 sont marqués par une très forte poussée prolétarienne qui surprend compte-tenu des effets encore peu sensibles de la crise mais qui s'explique par :

Les faibles préparatifs de la classe bourgeoise à qui des décennies de "calme social" avaient fait penser que la révolte ouvrière appartenait désormais à l'imagerie d'Epinal, l'impétuosité des nouvelles générations ouvrières qui s'éveillaient à la lutte sans avoir été brisées comme les précédentes.

On assiste ensuite à une "prise de conscience" et à une contre-offensive de la classe bourgeoise favorisée par :

La lenteur de la crise dont l'approfondissement n'est pas venu immédiatement "soutenir" et "alimenter" la première vague de luttes et grâce à laquelle les gouvernements ont pu faire croire à une possibilité de "bout du tunnel", la jeunesse et l'inexpérience des générations ouvrières qui ont animé cette vague et qui les rend plus vulnérables à des fluctuations et aux pièges tendus par la bourgeoisie.

Pour l'ensemble de ces raisons, la forte aggravation de la crise à partir de 1974 essentiellement marquée par l'explosion du chômage, n'a pas provoqué Immédiatement une réponse de la classe. Au contraire, dans la mesure où elle a frappé celle-ci au moment du ressac de la vague précédente, elle a plutôt eu tendance à engendrer momentanément un plus grand désarroi et une plus grande apathie.

9)     La contre-offensive de la bourgeoisie commence à se dessiner avec netteté dès le lendemain des premiers soubresauts de la classe et a pour fer de lance les fractions "de gauche" du capital, celles qui sont les plus "crédibles" pour les travailleurs. Elle consiste dans la mise en avant d'une "alternative de gauche" ou "démocratique", qui a pour but de canaliser le mécontentement ouvrier derrière la lutte contre "la réaction", "les monopoles", "la corruption" ou le "fascisme" dans le "respect des Institutions existantes". C'est ainsi que dans un grand nombre de pays, particulièrement là où la classe ouvrière a manifesté le plus de combativité, est mise en place toute une mystification tendant à "démontrer" :

Que "la latte ne pale pas,

Qu’il faut un "changement" pour faire face à la crise.

Suivant les pays, ce changement prend la forme :

En Grande-Bretagne de l'accession des travaillistes au pouvoir à la suite des grandes grèves de l'hiver 1972-73,

En Italie du "compromis historique" destiné, avec la venue du PCI au gouvernement à "moraliser"  la vie politique,

En Espagne, de la "rupture démocratique" avec le régime franquiste,

Au Portugal, de la "démocratie" d'abord, du "pouvoir populaire" ensuite,

En France, du "programme commun" et de "l'union de la gauche" qui doivent mettre fin à 20 ans de politique du "grand capital".

Dans le travail de mobilisation de la classe ouvrière vers des objectifs capitalistes et donc la démobilisation de ses propres luttes, la gauche officielle (PC-PS) a reçu une aide fidèle de la part des courants gauchistes qui sont venus apporter une caution "radicale" à cette politique (particulièrement en Italie et en Espagne) quand ils n'en ont pas été les promoteurs directs.

10)   Après cette première étape de mobilisation de la classe ouvrière derrière des objectifs illusoires, l'offensive bourgeoise a comporté en général une autre étape débouchant sur la démoralisation et l'apathie des travailleurs, soit par la réalisation de l'objectif mis en avant, soit par l'échec de sa perspective.

Dans le premier cas, la bourgeoisie poursuit sa mystification en décourageant toute lutte qui risquerait de "compromettre" ou "saboter" l'objectif enfin atteint :

En Espagne, Il ne faut pas faire "le jeu du fascisme", il faut se garder de tout ce qui pourrait affaiblir la "jeune démocratie" et donc favoriser le retour du régime honni,

En Grande-Bretagne, il ne faut pas créer de difficultés au gouvernement "du travail", ce qui favoriserait le retour des "Tories réactionnaires" avec qui "ce serait pire".

Dans le second cas, l'apathie de la classe est le résultat du fait que l'échec de la perspective mise en avant est ressenti comme une défaite, ce qui provoque dans un premier temps désenchantement et démoralisation. Cette démoralisation pèse d'autant plus que, contrairement aux défaites essuyées au cours des véritables luttes du prolétariat, qui sont source d'apprentissage et d'expérience de son unité et de sa conscience, ce type de défaite sur un terrain qui n'est pas le sien (la véritable défaite étant de s'y être laissé entraîner), laisse surtout du désarroi et un sentiment d'Impuissance et non la volonté de reprendre la combat avec de meilleures forces. Les exemples les plus nets d'un tel phénomène sont probablement celui du 25 novembre 1975 au Portugal qui est venu 'ruiner les espoirs de "pouvoir populaire" qui avaient pendant un an dévoyé les luttes prolétariennes, et plus récemment celui de la France où la rupture de l'Union de la Gauche est venue mettre fin à plus de cinq années de mirage du "programme commun" qui d'élection en élection avait réussi à anesthésier totalement la combativité ouvrière.

11) Le fait que la disparition d'une perspective pour laquelle la classe s'est mobilisée, plonge celle-ci dans le désarroi et l'apathie, ne signifie pas que l'ensemble du scénario soit planifié de façon machiavélique et délibérée entre les différentes forces de la bourgeoisie. En réalité, si elle laisse un certain temps le prolétariat désemparé, l'absence de perspectives conformes à l'intérêt bourgeois, risque de déboucher sur des explosions "incontrôlées" dans la mesure où l'encadrement capitaliste, et particulièrement syndical, ne peut se passer de telles perspectives. Et la bourgeoisie n'a aucun intérêt à ce que de telles explosions aient lieu car elles constituent autant d'expériences vivantes qui restent un acquis pour la classe. En fait, la faillite des objectifs qui ont réussi à démobiliser la lutte de classe, est fondamentalement le résultat des conflits entre différents secteurs de la classe dominante, qu'ils touchent des problèmes de politique intérieure (politique à l'égard des couches moyennes, rythme du cours vers le capitalisme d'Etat, ampleur des mesures en ce sens, etc.) ou de politique extérieure (plus ou moins grande intégration dans le bloc de tutelle). Au Portugal, l'élimination de la fraction Carvalho après celle de la fraction Gonçalves des sphères du pouvoir, est le résultat de la conjonction des résistances aux mesures de capitalisme d'Etat préconisées par ces deux fractions et des impératifs de fidélité au bloc américain et dont le PS s'est fait le porte-parole le plus dynamique et efficace.

En France, les motifs de la rupture entre PC et PS résident dans des divergences très importantes sur les mesures de capitalisme d'Etat (rôle et place des nationalisations, etc.) mais encore plus sur la politique extérieure (degré d'intégration dans le bloc américain) et qui pouvaient difficilement s'envisager dans un gouvernement. Mais dans un cas comme dans l'autre, les autres facteurs de la politique bourgeoise ont pu jouer et s'imposer dans la mesure où le facteur lutte de classe était passé au second plan de par la réussite de la mystification mise en avant. Paradoxalement, c'est la réussite du "pouvoir populaire" et du "programme commun" en tant que moyens de dévoyer la lutte prolétarienne qui les rend inutiles comme formules de gouvernement. Pour le moment donc, que les perspectives mises en avant aient été réalisées ou non, la contre-offensive de la bourgeoisie a globalement porté ses fruits en faisant taire presque totalement les réactions de la classe à l'aggravation de la crise, ce qui lui laisse les mains d'autant plus libres pour développer sa propre politique de renforcement de l'Etat et d'intensification de l'économie de guerre.

LE RENFORCEMENT DE L'ETAT

12) Le renforcement de l'Etat capitaliste est un processus constant depuis l'entrée du système dans sa phase de décadence. Il s'exerce dans tous les domaines : économique, politique et social par une absorption croissante de la société civile par le Léviathan étatique. Ce processus s'accélère encore lors des périodes de crise aiguë, telles les guerres et l'effondrement économique qui suit les périodes de reconstruction, comme celui qu'on connaît à l'heure actuelle. Mais l'élément marquant de ces derniers mois consiste dans le renforcement de l'Etat en tant que gardien de l'ordre social, en tant que gendarme de la lutte de classe : c'est ainsi qu'il faut Interpréter le dispositif policier et idéologique promu par le gouvernement allemand et ses confrères européens durant l'Affaire Baader. Ici semble surgir un paradoxe :

D’une part on constate que le renforcement de l'Etat est rendu possible par l'affaiblissement de la lutte de classe, d'autre part, on considère que c'est pour faire face à la lutte de classe que l'Etat se renforce.

Faut-il en conclure que l'Etat se renforce en même temps que la lutte de classe ? Ou bien faut-il dire que sa force est en raison inverse de la lutte de classe ?

Pour répondre correctement à ces questions, il faut prendre en considération l'ensemble des moyens qui constituent la force de l'Etat en tant que gardien de l'ordre (à l'exclusion de sa force économique donc). Ces moyens sont d'ordre :

Répressif, juridique, politique, idéologique. Il est clair qu'on ne peut séparer arbitrairement ces différents moyens dont les champs d'action s'interpénètrent mutuellement pour constituer le tissu superstructurel de la société, mais il est nécessaire de connaître leur spécificité pour comprendre comment Ils sont utilisés par la classe ennemie. En fait, au fur et à mesure que se développe la lutte de classe, les moyens "techniques" de la puissance étatique tendent à se renforcer:

Armement et nombre des forces de répression, mesures policières, arsenal juridique, mais en même temps les moyens politiques et idéologiques, quant à eux, tendent à s'affaiblir crise politique au sein de la classe bourgeoise ("ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner comme avant"), rupture idéologique de la classe ouvrière à l'égard de l'emprise bourgeoise ("ceux d'en bas ne veulent plus vivre comme avant"). L'insurrection est le point culminant de ce processus quand l'Etat a été dépouillé de l'ensemble de ses moyens et qu'il ne lui reste plus, face à la lutte de classe, que la force physique, elle-même partiellement paralysée par la décomposition idéologique qui règne dans ses rangs. Quand on considère la puissance de l'Etat, il faut donc distinguer les aspects formels, qui évoluent dans le même sens quo la lutte de classe, de sa force réelle qui, elle, évolue en sens inverse.

13)   Les derniers événements entourant l'affaire Baader manifestent un renforcement de l'Etat sur tous les plans, non seulement formel mais réel. Ou point de vue des moyens techniques de la répression, on a assisté ces derniers mois à un déploiement spectaculaire : utilisation des sections spéciales d'intervention de l'Etat allemand systématisation des contrôles frontaliers, quadrillage policier massif, collaboration étroite des différentes polices, proposition d'un "espace judiciaire européen", etc.

Sous l'angle politique, la bourgeoisie allemande a donné l'exemple à ses consœurs européennes en constituant un "Etat major de crise", regroupant les différentes forces politiques rivales surmontant "face au danger" leurs dissections. Mais c'est sur le plan idéologique que l'offensive capitaliste a été la plus importante. Profitant d'un rapport de forces qui lui est pour l'instant favorable, la bourgeoisie a organisé tout un battage sur le terrorisme destiné à :

Justifier les déploiements policiers et les mesures juridiques diverses,

habituer l'opinion à un usage de plus en plus massif de la violence étatique contre la violence des "terroristes", substituer à la vieille mystification "démocratie contre fascisme" quelque peu usée, une nouvelle mystification "démocratie contre terrorisme" qui serait sensé la menacer.

14)   Dans cette offensive en vue de renforcer l'emprise policière et idéologique de son Etat, la bourgeoisie a utilisé d’une façon très adroite le prétexte que lui a donné le comportement désespéré d'éléments de la petite bourgeoisie en décomposition, vestiges du mouvement étudiant du milieu des années 60. Mais cela ne signifie pas que ce renforcement trouve sa cause dans les agissements d'une poignée de "terroristes" ou même que ce renforcement n'aurait pu se faire sans ces agissements. En fait, c'est essentiellement de façon préventive contre la classe ouvrière, et non contre les piqûres de moustiques terroristes, que la bourgeoisie déploie dès aujourd'hui son arsenal. Et ce n'est pas un hasard si c'est la bourgeoisie allemande et particulièrement son parti social-démocrate qui se trouve à l'avant-garde de cette offensive :

L’Allemagne occupe au cœur de l'Europe, tant sur le plan économique que géographique, une position clé du point de vue de l'évolution des futures luttes de classe,

Ce pays jusqu'à présent relativement épargné, entre de plein pied dans des convulsions économiques particulièrement sous la forme d'une poussée très forte du chômage, le SPD dispose d'une expérience incomparable en matière de répression de la classe ouvrière; c'est lui qui a joué le rôle de "chien sanglant" contre les insurrections ouvrières à la fin de la première guerre mondiale et qui a provoqué l'assassinat des "terroristes" Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

Les leçons essentielles que nous enseignent ou nous rappellent les événements liés à l'affaire Baader, sont :

-      Avant même que la classe ouvrière, à l'exception d'une toute petite minorité, ait compris l'inéluctabilité d'affrontements de classe violents avec la bourgeoisie, celle-ci a déjà mis en branle tout un dispositif pour y faire face,

-      dans ce dispositif, les partis socio-démocrates joueront en Europe occidentale un rôle majeur, malgré leurs bavardages "humanistes" et "sociaux", et grâce à eux, contrairement à ce qui pouvait se passer dans la période ascendante du capitalisme, le langage "démocratique" ne fait que recouvrir une terreur d'Etat systématique qui ne s'embarrasse des "garanties démocratiques" que quand elles lui conviennent, dans sa lutte à mort contre la classe ouvrière, le capitalisme est '   prêt à utiliser pour survivre, tous les moyens qui seront à sa disposition, y compris les plus terrifiants, la période où le "droit d'asile" avait un sens, est bien terminée; désormais l'ensemble des nations capitalistes, y compris les plus "libérales", deviendra pour les éléments de la classe pourchassés dans leur pays une Immense "planète sans visa".

LE RENFORCEMENT DE L'ECONOMIE DE GUERRE

15)   L'économie de guerre n'est pas un phénomène nouveau : elle s'est imposée au capitalisme depuis l’entrée de ce système dans sa phase de décadence marquée par la succession des cycles : crise-guerre-reconstruction- nouvelle crise etc. La guerre constitue le point culminant de la crise de la société ainsi que son expression la plus significative puisqu'elle signe le fait que le capitalisme ne peut se survivre qu'à travers des autodestructions et des mutilations successives. Et, de ce fait, toute la vie sociale et particulièrement l'infrastructure économique est dominée par la guerre, ses effets ou ses préparatifs. Le phénomène de l'économie de guerre apparaît donc de façon généralisée en 1914 par une mobilisation de toutes les ressources de la nation, sous l'égide de l'Etat, en vue de la production d'armements. Après 1918, on assiste cependant à un certain recul de ce phénomène Hé, d'une part aux convulsions sociales de cette période et qui font passer les rivalités inter-impérialistes au second plan dans la vie du capitalisme, et d'autre part aux propres illusions de la bourgeoisie qui avait cru à la véracité de sa propre propagande sur "la der des der". Mais le phénomène apparaît avec encore plus d'Intensité qu'auparavant dans les années 30, suite à la nouvelle crise aiguë qui frappe le système. Il revêt des formes politiques variées (fascisme, national-socialisme, new-deal, fronts populaires, plan De Man) mais qui sont toutes orientées vers les prépara "-tifs pour Ha guerre impérialiste et qui s'accompagnent d'une emprise de plus en plus totalitaire de l'Etat sur l'ensemble de la vie sociale. Un tel phénomène atteint évidemment ses plus grands sommets au cours de la deuxième guerre mondiale mais, au lendemain de celle-ci, contrairement au premier après-guerre, il ne se résorbe pas de façon totale. Avant même que l'Axe ne soit écrasé, les rivalités Inter-impérialistes se manifestent avec force au sein du camp des vainqueurs pour culminer dans la "guerre froide". De ce fait, on note la poursuite d’une production d'armements dans les proportions massives, phénomène qui ne s'est pas démenti jusqu'à aujourd'hui.

16)   L'existence permanente d'une économie de guerre ne saurait être interprétée comme une "solution" aux contradictions du capitalisme, qui passerait par une modification radicale du but de la production. Celui-ci, en effet, reste toujours la production de plus-value et contrairement à ce qu'ont pu penser certaines tendances, y compris au sein du mouvement ouvrier- pour qui l'économie de guerre aurait constitué une "politique économique en sol", capable d'éviter au système les crises et de lui assurer une nouvelle ère d'essor et de prospérité, repoussant tout danger de guerre impérialiste, ce type d'économie n'a d'autre signification que la préparation directe de la guerre et ne permet de faire face à aucune des impasses économiques. Certes, on a pu voir que la production d'armes (et plus généralement les dépenses improductives) ont permis une certaine relance de l'activité économique à certains moments de l'histoire (politiques de Hitler et de Roosevelt, par exemple), mais cela n'a pu se faire que :

- par une intensification considérable de l'exploitation de la classe ouvrière,

- par un endettement massif de l'Etat qui doit bien se faire rembourser les dépenses qu'il a engagées et pour qui une nouvelle guerre apparaît comme un moyen (entre autres) de faire payer les pays vaincus.

En ce sens, non seulement l'économie de guerre ne constitue pas une "solution" permettant au capitalisme de surmonter la crise (et donc la guerre elle-même) mais de plus elle vient aggraver encore la situation économique et renforce d'autant la nécessité de la guerre. Ainsi, le fait que l'économie de guerre n'ait cessé d'exister de façon massive depuis 1945, laisse aujourd'hui au capitalisme une marge de manœuvre bien plus étroite qu'en 1929 face à la crise. En 1929, le poids relativement faible de l'économie de guerre et les réserves financières des Etats à l'issue de la période de reconstruction donnaient la possibilité momentanée d'une relance. Par contre aujourd'hui, après 30 années où l'économie de guerre n'a cessé de peser (sans compter la guerre elle-même évidemment), et bien qu'elle ait permis de prolonger la période de reconstruction jusque vers 1965, une telle politique ou son renforcement n'est plus en mesure de permettre un quelconque sursis dans la mesure où les Etats sont déjà endettés de façon généralisée. En particulier, le fait que l'inflation, qui s'était maintenue de façon endémique au lendemain de la guerre comme résultat du poids des dépenses improductives (dont l'armement), ait pris depuis le début de la crise ouverte une forme violente, traduit bien cette réalité que la crise du capitalisme se manifeste aujourd'hui comme crise et faillite des mécanismes basés sur l'économie de guerre elle-même.

17) Mais le fait que l'économie de guerre soit elle-même devenue facteur aggravant de la crise, ne peut empêcher son renforcement croissant de la part de chaque Etat et plus généralement de la part de chaque bloc. Dans la mesure où la guerre constitue le seul aboutissement que le capitalisme puisse donner à sa crise, oblige chaque jour plus chaque bloc à accentuer ses préparatifs de tous ordres et particulièrement sur le plan d'une soumission toujours plus grande de l'économie aux besoins d'armements qui suppose :

- un contrôle de plus en plus absolu et totalitaire de l'appareil productif par l'Etat,

- une réduction massive de la consommation de toutes les classes et catégories sociales,

- une augmentation massive de l'exploitation de la classe produisant l'essentiel des richesses sociales, le prolétariat.

En ce sens, le repli constaté à l'heure actuelle dans la lutte de classe, a permis une nouvelle offensive contre son niveau de vie, correspondant à une tentative pour chaque capital national d'améliorer sa position sur le marché mondial mais aussi à un nouveau renforcement de l'économie de guerre et donc à une accélération du cours vers la guerre elle-même.

VERS LA GUERRE IMPERIALISTE OU LA GUERRE DE CLASSE ?                     

18) La constatation de l'évolution présente du rapport de forces au détriment du prolétariat et de l'aggravation du cours vers la guerre Impérialiste qui en résulte, peut conduire à 1’idée que désormais ce cours est devenu dominant et que la classe bourgeoise peut, sans entrave notable, déchaîner une nouvelle boucherie impérialiste. En d'autres termes, le prolétariat serait déjà vaincu et incapable de perturber le libre jeu des nécessités capitalistes. Avec une telle analyse, nous serions déjà à la veille de 14 ou 39. Peut-on faire un tel rapprochement Cela supposerait que le degré de soumission du prolétariat au capitalisme soit aujourd'hui au moins égal à ce qu'il était à ces deux dates. Qu’en est-il ?

En 1914, malgré l'influence de la social-démocratie sur les travailleurs, ses succès électoraux, la puissance de ses syndicats, toutes choses qui font l'orgueil de ses dirigeants et d'un grand nombre de ses membres, et à cause de ces faits eux-mêmes, la classe ouvrière est battue, non pas physiquement mais idéologiquement. L'opportunisme a déjà fait ses plus grands ravages : croyance en un passage graduel au socialisme et en une amélioration constante des conditions de vie de la classe ouvrière, abandon de toute perspective d'un affrontement violent avec l'Etat capitaliste, adhésion aux Idéaux de la démocratie bourgeoise, à l'idée d'une convergence des intérêts des travailleurs et de ceux de leur propre bourgeoisie, par exemple dans la politique coloniale, etc. Malgré la résistance de ses éléments de gauche, cette dégénérescence frappe l'ensemble de la social-démocratie qui se fait un agent d'encadrement du prolétariat au service du capitalisme en freinant ses luttes, en les dévoyant vers des impasses, et, enfin, en prenant la tête de l'hystérie guerrière et chauvine. Et, malgré des manifestations locales de combativité ouvrière comme en Russie en 1913, malgré le maintien de certains partis socialistes sur un terrain de classe (comme en Serbie, etc), c'est globalement que la classe ouvrière est battue et plus particulièrement dans les pays les plus Ira- portants comme l'Allemagne, la France, l'Angleterre et la Belgique où différentes manifestations d'opportunisme (le "révisionnisme" de Bernstein et le réformisme "orthodoxe" de Kautsky le ministérialisme de Millerand et l'humanisme pacifiste de Jaurès, le trade-unionisme, le réformisme de Vandervelde) l'ont complètement démobilisée et livrée pieds et poings liés à ses différentes bourgeoisies. En fin de compte, contrairement aux apparences, ce n'est pas l'éclatement  de la guerre en août 1914 qui provoque l'effondrement de la Même Internationale mais bien la  dégénérescence opportuniste du mouvement ouvrier  qui rend possible l'éclatement de la guerre, la- quelle ne fait que mettre en pleine évidence et  achever un processus depuis longtemps en cours. 

En 1939, lorsque la seconde guerre mondiale est déclenchée, la classe ouvrière se prouve dans une détresse beaucoup plus profonde qu'en 14. C'est à la fois physiquement et idéologiquement qu'elle a été battue. A la suite de la grande vague révolutionnaire du premier après-guerre, la bourgeoisie a mené une contre-offensive massive qui s’est étendue sur près de deux décennies et a comporté trois étapes :

- épuisement de la vague révolutionnaire par une série de défaites dans différents pays, défaite de la Gauche Communiste exclue de l'IC dégénérescente, construction du "socialisme dans un seul pays" (lire le capitalisme d'Etat) en URSS,

- liquidation des convulsions sociales dans le centre décisif où se joue l'alternative historique : l'Allemagne, par l'écrasement physique du prolétariat et l'Instauration du régime hitlérien; simultanément mort définitive de l'IC et faillite de l'opposition de gauche de Trotski sombrant dans le manoeuvriérisme et l'aventurisme.

- dévoiement total du mouvement ouvrier dans les pays "démocratiques" sous couvert de "défense des conquêtes" et "d'antifascisme", enveloppe moderne de la "défense nationale"; en même temps intégration complète des partis "communistes" dans l'appareil politique de leur capital national et de l'URSS dans un bloc impérialiste ainsi que liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et communistes de gauche qui, au travers de l'adhésion à l'idéologie antifasciste (particulièrement lors de la guerre d'Espagne) et à la "défense de l'URSS", sont happés dans l'engrenage du capitalisme ou disparaissent. En fin de compte, à la veille de la guerre, la classe ouvrière est soit soumise à ta terreur stalinienne ou hitlérienne, soit complètement dévoyés dans l’antifascisme et les rares groupes communistes qui tentent d'exprimer avec les pires difficultés sa vie politique, sont dans un état absolu d'Isolement et réduits quantitativement à de petits ilots négligeables. Bien moins encore qu'en 1914, elle ne peut apposer la moindre résistance au déclenchement de la deuxième boucherie impérialiste.

19) Aujourd'hui, on peut constater, comme on  l'a vu,  la persistance de beaucoup d'Illusions - en particulier électoralistes - dans  la classe ouvrière;  il  faut relever également une certaine confiance de sa part à  l'égard des partis "ouvriers" (PC et PS) mais on n'est pas autorisé à en conclure qu'elle est déjà battue, ni physiquement, ni idéologiquement. Certes, elle a pu subir ces derniers temps,  des défaites physiques comme au Chili en  1973, mais uniquement dans des zones excentrées par rapport au cœur du capitalisme. Sur le plan idéologique,  l'influence présente des partis de gauche ne peut pas être comparée à l'influence de  la social-démocratie en 1914 ni à celle qu'ils avaient à  la fin des années 30 :  ils sont passés depuis trop  longtemps au service du capitalisme, ils ont à  leur actif trop de participations gouvernementales pour qu'ils puissent provoquer parmi les travailleurs les mêmes illusions et le même enthousiasme que par le passé. Par ailleurs, 1'idéologie "antifasciste" est aujourd'hui  bien usée pour avoir trop servi  déjà et ses "produits de remplacement" comme "l'anti-terrorisme", malgré leur succès présent, ne sont pas promis à une aussi  grande carrière: la "bande à Baader" aurait bien du mal à provoquer la même peur que  les SS de Hitler.    Enfin, le bellicisme, l'envie d'en découdre avec "l'ennemi héréditaire" est bien peu répandue à  l'heure actuelle et il est bien difficile pour le moment de mobiliser  les jeunes générations ouvrières pour une telle cause (voir par exemple la décomposition du corps expéditionnaire américain au Vietnam au début des années 70).

Globalement, les conditions pour l'engagement d'une nouvelle guerre 4mpériallste sont aujourd'hui bien moins favorables è la bourgeoisie qu'en 1939 et môme qu'en 1914. Et même si elles étaient semblables à celles qui existaient à cette dernière date, on peut considérer que cela ne suffirait pas pour que la bourgeoisie -qui est capable de tirer les leçons de l'histoire - s'engage dans une nouvelle guerre qui risquerait d'aboutir au même résultat qu'en 1917. Les longs préparatifs de la seconde guerre mondiale, l'écrasement systématique avant son déclenchement, démontrent qu'après cette expérience où elle a senti menacée sa survie même, la bourgeoisie désormais ne se laissera entraîner dans une guerre généralisée qu'après avoir acquis la certitude absolue que la classe ouvrière a été dépouillée de toute possibilité de riposte.

Aujourd'hui, une telle certitude de la bourgeoisie passe par un écrasement préalable physique et idéologique du prolétariat. La perspective reste donc : non pas guerre Impérialiste mais guerre de classe, telle qu'elle a été analysée par le CCI à partir des premiers affrontement de classe à la fin des années 60.

20) Si malgré le creux présent, la perspective historique d'aujourd'hui reste à l'affrontement de classes, Il faut donc s'attendre à une reprise, à terme, des luttes prolétariennes. Et bien qu'il soit Impossible de prévoir le moment précis de cette reprise, on peut néanmoins en dégager certaines conditions et caractéristiques. La condition majeure de la reprise est l'abandon par la classe d'une bonne partie des illusions sur les "solutions" mises en avant par la gauche du capital. Un tel processus semble à l'heure actuelle engagé : soit que la gauche au pouvoir ait tendance de plus en plus à se déconsidérer, soit que l'échec des perspectives mises en avant commence à provoquer une certaine perplexité à leur égard. Comme on l'a vu, la perte d'illusions ne permet pas nécessairement et immédiatement un regain de combativité des travailleurs, mais, en général, provoque une certaine apathie. Il n'est pas exclu également, qu'aux illusions perdues II ne puisse s'en substituer de nouvelles mises en œuvre, en particulier, par des secteurs plus "à gauche" de la bourgeoisie. C'est pour cela qu'il serait Imprudent de prévoir une reprise Immédiate et générale des luttes. Cependant, ces nouvelles Illusions ou l'éventuelle démoralisation de la classe ne peuvent elles-mêmes résister à la progression inexorable de la crise, à l'aggravation des souffrances qu'elle représente pour le prolétariat et donc au développement de son mécontentement. En particulier, l'extension massive et persistante du chômage constituera un cinglant démenti des bavardages sur "l'efficacité" des diverses "solutions de rechange" proposées pour "résoudre la crise". Tôt ou tard, c'est cette pression économique elle-même qui jettera de nouveau les ouvriers dans la lutte. Et s'il est difficile d'évaluer le seuil de la crise à partir duquel se réamorcera un nouveau cycle de luttes de classe, il semble possible, par contre, d'établir que ce prochain cycle - et ce sera un des critères qui permettront de le reconnaître et de ne pas le confondre avec des explosions sans lendemain - devra aller au delà du cycle précédent notamment dans deux domaines : l'autonomie des luttes et la reconnaissance de leur caractère International., dans la mesure où c'est par l'encadrement syndical et la mystification sur la défense de "l'économie nationale" que la bourgeoisie a repris les choses en main jusqu'Ici. La prochaine reprise devrait donc se traduire par : un débordement beaucoup plus net que par le passé des syndicats et son corollaire : la tendance à une plus grande auto-organisation (assemblées générales souveraines, constitution de comités de grèves élus et révocables, coordination de ceux-ci entre les entreprises d'une même ville, d'une même région, etc.), une plus grande conscience du caractère international de la lutte qui pourra se traduire dans la pratique par des mouvements de solidarité Internationale, l'envol de délégations d'ouvriers en lutte (et non syndicales) d'un pays à l’autre, etc..

En résumé, la situation d'aujourd'hui se présente comme une veillée d'armes, qui peut encore se prolonger, qui peut être troublée par des éclats violents mais ponctuels, et pendant laquelle se poursuit tout un travail souterrain de maturation, s'accumulent toute une série de tensions et de charges qui vont nécessairement exploser dans de nouveaux et formidables combats de classe, qui ne constitueront probablement pas encore le surgissement révolutionnaire décisif (et II faut s'attendre à de nouvelles contre-offensives bourgeoises et à de nouvelles périodes de recul temporaire), mais à côté desquels ceux de la fin-des années 60 et début des années 70, risquent d'apparaître comme de simples escarmouches.

Janvier 1978

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