La situation internationale 1975

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Les textes que nous publions ici font partie des documents présentés à la conférence internationale. Les trois premiers sont des rapports préparés pour la conférence, les autres ont été des contributions écrites à la discussion. Nous n'avons pas eu le temps de présenter le rapport sur la période de transition, ni d'en discuter, à la conférence même, mais nous avons décidé de publier ces textes tout de suite pour continuer le débat ouvert sur ce sujet. Notre courant n'est pas arrivé à une homogénéité sur cette question complexe et de toute façon, contrairement à d'autres groupes (dont Revolutionary Perspectives), nous pensons que ce n'est pas aux révolutionnaires de créer des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché. Alors que certains éléments révolutionnaires se montrent incapables d'assumer leurs tâches dans la situation actuelle, ils sont déjà en train de se lancer dans des absolus sur une question aussi complexe que celle de la période de transition. Nous pensons préférable de publier ces textes pour contribuer à la clarification sans prétendre résoudre tous les problèmes. Nous publions ici également une contribution de Revolutionary Perspectives sur la période de transition - des extraits choisis par eux d'un texte plus long - qui montre leurs divergences avec certains de nos camarades à ce sujet.

La situation internationale : la crise, la lutte de classes et les taches de notre courant international

"Une nouvelle époque est née ! L'époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat". (Plate-forme de l'Internationale Communiste, 4 mars 1919)

Presque 54 ans après avoir été prononcés, ces mots résonnent à nouveau avec puissance et viennent hanter le capitalisme mondial. Le capitalisme décadent suant sang et boue de tous ses pores est à nouveau mis au banc d'accusation de l'humanité. Les accusateurs ? Des millions de prolétaires massacrés durant deux générations par le capital, ajoutés à tous ceux qui ont péri depuis le début du capitalisme ; tous se tiennent là, silencieux et sévères - ils sont la classe ouvrière internationale. La sentence ? Elle a été prononcée depuis que le prolétariat à ses débuts s'est dressé contre l'exploitation capitaliste. On la trouve dans les tentatives de Babeuf, Blanqui, la Ligue des Communistes qui préparaient déjà le prolétariat pour son assaut final. On la retrouve encore dans le travail de la première, seconde, et troisième Internationales, et dans celui que la Gauche Communiste nous a laissé en héritage. L'accusé est vraiment condamné -- sa sentence de mort a simplement été repoussée ; l'humanité elle-même ne peut plus tolérer d'autre délai !

LA CRISE

Ces dernières années ont confirmé l'analyse que notre courant a commencé à faire en 1967/68 - et sur la base de la crise historique, et sur celle de l'actuel déploiement de la crise.

D'une façon concrète, les douze derniers mois furent la preuve irréfutable des perspectives que nos camarades américains présentaient il y a un an à la conférence. Les perspectives qu'a esquissées Internationalism pour notre courant comprenaient trois alternatives fondamentales à la crise du capitalisme, et chacune était susceptible d'être mise en œuvre simultanément à plus ou moins grande échelle. C'était : la tentative de rejeter la crise sur d'autres états capitalistes, sur les secteurs faibles du capital (petite bourgeoisie et paysannerie comprises) et sur le prolétariat.

Nous n'entrerons pas ici dans les détails des manifestations spécifiques de la crise (ce qui requerrait un exposé systématique, nation par nation ; l'excellente série d'articles parus dans les derniers numéros de Révolution Internationale est un exemple de la manière dont nous devons traiter ces problèmes). Nous voulons ici faire ressortir les principaux aspects de la crise conjoncturelle actuelle, en d'autres termes tracer les tendances générales de façon à replacer la crise dans une perspective historique intégralement liée au niveau de la lutte de classe internationale.

         Avec la saturation des marchés qui condamne à tout  jamais le capitalisme à des cycles de barbarie croissante, c'est de façon objective et matérielle que s'ouvre pour l'humanité la perspective de la révolution communiste. Mais elle est possible depuis 60 ans, et l'échec des tentatives communistes passées de renverser le capital a signifié que la continuation du capitalisme ne pouvait se faire qu'à travers des cycles de crises, de guerres et de reconstructions.

Le plus grand "boom" du capitalisme, la reconstruction qui a résulté de la profondeur de la destruction et de l'auto-cannibalisation menées à bien par le capitalisme en 39/45, a duré plus de 20 ans. Mais un ''boom' en période de décadence n'est que le gonflement d'un corps vide. Entre 1848 et 1873, la production industrielle mondiale a été multipliée par 3,5. Le PNB a augmenté en moyenne de 5% (certains pays, comme le Japon, ont vu doubler cette augmentation). Cela n'a pas pour autant mis en échec l'inflation mondiale, et les prix aujourd'hui en Grande-Bretagne sont à peu près 7,5 fois plus élevés qu'en 1945. Plus encore, l'économie des pays du Tiers-Monde n’a fait qu'empirer, et ce secteur énorme du capital mondial sombre d'année en année dans un gouffre de dettes, de chômage, de militarisme, de despotisme et de pauvreté.

Depuis les années 60, la crise s'est manifestée par des effondrements monétaires et la récente apparition de l'inflation galopante (les deux caractéristiques de presque tous les pays industriels). Le système monétaire international adopté aux accords de Bretton Woods en 1944, qui établissait des taux d'échange fixes par rapport au dollar et au cours de l'or, est maintenant relégué aux archives. Les grands druides du Fond Monétaire International orientent aujourd'hui tous leurs efforts dans le seul but de s'assurer qu'aucune épidémie n'est à craindre à la suite des inévitables morts qui jalonneront la période à venir. Une tâche désespérée ! Il n’existe pas de filet qui permette de résister à l'effondrement du colosse capitaliste. L'inflation entraîne inévitablement la récession, les faillites, les banqueroutes, les licenciements et les diminutions de profit. Ce sont les inévitables aspects du système de production capitaliste aujourd'hui, et ne sont que des moments de l'attaque permanente que mène le capitalisme décadent contre la classe ouvrière. Mais la continuation de la spirale inflationniste ne peut s'achever que par la paralysie de tout le marché mondial, par un effondrement international avec toutes ses conséquences propres à effrayer la bourgeoisie.

Bien que la période 1972/73 ait semblé marquer un relatif équilibre de l’économie mondiale, elle n'était qu'une courte accalmie pour les plus grandes puissances impérialistes aux dépens de leurs faibles rivales. L'intensification des guerres commerciales non déclarées, les dévaluations des cours, et la lente désintégration des unions douanières prouvent que cette période n'était qu'une tentative des pays capitalistes avancés pour atteindre un certain degré d'équilibre avant une détérioration plus grave, à l'échelle internationale. 1914 et maintenant 1975 annoncent un effondrement plus catastrophique encore, et la fin de la période faste qu'ont connue certains capitaux nationaux pendant ces deux dernières années. 

Aujourd'hui, l'économie mondiale est plongée dans une profonde récession. En 1974 la croissance ne pouvait que diminuer et le commerce international s’est ralenti. Le PNB des USA a diminué de 2% en 73 et continue à baisser. Celui de la Grande-Bretagne stagne et celui du Japon a enregistré une baisse de 3%. Dans de nombreux pays, la panique grandit avec la chute de beaucoup de petites et moyennes entreprises. Eh Grande-Bretagne, c’est une maladie chronique qui touche même de grandes entreprises et même des multinationales (compagnies de transport, compagnies maritimes, d'automobiles, etc.). Les secteurs clé tels que le bâtiment, la construction, les compagnies aériennes, l'électronique, l'automobiles, le textile, la machine-outil et l'acier se trouvent confrontés à des difficultés grandissantes dans la période actuelle. L'augmentation des prix du pétrole est venu s’ajouter aux problèmes insolubles d'un capitalisme en récession, ajoutant un déficit global de 60 milliards de dollars en une année à la balance des paiements. A travers les mécanismes chancelants du FMI, les "druides" du capital tentent de "recycler" certains des profits venant des pays producteurs de pétrole, comme si de telles mesures "déflationnistes" pouvaient servir à autre chose qu'à faire entrer le pétrole dans la spirale inflationniste. Les dettes des compagnies industrielles ont doublé depuis 1965 et, depuis 1970, les taux de croissance des pays capitalistes n'ont cessé de diminuer ou de montrer clairement leur nature de création artificielle de dépenses déficitaires. Les prévisions pour 1975 ne vont pas au delà d'un maigre taux de croissance annuel de 1,9% pour les pays de l'OCDE (USA compris).

Bien que la situation soit critique pour le capitalisme mondial, différents mécanismes d'intervention de l'Etat ont aidé à amoindrir la crise en répandant immédiatement les pires conséquences (comme les licenciements massifs). Cela a été accompli grâce à des subventions - parfois massives - et le financement des déficits par le canal du système bancaire. Ces mécanismes sont absolument inaptes à aider à la réalisation de la plus-value globale dont le capital a besoin pour accumuler. La seule source qui peut offrir de tels revenus, ce sont des programmes d'austérité sévères (tels que les blocages de salaires, la réduction des services sociaux, les impôts, etc.). Tous ces procédés, qui ne sont que des mesures visant à colmater les brèches, intensifient au contraire la crise, soit en la déplaçant sur le terrain politique (c'est-à-dire la lutte des classes), soit en accélérant le tourbillon inflationniste, aujourd'hui irrésistiblement engagé. Tous les mécanismes habituels mis en place par le capitalisme pour "enrayer" la crise constituent la suite logique de la lutte désespérée que mène le capitalisme décadent contre sa propre décomposition depuis le début du siècle. Comme nous l'écrivions précédemment :

"Les causes profondes de la crise actuelle résident dans l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste depuis la première guerre mondiale : les grandes puissances capitalistes se sont partagé entièrement le monde et il n'existe plus de marchés en nombre suffisant pour permettre l'expansion du capital ; désormais, en l'absence de révolution prolétarienne victorieuse, seule capable d'en finir avec lui, le système se survit grâce au mécanisme crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise, guerre, etc." (Surproduction et inflation, RI n°6).

Quand l’actuel ministre de l’agriculture américain a récemment rendu compte de la crise de l'agriculture américaine, il a admis : "Le seul moyen pour que nous ayons une pleine production agricole dans ce pays est d'avoir un marché d'exportation puissant. Nous ne pouvons pas consommer à l'intérieur du pays l'entière production de notre agriculture". Ce fidèle chien de garde aboyait pour une fois de façon honnête, à l'unisson avec tous ses collègues allemands, japonais, anglais, russes ou français. Chaque capital national du monde tente de pénétrer les marchés des autres. Comme Midas, ils sont saturés d'or, mais incapables de manger ne serait-ce qu'un croûton de pain ! L'insatiable soif de réalisation de plus-value ne peut être étanchée. Ainsi, les dirigeants russes ont cherché les statuts nationaux les plus favorables [1] pour pénétrer les marchés des USA et pour acquérir ce qui leur manque (technologie, crédits, etc.) de façon à augmenter leur propre capacité productive et leur compétitivité sur le marché mondial. De même, les secteurs du capital américain qui comprennent le mieux dans quel état pitoyable se trouve le capital des USA, cherchent désespérément à pénétrer les marchés russes. Ces tentatives fusent toujours et de partout, pareilles à l’insatiabilité de Midas ; ce pauvre homme n'était qu'un propriétaire d'esclaves - ces capitalistes, pour leur part, sont véritablement des vampires ! Ayant saigné leurs victimes à blanc, ils se précipitent sur d'autres victimes, juste pour s’apercevoir que d'autres étaient sur les lieux avant eux !

La crise conjoncturelle actuelle contient un important facteur, inhérent au capitalisme décadent : la tendance au capitalisme d'Etat. Le crash et la crise de 1929 furent un effondrement catastrophique survenant soudain après des années de stagnation et de vaines tentatives de ressaisissement des pays capitalistes avancés, malgré, l' importante croissance des années avant 14. La tendance au capitalisme d'Etat déjà présente en 29, n'était cependant pas suffisamment développée pour servir de tampon aux crises mondiales.

Après la seconde guerre mondiale, la tendance au capitalisme d'Etat a été consciemment et délibérément adoptée par beaucoup de gouvernement capitaliste et appliquée de façon non officielle par tous les autres. L'économie de gaspillage (armement, etc.), largement financée par les dépenses inflationnistes, était considérée comme une solution à beaucoup de problèmes de stagnation et de surproduction. La production structurelle de gaspillage, ou plus précisément la consommation de la plus-value, devint une caractéristique économique indéniable après 1945, et c'est ce facteur qui est fondamentalement à la base de la soi-disante ''prospérité" de la période après-guerre. Les pays détruits par la guerre accusèrent de "miraculeuses" remontées (Allemagne, Italie, Japon), ce qui permit aux vainqueurs de reconstruire et de réorganiser un marché mondial détruit et mis en pièces par la guerre. Le marché mondial apportait à nouveau un regain de vie au prix de 55 millions de victimes. Un autre préjudice qu'a apporté cette période (préjudice beaucoup moins vital), c'est que beaucoup de Cardans, quittant définitivement le terrain marxiste et croyant au miracle, ont proclamé la "fin" des crises économiques. En fait, ce "préjudice" fut un bienfait pour la sociologie bourgeoise, tout est bien qui finit bien. Mais bien peu de miracles semblent survivre aux premières attaques de la crise grandissante. Le rythme et l'intensité de la crise actuelle semblent confirmer les analyses que notre tendance a faites il y a 9 ans. Le "boom" des années d'après guerre est terminé, disions-nous, et le système capitaliste mondial entre dans une longue, période de crise qui se développera encore. Les points de repère (en étroite relation les uns avec les autres) qui nous avaient servi à apprécier le rythme de la crise apparaissent simultanément et de plus en plus intensément :

1° - La chute massive du commerce international

2° - Les guerres commerciales ("dumpings", etc.) entre capitaux nationaux

3° - Les mesures protectionnistes et l'effondrement des unions douanières

4° - Le retour à l'autarcie

5° - Le déclin de la production

6° - L'accroissement considérable du chômage

7° - Les attaques portées au salaire réel des ouvriers, à leur niveau de vie

A certains moments, la convergence de plusieurs de ces points peut provoquer une dépression importante dans certains pays, tels que l'Angleterre, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne. C'est une éventualité que nous ne nions pas. Toutefois, bien qu'un tel désastre ébranle irréparablement l'économie mondiale (les investissements et actions britanniques à l'étranger comptent à eux seuls pour 20 milliards de dollars), le système capitaliste mondial pourra encore se maintenir, tant que sera assuré un minimum de production dans certains pays avancés tels que les USA, l'Allemagne, le Japon ou les pays de l'Est. De tels évènements tendent évidemment à porter atteinte au système tout entier, et les crises sont inévitablement aujourd'hui des crises mondiales. Mais pour les raisons que nous avons exposées plus haut, nous avons lieu de croire que la crise sera étalée, avec des convulsions, en dents de scie, mais son mouvement ressemblera plus au mouvement rebondissant d'une balle qu'à une chute brutale et soudaine. Même l'effondrement d'une économie nationale ne signifierait pas nécessairement que tous les capitalistes en faillite vont aller se pendre, comme le disait Rosa Luxemburg dans un contexte légèrement différent. Pour qu'une telle chose arrive, il faut que la personnification du capital national, l'Etat, soit détruit : il ne le sera que par le prolétariat révolutionnaire.

La lutte de classe

Au niveau politique, les conséquences de la crise sont explosives et vont très loin. Avec l'approfondissement de la crise, la classe capitaliste mondiale va attiser les flammes de la guerre. Les "petites" guerres sans fin des 25 dernières années continueront (Viêt-Nam, Cambodge, Chypre, Inde, Moyen-Orient, etc.). Toutefois, à mesure que la décomposition chronique du Tiers-monde gagne les centres du capitalisme en période de crise, l'appel à la guerre fuse avec ces deux autres cris de guerre de la bourgeoisie : AUSTERITE et EXPORTER, EXPORTER ! Cette attaque à la classe ouvrière signifie que la bourgeoisie essaie de faire payer entièrement la crise au prolétariat, avec sa sueur et dans sa chair. Dans de telles conditions, le niveau de vie de la classe ouvrière, déjà brutalement diminué par l'inflation, va être encore réduit par l'austérité et l'effort sur l'exportation. La démoralisation psychologique entraînée par la perspective d'une guerre aide à fragmenter différents secteurs du prolétariat et les prépare à accepter une économie de guerre, avec toutes les conséquences qu'elle implique pour la future révolution prolétarienne. La bourgeoisie sent que l'unique solution à ses crises est d'avoir un prolétariat vaincu, un prolétariat incapable de résister aux cycles infernaux du capitalisme décadent. Donc incapable de résister à l'intensification systématique du taux d'exploitation, la considérable augmentation du chômage, comme c'est le cas en Angleterre, en Allemagne, aux USA, etc. On essaie aussi d'appliquer d'autres mesures draconiennes, telles que des réductions de salaire "volontaires", la semaine de trois jours, des semaines entières de chômage technique, l'expulsion des travailleurs "étrangers", les cadences, le freinage des services sociaux. Il n'est pas besoin de dire que ces mesures sont quotidiennement glorifiées dans les "medias" bourgeoises (presse, TV, journaux, etc.).

Mais, en dépit de leur sévérité, ces mesures ne sont rien en comparaison de ce que peut encore nous faire la bourgeoisie. Il n'est pas de crime, pas de monstruosité, pas de mensonge, pas de tromperie qui fasse reculer la classe capitaliste dans sa campagne lancée contre son mortel ennemi : le prolétariat. Si la bourgeoisie, au stade où nous en sommes, n'ose pas massacrer le prolétariat, c'est parce qu'elle hésite et qu'elle a peur. Le prolétariat, ce géant qui s'éveille, sort de la période de reconstruction sans être vaincu, et projette l'image d'une classe qui n'a rien à perdre et un monde à gagner. La lutte sera longue et dure à l'échelle mondiale avant que la bourgeoisie puisse imposer son ultime solution capitaliste : une nouvelle guerre mondiale.

Ceci explique l'hésitation que manifestent certaines sections de la bourgeoisie dans leurs rapports avec le prolétariat. Certains, effrayés par les dangers du chômage massif qu'entraîne une récession croissante, essaient d'augmenter la demande de consommation en réduisant les impôts individuels (Ford a proposé d'enlever 16 millions de dollars de taxes) ou en redorant la vieille production d'armement. Mais toutes ces mesures "anti-inflationnistes" finissent par aggraver le poids de l'inflation, et en fin de compte ne font qu'accélérer la tendance à la chute. Confrontée au déclin de la production qui accompagne l'inflation galopante, et incapable de réduire la baisse de son taux de profit, vu l'absence de marché, la bourgeoisie sera finalement contrainte d'affronter le prolétariat dans une lutte à mort.

Mais la bourgeoisie a aussi développé sa confiance en elle-même dans le "boom" d'après-guerre. Les platitudes pleines d'autosatisfaction des Daniel Bells, Bookchins et Cardan sur un capitalisme "moderne" libéré des crises, prennent leurs racines dans le fumier de la période de croissance et de reconstruction. Se raccrochant à l'Etat, cet appareil qui a directement supervisé la période de reconstruction, et dont les techniques d'intervention se sont perfectionnées en 60 ans de décadence, la bourgeoisie peut perdre l'assurance qu'elle avait pendant la période de reconstruction, elle peut même être prise de panique et de désespoir, elle n'est pas pour autant vaincue. Tant qu'elle pourra compter sur les mystifications de "l'unité nationale", sa confiance en elle-même pourra rester intacte. Mais les rapports entre classes tendent en période de crise à se durcir, et à prendre un caractère inconciliable.

Dans de telles conditions, l'Etat doit apparaître comme "impartial", de façon à mieux mystifier la classe ouvrière. Les interventions de l'Etat dans de tels moments doivent atténuer les insolubles culs-de-sac politiques et sociaux que la bourgeoisie a à affronter ; l'Etat doit donner l'impression qu'il agit au nom de "tous", patrons, petit-bourgeois, et travailleurs. Il doit donner l'apparence de posséder les nobles attributs d'un "arbitre" et ainsi obtenir la légitimité nécessaire pour écraser la classe ouvrière et maintenir les rapports de production existants.

Les fractions de gauche du capital (staliniens, sociaux-démocrates, les syndicats et leurs soutiens "critiques" trotskystes, maoïstes ou anarchistes) se préparent à assumer cette tâche, à assumer le rôle de gardien de l'Etat. Ils sont les seuls à pouvoir se poser comme les représentants de la classe ouvrière, des "petits", des "pauvres". C'est parce qu'une classe ouvrière n'est pas défaite qu’elle doit être amadouée si on veut qu'elle accepte les diminutions de salaire et autres mesures, que seule la gauche peut constituer un moyen réel d'introduire une plus grande centralisation étatique, les nationalisations et le despotisme, comme le montrent les exemples du Chili d'Allende ou du Portugal.

Dans un capitalisme en décadence, la tendance est aux crises et à la guerre, et il n'y a aucune force dans la société qui puisse mettre fin au cycle meurtrier de la barbarie, si ce n'est le prolétariat. A première vue, il semble que, dans l'immédiat, la guerre soit le seul chemin qui soit offert à la bourgeoisie. Le fait que le prolétariat n'ait pas d'organisation permanente de masse pourrait être le signe qu'il est sans défense contre l'orage de chauvinisme qui précède une nouvelle guerre mondiale. Mais la bourgeoisie sait que cela n'est pas vrai. Elle sait à travers ses syndicats que le prolétariat reste une classe révolutionnaire en dépit de l'absence d'organisation prolétarienne de masse. Les syndicats connaissent ce fait élémentaire depuis longtemps, et leur rôle est d'étouffer dans l'œuf tout mouvement ouvrier autonome. Dans toute mobilisation autonome du prolétariat, ils voient pointer l'hydre de la révolution. Et c'est là le principal obstacle aux desseins criminels de la bourgeoisie ! Avant que la bourgeoisie puisse mobiliser avec succès pour la guerre, il faut que la classe ouvrière soit vaincue. Jusque là, il faut être très prudent. En fait, la bourgeoisie éprouve de la difficulté à mobiliser le prolétariat derrière des mots d'ordre "d'austérité" et de "allons-y tous ensemble". Politiquement, les fascistes et antifascistes n'ont pas mieux réussi que la police du capital. Les nouvelles idéologies que secrète le capitalisme semblent trouver une résonance stable dans les rangs de la petite-bourgeoisie, mais pas dans la classe ouvrière. Ce n'est pas un hasard si les idéologies réactionnaires telles que la croissance zéro, la xénophobie, la libération sexuelle et ses contreparties (telles que le renforcement du mariage et "moins de sexe") ainsi que d'autres, semblent être concentrées la plupart du temps parmi des couches petite-bourgeoises. Aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a plus un seul moyen de justifier rationnellement au prolétariat la continuation des rapports sociaux capitalistes.

Le fait que la classe ouvrière n'ait pas d'organisation permanente de masse aujourd'hui a plusieurs conséquences. La classe ouvrière n'est pas encombrée des énormes organisations réformistes de son passé comme c'était le cas en 14­-23. Les leçons de la période actuelle peuvent donc être assimilées plus vite qu'elles ne l'étaient pendant et après la première guerre mondiale. La conscience que seules les solutions communistes peuvent donner un sens aux luttes salariales et pour les conditions de vie, peut apparaître de façon plus aiguë et plus claire depuis que toute "victoire" économique est immédiatement rongée par la crise. Comme le disait Marx, l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre. Si le prolétariat affronte la crise sans organisation réformiste permanente de masse, ce fait a inévitablement des corollaires positifs.

Tant que la crise ne s'est pas approfondie au point de provoquer inévitablement le renversement révolutionnaire du capitalisme, tant que le prolétariat tout entier ne se pose pas la révolution comme but immédiat, toutes les institutions temporaires surgies de la lutte de classe (comités de grève, assemblées générales) sont inévitablement intégrées ou récupérées par le capital si elles essaient de devenir permanentes. Ceci est un processus objectif inévitable, un des traits de la décadence du capitalisme. La classe ouvrière se trouvera tôt ou tard confrontée au fait que tout comité de grève, toute "commission ouvrière" tend aujourd'hui à devenir un organe du capital. Déjà, les ouvriers de Barcelone et du nord de l'Espagne semblent avoir pris pleinement conscience de ce fait. En Angleterre, des milliers d'ouvriers se méfient presque instinctivement des comités de grève dominés par les shop stewards. Aux USA, les ouvriers tolèrent les dirigeants syndicaux de gauche ou radicaux mais seuls des imbéciles pourraient voir dans cette tolérance une loyauté permanente au syndicalisme, ou une conséquence des luttes salariales.

Les ouvriers luttent chaque jour, et plus encore dans les moments de crise, parce que le prolétariat comme classe ne peut jamais être intégré au capitalisme. Il en est ainsi parce que le prolétariat est une classe exploitée et que c'est la seule classe productive dans la société capitaliste. En conséquence, le prolétariat ne peut que se battre pour s'affirmer contre les conditions intolérables que le capitalisme l'oblige à supporter. Il importe peu de savoir ce que le prolétariat pense de lui-même à court terme, l’important est ce qu'il est. Et c'est cette réalité objective qui fera la conscience communiste de la classe ouvrière. Laissons les modernistes, rire de cela. Pour sa part, le prolétariat n'a pas d'autre chemin à prendre, pas d'autre moyen d'apprendre que celui tracé par le Golgotha de la société bourgeoise.

Le prolétariat a besoin du temps offert par la période de crise pour être capable de lutter et de comprendre sa position dans la société mondiale. Cette compréhension ne peut venir tout d'un coup à l'ensemble de la classe. La classe ira à des confrontations de nombreuses fois dans la période à venir, et de nombreuses fois elle devra reculer, apparemment vaincue. Mais en fin de compte, aucun mur ne peut résister aux assauts continuels de la vague prolétarienne, encore moins quand le mur se désintègre lui-même. Mais pendant que le prolétariat utilisera la nature étalée de la crise, la bourgeoisie, elle, utilisera toutes ses cartes pour plonger dans la confusion, défaire et vaincre les efforts de la classe ouvrière. Le destin de l’humanité dépend de l'issue finale de cette confrontation. Mais tandis que la bourgeoisie fera tout ce qu'il est possible pour affaiblir les tendances prolétariennes vers un regroupement mondial, le prolétariat renforcera la capacité à établir une continuité directe dans sa lutte, en dépit de toutes les divisions et mystifications des syndicats, de la gauche, des gouvernements, etc. Il n'y a pas d'organisation capitaliste qui puisse résister à une vague quasi continuelle de grèves et d'auto-activité du prolétariat sans être démoralisée. Ainsi la classe toute entière commencera à se réapproprier la lutte communiste et à approfondir sa conscience globale dans des affrontements réels. Le temps des actions de masse de la classe va continuer, et elle aura à son actif de plus en plus de leçons et de mémoire. Ceci n'est pas à négliger, puisque les seules armes de l'arsenal prolétarien sont sa conscience et sa capacité à s'organiser de façon autonome.

Les communistes ne peuvent que se réjouir de l'approfondissement de la crise. La possibilité de la révolution communiste apparaît une fois de plus au niveau conjoncturel comme l'expression de la décadence historique de la société bourgeoise. Nos tâches vont nécessairement devenir plus larges et plus complexes et le processus menant à la formation du parti sera directement accéléré par notre activité présente. Le développement graduel de la crise dans cette période nous permettra aussi de mieux nous regrouper, de galvaniser nos forces internationalement. La tendance indiscutable des groupes communistes aujourd'hui est d’abord et avant tout de rechercher un regroupement international des forces. Les regroupements internationaux ne sont pas des stades formels antérieurs du regroupement international. Formaliser ainsi le déroulement du regroupement dans un schéma stérile et localiste signifierai revenir aux conceptions social-démocrate de "sections nationales" et autres gradualismes de gauche. Ce n'est que globalement que nous pouvons mener" à bien notre travail de préparation, approfondir notre compréhension théorique et défendre notre plate-forme dans les luttes de la classe ouvrière.

Notre courant va se trouver de plus en plus systématiquement confronté à un immense amoncellement de travail organisationnel, tel que la contribution à la formation et au renforcement des groupes communistes futurs. En liaison étroite avec ceux-ci, notre courant devra être capable d'intervenir avec plus de cohésion et de façon internationale sur tous les évènements qui vont surgir dans la période à venir. Mais notre fonction spécifique n'est plus d'"organiser techniquement" les grèves ou autres actions de la classe, mais de mettre patiemment et avec force, de la façon la plus claire possible, l'accent sur les implications de la lutte autonome du prolétariat, et sur la nécessité de la révolution communiste. Nous sommes là pour défendre les acquis programmatiques de tout le mouvement ouvrier et cette tâche ne peut être approfondie que par un travail militant et uni partout où la classe manifeste une mobilisation pour ses propres intérêts et lorsque ces intérêts sont directement menacés par les attaques du capital.

Les perspectives que Révolution Internationale avait présentées pour notre courant en janvier 1974 ne rendaient pas compte de cet aspect primordial, l'auteur ne voyant pas clairement nos besoins organisationnels et minimisant de ce fait leur importance. Cela peut être attribué à la relative immaturité de notre courant, en ce qui concerne les implications concrètes de notre activité, pour la classe comme pour nous-mêmes. Aujourd'hui, nous pouvons considérer la question du regroupement et du parti sur des bases plus solides. Pour nous, un accord programmatique doit s'accompagner d'un accord organisationnel, une tendance à l'action à l'intérieur du cadre du regroupement mondial. Loin de nous les "activistes" qui veulent "intervenir" sans avoir une claire compréhension de ce qu'est un regroupement global. La construction d'un courant communiste international est une épreuve amère pour de tels activistes. L'accord sur ce point doit être prouvé dans les actes et l'attitude, pas seulement en paroles. Notre courant a déjà rencontré beaucoup de sectes qui, comme les centristes d'hier, sont "en principe" pour un regroupement communiste (un sentiment louable comme l'est un accord "de principe" sur la fraternité entre les hommes ou la justice éternelle). Mais, en pratique ces sectes sabotent le regroupement ou tout mouvement significatif vers lui, en invoquant des points secondaires ou des trivialités qui les différencient de nous.

De même que notre courant n'a que faire des modernistes qui annoncent à la classe ouvrière son intégration au capital, de même nous n'avons pas besoin de confusionnistes qui, dans la pratique, n'appellent qu'à la démoralisation et à la dispersion localiste. C'est le fait de notre évolution si notre Conférence n’attire pas de tels éléments. Le processus de regroupement a commencé en 70, mais notre courant a déjà polarisé de nombreux groupes ou tendances qui, depuis, se sont en majorité décomposés organisationellement et théoriquement. Dans ceux-ci sont inclus des groupes en rupture avec S ou B, des dilettantes du genre Barrot, et de semblables lumières du modernisme. Aujourd’hui, notre courant a déjà parcouru un long chemin, et nous pouvons être certains que, sous beaucoup d’aspects, la route à faire sera plus dure et plus difficile encore. Mais en ce qui concerne la période passée de clarification des points théoriques essentiels, de base, nous pouvons conclure que cette période tire à sa fin. Le spectacle des sectes "d’ultragauche" d’aujourd’hui, s’enfonçant dans le modernisme et l’oubli, est une confirmation tragique mais inévitable de ce pronostic.

                                                                                              WORLD REVOLUTION

                                                                                              Janvier 1975

 

[1] C’est-à-dire : des accords préférentiels pour l'exportation aux USA.

 

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Questions théoriques: