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Les publications récentes du Bureau international pour le parti révolutionnaire (BIPR), et les discussions entre le CCI et la CWO dans les réunions publiques de celle-ci, ont confirmé que la manière dont le débat est mené entre les organisations révolutionnaires est une question politique en elle-même.
Le BIPR a lui-même soulevé la question dans Internationalist communist n°18, puisqu'il accuse le CCI d'afficher un "penchant pour la calomnie par allusion" quand nous taxons d'empirisme la démarche développée dans certaines de ses analyses (Cf. notre article "La méthode marxiste et l'appel du CCI sur la guerre en ex-Yougoslavie" dans la Revue internationale n° 99).
Nous ne répondrons pas à cette accusation particulière, sauf pour renvoyer les lecteurs à l'article évoqué ci-dessus qui selon nous ne contient aucune calomnie mais développe une argumentation purement politique pour appuyer cette caractérisation. Par contre nous avons l'intention de poser la question de façon plus générale, même si cela nécessite de donner quelques exemples particuliers du problème que nous soulevons.
Le CCI a en effet toujours pris très au sérieux la question des polémiques et du débat entre organisations révolutionnaires : c'est un reflet direct de 1'importance que nous avons toujours attribuée à l'existence et au développement du milieu politique prolétarien lui-même. C'est pourquoi, dès notre fondation, nous avons fait des articles polémiques un aspect régulier de notre presse, nous avons assisté régulièrement aux réunions publiques des autres groupes et nous avons soutenu ou proposé, à de nombreuses reprises, de renforcer 1'unité et la solidarité du mouvement révolutionnaire (conférences, réunions communes, etc.). Dans notre propre activité interne, nous lisons et discutons systématiquement les publications des autres courants prolétariens et faisons des rapports réguliers sur le milieu prolétarien. Dans nos polémiques avec les autres groupes nous avons toujours cherché à mettre en évidence avec le plus de clarté là où nous sommes d'accord avec eux aussi bien que là où nous avons des désaccords ; et lorsque nous traitons de ces désaccords, nous tentons de les poser aussi clairement et exactement que possible, en nous référant, avec le maximum de précision, aux textes publiés par les autres groupes. Notre préoccupation se fonde également sur la compréhension que le sectarisme, qui insiste constamment sur les différences au delà de ce qui unit le mouvement, est un problème réel pour le milieu prolétarien, en particulier depuis la fin de la période de contre-révolution à la fin des années 1960. L'exemple le plus clair de ce danger est fourni par le courant bordiguiste qui, après la seconde guerre mondiale, dans une volonté louable de se protéger de la pression contre-révolutionnaire ambiante, a tenté d'ériger une défense infranchissable en développant la théorie selon laquelle seule une organisation monolithique était capable de mettre en oeuvre une politique réellement communiste. C'était la première fois, dans le mouvement ouvrier, qu'apparaissait une telle théorie.
Au cours de ces dernières années, parce que nous avons mieux perçu la nécessité vitale de défendre l'unité indispensable du camp prolétarien contre les attaques de la classe dominante qui devenaient plus aiguës que jamais, nous avons accentué notre effort pour débusquer tout vestige de sectarisme dans nos propres polémiques. Nous avons tout fait pour qu'elles soient soigneusement planifiées et centralisées à l'échelle internationale, pour qu'elles évitent les exagérations, tout esprit de rivalité mesquine, pour qu'elles ne soient plus des réponses du tac au tac sur des points secondaires. Nous avons également rectifié certaines de nos affirmations qui se sont avérées erronées et qui avaient provoqué des incompréhensions entre nous et d'autres groupes (voir par exemple l'article sur les 100 numéros de la Revue internationale, dans le n°100). Nos lecteurs peuvent juger par eux-mêmes de la réalité de cet effort. Ils peuvent se référer à toutes nos polémiques récentes avec le BIPR dans la Revue internationale, par exemple celle qui traite du 6e congrès de Battaglia Comunista dans le n°90, celle sur les origines du Partito Comunista Intemazionalista dans les n°91 et 92 ou plus récemment notre critique des thèses du BIPR sur les tâches des communistes dans la périphérie capitaliste parue dans le n°100. Nous signalons ces articles parce qu'ils illustrent la manière dont nous pensons qu'un débat sérieux doit être mené : un débat qui n'a pas peur de faire des critiques très tranchantes de ce que nous considérons comme des erreurs ou même des influences de l'idéologie bourgeoise mais qui est toujours basé sur la théorie et la pratique réelles des autres groupes prolétariens.
Nous devons dire franchement que les polémiques du BIPR, dans la période récente, ne sont pas à la hauteur de ces critères. L'exemple le plus éloquent se trouve dans la prise de position officielle du BIPR "Les révolutionnaires face à la perspective de guerre et la situation actuelle de la classe ouvrière", parue dans Internationalist Communist n°18 (IC), qui traite de la signification et de la portée historique de la dernière guerre dans les Balkans. Sans entrer dans une discussion détaillée sur les nombreuses questions générales importantes soulevées dans ce texte, nous voulons attirer l'attention sur les conclusions que tire le BIPR concernant les réponses des autres groupes du milieu prolétarien face à la guerre : "D'autres éléments politiques de cette scène politique, bien que ne tombant pas dans l'erreur tragique de soutenir une des parties belligérantes ont eux-mêmes également, au nom d'un faux anti-impérialisme ou sous prétexte qu'historiquement et économiquement des visions progressistes sont aujourd'hui impossibles, pris leurs distances avec les méthodes et les perspectives de travail qui mènent au regroupement dans le futur parti révolutionnaire. Ils ne peuvent plus être sauvés et sont victimes de leur propre cadre idéaliste et mécaniste, incapable de reconnaître les particularités de l'explosion des contradictions économiques perpétuelles du capitalisme moderne."
Deux points fondamentaux sont soulevés ici. D'abord, si vraiment les groupes organisés du milieu prolétarien "ne peuvent plus être sauvés", ceci a de sérieuses implications pour l'avenir de ce milieu. Indépendamment de toute autre chose, cela implique que le futur parti mondial - contrairement à tous les partis de classe ayant existé dans le passé - sera formé autour d'un seul courant dans le mouvement marxiste. En même temps, ceci aurait les plus graves conséquences pour les énergies militantes qui sont actuellement "piégés" dans ces organisations qui "ne peuvent plus être sauvées" et il devrait être de la responsabilité du BIPR d'entreprendre la récupération de tout ce qu'il peut du naufrage - une tâche dont le BIPR ne parle même pas dans ce texte. Mais pour revenir au problème de la méthode du débat, malgré la gravité de ces affirmations, le BIPR ne dit pas une seule fois explicitement à qui il se réfère. Nous pouvons raisonnablement penser, sur la base des polémiques antérieures du BIPR, que les "idéalistes" c'est le CCI, quant aux "mécanistes" ce sont les bordiguistes... mais nous n'en sommes pas sûrs. Il s'agit là d'une irresponsabilité politique grave de la part du BIPR, complètement en dehors des meilleures traditions du mouvement ouvrier. Cela n'a jamais été le style, par exemple, de Lénine qui a toujours dit de façon absolument claire à qui il adressait ses polémiques, ni celui de la gauche italienne, dans les années 1930, qui était extrêmement précise dans ses prises de position vis-à-vis des différents courants qui constituaient le milieu prolétarien de son époque. Si le BIPR pense que le CCI et les groupes bordiguistes ne peuvent plus être sauvés, qu'il l'argumenté ouvertement et en se basant sur les véritables positions, analyses et intervention de ces groupes. Nous insistons sur ce dernier point car s'il est essentiel de mentionner les noms de ceux que l'on critique, ce n'est pas suffisant. Pour se rendre compte de cela nous n'avons qu'à jeter un oeil sur l'autre polémique dans ce même numéro d'IC, "Idéalisme ou marxisme" qui, une fois encore, traite des prétendues "faiblesses fatales du CCI". Il n'est pas inutile de signaler que cette polémique a été écrite par un sympathisant actuel du BIPR qui a fait un passage éclair dans le CCI et l'a quitté dans des circonstances vraiment peu claires il y a quelques années. Ce texte, qui est proposé comme une réponse par intérim à notre article sur le BIPR dans la Revue internationale n°99, est un "modèle" de mauvaise polémique qui aligne toute une série d'affirmations sur la méthodologie politique du CCI sans jamais avoir le souci de citer quoi que ce soit du CCI.
Le deuxième exemple nous est fourni par la "Correspondance avec le CCI" dans la publication de la CWO, Revolutionary Perspectives (n°16). Cette correspondance traite principalement des analyses respectives de nos organisations sur la récente grève des électriciens en Grande-Bretagne. Les circonstances de cette lettre sont les suivantes : nous avons écrit à la CWO en novembre 1999 pour lui fournir une copie d'une brochure de J.Maciver intitulée Escaping a paranoid cuit ("fuir un culte paranoïde"), brochure qui est parue au moment même où le CCI était exclu des réunions de discussion de "No war but the class war" à Londres (voir World Révolution n°229). Pour nous, ce document est un exemple d'une attaque parasitaire typique, pas seulement contre le CCI mais aussi contre le BIPR et les autres groupes prolétariens. La CWO a choisi de ne pas publier cette partie de notre lettre ni sa propre réponse à celle-ci.1
A la fin de notre lettre, nous avons aussi abordé la question de la nature de classe du comité de grève des électriciens dont RP faisait part. Dans la mesure où, à notre connaissance, ce comité était constitué entièrement de shop-stewards (délégués de base des syndicats), nous avons pensé qu'il s'agissait plus d'un organe syndical radical que d'une véritable expression de la lutte des électriciens. Pourtant, la CWO dans son article de RP n°15 a semblé voir quelque chose de beaucoup plus positif dans cet organe. Dans la mesure où nous prenons en considération son opinion, nous avons demandé qu'elle nous fasse savoir si elle avait une quelconque information qui pourrait permettre de poser la question sous un angle différent, puisque dans certaines circonstances aujourd'hui il peut être très difficile de faire la différence entre un véritable organe de la lutte ouvrière et une expression très radicale des syndicats. La réponse de la CWO, tout en ne nous fournissant aucune information concrète comme nous l'avions souhaité, a soulevé beaucoup de questions politiques, rien de moins que sur la nature des syndicats et du syndicalisme de base. Mais ce n'est pas le lieu d'aborder cette discussion ici. Une fois encore, nous souhaitons attirer l'attention sur la méthode de la polémique de la CWO, surtout quand elle en vient à décrire les vraies positions du CCI. On nous dit : "Vous avez encore la vision d'une classe ouvrière ayant la conscience « souterraine » de la nécessité de détruire le capitalisme. Pour vous, la seule « mystification » qui entrave la lutte est celle mise en place par les syndicats. Si la classe ouvrière était seulement « démystifiée » de son syndicalisme alors elle prendrait le chemin révolutionnaire. C'est un des exemples de votre idéalisme semi-religieux. La méthode marxiste sait que la classe ouvrière deviendra révolutionnaire à travers son expérience pratique et le programme révolutionnaire que nous défendons correspondra plus exactement aux besoins révolutionnaires d'une classe dont la conscience s'élève. La question ne sera pas : 1. De «démystifier» les ouvriers, 2. Ensuite d'entrer en lutte. La démystification, la lutte et la réappropriation de son propre programme vont toutes survenir simultanément comme partie du mouvement contre le capitalisme."
Nous sommes d'accord qu'il serait idéaliste d'argumenter que les ouvriers seront d'abord "démystifiés" du syndicalisme et ensuite qu'ils entreront en lutte. Mais nous mettons au défi la CWO de trouver un seul texte du CCI qui défende cette conception. Plutôt que de porter des accusations de ce genre ou d'argumenter comme elle le fait dans la même lettre que "nous ne disons rien de positif sur la véritable lutte des ouvriers", nous voulons lui demander de se reporter réellement aux nombreux textes que nous avons publiés sur la période actuelle de lutte de classe, textes qui tentent de placer les difficultés actuelles de la classe - mais aussi ses pas en avant - dans leur contexte général depuis l'effondrement du bloc de l'Est. La lecture de ces textes aurait aussi permis à la CWO de se rendre compte de l'importance que nous attachons à la confrontation pratique, quotidienne des ouvriers avec les syndicats pour jeter les bases pour une rupture définitive avec ces organes. La CWO a peut-être beaucoup de désaccords avec nos analyses mais au moins le débat serait clair pour le reste du mouvement prolétarien.2
Le passage que nous avons cité soulève un autre problème : la tendance à traiter comme des sortes de pensées talmudiques du CCI des positions qui ne sont en aucun cas de notre invention mais qui, et c'est la moindre de nos responsabilités, représentent une volonté de notre part de développer des questions déjà abordées par le mouvement marxiste. C'est le cas de la notion de maturation souterraine, que la CWO considère presque comme ridicule, mais dont la longue histoire nous ramène, via Trotsky, à Marx qui a écrit la phrase immortelle "bien creusé vieille taupe" en décrivant la lutte de classe. En fait nous avons argumenté ce point dans une polémique avec la CWO dans la Revue Internationale n°43, au milieu des années 1980, un article qui n'a jamais eu de réponse. Mais si la CWO n'aime pas nos interprétations de tels concepts, qu'elle aille aux sources des classiques marxistes (comme l'Histoire de la révolution russe de Trotsky) et argumente contre elles directement.
Le débat public le plus récent entre le CCI et la CWO - lors d'une réunion publique de cette organisation à Londres - a montré une fois encore cette dernière tendance. Le thème de la réunion traitait du communisme et comment y parvenir; et sur beaucoup d'aspects la discussion qui s'en est suivie a été très positive. Le CCI a salué la présentation qui défendait la vision marxiste du communisme et de la lutte de classe contre toutes les campagnes actuelles de la classe dominante sur "la mort du communisme" ; nous n'avons eu aucune réticence à dire que nous étions d'accord avec pratiquement tout. Tout aussi naturellement, il y a eu une discussion sur les divergences entre le CCI et la CWO concernant la question de l'Etat dans la période de transition ; et cela a aussi été positif par le fait qu'il y avait, semble-t-il, une volonté réelle de la part de la majorité des camarades de la CWO de comprendre ce que le CCI disait là-dessus. Nous avons argumenté, en réponse à la CWO, que si l'Etat et la révolution de Lénine est un point de départ fondamental pour poser la question de l'Etat dans un cadre marxiste, les vues qu'il a défendues en 1917 devaient être approfondies et, à un certain niveau, revues à la lumière de l'expérience réelle du pouvoir prolétarien en Russie. En se basant lui-même sur les débats qui ont eu lieu au sein du parti bolchevik à cette époque, et en particulier sur les conclusions tirées par la Gauche italienne dans les années 1930, le CCI considère que la dictature du prolétariat ne peut pas s'identifier à l'Etat de transition qui apparaît inévitablement après l'insurrection victorieuse. Nous n'avons pas l'intention ici de revenir sur les aspects de fond de cette question, par contre nous tenons à réaffirmer notre désaccord avec une démarche avancée par un camarade de la CWO, démarche qui, pour nous, est exemplaire de la méthode qu'il ne faut pas utiliser pour mener un débat entre révolutionnaires marxistes. Selon ce camarade, cette position sur 1'Etat de transition n'est rien d'autre que l'invention d'un membre de la Fraction de gauche, Mitchell : "il a juste inventé". Cette affirmation est objectivement incorrecte pour ne pas dire une sottise. La série même des articles de Mitchell publiée dans Bilan ("Problèmes de la période de transition") ainsi que beaucoup d'autres articles fondamentaux des Fractions italienne et belge que ces organisations ont assumés collectivement, sans parler des prises de position faites par d'autres camarades individuellement, développent cette même position. Mais surtout, ce genre d'affirmation montre un véritable mépris pour le travail de la Fraction qui, après tout, est l'ancêtre politique commun du CCI et du BIPR. A la réunion, nous avons déjà appelé la CWO à lire l'article "Le prolétariat et l'Etat de transition" paru dans la Revue internationale n°100, qui fournit une preuve claire que la position de Bilan sur l'Etat était basée sur les vrais débats qui avaient eu lieu dans le parti bolchevik, en particulier le débat sur les syndicats en 1921 (sans parler des questions qu'a soulevées la tragédie de Kronstadt). Nous appelons encore une fois la CWO à faire un effort sérieux et collectif afin d'étudier le travail de Bilan sur cette question ; et nous sommes prêts à lui fournir les textes appropriés (nous avons l'intention de toute façon de republier la série de Mitchell dans un avenir pas trop lointain). Les camarades de la CWO sont libres de rejeter les arguments de la Fraction mais il faut qu'ils le fassent sur la base d'une étude approfondie et d'une réflexion.
En résumé nous pensons que les questions auxquelles se confronte le mouvement révolutionnaire aujourd'hui -l'analyse des événements actuels, comme les guerres et les mouvements de classe ou les expériences plus historiques comme la révolution russe - sont trop importantes pour être dévoyées dans de faux débats ou pour être dépréciées par des affirmations non prouvées et de fausses accusations. Nous appelons le BIPR à élever le niveau de ses polémiques en tant qu'effort pour l'amélioration du ton et du contenu du débat dans tout le milieu politique prolétarien.
Amos.
1La CWO a choisi de ne pas publier cette partie de la lettre et sa réponse parce que, pour elle, le parasitisme n'est pas un problème sérieux pour le camp prolétarien. Pour ce que nous en avons compris, il s'agirait là d'une nouvelle invention du CCI. Une fois encore, nous demandons à la CWO de justifier cette affirmation en répondant à notre principal travail sur cette question, les "Thèses sur le parasitisme" publiées dans la Revue internationale n°94, qui la place dans son contexte historique.
2La CWO pourrait, par exemple, lire le texte basé sur le rapport sur la lutte de classe au 13e congrès du CCI, dans la Revue internationale n°99. Mais elle pourrait aussi relire l'article de WR n°229 qu'elle critique dans RP n°16, qui dit que nous ne voyons rien de positif dans la grève des électriciens. En fait, notre article conclut que cette dernière et d'autres luttes récentes "montrent que le prolétariat résiste de plus en plus aux attaques et que le potentiel pour le développement de luttes plus larges et plus combatives se développe." II n'y a pas de contradiction à dire qu'une lutte est importante et argumenter que les organes qui prétendent la représenter font partie de l'appareil syndical.