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Nous publions ci-dessous le courrier d’un lecteur qui décrit le déroulement, depuis plusieurs mois, de la lutte dans les universités de Caen et notre très brève réponse.
Grève à l’université de Caen : les syndicats sabotent la combativité des travailleurs et des étudiants
En
dépit de ce qui semble désormais compter parmi nos défaites,
nonobstant les éternelles agitations de quelques jusqu’au-boutistes
et des inutiles négociations syndicales, le mouvement débuté
autour de l’université de Caen en réaction au projet de réforme
de l’enseignement supérieur est riche d’expériences à méditer.
C’est d’abord une volonté d’agir de manière efficace qui
s’est exprimée dès le début de la mobilisation. Outre le nombre
important de manifestants dans les rues, tirant sans doute les leçons
de la lutte contre le CPE, l’assemblée générale de l’université,
où se réunissaient les enseignants, le personnel d’entretien et
les étudiants, s’est immédiatement prononcée en faveur de
l’ouverture de ses portes à tous, malgré la vive opposition des
syndicats d’étudiants. C’est dans cet esprit d’unité et
d’extension, que beaucoup ont participé, le 29 janvier, à la
journée de manifestation-balade interprofessionnelle organisée par
les centrales syndicales nationales. Le soir, une assemblée
regroupant officiellement l’ensemble des travailleurs en lutte de
l’éducation se tenait dans les locaux de l’université. Cet
événement devait finalement marquer l’apogée du mouvement à
Caen et les prémices de son essoufflement.
Alors que les
mandarins du syndicalisme local comptaient redorer leur triste blason
après l’échec de leur précédente campagne, lors de la lutte
contre la loi LRU et la grève des cheminots, leur petit jeu
d’auto-congratulation devait rapidement prendre fin. Les délégués
syndicaux, en rangs d’oignons à la tribune, s’échangeaient la
parole en se félicitant pour leur “immense victoire”, le tout
saupoudré d’interminables exposés où chaque catégorie
demandait, au nom de la “solidarité”, la prise en compte de son
problème particulier. Comme le panégyrique corporatiste
s’éternisait, de nombreuses interventions sauvages ont obligé un
syndicaliste à révéler la date de la prochaine “journée
d’action interprofessionnelle” : le 19 mars ! Un déluge
d’interventions particulièrement hostiles s’est alors abattu sur
la tribune déconfite, alimenté également par les étudiants et les
quelques ouvriers du secteur privé, parfois à la retraite, qui
s’étaient, malgré tout, invités à la fête.
Dans ce
contexte, face au risque de débordement, le travail de division des
syndicats s’est malheureusement accéléré, pour finalement
atteindre un degré d’absurdité rarement égalé. Quelques jours
ont suffit pour qu’une myriade d’assemblées générales se
constitue, séparant les enseignants, le personnel d’entretien et
les étudiants, jusque-là unis dans une même assemblée. Chaque UFR
organisait sa petite assemblée, souvent le même jour que d’autres.
La triste “assemblée générale des étudiants en art du
spectacle” aurait pu, à elle seule, incarner le ridicule de la
situation, si la véritable assemblée générale n’avait pas été
rebaptisée pour l’occasion : “assemblée générale
générale” dans laquelle, pour faire bonne mesure, certains
individus des AG d’UFR dénonçaient l’inactivité des
professeurs de latin ou le “bougisme” des étudiants en
biologie.
Démoralisés et dégoûtés par ce spectacle
consternant, ne sachant plus qui décide quoi, beaucoup d’étudiants
et de travailleurs ont cessé de participer au mouvement. Les
assemblées se vidaient à vu d’œil, tout comme les rues, les
jours de manifestation. D’autres, sous l’impulsion des syndicats
ou des partis gauchistes, sont tombés dans le piège des croisades
perdues d’avance, avec leurs cortèges d’assauts du périphérique
à trente personnes, du parvis de la mairie, de la préfecture ou
autres institutions bourgeoises, le tout agrémenté d’assemblées
générales sauvages de douze individus pour statuer sur des
questions grotesques, ou de bagarres pour savoir s’il est légitime
de retirer la batterie des téléphones afin d’éviter “les
espions et les écoutes” lors des réunions d’une commission...
dans la salle principale d’un bar très fréquenté.
Parce qu’un
sabotage de lutte n’est complet qu’en compagnie d’un
authentique sabordage des débats, parce que les multiples prises de
parole des militants du PCF ou de l’UNEF, rabâchant
systématiquement les mêmes slogans, ne suffisaient plus à éclipser
les interventions visant à élargir la discussion au-delà du
corporatisme, les syndicats d’étudiants ont brandi, alors que la
lutte finissait dans l’ensemble des universités, l’arme ultime
pour évacuer les discussions sur les leçons à tirer : le
blocage. Si la paralysie d’une université peut auréoler le sommet
d’une mobilisation et favoriser les rencontres, elle devient un
véritable poison lorsque les “pro-blocages” sont trop peu
nombreux et illégitimes car, dans de telles circonstances, les
questions qu’impliquent une telle action sont particulièrement
sensibles, divisent et cristallisent l’attention de tous, au
détriment d’objectifs plus fondamentaux.
Néanmoins, malgré
l’activité néfaste des syndicats, des signes très prometteurs de
ré-appropriation des armes du prolétariat se sont manifestés dans
les rangs étudiants. Par exemple, quelques AG d’UFR, refusant la
division, ont fini par se dissoudre en rappelant la souveraineté de
l’assemblée générale et le besoin d’unité. De même, les
étudiants ont plusieurs fois tenté de rencontrer les ouvriers en
grève de l’usine Valéo victime de chômage partiel… en vain,
malheureusement, dans la mesure où les contacts se sont limités à
une délégation syndicale qui, finalement, s’est interposée entre
les étudiants et les ouvriers. Un groupe de discussion, fondé en
réaction au contexte bougiste et corporatiste de l’assemblée
générale, a mis en avant la nécessité d’appuyer l’action sur
une rigoureuse réflexion et sur la clarification des enjeux plus
généraux dans lesquels s’inscrivent les réformes de
l’enseignement supérieur. Traduisant une réelle volonté
d’échapper aux assemblées-kermesses, les réunions de ce cercle
ont rassemblé un nombre relativement important d’étudiants,
compte tenu de la modeste diffusion du tract d’invitation. Ainsi,
le travail de sape des syndicats n’a pas réussi à noyer
complètement les travailleurs et les étudiants dans le corporatisme
et la division. Beaucoup d’entre nous ont essayé de fuir les
manœuvres d’émiettement. Si ces actions furent minoritaires,
seule la multiplication des luttes est en mesure de développer ces
réflexes embryonnaires en arme de la classe ouvrière.V.
Notre réponse
Nous tenons tout d’abord à saluer ce courrier. Ce témoignage apporte non seulement des éléments concrets sur le déroulement de la lutte dans les universités de Caen mais aussi et surtout des éléments de réflexion valables pour la lutte de classe en général, à Caen, en France comme partout dans le monde. Le camarade met en effet très bien en lumière :
• La nécessité pour toute lutte ouvrière de s’ouvrir aux autres secteurs (aux autres universités, aux entreprises voisines, aux retraités, aux chômeurs…), de s’étendre, de développer un sentiment de solidarité pour se serrer les coudes dans le combat…
• Le rôle des assemblées générales, véritables poumons de la lutte quand elles sont ouvertes et souveraines. Les AG peuvent et doivent permettre aux grévistes de prendre en main leur lutte, de décider eux-mêmes des revendications et des moyens d’action à la suite de discussions vraiment collectives.
• Le rôle réel des syndicats. Il est ici très clair que les syndicats ont tout fait pour étouffer la lutte, diviser, pousser aux actions stériles et, surtout, déposséder les grévistes de LEUR lutte en noyautant les AG. Depuis plusieurs mois maintenant, partout en France, les syndicats étudiants et enseignants sont effectivement à la manœuvre pour épuiser ce secteur très combatif en lui faisant mener un très long mouvement tout en l’isolant du reste de la classe !
• Enfin, la conclusion du camarade nous semble des plus intéressantes. En effet, face au noyautage syndical de la lutte, un petit groupe sur Caen, dont notre lecteur fait partie, semble avoir su éviter le piège des actions “coup de poing”, minoritaires et stériles et a préféré se réunir pour discuter, réfléchir collectivement.
Ce type de cercle de discussion est un élément très important pour le développement de la conscience de classe. Récemment d’ailleurs, un autre cercle de discussion s’est créé à Toulouse (1).
Au cours de chaque lutte, des liens se créent au fil des manifestations, des discussions dans les AG… Il y a alors souvent une certaine effervescence de la réflexion sur les questions “comment lutter ?”, “de quoi l’avenir sera-t-il fait ?”… Mais quand la lutte s’éteint, le plus souvent, l’atomisation reprend le dessus. Chaque gréviste, manifestant, repart dans son coin, seul face à ses questions. Les cercles de discussion sont justement un moyen d’éviter ce repli et de poursuivre les débats. Constitués d’un noyau dur d’éléments, ils doivent être ouverts à toutes personnes sincèrement intéressées par la réflexion. Et, comme cela semble être le cas avec ce cercle de discussion de Caen, les questions abordées ne doivent pas porter seulement sur les leçons à tirer de la lutte qui vient de se mener (même si c’est souvent la première question posée et qu’elle est très importante afin de préparer les luttes futures), mais aussi traiter des sujets plus larges sur le système d’exploitation, d’ordre théorique, historique… selon les préoccupations des participants.
Nous saluons donc vivement cette initiative et la naissance de ce nouveau cercle.
Isabelle (23 avril)
1) Lire notre article “Salut au “Comité Communiste de Réflexion” de Toulouse ”.