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Après une lutte massive de plus d’une semaine, les cheminots et les travailleurs de la RATP ont repris le travail alors que, pour sa part, le mouvement étudiant semble prendre fin. Pourtant, le gouvernement n’a reculé sur aucun point important. Toutes les attaques sont maintenues et Sarkozy a même annoncé dans son discours présidentiel du 29 novembre que le rythme des réformes (c’est-à-dire des attaques) allait s’accélérer en 2008.
Est-ce pour autant une victoire de la bourgeoisie ? Certainement pas ! La reprise du travail à la SNCF et à la RATP de même que la tendance vers le “retour au calme” dans les universités est une victoire à la Pyrrhus de la classe dominante. L’ordre de la matraque, du chantage, de l’intimidation et du mensonge organisé a dévoilé au grand jour le vrai visage de la démocratie bourgeoise : celui de la terreur implacable du capital. Si l’Etat n’a pas reculé ni sur la réforme des régimes spéciaux ni sur la LRU, c’est au prix fort d’un discrédit croissant de ses principales institutions, notamment les médias et surtout les syndicats, dont il n’a pas encore mesuré les conséquences.
Quelques leçons essentielles
Les travailleurs et les étudiants doivent se regrouper et discuter ensemble et avec d’autres ouvriers d’autres secteurs pour mieux comprendre quelle est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Des liens ont déjà été tissés, il faut les élargir et les resserrer. Il faut échanger et partager les expériences, il faut en discuter collectivement afin d’en tirer toutes les leçons et préparer les luttes à venir.
D’abord, la classe ouvrière doit tirer un premier enseignement de la lutte des cheminots : si le gouvernement a été obligé de céder quelques miettes aux cheminots, c’est parce que ces derniers se sont battus. Mais là n’est pas l’essentiel : les miettes concédées par la bourgeoisie, de toutes façons, seront reprises plus tard. La pire défaite aurait été de ne pas se mobiliser : dans le lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat, la première victoire pour les travailleurs, c’est la lutte elle-même, c’est le refus d’accepter la loi du capital, c’est faire l’expérience de la solidarité des exploités face à toutes les tentatives de les diviser entreprise par entreprise, secteur par secteur. Malgré leurs difficultés, les cheminots (de même que les étudiants en lutte contre la LRU) se sont battus avec un courage remarquable. En revendiquant “37,5 annuités pour tous”, ils ont montré que la solidarité de la classe exploitée est le seul chemin qui puisse ouvrir une perspective pour les luttes futures. La grève des cheminots a permis que s’exprime de façon croissante l’idée de la nécessité de lutter tous unis. C’est ce que le mouvement des étudiants a exprimé en manifestant sa solidarité avec les cheminots (comme l’a révélé leur plateforme revendicative dans laquelle était inscrite non seulement le retrait de la LRU mais aussi le rejet de toutes les attaques du gouvernement). L’idée que les différents secteurs de la classe ouvrière doivent se soutenir mutuellement est quelque chose qui avait été apprise par les jeunes générations dans la lutte du printemps 2006 contre le CPE1. C’est ce qui s’est illustré aussi dans le fait que c’est parmi les jeunes cheminots qu’on a rencontré le plus la volonté de se défaire du corporatisme qui pèse sur leurs aînés.
Ensuite, en obligeant la classe dominante à déployer à grande échelle son arsenal syndical, ils ont contribué à dévoiler au grand jour que les syndicats sont des organes de maintien de l’ordre capitaliste (même s’il existe encore beaucoup d’illusions sur la possibilité de réformer les syndicats). C’est bien ce dont témoigne le taux de désyndicalisation massive qui touche d’ores et déjà plusieurs secteurs de la fonction publique et la méfiance croissante envers les syndicats. La fuite sans gloire de Chérèque lors de la manifestation du 20 novembre face aux ouvriers le stigmatisant comme “traître”, les apostrophes essuyées par le patron de la CGT au même endroit : “Thibault vendu ! Ce n’est pas toi qui diriges, c’est nous !” ou le lendemain de la part de syndiqués de la CGT : “on va faire tomber Thibault”2 ne sont que la partie émergée d’un mécontentement profond des travailleurs envers les organes qui prétendent les défendre.
Enfin, les cheminots et les ouvriers de la RATP ont été capables de déjouer le piège du pourrissement et de l’isolement où cherchaient à les enfermer les syndicats “jusqu’auboutistes” comme Sud ou FO en ne votant pas dans les AG la reconduction de la grève.
Voici quelques leçons immédiates mais essentielles de la lutte qui vient de se dérouler. Mais ce simple constat soulève des questions bien plus larges et profondes auxquelles la classe ouvrière doit, par le débat collectif, essayer de trouver des réponses :
Faut-il rénover les syndicats pour pouvoir lutter contre la misère et l’exploitation ?
Face à la trahison des syndicats, l’alternative est-elle de virer les bureaucraties pourries, ou de s’affilier à des syndicats plus “radicaux” et moins directement liés au patronat ou encore de construire de nouveaux syndicats “de combat” ?
Le “radicalisme”, le caractère très “combatif” d’un syndicat ou l’honnêteté de ses délégués n’a jamais été une preuve que c’est un organe de défense des ouvriers.
Ce qui nous importe aujourd’hui, ce n’est pas de reconstruire de nouveaux syndicats, mais d’abord de comprendre quels moyens nous devons nous donner pour construire un rapport de forces en faveur de la classe ouvrière face à la bourgeoisie.
Vouloir rénover la vieille coquille syndicale ou construire de nouveaux syndicats plus combatifs avec des permanents moins corrompus, plus honnêtes (qui deviendront un jour, comme Thibault, des spécialistes de la “négociation” et de la magouille) est une pure illusion et un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Toutes les luttes ouvrières du passé ont montré que depuis 1914 les syndicats ont été définitivement intégrés à l’appareil d’État de la bourgeoisie.
L’idéologie syndicaliste est basée sur l’illusion que le capitalisme est :
- un système qu’on peut encore améliorer, réformer et qui peut encore apporter un bien-être durable à l’humanité ;
- un système éternel, tout puissant et impossible à détruire ;
ce qui veut dire que les ouvriers ne pourront jamais en finir avec l’exploitation. L’idéologie syndicaliste est en réalité une idéologie fataliste, de capitulation et de soumission à la loi féroce du capital.
Comment étendre la lutte ?
Aujourd’hui de plus en plus d’ouvriers sont en train de prendre conscience qu’il ne faut plus s’en remettre à des spécialistes de la “négociation” secrète pour diriger leurs luttes. C’est l’ensemble des travailleurs mobilisés qui doit décider de la conduite du mouvement. Les assemblées générales dirigées par les syndicats se contentent de faire voter pour ou contre la reconduite de la grève sans aucun réel débat préalable. Et une fois que l’AG est terminée, ce sont les syndicats qui s’occupent de tout sans aucun contrôle des grévistes.
Les AG ne doivent pas être une simple chambre d’enregistrement de la reprise ou non du travail. Ce sont les organes de la prise en main collective de la lutte par les travailleurs eux-mêmes. Cela veut dire que :
- C’est l’AG qui est l’organe souverain de la lutte. En ce sens, les délégués sont élus sur la base d’un mandat voté par l’AG. Ils doivent être révocables à tout moment par les AG s’ils ne remplissent pas le mandat qui leur a été confié. En ce sens, les comités de grève, qui ont pour rôle de mettre en application les décisions des AG (information, élargissement, réalisation de tracts, prises de parole sur les lieux publics, etc.), doivent être élus par elles et rester sous leur contrôle. Les AG ne doivent pas renoncer à leur souveraineté. Elles sont les garantes pour contrer toutes les magouilles syndicales.
- Ces AG doivent discuter de l’envoi de délégations massives vers les autres entreprises les plus proches géographiquement pour expliquer le sens de leur lutte et appeler les travailleurs des autres secteurs à la solidarité active. Dans la lutte des cheminots et des étudiants, c’était d’autant plus important que la bourgeoisie a déchaîné des campagnes de criminalisation des grévistes pour empêcher toute solidarité de la classe ouvrière.
- L’extension de la lutte doit se réaliser immédiatement, dès les premiers jours du mouvement pour éviter les magouilles syndicales d’enfermement corporatiste (comme on l’a vu avec l’ouverture des négociations catégorie par catégorie, entreprise par entreprise). Comme nous l’avons toujours mis en avant dans notre presse au cours des luttes des années 1980, une grève qui ne s’étend pas rapidement est condamnée à s’effilocher ou même à pourrir. L’enfermement corporatiste ne mène qu’à la défaite. Pour étendre la lutte, les ouvriers doivent également mettre en avant des revendications unificatrices, communes à tous et dans lesquelles tous les ouvriers peuvent se reconnaître. Les AG doivent donc immédiatement élaborer une plateforme revendicative permettant la plus grande unité et solidarité de la classe ouvrière.
- Les négociations avec le gouvernement et le patronat ne doivent pas se faire dans le secret des cabinets ministériels. La classe ouvrière (après les mauvais coups qu’elle vient de subir) doit exiger que l’ouverture de ces négociations soient publiques afin de pouvoir garder le contrôle de la lutte et vérifier que les délégués élus par les AG ne leur donnent pas des coups de poignard dans le dos, comme on l’a vu dans la lutte des travailleurs de la SNCF, de la RATP et des étudiants.
- Les AG doivent s’ouvrir dès le début de la lutte afin d’accueillir toutes les propositions et les manifestations de solidarité des autres secteurs et entreprises.
Bref, les AG doivent être des hauts lieux de “politisation”, n’en déplaise à Monsieur Thibault.
Le secteur des transports n’a-t-il pas un rôle particulier en temps de grève ?
Dans le cas des transports, le blocage total des trains, des métros ou des bus devient un certain obstacle à l’élargissement de la lutte. En effet, ce blocage total peut favoriser le jeu de la bourgeoisie visant à monter les travailleurs les uns contre les autres en déchaînant ses campagnes sur la “prise en otage des usagers”. De plus, ce blocage total des transports limite la mobilité des travailleurs qui ne peuvent se déplacer pour apporter leur solidarité aux grévistes (en se rendants à leurs AG ou en participant aux manifestations) et rend difficile le déplacement des délégations de grévistes vers les autres entreprises. En fait, le blocage total favorise l’enfermement dans le corporatisme et l’isolement. Les luttes ouvrières les plus avancées n’ont jamais conduit au blocage des transports, au contraire. Lors de la grève de masse des ouvriers de Pologne en août 1980, tous les transports fonctionnaient gratuitement. L’argument que mettent toujours en avant les syndicats, c’est que la gratuité des transports est “illégale”. Mais les ouvriers savent très bien que l’opposition aux lois de l’exploitation capitaliste est toujours “illégale” car les lois de la classe dominante sont faites par et pour le capital, par et pour ceux qu’il exploite. Les sanctions au nom du respect de la “légalité” font partie de la répression des luttes ouvrières, de même que les licenciements. Les menaces de répression n’ont pas empêché la classe ouvrière de lutter pour défendre ses conditions de vie face aux empiétements du capital. C’est grâce aux combats des premières générations de prolétaires que les ouvriers d’aujourd’hui ont pu obtenir une baisse de la durée de la journée de travail, des augmentations de salaires, des congés hebdomadaires, une amélioration de leur condition de logement, le droit d’association, la liberté d’expression, etc. Le gouvernement britannique a adopté une loi rendant toute grève de solidarité illégale. Cela n’a pas empêché, pendant l’été 2005, les bagagistes de l’aéroport de Londres de se mettre en grève en solidarité avec les ouvriers des entreprises de restauration de l’aéroport d’Heathrow licenciés massivement3.
Le meilleur moyen d’éviter la répression, c’est la plus grande unité et solidarité possible. La véritable force de la classe ouvrière, c’est sa solidarité face aux attaques du capital. Plus la classe ouvrière courbera l’échine et cédera à l’intimidation, plus la bourgeoisie aura les mains libres pour attaquer et réprimer. Parce que la classe ouvrière est la seule force de la société qui puisse ouvrir une perspective pour l’ensemble de l’humanité, cette solidarité contre l’oppression capitaliste n’est pas “négociable”. Comme l’ont mis en avant les ouvriers de Pologne en 1980, si la bourgeoisie touche à un seul cheveu des grévistes, les autres secteurs doivent immédiatement se mettre en grève et ne pas accepter la répression.
La lutte des travailleurs des transports et des étudiants en France a donc constitué une avancée significative pour le prolétariat : elle a ouvert le chemin vers une tendance croissante à la politisation des luttes de la classe ouvrière. En particulier, elle a constitué une expérience riche d’enseignements pour les jeunes générations de la classe ouvrière qui vont se retrouver bientôt sur le marché saturé du travail. Face à l’aggravation des attaques de la bourgeoisie, ces jeunes générations n’auront pas d’autre choix que de reprendre le flambeau des combats menés par les générations de prolétaires qui les ont précédées.
Pour pouvoir mener à bien ces luttes futures, la classe ouvrière doit avant tout continuer à prendre confiance en elle-même, en ses propres forces et en sa capacité bien réelle (et maintes fois prouvée par l’histoire) à prendre en main sa lutte et son destin. Elle peut et doit avoir confiance dans la perspective historique que portent ses combats : celle de l’abolition de l’exploitation et de l’oppression bestiale du capitalisme en vue de la construction d’une nouvelle société.
Ce chemin n’est pas aisé. Il est fait d’avancées et de reculs. Cela avait déjà été mis en évidence dès le milieu du 19e siècle :
- “Les révolutions prolétariennes (…) se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient :
Abel (30 novembre)
1 En 2006, lorsque les étudiants ont vu que de plus en plus de travailleurs salariés de toutes les générations les avaient rejoints dans les manifestations, on a pu entendre des phrases du style : “les salariés nous ont apporté leur solidarité. Quand ils se mettront en grève, ils faudra qu’on soit aussi avec eux”.
2 Propos rapportés par Marianne n° 553.
3 Lire nos articles sur cette lutte sur notre site web : www.internationalism.org