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Participant à la grande kermesse électorale, Lutte Ouvrière (LO) inonde depuis quelques semaines les façades des quartiers populaires de ses affiches de campagne. A l'effigie d'Arlette Laguiller, en toute simplicité, celles-ci interpellent le passant par un slogan choc "Qui d'autre peut sincèrement se dire dans le camp des travailleurs ?" .
Il faut dire que LO est sans aucun doute la grande organisation d'extrême gauche à la façade la plus radicale, celle qui est peinte avec le rouge le plus vif. Cette officine trotskiste n'hésite pas, en effet, à faire flèche de tout bois envers les "socialistes", les "communistes", les altermondialistes… bref, les "réformistes" de tout poil. Sa presse ne manque pas de condamnations explicites et sans appel. Ainsi, Lutte Ouvrière peut constater "la complète intégration de la social-démocratie au pouvoir d'Etat de la bourgeoisie" , affirmer que "le stalinisme a déformé ou vidé de sens la plupart des objectifs du mouvement ouvrier" et que "le courant altermondialiste n'est que le dernier avatar de ce type de courant", pour conclure : "nous devons nous démarquer clairement et fermement de ces courants, lever les ambiguïtés de leur langage et dénoncer leur politique qui, derrière des aspects contestataires, est fort respectueuse de l'ordre social. " (Lutte de Classe, N°101, Décembre 2006-Janvier 2007). Même ses amis trotskistes telle la LCR en prennent pour leur grade. Celle-ci est jugée pas assez "révolutionnaire" et trop compromise par ses tentatives d'acoquinage et ses concessions opportunistes envers ces différents courants.
Mais LO est-elle vraiment la "douche froide" cinglante qui viendrait remettre en question le monde capitaliste, le gouvernement ou les partis de la gauche réformiste intégrés à l'Etat ?, Fait-elle, comme elle le prétend, trembler le "grand capital" et les "riches" en assénant "en toute sincérité" des "vérités" qui dérangent?
LO, une machine à faire voter
Lorsque les échéances électorales sont lointaines, LO se permet de critiquer sans détour le cirque démocratique, scandant la primauté de la lutte sur le vote. Ainsi, en décembre 2005, alors que toutes les stars du show-biz à la mode encourageaient, main dans la main avec les partis de gauche, les jeunes des banlieues à s'inscrire sur les listes électorales, LO se démarquait en rappelant qu' "aucun bulletin de vote ne changera jamais la vie de la jeunesse des banlieues (…). Pas plus qu'aucun bulletin de vote n'a jamais changé la vie des travailleurs, la vie des exploités." Pourquoi ? Parce que "les élections et toute leur organisation sont, comme tous les autres aspects de la société, sous la coupe du grand capital." Le message est clair : "ce sont les luttes collectives qui permettent de changer les choses." (Lutte Ouvrière n°1951 du 23 décembre 2005).
Mais derrière les beaux discours, il y a la réalité des actes. Arlette Laguiller est aujourd'hui la doyenne des candidats. Depuis les présidentielles de 1974, elle est de toutes les campagnes électorales. Et cette participation active au cirque électoral ne se limite pas aux présidentielles. LO n'a jamais manqué de répondre "présent" pour les législatives, les municipales ou les européennes.
Pour ceux qui se rendraient compte de cette flagrante contradiction, l'organisation trotskiste a préparé une argumentation en béton, toujours la même, servie inlassablement à chaque soupe électorale : "le bulletin de vote peut non seulement contribuer à dire ce que l'on pense, mais il peut servir à se compter. Et plus nombreux seront ceux qui diront qu'ils refusent de considérer le chômage et les licenciements comme des fatalités et l'exprimeront par leurs votes, plus cela pourra contribuer à renforcer le moral des classes populaires et à inverser le rapport de forces en leur faveur." (Lutte de classe n°64, février 2002). Voici donc l'argument massue : les travailleurs doivent se compter, non dans la lutte, dans les rues ou dans les assemblées générales… mais dans les isoloirs !
De deux choses l’une : soit "le bulletin de vote n'a jamais changé la vie des travailleurs", soit il peut contribuer "à renforcer le moral des classes populaires et à inverser le rapport de forces en leur faveur". Le double langage de LO est ici manifeste. Ses phrases grandiloquentes sur la lutte, entre les périodes électorales, ne servent qu'à mieux rabattre les travailleurs vers les urnes le moment venu au nom de cette dérisoire comptabilité des "voix révolutionnaires". D'ailleurs, "faire voter" n'est pas une activité annexe de LO. C'est un devoir inscrit dans le marbre de son programme: "il est du devoir des communistes révolutionnaires [de continuer] à nous présenter aux élections" (LO, Les Fondements programmatiques de notre politique, 20 octobre 2003) !
Comment LO critique le PS pour mieux le soutenir
Pour LO, "seul, le premier tour permet d'exprimer un choix politique" (Lutte de Classe n°64). Et elle n'a pas de mots assez durs contre l'allégeance du parti socialiste au "grand patronat". Dans le journal hebdomadaire de LO, des articles entiers sont consacrés à la dénonciation de la politique et du programme Royal. Renvoyant "presque" dos à dos PS et UMP, les titres sont en eux mêmes explicites: "Celui [Sarkozy] qui est ouvertement au service du grand patronat et celle [Royal] qui n'ose pas y toucher." (Lutte Ouvrière n°2011 du 16 février 2007). Est-ce à dire que LO limite sa participation à la seule mystification électorale du premier tour ? Qu'au second tour, elle retourne de nouveau sa veste (jusqu'à ce qu'elle craque de tous côtés ?), pour condamner sans ambiguïté la politique anti-ouvrière de la gauche ?
Pas du tout ! LO a soigneusement pris la précaution de laisser la fenêtre ouverte pour y laisser de nouveau entrer ce qu'elle a fait sortir à grands fracas par la porte : "La bourgeoisie qui, elle, a une véritable conscience de classe, surtout la grande, préfère, tous comptes faits, la droite à la gauche". Le sous-entendu est à peine voilé, si la bourgeoisie préfère la droite, la classe ouvrière doit certainement avoir pour intérêt de lui préférer la gauche. Logique implacable ! Quand elle joue les rabatteurs pour la gauche, LO déploie en effet une incroyable ingéniosité pour glisser, au milieu d'une bouillie de phrases alambiquées son message ( quasi subliminal) : "Bien moins que les autres fois, nous ne savons ce que nous ferons ou dirons au deuxième tour. En effet, entre appeler à voter blanc, dire que nous ne donnerons pas de consignes de vote ou que nous nous abstiendrons mais que nous ne ferons rien pour empêcher le candidat de gauche d'être élu, ou encore que nous appellerons à voter pour lui (ou pour elle), il y a des nuances importantes » (Lutte de Classe n°101, Décembre 2006-Janvier 2007).
Incroyable mais vrai ! LO peut à la fois affirmer "la complète intégration de la social-démocratie au pouvoir d'Etat de la bourgeoisie " pour, après mille détours, mieux appeler à voter PS et rabattre vers les urnes les plus récalcitrants, ceux qui savent que la gauche au pouvoir pendant des années en France a attaqué à tour de bras les salaires et toutes les conditions de vie de la classe ouvrière. LO prépare ainsi déjà le terrain pour pousser son "électorat", ses "voix révolutionnaires" à se mobiliser pour rallier le chœur qui proclamera bientôt "tout sauf Sarkozy !"
Car LO se donne pour tâche non pas de rappeler au prolétariat les hauts faits d'armes anti-ouvriers du parti socialiste, mais au contraire de les faire oublier, en les passant sous silence. Elle affirme ainsi: "[dans cette campagne] nous devrons considérer que nos critiques principales devront être dirigées contre la droite parce que c'est elle qui dirige le pays actuellement... et qui représente politiquement les intérêts du grand patronat". Pire ! Elle fait l'apologie de l'amnésie : "Nous devons cependant éviter de nous appuyer trop sur le passé, même récent (sic!), du gouvernement de la gauche plurielle . Le passé s'oublie, de jeunes électeurs ne l'ont pas vécu et au rappel des gouvernements de gauche qui ont précédé Jospin, sous la présidence de Mitterrand, seuls les militants sont sensibles" (Lutte de classe n° 100, Octobre 2006). LO ne veut surtout pas "effrayer" les ouvriers et les jeunes avec le rappel du travail bourgeois des "éléphants" et des "mammouths" du PS et du PC : Mauroy, Fabius, Joxe, Hernu, Rocard, Cresson, Fiterman... etc. C'est vraiment prendre les ouvriers et les jeunes pour des imbéciles !
LO avait d'ailleurs usé du même stratagème en 1974 et en 1981, comme elle l'avoue elle-même: "la droite était au pouvoir depuis 16 ans, dont plus de dix ans de pouvoir de De Gaulle. Mitterrand avait, en 1974, frisé la victoire. En 1981, c’était pire, la droite était au pouvoir depuis sept ans de plus, c’est-à-dire 23 ans. Toutes les classes d’âge qui avaient 18 ou 20 ans en 1958, et celles d’après, n’avaient connu que la droite.". Les "jeunes électeurs" ne connaissaient donc pas la gauche au pouvoir et devait, pour LO, faire leur propre expérience et c'est pourquoi "au deuxième tour, nous (LO) avons quand même appelé à voter Mitterrand devant le sentiment populaire." Cette politique de "rabatteur radical" n'est pas une abstraction, elle est une réalité tangible, se matérialisant dans le type de manchettes reproduites ci-dessous.
Mitterrand avait promis de "changer la vie" , poussant nombre d'ouvriers à descendre dans la rue pour faire la fête place de la Bastille au soir de son élection, le 10 mai 1981. Nous connaissons la suite. Très rapidement, dès 1982, la gauche a montré son vrai visage menant pendant des années les attaques sur les salaires, la santé, les grands plans de licenciements (sidérurgie, métallurgie, textile…), la flexibilité et la précarisation de l'emploi à travers les lois Aubry sur les 35 heures, la sécurité sociale, les retraites, l'éducation et bien d'autres questions touchant les conditions de vie ouvrières. Ces attaques furent possibles en grande partie du fait des illusions de la classe ouvrière sur la nature du parti socialiste…, illusions que LO avait grandement contribué à propager.
26 ans après, LO persiste et signe... toujours en invoquant l'amnésie de la classe ouvrière, la nécessité pour les travailleurs de faire leur propre expérience… Avec LO, la classe ouvrière doit repartir sans cesse de zéro. Cela est révélateur du mépris avec lequel cette organisation considère toujours le prolétariat comme une espèce de "poisson rouge" qui, tournant en rond dans son bocal avec sa mémoire n’excédant pas les 20 secondes, dirait, à chaque tour (électoral) sourire aux lèvres à ses exploiteurs: "bonjour, enchanté, qui êtes-vous ? ".
Lutte Ouvrière peut toujours prétendre qu'elle est dans le camp des travailleurs, en tenant des discours radicaux sur le capitalisme ou en formulant des critiques sur les autres partis de gauche, sa véritable fonction, c'est de recrédibiliser le cirque électoral en ramenant chaque prolétaire tenté de s'en détourner dans les isoloirs. LO est un spécialiste du rabattage électoral, qui ne cesse de semer des illusions tant sur le pouvoir du vote que sur la nature des partis de gauche. Si elle refuse de signer un chèque en blanc au PS et au PC, c'est tout simplement parce qu'ils ont un compte commun.
Les plus grands ennemis de la classe ouvrière sont ceux qui avancent masqués. La classe ouvrière doit retrouver sa mémoire pour confondre de tels "faux amis" qui sont autant d'entraves pour le développement de sa conscience.
Ross (17 février)