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Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un courrier de lecteur qui s'interroge sur le devenir des luttes ouvrières. La préoccupation centrale du camarade est de comprendre comment et où vont se développer les futurs combats de la classe ouvrière.
LE COURRIER
« Chaque année environ 1% de la population chinoise (soit 13 000 000 de personnes, voire plus, soit une population au moins égale ou supérieure à celle de la Belgique) quitte les campagnes pour les villes. Ce phénomène est le même qu'a connu l'Europe au 19e siècle, sauf que les proportions ont changé et constituent une première historique.
La "classe moyenne", distinction de la sociologie bourgeoise, augmente numériquement, à vitesse grand V, et nous ne sommes qu'au début de ce processus. Mais ceci nous renseigne sur la taille du marché intérieur qui augmente tous les jours en Chine et qui est une convoitise de l'impérialisme unitaire. La Chine est dans sa phase de maturité impérialiste et une "aristocratie ouvrière" se forme déjà et se formera durant la prochaine génération. L'Inde ne la suit qu'avec quelques années de retard, on parle du tiers de l'humanité.
Ce sont ces 1% qui caractérisent notre époque. Ils sont la substance inflammable des futures luttes de classes qui seront d'abord juste économiques. Puis viendront les luttes politiques du prolétariat dont les rangs croissent très vite. L'impérialisme est réactionnaire sur toute la ligne c'est certain, mais cela ne veut pas dire que les capacités productives ne se développent plus.
A défaut de se développer d'un point de vue qualitatif (capacités destructives et crises), elles se développent d'un point de vue quantitatif. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de putréfaction de l'impérialisme qui voit ses contradictions augmenter et qui connaît des crises partielles ou locales elles-mêmes fruit de ce développement […]. Car DANS SON ENSEMBLE, le capitalisme trouve aujourd'hui des solutions et c'est pour cela qu'il n'y a pas de crise aiguë et qu'on connaît une telle passivité sociale dans les métropoles opulentes de l'impérialisme (les luttes de classe en Europe et aux States sont très faibles aujourd'hui) […]. »
NOTRE REPONSE
Les trois idées fondamentales défendues par ce riche courrier sont donc:
1. Le capitalisme ne connaît que des "crises partielles ou locales" car "dans son ensemble", il "trouve aujourd’hui des solutions" lui évitant toute "crise aiguë". Mieux, des pans entiers du globe, comme la Chine et l'Inde, sont en plein boom économique.
2. Cette bonne santé du capital expliquerait la "passivité" des ouvriers d'Europe et d'Amérique du nord, douillettement installés dans le confort des "métropoles opulentes".
3. Ainsi, à l'avenir, l'espoir reposerait sur les épaules de la masse ouvrière des régions d’Asie, véritable "substance inflammable des futures luttes".
Le capitalisme est un système agonisant
Tenter de comprendre comment a évolué le capitalisme ces dernières décennies, comme le fait le camarade, est évidemment primordial. La physionomie de la classe ouvrière a bien changé depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Europe, et en partie les Etats-Unis, se sont progressivement désindustrialisés. Aujourd'hui, les ouvriers, lorsqu’ils ne sont pas au chômage, travaillent majoritairement dans le tertiaire. Par contre, en Amérique latine et surtout en Asie, la classe ouvrière industrielle a connu une très forte croissance numérique, jusqu'à représenter 80% des travailleurs de ce secteur.
Mais toutes ces mutations sont-elles réellement le fruit de la vitalité économique du capitalisme au niveau mondial, comme aimerait nous le faire croire la propagande bourgeoise? Evidemment, non. Au contraire ! C’est bien à cause de l’aggravation inexorable de la crise économique depuis la fin des années 1960 que la bourgeoisie des pays centraux a fermé les usines, délocalisé dans les pays du Tiers-Monde, là où la main d’œuvre est moins chère, et jeté sur le pavé des millions de prolétaires. La tendance à la disparition des ouvriers du secteur industriel en Europe s’est soldée par des charrettes de licenciements et par le surgissement du chômage massif dans les "métropoles opulentes".
Le capitalisme, comme un tout, est un système agonisant. Au milieu de la concurrence effrénée que se livrent toutes les nations, au gré des enjeux géostratégiques, des alliances, des fuites dans l'endettement et des déréglementations monétaires, certains pays durant quelques années peuvent connaître une forte croissance. Mais chaque fois, implacablement, la crise ressurgit plus forte encore, balayant toutes les illusions véhiculées par les médias sur ces prétendus "miracles économiques". Tel fut le sort de l'Argentine et du Brésil dans les années 1980, des « tigres et des dragons » dans les années 1990. Tel sera le sort de la Chine et de l'Inde dans les années à venir 1. Contrairement à ce que pense notre lecteur, le processus de prolétarisation de la classe exploitée en Asie n'est absolument pas "le même que celui qu’a connu l’Europe au 19e siècle". Aucune "aristocratie ouvrière" 2 ne "se forme" et aucune ne se "formera durant la prochaine génération". En Chine, comme en Inde, la tendance réelle est à la paupérisation extrême de la classe ouvrière. L'exploitation y est forcenée. Les usines sont de véritables "bagnes industriels" : les ouvriers mangent et dorment sur place, travaillent plus de 70h par semaine… tout cela pour être au bout de quelques mois tout simplement jetés sur le trottoir, épuisés 3. Et si dans la période d’ascendance du capitalisme, les ouvriers de la vieille Europe au 19e siècle voyaient peu à peu leurs conditions de vie s'améliorer au fil des réformes résultant de leurs luttes, les prolétaires d'Asie n’ont, quant à eux, qu’une seule perspective : encore et toujours plus de surexploitation et de misère. Aujourd’hui, les conditions de vie de tous les ouvriers, sur les cinq continents, sont marquées du sceau de la décadence du capitalisme, de sa crise économique insurmontable et toujours plus aiguë.
L'expérience de la classe ouvrière d'Europe est un trésor pour le prolétariat mondial
En qualifiant la classe ouvrière d'Europe de "passive" et celle d'Asie de "substance inflammable", le camarade sous-entend que l'avenir du combat dépend des travailleurs de Chine et d'Inde. Ce serait cette partie du prolétariat qui pourrait entraîner derrière elle ses frères de classe pour l'instant trop apathiques dans les pays d’Europe occidentale et d’Amérique. Il est vrai que face à leurs conditions de vie effroyables, les ouvriers d'Orient entrent en luttent massivement quand ils déclenchent une grève, comme en mai et juin 2006, au Bengladesh, quand deux millions d'ouvriers du textile ont mené une lutte spectaculaire par son ampleur et sa combativité. Mais au-delà du nombre et de la colère, l'aspect central du développement des luttes futures est la conscience.
En effet, pour la première fois de l'Histoire, la classe révolutionnaire est une classe exploitée. Ne disposant d'aucun pouvoir économique dans la société, elle tire sa force non seulement de son nombre et de sa concentration sur les lieux de production, mais aussi et surtout de son éducation et de sa conscience. Sa capacité à s'organiser collectivement dans la lutte, à se reconnaître en tant que classe, à développer en son sein, entre les différents secteurs et entre les différentes générations, l'unité et la solidarité… voila ce qui constitue la puissance du prolétariat. Ce n'est donc pas par hasard si c'est aujourd'hui au cœur de l'Europe que la classe ouvrière redécouvre la prise en main de ses luttes par les assemblées générales souveraines, comme ce fut le cas durant la lutte contre le CPE en France ou pendant la grève des métallurgistes de Vigo, en Espagne, au printemps 2006. Certes, ces luttes sont encore bien insuffisantes en comparaison des guerres et des famines qui ravagent la planète. Mais le plus significatif n'est pas tant l'ampleur de ces luttes que la réflexion dans les rangs ouvriers qu’elles révèlent. Il ne faut pas s'y tromper, une lutte comme le mouvement des jeunes générations de la classe ouvrière contre le CPE indique clairement que notre classe a ouvert une perspective la menant, à terme, vers les luttes de masses. Et c'est justement cette dynamique que la bourgeoisie tente par tous les moyens de cacher, ne reculant devant aucun mensonge sur les luttes quand elle ne les passe pas tout simplement sous silence. La grève exemplaire des métallurgistes de Vigo fut ainsi écrasée sous une véritable chape de plomb médiatique.
Les ouvriers d'Europe ont une expérience, une histoire qui leur confèrent la responsabilité d'être la référence principale des luttes internationales. Evidemment, les ouvriers des pays d'Asie ou d'Amérique du Sud sont confrontés à des conditions de vie terribles, et leur colère ne peut être qu'immense. Mais c'est en Europe que le capitalisme est né. C'est en Europe, sur finalement un tout petit territoire, que des millions d'ouvriers vivent depuis deux siècles, accumulant les expériences de lutte, la confrontation aux pièges les plus sophistiqués de la bourgeoisie, au sabotage syndical ou à la mystification démocratique. C'est aux ouvriers d'Europe que revient la tâche de montrer le chemin, en indiquant les buts et les méthodes qui permettent le développement de l'unité, de la solidarité et de la confiance au sein du prolétariat.
Le capitalisme est un système en faillite. Il attaque dans tous les pays la classe ouvrière. En Allemagne, aux Etats-Unis, en Chine ou ailleurs, le seul avenir qu'il nous réserve c'est toujours plus d'exploitation et toujours plus de misère. Mais face aux coups de boutoir de la crise économique, le prolétariat relève peu à peu la tête, resserre les rangs, pour aller uni au combat. La lutte de la classe ouvrière est par essence internationale : elle est comme un tremblement de terre dont les ondes se propagent aux quatre coins du globe. L'épicentre de ce séisme se situe en Europe, dans le berceau du capitalisme. Ce prolétariat, le plus expérimenté, chargé d'histoire, a la possibilité et la responsabilité de développer ses luttes, d'entraîner derrière lui tous ses frères de classe des autres régions du monde. Pour cela, il va devoir continuer son travail de ré-appropriation de son propre passé, masqué derrière le fatras idéologique et les mensonges de la bourgeoisie. Quant aux révolutionnaires, l'une de leurs tâches est de transmettre dans tous les pays le meilleur de la tradition de la lutte ouvrière, passée, présente et à venir. C'est ce que fit, par exemple, le CCI lors du mouvement anti-CPE en France en rompant le black-out international orchestré par la bourgeoisie.
Pawel
1 Nous ne pouvons ici, en quelques lignes, développer suffisamment ce que représente réellement la croissance économique en Chine, pourquoi sa nature révèle, elle aussi, la faillite du capitalisme. Nous reviendrons sur cette question importante dans de futurs articles et nous encourageons tous nos lecteurs à participer à ce débat, à venir l'enrichir de leurs questions, doutes et analyses en nous écrivant.
2 Le terme "aristocratie ouvrière" renvoie à une conception particulière de la classe ouvrière avec laquelle nous sommes en total désaccord. Pour en savoir plus, lire notre article : "Aristocratie ouvrière: une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière", disponible sur notre site Internet, www.internationalisme.org
3 Pour se faire une idée des conditions effroyables de vie et d'exploitation en Chine, lire "Temps moderne, horaires antiques" de Pietro Basso.