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Le CCI (Courant Communiste International) et OPOP (Oposição Operária) ont tenu des réunions publiques communes fin mai 2006 à Salvador et à Vitoria da Conquista. Le thème central en a été "Le mouvement des étudiants contre la précarité". A Salvador, les camarades de OPOP présentèrent les mobilisations de 2003 dans l’Etat de Bahia, animées par la jeunesse scolarisée, contre l’augmentation des prix des transports (baptisées aussi "la révolte de Buzu", du nom donné par les habitants de Salvador aux bus des transports en commun) ; pour sa part, le CCI a présenté le mouvement de ce printemps des étudiants en France contre le Contrat Première Embauche (CPE).
Nous invitons nos lecteurs à prendre connaissance du compte-rendu exhaustif de ces réunions publié sur Internet (sur nos pages en langue espagnole ou portugaise), notamment concernant la présentation des mobilisations de 2003 au Brésil, essentiellement lycéennes, contre l’augmentation du coût des transports et peu connues en dehors de ce pays. De même, nous ne pouvons pas revenir ici en détail sur le mouvement des étudiants du printemps en France. Nous invitons nos lecteurs, ici aussi, à consulter notre site ou nos publications précédentes.
Le contexte de ces mouvements
Les discussions ont été très riches et animées. Ce qui surprit agréablement les participants, et que la présentation faite par le CCI leur permit de comprendre, c’est la dimension réelle du mouvement en France, tout à fait différente de celle dont les médias au Brésil (ainsi que dans le reste du monde) avait rendu compte. Ceux-ci avaient déformé totalement l’évènement en le présentant comme la suite des émeutes qui s’étaient développées en France fin 2005, dans les banlieues de Paris et d’autres villes importantes, et sur lesquelles ils s’étaient largement épanchés. Plusieurs participants témoignèrent du fait que, concernant le mouvement contre le CPE, les medias avaient mis particulièrement l’accent sur les actions violentes d’affrontement avec la police.
Un autre aspect qui attira positivement l’attention des participants a été le cadre donné par nos deux organisations pour analyser les luttes "du Buzu" et contre le CPE, leur permettant de comprendre que ces mouvements, dans lesquels les jeunes générations ont été à l’avant-garde, n’étaient pas des événements isolés dans le temps et dans l’espace mais faisaient partie du lent mais persistant réveil de la classe ouvrière, la " vieille taupe " dont parlait Marx pour se référer au mouvement souvent imperceptible du prolétariat vers la destruction révolutionnaire du système capitaliste.
Dans ce sens, les deux mouvements s’inscrivent à la suite des luttes que le prolétariat en France et en Autriche a commencé en 2003 contre les attaques des systèmes de protection sociale, ainsi que des luttes des travailleurs au Brésil contre les attaques portées à ces systèmes par le gouvernement de gauche de Lula. Comme les grèves chez Mercedes en 2004 en Allemagne, celles du métro de New York en 2005 et celle des métallurgistes de Vigo en mai 2006 en Espagne, où les expressions de solidarité de classe ont été mises particulièrement en avant.
Au cours des discussions furent posées diverses questions très intéressantes, auxquelles répondirent tantôt des militants de OPOP ou du CCI. Nous en donnons ici un aperçu.
La spontanéité du mouvement est-elle quelque chose de nouveau ?
Effectivement, une des caractéristiques tant du mouvement de Salvador 2003 que des mobilisations contre le CPE a été leur caractère spontané. Ces mouvements surgissent spontanément comme riposte des jeunes générations de futurs prolétaires à la précarité que tente d’imposer la bourgeoisie par les mesures qu’elle prend pour affronter la crise économique. Le mouvement tend aussi à s’organiser spontanément en se donnant ses propres moyens de lutte. Dans le cas du mouvement des étudiants en France, cela put se concrétiser par des assemblées générales souveraines avec des délégués élus et révocables par celles-ci, des comités de grève, etc., grâce à la propre dynamique du mouvement et à la faiblesse relative des forces d’encadrement syndical dans ces secteurs, beaucoup moins fortes bien sûr que dans les lieux de travail. Le mouvement put ainsi s’opposer à l’action des syndicats et des organisations estudiantines qui tendent à maintenir le mouvement dans le cadre des barreaux de la légalité bourgeoise et à le contrôler pour mieux l’asphyxier.
La spontanéité n’est pas une nouveauté dans les luttes du mouvement ouvrier. Dès qu’il commence à se constituer en classe, le prolétariat lutte de façon spontanée contre les conditions d’exploitation que lui impose le capital. C’est ainsi qu’ont surgi les syndicats au 19e siècle. Cependant, quand ces organes ont été absorbés par l’Etat capitaliste au 20e siècle (notamment pour les besoins de l’embrigadement du prolétariat lors de la Première Guerre mondiale), le prolétariat a tendu spontanément, pour défendre ses intérêts de classe, à se doter d’autres moyens de lutte qui lui soit propres. L’expression la plus haute de cette capacité d’auto-organisation de la classe ouvrière est donnée, en période de lutte révolutionnaire, par la formation des conseils ouvriers, apparus pour la première fois en 1905 en Russie. Les AG autonomes (c’est-à-dire contrôlées par les ouvriers eux-mêmes) que tendent à former les ouvriers dans leur lutte quotidienne contre le capital sont la préfiguration de ces conseils ouvriers que fera surgir la classe ouvrière quand sa lutte révolutionnaire l’amènera à un affrontement décisif contre l’Etat capitaliste.
Ceci dit, le fait que les luttes soient spontanées ne signifie pas qu’elles surgissent du néant. L’explosion de luttes est le résultat de conditions historiques en lien avec le niveau atteint par la crise du capitalisme et par la conscience au sein de la classe ouvrière quant à l’incapacité du capitalisme à offrir un avenir à l’humanité. Ainsi les réactions des étudiants contre le CPE, par exemple, sont aussi le produit des attaques que subit depuis des années le prolétariat en France (et dans le monde) au niveau de la sécurité sociale, des salaires, des retraites, etc., avec toutes leurs conséquences pour l’ensemble des familles ouvrières.
Quel est le résultat organisationnel du mouvement en France ?
C’est une des questions importantes qui s’est posée lors des deux réunions, et qui exprime d’une certaine façon la préoccupation présente dans la classe ouvrière pour comprendre les avancées organisationnelles qui peuvent être réalisées dans un mouvement de l’envergure de celui qui a eu lieu en France. Nous avons probablement déçu quelques participants lorsque nous avons répondu que, malgré la capacité du mouvement à faire reculer la bourgeoisie française, il n’avait pas fait naître de nouvelle organisation, dans ou en-dehors des syndicats.
Du point de vue organisationnel, le mouvement a su générer diverses formes et moyens au feu de la lutte. Comme nous l’avons dit, les AG furent le poumon du mouvement et sa vitalité s’exprimait dans les débats et décisions qu’elles prenaient. Mais ces formes d’organisation ne pouvaient vivre que tant que se maintenait la mobilisation. Ayant réussi à faire reculer le gouvernement sur la revendication de retrait du CPE, la mobilisation cessa et, avec elle, les formes d’organisation qu’elle avait fait surgir.
Derrière ces questionnements de participants, il y a la préoccupation de pouvoir construire de nouvelles organisations permanentes de défense des intérêts de classe, mais différentes des syndicats puisque beaucoup des personnes présentes à ces réunions partageaient notre position sur la nature des syndicats, organes de l’Etat au sein de la classe ouvrière. Le mouvement contre le CPE vient montrer une fois de plus que les organes autonomes dont se dote la classe pour la lutte ne peuvent que disparaître avec son reflux. L’expérience du mouvement ouvrier montre que des organisations unitaires de défense des intérêts de la classe ouvrière ne sont capables de se maintenir dans le temps que dans les périodes prérévolutionnaires, quand le prolétariat a la force et la conscience nécessaires pour défier l’Etat bourgeois, comme le firent les conseils ouvriers en Russie en 1905 et en 1917, les ouvriers en Allemagne et d’autres pays d’Europe pendant la vague révolutionnaire mondiale qui suivit la Révolution russe. En dehors de ces moments, toute organisation unitaire de défense des intérêts de la classe ouvrière qui veut se maintenir de façon permanente tend inévitablement à se vider de ses effectifs et à être absorbée par l’Etat bourgeois.
Les " Cobas " en Italie (Comités de base), en 1987, constituent un exemple significatif de cette réalité. Cette année- là, la lutte hors et contre les syndicats des professeurs avait abouti, dans ce pays, à la constitution des Cobas, véritables organes de lutte, composés de délégués élus par les assemblées de lutte. Influencés par des organisations d’extrême gauche (trotskistes entre autres), une partie des Cobas se maintint après le mouvement en tant qu’organes prétendument représentatifs des professeurs. Ils finirent par devenir un nouveau syndicat, plus radical, mais au service lui aussi de l’Etat capitaliste.
Ceci ne veut pas dire que les luttes du prolétariat, et en particulier celles de grande envergure, ne laissent pas de profondes traces dans la classe ouvrière. Les leçons que laisse le mouvement en France, et qui doivent continuer d’être tirées, sont fondamentalement politiques : comment être forts face à l’Etat bourgeois, en ne comptant que sur ses propres forces, en s’organisant par soi-même, en mettant en pratique dès le début la solidarité de classe entre prolétaires de différents secteurs (actifs, chômeurs, futurs prolétaires…) et de différentes générations ? Comment s’organiser pour les luttes futures, comment contrecarrer les manœuvres de l’Etat, surtout celles des partis de gauche et des syndicats ?
Quel est le lien entre le mouvement des étudiants contre le CPE
et les révoltes des banlieues fin 2005 ?
La crise du capitalisme, qui engendre le chômage, la précarité et l’exclusion sociale parmi des millions de jeunes dans le monde, est évidemment à la racine des deux mouvements, comme le désespoir qu’offre le capitalisme aux fils de la classe ouvrière et l’indignation que cette situation suscite.
Il y a cependant deux aspects qui montrent une différence fondamentale entre les deux mouvements : la question des méthodes de lutte et celle de la solidarité. En effet, les émeutes des banlieues ne peuvent être considérées comme des formes même embryonnaires de la lutte de classe, parce qu’elles expriment fondamentalement un désespoir total face à la situation. Les composantes essentielles des mouvements prolétariens –la solidarité, l’organisation, le contrôle collectif et conscient de la lutte– non seulement furent totalement absentes des émeutes, mais elles furent même rejetées.
Le mouvement des étudiants fut une leçon concrète de la façon dont un mouvement qui emploie des méthodes prolétariennes de lutte peut donner une perspective à des jeunes et à des couches désespérées de la population qui utilisent la révolte pour exprimer leur indignation. Ainsi, les jeunes des banlieues qui participèrent massivement aux manifestations ont pu assumer des méthodes de lutte totalement opposées à celles des émeutes de 2005.
Quelques groupes de jeunes des banlieues, probablement manipulées par l’Etat, participèrent à des actions violentes d’affrontement contre la police et en arrivèrent même à attaquer les manifestants. Cependant, la réponse du mouvement ne fut pas de recourir, contre eux, à l’adage " œil pour œil, dent pour dent ", bien au contraire certaines AG décidèrent d’envoyer des délégations dans les banlieues pour expliquer à ces jeunes que la lutte contre le CPE était aussi une lutte qui les concernait, puisqu’elle attaquait les mesures imposées par l’Etat et qui à la longue accentuent le chômage et l’exclusion sociale.
La discussion permit de mettre au clair en particulier que c’est la solidarité et le rejet de la violence au sein de la classe qui caractérise un mouvement de classe du prolétariat.
Comment peut-on comparer le mouvement des étudiants de 2006 avec celui de mai 68 ?
Cette question fut posée surtout par quelques-uns des participants à la réunion publique qui avaient connu le mouvement de mai 68 en France et avaient été influencés par lui.
Ces deux mouvements sont l’expression d’une agitation sociale qui, d’une certaine façon, annonçait un changement important au niveau de la lutte de classe. Mai 68 ouvrit une dynamique de lutte de classe qui se développa jusqu’aux années 80, par de nombreuses et importantes luttes dans plusieurs pays. La plus importante et significative fut la grève de masse des ouvriers en Pologne en 1980.
La crise inexorable du capitalisme est à la base de ces deux mouvements. Cependant, il faut remarquer une différence importante entre eux : en mai 68, la crise capitaliste faisait à peine son apparition après les décennies de " prospérité " qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, alors que le mouvement de 2006 surgit après plusieurs décennies de crises du capitalisme, qui n’ont cessé d’attaquer les conditions de vie des familles prolétaires et ont fait croître de façon exponentielle les couches d’exclus sociaux. Dans ce sens, les jeunes qui protestaient en 68 ne sentaient pas le poids de la crise de la même manière que les jeunes qui aujourd’hui protestent contre le CPE.
Les mouvements comme celui des étudiants contre le CPE manifestent un degré de maturité plus élevé des nouvelles générations de prolétaires, qui se posent des questions sur le futur que leur offre cette société. Si nous la comparons à 68, une caractéristique significative de la période actuelle est précisément que les jeunes décident de " rentrer en scène " et de s’opposer à la précarité. C’est en cela que le mouvement des étudiants en France, comme celui de Buzu au Brésil, rompt avec les schémas classiques des " mouvements étudiants " traditionnels qui défendent la plupart du temps des revendications corporatistes, car noyés dans un milieu interclassiste, voire même nationaliste.
L’importance de ces "espaces prolétariens"
Ce terme "d’espace prolétarien" vient d’un des participants à une réunion publique et il correspond à l’état d’esprit qui dominait dans ces réunions. Il ne peut que motiver nos deux organisations, le CCI et OPOP, pour continuer à travailler ensemble à ce que ces "espaces prolétariens" se maintiennent et se développent. Malgré les questions en attente de discussion entre nos deux organisations, un accord sur les questions fondamentales s’est vérifié dans les réponses qui furent données aux diverses questions posées par l’assistance.
Une fois de plus, le CCI remercie les camarades de OPOP pour leur engagement et leur enthousiasme dans l’organisation de ces réunions, qui ont constitué une condition essentielle de leur tenue. Mais nous remercions surtout les camarades qui ont répondu à notre appel et qui par leurs interventions contribuent à forger une perspective prolétarienne mondiale. Nous les invitons à participer aux prochaines réunions que nous organiserons, comme nous les invitons à nous faire parvenir leurs commentaires sur le bilan que nous faisons ici de cette importante rencontre du prolétariat qui s’est réalisée au Brésil en mai 2006.
CCI (Juillet 2006)