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Nous publions ci-dessous
la première partie du compte-rendu d'une réunion publique du Bureau
International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) qui s'est tenue le 15 mai à
Berlin, à laquelle le CCI a participé, et portant sur les causes de la guerre
impérialiste. La seconde partie de ce compte-rendu sera publiée dans le
prochain numéro de RI. Si nous avons pensé nécessaire d'accorder une telle
place pour répercuter les arguments échangés au cours de cette discussion, cela
tient évidemment à l'intérêt du débat qui s'y est déroulé. De plus, cela
permettra utilement à tout élément intéressé de mieux connaître ce qui unit et
ce qui distingue, sur cette question de la guerre, les deux principales
organisations de la Gauche communiste.
Un porte-parole de Battaglia
Comunista[1] a
fait la présentation qui portait sur les fondements de la guerre en Irak et la
politique actuelle des Etats-Unis. Le camarade a développé l’analyse du BIPR,
selon laquelle "la croisade américaine contre le terrorisme" avait
principalement des buts économiques : le renforcement du contrôle
américain sur les réserves de pétrole dans le monde, de façon à consolider
l’hégémonie du dollar sur l’économie mondiale et de récupérer un profit
supplémentaire de la "rente pétrolière". Suite à l’affaiblissement de
leur compétitivité, les Etats-Unis doivent recourir à l’appropriation
parasitaire de la plus-value produite dans le monde entier pour maintenir leur
économie à flot. De plus, il a été dit que des considérations stratégiques
jouent aussi un rôle, souvent en lien avec le contrôle des réserves de pétrole,
visant à séparer la Russie et la Chine l’une de l’autre et des champs
pétrolifères importants, et à faire en sorte que l’Union Européenne reste
faible et divisée.
Cette analyse a suscité différentes réactions de la part des participants à la
réunion publique. Alors qu’un camarade des "amis d’une société sans
classe" (FKG) –qui avait d’abord été un fondateur du groupe
"Aufbrechen"- saluait la capacité du BIPR d’identifier les causes
économiques concrètes de la guerre, le porte-parole du groupe GIS ("Gruppe
Internationale Sozialistinnen") exprimait des doutes sur cette analyse. Il
soulignait que le fait pour les Etats-Unis d'acquérir des liquidités
financières internationales est d’abord et avant tout l’expression d’une
politique classique d’endettement. De plus, il a réaffirmé le point de vue
qu’il avait déjà défendu à la précédente réunion publique du BIPR, à savoir que
les efforts pour dominer militairement les ressources pétrolières ont des buts
plus militaires qu’économiques. Un membre du groupe "International
Communists", pour sa part, relevait qu’il n’y a pas que les Etats-Unis,
mais aussi les autres grandes puissances impérialistes, et en premier lieu les
Etats européens, qui se battent actuellement pour dominer le monde. Il exposait
la thèse selon laquelle, alors que les Etats-Unis mettaient surtout leur
puissance militaire dans la balance, les banques européennes y mettaient
principalement leur pouvoir économique.
La critique du CCI à l’analyse du BIPR
Dans sa première contribution à la discussion, le CCI a traité de l’argumentation du BIPR. Selon ces arguments, les Etats-Unis ont dans une grande mesure perdu leur compétitivité sur le marché mondial. De façon à compenser les effets de cet affaiblissement –déficits gigantesques de la balance commerciale et des comptes, dette publique croissante, l’Amérique déclenche la guerre aux quatre coins du monde en vue d’attirer du capital, via le contrôle du pétrole et l’hégémonie du dollar.
Du point de vue du CCI, cette analyse est très dangereuse politiquement parce qu’elle examine les causes de la guerre impérialiste à partir de la situation particulière d’un Etat donné au lieu de le faire à partir du stade de développement et de maturité des contradictions du système capitaliste dans son ensemble. Rien d’étonnant alors à ce que cette analyse soit similaire aux grandes lignes des arguments du camp anti-mondialisation pro-européen, ou des sociaux-démocrates de gauche allemands comme Oskar Lafontaine, qui expliquent l’aiguisement des tensions impérialistes par le caractère soi-disant particulièrement parasitaire de l’économie américaine.
En second lieu, cette analyse est incapable de répondre aux deux questions suivantes :
- pourquoi l’économie des Etats-Unis –qui sont encore le capitalisme le plus puissant du monde, avec les plus grandes compagnies, avec une culture nationale particulièrement bien adaptée aux besoins du mode de production capitaliste– rencontre-t-elle de tels problèmes au niveau de la concurrence internationale ?
- pourquoi la bourgeoisie américaine ne réagit-elle pas à ce problème en faisant ce qui serait le plus facile et le plus logique, des investissements massifs dans son appareil de production de façon à reconquérir sa marge concurrentielle ? Au lieu de cela, pourquoi réagit-elle, comme Battaglia affirme qu’elle le fait, en répandant la guerre à travers la planète ?
En réalité, le Bureau International confond ici cause et effet. Ce n'est pas parce qu'elle a perdu de sa compétitivité que l’Amérique s’arme jusqu’aux dents. A l'inverse, c'est cette perte réelle de son avantage dans la concurrence économique qui résulte des efforts qu'elle a consentis dans la course aux armements. Une telle évolution n’est pas, de plus, une spécificité de l’impérialisme américain. Le principal rival de longue date de l’Amérique, l’URSS, s’était déjà écroulée en grande partie pour s’être armée jusqu’à la mort. La vérité, c’est que le gonflement du budget militaire, aux dépens du développement des forces productives, et l’assujettissement progressif de l’économie au militarisme, sont des caractéristiques essentielles du capitalisme pourrissant.
En troisième lieu, il est vrai que dans le capitalisme, crise et guerre sont inséparables. Mais ce lien entre les deux n’est pas celui de la thèse simpliste de la guerre pour le pétrole ou pour l’hégémonie du dollar. Le lien réel entre les deux, on peut le voir, par exemple, dans la constellation qui a conduit à la Première Guerre mondiale. A cette époque, il n’y avait pas de dépression économique comparable à celle qui a éclaté plus tard, en 1929. La crise de 1913 avait encore à la base un caractère de crise cyclique et était en réalité relativement modérée. Il n’y avait pas de crise commerciale, du budget de l’Etat ou de la balance des comptes en Grande-Bretagne, en Allemagne ou chez les autres principaux protagonistes, comparable de quelque façon que ce soit à la crise d’aujourd’hui, il n'y avait pas non plus de turbulences monétaires particulières (à cette époque, l’étalon-or était universellement reconnu). Néanmoins, la première conflagration impérialiste mondiale a eu lieu. Pourquoi ? Quelles sont les lois générales de l’impérialisme qui sont à la base de la guerre moderne ?
Plus un Etat capitaliste est développé, plus la concentration de son capital est puissante, plus grande est sa dépendance vis-à-vis du marché mondial, plus il dépend de l’accès aux ressources du globe, et de sa domination sur elles. C’est pourquoi, à l’époque de l’impérialisme, chaque Etat est contraint d’essayer d’établir une zone d’influence autour de lui. Les grandes puissances considèrent nécessairement que le monde entier est leur zone d’influence –rien de moins ne suffit à sécuriser les fondements de leur existence. Plus la crise économique est forte, plus la bataille pour le marché mondial est forte, et plus ce besoin est ressenti de façon impérieuse.
L’Allemagne a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne en 1914, non pas à cause de sa situation économique immédiate, mais parce que, pour une telle puissance dont le sort dépendait de plus en plus fortement de l’économie mondiale, il n’était plus tolérable que son accès au marché mondial dépende en grande partie du bon vouloir de la Grande-Bretagne, la puissance dominante sur les océans et sur une grande partie des colonies. Cela signifie que la bourgeoisie allemande a choisi d’agir déjà au préalable, de façon à essayer de renverser la situation, avant qu’elle n’empire, comme ce sera le cas en 1929 où elle sera exclue en grande partie du marché mondial par les vieilles puissances coloniales, face à la dépression mondiale. C’est ce qui explique pourquoi, au début du 20e siècle, la guerre mondiale s’est produite avant la crise économique mondiale.
Le fait que les puissances capitalistes entrent de plus en plus brutalement en conflit les unes avec les autres signifie que les guerres impérialistes mènent de façon croissante à la ruine mutuelle des Etats qui participent à ces conflits. Rosa Luxembourg avait déjà souligné cela en 1916 dans sa Brochure de Junius. Mais la dernière guerre en Irak le confirme aussi. L’Irak était autrefois, à la périphérie du capitalisme, une des sources les plus importantes de grands contrats lucratifs pour l’industrie européenne et américaine. Aujourd’hui, non seulement la crise économique du capitalisme, mais surtout les guerres contre l’Iran et l’Amérique, ont complètement ruiné l’Irak. L’économie américaine elle-même subit un nouveau coup du fait des dépenses militaires exorbitantes en Irak. Derrière l’idée que la guerre actuelle a été déclenchée à cause de spéculations monétaires ou d’une prétendue "rente pétrolière" se cache le fait de croire que la guerre est encore lucrative, que le capitalisme est encore un système en expansion. Il n’y a pas que la politique des Etats-Unis mais aussi le terrorisme des Ben Laden et Cie qui a été interprété dans ce sens par le porte-parole de Battaglia qui présente ce dernier comme étant l’expression d’une tentative des "200 familles d’Arabie saoudite" d'acquérir une plus grande part des profits de leur propre production de pétrole.
Le danger de l’empirisme bourgeois
Après que le BIPR et le CCI aient tous les deux présenté leurs propres points de vue sur les causes de la guerre, un débat intéressant et vivant a eu lieu. On pouvait remarquer que les participants à la réunion étaient très intéressés à mieux connaître les positions des deux organisations présentes de la gauche communiste, insistant pour que les deux groupes se répondent l’un l’autre. Les camarades ne se limitaient pas à poser des questions mais ont porté eux-mêmes des objections et fait des critiques.
Par exemple, un camarade du FKG a accusé le CCI de "basse polémique" sur la base de notre comparaison entre l’analyse du BIPR et celle du mouvement anti-mondialisation. Il a souligné que faire ressortir le rôle d’agresseur des Etats-Unis aujourd’hui n’avait rien de commun avec la minimisation du rôle de l’impérialisme européen faite par ses sympathisants bourgeois. Il a montré, ce qui est correct, que dans le passé aussi, les internationalistes prolétariens avaient analysé le rôle d’Etats particuliers dans le déclenchement des guerres impérialistes, sans pour autant se rendre coupables de concessions à l’égard des rivaux de ces Etats.
Toutefois, la critique faite par le CCI ne concernait pas l’identification des Etats-Unis comme principal fauteur des guerres actuelles, mais concernait le fait que les causes de ces guerres ne se trouvaient pas dans la situation de l’impérialisme dans son ensemble, mais se réduisaient à la situation spécifique des Etats-Unis.
Le porte-parole de Battaglia, pour sa part, ne niait pas du tout la ressemblance entre l’analyse faite par son organisation et celle de différents courants bourgeois. Il donnait pour argument, cependant, que cette analyse, dans les mains du BIPR, s’enracinait dans une vision du monde tout à fait différente, une vision prolétarienne. Ce qui est encore le cas, heureusement. Mais nous maintenons qu’une telle analyse ne peut qu’affaiblir non seulement l’efficacité de notre combat contre l’idéologie de la classe ennemie, mais surtout qu’elle ne peut que saper la fermeté de notre propre point de vue prolétarien.
A notre avis, la ressemblance entre l’analyse du BIPR et le point de vue bourgeois pour l’opinion courante est le résultat du fait que les camarades ont eux-mêmes adopté une approche bourgeoise. C’est cette démarche que nous avons appelé empirisme, et par là nous voulons dire la tendance de fond de la pensée bourgeoise à être entraînée sur de fausses pistes par certains faits particuliers remarquables, au lieu de découvrir, grâce à une approche théorique plus profonde, le lien réel entre les différents faits. Un exemple de cette tendance du BIPR a pu être donné, pendant la discussion, par la façon dont il présentait le fait que, sans l’afflux constant de capital étranger, l’économie américaine s’effondrerait ; pour cette organisation, cela constituerait la preuve que la guerre d’Irak servait à obliger les autres bourgeoisies à prêter de l’argent à l’Amérique. En réponse à cela, nous avons rappelé que ce qui est certain, c’est que sans ces prêts et ces investissements, l’économie des Etats-Unis subiraient un repli ; c’est déjà en soi une obligation suffisante pour faire que les capitalismes japonais et européen continuent à acheter des actions et des bons américains. Ils ne survivraient pas eux-mêmes à un effondrement des Etats-Unis[2].
Dans la seconde partie de cet article sera abordée plus explicitement la question du lien existant entre la crise économique et guerre impérialiste à la lumière de la critique marxiste des fondements mêmes de l'économie capitaliste. En particulier, sera critiquée cette idée défendue par le BIPR selon laquelle "une destruction généralisée ouvrirait la route à une nouvelle phase d’accumulation", autrement dit à une nouvelle phase de prospérité capitaliste.
Welt Revolution(section du CCI en Allemagne)
[1] Organisation fondatrice, avec la CWO, du BIPR.
[2] Nous pourrions ajouter ici que, malgré leur rivalité avec les Etats-Unis, ses rivaux continueront à placer leurs capitaux dans l’économie la plus stable qui existe, puisque ce pays, dans le futur prévisible, restera, militairement et économiquement, le pays le plus fort du monde.