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L'idéologie
dominante, à travers d'incessantes campagnes, véhicule
tout un arsenal de mensonges et de mystifications qui ont pour but de
creuser le fossé le plus large possible entre la classe ouvrière
et son expérience du passé. A tel point qu'il est plus
que fréquent d'entendre autour de nous s'exprimer des doutes
sérieux sur la classe ouvrière, sur son existence même,
et donc encore davantage sur sa capacité à affronter une
bourgeoisie considérée comme toute puissante.
Ces doutes ne remettent pas tellement en cause la nécessité
d'un "autre monde". Il y a aujourd'hui de plus en plus de
réflexions qui naissent sur la nécessité de changer
la société dans laquelle nous vivons. La bourgeoisie ne
s'y est pas trompée quand elle a mis en route son incroyable
battage altermondialiste. Ces questionnements ne sont peut-être
pas toujours très développés, mais quand ils existent,
ils arrivent toujours à la question centrale : qui peut changer
ce monde ? Les révolutionnaires disent : la classe ouvrière,
et elle seule. Les altermondialistes disent : l'individu, le citoyen.
Il faut combattre cela, il faut réaffirmer avec force le fait
historique incontournable qui fait de la classe ouvrière la seule
classe révolutionnaire dans le capitalisme. Et il faut avant
tout être particulièrement fermes sur le fait que cela
est pleinement valable aujourd'hui, quoiqu'on dise sur la classe ouvrière.
Le recul de la conscience de classe
provoqué par l'effondrement du stalinisme
Ces doutes et ces remises en cause de la nature révolutionnaire
du prolétariat aujourd'hui ont plusieurs origines. Il y a d'abord
un constat immédiat et figé de la situation actuelle de
la classe ouvrière laquelle, elle-même, dans son immense
majorité, ne se reconnaît pas comme classe ; ce constat
est valable : la classe ouvrière a aujourd'hui, en grande partie,
perdu son identité de classe.
Ensuite, pour envisager la perspective de renverser le capitalisme,
il faut aussi avoir confiance en soi. Or, la classe aujourd'hui montre
qu'elle n'a pas cette confiance qu'elle avait manifestée en 1968,
de même que dans les années 1970 et 1980, lorsqu'elle développait
des vagues de luttes pour s'imposer contre les licenciements et la montée
du chômage ; et a fortiori il est clair que la classe ouvrière
n'a pas la confiance en elle qu'elle avait manifestée en 1917.
Est-ce qu'elle peut encore récupérer cette combativité,
cette confiance en soi, son identité de classe, sa perspective
propre, en tant que classe ?
Il est vrai qu'après l'effondrement du bloc de l'Est et l'effondrement
du stalinisme, la bourgeoisie, au niveau mondial, s'est employée
à bien enfoncer dans la tête de la classe ouvrière
que stalinisme égale communisme et marxisme et que tout cela
vient de s'effondrer, effaçant toute perspective d'avenir pour
le prolétariat. Cette campagne, massive, a eu un poids très
important. Ce poids n'a fait que renforcer encore les discours de toujours
de la bourgeoisie sur le fait que, de toutes façons, même
dans le meilleur des cas, la perspective du renversement du capitalisme
et de l'instauration d'une véritable société communiste,
c'est-à-dire enfin de la communauté humaine, est peut-être
une vision noble mais purement utopique étant donné ce
qu'est "la nature humaine", marquée par l'esprit individualiste,
de concurrence, la violence, etc.
En réponse à ces doutes, et face au poison idéologique
de l'altermondialisme qui considère le marxisme comme de l'idéalisme
et de l'utopie, nous affirmons au contraire que la classe ouvrière
est toujours capable de renverser le capitalisme. Pour cela, nous nous
appuyons sur plusieurs éléments. D'abord, la classe ouvrière
existe toujours. Contre les mensonges de la bourgeoisie sur la disparition
de la classe, assimilée aux ouvriers en bleu de chauffe, nous
affirmons que le prolétariat existe et n'a pas disparu. Tant
que le capitalisme existera, il ne pourra se passer d'une classe ouvrière.
Il ne faut pas oublier que la classe ouvrière est la seule véritable
source de création de richesses dans le capitalisme ; sans elle,
il n'y a pour ainsi dire pas de possibilité pour le capitalisme
de faire du profit. Ce profit provient in fine de l'exploitation de
la classe ouvrière par les capitalistes, et c'est contre cette
exploitation que la classe ouvrière est amenée à
lutter. Donc tant que la classe ouvrière existera, elle sera
obligée de lutter contre l'exploitation qu'elle subit, ce qui
contient, de façon générale, l'hydre de la révolution.
Les luttes récentes, en France, en Autriche, en Italie, en Grande-Bretagne,
malgré toutes leurs limites, viennent rappeler que les ouvriers
ne sont pas prêts à se laisser faire.
La faiblesse actuelle de la classe ouvrière est cependant réelle,
et elle s'explique : d'abord, dans l'histoire, ce n'est qu'à
certains moments qu'elle a pu manifester qu'elle n'était pas
seulement classe exploitée, mais aussi classe révolutionnaire,
et ceci à cause même de ses conditions de classe exploitée
: en 1848, en 1871, en 1905, en 1917. Ensuite, sa situation de faiblesse
actuelle s'explique par plusieurs facteurs : le fait qu'à la
suite du mouvement de mai 68, à cause de sa méfiance envers
le stalinisme, une méfiance fondée, elle avait rejeté
même les organisations prolétariennes. Ce faisant, elle
avait posé ses combats sur des bases politiquement bien trop
étroites et, de plus, elle avait encore des illusions sur le
fait que le capitalisme pouvait lui garantir encore un avenir. Enfin,
les campagnes consécutives à l'effondrement du stalinisme
lui ont porté un coup très rude, lui faisant payer la
faiblesse politique qu'elle avait manifestée malgré sa
combativité ; cela a mis en évidence que la confiance
qu'elle montrait, dans ses phases de luttes précédentes,
ne reposait pas sur des bases politiques suffisamment profondes. Le
développement lent de sa conscience a connu un coup d'arrêt
très fort avec les événements de 1989, coup d'arrêt
et même recul qui ont été le fruit de ces événements,
bien exploités par la bourgeoisie.
Des conditions actuelles spécifiques
Où en est la classe ouvrière aujourd'hui ? Face aux attaques
qualitativement différentes de celles des années 1970
et 1980, non seulement on voit qu'elle tend à redévelopper
sa combativité, même si c'est avec difficulté et
manque de confiance en elle, mais on voit, surtout, une maturation en
son sein qui commence, un questionnement. Ce questionnement qui se développe
aujourd'hui plus particulièrement dans une minorité significative
au niveau international exprime une tendance à ce que les questions
de fond sur la faillite du capitalisme qui n'étaient pas posées,
ou très insuffisamment dans les années 1970 et 1980, le
soient maintenant.
Il faut ajouter que c'est essentiellement une nouvelle génération
de prolétaires qui se pose ces questions de fond : "on nous
avait parlé d'une ère de paix et de prospérité
au début des années 1990 ; or depuis, on voit le développement
de la guerre, de la misère, du chômage, la dégradation
des conditions de vie, le développement du chaos et de la barbarie,
jusque dans le cœur même du capitalisme." Le terme "barbarie",
dans les années 1980, n'était utilisé que par les
révolutionnaires ; aujourd'hui il est dans la bouche de prolétaires
qui se posent des questions.
La massivité des attaques va obliger la classe ouvrière
à développer des combats de plus en plus massifs. Cela
ne se fera pas immédiatement, de manière mécanique
et linéaire. Le processus sera heurté, en dents de scie,
il y aura des moments difficiles. Mais bien plus important que de savoir
à quel rythme va se redévelopper cette combativité,
le phénomène que l'on observe de questionnement sur des
thèmes politiques globaux et de fond, contient la potentialité
d'une politisation des luttes à venir, sur des bases bien plus
profondes que celles des années 1970 et 1980. Cette politisation
potentielle est contenue dans ces questions de fond parce qu'elles orientent
vers une remise en question du capitalisme. Dans cette dynamique se
trouve la possibilité, pour la classe, à cause des luttes
de plus en plus massives qu'elle devra mener, de "se voir",
de se "reconnaître" en tant que classe, de retrouver
son identité de classe et, avec cela, le sens de la solidarité
prolétarienne, la possibilité de l'extension des luttes.
La tendance à la politisation la poussera à lutter de
façon plus déterminée et consciente.
Tout cela illustre le fait que le cours historique aux affrontements
de classe reste ouvert, ce qui veut dire que la classe ouvrière,
potentiellement, porte toujours en elle la possibilité de retrouver
la confiance en elle et de développer la conscience des enjeux
de ses combats et de sa responsabilité historique en leur sein.
Ce développement de la conscience, aujourd'hui, n'est pas spectaculaire,
il est même lent, il est fragile, mais malgré cela, il
est profond.
Les dangers qui guettent ce développement de la conscience de classe
Comme nous l'avons dit plus haut, les révolutionnaires ne sont
pas les seuls à avoir compris cette situation, la bourgeoisie
l'a même sans doute comprise avant eux. Elle ne reste pas les
bras croisés. Elle développe ses poisons idéologiques
comme l'alter-mondialisme pour tenter de faire avorter ce développement
de la conscience dans la classe. En effet, bien plus que de la combativité
de la classe, c'est de sa conscience qu'elle a peur. C'est ce développement
qu'elle redoute. Elle se sert et elle continuera à se servir
de la décomposition de sa société pour la retourner
contre le prolétariat, contre sa réflexion, contre le
développement de sa solidarité.
Nous allons donc vers une bataille idéologique de la bourgeoisie
pour tenter de pourrir le développement de la conscience. A côté
de l'alter-mondialisme et son lot de nationalisme et de réformisme
capitaliste d'Etat, on voit par exemple déjà aujourd'hui
comment est expliquée chaque fermeture d'usine pour empêcher
les prolétaires d'y voir une expression de la faillite du capitalisme
; on voit comment sont expliquées les guerres, comme produits
de la folie ou de la cupidité de certains dirigeants ou gouvernement,
voire de leur tyrannie…
Une chose doit être claire : le combat pour la révolution
ne se limite pas à celui de l'insurrection, il est quotidien.
C'est ce combat quotidien, pour développer la clarté politique,
pour combattre les mystifications de la bourgeoisie, qui, dès
aujourd'hui, la prépare.
La responsabilité des organisations révolutionnaires dans
ce processus actuel est essentielle. Il est nécessaire que les
révolutionnaires puissent intervenir dans les luttes et au sein
des minorités qui se posent des questions, afin de faire fructifier
cette maturation politique. Dans cette intervention, il faut dénoncer
tous les pièges et les mystifications de la bourgeoisie, se fonder
sur l'expérience historique de la classe, montrer la force de
la théorie marxiste, véritable arme de combat pour la
classe ouvrière et transmettre les acquis programmatiques et
organisationnels à la nouvelle génération à
la recherche d'une perspective révolutionnaire. Cette génération
est un terreau pour la préparation du futur parti, qui est indispensable
à la révolution, et pour une politisation plus large et
profonde des luttes. Les révolutionnaires doivent rappeler et
démontrer, haut et fort, que la classe ouvrière est toujours
capable de renverser le capitalisme et que le processus actuel de prise
de conscience de l'impasse du capitalisme, malgré le fait qu'il
soit encore embryonnaire, en est une claire manifestation.
Plus que jamais, nous voyons à quel point la lutte de classe
oppose les deux classes ennemies et à quel point la classe ouvrière,
loin d'être morte, conserve au contraire toutes ses potentialités.
C'est la confiance dans ces potentialités, dans le futur, qui
doit guider l'intervention des révolutionnaires. Nous devons
être parfaitement conscients, et c'est le marxisme qui nous permet
de le comprendre, que si la classe ouvrière ne parvient pas à
détruire le capitalisme, aucune autre force dans la société
n'en est capable. Si la classe ouvrière ne retrouve pas sa conscience
de classe révolutionnaire, le capitalisme ne pourra être
stoppé dans sa spirale destructrice. C'est pourquoi, quelles
que soient les difficultés qui attendent la classe ouvrière
sur son chemin, quelle que soit l'ampleur de la tâche qui attend
les révolutionnaires dans ce processus, il n'y a pas d'autres
voies possibles. Quand les révolutionnaires du début du
20e siècle posaient la question en ces termes : "socialisme
ou barbarie", ils résumaient on ne peut mieux l'alternative
placée devant l'humanité. Et au sein de cette humanité,
l'avenir repose sur la classe ouvrière et ses minorités
d'avant-garde.