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La véritable histoire de Lutte Ouvrière. Le livre est récent et son titre pour le moins alléchant.
- D'où vient la principale composante du mouvement trotskiste en France ?
- Où plonge-t-elle ses racines politiques ?
La question est d'autant plus légitime que l'on juge du camp auquel appartient une organisation politique dans un premier temps de sa filiation. Ce recueil d'entretiens réalisé par Christophe Bourseiller (écrivain et journaliste bourgeois intronisé pour l'occasion spécialiste de l'extrême gauche) avec le méconnu gourou de LO, Robert Barcia (alias Hardy), s'il sert avant tout de "coming out" pour ce dernier, une façon de polir l'image trop sectaire de son groupe, aborde tout de même le chapitre de l'origine historique de l'Union Communiste (nom politique de LO).
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement trotskiste en France ressemble à une nébuleuse de groupes vivant au rythme des scissions, rabibochage, nouvelle scission etc… C'est lors d'une de ces scissions qu'apparaît en octobre 1939 l'ancêtre de LO, le groupe Barta.
Cette naissance se fait dans un contexte historique brûlant qui représente pour
l'ensemble de la mouvance trotskiste, au niveau international, une véritable
mise à l'épreuve après dix ans de dérives opportunistes dont le point culminant
aura été le soutien au camp impérialiste républicain lors de la guerre
d'Espagne en 1936.
La trahison de l'internationalisme prolétarien était dans l'air et se posera
définitivement au cours de la Seconde Guerre mondiale.
"Les prolétaires n'ont pas de patrie", en tant que classe exploitée,
non possédante, la classe ouvrière n'a pas de capitaux à défendre. Pourtant,
c'est elle qui subit les massacres au front comme à l'arrière. "La
transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", comme le
proclamait les bolchéviks à partir de la première guerre mondiale, devient le
"seul slogan prolétarien juste" dans un monde capitaliste en
banqueroute. Dans ces conditions, toute organisation révolutionnaire venant à
exhorter les prolétaires à se draper de leur couleur nationale respective pour
finalement les voir s'entretuer, franchit le Rubicon séparant la classe ouvrière
de la bourgeoisie et perd à jamais son caractère prolétarien. Ce qui fut le cas
de la grande majorité de la social-démocratie qui vota les crédits de guerre en
août 1914, des PC stalinisés se vautrant dans les préparatifs guerriers dans
les années 1930 et enfin de la quasi totalité de la IVe Internationale
trotskiste[1] pendant
la seconde conflagration mondiale.
Le mouvement trotskiste en France abandonne la cause prolétarienne
En automne 1939, les deux principales fractions trotskistes existantes en France
sont le Comité français pour la IVe Internationale (composé d'anciens militants
du POI[2] et un
groupe d'ex-militants du PCI[3].
Chacune de ces deux chapelles prendra fait et cause pour l'un et l'autre des
camps impérialistes en présence, signant ainsi leur allégeance à la classe
dominante.
Ainsi, le groupe issu de l'ex-PCI, autour de Roger Foirier et Henri Molinier,
jouera un rôle dans les mouvements (tel le RNP[4] de
Marcel Déat) favorable au nazisme. En fait, les trotskistes de l'ex-PCI misent sur
la victoire de l'Allemagne. Etant donné qu'avec ce pronostic les organisations
fascistes seront amenées de plus en plus à encadrer les masses, la conclusion
de ce savant calcul, pour ne pas se couper de ces dernières, est de travailler
"à l'intérieur d'une organisation fasciste et dans ses milieux
dirigeants" (sic). De son côté le Comité (redevenu POI entre temps), animé
par Marcel Hic, vole au secours de la nation française occupée par
l'envahisseur allemand. La France étant présentée comme une nation "opprimée"
cela permet à Hic et ses acolytes de satisfaire à loisir leurs pulsions
chauvines au nom de la "libération nationale", comme en témoigne cet
extrait de leur journal La Vérité du 1er octobre 1940 : "Nous intégrer
dans le mouvement de patriotisme populaire, élargir notre base d'action, (…) ne
peut que nous permettre de progresser et d'enraciner notre activité dans les
masses. (…) C'est de l'initiative du peuple de France que dépend le relèvement
de notre pays. (…) Seule l'initiative populaire peut rendre la vie à la
France."
Il faudra l'entrée en guerre de l'URSS en juin 1941 pour que les trotskistes,
au nom de la sacro-sainte "défense de la mère patrie socialiste", se
rejoignent pour épouser les intérêts d'un seul et même camp bourgeois, celui
des alliés. Là encore, le journal La Vérité dans son n°18 du 1/08/1941 est on
ne peut plus explicite : "C'est l'intérêt et le devoir de tout ouvrier
français qui n'est pas aveuglé par ses intérêts de classe ou vendu aux nazis de
tout mettre en œuvre pour affaiblir dans son rayon d'action, les forces
étrangères qui nous oppriment en même temps qu'elles agressent l'URSS."
(Article au titre incantatoire : "IL FAUT DEFENDRE L'URSS"). C'est
sur ce terrain pourri et abondamment mystificateur que les trotskistes, tout au
long de la guerre, ont encouragé le prolétariat à abandonner ses intérêts de
classe et à se faire étriper pour des intérêts qui ne sont pas les siens.
En 1944, les principaux groupes trotskistes reformeront un PCI. Union qui sera
célébrée par le massacre d'ouvriers lors de la "Libération" de Paris.
C'est ici, en compagnie des staliniens du PCF, dans la Résistance, que les
trotskistes ont atteint le sommet de leur rôle de pourvoyeur de chair à canon
pour le camp allié sur fond d'appel à "l'insurrection nationale". Ce
zélé défenseur des intérêts impérialistes de l'URSS que fût le PCI éclatera par
la suite mais aura tout de même une descendance digne de ses hauts faits
d'armes. Le PT[5] et la LCR[6] voilà
qui sont ses fameux héritiers.
Le groupe Barta lui aussi rejoint le camp du capital
"Derrière Hic, elles [les organisations de la IVe Internationale en
France] ont quasiment abandonné la position internationaliste de Trotski […] se
justifie ainsi la rupture qu'il [Barta] a accomplie en 1939 d'avec tous ces
éléments 'pour se délimiter d'un milieu petit-bourgeois aux pratiques
social-démocrates et non communistes.'" (Entretien de Hardy avec
Bourseiller). La légende du groupe de David Korner dit Barta est en marche. Un
groupe très faible numériquement qui serait resté à l'écart du mouvement
trotskiste traditionnel pour ne pas salir le drapeau internationaliste et
garder les deux pieds bien cimentés dans le camp du prolétariat.
"En octobre 1942, le 'groupe Barta' […] lance une feuille de propagande,
La Lutte de classes, qui se présente à l'origine comme l'organe du 'Groupe
communiste (IVe Internationale)'. Le groupe intervient sous d'autres étiquettes
: 'Collection IVe Internationale' ou 'Un groupe de militants communistes'.
Pendant la totalité du conflit, il dénonce les belligérants, appelle à la
fraternité à la base, martèle les slogans communistes...".
Cette fable colportée depuis longtemps par LO, et aujourd'hui par son nouveau
scribe, est un classique très répandu de la mythologie trotskiste que l'on
retrouve par ailleurs. Ainsi, Jacques Roussel qui, dans son livre Les enfants
du prophète paru en 1972, dénonce les activités patriotiques des trotskistes
français pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous fredonnait déjà la chanson
de l'héroïque Barta. "Le groupe Barta reprochait violemment au POI ses
positions social-patriotiques de 40, qu'il considérait comme une véritable
trahison du communisme". (...) [Pour lui] les mots d'ordre nationalistes
doivent être énergiquement repoussés".
Le conte est fort joli, mais il n'en est pas moins à dormir debout. Si on se
penche d'un peu plus près sur l'attitude du groupe Barta face à la guerre,
notamment au travers de ses prises de positions dans sa feuille La lutte de
classe, on s'aperçoit que le somptueux carrosse internationaliste que l'on
cherche à nous vendre n'est en réalité qu'une vilaine citrouille nationaliste.
"Travailleurs, vous tous qui n'avez que vos chaînes à perdre et un monde à
gagner : EMPECHEZ PAR TOUS LES MOYENS LA MACHINE DE GUERRE IMPERIALISTE DE
FONCTIONNER CONTRE L'URSS". "Vive l'armée rouge !", tract du 30
juin 1941 diffusé par la clique Barta.
Nous y voilà ! La fameuse défense de la "patrie socialiste", dit
autrement des intérêts impérialistes du capital stalinien et, par ricochet, de
ceux du camp allié.
Au bout du compte, la prétendue rupture de Barta en 1939 avec les autres
groupes trotskistes n'a jamais entamé, ne serait-ce d'un pouce leur cause
commune: la défense de l'URSS.
Quand Hardy soutient que "sur le fond Barta renvoyait dos à dos les belligérants",
ce n'est par conséquent que pure foutaise ! Comme les autres groupes
trotskistes, l'ancêtre de LO a appelé les ouvriers à aller se faire massacrer
pour la sauvegarde des intérêts impérialistes du camp stalinien. "La
Quatrième Internationale [une des nombreuses dénomination du groupe Barta à
l'époque est Groupe communiste (IVe Internationale)] vous appelle pour la
défense de l'Union soviétique…" (tract cité plus haut.)
Ainsi, ce groupe, non seulement appellera les ouvriers au sabotage de l'effort de
guerre allemand mais ira jusqu'à le mettre en pratique par le biais d'un de ses
militants Mathieu Bucholz chargé du sabotage du STO (leur logique voulant qu'un
ouvrier français ne partant pas pour le travail obligatoire, dans les usines
allemandes, empêchait de libérer un ouvrier allemand qui aurait pu alors partir
se battre sur le front Est contre l'URSS).
Voilà un bel exemple de résistance contre l'envahisseur qui, il faut bien
l'avouer, est fort éloigné de la dénonciation de tous les camps impérialistes
et de l'appel à la classe ouvrière pour quelle retourne ses armes contre ses
exploiteurs !
Concernant la Résistance, LO s'est toujours enorgueillie que son ancêtre s'en
soit abstenu à l'inverse du reste du mouvement trotskiste français qui
rejoindra activement le maquis en 1944. Mais là encore les apparences sont
trompeuses. Et c'est Hardy en personne qui lâche le morceau : "Mais
entendons-nous : Barta était absolument partisan de la lutte contre le nazisme
[…] Ses écrits exhortaient les travailleurs à engager une telle lutte. Mais
avec leurs propres méthodes, sous leur propre drapeau et pas sous la bannière
d'un général réactionnaire…".
C'est effectivement sur ce registre que Barta s'adressait aux ouvriers :
"Si vous ne voulez plus être la chair à canon de cette guerre, il faut non
seulement résister à Vichy et à l'impérialisme allemand, mais le faire sous
votre propre drapeau de classe, le drapeau rouge. Où que vous soyez, en
Allemagne si vous n'avez aucun moyen de vous soustraire à la déportation, dans le
maquis ou dans les groupes de "partisans" si vous ne pouvez pas vous
cacher dans les villes et les villages, n'oubliez pas que vous êtes les fils de
la classe ouvrière.
En Allemagne, liez-vous avec les travailleurs allemands pour saboter la machine
de guerre et les aider à renverser le régime capitaliste défendu par Hitler.
Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement et
l'élection démocratique des chefs par les membres des groupes." (La Lutte
de classes n°24 du 6 février 1944).
En bref, oui à la défense de l'Etat stalinien (et du camp des
Roosevelt-Churchill), oui à la Résistance, pourvu que ce soit les prolétaires
eux-mêmes qui la prenne en charge. Une auto-organisation de la classe ouvrière
pour la défense de l'impérialisme russe, indépendamment de la bourgeoisie, et
alors le massacre des prolétaires peut se dérouler légitimement. Merci Monsieur
Barta !
Rompre avec le trotskisme seule issue
pour ne pas trahir la classe ouvrière
De l'abjecte trahison de l'internationalisme et par conséquent de la cause
prolétarienne voilà où LO prend sa source.
Dans la préface de son bouquin, Bourseiller nous dit que "En dépit des
vents contraires, des marées montantes et des sirènes de la mode, elle [l'Union
Communiste de Barcia et Laguiller] est demeurée fidèle à un trotskisme pur ou,
si l'on préfère, à un "communisme" que l'on peut estimer ou bien
haïr, mais qui n'en demeure pas moins authentique."
Il faut vraiment se contenir pour ne pas avoir la nausée à la lecture de tels
mensonges.
L'attitude de la IVe Internationale emmenée par le SWP (1) américain se
vautrant dans le chauvinisme le plus crasse, à laquelle fait bien entendu écho
le petit groupe de Barta bien que non officiellement rattaché à cette
Internationale, est diamétralement opposée à celle de ceux qui ont su rester
fidèle à l'héritage internationaliste de cette immense figure de la Révolution
russe que fût Trotsky. Ce sont, par exemple : la majorité de la section
espagnole de la IVe Internationale autour de Munis ou des individus comme
Natalia Trotsky. Pour eux, rompre avec le trotskisme, passé définitivement au
service de la bourgeoisie, devenait la seule issue possible pour ne pas trahir
la classe ouvrière.
Si LO est digne de quelque chose ce n'est certainement pas de Trotsky ou de quelque
chose qui aurait trait avec le combat de la classe ouvrière. Sa plus grande
fierté c'est plutôt d'avoir toujours servi fidèlement les besoins de la classe
dominante.
LO, mais aussi la LCR (et les autres groupuscules trotskistes) ont à maintes
reprises fait honneur à leurs aïeux. Dans les différents conflits de l'après
guerre ils ont systématiquement incité les ouvriers à choisir un camp
impérialiste contre un autre. Pendant la guerre froide ils ont confirmé leur
soutien inconditionnel à l'URSS et aux prétendues "luttes de libération
nationale" (Cambodge, Vietnam, Cuba) contre les Etats-Unis. Plus
récemment, lors de la guerre en Irak, ils ont déterminé que le "bon
camp" était ... "le camp du peuple irakien face aux agresseurs
anglo-américains " ! (Lutte de Classe n°72). Ce faisant, les trotskistes
ont invité les ouvriers à épouser non seulement la cause de la nation irakienne
mais surtout les intérêts des rivaux des Etats-Unis, à savoir en premier lieu
l'impérialisme français.
C'est sur le tas de fumier du nationalisme que LO, d'abord sous la forme du groupe Barta, a vu le jour et c'est tout logiquement dans ce terrain bourgeois que plongent ses racines l'abreuvant depuis plus de cinq décennies de sève contre-révolutionnaire.
Azel[1] C'est en septembre 1938, sur la base d'une vision erronée du cours historique, que Trotsky fonde la IVe Internationale. Pour lui, la révolution est encore à l'ordre du jour dans les années 1930. Les évènements de 1936 en Espagne et en France sont, dès lors, interprétés non comme des préparatifs pour la guerre qui s'approche mais plutôt comme les prémisses d'une nouvelle vague révolutionnaire après celle de 1917-1923. Cette lourde erreur conduira à cette aberration qu'est la construction d'une Internationale en pleine contre-révolution.
Avec à sa tête le Socialist Worker's Party américain, et après l'assassinat de Trotsky en août 1940, la IVe Internationale passera avec armes et bagages dans le camp bourgeois en s'alignant sur la défense de l'impérialisme russe.
[2] Parti Ouvrier Internationaliste
[3] Parti Communiste Internationaliste
[4] Rassemblement National Populaire
[5] Parti des Travailleurs
[6] Ligue Communiste Révolutionnaire