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Partout dans le monde et plus particulièrement en ce moment dans le carré des grands pays industrialisés, les prolétaires peuvent entendre cette mauvaise rengaine que jouent la bourgeoisie et ses sous-fifres de journalistes et d'économistes aux ordres : "Salariés, vous vivez au-dessus de vos moyens, il va falloir vous serrer la ceinture." Ainsi, non contente d'avoir depuis plus de trente ans licencié, rogné par tous les moyens les salaires et les revenus sociaux, la bourgeoisie continue de cogner mais cette fois-ci avec une violence redoublée.
L'aggravation de la misère est due à la surproduction capitaliste
Aujourd'hui, les coups que la bourgeoisie assène aux prolétaires
n'ont d'égal que ceux des années 1930. Cependant, à
nous tous, il est donné de voir dans les pays dits "riches"
des supermarchés remplis d'objets de consommation, des magasins
regorgeant de produits en tout genre, des entreprises capables de tout
fabriquer mais qui, en dernière analyse, se heurtent à
une difficulté : de moins en moins de consommateurs peuvent acheter
leurs marchandises. En conséquence, cela se traduit dans tous
les secteurs par des faillites et donc des licenciements. Aucune branche
d'activité, depuis l'agriculture jusqu'à l'informatique
en passant par l'automobile, n'est épargnée, aucun État
n'y échappe. Comme le soulignait déjà Marx en 1848
dans le Manifeste Communiste : "La société se voit
rejetée dans un état de barbarie momentané ; on
dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle, lui ont
coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis.
Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation,
trop d'industrie, trop de commerce." Voici donc, décrit
par Marx, ce type de crise jusqu'alors inédit dans l'histoire
et devenu pratiquement permanent au 20e siècle : la surproduction.
Si, désormais, des millions d'êtres humains sont jetés
à la rue, souffrent de famine, ce n'est plus parce que la société
ne produit pas assez mais au contraire parce qu'elle produit trop et
qu'elle ne trouve pas d'acheteurs. Jamais dans l'histoire humaine, une
telle situation ne s'était rencontrée. Car, s'il est vrai
qu'au 14e siècle, l'Europe était ravagée par les
disettes, c'est fondamentalement parce que les structures sociales médiévales
étaient incapables de subvenir aux besoins des populations. A
l'époque, il eût paru totalement invraisemblable qu'un
jour, l'humanité pourrait souffrir d'indigence à cause
d'un excès de production invendue. Pourtant, de nos jours, c'est
bel et bien le cas.
Contrairement, donc, à tout ce que peut affirmer la bourgeoisie,
nous ne vivons pas au-dessus de nos moyens mais largement en dessous.
Prenons un exemple, particulièrement significatif puisqu'il concerne
la nourriture, le secteur agricole. A l'aube du 18e siècle, c'est-à-dire
juste avant la révolution industrielle qui naît en Angleterre,
un paysan européen nourrit 1,7 personne, de sorte qu'il s'alimentait
lui-même et fournissait les trois quarts de l'alimentation d'une
autre personne ; en 1975, un travailleur agricole aux États-Unis
pouvait nourrir 75 individus (ce chiffre doit approcher la centaine
en 1992). Selon d'autres sources, il semblerait aujourd'hui que la seule
agriculture des Pays-Bas, hypercompétitive, soit suffisante à
nourrir l'Europe ! De même, à présent, l'agriculture
mondiale pourrait ravitailler près de trois fois toute l'humanité,
soit environ 18 milliards d'êtres humains.
Comble de l'absurde, le capitalisme réduit à la famine
et à la malnutrition endémique environ la moitié
de la population mondiale, soit 3 milliards d'hommes. Et, comme le capitalisme
ne produit pas pour satisfaire les besoins humains mais pour vendre
et réaliser du profit, les excédents agricoles sont détruits
mais surtout pas distribués sinon ils feraient chuter les cours
du marché (qui se situent déjà bien bas). Ainsi,
désormais, subventionne-t-on dans la CEE les paysans pour qu'ils
mettent en jachère leurs terres. Des millions d'hectares capables
de fournir des millions de quintaux de blé (15% des terres céréalières)
vont retourner à la friche.
Encore une fois, la description d'une telle société eût
semblé totalement délirante pour le paysan du Moyen Âge,
lui qui, patiemment depuis l'an mil, n'avait eu de cesse laborieusement
que défricher, assécher les marais. Bien sûr, cela
ne concerne pas que la vieille Europe, puisqu'aux États-Unis
même, on incendie les champs d'orangers pour cause de surproduction.
Pourtant, l'humanité n'en finit pas de crever de faim et, dans nos supermarchés, tous ces produits agricoles sous leurs diverses formes sont toujours aussi chers comparativement à nos salaires. Une question vient donc immédiatement à l'esprit : pourquoi de telles crises de surproduction ? Comment se fait-il que le capitalisme ne parvienne pas à écouler les marchandises qu'il crée ? Pourquoi l'offre (la production) est-elle plus importante que la demande (la consommation) ?
Les causes de la crise de surproduction
Marx a, de son temps, clairement mis en évidence que le travail
humain, ou plus exactement la force de travail, est une marchandise
qui s'achète et qui se vend. Et, ce qui détermine le prix
de la force de travail, à savoir le salaire que va verser le
capitaliste à l'ouvrier, c'est, comme toute marchandise, la quantité
de travail nécessaire à sa production. Qu'est-ce que cela
veut dire ? Simplement que le salaire versé à l'ouvrier
par l'entrepreneur est le strict minimum servant à l'éduquer,
le nourrir, le loger, le vêtir. Quant aux congés hebdomadaires
et annuels, ils ne servent qu'à permettre au prolétaire
de reconstituer sa force de travail ; d'être suffisamment en forme
pour produire de nouveau et dans les mêmes conditions qu'avant.
Mais Marx a percé le mystère du prétendu salaire
juste, équitable. Il a mis en évidence que l'ouvrier travaille
plus qu'il n'est rétribué, qu'il y a exploitation du travail,
non pas au sens moral mais bien scientifiquement. Le salaire n'est-il
pas l'équivalent exact, sous forme d'argent, du travail fourni
par l'ouvrier ? Non, pas du tout, cette réalité de l'exploitation
salariale, même si elle n'est pas a priori apparente n'en est
pas moins vraie. Elle est simplement masquée.
Dans la Rome antique, celle de l'Empire qui a succédé
à la République, lorsque les maîtres utilisaient
de la force de travail sous forme d'esclaves capturés au gré
des conquêtes militaires, l'exploitation était visible
: les maîtres nourrissaient et logeaient cette main-d'œuvre
; celle-ci appartenait aux maîtres et travaillaient jusqu'à
la mort sur les terres des villas.
Ce fut la même chose au Moyen Age. Lorsque, durant la période
carolingienne des 8e et 9e siècles, le mode de production esclavagiste
a disparu et a été remplacé par les structures
de la seigneurie, ici aussi le servage a laissé clairement apparaître
l'exploitation. Selon les rapports établis avec le seigneur de
l'endroit, chaque semaine, le serf devait travailler deux ou trois jours
sur la réserve, c'est-à-dire sur la terre du seigneur
féodal, et effectuer des corvées gratuitement.
Dans le capitalisme, qui est également une société
de classes, la tricherie se situe désormais au niveau des salaires.
Prenons un exemple totalement théorique : un ouvrier travaillant
sur une chaîne de montage ou derrière un micro-ordinateur
et qui, à la fin du mois, est payé 800 euros. En fait,
et c'est ce que Marx a démontré, il a produit non pas
pour l'équivalent de 800 euros, ce qu'il reçoit, mais
pour la valeur de 1200 euros. Il a effectué un surtravail, une
plus-value, qui se traduit pour le capitaliste en profit. Que fait le
capitaliste des 400 euros qu'il a volés à l'ouvrier ?
Il en met une partie dans sa poche, admettons 150 euros, ce qui lui
permet généralement de vivre beaucoup mieux qu'un simple
ouvrier, et les 250 euros restant, il les réinvestit dans le
capital de son entreprise, le plus souvent sous forme de l'achat de
machines plus modernes, etc.
Mais pourquoi le capitaliste procède-t-il ainsi ? Parce qu'il
n'a pas le choix. Le capitalisme est un système concurrentiel,
il faut vendre les produits moins cher que le voisin qui fabrique le
même type de produits. En conséquence, le patron est contraint
non seulement de baisser ses coûts de production, c'est-à-dire
les salaires (ou, dit autrement, le capital variable), mais encore d'utiliser
une part croissante du surtravail dégagé pour le réinvestir
prioritairement dans les machines (le capital fixe), afin d'augmenter
la productivité (quantité produite en un temps donné)
de son capital. S'il ne le fait pas, il ne peut pas réinvestir,
se moderniser, et, tôt ou tard, son concurrent, qui, lui, le fera,
vendra moins cher et remportera le marché. Le patron philanthropique
qui, par hypothèse, se refuserait à exploiter toujours
plus ses ouvriers serait vite conduit à faire faillite.
Le système capitaliste est donc à la fois dynamique, dans
le sens où il doit constamment s'élargir, accumuler, pousser
au maximum l'exploitation de la force de travail, et affecté
par un phénomène contradictoire : en effet, en ne rétribuant
pas les ouvriers par l'équivalent de ce qu'ils ont effectivement
fourni comme travail et en contraignant les patrons à renoncer
à consommer une grande part du profit ainsi extorqué,
le système produit plus de valeur qu'il n'en distribue. Jamais
ni les ouvriers ni les capitalistes réunis ne pourront à
eux seuls absorber toutes les marchandises produites. Et pour cause,
puisqu'une partie du produit du travail de l'ouvrier, celle qui n'est
ni reversée sous forme de salaires ni consommée par les
capitalistes, mais qui est destinée à être réinvestie,
c'est-à-dire transformée en nouveau capital, ne peut trouver
d'acheteurs dans la sphère capitaliste. Ce surplus de marchandises,
qui va le consommer ?
La nécessité vitale pour le capitalisme de trouver des marchés
C'est là justement qu'intervient la nécessité
pour ce système de trouver de nouveaux débouchés
en dehors du cadre de la production capitaliste ; c'est ce qu'on appelle
les marchés extra-capitalistes (au sens d'en dehors du capitalisme).
En quelque sorte, un marché extra-capitaliste, c'est un débouché
économique solvable, en d'autres termes capable de payer les
marchandises, mais qui ne fonctionne pas de manière capitaliste,
puisque quand c'est le cas, on ne peut acheter tous les biens fabriqués.
Il en est ainsi depuis la genèse de ce mode de production. Le
capitalisme n'a pas conquis la planète entière du jour
au lendemain. Prenons l'exemple de l'Angleterre. Lorsque, en 1733, John
Kay met au point son fameux métier à tisser qui multiplie
par quatre la productivité, les étoffes tissées,
désormais abondantes et bien moins chères, n'ont pas été
vendues aux seuls ouvriers et entrepreneurs anglais. Elles étaient
également consommées par des paysans ainsi que par des
nobles qui avaient la possibilité d'acheter. Ces paysans, ces
nobles, n'appartenaient pas à la sphère de production
capitaliste qui, à elle seule, eût été incapable
de tout absorber. Voilà donc un exemple de marché extracapitaliste
à l'intérieur même du pays où est née
la révolution industrielle. Dans une certaine mesure, des poches,
des unités de production capitalistes, sont apparues et ont progressivement
gagné le reste du monde. Par là même se trouvaient
résolues, momentanément, les crises de surproduction.
Certes, il y en avait, mais celles-ci, aux 18e et 19e siècles,
duraient deux à trois ans, le temps que de nouveaux débouchés
soient conquis. Après quoi la machine économique repartait
de plus belle.
Ainsi ce système a-t-il pu, dans les contrées où
il est né, c'est-à-dire en Europe, trouver les conditions
de sa croissance. Toutefois, en conquérant ce type de marché
avec des produits défiant toute concurrence, le capitalisme contraignait
les sphères de production extra-capitalistes à produire
de la même façon que lui. Pourquoi ?
Qui pouvait en effet continuer à produire des étoffes
artisanalement alors que les manufactures, ces ancêtres des usines
modernes, faisaient les mêmes mais à bien moindre coût
? Personne. En conséquence, le capitalisme ne faisait que détruire
ce qui lui servait momentanément de ballon d'oxygène.
Ces marchés extérieurs adoptaient à leur tour le
mode de production capitaliste et le même problème se retrouvait
posé encore et toujours à une échelle chaque fois
supérieure : à qui vendre ?
C'est ce processus dynamique et contradictoire qui anime toute l'histoire
de ce monde, tel l'ogre du conte qui a besoin d'enfants pour vivre mais
qui les dévore. Ainsi, au 19e siècle, une fois qu'à
l'intérieur des grands pays industrialisés, le mode de
production capitaliste s'était imposé avec violence, il
lui a fallu partir à la conquête du monde pour trouver
de nouveaux débouchés. C'est l'entreprise coloniale dont
Rosa Luxemburg met clairement en évidence les motivations. La
dernière décennie du 19e siècle, qui voit la fin
de l'ascendance du capitalisme, est désormais marquée
par le déchaînement de l'impérialisme.
A partir de 1897, la Grande-Bretagne règne sur un empire de 33
millions de kilomètres carrés peuplé de 450 millions
d'habitants comprenant le Canada, l'Australie, l'Inde, l'axe africain
allant du Caire au Cap, etc. La France, plus modeste, étend son
empire sur près de 10 millions de kilomètres carrés
et sur 48 millions d'habitants (Afrique de l'Ouest et Indochine surtout).
La Chine est dépecée, les puissances impérialistes
obtenant l'octroi de territoires à bail, de zones d'influence,
de concessions de mines et de chemin de fer. Idem pour l'empire ottoman
et l'Amérique latine, qui n'ont conservé que l'apparence
d'une indépendance économique et politique. Vers 1890,
le partage territorial du monde entre les grandes puissances capitalistes
est à peu près achevé. Or ces pays conquis adoptent
à leur tour le mode de production capitaliste. En conséquence,
on ne sait plus où écouler le surplus de marchandises,
faute de nouveaux territoires extra-capitalistes de quelque importance.
Le marché mondial est saturé.
De fait, au crépuscule du 19e siècle, l'heure n'est plus
à l'exploration de nouvelles terres et au libre-échange
; c'est à présent le temps des canons et du protectionnisme
qui a sonné. L'ère des guerres mondiales qui visent au
repartage du marché planétaire entre les différents
États bourgeois s'ouvre. Le capitalisme vient d'entrer dans sa
phase de décadence, c'est-à-dire la pire période
que l'humanité ait jamais endurée. C'est cette époque,
dans laquelle nous sommes toujours, actuellement, qui pose au prolétariat
international l'alternative suivante : communisme ou barbarie.
D'après RI n°217