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- Premier Mai 2002
Une manifestation au service de la démocratie bourgeoise
Dans un grand élan d'enthousiasme républicain, démocratique
et citoyen, le 1er Mai 2002 aura été présenté
par la bourgeoisie comme une journée historique de mobilisation
populaire, venant effacer la honte que les résultats du premier
tour des élections présidentielles ont infligée
à la France éternelle, patrie des Droits de l'Homme.
La gauche plurielle, avec quelques ministres, les gauchistes et les
anarchistes, les syndicats et une soixantaine d'associations, tous s'étaient
donné rendez-vous dans la rue pour clamer leur attachement aux
valeurs de la république.
Ce sont toutes les forces réunies de la classe capitaliste qui
ont réussi à faire sortir le "peuple dans la rue".
Cette mobilisation massive n'a absolument rien eu d'une journée
de la classe ouvrière. Voilà bien longtemps que le 1er
Mai, qui représentait pour les ouvriers de tous les pays l'affirmation
de l'unité et de la solidarité internationales du prolétariat,
est devenu un enterrement de la lutte ouvrière mené par
les corbillards de la gauche, des syndicats et des gauchistes (voir
notre article page 2). Mais cette année, en plein milieu du cirque
électoral, loin d'être une mobilisation du "monde
du travail", elle a été une entreprise de fusion
dans la démagogie "citoyenne"qui visait à noyer
les prolétaires dans le raz de marée d'une manifestation
interclassiste en défense de l'Etat démocratique.
Contrairement aux amalgames mis en avant par les médias, cette
manifestation n'a rien eu à voir avec le 14 juillet 1935, qui
marquait une étape majeure de l'avènement du Front populaire,
où le prolétariat était embrigadé pour la
marche à la guerre derrière l'antifascisme, pas plus qu'avec
le 13 mai 1968 qui marquait le resurgissement du prolétariat
sur son terrain de classe et qui ouvrait une perspective vers un nouveau
cours historique d'affrontements de classe.
La signification politique à donner à chacune de ces manifestations
ne peut être appréhendée en dehors de la méthode
marxiste exigeant de les replacer dans le cours historique qui leur
est propre.
14 juillet 1935/36 : l'antifascisme sert à embrigader les ouvriers dans la guerre
Dès le début des années 1930, l'anarchie de la
production capitaliste est totale. La crise mondiale jette sur le pavé
des millions de prolétaires. Seule, l'économie de guerre,
pas seulement la production massive d'armement mais aussi toute l'infrastructure
nécessaire à cette production, se développe puissamment.
La réponse de le bourgeoisie à la crise est donc la guerre
impérialiste. Les régimes politiques mis en place par
le capitalisme dans les principaux pays européens correspondent
à cette nécessité historique, et non pas à
un accident de l'histoire comme on le prétend de l'avènement
du fascisme en Italie ou en Allemagne, ou à une victoire électorale
du prolétariat comme on veut présenter le Front populaire
en France.
En effet, afin de préparer l'embrigadement de la classe ouvrière
dans l'économie de guerre et dans la militarisation du travail
qui l'accompagne, la bourgeoisie utilisera le poison le plus efficace
: le nationalisme et la plus colossale duperie et escroquerie idéologique,
l'antifascisme.
Déjà, le 14 juillet 1935 a montré l'efficacité
de cette mystification : "C'est sous le signe d'imposantes manifestations
de masses que le prolétariat français se dissout au sein
du régime capitaliste… Ce 14 juillet marque un moment décisif
dans le processus de désagrégation du prolétariat…
Les ouvriers ont …applaudi les ministres capitalistes, qui ont
solennellement juré de 'donner du pain aux travailleurs, du travail
à la jeunesse et la paix au monde' ou, en d'autres termes, du
plomb, des casernes et la guerre impérialiste pour tous."
(Bilan n° 21, juillet-août 1935)
Moins d'un an après, alors qu'explosait une vague de grèves
ouvrières spontanées contre l'aggravation de l'exploitation
provoquée par la crise économique et le développement
de l'économie de guerre, le triomphe du gouvernement du Front
populaire consacrera l'anéantissement de la conscience de classe
des ouvriers qui défilent derrière les drapeaux tricolores,
la disparition de toute résistance prolétarienne organisée
au régime bourgeois.
Le 3 mai 1936, le Front populaire obtient la majorité à
la Chambre, le 4 juin Léon Blum forme son gouvernement, le 11
sont votés les congés payés, le 13 les 40 heures.
Le 14 juillet, après le défilé militaire du matin,
ce sont près d'un million de manifestants qui vont converger
vers la place de la Nation, à Paris, où sur une immense
estrade drapée de blanc seront acclamés les principaux
dirigeants du Front populaire.
Le 17 juillet sera votée la "nationalisation des fabrications de guerre".
13 mai 1968 : le prolétariat est mobilisé sur son terrain de classe
Ce jour là, près d'un million de personnes, en majorité des ouvriers, défilèrent à Paris dans une énorme manifestation, sur laquelle flottaient des drapeaux rouges, et non pas tricolores contrairement à 1936, et parmi les slogans les plus en vogue, c'est "Elections, piège à cons" qui est particulièrement entendu.
Contrairement à ce que la bourgeoisie veut nous faire croire, mai 68 fut bien plus qu'une série de manifestations étudiantes, mais avant tout, le plus grand mouvement de grèves qu'ait jamais connu l'Europe : 10 millions d'ouvriers se mirent en grève, avec plus de quatre millions pendant trois semaines et plus de deux millions un mois durant.
Non, mai 1968 n'est pas une révolte de la jeunesse contestataire ni une révolte des consciences, mais la fin d'une période de contre révolution ouverte avec la défaite de la vague révolutionnaire des années 1920, et qui s'était poursuivie et approfondie avec l'action simultanée du fascisme et du stalinisme, ainsi que de l'anti-fascisme et des fronts populaires. Le milieu des années 1960 marque la fin de la période de reconstruction d'après la deuxième guerre mondiale et le début d'une nouvelle crise ouverte du système capitaliste. Mais surtout, les événements de mai 68 constituent le début de la reprise historique de la lutte de classe et l'ouverture d'un nouveau cours historique vers l'affrontement décisif entre les classes antagoniques de notre époque : le prolétariat et la bourgeoisie. Ce nouveau cours historique se trouvera confirmé par les événements internationaux qui suivirent le Mai français. Et c'est justement pour cela que dans les rues flottaient les drapeaux rouges et qu'on chantait l'Internationale (et non la Marseillaise), symboles historiques des luttes passées de la classe ouvrière.
1er mai 2002 : une manifestation de citoyens et non de la classe ouvrière
Qu'avons-nous vu ce jour là ? C'est le peuple de France qui est descendu dans la rue dans un grand rassemblement interclassiste. Nous avons vu les familles défiler, avec leurs enfants dans les poussettes, même un chien avec un 'NON' scotché sur le dos, les 'gens', la 'population', des bandes de gamins se tenant par la main et chantant et surtout, depuis le lendemain du premier tour, les lycéens et les étudiants, en grande partie la jeunesse sur laquelle les médias avaient mis le paquet.
Ce fut donc un défilé bon enfant, les banderoles et les slogans scandés par les manifestants ne manquaient pas d'humour et quelques orchestres apportant de cette "bonne humeur" qui fait les rendez-vous populistes.
En fait, ce fut tout sauf une journée de lutte du prolétariat,
tout sauf une manifestation de la classe ouvrière. Au-delà
des aspects folkloriques, quelle signification donner alors à
cette manifestation ? Celle d'une manifestation en défense de
la démocratie bourgeoise, mais derrière les banderoles
de laquelle on ne retrouvait pas massivement la classe ouvrière
comme en 1935 et 1936.
Elle n'a pas défilé en tant que classe, et ne s'est même
pas mobilisée derrière les syndicats. Et si de nombreux
prolétaires, français et immigrés, se sont rendus
à cette manifestation, c'est uniquement en tant que "citoyens",
atomisés, noyés au milieu de la masse de toutes les couches
sociales du "peuple de France".
Aujourd'hui la bourgeoisie utilise à son profit les effets de la période de décomposition pour entraîner la classe ouvrière dans un combat qui n'est pas le sien.
Mais nous ne sommes ni dans une période de contre-révolution ni dans un cours à la guerre mondiale et la classe ouvrière, non défaite malgré ses difficultés réelles et importantes, n'est pas résignée, soumise à la défense des intérêts du capitalisme en crise.
Depuis le début de la campagne électorale et les appels aux votes "révolutionnaires" venant de l'extrême gauche, suivis des plus écœurants appels aux votes démocratiques et citoyens, il était de la responsabilité des organisations révolutionnaires d'être présentes à cette manifestation pour dénoncer l'hystérie démocratique et l'union sacrée antifasciste. Elles se devaient de montrer clairement la signification de cette mystification que constitue la démocratie bourgeoise dans la période de décadence du capitalisme et plus particulièrement dans la période actuelle de décomposition. Dénoncer et contrer les efforts de la bourgeoisie pour détourner la classe ouvrière de son terain de lutte en la diluant dans le magma de ce type de manifestations interclassistes et démocratistes. Aussi le CCI était-il présent, à Paris comme en province, aux manifestations du premier mai, pour dénoncer par un tract la mystification électorale, présenter et défendre ses positions en vendant sa presse, en poussant à la discussion des éléments qui, malgré l'hostilité de certains individus, ont accueilli notre position sur la question électorale avec sympathie et ont acheté notre presse.
Contrairement à tous ceux qui présentent notre organisation comme une secte dégénérescente et qui n'avaient strictement rien à dire à la classe ouvrière face à cette gigantesque campagne antifasciste, le CCI a pleinement assumé ses responsabilités comme groupe du milieu révolutionnaire.
Le fait que les révolutionnaires aient pu diffuser leur presse et leur tract dans cette manifestation sans risquer de se faire lyncher, comme c'était le cas dans les années 30, par les ouvriers, est un signe indubitable que, malgré les efforts de l'Etat bourgeois pour détruire la conscience de la classe ouvrière et l'enchaîner derrière son idéologie, celle-ci n'est pas embrigadée pieds et poings liés derrière les intérêts du capital. Et, cela malgré toutes ses difficultés actuelles à développer ses luttes et à retrouver le chemin de sa perspective révolutionnaire vers la destruction du capitalisme mondial et de l'Etat bourgeois sous toutes ses formes.
Thierry (25 mai)