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Avec une précipitation des plus suspectes, toutes les composantes de la gauche plurielle se sont empressées de lancer des protestations "de principe" dès l'annonce, coup sur coup, des licenciements et fermetures de sites chez Marks & Spencer et chez Danone. Dame ! Le gouvernement voulait surtout ne pas avoir l'air d'être complice des licencieurs et tâchait de sauvegarder son image de soi-disant défenseur de la justice sociale contre les "abus" du patronat, du "libéralisme" et autres "multinationales". On se rappelle qu'il y a deux ans, au moment des licenciements chez Michelin, la prétention de la gauche à faire croire que son gouvernement serait au service de la défense des conditions d'existence des prolétaires contre les attaques capitalistes, avait eu un peu de mal à être crédible, après que Jospin ait lancé que "il ne faut pas tout attendre de l'Etat". Il avait alors fallu tous les efforts de la "gauche de la gauche" pour redonner un peu de crédibilité au mythe d'un Etat "au dessus des classes", dont le rôle serait de rendre justice aux salariés contre leurs patrons "abusifs". En octobre 1999, le PC et les gauchistes de la LCR et de LO se fendaient d'une belle manifestation sur le thème de "l'interdiction des licenciements aux entreprises qui font des bénéfices", manifestation qui n'était qu'un plébiscite à la gauche plurielle au gouvernement, et le tout avait débouché sur l'annonce par la ministre Aubry d'un "plan de modernisation sociale", grâce auquel les patrons licencieurs allaient voir ce qu'ils allaient voir. On a vu en effet ... les licenciements continuer à tomber un peu partout.
Le PC et le PS essaient de redorer leur blason...
Avec l'accélération que connaît aujourd'hui cette offensive anti-ouvrière (c'est presque chaque semaine depuis un mois qu'une nouvelle série de "plans sociaux" est annoncée), et ce au lendemain d'élections municipales qui ont révélé la profonde (et saine) désillusion vis-à-vis de la gauche dans les rangs ouvriers, le PS et le PC, chacun à leur manière, ont décidé de prendre les devants. "Oui, l'Etat peut et va faire quelque chose", a vite clamé le PS, histoire de faire oublier sa responsabilité dans les suppressions de postes et autres attaques dans le secteur public, où le ministre Sapin vient de refuser les augmentations de salaires aux fonctionnaires. Quant au PC, pendant que le "camarade ministre" Gayssot dénonce et condamne la grève à la SNCF, il prétend aujourd'hui "retrouver des accents de la lutte de classe" (comme l'écrit le journal Le Monde) en prenant la tête d'une "offensive citoyenne" contre Danone. Non seulement ces gens-là ne font rien d'autre qu'essayer de sauver leur image auprès des prolétaires, mais leur investissement sur le terrain de la protestation contre les plans de licenciements est un véritable poison. En effet, le "'soutien" qu'ils apportent aux ouvriers licenciés sert surtout à entraîner ceux-ci en dehors de leur terrain de classe, sur un terrain où ils sont certains de se retrouver isolés et défaits.
... pour mieux dévoyer la lutte de son terrain de classe
Pour commencer, ce n'était pas tant contre les licenciements qu'il fallait, parait-il, se battre, mais contre la "manière brutale" avec lesquels ils ont été annoncés et le fait, en particulier chez Marks & Spencer, qu'ils ne l'avaient pas été selon la "procédure légale" en vigueur en France. En gros, c'est le licencieur "étranger" qui était condamnable pour n'avoir pas licencié.. à la française. Heureusement, grâce à l'intervention du gouvernement qui a finalement condamné l'entreprise pour "délit d'entrave", les salariés de Marks & Spencer sont désormais soumis non plus à une "décision définitive" mais à un "projet" de plan social Dans la mesure où M.& S. a immédiatement fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de revenir sur ses intentions de fermer ses magasins en Europe, on ne voit pas très bien ce que cela va changer pour eux. Comme la colère explosait chez Danone et que de nouveaux licenciements tombaient à leur tour chez Valeo, AOM et autres Moulinex, il en fallait plus pour espérer éteindre le feu social. Alors les pompiers sociaux de la gauche et des syndicats ont trouvé autre chose : ok, Danone a respecté la loi, mais ce qui est, dans son cas, "insupportable" c'est qu'une entreprise licencie alors qu'elle est bénéfiaire et qu'elle affiche des profits. On nous refait donc le coup de Michelin. Le PCF et les trosktystes ont donc vite sauté à nouveau sur la formule magique réclamant "'l'interdiction des licenciements dans les boîtes qui font des bénéfices", pendant que Jospin et Guigou, plus modérés (il faut bien se partager le travail), enfourchaient le cheval de bataille de "rendre les suppressions d'emplois plus coûteuses dans de tels cas"[1]. Une nouvelle loi a donc été annoncée qui devrait augmenter les indemnités de licenciements secs et imposer des "reclassements" et autres "obligations de formation" pour les salariés jetés à la rue. Sauf que ce genre "d'amortisseurs" étaient déjà contenus dans le "plan social" Danone et que cela ne change rien à la brutalité et à la violence que celui-ci représente pour les prolétaires concernés qui se retrouvent devant le "choix" suivant : quitter la région où ils vivent, s'ils le peuvent, pour garder un hypothétique emploi au risque de condamner leur conjoint au chômage ou bien aller directement pointer eux-mêmes à l'ANPE. Mais ce qu'il y a de plus pourri dans le terrain de lutte qui est proposé aux victimes des licenciements actuels, c'est bien le discours et les mots d'ordre qui opposent les licenciements à la rentabilité de l'entreprise. Ainsi le caractère plus ou moins "scandaleux" des plans sociaux est jugé à l'aune des profits ou des pertes affichés par la société. Selon ce principe, les prolétaires d'AOM/Air Liberté ou ceux de Job par exemple sont censés accepter sans moufter les licenciements, au nom probablement d'on ne sait quelle solidarité que devraient avoir les salariés avec leur patron quand "les affaires vont mal". Tandis que ceux de Danone auraient raison de se battre et ont droit au "soutien"" empoisonné de tous les pompiers sociaux de la gauche en tout genre, au nom cette fois du fait que le patron de Danone aurait manqué de "solidarité" avec ses employés en leur préférant ses actionnaires. A la tête de ce discours on trouve le PCF et la CGT, appuyés à fond par la LCR et LO qui protestent tous en choeur contre "le libéralisme qui traite les travailleurs comme des Kleenex et qui les jette pour le profit des actionnaires" et qui fustigent la fameuse mondialisation, comme étant responsable du scandale des licenciements. Ce que ces gens cachent au fond, c'est le conflit fondamentalement irrréconciliable entre le capital et le travail. Car lorsque le patron de Danone rétorque que, s'il licencie aujourd'hui, c'est pour préserver la rentabilité actuelle de la boîte menacée par la concurrence, il dit effectivement la vérité. C'est-à-dire que c'est la logique concurrentielle de la production capitaliste qui, dans tous les cas, qu'il y ait des bénéfices ou non, est à la base des licenciements, chez Job comme chez Danone. Le capitalisme, en général, qu'il s'agisse de grandes multinationales ou de petites boîtes autochtones, n'a jamais exploité la force de travail, c'est-à-dire "créé des emplois", par altruisme, mais il l'a toujours fait uniquement et dans la mesure où cela lui permet d'extorquer un profit et d'accumuler encore du capital. De même, il se fiche comme d'une guigne de la valeur d'usage ou de la "qualité" des marchandises produites dans ses usines, seule compte pour lui leur valeur d'échange et la question de savoir s'il pourra les vendre sur le marché en faisant des bénéfices. La crise de surproduction générale que connaît le capitalisme, du point de vue du marché solvable, et la concurrence mortelle qui se joue entre les entreprises capitalistes dans ce cadre, conduit effectivement celles-ci à chercher les moyens de payer des salaires les plus bas possibles et à couper radicalement des branches entières quand l'exige la rentabilité. capitaliste. Voilà la véritable cause des licenciements, elle est contenue dans le principe même du capitalisme qui régit l'ensemble de la société et non pas dans on ne sait quelle mythique "mondialisation". C'est cette réalité qu'occultent les mobilisations orchestrées par le PCF et ses complices, comme à Calais le 21 avril, sur le thème de "la lutte citoyenne contre la mondialisation".
La campagne de boycott de la CGT contre la véritable solidarité de classe
Le dernier thème enfin par lequel la lutte contre les licenciements est dévoyée de son terrain de classe par la gauche et les syndicats, CGT en tête, c'est celui de l'appel à la "solidarité des consommateurs". Les mêmes "consommateurs" (population indéfinie des mangeurs de yaourt) qu'on a invités début avril à aller faire des courses chez Marks & Spencer pour "prouver" à la société britannique que ses boutiques européennes sont viables, ont été ensuite priés de faire l'inverse pour ce qui concerne Danone ! La campagne pour le boycott des produits Danone, lancée par la CGT et le PC avec les soutien du couple LO-LCR et de toutes sortes d'associations, est venue depuis occuper tout le terrain de la situation, escamotant dans les médias la réalité des grèves en France. D'autant plus qu'une grande polémique a été lancée entre fractions de la gauche et entre centrales syndicales sur la question de savoir si le boycott pourrait être une "arme à double tranchant". Pendant que les uns en font la formule toute trouvée pour "obliger Danone à reculer", les autres mettent en garde contre une action qui risquerait de se retourner contre les salariés du groupe en donnant lieu à de nouveaux plans de licenciements, dans le yaourt ou les eaux minérales, en sus de ceux dans le biscuit, au nom des pertes subies par Danone sur le marché. Evidemment, l'argument des seconds voudrait , une fois de plus, nous faire croire qu'il y a une compatibilité d'intérêts entre le travail et le capital. A ce compte là, il faudrait plus encore dénoncer la grève elle-même comme "pouvant se retourner contre les ouvriers", puisque, par définition, les grèves et toute résistance ouvrière à l'aggravation des conditions d'exploitation viennent s'opposer à la compétitivité et aux critères de rentabilité du capital. Pour autant, cela ne donne aucune légitimité ouvrière aux orchestrateurs de cette campagne de boycott. Au contraire, car, au delà du fait que le boycott n'aura guère d'effet sur Danone, ni dans un sens ni dans un autre, cette campagne sert, en réalité et avant tout, à occuper le terrain du réflexe de solidarité envers les prolétaires licenciés avant que la classe ouvière ne s'en empare sur son véritable terrain de classe. L'appel aux "citoyens" ou aux "consommateurs" est comme l'appel aux élus et au gouvernement, il invite les ouvriers en lutte à chercher l'appui de divers lobbies puissants, de préférence à celui de leurs frères de classes en butte à des attaques similaires. Il font du cas Danone un cas à part, assez grave pour "concerner toute la société", mais qui n'aurait rien à voir avec les autres coups qui tombent sur la classe ouvrière. Et face à toutes ces attaques qui s'abattent massivement sur elle, la classe ouvrière doit savoir qu'elle est seule. Les soutiens empoisonnés de la gauche, des syndicats et des élus et des associations de tout poil sont autant de pièges contre elle. Mais si la classe ouvrière est seule et ne peut compter que sur ses propres forces pour se battre, elle doit savoir que ces forces là sont immenses. Les ouvriers de Danone, de Moulinex, de Marks et Spencer, d'AOM et d'ailleurs qui font face aux licenciements, les cheminots, les traminots, les postiers, et les hospitaliers, tous ceux aujourd'hui en lutte pour les salaires, les effectifs et contre l'aggravation de leurs conditions de travail, sont tous engagés dans un même combat, non pas contre tel ou tel patron particulier, ou contre telle ou telle mesure gouvernementale, mais contre le capital. C'est dans le développement et l'unité de leurs luttes que réside le seul terrain où puisse se développer réellement la solidarité ouvrière, contre les pièges dressés par la gauche et les syndicats.
PE (29 avril)[1] Concernant Danone, il faut constater que ce sont pratiquement TOUTES les fractions de la bourgeoisie qui se sont cru obligées d'afficher de la compassion et de la compréhension pour les "petits LU". Même un Madelin y est allé de son couplet, pour épingler lui aussi la "brutalité" d'une annonce "indigne d'une grande entreprise comme Danone". Enfin, il n'a pas trop insisté, parce qu'à trop empiéter sur le terrain occupé par la gauche, il deviendrait vite évident que la gauche et les libéraux sont, au fond, du même bord et que seule l'hypocrisie les anime, les uns comme les autres.