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Jamais dans l'histoire, la maladie et la mort d'un pape n'auront été aussi médiatisées. La population de la Terre entière a été gavée jusqu'à la nausée d'informations, de reportages et d'images télévisées sur l'évolution de la maladie et de l'agonie de Jean-Paul II. Toute sa vie durant et jusqu'après son trépas, ce pape aura su se mettre en scène et attirer la dévotion de ses ouailles avec un sens du culte de la personnalité acquis de longue date dans le sérail stalinien dont il était issu. Et le "Saint Père" est largement parvenu à rivaliser avec le "Petit père des peuples" dans ce domaine.
A travers les 200 chefs d'Etat ou leurs représentants qui ont assisté à ses funérailles, ce sont ses pairs de la bourgeoisie mondiale unanimement reconnaissante qui lui ont décerné un vibrant hommage et qui ont souligné l'ampleur de ses mérites, à la mesure des services qu'il aura rendus à l'exploitation capitaliste et aux grandes causes impérialistes qu'il aura défendues. Mais si toutes les télévisions du monde avaient planté leur caméra au Vatican, sur la place Saint-Pierre, c'est que la vie et la mort édifiantes de Jean-Paul II étaient aussi destinées à marquer les esprits pour redonner du crédit et une vigoureuse impulsion à l'idéologie religieuse dans les masses par ces temps troublés, où les populations sont de plus en plus à la merci de la misère, de la famine, des pandémies, ou bien happées par la guerre, le chaos, la barbarie.
En tant que porteuse de la religion, "l'opium du peuple", comme disait Marx, mais aussi en tant que détentrice d'un pouvoir séculier, l’Eglise catholique est une véritable puissance de ce monde. Depuis presque 2000 ans, elle s'est rangée aux côtés des têtes couronnées, des puissances et des empires, contre lesquels les premiers chrétiens s’étaient élevés. A ses origines, le christianisme est venu des pauvres et des exploités. Les premiers chrétiens, en fait des membres des sectes juives radicales esséniennes et zélotes, s'opposaient à la présence de Rome en Palestine et à l'exploitation qu'elle entraînait. Ils voulaient aussi mettre tous leurs biens en commun. Mais par la suite, l’Eglise catholique et la papauté ne vinrent pas aux premiers rangs du pouvoir pour présider à l'avènement espéré du paradis sur Terre dont rêvaient les premiers chrétiens, mais à celui d'une nouvelle société d’exploitation faisant suite à l'Antiquité, le système féodal.
A l’époque du féodalisme, l’Eglise de Rome était un bastion politique, militaire, économique et idéologique de premier ordre.
Le protestantisme, qui dès le 15e siècle commença à remettre en cause l'omnipotence de l'Eglise, fut en réalité l'expression de la rébellion de la bourgeoisie contre la féodalité. Lors de la Révolution française en 1789, certaines fractions radicales et anti-cléricales de la bourgeoisie cherchèrent même à se débarrasser des oripeaux de la religion. Mais au fur et à mesure que le prolétariat affirmait sa force de classe et se montrait comme le véritable danger pour l'ordre bourgeois, qu'il mettait à bas le mythe égalitaire bourgeois cherchant à masquer l'exploitation capitaliste, la classe dominante est revenue à de bien meilleurs sentiments à l'égard de la religion.
Aujourd'hui, le système capitaliste est en déclin depuis presque un siècle. Et une des preuves que nous sommes dans les dernières phases de ce déclin tient justement dans le renouveau de la religion, ressource clé de l'intoxication idéologique mais aussi produit de la pourriture idéologique capitaliste. Ainsi aux Etats-Unis, dans le pays le plus puissant et le plus développé du monde, la religion du Christ renaissant a une influence réelle non seulement dans de larges secteurs de la population mais aussi aux plus hauts niveaux de l'administration Bush.
Au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, l'Islam fondamentaliste se présente comme la seule réponse à la misère des opprimés. En Israël, les partis religieux messianiques ont une parole majeure dans la vie politique du pays. En Europe et en Amérique, les délires néo-paganistes moyen-âgeux ont monté en force. La plupart de ces idéologies soutiennent que nous vivons les "derniers jours" ; en un sens, elles ont raison. Leur propre renouveau est une expression de l'irrationalité profonde et du désespoir qui accompagnent l'idéologie de cet ordre social en décomposition.
Pousser les pauvres à se résigner à leur sort : une grande "mission" de Jean-Paul II
Le rôle de l'Eglise catholique, à l'instar des autres, pour offrir une fausse perspective, le bonheur dans l'au-delà, et dévoyer les questionnements sur la société capitaliste est essentiel. Il existe un milliard de catholiques dans le monde et l'Eglise de Rome détient encore une énorme influence dans les régions les moins développées de l'Afrique, de l'Asie, et spécialement des pays d'Amérique latine. Elle reste une force majeure de contrôle social. Ce contrôle est partiellement exercé par des doctrines ouvertement réactionnaires qui se sont renforcées sous le règne de Jean-Paul II. Il en est ainsi de positions telles que l'opposition du Vatican aux méthodes de contraception et l'interdiction renouvelée en pleine épidémie de Sida d'utiliser des préservatifs. L'Eglise catholique a ainsi contribué de façon très conséquente à la mort de millions de personnes sur le continent africain en particulier, mais aussi en Amérique latine et en Asie. Tout cela au nom de la "pureté de l'âme" !
Mais le "charisme" de Jean-Paul II n'a pas servi qu'à aider les sidéens croyants à passer ad patres en conservant l'âme pure, grâce à une libido en harmonie avec les lois de Dieu ; il a aussi été d'une lumineuse utilité pour maintenir les exploités dans la croyance que l'Eglise pouvait leur venir en aide, c'est-à-dire pour les faire rester ou rentrer dans le rang de la "juste" exploitation capitaliste. Ce commis voyageur de l'idéologie capitaliste, version bon apôtre, n'a donc pas économisé ses forces pour apporter la bonne parole aux pauvres et aux miséreux de par le monde, contre les "excès" du capitalisme. C'est même dès son intronisation papale qu'il accourt en 1978 à la rescousse des exploiteurs d'Amérique latine devant le développement de luttes de plus en plus massives au sein des exploités des zones urbaines et agricoles. Et c'est justement surtout dans les pays les plus pauvres et où l'influence du catholicisme est la plus grande qu'on le verra donner toute sa mesure. A côté des discours à résonance "sociale", ses voyages répétés en Amérique du Sud seront aussi l'occasion d'affermir ses troupes des "Théologiens de la Libération", groupes travaillant main dans la main avec les partis de gauche et les syndicats afin de dévoyer les révoltes potentielles de masse dans les impasses de la démocratie et du nationalisme.
Rappelons encore son rôle dans le sabotage de la lutte des ouvriers de Pologne en 1980-1981, rôle assuré grâce à un soutien public à Solidarnosc et à un Walesa ultra-catholique dont l'action avait conduit à la défaite ouvrière et à la répression brutale de l'Etat polonais.
Un infatigable commis voyageur de l'impérialisme
Si, en Europe de l'Ouest, l'Eglise catholique n'a depuis longtemps plus de moyens d'influencer les luttes ouvrières, elle détient cependant une place d'importance dans les manœuvres sordides du système capitaliste. Durant les années 1930 et dans la Seconde Guerre mondiale, Hitler, Mussolini et Franco étaient de mèche avec la hiérarchie catholique, qui donna entre autres crapuleries son assentiment plus que tacite à l'Holocauste. A ce jour, alors que tous les éléments historiques ont été depuis belle lurette réunis et rendus publics, la papauté refuse de reconnaître sa responsabilité dans ses crimes ; elle est en l'occurrence un fois de plus au diapason de toutes les puissances impérialistes sorties victorieuses du deuxième conflit mondial.
Il faut dire que bien des liens se sont tissés entre elles. Ainsi, après la "Libération" et lors de la Guerre froide, le Vatican était devenu un pion de premier plan dans la lutte du bloc de l'Ouest contre le "communisme athée" de l'Est (en fait, la forme stalinienne du capitalisme d'Etat). D'ailleurs, c'est du fait de ses positions pro-occidentales avérées que Jean-Paul II avait été mis en place comme serviteur du bloc américain. Il a été le fer-de-lance de cette croisade au nom de "l'anti-communisme" aux quatre coins de la planète. Et c'est ainsi en tant que prêcheur des intérêts de l'impérialisme occidental qu'on avait pu le voir parcourir le monde jusqu'en 1989.
Suite à l'effondrement du bloc de l'Est, Jean-Paul II s'était trouvé une nouvelle mission, celle de l'anti-américanisme et de l'alignement avec l'Europe contre une première puissance mondiale qu'il avait servi durant vint ans. C'est en ce sens qu'il faut comprendre les prises de positions papales contre les interventions militaires américaines, en particulier contre celles en Irak, tout comme ses discours anti-mondialistes qui visaient en réalité l'hégémonie des Etats-Unis. Le tout n'a jamais rien eu à voir avec une quelconque défense des intérêts des populations.
Dans l'interminable procession des défenseurs de l'enfer capitaliste et des maux qu'il représente pour l'humanité, Jean-Paul II a tenu une place de choix. C'est pourquoi la bourgeoisie lui a rendu un si éclatant hommage.
Mulan (22 avril)