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ICConline - 2017

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ICConline - mars 2017

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La Révolution russe 1917 - 2017

En février 1917, les masses russes renversent le régime tsariste, synonyme de tout ce qui est réactionnaire et rétrograde, et ouvrent la voie à la prise du pouvoir par les travailleurs en octobre de la même année.

Aujourd'hui, la révolution a été reléguée en toute sécurité aux livres d'histoire et aux documentaires télévisés, et c'est là que les classes dirigeantes voudraient qu'elle reste.

Mais en réalité, le problème posé en 1917 demeure le problème de notre époque. En plongeant le monde dans une guerre d'une barbarie inimaginable, la classe capitaliste démontra que sa domination n'avait rien à offrir à l'humanité que le sang et l'horreur. Les ouvriers russes ont montré la voie vers un renversement mondial du capitalisme, et ce sera leur mérite éternel.

En 1917 la question a été posée : socialisme ou barbarie ? Quand nous regardons le monde d'aujourd'hui, qui peut douter que cette question demeure la plus fondamentale de notre temps, même si ses termes ont changé ? En ce sens, l'avenir appartient encore à la révolution russe.

Le prolétariat d'aujourd'hui frappe autant les claviers que le métal. Mais c'est plus que jamais une classe internationale, associée dans un processus mondial de production. La révolution russe de 1917 appartenait au prolétariat de l'époque. La révolution mondiale à venir sera l'œuvre de ses héritiers, le prolétariat mondial de l'avenir.

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ICConline - avril 2017

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ICConline - août 2017

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ICConline - septembre 2017

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Face à l'impasse du capitalisme: seul le prolétariat porte un avenir

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Un panorama de la situation internationale montre l'accentuation de la barbarie et du chaos mondial. La série impressionnante d'attentats durant cet été, frappant de nouveau le cœur du monde capitaliste, ajouté à la guerre au Moyen-Orient, en sont des illustrations tragiques.

L'impasse d'un mode de production barbare

Quelles que soient les cliques au pouvoir et leurs mesures sécuritaires, elles étalent leur impuissance et la vacuité de leurs promesses lorsqu'elles prétendent vouloir améliorer notre quotidien et notre sécurité. En réalité, leurs conduites sont totalement dictées par des objectifs inverses : assurer l'exploitation maximale du travail salarié en temps de crise et défendre des intérêts impérialistes où les civils sont otages de quadrillages militaires et policiers. Tout ceci confirme l'impasse historique d'une classe dominante bourgeoise à bout de course, soufflant la peste et le choléra pour maintenir ses privilèges et son mode de production obsolète. Au quotidien, la corruption, l'aggravation des tensions entre fractions et cliques bourgeoises, la spirale de la violence, le chômage massif et la paupérisation sont les œuvres majeures d'une crise économique chronique, expression d'un mode de production capitaliste dont l'agonie prolongée menace aujourd'hui l'espèce humaine. Malgré les tentatives désespérées de la part de la classe dominante pour faire émerger des fractions plus lucides, responsables et présentables, comme ce fut le cas en France avec la tentative malgré tout réussie de mettre au pouvoir un Macron, le discrédit politique des partis traditionnels et les personnalités en panne d'inspiration conduisent le plus souvent les moins aptes à la "gouvernance" pour défendre les intérêts supérieurs du capital: incapacité d'entreprendre de réelles politiques globales et cohérentes, d'avoir une vision en profondeur sur le long terme (autre que celle du profit et de la rentabilité immédiate). Ce phénomène est alimenté par le "populisme", un produit de la décomposition capitaliste qui s'est enkysté insidieusement dans la société. Dans plusieurs pays, la classe dominante en vient de ce fait à perdre graduellement le contrôle des rouages politiques qu’elle a durant des décennies utilisé pour tenter de freiner les effets politiques les plus néfastes et délétères du capitalisme en faillite. L’État et les fractions les plus conscientes de la bourgeoisie tentent bien de réagir, ponctuellement avec quelques succès, comme on vient de le souligner pour le cas Macron, mais ceci ne fait que retarder ou ralentir ce processus, sans vraiment pouvoir l'enrayer définitivement. Ce dernier s'aggrave au contraire en détériorant la situation. Et en effet, depuis le Brexit et l'élection de Trump, les incertitudes, les revirements et l'imprévisibilité la plus totale n'ont fait que donner un coup de fouet à la dynamique du "chacun pour soi" et à la barbarie croissante. Un peu partout dans le monde, les hommes politiques, au centre des grandes décisions, tendent à exprimer la part la plus sombre de leur personnalité. On observe un Poutine manipulateur et paranoïaque, tout comme Érdogan en Turquie est adepte du culte de la personnalité, un Maduro jusqu'au-boutiste prêt à tout "brûler" au Venezuela, s'agrippant coûte que coûte au pouvoir, un Duterte dirigeant les "escadrons de la mort" et prêt à tuer n'importe quel opposant et à s'en vanter ouvertement, un Kim-Jong-Un, colérique et provocateur, véritable psychopathe..., la liste est trop longue pour continuer. Le plus frappant, c'est surtout qu'au cœur même de grandes nations, notamment de la première puissance mondiale, les États-Unis, on trouve des personnalités comme par exemple un Trump, totalement narcissique, pétri lui aussi de brutalité et d'imprévisibilité. En Grande-Bretagne, les volte-face de Theresa May rendent l'avenir de l''UE très incertain. Comment expliquer la simultanéité de ces profils, aussi multiples que tristement semblables, auparavant l'apanage de quelques "républiques bananières" ?

Tout cela n'est pas le fruit, selon nous, d'un simple hasard, mais un produit de la période historique actuelle. La phase ultime de décomposition du mode de production capitaliste marque l'histoire et la personnalité des hommes de son empreinte. Elle exprime leurs limites en dictant presque leurs actes, ceux de l'impuissance marquée par le sceau de l’aveuglement, de l'irresponsabilité, de l'immoralité et quasiment une soif de répression et de terreur, en se déclarant prêts à faire couler le sang... Parmi les réflexions les plus remarquables du mouvement ouvrier sur le sujet, on peut se remémorer les écrits de Trotski : "certains traits de ressemblance sont, naturellement, dus au hasard et n'ont, dans l'histoire, qu'un intérêt anecdotique. Infiniment plus importants sont les traits greffés ou directement imposés par de toutes puissantes circonstances, qui jettent une vive lumière sur les rapports réciproques de l'individu et des facteurs objectifs de l'histoire".1 Exprimant tout en finesse par un cadre théorique les portraits et les destins croisés du tsar Nicolas II de Russie et du roi Louis XVI en France, Trotski a su parfaitement dépeindre les marques du déclin historique sur ces célèbres figures de l'aristocratie :"Louis et Nicolas étaient les derniers rejetons de dynasties dont la vie fut orageuse. En l'un et l'autre, un certain équilibre, du calme, de la "gaieté" aux minutes difficiles exprimaient l'indigence de leurs forces intimes de gens bien éduqués, la faiblesse de leur détente nerveuse, la misère de leurs ressources spirituelles. Moralement castrats, tous deux, absolument dénués d'imagination et de faculté créatrice, n'eurent que tout juste assez d'intelligence pour sentir leur trivialité et ils nourrissaient une hostilité jalouse à l'égard de tout ce qui est talentueux et considérable. Tous deux se défendirent contre l'invasion d'idées nouvelles et la montée de forces ennemies. L'irrésolution, l'hypocrisie, la fausseté furent en tous deux l'expression non point tant d'une faiblesse personnelle que d'une complète impossibilité de se maintenir sur des positions héritées."2Et il ajoute ceci : "les déboires de Nicolas comme ceux de Louis provenaient, non de leur horoscope personnel, mais de l'horoscope historique d'une monarchie de caste bureaucratique. Tous deux étaient, avant tout, les rejetons de l'absolutisme."3 Avec la phase de décomposition du capitalisme, on atteint une dimension supplémentaire car les deux dernières classes fondamentales de l'histoire : la bourgeoisie et le prolétariat, dans leur confrontation réciproque, ne parviennent pas pour l'instant à affirmer une perspective ouverte au sein de la société, à donner un sens visible pour notre futur. Notre époque trouve aussi ses "rejetons", des Louis XVI et des Nicolas II à foison presque plus caricaturaux... Porteurs d'idéologies de plus en plus marquées par la décomposition et du fait de l'absence d'une alternative révolutionnaire pour l'instant, les dirigeants bourgeois ne nous offrent que l'odeur de la terre brûlée. La société est comme bloquée, enfermant l'humanité dans la prison tragique de l'immédiat, plongeant ainsi le monde dans la le chacun pour soi, la rapine, le chaos et la barbarie croissante.

La politique populiste aggrave la situation mondiale

Depuis l'élection de Trump, la situation mondiale s'est fortement dégradée. De par le contexte historique particulier, les actes d'un tel personnage, inspirés par ses vues étriquées de dirigeant d’entreprise despote et mégalomane, animé par une sorte de révolte sournoise, obscurantiste et paradoxalement "anti-élite" qui s'était déjà installée comme référent au sein de la société civile, le pousse à rompre avec les traditions et les codes d'un ordre établi de plus en plus rejeté.

On peut en illustrer les conséquences. On a vu la politique américaine de Trump mettre de l'huile sur le feu en entrant dans le jeu des surenchères militaires avec la Corée du nord, soulignant en arrière-plan un réel bras de fer de plus en plus tendu et dangereux avec la Chine et d'autres puissances asiatiques. Autre exemple significatif parmi tant d'autres, la conduite de Trump au Moyen-Orient, remettant en cause la politique traditionnelle des États-Unis par des revirements diplomatiques brutaux, notamment contre l'Iran, jetant aussi de l'huile sur le feu de cette poudrière. Du coup, les États-Unis, puissance déclinante, apparaissent encore moins "fiables", d'autant qu'ils sont eux-mêmes aspirés par la dynamique des tensions militaires, poussés à faire usage des armes sans pouvoir freiner la spirale de guerre. Il en est ainsi à Mossoul, où la guerre entre la coalition et Daesh se soldent par 40 000 morts civils, annoncés en catimini par les média, sans qu'une alternative visible au chaos et aux cendres n'apparaisse pour cette région. Alors que le but affiché était de "lutter contre le terrorisme", le résultat a été contraire : une vague d'attentats accrue, ponctuée par exemple par les tragiques événements de Barcelone et par la recrudescence d’un flux de réfugiés tentant de fuir la guerre et la misère au péril de leur vie. Ces derniers sont, soit refoulés vers des camps, soit livrés à la mort en Méditerranée. L'absence totale de vision politique, l'enlisement dans une logique de guerre ne font que généraliser la violence et les mécanismes de vengeances, diffuser les métastases du terrorisme, diluer et généraliser l'influence de l'idéologie djihadiste vers des zones géographiques plus large et étendues, comme en Afghanistan.

Ces tensions au Moyen-Orient, porteuses de guerre, ne sont pas uniques. Dans le même sens, les annonces de Trump d'une possible intervention militaire américaine au Venezuela n'ont fait que durcir la position de Maduro au lieu d'apaiser la situation, ce dernier instrumentalisant cette menace américaine pour justifier sa politique (cf. notre article sur Venezuela). Sur le plan de la politique intérieure aux États-Unis, les déclarations et les actes politiques de Trump n'ont fait que s'accumuler, là aussi, aiguisant les tensions et le discrédit gouvernemental, par exemple les sympathies affichées par le président envers les activistes les plus racistes de l’extrême-droite après les récents incidents de Charlottesville, en Virginie. Tout ceci n'a fait qu'exacerber les tensions au sein même de l'État, ce qui affaiblit d'autant l'image des États-Unis et surtout de son chef dans le monde.

Mais ces tensions politiques et militaires aggravées ne sont pas les seules expressions de l'impasse historique dans laquelle nous plongent le capital et ses dirigeants corrompus. Les décisions prises alimentent aussi la guerre commerciale. Le renforcement du protectionnisme et du "chacun pour soi" économique, malgré une sonnette d'alarme comme celle de la crise financière de 2008, la politique de fermeture exclusive "America First", ne peut que plonger davantage le monde dans la crise globale, le chômage massif et la misère sociale. La guerre commerciale exacerbée génère en plus des désastres écologiques. Les déclarations de Trump, dépassant les plus audacieuses revendications des lobby du pétrole, révélant sa froide désinvolture vis-à-vis du réchauffement climatique, ironisant sur les accords de Paris (COP 21) qui avaient pourtant permis à la bourgeoisie de s'acheter une bonne conscience, traduisent bien la folie du capital. Malgré les beaux discours "green washing" dont nous ont abreuvés les média, la réalité du système capitaliste plonge le monde dans un environnement de plus en plus dégradé.

Bref, ce que nous pouvons observer, c'est que les superstructures idéologiques de la société bourgeoise, qui sont affectées par la réalité et l'impasse du mode de production capitaliste en décomposition, agissent elles-mêmes comme forces matérielles de destruction. L'absence de perspective qui affecte la société constitue une lourde entrave pour la seule classe potentiellement capable d'opposer une véritable alternative révolutionnaire, le prolétariat. Le fait de sa perte d'identité de classe et de la propagande cherchant à dénaturer et attaquer son combat révolutionnaire, oblige le milieu politique prolétarien et une organisation révolutionnaire comme le CCI à un très grand esprit de responsabilité. Parce qu'elle est porteuse d'un programme et dotée d'une expérience liée à celle de toute l'histoire du mouvement ouvrier, l'organisation révolutionnaire est indispensable pour favoriser la réflexion et permettre à la classe ouvrière de renouer avec son passé, en particulier celui de la vague de luttes internationales des années 1920, notamment le combat des bolcheviks qui a permis la victoire de l'Octobre rouge. Au moment du centenaire de la Révolution de 1917 en Russie, il s'agit de renouer avec les leçons fondamentales de cette expérience irremplaçable. C'est en s'appropriant ce passé de façon critique, avec un esprit de combat, que le prolétariat pourra préparer à nouveau un futur digne de la communauté humaine mondiale. C'est en combattant pour cette perspective que les révolutionnaires doivent se donner les moyens de défendre les principes du communisme : une société sans classe et sans exploitation.

WH, 28 août 2017

 

1 Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Tome 1, Collection Points, Ed. du Seuil, p. 134).

2 Idem, p. 135.

3 Idem, p. 136. 

 

ICConline - octobre 2017

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Aung San Suu Kyi : l’icône bourgeoise de la paix déchaîne la barbarie

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Depuis la fin du mois d’août, l’armée birmane persécute, torture, viole et tue des milliers d’habitants de l’État de Rakhine (traditionnellement dénommée Arakan) issus de la minorité musulmane rohingya, une région particulièrement pauvre à l’ouest de la Birmanie, dans un État où la population est en grande majorité bouddhiste. Rejetés et privés de droits civiques depuis des décennies, les Rohingyas ont été victimes d’une poussée de violence extrême suite à l’attaque d’une trentaine de postes de police par un groupe armé autoproclamé : Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA). Dans cette confrontation où la population paie comme toujours le prix fort, les intérêts impérialistes contradictoires n’ont fait qu’attiser la violence : au nom de la “lutte contre le terrorisme”, le pouvoir central birman a saisi l’occasion de reprendre le contrôle d’une région stratégique, riche en minerais, convoitée par les vautours impérialistes les plus divers : États-Unis, Inde, Chine, Royaume-Uni...

Les rebelles eux-mêmes, comme l’ethnie entière, n’ont jamais été que des pions, manipulés par telle ou telle puissance présente dans la région. Cette minorité avait en effet servi de soutien et de force “loyaliste” au XIXème siècle et jusqu’en 1948 à l’impérialisme britannique en Birmanie contre les indépendantistes. Aujourd’hui, les rebelles sont largement suspectés d’être financés par l’Arabie Saoudite, tout comme le ralliement à la cause des Rohingyas, propagé dans l’ensemble du monde musulman, de l’État du Maroc au régime iranien en passant par l’Indonésie, apparaît hautement intéressé.

Après ce mois de violences, on dénombre officiellement plus de mille morts et quelque 500 000 personnes contraintes à fuir vers le Bangladesh voisin. Ils s’ajoutent aux 300 000 autres réfugiés Rohingyas qui vivent déjà dans les camps miséreux et insalubres du Bangladesh après avoir fui la Birmanie en raison de précédentes violences. Cette minorité, méprisée puis persécutée par le pouvoir birman, n’a fait que subir en permanence la violence du capitalisme, comme en 2012, par exemple, où la répression militaire fut terrible. Elle s’ajoute à la longue liste des minorités ayant subi la violence de l’État. Depuis 1948, c’est par exemple la minorité tibéto-birmane Karen qui a enduré les foudres de la persécution, au point qu’il n’est pas exagéré de parler de génocide.

Épuration, exclusion : des marques de fabrique du capitalisme

La Birmanie elle-même n’est en rien une exception quand on parle de persécutions et de massacres de masse. L’histoire est pleine d’exemples les plus horribles, de la colonisation de l’Afrique par les nations européennes, celle de l’Asie par l’Empire britannique, en passant par la constitution-même des États-Unis avec le génocide des Amérindiens ou l’extermination méthodique des Juifs et des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale. L’extermination de populations entières caractérise la vie du capitalisme depuis ses origines. Si toutes les démocraties ont pu clamer en chœur après la Shoah : “plus jamais ça !”, remplir les manuels scolaires d’appels à ne “jamais oublier”, se faire les championnes de la défense de “libertés publiques” face aux persécutions du totalitarisme hitlérien ou stalinien, les “nettoyages ethniques” n’ont jamais cessé et se sont multipliés depuis : Arménie, Tchétchénie, Darfour, Yougoslavie, Rwanda, Tamouls au Sri Lanka... pour ne citer que les plus emblématiques, les plus abjects d’atrocité et d’hypocrisie de tous les États démocratiques face à cette barbarie.

La décadence et l’état de décomposition du capitalisme aujourd’hui n’ont fait qu’accélérer et amplifier ce processus de destruction et de mort de peuples et d’ethnies accusées à chaque fois d’être la source de tous les maux sociaux, politiques, accusés de freiner le bon développement de la “civilisation” contemporaine. Ce sont des boucs émissaires faciles dont aucun État ne s’est jamais privé pour arriver à ses fins et asseoir sa domination.

Aung San Suu Kyi : l’icône de la paix au service de la guerre

Depuis un mois, toute la presse bourgeoise, nombre de figures politiques, religieuses, artistiques, en ont appelé à la responsabilité d’Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis avril 2016, pour faire cesser le massacre. Ce fut dans un premier temps, le silence absolu de ce prix Nobel de la Paix en 1991, opposante “irréductible” de la junte militaire birmane pendant près de quinze ans, auréolée de son emprisonnement, et enfin libérée pour, dit-on, engager l’“ouverture démocratique” de son pays. Quand elle prit la parole mi-septembre, ce fut pour réfuter la réalité des massacres et dénoncer la “désinformation” de la presse occidentale sur la situation et les violences en cours. Celle que la bourgeoisie présentait encore hier comme la “Nelson Mandela asiatique”, le chevalier blanc de la démocratie, pouvait bien déclarer qu’elle est née pour “protéger les droits humains” ou que “toutes les lois répressives doivent être révoquées. Et les lois doivent être introduites pour protéger les droits du peuple”, elle tombe aujourd’hui du piédestal sur lequel elle “rayonnait”. Du milieu humanitaire et diplomatique, en passant par le rock et son incontournable champion humanitaire, Bono, par le cinéma et ses réalisateurs, Luc Besson ou John Boorman, en passant par les anciens dirigeants du monde entier comme Bill Clinton, Jimmy Carter ou Jacques Delors, chacun se devait pourtant de saluer la “Mère courage” et sa détermination.

Rappelons cette déclaration, parmi tant d’autres, emblématique de l’hommage international dont Aung San Suu Kyi était l’objet : “On ne dit pas assez à quel point la stratégie de non-violence active (une des racines de l’écologie) portée par Aung San Suu Kyi et ses partisans, est la vraie réussite de cette histoire. Persévérance, patience, volonté de compréhension et de réconciliation, capacité de compromis… mais aussi fermeté et inflexibilité sur l’objectif, tout chez Aung San Suu Kyi rappelle ce qu’ont porté avant elle Gandhi, Martin Luther King, Mandela, Vaclav Havel… et aujourd’hui le Dalaï-Lama. (...) Face au totalitarisme, la paix et la démocratie sont possibles, un jour ou l’autre, surtout quand “l’on sait que c’est le plus patient qui gagne à la fin”. En effet, aujourd’hui, l’évolution de la Birmanie, et la liberté d’expression et d’action de “La Dame de Rangoon”, sont des signes d’espoir pour toute l’Asie, et pour tous les combats non-violents de la planète. Des signes d’espoir, pour la liberté, pour la solidarité, pour l’écologie”.(1 [1]) On croit rêver !

La brave “Dame de Rangoon” aurait-elle trahi, renié ses principes ? Est-elle une personnalité ayant abusé le monde entier ? Même pas... La réalité est plus simple et plus prosaïque : Aung San Suu Kyi n’est qu’une représentante du monde capitaliste, une expression de la classe bourgeoise, ni plus ni moins. Ce prix Nobel de la Paix est bien la fille du général Aung San, protagoniste de l’indépendance du pays et chantre du nationalisme birman, écartant la plupart des différentes composantes ou minorités ethniques du pays. Continuité, filiation et tradition…dans la boue et le sang ! Elle-même l’affirme fièrement : “J’ai toujours été une femme politique. Je n’ai pas débuté en politique comme défenseur des Droits de l’Homme ou comme travailleur humanitaire, mais comme dirigeante d’un parti politique”. Cela a le mérite d’être clair. Effectivement, l’icône de la paix assume aujourd’hui son rôle à la tête de l’État birman, composant sans états d’âme avec la soldatesque qui l’a emprisonnée puis portée au pouvoir.

Certains, assez lucides sur sa place de vitrine civile “politiquement correcte” de l’État birman, attendaient au moins un mot de compassion, un “appel à la raison” face à la tuerie en cours. Que nenni : l’armée (qu’elle salue) réprime et tue en prétendant éradiquer le terrorisme au nom de l’intérêt général ! Dans la bouche de la bourgeoisie, défendre l’intérêt général c’est défendre l’intérêt de la nation, c’est-à-dire défendre l’État capitaliste et sa violence, démocratique ou non. Aung San Suu Kyi a toujours été et reste fidèle à sa cause, le capitalisme, à sa classe, la bourgeoise. Au fond, le communiqué effarant d’EELV est dans le vrai : Aung San Suu Kyi porte en elle ce qu’ont porté avant et après elle Gandhi, Martin Luther King, Mandela, Lech Wałęsa, Desmond Tutu, Yasser Arafat, Jimmy Carter ou Obama, présentés comme les apôtres de la paix, de la transformation du monde capitaliste. Qu’on en juge avec quelques exemples :

Avec l’arrivée au pouvoir de Mandela, emprisonné 27 ans, libéré pour enfin “jeter les bases d’une nouvelle Afrique du Sud démocratique”, prix Nobel de la paix en 1993, l’Afrique resta “un État du “tiers-monde” dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violence dans lequel surnagent quelques secteurs ultra-performants, mais de plus en plus réduits, le plus souvent dirigés par des Blancs(…). Le climat social est empoisonné par les criantes inégalités nourries par les “Black Diamonds”, ces nouveaux riches noirs, profiteurs insatiables et corrompus qui ont fait main basse sur l’économie du pays, affichant avec insolence un luxe ostentatoire”.(2 [2]) Sans commentaires...

La victoire “historique” d’Obama, le “premier Président Noir des États-Unis d’Amérique” devait être du même tonneau : enfin un Noir aux commandes d’un pays ravagé par les inégalités sociales et le racisme : “Ensemble, nous changerons ce pays et nous changerons le monde”. Le 10 décembre 2009, Barack Obama reçoit le Prix Nobel de la Paix à Oslo. Huit ans plus tard, d’après l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les États-Unis demeurent l’un des pays où l’écart entre riches et pauvres est le plus important ! Plus de 30 000 personnes meurent encore sous les balles chaque année aux États-Unis, très souvent des Noirs... Sur le plan militaire, Obama a poursuivi la politique impérialiste américaine en Afghanistan, en Syrie, en Irak et a engagé son pays sur de nouveaux terrains où il était jusque-là presque absent : au Maghreb, en Libye, au Mali et au Nigeria ; il a fait installer des bases de drones au Niger, frontalier du Mali, du Nigeria et du Cameroun, tandis que des frappes “ciblées” étaient menées en Somalie et ailleurs.

A chaque fois, ces icônes propulsées comme autant d’espoirs et d’hommes/femmes providentiels, n’ont abouti qu’à illusionner davantage les exploités et les détourner de la véritable prise en charge collective, consciente de la lutte contre le capitalisme et sa barbarie.

Le bouddhisme au chevet de l’État capitaliste

Il est nécessaire de s’arrêter sur la dimension religieuse de la situation en Birmanie. En effet, le rejet le plus violent des musulmans rohingyas s’exprime dans la population bouddhiste, majoritaire en Birmanie. Les moines bouddhistes eux-mêmes attisent cette haine et poussent au pogrom. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à jouer eux-mêmes du bâton et de l’agression physique, entraînés par un moine ultra-nationaliste et anti-musulman Wirathu (qui a inspiré le long-métrage : Le vénérable W). Ce personnage a passé plusieurs années en prison à l’époque de la junte, pour ses appels à la haine, avant d’être amnistié.

Qu’à cela ne tienne ! Aung San Suu Kyi a ses défenseurs, contre vents et marée : “La grande dame, elle, suit une voie bouddhiste très pure, et qui fait de son mieux malgré toutes les insultes et les mensonges propagés par les médias atlantistes à son encontre… Que peut-elle faire ? Favoriser une minorité qui met en danger la majorité ? Laisser les États-Unis déstabiliser le pays avec les Rohingyas qui, pour beaucoup sont certainement en fait des Bengalis? Non, elle fait ce qu’il y a de mieux pour son pays et la majorité des habitants et n’est certainement pas responsable des crimes que l’on lui reproche”.(3 [3])

En réalité, la « pureté » du bouddhisme en Birmanie n’est utilisée que dans l’intérêts de l’Etat capitaliste, un Etat basé sur une identité religieuse et un chauvinisme national. Mais là encore, ce n’est pas une surprise. Tout comme de nombreuses religions dans le monde, le bouddhisme trouve son origine dans la révolte des opprimés contre l’ordre existant, en particulier le système des castes hindoues. Par conséquent, tout comme la religion de l’ancien Israël, le proto-christianisme ou l’islam, il était caractérisé par des valeurs morales élevées basées sur la vision qui émergeait d’une humanité commune. Mais, incapable d’offrir une véritable solution aux souffrances de l’humanité, ces mouvements ont été transformés en religions d’Etat exprimant les intérêts de la classe dominante et même leurs meilleurs visions éthiques se sont transformées en justifications de la préservation de l’ordre existant divisé en classes. Dans le capitalisme décadent entré en décomposition, cependant, les religions dans le monde sont devenues de plus en plus de pures et simples apologies du racisme, de l’exclusion et de la guerre. Le bouddhisme, pourtant largement réputé comme une religion tolérante et pacifique, n’a pas pu échapper à ce destin.

 

En perspective, la situation en Birmanie n’est hélas qu’un épisode de plus de l’agonie sanglante du capitalisme. Derrière toutes les clameurs internationales indignées du monde bourgeois, se poursuivent toutes les confrontations, les rapports de forces et les tractations de la concurrence impérialiste : concrètement, malgré les exactions dénoncées, le soutien à l’État birman et à son armée reste entier de la part des États occidentaux dans la mesure où ils peuvent freiner la progression de l’impérialisme chinois dans la région, lequel essaie de s’ouvrir un accès vers le Golfe du Bengale et, de là, vers une mer ouverte afin de mettre en place sa nouvelle « route de la soie » vers l’Europe.

Seule la lutte de classes, avec le développement de la solidarité de classe internationale, peut en finir avec les pogroms et le nettoyage ethnique. Le chemin est encore long, très long, mais il n’y en a pas d’autre.

Stopio, 2 octobre 2017

 

1 [4] Europe Écologie-Les Verts (EELV), communiqué de juin 2012.

2 [5] Commission économique de l’Afrique (ONU), 2013.

3 [6] Alter Info, septembre 2017.

 

Géographique: 

  • Asie [7]

Rubrique: 

Situation internationale

Crise au Venezuela : le prolétariat exposé à la misère, au chaos et à la répression du capitalisme

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Nous publions ci-dessous un article écrit par nos camarades d’Internacionalismo, section du CCI au Venezuela, dans lequel notre organisation prend position du point de vue de l’internationalisme prolétarien sur la grave crise que traverse ce pays. Nous y dénonçons l’hypocrisie de la bourgeoisie mondiale et sa complicité avec les cliques bourgeoises aussi bien chavistes que d’opposition qui plongent le prolétariat comme l’ensemble de la population dans la barbarie. Nos camarades analysent comment le chavisme, produit et expression de la décomposition du système capitaliste, utilisant l’escroquerie idéologique du « socialisme du 21e siècle », s’est installé sur la base d’une attaque contre les conditions de vie, la conscience et la combativité du prolétariat. De même, ils analysent comment les tensions inter-impérialistes sont un facteur qui a contribué à aggraver la crise. L’article pose comme perspective que la seule issue possible à la situation de barbarie que connaît le Venezuela et le monde entier continue à demeurer entre les mains du prolétariat qui, à travers sa lutte consciente, peut parvenir à renverser le système capitaliste qui nous plonge dans le chaos et le désespoir.

Quotidiennement, la presse mondiale et un nombre illimité de sites sur internet et sur les réseaux sociaux nous abreuvent de nouvelles sur la situation dramatique vécue au Venezuela : aggravation de la pénurie et du désapprovisionnement en nourriture, médicaments et produits de bases ; hausse incontrôlée des prix sur le peu de produits qui restent disponibles, réduisant maintenant une partie de la population à souffrir de famine ; mort par dénutrition d’enfants et de malades à cause de la dégradation du système hospitalier et de santé… A cette situation s’ajoutent plus de 120 morts à ce jour, des milliers de blessés et de détenus, résultats de l’affrontement entre les factions rivales du capital vénézuélien dans leur lutte pour le pouvoir, à cause de la brutale répression des forces policières et militaires du régime chaviste de Maduro au cours des manifestations appelées par l’opposition et des protestations de la population entre les mois d’avril et de juin de cette année.

Le désespoir de la population est tel que des milliers de personnes cherchent les moyens de fuir le pays. Les gouvernements de Colombie et du Brésil évoquent l’arrivée de dizaines de milliers de migrants vénézuéliens, certains d’entre eux vivant de manière misérable dans les rues des villes les plus proches de leurs frontières respectives. L’augmentation des tensions politiques comme l’accentuation de la crise économique menacent de créer une vague de réfugiés semblable à celle produite par les exodes de populations en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou de certains pays africains fuyant la barbarie guerrière ou la misère.

Cependant, les médias, conformément à leur rôle idéologique, transmettent une vision totalement déformée de la réalité, qu’ils prennent parti pour l’une ou l’autre des fractions bourgeoises, pro-chaviste ou d’opposition, qui sont en lutte pour le pouvoir au Venezuela. D’autre part, un grand nombre de gouvernements latino-américains et dans le monde rivalisent entre eux pour monter au créneau en dénonçant la « crise humanitaire » et la répression contre la population, qualifiant de dictature le régime de Maduro, exigeant le respect de « la démocratie » et « des Droits de l’Homme ». Ils veulent nous faire oublier que la plupart d’entre eux, il y a encore quelques années, encensaient et saluaient avec enthousiasme le gouvernement de Chavez pour avoir « pris en considération » le sort des masses déshéritées marginalisées et, selon leurs dires, avoir sorti des millions de Vénézuéliens de la pauvreté grâce à une prétendue « redistribution de la richesse sociale » et que l’ONU rendait hommage aux réussites du gouvernement vénézuélien pour avoir rempli les objectifs du Millénaire. Ce qu’exprime ces gouvernements et ces organismes, c’est l’immense hypocrisie de la classe bourgeoise au niveau mondial : de même que les fractions bourgeoises chavistes (regroupées dans le  GPP- Grand Pôle Patriotique ) et les forces d’opposition (rassemblées autour de la MUD- Mesa de la Unidad Democratica-)1 de la bourgeoisie vénézuélienne en lutte pour le pouvoir, les classes dominantes au niveau régional comme mondial ont leur part de responsabilité dans la barbarie où sont plongés la population et le prolétariat au Venezuela.

Pour neutraliser cette campagne idéologique, il est nécessaire que le prolétariat puisse élucider les causes de cette tragédie, en ayant en premier lieu présent à l’esprit qu’il ne doit prendre parti pour aucune des fractions bourgeoises qui s’affrontent dans leur lutte pour le contrôle de l’État. Cette crise est un pur produit de la décadence et de la décomposition d’un système capitaliste qui n’est plus un facteur de développement des forces productives, en particulier de la force de travail ; la société s’enfonce plutôt chaque jour davantage dans la misère et la barbarie. D’autre part, face à cette impasse historique, la seule chose qui importe aux fractions du capital (que ce soient celles qui défendent des modèles de gauche-prétendument « socialistes » comme le régime de Chavez-Maduro ou des modèles néolibéraux de centre-droit comme ceux que défendent les forces d’opposition), c’est de se maintenir au pouvoir à tout prix et, dans leur folle soif de pouvoir, ils se fichent éperdument, que la population travailleuse pouvant les suivre de façon circonstancielle tombe comme des mouches par centaines ou par milliers, à cause de la faim ou de la répression.

La crise que traverse le Venezuela est l’expression du fait qu’aucun pays ou région du monde ne peut échapper aux effets de la décomposition du système capitaliste. Les raisons de cette crise sont les mêmes que celles qui provoquent la barbarie qui règne en Syrie, en Afghanistan ou dans nombre de pays africains ; ou celles qui prévalent pour les attentats terroristes qui se succèdent à une fréquence chaque fois plus élevée en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays centraux. Le monde se trouve dans une situation d’impasse, à la merci des comportements des fractions les plus irrationnelles de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie.

L’unique voie de sortie réelle de cette situation est entre les mains du prolétariat, qui à travers son combat, sa conscience de classe, son union et sa solidarité, peut arriver à servir de référence pour canaliser l’indignation et la rage des masses désespérées de la population qui voudraient sortir de la misère et de la barbarie où les tient enchaînés ce système capitaliste en décomposition.

Comment se fait-il que le Venezuela en soit arrivé là?

Des analystes et des intellectuels sollicités pour donner leur avis sur la situation au Venezuela, essaient d’expliquer pourquoi ce pays, après avoir été un pays “riche” et stable parmi les pays d’Amérique latine, a chuté de manière brutale à l’aube du XXIe siècle dans une situation de pauvreté et soumis à un chaos politique qui menace de devenir ingouvernable. Certains évoquent le régime de Maduro comme l’expression d’un État en faillite, d’autres le désignent comme l’échec d’une autre dictature « castro-communiste ». En bons défenseurs de l’ordre bourgeois, ils ne perdent pas l’occasion d’alimenter la répugnante campagne qui assimile les régimes totalitaires de type stalinien au communisme. Ils essaient de masquer que le régime imposé par Chavez, dont Maduro est le successeur est un nouveau rejeton du système capitaliste en décomposition qu’eux-mêmes alimentent avec leurs prétendues « analyses ».

Les causes du surgissement du projet chaviste, nous les avions analysées dans un article publié en 20132, écrit peu après la mort de Chavez :

« L’émergence de Chavez dans l’arène politique date de sa tentative de coup d’État à la tête d’un groupe de militaires contre le social-démocrate Carlos Andrés Pérez en 1992. Depuis, sa popularité n’a jamais cessé de grandir de manière vertigineuse jusqu’à son arrivée à la présidence de la république au début de l’année 1999. Durant cette période, il a réussi à engranger les fruits du mécontentement et de la méfiance de larges secteurs de la population vis-à-vis des partis social-démocrate (gauche) et social-chrétien (droite) qui faisaient l’alternance au pouvoir depuis la chute de la dictature militaire en 1958, surtout auprès des masses les plus paupérisées du Venezuela touchées par la crise économique des années 1980 et qui furent les protagonistes des révoltes de 1989. Ces deux partis étaient entrés dans un processus de décomposition caractérisé par une corruption généralisée et l’abandon des tâches de gouvernement, ce qui n’était que l’expression de la décomposition qui embrassait l’ensemble de la société, surtout au sein des classes dominantes, au point que celles-ci ont été incapables de donner un minimum de cohésion à leurs forces pour garantir la ‘paix sociale’. »

Maduro a reçu en héritage de Chavez un pays et un projet politique affectés par une terrible crise économique et par la décomposition. Chavez et les hauts dirigeants civils et militaires ont toujours sous-estimé le poids de la crise économique mondiale pendant que les prix du pétrole restaient élevés, que les caisses de l’État n’avaient pas encore été vidées par les nouveaux propriétaires du pays et que l’État avait la capacité de s’endetter. Déjà en 2012, alors que Chavez était encore au pouvoir et que le prix du baril de pétrole dépassait 100 dollars américains, commençait la pénurie et le désapprovisionnement de différents aliments et des produits de première nécessité. La baisse de prix du pétrole à partir de 2013 a contribué à aggraver la situation. Donc depuis, le gouvernement Maduro, comme l’ont fait les autres gouvernements producteurs de pétrole de la région (Équateur, Colombie, Mexique, etc.), tous ont utilisé la baisse des prix du pétrole comme prétexte pour accentuer la détérioration des conditions de vie de la population et des masses travailleuses. Dans le but de donner une coloration « socialiste » à ces mesures, le régime Maduro a entamé une campagne idéologique qui continue jusqu’à aujourd’hui à prétendre que la baisse des prix du pétrole est due à une « guerre économique” déchaînée par « l’impérialisme nord-américain » allié à l’oligarchie bourgeoise du Venezuela dans le but d’affaiblir et d’attaquer la « révolution bolivarienne ». Cependant, la crise économique mondiale et la baisse des prix du pétrole ne suffisent pas en elles-mêmes à expliquer la gravité de la situation au Venezuela. La mise en œuvre des mesures économiques, politiques et sociales requises par le projet chaviste de « socialisme du XXIe siècle » comme l’avancée accélérée de la décomposition qui se traduit à tous les niveaux de la société ont aussi contribué à un tel dénouement :

- à la différence d’autres gouvernements de gauche alliés avec le chavisme (Bolivie, Équateur, etc.), Chavez a développé un modèle capitaliste d’État totalitaire de type stalinien. Il a progressivement pris des mesures pour affaiblir et exclure les secteurs du capital privé et de la vieille bureaucratie étatique qui contrôlait les institutions et les entreprises de l’État. A travers des expropriations dans l’industrie et l’agriculture, des nationalisations et des mesures économiques (le contrôle des changes et des prix, entre autres) l’infrastructure productive du pays a été démantelée. Cette politique économique, comme dans d’autres pays où elle a été appliquée, a créé des distorsions dans l’économie qui, jointe à une gestion irresponsable des caisses de l’État et à une corruption effrénée ont amené le pays à un effondrement économique.

La précédente bureaucratie étatique a été remplacée par une nouvelle caste hégémonique, à prédominance militaire, qui a pris d’assaut les institutions de l’État mais sans aucune expérience en matière de gestion économique comme administrative. La nomenklatura chaviste a pratiquement abandonné la gestion économique de l’État et s’est dédiée principalement à dilapider à son gré les ressources nationales, s’en servant pour s’enrichir et créer des réseaux de corruption qui ont amassé d’immenses fortunes placées dans des paradis fiscaux, ce qui montre de façon pathétique le degré de décomposition atteint par les secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie vénézuélienne.

- le caractère populiste de gauche du projet chaviste afin d’enrôler une masse de pauvres et de prolétaires qui lui ont servi de base électorale, en transformant les programmes sociaux (appelées « missions ») sous les drapeaux du « socialisme bolivarien » dans le but prétendu de « surmonter la pauvreté ». Maduro a poursuivi la même politique économique que son mentor en maintenant une hausse des dépenses publiques, facteur déterminant de l’aiguisement de la crise économique que vit aujourd’hui le Venezuela 3.

-les coûts élevés qu’implique le développement d’une politique impérialiste dans l’intention de faire du Venezuela une puissance régionale à l’intérieur d’un monde multipolaire qui a amené le régime à rivaliser avec les États-Unis et d’autres pays de la région. Dans ce but, il a développé une stratégie de vente « bon marché » aux pays de la région, principalement ceux des Caraïbes et d’Amérique centrale ; il a augmenté l’achat en armements militaires ; il a dédié des ressources considérables à développer des moyens de communications de portée internationale et pour intervenir dans différents pays de la région et du monde dans le but de soutenir des partis et des groupes de gauche opposés aux intérêts des États-Unis et d’autres puissances.

-pour renforcer sa politique populiste, Chavez avait avancé l’idée à diverses occasions que son gouvernement n’allait pas « réprimer les pauvres qui volaient par nécessité ». Sur cette base, le régime a développé une politique sous-tendue par l’impunité, le « laisser-faire » vis-à-vis de la délinquance de droit commun comme par rapport aux groupes armés constitués par des éléments lumpenisés formés par son propre régime, il a diminué la surveillance policière, principalement la nuit, laissant la population à la merci de bandes de gangsters qui ont imposé leurs propres lois. De cette manière, il s’est servi et a accentué le niveau de décomposition sociale qui existait déjà avant son arrivée au pouvoir pour installer dans le pays un couvre-feu de nuit comme en partie de jour, non pas imposé par la terreur étatique directe mais par la terreur semée par les éléments du lumpen. Cette politique a démultiplié les taux de criminalité qui ont placé le Venezuela4 comme un des pays les plus dangereux de la planète ; et cette situation a aussi contribué à augmenter le taux d’émigration.

Le chavisme a façonné un État soumis à la décomposition : un État gangster, dominé par des comportements de lumpen au sein des secteurs de la petite-bourgeoisie et de la nouvelle bourgeoisie « bolivarienne » ; il a renforcé un État de mollahs, qui ne paie pas les dettes intérieures comme extérieures qu’il a contractées avec ses congénères capitalistes, qui ne paie pas non plus les contrats passés avec les travailleurs à travers les conventions collectives. Le mensonge et l’impunité sont la norme au sein de cet État. Le chavisme, aidé par les mécanismes propres à la démocratie bourgeoise est parvenu à implanter une véritable mafia au cœur du pouvoir d’État vénézuélien.

Crise au Venezuela : une crise internationale

Le projet chaviste se concevait comme un projet régional et mondial. Il s’est nourri du fait que depuis l’effondrement du bloc russe en 1989, le monde a cessé d’être régi par les deux grands pôles impérialistes, les Etats-Unis et l’URSS, et il est devenu un monde multipolaire. Le régime de Chavez s’est développé avec la vision de pouvoir constituer un de ces pôles régionaux en profitant de la position géographique stratégique du Venezuela en Amérique du Sud, du fait de sa puissance pétrolière et de l’affaiblissement des États-Unis comme puissance mondiale. Avec cet objectif, le chavisme a développé une politique impérialiste agressive au niveau régional de confrontation avec les États-Unis et d’autres pays de la région. Pour cela, il a utilisé le pétrole comme arme pour jouer un rôle dans la géopolitique régionale, principalement visant principalement les îles des Caraïbes et d’Amérique centrale. Sa politique s’est nourrie d’un anti-américanisme radical et pour cela, il a cherché des alliances avec d’autres gouvernements de la région comme au niveau mondial qui rejetaient la politique impérialiste des États-Unis.

Dans ce but, il a resserré les liens avec Cuba qui avait besoin d’approvisionnement en pétrole et en capital après l’effondrement du bloc impérialiste autour de l’URSS. Avec Cuba, il a formé le groupe des pays de l’ALBA pour concurrencer l’ALCA5 promue par les États-Unis ; il a resserré des alliances avec Lula au Brésil, les Kirchner en Argentine, les mouvements indigénistes de la Cordillère (Bolivie, Pérou, Équateur), le mouvement sandiniste au Nicaragua, etc… Il a aussi largement ouvert la porte au capital chinois, à la Russie (principalement à travers les achats d’armements), à l’Iran et jusqu’aux représentants du prétendu « socialisme-arabe » d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Ainsi, comme l’avait fait Cuba pendant des années, Chavez a développé une stratégie où il s’est érigé en victime par rapport aux États-Unis, accusant de façon permanente ce pays de vouloir s’approprier le pétrole vénézuélien et de conspirer contre « la pseudo-« révolution bolivarienne » depuis l’époque de George W. Bush. En effet, depuis les débuts de l’administration Obama, les États-Unis ont développé une politique contre le régime de Chavez et contre son influence dans la région à travers l’OEA6, qui n’avait pas pu en obtenir des conditions avantageuses. Cependant, Obama avait pu affaiblir l’influence des gouvernements de gauche de la région (au moyen de sa stratégie de « lutte contre la corruption et le trafic de drogues »), ce qui s’est traduit par les changements de gouvernement à tendance de droite au Brésil et en Argentine et par le rapprochement de la politique américaine avec Cuba.

Avant les dernières élections aux États-Unis et après le triomphe de Trump, il y a eu une période de plusieurs mois de blocage de la politique nord-américaine dans la région, se concentrant principalement sur la question de la construction du mur à la frontière du Mexique ; période au cours de laquelle on ne savait pas clairement quel serait le positionnement du nouveau gouvernement par rapport à la situation au Venezuela. A la mi-juillet, avant l’appel de Maduro au vote pour une nouvelle Assemblée nationale constituante7, l’administration Trump a repris l’initiative d’actions contre le Venezuela à travers une politique agressive dirigée contre le régime en déclarant qu’il utiliserait tous les moyens pour l’affronter, y compris le recours à la « force militaire, si c’était nécessaire », ce qui montrait un changement par rapport à la politique plus prudente d’Obama. Le gouvernement Maduro a profité des déclarations de Trump et de son impopularité internationale pour se poser en victime et pour essayer de rallier du soutien, tant au niveau intérieur du territoire qu’à l’extérieur.

Aujourd’hui, la configuration géopolitique régionale a changé et a affaibli de manière significative l’influence du chavisme : l’Argentine et le Brésil ne sont plus ses alliés, il semble que le nouveau gouvernement en Équateur mènera une politique différente de son prédécesseur Correa qui soutenait pleinement le régime Maduro. D’autre part, des États importants de la région comme le Mexique, le Pérou et la Colombie ont pris une part plus active dans la politique régionale en soutien à la politique américaine. La tendance est à l’isolement du régime Maduro. D’autant plus que plusieurs hauts dirigeants de tous ces États ont été sanctionnés par le gouvernement Trump pour violation des Droits de l’Homme, narcotrafic ou blanchiment de capitaux. De la même manière, l’Espagne et les pays de l’Union européenne exercent une pression pour le « retour de la démocratie » au Venezuela. L’appui des pays de l’OEA s’affaiblit aussi petit à petit.

Tout semblait indiquer que le régime de Maduro n’avait pas d’autre issue que de s’incliner face aux pressions de l’intérieur aussi bien que de l’extérieur du pays. Mais il n’en est pas ainsi. Le régime a relevé le défi : il a profité des menaces de Trump pour rechercher un appui international. Maduro a déclaré qu’il était prêt à repousser par les armes l’agression impérialiste et il a prétendu avoir conclu des alliances militaires avec la Russie pour assurer sa défense. Même s’il apparaît difficile que la Chine et la Russie puissent intervenir directement dans un conflit armé dans la propre « arrière-cour » des États-Unis, il est certain que ces États sont intervenus depuis des années en soutien du régime de Chavez et de Maduro avec leur fourniture d’armes, leurs aides financières, leurs denrées alimentaires, etc. et au nom du « droit à l’autodétermination des peuples », ils bloquent aussi toute action du Conseil de Sécurité de l’ONU contre le Venezuela.

La radicalisation du régime de Maduro est en train de créer une situation de déstabilisation dans toute la région à travers l’émigration de Vénézuéliens vers d’autres pays voisins. D’autre part, l’impopularité du gouvernement Trump au niveau mondial pourrait permettre que des éléments radicalisés de gauche, y compris des partisans du djihadisme, puissent entrer au Venezuela pour soutenir le régime Maduro en perpétrant des actions terroristes ou alimenter des guérillas.

La situation au Venezuela est imprévisible. Le gouvernement Maduro a déclaré qu’il ferait usage de ses armes pour s’imposer et, d’un autre côté, il est possible que les secteurs de l’opposition appellent à nouveau à des manifestations de rue, tout en sachant que le gouvernement y répondra en accentuant la répression. Toutes les cliques concurrentes de la bourgeoisie au Venezuela sont prises dans un engrenage qui les incite à porter leur stratégie d’affrontement jusqu’à leurs ultimes conséquences, et jusqu’à présent, elles ont montré qu’elles n’ont ni la volonté ni la capacité d’arriver à un accord minimum pour pouvoir gouverner. Apparemment, les pressions internationales n’ont aucun effet sur le régime Maduro. Pire, elles lui servent de prétexte pour intensifier la répression contre les opposants et la population en général. Un facteur important qui augmente encore le niveau d’incertitudes, ce sont les actions impérialistes imprévisibles de Trump dont l’engagement dans une action militaire unilatérale serait un facteur d’aggravation de la crise (comme d’une certaine manière ce qui se passe en mer de Chine avec le bras de fer engagé entre les États-Unis et le régime de la Corée du Nord).

Comme dans d’autres conflits en jeu au niveau mondial, ce serait la population vénézuélienne qui paierait les pots cassés d’une confrontation militaire. D’ores et déjà, elle est soumise à la bruyante campagne idéologique du régime contre « l’impérialisme nord-américain ». L’anti-américanisme est le bouc-émissaire qu’utilisent les fractions de gauche et gauchistes au niveau mondial pour semer la confusion dans la population et au sein du prolétariat : cela leur sert d’alibi pour soutenir d’autres régimes aussi despotiques et impérialistes comme ceux de Chine, de la Corée du Nord ou de Cuba. Cela leur permet aussi de masquer les politiques tout autant impérialistes de régimes de gauche, comme celui de Chavez et de Maduro qui, à son tour, impose son propre modèle local du système d’exploitation et réduit la population à des conditions de misère identiques, voire pires, que celles sous des gouvernements de droite.

Le chavisme : une attaque contre les conditions de vie, la combativité et la conscience du prolétariat

Le projet chaviste reposait sur une attaque idéologique soutenue et sur une attaque contre les conditions de vie du prolétariat. Comme pour les autres projets de la classe capitaliste, le prétendu « socialisme du XXIe siècle » est nourri par une paupérisation et une précarisation de la force de travail. Le régime a effectué un travail systématique pour diminuer le salaire et les avantages sociaux que recevaient les travailleurs sous contrat ; cela a commencé avec les travailleurs du secteur pétrolier et des industries de base productrices des matières premières, après ont suivi les employés du secteur public. Les plans sociaux du chavisme, utilisés pour la répartition des miettes au « peuple » furent financés principalement par la réduction des salaires et la diminution des prestations sociales de travailleurs sous contrat. A la mort de Chavez, il laissait une masse de travailleurs appauvris et une plus grande masse de gens encore plus misérables et trompés recevant chaque fois moins des subsides de l’État. De même que, sur le plan économique, Maduro n’a fait qu’appauvrir davantage les masses travailleuses jusqu’au point que les salaires et les prestations sociales ne parviennent plus à couvrir les besoins alimentaires et chaque fois les pauvres qui reçoivent des sacs de provisions que leur vend le gouvernement à des prix conventionnés sont de moins en moins nombreux, pendant que les membres de la nomenklatura chaviste vivent comme des rois.

La bi-polarisation politique a été une stratégie maintenue et alimentée en permanence par le régime chaviste jusqu’à nos jours ; cela a constitué le facteur déterminant dont les effets se sont répercutés sur toute la vie sociale et qui a conduit aux niveaux d’anarchie qui existent à l’heure actuelle. Chavez a pu alimenter sa politique de bipolarisation en raison de l’appui des masses les plus démunies, des parias exclus de la société qui virent en lui un nouveau messie qui leur offrait les dons d’un État bienfaiteur que, 4 décennies auparavant, leur avait offert aussi les partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens. Mais le chavisme avait besoin d’embrigader à son profit la masse des travailleurs qui s’était constituée durant ces années, alors il commença à mettre sur pied une stratégie politique de division et de bipolarisation au sein de la classe ouvrière vénézuélienne. A travers l’idéologie du “socialisme du XXIe siècle”, il développa une attaque contre la conscience, la combativité et la solidarité au sein du prolétariat vénézuélien. A la campagne nocive de la bourgeoisie mondiale proclamant « la mort du communisme » après l’effondrement de l’ex-bloc russe, il proposa le bobard du « socialisme bolivarien ». Le chavisme, avec l’aide des partis de gauche locaux comme d’autres pays, principalement le parti communiste cubain, développa un véritable laboratoire de pièges contre le prolétariat : autogestion, contrôle ouvrier, etc. pendant que, de manière progressive mais systématique, il accentuait la division dans les rangs ouvriers et précarisait les conditions de vie des secteurs les plus avancés de la classe ouvrière vénézuélienne.

Malgré cette attaque idéologique, les travailleurs, depuis les débuts du régime chaviste, ont développé des luttes importantes contre l’État sur leur terrain de classe mais ces mêmes travailleurs ont été systématiquement confrontés aux syndicats contrôlés par le chavisme ou quand ceux-ci n’étaient pas assez efficaces, à la répression des forces policières et militaires (de la même manière que le firent les précédents gouvernements avec à leur tête les partis qui se sont opposés au régime) ou celle des bandes armées lumpenisées formées par le chavisme. Jusqu’à aujourd’hui, il y a un nombre incalculable d’expressions de lutte et de mécontentement des travailleurs de différents secteurs, mais ces luttes apparaissent sectorielles, atomisées et elles restent asphyxiées par la bipolarisation politique.  Cette situation a permis à la petite-bourgeoisie de jouer un rôle politique, depuis ses secteurs radicalisées de gauche qui, en majorité, ont appuyé le chavisme et ont encouragé un plus grand contrôle par l’État jusqu’à ceux qui défendent ouvertement des politiques néo-libérales.

A cause de la gravité de la crise économique, de la pénurie et du désapprovisionnement en produits de base et de l’incessante augmentation des prix, la popularité du gouvernement Maduro a progressivement baissé. Cette situation a été mise en évidence lors des élections parlementaires de décembre 2015 dans lesquelles l’opposition a largement triomphé et a pris le contrôle de l’Assemblée nationale, ce qui a représenté la déroute électorale la plus cinglante qu’ait reçue le chavisme au cours de ses 16 ans d’existence. Depuis lors, l’affrontement politique s’est exacerbé à cause du fait que le régime s’est vu sous la menace de perdre la pouvoir. Sa réaction, telle celle d’une bête sauvage blessée, a été de chercher le moyen de se maintenir au pouvoir à tout prix.

Pour sa part, l’opposition regroupée dans la MUD se présente aujourd’hui comme le véritable défenseur de la constitution chaviste de 2000 qu’elle avait rejetée pendant des années. Comme les partis politiques officiels, elle se présente comme le véritable défenseur de la démocratie. Les uns et les autres se battent pour montrer qui sera le plus démocrate : tous savent très bien que le mot d’ordre de « lutte pour la démocratie » représente une puissante arme idéologique pour le contrôle de la population et du prolétariat, et pour leur reconnaissance comme tel au niveau international.

Les deux bandes rivales disent chacune à la population qu’on en est arrivé à la phase finale de la confrontation entre «la dictature » et « la démocratie ». La réalité, c’est que chacune de ces deux cliques défendent la dictature du capital que ce soit par les voies de la démocratie républicaine ou par la voie de la démocratie totalitaire du régime chaviste. D’autre part, l’opposition vénézuélienne et celle des autres pays mettent en avant que l’échec du gouvernement Maduro représente l’échec du « castro-communisme » et se revendiquent de la politique néolibérale à « visage social », c’est-à-dire la vieille recette de prétendre instaurer un capitalisme à visage humain. Ils mettent en avant que Maduro a installé un régime « communiste » similaire à celui de Cuba. La Gauche Communiste a démontré depuis le début de la prétendue « révolution cubaine » que ce qui règne dans ce pays depuis plus de 50 ans est un capitalisme d’État de style stalinien. Maduro et ses alliés tentent d’appliquer le même modèle à travers le grand mensonge du « socialisme  du 21ème siècle».

Les milliers de personnes qui protestent aujourd’hui contre le régime de Maduro montrent l’indignation, le désespoir et la colère d’une population qui ne veut plus continuer « à survivre » dans des conditions misérables. Bien que beaucoup d’entre eux aient des illusions dans les propositions de la MUD, beaucoup d’autres utilisent leur appel à manifester pour exprimer le mécontentement mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils soient partisans de ce regroupement oppositionnel bourgeois ; c’est ce qui s’exprime principalement à travers les mouvements de résistance dans leur majorité formés par des jeunes dont beaucoup ont été lâchement assassinés par les forces de répression du régime ou par les tueurs à la solde du régime pendant que d’autres ont été emprisonnés après avoir été livrés aux tribunaux militaires . De façon hypocrite, les dirigeants de la MUD les présentent comme des « martyrs de la cause démocratique » et ils leur servent de chair à canon qu’ils utilisent pour tenter d’imposer leur modèle capitaliste néolibéral qui ne représente en rien une issue à la crise que vit la population.

Quelle perspective ?

La difficile et dangereuse situation que vit le Venezuela est l’expression de la décomposition du système capitaliste comme un tout, qui s’exprime dans ce pays de manière caricaturale. Différentes bourgeoisies dans cette région comme dans le monde montrent aujourd’hui du doigt le régime chaviste de Maduro comme ce qu’on ne doit pas faire en matière de gouvernement. Dans la situation actuelle du capitalisme, il n’y a pas de garanties sur ce qui peut arriver dans des situations telles que celles du Venezuela où une poignée d’aventuriers qu’ils soient de gauche ou de droite, rancuniers et lumpenisés, assument le contrôle de l’État et soumettent la population comme le prolétariat au chaos et à la barbarie. De fait, les États-Unis, la principale puissance économique et militaire de la planète, ont comme chef de l’État un aventurier populiste de droite dont la seule différence avec un Chavez est que ce dernier se proclamait de gauche et qu’il mettait en avant un projet impérialiste marqué par « l’amateurisme ».

Aucune nation ne peut échapper à la décomposition, qui est l’expression du fait que le monde est entré dans une phase avancée de la décadence du capitalisme dans laquelle l’avenir de l’humanité se voit sérieusement menacé par les guerres, la pauvreté, la famine, les désastres écologiques et la barbarie. Cette impasse est la conséquence d’une situation dans laquelle les deux principales classes sociales, la bourgeoisie et le prolétariat, n’ont pas été capables d’imposer leur « solution » respective : soit faire subir à l’humanité une nouvelle guerre mondiale de la part de la bourgeoisie, soit la révolution communiste mondiale dans la perspective de la classe ouvrière. Une telle impasse plonge la société dans une perte de repères croissante et un pourrissement de tout le corps social.

Le Venezuela comme la Syrie ou d’autres pays du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Afrique sont le miroir dans lequel se reflète ce que nous, les prolétaires du monde, devons  voir ; ils montrent ce que nous prépare le capitalisme si nous n’en finissons avec ce système. La décomposition depuis des années frappe à la porte des pays plus développées d’Europe, d’Asie et d’Amérique à travers l’avancée du terrorisme.

Le régime populiste gauchiste installé par Chavez est la démonstration que ni la gauche du capital, ni la droite, ni les secteurs les plus radicaux de ces expressions bourgeoises, ne représentent une quelconque issue pour sortir de l’exploitation et de la barbarie capitaliste : de droite ou de gauche, les deux doivent être rejetés et combattus consciemment par le prolétariat et par les minorités de la classe qui se battent contre l’ordre existant. Le « socialisme du 21ème siècle » et la prétendue « révolution bolivarienne » n’ont rien à voir avec le socialisme. Il s’agit d’un mouvement patriotique et nationaliste. Comme défenseurs conséquents du socialisme, nous avons avant tout présent à l’esprit que le Manifeste Communiste, le premier programme politique du prolétariat, met en avant depuis 1848 que “les prolétaires n’ont pas de patrie ni d’intérêts nationaux à défendre”.

Nous devons prendre conscience de la force que représente le prolétariat parce qu’il est la classe productrice dont l’exploitation produit toute la richesse sociale. L’indignation dont font preuve les prolétaires et la majorité de la population vénézuélienne qui luttent pour une vie décente, impossible sous le règne du capitalisme, doit servir d’encouragement pour développer ce sentiment d’indignation parmi les prolétaires du monde entier, pour prendre conscience que la révolution prolétarienne est l’unique voie de sortie nécessaire et possible à la barbarie que nous réserve le capitalisme. Pour en finir avec cette barbarie qui menace l’ensemble de l’humanité, il est nécessaire de détruire l’appareil d’État bourgeois, soutien d’une classe exploiteuse minoritaire qui montre chaque fois davantage son incapacité à diriger, appareil d’État qui, jour après jour, se renforce et impose sa terreur à l’ensemble de la société. C’est seulement le prolétariat qui à travers sa lutte consciente et sa solidarité internationale peut mettre fin à cette situation dramatique.

C’est une réalité qu’à l’heure actuelle le prolétariat mondial n’a pas la force de freiner l’avancée de cette barbarie. Cependant, malgré la bipolarisation politique par les fractions de la bourgeoisie, qu’elles soient de droite ou de gauche, il existe au Venezuela comme dans d’autres pays, une immense masse de la population qui ne croit plus aux “sorties de crise” proposées par ces fractions. D’autre part, beaucoup de ceux qui se retrouvent de façon honnête derrière les bannières des unes ou des autres de ces cliques sont confrontés à la réalité qu’ils ne peuvent voir aucune issue à la situation. De même, même s’ils ne représentent qu’une minorité de la classe, il existe des éléments à la recherche d’une perspective prolétarienne face à la barbarie dans laquelle nous vivons.

C’est pour cela qu’il est urgent qu’en tant que minorité révolutionnaires de la classe ouvrière, nous intervenions dans le sens de la récupération de la conscience politique et de l’identité de classe du prolétariat. Nous devons reprendre le chemin de la lutte pour le véritable communisme comme l’ont fait le parti bolchevique et les Soviets il y a cent ans, ces protagonistes de la première grande tentative de développement de la révolution mondiale : la révolution russe d’Octobre.

Ni “socialisme du 21ème siècle”, ni démocratie, ni populisme de droite du style Trump, ni populisme de gauche du style Chavez ou Maduro. Le prolétariat doit chercher sa propre perspective hors du capitalisme en reprenant le chemin de ses luttes sur son propre terrain de classe.

 

Internacionalismo, section du Courant Communiste International au Venezuela (25 septembre 2017)

 

1 Le Grand Pôle Patriotique (GPP) regroupe les forces politiques qui ont donné leur appui au projet dirigé par Chavez. Il est formé de plusieurs partis parmi lesquels prédomine le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) fondé par Chavez ; il est aussi composé par d’autres partis minoritaires de gauche comme le Parti Communiste du Venezuela (PCV), la Patrie Pour Tous (PPT), etc. ; La Mesa (Table) de la Unidad Democratica (MUD) est une coalition de partis qui s’opposent au GPP, formé par les partis sociaux-démocrates, sociaux-chrétiens de droite et du centre et les libéraux.

2Le legs de Chavez à la bourgeoisie: un programme de défense du capital, une grande mystification pour les masses appauvries, article dont de larges extraits ont paru en français en juin 2013 et dont nous recommandons la lecture pour mieux comprendre la crise actuelle au Venezuela :

fr.internationalism.org/./legs-chavez-a-bourgeoisie-programme-defense-du- capital-grande- ou https://es.internationalism.org/en/node/3694 [8]

3 Les indicateurs économiques montent aujourd’hui une économie effondrée : une récession économique qui sévit depuis 2014 avec des chutes plus fortes d’une année sur l’autre, à tel point qu’entre 2014 et 2017 l’économie a perdu un tiers de son PIB, le déficit budgétaire s’est accru de 15% en 2016 (un des plus élevés du monde) dont le financement a engendré une surproduction de masse monétaire qui ont fait s’envoler les taux d’inflation qui seraient estimés à 1000% cette année et supérieurs à 2000% pour l’année 2018 ; le paiement de la dette publique estimée à autour de 95% du PIB, fait débourser une partie importante des rentrées de devises dans le pays qui, à 96% dépend des exportations pétrolières, lesquelles diminuent chaque année à cause de la diminution de la production ; la politique du gouvernement de réduire les importations (qui ont chuté de 75% au cours des 4 dernières années dans un pays où 70% des produits de consommation sont importés) a accentué le déficit en matières premières pouvant assurer le maintien l’appareil productif à un niveau opérationnel minimum et a accru la pénurie en intrants pour la production agricole et industrielle.

4 L’Observatoire vénézuélien sur la violence donne le chiffre de 28 479 morts violentes en 2016, soit un taux de 91,8 morts violentes pour 100 000 habitants. Selon ce rapport, « le Venezuela vient au deuxième rang mondial des pays où sont enregistrés le plus de violences mortelles, derrière le Salvador ». On estime à 283 000 le nombre d’homicides au cours des années gouvernementales de Chavez et Maduro. L’ONG COFAVIC estime à 98% le taux d’impunité de cette criminalité. Voir l’article en espagnol Incremento de la violencia delictiva en Venezuela: Expresión del drama de la descomposición del capitalismo accesible sur notre site internet : https://es.internationalism.org/cci-online/201206/3417/incremento-de-la-violencia-delictiva-en-venezuela-expresion-del-drama-de-la-d [9]

5 ALBA : Alternative Bolivarienne pour les Amériques à laquelle participent également entre autres l’Équateur, le Nicaragua, la Bolivie et Cuba ; ALCA : Aire du Libre Commerce des Amériques, projet qui est né de la proposition d’élargir le traité de libre-échange pour l’Amérique du Nord pour englober les autres pays du continent américain, à l’exception de Cuba.

6 L’Organisation des Etats américains créée depuis 1948 permettant la mise sous tutelle et d’exercer le contrôle du continent américain (en particulier des pays d’Amérique latine) par la Maison Blanche (Note du traducteur).

7 Ce coup de force de Maduro lui a permis d’exclure purement et simplement les partis d’opposition de cette institution (Note du traducteur).

 

Géographique: 

  • Vénézuela [10]

Rubrique: 

Situation internationale

ICConline - novembre 2017

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L’imbroglio catalan montre l’aggravation de la décomposition capitaliste

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne. Le blocage du conflit catalan a lieu alors que le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien jette de l’huile sur le feu au Moyen-Orient et que l’affrontement entre deux abrutis grandes gueules (celui de la Corée du Nord et celui des États-Unis) alimente les menaces nucléaires. Tout cela exprime une dégradation croissante dans la situation impérialiste.

La montée en puissance de l’indépendantisme catalan est une crise très importante pour la bourgeoisie espagnole. Elle témoigne des difficultés PP (Partido Popular, de droite) au pouvoir et, plus généralement, de tout l’appareil d’État pour affronter ce problème. C’est un catalyseur qui fait exploser en vol le “consensus de 1978”,1 un consensus déjà fortement affaibli par la crise du bipartisme et les difficultés pour ouvrir une alternative à la suite de la formation de nouveaux partis (Podemos et Ciudadanos).2 Les causes immédiates d’une telle situation sont l’intensification des conflits entre les différentes fractions de la bourgeoise et la tendance à l’irresponsabilité de ces mêmes fractions qui mettent en avant leurs intérêts particuliers aux détriments des intérêts globaux de leur État et, donc, de leur capital national.3

En l’absence momentanée d’une alternative prolétarienne à la situation de crise du capitalisme, les travailleurs n’ont rien à gagner dans cette affaire et beaucoup à perdre. Les mobilisations en Catalogne, l’encerclement du Conseil [ministère catalan] de l'économie et les affrontements avec la guardia civil (police de l’État central espagnol) à la suite des arrestations de plusieurs dirigeants du gouvernement catalan (Generalitat), ou le refus des dockers du port de Barcelone de décharger les bateaux de la police, tout cela n’exprime en rien la force des travailleurs. Au contraire, ceux-ci sont poussés :

– par les partis ouvertement indépendantistes à la défense des hauts responsables du gouvernement autonome, ce même gouvernement et ces mêmes responsables qui réduisent leurs salaires et qui attaquent leurs conditions de vie, ces dirigeants du PdCat (Parti démocrate européen catalan) ou ERC (Gauche républicaine de Catalogne), partis patentés de la bourgeoisie, qui ne sont pas meilleurs que leurs rivaux du PP ou de Ciudadanos parce qu’ils sont Catalans ;

- par Podemos ou la mouvance autour de Colau4 à la “défense de l’État démocratique” contre la répression du PP.

Autrement dit, le danger est que les ouvriers soient entraînés en dehors de leur terrain de classe vers le terrain pourri des affrontements entre fractions de la bourgeoisie et soient enchaînés à la défense de l’État démocratique qui n'est que l’expression de la dictature de la bourgeoisie. La barbarie morale, la destruction écologique, les guerres vont-elles par hasard changer en quoi que se soit parce que la démocratie s’habille du jaune-rouge espagnol ou du rouge-jaune catalan ?

Le problème des séparatismes en Espagne

En Espagne n’existe pas un problème de “prison de nationalités”5, mais un problème de mauvaise soudure du capital national.6 Le capitalisme s'est développé en Espagne en traînant un fort déséquilibre entre des régions plus ouvertes au commerce et à l’industrie (celles du littoral) et le reste du territoire, beaucoup plus enfermé dans l’isolement et l’arriération économique. Le pays est entré dans la période de décadence du capitalisme (en 1914, avec la Première Guerre mondiale) sans que la bourgeoisie ait pu trouver de solution à ce problème. Au contraire, face aux assauts de la crise, les tensions, particulièrement entre les secteurs de la bourgeoisie en Catalogne et au Pays basque avec la bourgeoisie centrale, n’ont fait que s’exacerber. Chaque fois que le capital espagnol a mis en avant la nécessité de restructurer son organisation économique ou politique, les fractions séparatistes ont fait valoir leurs aspirations par tous les moyens à leur portée, s’il le faut par la violence et le terrorisme (l’ETA au Pays Basque ou encore Terra Lliure en Catalogne) et en essayant d’utiliser le prolétariat comme chair à canon.

C’est ainsi que l’organe de la Gauche Communiste italienne, Bilan, analyse le séparatisme catalan et les événements de 1936 : “les mouvements séparatistes, loin d’être un élément de révolution bourgeoisie, sont les expressions des contradictions insolubles et inhérentes à la structure de la société capitaliste espagnole qui réalisa l’industrialisation à la périphérie pendant que les plateaux centraux restaient soumis au retard économique. Le séparatisme catalan, au lieu de tendre vers l’indépendance totale, reste pris par la structure de la société espagnole en faisant en sorte que les formes extrêmes dans lesquelles il se manifeste s’adaptent aux nécessités de canaliser le mouvement prolétarien”. En fait, les rapports entre le séparatisme catalan et le prolétariat, en dépit des discours “de gauche” actuels de la CUP (Candidature d'unité populaire), n’ont jamais été l’expression d’un quelconque point commun mais celui d’un antagonisme de classes. Macià, fondateur de l'ERC, venait du carlisme réactionnaire (une trajectoire que, des années plus tard, suivra le nationalisme basque) et intégrait au nationalisme catalan des éléments du discours idéologique stalinien. Son parti, entre autres, organisa, pendant la République, une milice spécialisée dans la chasse et la torture de militants ouvriers : les Escamots.7 Cambò, dirigeant de la Ligue Régionaliste, établit des pactes avec la bourgeoisie centraliste pour affronter les grèves qui, en Espagne, correspondirent à la vague révolutionnaire mondiale en 1917-19, et il soutint la dictature de Primo de Rivera. Companys fit en 1936 de la Généralité de Catalogne autonome le bastion qui maintint l’État national et qui mobilisa les ouvriers sur le front de la guerre impérialiste contre Franco, en les dévoyant la lutte de classe contre l’État franquiste et en faveur du camp républicain au sein de la Généralité8. Et Tarradellas, alors leader de l’ERC, fit un pacte en 1977 avec la droite post-franquiste pour la restauration de la Généralité.

Les autonomies et le consensus de 1978

Le cadre que la transition démocratique avait donné au problème des séparatismes est celui des Autonomies, qui, sans atteindre le projet d’un État fédéral, octroyait des compétences en matière de recouvrement des impôts, de santé, d’éducation, de sécurité, etc., aux différentes régions, particulièrement à la Catalogne et au Pays Basque. Le pilier de cette politique fut le Parti socialiste (PSOE) qui su se donner une structure “fédérale”, en maintenant des organisations régionales disciplinées. Le parti nationaliste basque (PNV) et le parti catalan CiU ont rejoint, convenablement poussés, cette structure. 9 Autant le PNV que la CiU ont fini par jouer le rôle de tampon, en canalisant les revendications des secteurs nationalistes des plus modérés aux plus anachroniques sur le terrain de la négociation, jouant la muleta surtout entre les mains des gouvernements de droite, mais aussi du PSOE lorsqu’ils en ont eu besoin pour gouverner.10

Mais cela ne signifie pas que la mer des conflits nationalistes était parfaitement calme. Sous la façade du fairplay parlementaire du PNV, l’indépendantisme intransigeant de HB et de l’ETA ont grandi, de même pour CiU avec ERC. Par ailleurs, au sein du PSOE, se sont développées des baronnies régionales qui ont mis de plus en plus en question la discipline centralisée. Les secteurs du nationalisme basque ont utilisé les attentats de l'ETA dans leurs négociations de la même manière qu’ils ont été sous la pression de HB et de l’ETA pour mettre en question le cadre de “l’État des autonomies” et pour avancer vers l’indépendance.

Cela va plus loin : les éléments du problème du séparatisme en Espagne, à la fois insoluble et qui ne cesse de s’aggraver, ajoutés à l’impact de l’aggravation de la crise et de la décomposition, ont produit le phénomène “d’une spirale croissante des bravades de plus en plus hardies, qui vont vers des impasses de plus en plus aveugles, de plus en plus difficiles à éviter par le capital espagnol”, où, en plus, les “secteurs les plus radicaux (de l’abertzalisme11 au nationalisme espagnol le plus rance) au lieu de perdre en importance reprennent de plus en plus de vigueur”.12 Au Pays Basque, le plan Ibarretxe13, qui était une véritable déclaration d’indépendance, fut la confirmation de cette dynamique. L’État central, cependant, arriva à désactiver ce défi séparatiste, faisant croire que ce plan pourrait être intégré dans la légalité constitutionnelle. Ibarretxe présenta son plan devant le Parlement, où il fut méprisé et rejeté sans complaisance.

En Catalogne, le regroupement de deux formations au sein du gouvernement autonome tripartite (celles de Maragall et de Montilla14), l’usure de la droite catalane (CiU) et l’implication de celle-ci dans des affaires de corruption ont fait monter la popularité des indépendantistes radicaux. Face à la perte évidente de soutien électoral et, entre la montée d’ERC et l’impact du déclin du “pujolisme”, face au danger même de disparition à moyen terme, CiU recyclée en PdCat pour masquer son implication dans des affaires de corruption, a lancé une OPA hostile contre l’indépendantisme d’ERC ; mais il en a résulté qu’au lieu de reprendre le terrain électoral perdu au profit d’ERC, le PdCat est devenu l’otage de l’ERC , et par ricochet de la CUP.

De son côté, le PSOE avait entrepris une manœuvre de “reforme des autonomies” qui s’est soldée par un échec retentissant et a fini par affecter la cohésion même du parti. Dans la Résolution sur la situation nationale que nous avons publié dans notre journal en espagnol, Accion Proletaria nº79, nous avons rendu compte de ce fiasco : “la réalité, c’est que ce réputé bon sens de Zapatero n’a pas réussi à faire baisser les prétentions souverainistes du nationalisme basque, bien au contraire, car Ibarretxe a confirmé son pari face au nationalisme espagnol. On peut en dire autant de la situation en Catalogne, où les tentatives de contrôler les secteurs les plus radicaux d’ERC à travers le gouvernement tripartite dirigé par Maragall est en train de donner lieu au fait que Maragall apparaît (de gré ou de force, difficile à savoir) comme l’otage de l’ultranationaliste Carod Rovira. Les problèmes de cohésion du capital espagnol tendent à s’aggraver, de sorte que la politique de “gestes” de Zapatero, sans contenter les nationalistes basques et catalans (qui qualifient sa proposition de réforme constitutionnelle de fraude), sert plutôt à stimuler dans d’autres nationalismes périphériques ce même sentiment d’“irrédentisme”, de “préjudice comparatif”, etc., ce qui à son tour ne fait que remettre en marche la lourde machine du nationalisme espagnol qui ne se limite pas au PP, mais qui compte aussi des branches importantes à l’intérieur du PSOE”. Les deux tripartites catalans ne servirent ni à calmer les ardeurs indépendantistes en Catalogne, ni à brider l’ERC laquelle, au contraire, s’est radicalisée sur le plan du “souverainisme”, et finirent par disloquer la branche catalane du PSOE qui perdit une grande partie de sa fraction pro-catalaniste. Ils amenèrent, en fait, à installer les prémices de l’énorme radicalisation actuelle.

L’imbroglio catalan, produit de la décomposition

Tout cela ne fait que confirmer ce que nous avons affirmé dans les Thèses sur la décomposition : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l'évolution de la situation sur le plan politique. (…) L'absence d'une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au sauve-qui-peut”. Cela a conduit à la situation présente dans laquelle le gouvernement du PP et plus généralement la bourgeoisie espagnole ont largement sous-estimé le défi du 1er octobre. L’impression que cela donne, c’est que ces forces-là, à la suite du plan Ibarretxe, ont pensé qu’elles pourraient aussi manœuvrer avec le défi indépendantiste catalan et qu’à la suite du referendum de 2014, les secteurs indépendantistes feraient marche arrière. Au contraire, ceux-ci ont accru leur détermination. En plus, la bourgeoisie nationalise espagnole a été et est incapable, par définition, de tenir compte de l’impact de la décomposition sur l’appareil politique de l’État, qui s'exprime notamment par :

– la crise du PSOE, un parti divisé en baronnies régionales et qui a perdu une partie de sa capacité d’initiative politique et de structuration de l’ensemble des partis du capital national ;

– La dérive indépendantiste de la CiU : ce parti a de plus en plus été contrôlé par une bande de fanatiques ultranationalistes, installés dans les contrées les plus arriérées de Catalogne, ce qui l’a amenée à purger le parti de tous ceux qu’on a suspecté “de penchant espagnoliste” : ce fut d’abord Duran i Lleida et, par la suite, tous ceux qui préconisaient la vieille politique du cri nationaliste et de l’action collaborationniste avec l’ensemble du capital espagnol ;

– L’ERC, un vieux parti indépendantiste qui, cependant, a rendu de grands services au capital espagnol (voir ci-dessus), arbore le drapeau de la réalisation immédiate de l’indépendance (auparavant, il s'agissait un objectif “historique”), en développant un discours nationaliste et xénophobe,15 ce qui pourra le faire devenir le pivot central de l’éventail politique catalan à la place la vieille CiU, aujourd’hui PdCat.

– L’irruption de la CUP, un mélange indigeste de staliniens, anciens terroristes catalanistes et anarchistes, qui pratique un discours de catalanisme extrême, endogamique, d’exclusion, à la limite de la purification ethnique et de la xénophobie, qui met en avant des “Pays Catalans” indépendants et républicains et dont l’action principale consiste à compromettre le duo ERC- PdCat pour les obliger à aller toujours le plus loin possible dans leurs défis à la bourgeoisie centrale espagnole.

Le plan Ibarretxe a fait long feu et, apparemment, la “tranquillité” est revenue, le PNV devenant un “bon élève” sous l’autorité d’Urkullu [actuel chef du gouvernement basque]. Ceci a fait que la bourgeoisie centrale espagnole a fini par croire que ce serait la même chose avec le défi catalaniste. Pour commencer, les Catalanistes n’ont pas commis l’erreur grossière d’Ibarretxe de présenter son projet devant le Parlement espagnol. Ils ont suivi la seule voie possible qui est celle du référendum unilatéral, ce qui ne laissait aucune marge de manœuvre à la bourgeoisie centrale espagnole étant donné que la constitution ne permet pas de “compromettre la souveraineté nationale” dans les régions autonomes.

Nous assistons en fait à la crise du “consensus de 1978”, ces accords qu'ont signés toutes les forces politiques pour assurer un fonctionnement démocratique du pays dont la clef de voûte était jusqu’à très récemment, le bipartisme, l’alternance entre PSOE et PP, avec, cependant, un poids politique et une capacité d’orientation bien plus important chez le premier. Tout cela a volé en éclats et la bourgeoisie espagnole se retrouve face au danger que la première région économique d’Espagne (qui représente 19% de son PIB) puisse échapper à son contrôle. Elle a tout misé sur la riposte répressive : mesures judiciaires, arrestations, menace de suspension de facto de l’autonomie catalane... Autrement dit, elle est incapable de mettre en place des alternatives politiques permettant un contrôle de la situation. Les partisans de cette voie (Podemos, le parti d’Ana Colau,...) manquent de forces suffisantes pour la mettre en pratique. Ils sont par ailleurs eux-mêmes divisés par des tendances contradictoires. Le partenaire de Podemos, IU16, a déclaré être clairement contre le référendum catalan et pour la défense inconditionnelle de “l’unité de l’Espagne”. En plus, Iglesias [chef de Podemos] est confronté à la rébellion de sa branche catalane, qui tend à donner un soutien “critique” à l’indépendantisme. De son côté, Colau joue la médiatrice, obligée de faire d’invraisemblables équilibres entre les uns et les autres, ce qui lui a valu le surnom comique de “la Cantinflas17 catalane”. Le PSOE lui-même est incapable d’avoir une politique cohérente. Un jour, il soutient le gouvernement allant jusqu’à défendre l’article 155 de la constitution qui permet de mettre sous tutelle l’autonomie catalane ; le jour suivant, il proclame que l’Espagne est une “nation de nations”. Sa proposition d’une “commission parlementaire pour établir un dialogue sur la question catalane” a été rejetée avec dédain par ses différents adversaires.18

Cependant, l’échec de la vie politique n’a pas comme cause principale la maladresse des uns ou des autres, mais l’exacerbation même de la situation, l’impossibilité de trouver une solution. Et cela ne peut s’expliquer que par l’analyse mondiale que nous avons développée sur la décomposition du capitalisme. L’appareil politique espagnol, face à cette accentuation de sa crise générale, ne peut qu’en sortir encore plus désagrégé. Même si la situation est très différente, on observe la même dynamique au Venezuela : aucune de deux bandes opposées n’est capable de gagner la partie. On le voit aussi sur le plan des conflits impérialistes où l’autorité des États-Unis tend à s’affaiblir en tant que gendarme du monde (et encore plus avec le triomphe de Trump), ce qui produit des situations insolubles dans un grand nombre de conflits de par le monde.

La cohorte indépendantiste est confronté à une sorte de “plafond de verre” : sa force se trouve dans les pays catalans de l’intérieur, mais elle est plus faible dans les grandes villes et, surtout, dans la grande ceinture industrielle de Barcelone. La haute bourgeoisie catalane la regarde d’un mauvais œil, parce qu’elle sait très bien que ses affaires sont liées à l’Espagne honnie. La petite-bourgeoisie est plutôt divisée, même si, évidemment, dans les contrées de la “Catalogne profonde” elle soutient massivement la “déconnexion d’avec l’Espagne”. Mais l’énorme concentration économique de Barcelone (plus de 6 millions d’habitants) tend à pencher plutôt vers l’indifférence. Cette concentration possède tout sauf la “pureté raciale catalane”, c’est un grand melting pot où vivent ensemble des gens de plus de soixante origines nationales différentes.

Il faut compléter cette analyse en insistant sur l’importance de ces tendances centrifuges, endogamiques, identitaires, en “petites communautés fermées”, que la décomposition capitaliste nourrit sans cesse. Le capitalisme décadent tend fatalement “à la dislocation et à la désintégration de ses composantes. La tendance du capitalisme décadent est au schisme, au chaos, d'où la nécessité essentielle du socialisme qui veut réaliser le monde comme une unité”19. Le désarroi croissant, exacerbé par la crise, conduit à “s’accrocher comme à un clou brûlant à toutes sortes de fausses communautés, comme la communauté nationale, qui fournit une sensation illusoire de sécurité, de soutien collectif”.20 On voit cela clairement dans les trois partis catalanistes. La propagande absurde qui présente la Catalogne “libre” comme un oasis de progrès et de croissance économique “parce qu’on se serait débarrassé du fardeau de Madrid”, la chasse aux touristes encouragée par la CUP parce qu’ils “renchérissent la vie en Catalogne”, les allusions sans vergogne aux immigrants et autres andalous, tout cela montre que des tendances xénophobes et identitaires sont à l’œuvre, des tendances qui n’ont rien à envier aux prêches populistes de Trump, de Marine Le Pen ou d’Alternative pour l’Allemagne. Ces tendances à l’exclusion sont présente dans la société mais sont impulsées avec cynisme par les deux partenaires de Junts pel Si,21 même si c’est la CUP qui gagne le pompon à ce sujet.

Toutefois, les catalanistes n’ont pas le monopole de ces tendances abjectes. Leurs rivaux “espagnolistes” pratiquent un double discours : les grands dirigeants ont la bouche pleine de “constitution”, de “démocratie”, de “solidarité entre Espagnols”, du “vivre ensemble” etc., mais, en sous-main, ne font qu’attiser la haine contre “les Catalans”, ils préconisent des boycotts des produits “catalans”, appellent à “renforcer l’identité du peuple espagnol” et leur politique anti-immigration est chargée de racisme.

Le véritable visage de l’État démocratique

En réalité, ce conflit de racailles de bas-étage entre nationalistes espagnols et catalans démontre à nouveau, de chaque côté, ce que Rosa Luxemburg avait brossé d’une façon si forte et claire : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment”.22

La situation montre le véritable visage de l’État démocratique. Toutes les forces politiques en scène se revendiquent de la démocratie, de la liberté, des droits de l’Homme, qui seraient le patrimoine de l’État. Les uns au nom de la “défense de la constitution” et de la “souveraineté nationale” (PP, Ciudadanos, PSOE). Les autres au nom de la “liberté démocratique” d’organiser un référendum mais aussi de la constitution (Podemos, indépendantistes). Mais le discours démocratique officiel dissimule la distribution de coups bas, des scandales de corruption que l’on cherche et que l’on fait éclater lorsque cela convient aux uns ou aux autres, des manœuvres, des pièges, etc. Les uns distribuent des “coups” dans le sens le plus concret du terme, en envoyant la gardia civil et la police (même dans des bateaux peints avec des dessins de cartoons!),23 les autres distribuent des “coups de théâtre” ; mais ce qui compte, ce n’est ni les urnes (et pourtant elles sont bel et bien recherchées !), ni les votes, mais les rapports de force, les chantages, dans le plus pur style mafieux. En ce sens, les “anti-système” de la CUP ne restent pas non plus à la traîne, en organisant des manifestations devant des domiciles privés pour intimider, en placardant des affiches de délation montrant du doigt les maires qui s’opposent au référendum dans la meilleure tradition pogromiste. Voilà le véritable fonctionnement de l’État démocratique. Ses rouages ne fonctionnent pas grâce aux votes, aux droits, aux “libertés” et autres mensonges, mais par les manœuvres, les coups bas, les conspirations secrètes, les calomnies, les campagnes de harcèlement et par la répression …

La situation du prolétariat

Le prolétariat est désorienté. Sa perte d’identité, le ressac, le reflux du mouvement du 15 Mai [pour 15 mai 2011], un mouvement très faible certes mais avec des perspectives de futur,24 l’a conduit à la confusion, à une difficulté pour s’orienter selon ses intérêts de classe. Le plus grand danger est que toute sa pensée reste enfermée dans ce cloaque pestilentiel qu’est le conflit Catalogne/Espagne, l’obligeant à raisonner, à ressentir, selon ce faux dilemme “soit avec l’Espagne, soit avec l’indépendance”. Les sentiments, les pensées, les aspirations ne tournent plus autour de la lutte pour les conditions de vie, le futur des enfants, sur l’avenir du monde, etc., des pensées qui sont celles du terrain de classe prolétarien, même s’il est encore embryonnaire, mais sont polarisées sur “Madrid nous vole” ou “l’Espagne nous aime”, sur “drapeau jaune-rouge à bandes équivalentes et une étoile” ou “jaune-rouge à trois bandes”, sur une toile d’araignée de concepts bourgeois : démocratie, droit à l’autodétermination, souveraineté, constitution... La pensée du prolétariat dans la plus grande concentration ouvrière d’Espagne est l’otage de ce tas d’ordures conceptuel issu du passé, de la réaction et de la barbarie. Dans ces conditions, les mesures répressives adoptées le 20 septembre par le gouvernement central peuvent provoquer une série de martyrs, peuvent nourrir la victimisation irrationnelle, et ainsi pousser à une situation émotionnelle de haute tension pour “choisir” la meute nationaliste derrière laquelle se ranger.

Ceci dit, le plus grand danger pour les prolétaires est d’être dévoyés vers la défense de la démocratie. La bourgeoisie espagnole a une longue expérience, dans son affrontement avec le prolétariat, de dévoiement sur le terrain de la défense de la démocratie pour mieux le massacrer ou renforcer l’exploitation. Rappelons-nous comment la lutte, initialement prolétarienne, du 18 juillet 1936 face au soulèvement de Franco, fut déviée sur le terrain de la défense de la démocratie face au fascisme, où le choix entre deux ennemis, la République et Franco, s’est soldé par un million de morts. Rappelons-nous aussi comment en 1981, face aux risques que représentaient les derniers restes du franquisme, le “putsch” du 23 février permit une large mobilisation démocratique du “peuple espagnol”. En 1997, les pas significatifs pour isoler l’ETA furent les mobilisations massives “pour la démocratie contre le terrorisme”.

L’imbroglio catalan est dans l’impasse, avec ou sans référendum ; l’affrontement entre indépendantistes et “espagnolistes” ne fera que se radicaliser et, comme les deux personnages cloués dans la fange du tableau de Goya, Duel à coups de bâton, ils vont continuer à se donner des coups sans retenue, ce qui ne fera que disloquer encore plus le corps social, en exacerbant la division et les affrontements les plus irrationnels. Ce qui est le plus dangereux, c’est que le prolétariat soit englué dans cette bataille rangée, surtout parce que tous les adversaires ne vont pas arrêter d’utiliser l'arme de la démocratie pour légitimer leur propos, en demandant de nouvelles élections, de nouvelles lois et encore de nouveaux “droits à revendiquer”.

Nous sommes conscients de la situation de faiblesse que traverse aujourd’hui le prolétariat. Cela ne nous empêche pas de reconnaître que seule de sa lutte de classe autonome peut surgir une solution. Contribuer à cette orientation signifie s’opposer aujourd’hui à la mobilisation démocratique, au faux choix entre Espagne ou Catalogne, au terrain national et au nationalisme sous toutes ses formes. La lutte du prolétariat et le futur de l’humanité ne peuvent se résoudre qu’en dehors et contre ces terrains pourris.

Acción Proletaria, 27 septembre 2017

 

1 Autrement dit les règles que l’État s’était donné depuis la mort de Franco en 1975 et la transition démocratique.

2 Nous avons déjà publié plusieurs articles au sujet de Podemos. Ciudadanos est, avec Podemos, l'un des deux partis récemment entrés en force au Parlement espagnol. Il est de centre-droit, parfois plus à droite encore que le PP. Concernant le PSOE (parti social-démocrate), on peut lire : Espagne: qu’arrive-t-il au PSOE ? [11], ainsi que les analyses que nous avons développées dans : Referéndum catalán: la alternativa es Nación o lucha de clase del proletariado [12].

3 Cf. Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [13].

4 Ada Colau est la maire de Barcelone. Son groupe En Comú Podem est allié à Podemos, qui est d’ailleurs déjà une coalition. Toutes ces alliances tendent souvent à la dislocation.

5 Expression utilisée autrefois pour se référer à des nations créées artificiellement pour des intérêts impérialistes.

6 Nous avons déjà cité dans d’autres articles (Acción Proletaria nº 145, Ni nacionalismo vasco, ni nacionalismo español; autonomía política del proletariado !) ce que disaient Engels et Marx au XIXème siècle : “Comment rendre compte de cet étrange phénomène qui consiste en ce que, presque trois siècles après une dynastie des Habsbourg suivi de celle des Bourbons (chacune d’elles étant capable toute seule d’écraser un peuple) les libertés municipales survivent en Espagne justement dans le pays, entre tous les États féodaux, qui a vu surgir la monarchie absolue dans sa forme la moins mitigée et ou, malgré cela, la centralisation n’ait pas réussi à s’enraciner ? La réponse n’est pas difficile. Les grandes monarchies se sont formées au XVIème siècle et se sont installées partout avec la décadence des classes féodales antagoniques. Mais dans les autres grands États d’Europe, la monarchie s’est présentée comme foyer civilisateur, comme le promoteur de l’unité sociale. (…) En Espagne, par contre, tandis que la noblesse sombrait dans la dégradation sans perdre ses pires privilèges, les villes perdirent leur pouvoir médiéval sans pour autant gagner en importance moderne. Depuis l’établissement de la monarchie absolue est advenue la ruine du commerce, de l’industrie, de la navigation et de l’agriculture. Avec le déclin de la vie industrielle et commerciale des villes, le trafic intérieur est devenu de plus en plus rare et le mélange des habitants des différentes régions encore moins fréquents. (…) La monarchie absolue trouva en Espagne une base matérielle qui, par sa propre nature, rejetait la centralisation et elle-même fit tout pour que des intérêts communs, basés sur une division nationale du travail et une multiplication du trafic intérieur, ne surgissent pas. (…) Aussi, la monarchie espagnole, malgré sa ressemblance superficielle avec les monarchies absolues européennes devrait être plutôt classée avec les formes asiatiques de gouvernement. Comme la Turquie, l’Espagne a continué à être un conglomérat de républiques mal régies avec un souverain nominal à leur tête. Le despotisme présentait des caractères divers dans les différentes régions à cause de l’interprétation arbitraire de la loi générale des vice-rois et des gouverneurs ; malgré son despotisme, le gouvernement central n’a pas empêché le maintien dans plusieurs régions des droits et coutumes différents, des monnaies et régimes fiscaux différents. Le despotisme oriental ne s’attaque pas à l’autogouvernement municipal tant que celui-ci ne s’oppose pas à ses intérêts et permet volontiers à ces institutions de continuer leur vie tant qu’elles libèrent ses épaules délicates de la fatigue de toute charge et de la gêne d’une administration régulière” (traduit de la version en espagnol de Revolución en España).

7 Ces trois forces catalanes sont peu ou prou les descendantes directes des partis qui depuis la Generalitat avaient organisé (avec le soutien du PSOE et du gouvernement central de la République, et le “retrait” de la CNT “officielle”) la répression sans concession des prolétaires qui, en mai 1937, s’étaient soulevés contre le choix criminel : République ou rébellion franquiste. À l’époque, la Généralité était dirigée par Companys, du parti de la petite-bourgeoisie catalaniste (un peu l’ancêtre du PdCat) ; le ministre de l’Intérieur, Tarradellas, appartenait à l'ERC d’aujourd’hui, qui a travaillé la main dans la main avec les sbires staliniens du PSUC (dont la CUP peut être considérée comme le descendant patenté) pour mater le soulèvement prolétarien, dernier soupir de la résistance prolétarienne face à la contre-révolution. Par ailleurs, autant la CUP que l’EDC ont récupéré l’héritage des gauchistes et même de groupes terroristes (le PSAN) des années 80-90. Au sein de la CUP, il y a aussi des “anarchistes”, des “altermondialistes”, autrement dit cette “nouvelle gauche” dont est issue Podemos.

8 Nous avons publié en espagnol la brochure : España 1936: Franco y la República masacran al proletariado [14].

9 Entre 1993 et 1996, CIU, le parti de Pujol dont a hérité aujourd’hui Puigdemont, a soutenu le gouvernement du PSOE et entre 1996 et 2000 le gouvernement du PP.

10 Il faut se rappeler que lorsque ces partis manifestaient une certaine rébellion ou essayaient d’aller trop loin dans leurs prétentions “souverainistes”, le PSOE arrivait toujours à les recadrer en exerçant une pression sur eux, par exemple, face aux Catalanistes de Pujol en leur jetant à la figure le scandale de la Banca Catalana qui dû être mise sous tutelle ou avec une affaire de machine à sous qui obligea le PNV à se plier à une coalition avec les socialistes.

11 Abertzlale : expression du patriotisme basque en général et revendiqué particulièrement aujourd’hui par la gauche nationaliste et indépendantiste basque prétendument “révolutionnaire”.

12 https://es.internationalism.org/accion-proletaria/200602/572/el-plan-ibarretxe-aviva-la-sobrepuja-entre-fracciones-del-aparato-polit [15]

13 Ibarretxe a été le chef du gouvernement basque au début des années 2000. En 2005 il présenta un projet devant le Parlement espagnol pour la souveraineté du Pays Basque qui fut rejeté.

14 Tous deux présidents socialistes de la Generalitat : Maragall, (2003-06) et Montilla (2006-10) avec une coalition de gauche (ERC et ICV, anciens staliniens et Verts)

15 L’actuel chef de l’ERC, Oriol Jonqueras, a écrit “dans le quotidien Avui un article très sérieux glosant les différences qui, d’après ce qu’il parait savoir, distinguent la structure de l’ADN propre aux Catalans des formes des hélices de l’acide désoxyribonucléique caractéristiques des homo sapiens originaires du reste de la péninsule ibérique”, article qu’il titra avec le vieux proverbe catalaniste xénophobe “bon vent i barca nova”, utilisé pour inviter les étrangers non désirés a déguerpir. L’un de ses inspirateurs est un ancien président du parti, Heribert Barrera, qui affirmait que “les Noirs ont un coefficient intellectuel moindre que les Blancs”. [tiré de https://www.elmundo.es/cataluna/2017/09/17/59bd6033e5fdea562a8b4643.html [16]]

16 Izquierda Unida (Gauche Unie) est le dernier avatar du PCE. Elle est en coalition avec Podemos au sein de “Unidos Podemos”. [NdT]

17 Personnage comique du vieux cinéma mexicain parlant beaucoup pour ne rien dire, toujours très populaire dans les pays de langue espagnole. [NdT]

18 Cet article a été rédigé la semaine précédant le référendum du 1er octobre et avant la répression qui a eu lieu en Catalogne. Le groupe parlementaire du PSOE voulait voter une motion de “réprobation” contre la vice-présidente du gouvernement à la suite de sa gestion désastreuse et répressive. Mais d’autres voix au sein du PSOE, en particulier la “vieille garde” de l’époque de González ont exprimé leur soutien plein au gouvernement et le mépris qu’ils portent à la direction actuelle du PSOE. Ce qui règne au sein de ce parti est une inaudible cacophonie. [NdT]

19 Internationalisme, (publication de la Gauche Communiste de France) “Rapport sur la situation internationale”, 1945

20 La barbarie nacionalista [17].

21 “Ensemble pour le Oui”, coalition de la droite (PDCat) et de la gauche (ERC).

22 La crise de la Social-démocratie.

23 On a logé les forces de la police nationale au port de Barcelone dans un bateau peint avec des dessins géants de Bip-Bip et Titi. Cela peut rappeler le film de Blake Edwards, Operation Petticoat (Opération Jupons), où un sous-marin américain peint en rose lance du linge féminin à la place des torpilles, ce qui rend perplexes les cuirassés japonais ; cette anecdote montre le degré d’improvisation du PP au fur et à mesure qu’il comprenait que le défi catalan lui échappait.

24 Cf. Le mouvement du 15 Mai [15-M] cinq ans après [18] (2016)

 

Géographique: 

  • Espagne [19]

Récent et en cours: 

  • Catalogne [20]

Rubrique: 

Situation internationale

Menace de guerre entre la Corée du Nord et les États-Unis: c'est le capitalisme qui est irrationnel

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Il y a 72 ans, en août 1945, les deux premières bombes atomiques de l’Histoire étaient lâchées au-dessus d’Hiroshima et Nagasaki. Suite aux énormes destructions déjà perpétrées pendant la Deuxième Guerre mondiale, avec toutes sortes d’armes, notamment les bombes incendiaires, l’utilisation d’armes nucléaires a inauguré une nouvelle ère dans la capacité de destruction menaçant toute vie humaine sur terre.

Le 9 septembre 2017, à l’occasion de la commémoration de l’avènement du régime nord-coréen, les médias nous ont montré un gigantesque raout organisé par l’État et un Kim Jong-Un radieux, vantant la bombe à hydrogène dont venait de se doter le pays comme un “accomplissement extraordinaire et une grande avancée dans l’histoire de notre peuple”. La Corée du Nord a mené à bien l’explosion d’une bombe nucléaire, dont la puissance a dépassé de loin les essais précédents, rejoignant ainsi le club très fermé des puissances nucléaires. L’annonce de cette nouvelle étape dans l’enfoncement de la société bourgeoise dans la barbarie n’est pas arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel d’azur : le macabre triomphe du régime stalinien de Pyongyang dans la technologie de destruction de masse est le point culminant de mois de menaces mutuelles entre les États-Unis et la République Populaire Démocratique de Corée. La Corée du Nord a déjà effectué dix-sept tests de missiles balistiques cette année, plus que tous les tests précédents réunis. Avec la menace d’attaquer l’île américaine de Guam dans le Pacifique ou de viser des cibles américaines sur le continent en utilisant des missiles qui survoleraient le Japon et la menace d’employer l’arme atomique en cas d’attaque américaine, l’épreuve de force entre la Corée du Nord et les États-Unis a atteint une nouvelle dimension. Les États-Unis se disent prêts à riposter avec leur arsenal militaire, économique et politique, le président Trump parlant même de riposter par “le feu et la fureur” si les États-Unis ou l’un de leurs alliés étaient attaqués. Le risque d’utilisation de l’arme atomique met la barre beaucoup plus haut que jamais et constitue une menace directe pour certaines des plus grandes métropoles d’Asie (Séoul, Tokyo, etc.). Les dernières avancées militaires des États-Unis et de leurs alliés, la Corée du Sud et le Japon (en particulier l’installation du nouveau système de missiles THAAD (Terminal High Altitude Area System), ont exacerbé la confrontation entre les États-Unis et la Chine et ont attiré d’autres pays dans la tourmente.

Comment peut-on expliquer les événements de Corée et que signifient-ils pour l’humanité ?

La Corée du Nord espère survivre grâce à la bombe

Durant des décennies, au cours de la guerre froide, ce sont principalement les grandes puissances qui possédaient la bombe atomique. Mais, après 1989, un certain nombre d’autres pays y ont eu accès ou sont en train d’accéder à cette technologie qui rend la menace de destruction mutuelle toujours plus imprévisible. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour comprendre comment les “seconds couteaux” comme la Corée du Nord ont pu devenir une menace nucléaire. Cette évolution ne peut se comprendre qu’à la lumière d’un contexte historique et international plus large.

Après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée qui l’a presque aussitôt suivie, le Nord et le Sud ont dû compter sur leurs “protecteurs” pour leur reconstruction : la Corée du Nord est devenue dépendante de la Chine et de la Russie, deux pays gouvernés par des régimes staliniens incapables d’être compétitifs sur le marché mondial, tant ils étaient en retard sur les pays capitalistes les plus développés. La Russie est devenue une tête de bloc suite à la défaite de l’Allemagne nazie, mais elle est sortie très affaiblie de la guerre et a dû consacrer une grande part de ses ressources à la course aux armements initiée par la guerre froide. Le secteur civil était très en retard sur le secteur militaire. Le contraste entre les blocs se manifestait dans le fait que la Russie exsangue dut récupérer des usines en Europe centrale et orientale, tandis que les États-Unis finançaient généreusement la reconstruction de l’Allemagne et de la Corée du Sud (plan Marshall).

La reconstruction de la Corée du Nord a suivi le modèle stalinien. Alors qu’elle était plus développée économiquement que la Corée du Sud avant 1945, et mieux équipée en matières premières et ressources énergétiques, elle a souffert d’un retard similaire, typique des régimes étouffés par le militarisme et dirigés par une clique stalinienne. De la même façon que l’Union soviétique était incapable de devenir économiquement compétitive sur le marché mondial et était lourdement dépendante de l’utilisation ou de la menace d’utilisation de ses capacités militaires, la Corée du Nord était incapable de développer sa compétitivité. Son principal produit d’exportation, ce sont les armes, quelques matières premières et plus récemment des produits textiles fabriqués à bas prix, ainsi qu’une partie de sa force de travail, que le régime nord-coréen vend sous la forme de “travailleurs contractuels”. (1)

Dans le même temps, la dépendance à l’égard de ses protecteurs que sont la Chine et la Russie a tellement augmenté que 90 % du commerce extérieur de la Corée du Nord se fait avec la Chine. Dirigée par une dictature de parti qui contrôle étroitement l’armée et dans laquelle toutes les factions bourgeoises rivales ont été éliminées, le régime a les mêmes faiblesses congénitales que tous les régimes staliniens(2), mais il a survécu à des décennies de pénurie, de faim et de répression. L’appareil militaire et policier a su empêcher tout soulèvement de la population, en particulier de la classe ouvrière. Par rapport aux règnes d’autres dynasties dans d’autres pays en retard, la Corée du Nord détient le record de longévité d’une dynastie (Kim Il-sung, Kim Jong-il, Kim Jong-un) terrorisant la population depuis plus de soixante ans et lui faisant courber l'échine au nom d’un culte de la personnalité grotesque.

Face aux ambitions nationalistes du Sud, face aux intérêts impérialistes des États-Unis, incapable de compter sur sa force économique, le régime ne peut que se battre pour sa survie en usant d’une répression féroce à l’intérieur et d’un chantage militaire à l’extérieur. A l’ère des armes nucléaires, le chantage doit être suffisamment terrifiant pour dissuader ses ennemis. Kim Jong-un voit la bombe nucléaire comme son assurance-vie. Comme il l’a déclaré lui-même, il a tiré les leçons de ce qui s’est passé en Ukraine et en Libye d’une part, au Pakistan d’autre part. Après l’effondrement de l’URSS, l’État ukrainien nouvellement formé a été obligé, non seulement par Moscou mais aussi par Washington, de remettre son arsenal nucléaire aux Russes. De même pour la Libye, qui a accepté d’abandonner ses velléités d’acquérir la bombe nucléaire en échange de la fin de l’isolement international du régime de Kadhafi à Tripoli. L’Irak a connu un sort similaire, Saddam Hussein ayant abandonné son programme nucléaire suite aux menaces principalement américaines.(3) Le Pakistan par contre, a réussi à acquérir la bombe. Ce qui frappe, à travers ces exemples, c’est la façon dont sont traités des pays selon qu’ils possèdent ou non une capacité nucléaire. A ce jour, les États-Unis n’ont jamais menacé le Pakistan militairement, et cela malgré le fait que le régime de Lahore demeure un défenseur des Talibans en Afghanistan, ait hébergé Ben Laden et se soit rapproché de la Chine, principal rival des États-Unis. Inversement, l’Ukraine, dépouillée de ses armes nucléaires, a été attaquée par la Russie, et la Libye par la France et la Grande-Bretagne (avec les États-Unis en arrière-plan). La leçon est claire : aux yeux de leurs dirigeants, la bombe est peut-être le meilleur moyen pour les puissances faibles d’éviter d’être trop malmenées, voire envahies par les États plus forts. Cette politique est bien entendu considérée comme inacceptable par les grandes puissances, qui disposent elles-mêmes depuis des décennies d’un arsenal nucléaire et utilisent la menace atomique pour défendre leurs propres intérêts impérialistes. Malgré la fin de la guerre froide, toutes les puissances nucléaires de l’époque (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France) ont gardé un énorme arsenal nucléaire estimé à 22 000 bombes nucléaires.(4) Parmi les puissances nucléaires existantes, jusqu’à présent, seuls les missiles russes et chinois pouvaient atteindre le territoire américain, les missiles iraniens (équipés ou non d’ogives nucléaires), ne le peuvent pas. La Corée du Nord serait le premier État “fou” à pouvoir le faire. C’est insupportable pour les États-Unis. Depuis 1989, la prolifération nucléaire a donc permis à d’autres pays d’accéder à cette technologie ou de produire rapidement des bombes. Personne ne peut, par ailleurs, exclure le risque que ces armes ne tombent entre les mains de groupes terroristes. La menace d’un holocauste “bipolaire” a cédé la place au cauchemar encore pire d’un génocide “multipolaire”.

Mais cette nouvelle escalade ne saurait être expliquée uniquement par les spécificités du régime nord-coréen et sa lutte pour la survie. Le conflit en Corée lui-même a une autre dimension due à sa position géostratégique et à son importance pour les États-Unis et la Chine dans l’exaspération de leurs rivalités impérialistes globales.

La Corée sur l’échiquier impérialiste

La Corée a toujours été la cible des ambitions impérialistes de ses voisins. Comme nous l’écrivions dans notre numéro spécial de la Revue Internationale consacré à l’Extrême-Orient : “Les raisons sont évidentes : entourée par la Russie, la Chine et le Japon, la position géographique de la Corée en fait un tremplin pour une expansion des pays limitrophes. La Corée est inextricablement logée dans un casse-noix, entre l’empire de l’archipel du Japon et les deux empires continentaux de la Chine et de la Russie. La maîtrise de la Corée permet le contrôle de trois mers : la Mer du Japon, la Mer Jaune et la Mer de Chine Orientale. Sous le contrôle d’un pays, la Corée pourrait être le couteau dans le dos d’autre pays. Depuis les années 1890, la Corée a été la cible des ambitions des trois grands requins impérialistes de la région : la Russie, le Japon et la Chine avec le soutien et la résistance respectifs des requins européens et américain agissant en arrière-plan. Même si, en particulier, la Corée du Nord a d’importants gisements de matières premières, c’est avant tout sa position stratégique qui fait de ce pays une pierre angulaire essentielle pour l’impérialisme dans la région”. Surtout, depuis la partition du pays au cours de la guerre de Corée, la Corée du Nord sert de tampon entre la Chine et la Corée du Sud et, en conséquence, entre la Chine et les États-Unis. Si le régime du Nord tombait, non seulement les troupes sud-coréennes, mais aussi les troupes américaines se trouveraient encore plus près de la frontière chinoise, un cauchemar pour la Chine. Ainsi, la Chine est condamnée à soutenir le régime de Corée du Nord afin de défendre ses frontières, avant tout contre les États-Unis. Compte-tenu de la tendance du régime nord-coréen à agir de manière imprévisible et incontrôlable, la Chine doit appliquer certaines sanctions contre Pyongyang, mais elle s’oppose à l’étranglement complet du régime. Pour la Chine, la politique agressive de Pyongyang est à double tranchant : d’une part, elle provoque une réponse militaire plus véhémente des États-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, affaiblissant la position chinoise au nord, tout en laissant plus de marge de manœuvre au sud (par exemple en Mer de Chine méridionale). Mais l’effondrement du régime nord-coréen la rendrait beaucoup plus vulnérable vis-à-vis des États-Unis et de son ennemi historique, le Japon. Les conséquences d’un éventuel effondrement de la Corée, telles un afflux de réfugiés via ou vers la Chine, seraient extrêmement déplaisantes pour Pékin.

Bien que leur position soit menacée et compromise, les États-Unis peuvent, paradoxalement, tirer parti des menaces nord-coréennes, car elles sont une justification bienvenue au renforcement de leur présence militaire ou à celle de leurs alliés autour de la Chine. On peut supposer que si Pyongyang n’avait pas agi de manière aussi provocante, les États-Unis n’auraient pas pu installer aussi facilement leur nouveau système d’armes THAAD en Corée du Sud. Toute arme stationnée en Corée du Sud peut facilement être utilisée contre la Chine, et ainsi ce système, qui est présenté comme une arme “défensive” pour la Corée du Sud, est en même temps une arme “offensive” contre la Chine.

Le conflit est aggravé par la nouvelle répartition des forces en Extrême-Orient. Presque en même temps que son ascension économique dans les années 1990, la Chine a également commencé à développer de nouvelles ambitions impérialistes. Ainsi, nous avons vu la modernisation de son armée, l’établissement des bases navales du “collier de perles” autour de son territoire et dans les eaux de l’Océan Indien et de l’Asie du Sud-Est, une occupation militaire dans quelques parties du Sud de la Mer de Chine, la construction d’une base militaire à Djibouti, l’accroissement de son poids économique en Afrique et en Amérique Latine, des manœuvres communes avec la Russie en Mer Baltique, en Méditerranée et en Extrême-Orient, etc. Les États-Unis ont déclaré que la Chine était la menace n°1 à contenir. C’est pourquoi le processus de réarmement du Japon (peut-être même en ce qui concerne l’armement nucléaire), comme les efforts militaires accrus en Corée du Sud, font partie d’une stratégie globale tant pour protéger la Corée du Sud que pour contenir la Chine. Bien sûr, cela a donné un coup de pouce supplémentaire à l’industrie américaine de l’armement. Avec l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud est devenue l’un des clients les plus importants de l’industrie d’armement américaine. Sa contribution au financement de l’énorme appareil militaire des États-Unis est aujourd’hui considérable.

En même temps, compte-tenu du fait que la Corée du Nord a maintenant une capacité nucléaire, il est beaucoup plus difficile pour l’impérialisme américain de se retirer militairement de cette région et il est susceptible de réagir encore plus fermement contre la Chine dans d’autres endroits stratégiques. Toute confrontation directe avec la Corée du Nord déclencherait une dynamique de destructions des deux côtés. La moitié de la population de Corée du Sud vit dans la région de Séoul et un grand nombre des 250 000 Américains qui vivent en Corée du Sud habitent aussi dans cette zone à portée du tir des missiles nord-coréens. Les menaces de “fureur et de feu” de Trump entraîneraient la mort non seulement d’un très grand nombre de Coréens, mais aussi de beaucoup de citoyens américains. L’anéantissement du régime du Nord ne pourrait se faire qu’au prix de destructions gigantesques en Corée du Sud, sans même parler de l’escalade que cela entraînerait au niveau impérialiste mondial.

La vision qui domine sur ces événements dans la presse bourgeoise est qu’ils seraient la conséquence de la folie du régime nord-coréen, ou l’expression du narcissisme et de l’irrationalité à la fois de Kim Jong-un et de Donald Trump. Il est vrai que les deux dirigeants présentent de nombreuses caractéristiques intéressantes pour une étude psychiatrique et que leur façon de parler et d’agir donne à la montée en puissance des tensions un ton spectaculaire et presque hystérique. Mais, comme nous l'avons souligné, du point de vue de la défense de son Capital national, la politique nucléaire de Kim Jong-un est tout à fait cohérente. La véritable irrationalité se situe à un autre niveau : dans la compétition entre États nationaux à l’ère de la décadence avancée du capitalisme. La course aux armements en Extrême-Orient n’est qu’une expression du cancer du militarisme qui se répand, l’inéluctable conséquence d’un système social pris au piège d’une impasse historique. Aucun politicien, quel que soit son profil psychologique, ne peut échapper à la logique mortelle de ce système. Le très intelligent et cohérent Barack Obama avait promis de réduire le désastreux engagement de l’administration Bush au Moyen-Orient, et pourtant, s’il a retiré des troupes d’Irak ou d’Afghanistan, il a été obligé d’augmenter la présence américaine en Extrême-Orient. Trump a critiqué ses prédécesseurs pour leur incapacité à éviter de s’engager dans des guerres “à l’étranger”, surtout au Proche-Orient, mais il est maintenant obligé d’augmenter la présence américaine pratiquement partout, y compris au Proche-Orient. En réalité, Obama et Trump ont tous deux démontré que l’emprise du militarisme est plus forte que les déclarations ou les désirs de politiciens individuels.

Les différences entre la Chine et la Corée du Nord

L’Histoire a montré que la Chine a payé un prix élevé dans sa lutte pour la Corée. Pendant la guerre de Corée, les troupes de Mao Tse Toung ont organisé leur première invasion à l’étranger, subissant de lourdes pertes ; depuis la Deuxième Guerre mondiale et encore plus après la guerre de Corée, les États-Unis ont su utiliser la menace chinoise pour justifier le maintien de leurs énormes bases dans la région. De plus, pèse sur la région la rivalité entre la Chine et le Japon. Dans un tel contexte, comme il n’est pour le moment pas question pour la Chine d’employer la force contre la Corée du Sud, elle utilise l’arme économique. Son but est de rendre la Corée du Sud le plus dépendante possible de l’économie chinoise. Aujourd’hui, le principal marché d’exportation de la Corée du Sud est la Chine (environ 23 %), plus que les États-Unis (12 %). La Corée du Sud est le quatrième marché à l’exportation pour les produits chinois. L’installation du système anti-missile THAAD en Corée du Sud a été symboliquement un grave revers pour la politique chinoise. Pékin s’est sentie obligée de réagir immédiatement par la menace de sanctions économiques contre Séoul. La politique de Pékin à l’égard de Pyongyang, depuis quelque temps, consiste à tenter de la persuader de suivre son exemple ou celui du Vietnam : privatisation des entreprises publiques et ouverture aux investissements étrangers tout en maintenant le parti stalinien au pouvoir. Kim Jong-un s’est montré beaucoup plus réceptif à cette suggestion que son père. On évalue entre 30 et 50 % la part de l’économie qui serait aujourd’hui passée dans le secteur “privé”, ce qui, comme l’ont montré les expériences des pays de l’Europe de l’est, de la Russie et de la Chine, signifie principalement : dans les mains de membres du parti ou de l’armée elle-même. Même si ces privatisations ne sont pas officielles (elles n’ont pas de base légale, ce qui fait qu’elles peuvent être annulées à tout moment), elles semblent avoir rendu certaines branches de l’économie plus efficaces. Un système de téléphonie mobile national, avec un million d’utilisateurs, a été mis en place (avec l’aide d’une société égyptienne).

Mais, malgré cela, les relations entre Pékin et Pyongyang se sont régulièrement détériorées ces dernières années, et le degré d’influence de la première sur la seconde a beaucoup diminué. Le principal sujet de discorde est le programme nucléaire. Tout en suivant dans une certaine mesure les propositions chinoises de développement économique, Kim Jong-un a toujours insisté sur le fait que sa première priorité est “la bombe” et non l’économie. Pour lui, la bombe est la garantie de la survie de son régime. La bombe des Kim n’est donc pas seulement le symbole des limites de l’influence chinoise, elle montre aussi combien les intérêts militaires l’emportent sur les intérêts économiques.

Le fait que la Chine ne soit pas une tête de bloc impérialiste et ne puisse imposer aucune “discipline” à la Corée du Nord, ajoute un élément supplémentaire dans lequel la tendance au chacun pour soi rend la situation encore plus imprévisible. Enfin, il faut souligner que, si Kim Jong-un et son armée luttent pour leur survie à l’aide de la bombe en comptant sur l’espoir qu’ont les États-Unis d’éviter un conflit nucléaire, un tel calcul n’a jamais empêché les dirigeants capitalistes de mener une politique de la terre brûlée en risquant leur propre anéantissement pour garder le pouvoir ou simplement par désir de vengeance. Hitler a-t-il hésité à commander des massacres et des exécutions jusqu’à son dernier souffle ? Assad n’a-t-il pas accepté la destruction de vastes zones de son pays pour en garder le contrôle ?

En Extrême-Orient, on peut voir nettement l’exacerbation des tensions entre les principaux rivaux que sont la Chine et les États-Unis, la Russie et le Japon s’acoquinant avec l’un ou l’autre. Mais aucune des deux puissances n’a réuni un bloc militaire derrière elle. Le Japon et la Corée du Sud soutiennent les États-Unis dans la mesure où ils peuvent recevoir un certain niveau de protection contre la Corée du Nord et la Chine ; mais ils ne sont pas des laquais des États-Unis et cherchent constamment une marge de manœuvre à leurs dépens. La Corée du Sud et le Japon ont également des conflits territoriaux entre eux au sujet de certaines îles. Pendant ce temps, d’autres pays, qui dans le passé ont soutenu les États-Unis, comme les Philippines qui comptent sur le soutien militaire des États-Unis pour lutter contre les terroristes de toutes sortes dans le pays, ont menacé de prendre parti pour la Chine dans le conflit autour de la Mer de Chine du Sud, et Duterte a également évoqué la possibilité d’acheter des armes russes et chinoises au lieu de se fournir en Occident. En Corée du Sud elle-même, bien que les États-Unis demeurent un garde du corps indispensable, les Américains ne peuvent pas compter sur une loyauté inconditionnelle de la part des factions dirigeantes, dont certaines pensent qu’elles ne sont que des pions sur un échiquier pour les États-Unis.

Les intérêts nationaux de la classe dominante en Corée du Sud

Parce que les deux Corées sont des tampons essentiels entre les principaux rivaux, tous les requins impérialistes de la région ont intérêt à ce que la Corée reste divisée. Il en va de même pour la Corée du Nord. Cependant, la classe dirigeante de Séoul a toujours rêvé et périodiquement émis le souhait d’une réunification. La “politique du soleil qui brille”, qui préconise une coopération croissante avec Pyongyang, est une tentative d’ouvrir la voie à un règlement à long terme avec l’espoir final d’une réunification. Ce rêve, au sein de la classe dirigeante sud-coréenne, est devenu plus audible après la réunification de l’Allemagne en 1990. Cela a donné un coup de fouet aux aspirations du Sud pour remettre l’unification de la Corée à l’ordre du jour de la politique mondiale. A la suite de l’exemple allemand, les politiciens sud-coréens ont commencé à exprimer leur politique “du soleil qui brille” comme une sorte de version coréenne de l’Ostpolitik du chancelier d’Allemagne de l’Ouest Willy Brandt dans les années 1970. Son objectif était de créer une dépendance économique et “humanitaire” du Nord comme moyen de préparer la réunification. Une fois que les deux États coréens se furent reconnus diplomatiquement, ils sont tous les deux devenus membres des Nations Unies en septembre 1991. Trois mois plus tard, ils ont signé un accord sur “la réconciliation, la non-agression, le commerce et la collaboration”. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traité de paix, cet accord a mis officiellement fin à l’état de guerre entre les deux Corées. Comme l’a souligné le gouvernement sud-coréen à l’époque, le traité de paix auquel il aspirait avait été bloqué par le refus des États-Unis de reconnaître diplomatiquement la Corée du Nord. Cette attitude de Washington a sapé la politique du “soleil qui brille” de sorte qu’un nouveau président, Kim Young-sam, avec l’appui du président Bill Clinton, est revenu à la politique de confinement agressif du Nord. Cette dernière politique prend comme modèle la doctrine Kennan développée par les États-Unis contre l’URSS au cours de la guerre froide. Elle signifie l’encerclement militaire et l’étranglement économique de son ennemi, afin de mettre son régime à genoux. En 1994, en réponse aux mesures nord-coréennes pour développer ses armes nucléaires, le président américain Bill Clinton avait envisagé une attaque préventive contre les centrales nucléaires du pays. Malgré l’abandon du projet nucléaire par la Corée du Nord lors des accords de Genève en automne 1994, les États-Unis ont durci leur position contre la Corée du Nord. La nouvelle aggravation du conflit entre les deux Corées a certainement accentué la famine qui a affligé la Corée du Nord entre 1995 et 1998. Cette catastrophe, à son tour, a été utilisée par les tenants de la politique du “soleil qui brille” pour regagner un peu d’influence.

Le fondateur du consortium géant Hyundai, Chung Ju Yung, aurait remis en question la politique économique de l’étranglement de la Corée du Nord par le gouvernement de Séoul, en 1998, en offrant symboliquement un millier de vaches au Nord. Au début des années 2000, Kim Dae Jung, le principal défenseur de la politique du “soleil qui brille”, qui avait remporté les élections présidentielles sur cette base, a rencontré son homologue du Nord Kim Jong-Il (le père de Kim Jong-un). La réticence du Nord à participer à ce sommet “historique” avait été surmontée à l’aide d’un paiement de 186 millions de dollars fourni par le géant Hyundai, un accord avec l’aide du chef des services secrets sud-coréens. Cela fut suivi, en 2004, par une entreprise audacieuse : l’établissement, à Kaesong, en Corée du Nord, d’une zone économique spéciale, sur le modèle chinois, où les entreprises sud-coréennes pouvaient investir et exploiter la très peu coûteuse force de travail nord-coréenne. Pour sa politique du “soleil qui brille”, Kim Dae-jung a reçu le prix Nobel de la Paix. Mais elle lui a également apporté, ainsi qu’à son successeur Roh Moo-hyun, l’hostilité de ses rivaux et des États-Unis.

La Corée du Nord était furieuse du retour triomphant des partisans du “Soleil qui brille” dans le Sud. Afin d’en comprendre la raison, il suffit de regarder ce qui s’est passé en Allemagne : l’Allemagne de l’Est, dirigée par les staliniens, a été avalée toute crue en 1990. Devant une telle situation, les staliniens nord-coréens auraient risqué non seulement de perdre le pouvoir, comme cela s’est produit à Berlin-Est, mais aussi la vie. L’approche plus conciliante de Séoul n’a pas suffi à calmer les dirigeants de Pyongyang qui sentaient que cela pouvait devenir le début de la fin de la Corée du Nord. Les espoirs de “Soleil qui brille” selon lesquels le régime du Nord pourrait soutenir sa politique de “transformation par la coopération” semblent avoir été déçus et n’a reçu aucun soutien de Washington.

Après l’intermède Park Gyun-he,(5) partisane d’une course à la confrontation avec le Nord, Moon Jae-in a gagné les élections présidentielles en 2017. Moon est venu au pouvoir en tant que défenseur de la doctrine du “Soleil qui brille”. Il aurait été indigné par la nouvelle escalade entre la Corée du Nord et les États-Unis. Il a au moins au départ mis en question la décision de Donald Trump (prise apparemment sans consulter le gouvernement de Séoul) d’installer le système THAAD en Corée du Sud, une étape déjà prévue sous Park Gyun–he, la présidente destituée. Au lieu de prendre le parti de Trump dans le conflit actuel, le gouvernement de Séoul a initialement appelé à la retenue des deux côtés. Cependant, après les derniers essais et les menaces nucléaires, Ban Ki Moon a soudain demandé le déploiement des armes atomiques américaines et imposé l’installation du nouveau système THAAD en Corée du Sud. En outre, le rayon d’action des missiles sud-coréens (jusqu’à présent limité à 800 km), et leur capacité de charge de 500 kg devraient être considérablement augmentés. Il est trop tôt pour conclure que tout cela signifie un irrémédiable abandon de la politique du “Soleil qui brille”, mais il y a certainement un risque.

Le rôle-clé de la classe ouvrière

Dans tous ces pays, la classe dirigeante essaie d’attirer la classe ouvrière sur un terrain nationaliste. Mais elle doit refuser de se laisser entraîner dans ce piège. Certes, la combativité et la conscience de la classe en Corée du Nord sont difficiles à évaluer. Face à la surveillance quotidienne et à la terreur, toute résistance devrait être massive d’emblée et se confronterait aussitôt à l’État et à son appareil militaire et policier. Cela semble peu probable dans l’immédiat. De plus, les sanctions de l’ONU n’étrangleront pas le régime nord-coréen ; mais elles toucheront surtout la population. Chaque fois que les dirigeants saluent des tests de missiles réussis, les travailleurs et les paysans savent que de nouvelles sanctions sont à l’horizon, pour lesquelles ils devront payer la note. Ils savent aussi que leurs dirigeants n’ont que faire du risque de famine.

Le poids le plus lourd repose sur les épaules de la classe ouvrière en Corée du Sud et en Chine. Bien que des décennies de “campagnes anti-communistes” aient déformé le point de vue de nombreux travailleurs sur le communisme, les travailleurs sud-coréens et chinois ont, au cours des dernières décennies, participé à des nombreuses luttes militantes et massives, ce qui indique qu’ils ne sont pas prêts à se sacrifier dans une guerre impérialiste pour les intérêts de leurs exploiteurs. Quel que soit le degré de résistance du prolétariat, pour faire face à la guerre, il est essentiel que s'exprime une voix défendant le vieux principe et le slogan le plus ancien de la classe ouvrière : “Les prolétaires n’ont pas de patrie”. C’est pourquoi nous soutenons et avons publié publions également le texte écrit par le groupe coréen International Communist Perspective [21] (ICP).

Nous avons quelques critiques à faire sur cette déclaration, en particulier son insistance sur l’installation des THAAD qui pourrait suggérer l’idée qu’une campagne contre un objectif précis pourrait être l’équivalent de la lutte des ouvriers pour défendre leurs intérêts contre les exigences de la machine de guerre. Ce n’est pas en faisant campagne contre telle ou telle arme de guerre particulière que la classe ouvrière peut développer sa conscience. La tâche des révolutionnaires est de démontrer l’impasse de l’ensemble de ce système, en participant aux luttes qui présentent des revendications de classe, qui peuvent permettre de déchirer le voile d’illusion d’une “unité nationale” et développer une réelle solidarité avec les travailleurs des autres pays. Néanmoins, il faut débattre des différents points de vue entre internationalistes, et cela ne doit pas nous empêcher de défendre ensemble les principes qu’ils partagent. Il nous faut nous rappeler que Lénine et Rosa Luxemburg, après l’éclatement du premier conflit mondial, se sont battus ensemble contre la guerre impérialiste, mais débattaient chaudement sur la question nationale. C’est sans réserve que nous nous tenons solidairement aux côtés des camarades du ICP et de tous ceux qui luttent pour un réel internationalisme dans cette région.

CCI, le 18 septembre 2017

 

1 Les ouvriers gagnent entre 120 et 150 dollars par mois, travaillant comme des esclaves et n’ayant qu’un jour ou deux de congé par mois.

2 Cf. Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l’Est [22] (Revue Internationale, n° 60, 1er trimestre 1990, et dans notre brochure "Effondrement du Stalinisme").

3 Le secrétaire américain aux Affaires étrangères, Powell, et le Premier Ministre britannique, Blair, ont tous deux alerté sur le fait que Saddam Hussein détenait l’arme nucléaire ; cela s’est révélé être une fausse information qui servit de prétexte pour envahir l’Irak.

4 Les États-Unis, en tant qu’unique super-puissance, bien qu’affaibli et défié partout dans le monde, ont néanmoins permis à leur vieil allié israélien et à l’Inde de s’équiper de la bombe nucléaire, dans la mesure où cela pouvait servir leurs intérêts (dans le cas de l’Inde, c’est un contrepoids face à la Chine et au Pakistan). Ainsi, les États-Unis eux-mêmes contribuent à la prolifération de l’arme nucléaire.

5 Les raisons de la destitution de Park Gyun-he étaient multiples : d’un côté il y avait la lutte pour le pouvoir entre “Soleil qui brille” et les “va-t’en–guerre” : ces derniers ont participé à la campagne contre Park Gyun-he. En même temps, l’indignation de la population face à l’ampleur de la corruption de la classe politique a également contribué à sa disgrâce. A tous les niveaux cela a servi à redorer le blason de la démocratie.

 

Géographique: 

  • Corée du Sud [23]

Rubrique: 

Situation internationale

ICConline - décembre 2017

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