Après la poussée de l’extrême-droite en Autriche, le vote du Brexit au Royaume-Uni, la victoire de Donald Trump aux États-Unis et celle, probable, de Geert Wilders aux Pays-Bas, la France pourrait être la prochaine grande puissance à voir un mouvement populiste aux portes du pouvoir, au moins en mesure d’ébranler sérieusement la mécanique électorale. Si les fractions politiques les plus lucides de la bourgeoisie, de droite ou de gauche, sont loin de rester les bras croisés face à ce risque pour les intérêts objectifs de l’État et de la classe dominante, le scénario d’une victoire de Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle est pris suffisamment au sérieux pour mobiliser les chancelleries européennes et affoler les marchés financiers. Un tel événement, au cœur du moteur européen, présenterait un très grand danger pour le futur de l’Union et serait, bien plus que le Brexit, un désastre pour l’Allemagne et toutes les bourgeoisies pro-européennes, menaçant potentiellement l’équilibre impérialiste du centre historique du capitalisme.
Comme nous l’avons déjà souligné dans nos précédents articles sur le sujet 1, l’enracinement du populisme en Europe et aux États-Unis résulte, en premier lieu, de l’affaiblissement historique des partis de gouvernement traditionnels, discrédités par des décennies d’attaques à répétition contre les conditions de vie et de travail, par l’existence insupportable d’un chômage de masse chronique, par le cynisme, l’hypocrisie et la corruption de nombreuses sphères politiques et économiques, et in fine par leur impuissance à faire miroiter aux masses exploitées l’illusoire espérance d’un futur meilleur. Face à une classe ouvrière pour le moment impuissante à défendre sa perspective révolutionnaire et à représenter un danger tangible pour la société capitaliste, l’indiscipline et le chacun pour soi, tant au niveau international que dans les rapports entre les différentes cliques politiques des bourgeoisies nationales, tend à gagner du terrain. Les exemples de ce phénomène sont légion, mais les épisodes de véritables batailles de chiffonniers entre de Villepin et Sarkozy qui, lors de l’affaire Clearstream en 2004, avait promis à son adversaire de le suspendre “sur un crochet de boucher”, ou, en 2012, la rivalité sans merci entre Copé et Fillon pour s’emparer de la présidence du parti de droite, illustrent bien la réalité et les dangers qu’un tel processus fait peser sur la vie politique.
L’autre facteur essentiel pour comprendre la poussée populiste réside dans les faiblesses politiques actuelles de la classe ouvrière, notamment son immense difficulté à elle-même s’identifier comme la seule classe sociale en mesure de renverser l’ordre capitaliste. Face aux attaques incessantes portées par la bourgeoisie, il existe au sein du prolétariat et des couches petites-bourgeoises un véritable sentiment de révolte. Mais, faute de réelle perspective politique prolétarienne, le mécontentement ne peut s’exprimer sur le terrain de la lutte de classe. Aux yeux désabusés de beaucoup de ceux qui ressentent un profond ras-le-bol, le seul exutoire possible semble se réduire au repli sur soi et au rejet de toute forme d’engagement politique, ou bien au soutien de partis qui se sont toujours (et frauduleusement) présentés contre le “système”, marginalisés et stigmatisés par la sphère politico-médiatique tant honnie, et prêts à “purger” la société des “élites” et de “l’étranger”, en réalité un magma idéologique informe et démagogique dans lequel s’entremêlent recherche de boucs-émissaires, frustrations sociales et désespoir.
Tous ces éléments se traduisent par des difficultés croissantes de l’appareil d’État à mettre en œuvre des stratégies lui permettant d’asseoir à sa tête les partis les plus adaptés aux besoins du capital. C’est ainsi qu’une personnalité aussi irresponsable et incompétente que Donald Trump a pu s’emparer de la Maison-Blanche contre à peu près tout ce que la classe politique américaine, les médias et le show-business comptent d’un tant soit peu rationnel.
Aucune force populiste n’a démenti son entière sujétion au “système”, ni sa détermination à défendre, à sa manière, les intérêts de la classe dominante. Pourtant, la montée en puissance de ces mouvances représente un sérieux problème pour la bourgeoisie. La défense du capital national dans la période de décadence ouverte en 1914 s’est jusqu’ici traduite par un resserrement strict des différentes sensibilités politiques autour du pouvoir exécutif et des intérêts communs des différentes fractions de la bourgeoisie au détriment des intérêts particuliers de tel ou tel parti ou clique. Depuis 1945, l’artifice du pluralisme démocratique était globalement assuré par un véritable verrouillage du pouvoir exécutif au moyen d’un jeu d’alternance des partis de gauche et de droite les plus responsables. Les mouvances populistes plus récentes ont, au contraire, des démarches totalement irrationnelles et obscurantistes. Sans claire vision des intérêts objectifs de leur classe et sans réelles compétences, elles risquent à tout moment de semer la pagaille au sommet de l’État et d’entraver sa bonne gestion, comme semble le démontrer chaque jour la catastrophique présidence de Donald Trump.
En France, le Front national (FN) est pour beaucoup l’incarnation des laissés-pour-compte. Si son programme incohérent n’est pas forcément toujours pris au sérieux par ses propres électeurs, il se présente comme une sorte d’ultime recours pour “faire bouger les choses”. Ceci, d’autant plus facilement qu’il a jusqu’à présent pour particularité avantageuse de ne pas avoir été associé à la gestion de l’État. Depuis les années 1980, où le président socialiste, François Mitterrand, avait transformé un insignifiant rassemblement de vieux pétainistes, de petits boutiquiers poujadistes, d’anciens partisans de l’Algérie française et de jeunes skinheads paumés en machine à faire perdre la droite, le FN n’a jamais cessé de progresser sur le plan électoral. L’instrumentalisation mitterrandienne a peu à peu échappé à son créateur, au point que, si le jeu politique qui se poursuit encore aujourd’hui permet à la classe dominante de réactiver régulièrement les campagnes antifascistes destinées à redorer l’image de la république bourgeoise et ses valeurs démocratiques, l’accident du 21 avril 2002 l’a contraint à mener une politique active d’affaiblissement du FN.
Une partie de la droite française, avec à sa tête Nicolas Sarkozy, reprit ainsi à son compte les thèmes et le langage de l’extrême-droite, réduisant, en 2007, la base électorale de Jean-Marie Le Pen à la portion congrue (10,44 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle). Mais l’usure rapide de la “droite décomplexée” au pouvoir et, surtout, l’approfondissement de la décomposition du tissu social et politique (en particulier le ralliement de nombreux anciens électeurs du parti stalinien séduits par le patriotisme outrancier du FN) ont permis à Marine Le Pen, la fille du vieux leader frontiste, d’obtenir un score historique à la présidentielle suivante (17,90 %).
C’est aux élections régionales de 2015 que la bourgeoisie française a réellement pris conscience de l’ampleur du danger que représente le FN, devenu le “premier parti de France” avec plus de 27 % des voix, pour la bonne gestion de ses affaires. Elle a réagi en activant à nouveau, mais avec beaucoup plus de difficultés qu’en 2002, la tactique du “front républicain” ; le Parti socialiste (PS) retira ses listes en faveur de la droite dans deux régions importantes qui risquaient de tomber entre les mains du FN. Mais la victoire du “front républicain” n’a été qu’une parade ponctuelle face à l’inexorable croissance du populisme. Malgré toutes les armes médiatiques ou juridiques que les différentes fractions de la bourgeoisie peuvent utiliser, Marine Le Pen sait que son parti à bel et bien une possibilité d’entrer à l’Élysée.
Le danger que représente désormais le FN pour les intérêts objectifs de la classe dominante accroît les difficultés d’une bourgeoisie qui a déjà fort à faire avec une situation économique qui se dégrade d’année en année. La combativité du prolétariat jusqu’au milieu des années 1980, les archaïsmes de la droite gaulliste et la place que le stalinisme a occupée durant toute une période dans l’appareil d’État entravent encore aujourd’hui la bourgeoisie française qui a hérité d’une énorme bureaucratie et a toujours eu du mal à moderniser ses structures économiques en engageant, dans de bonnes conditions, les réformes nécessaires aux intérêts de son capital national, contrairement à ses concurrents immédiats, l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
L’arrivée en 2012 de François Hollande au pouvoir correspondait clairement à cette nécessaire évolution du capital français, le PS représentant, comme dans de nombreux autres pays, la fraction la plus intelligente de la bourgeoisie et donc la plus à même de mener les attaques sur le plan économique mais aussi idéologique. Néanmoins, la mesure phare de la présidence de Hollande, la réforme du Code du travail avec l’adoption de la “loi El Khomri”, devait l’affaiblir et renforcer la résistance d’un certain nombre de secteurs de la bourgeoisie très attachés à l’interventionnisme étatique et au keynésianisme. Alors que le PS, en particulier son aile social-démocrate, a longtemps assumé le combat contre l’extrême-droite, l’impossibilité de maintenir Hollande au pouvoir et l’affaiblissement du Premier ministre Valls ont rendu sa stratégie caduque.
La droite comptait quant à elle s’appuyer sur une personnalité relativement consensuelle et drapée d’une aura d’homme d’État. Mais la candidature Juppé à la primaire de la droite fut en échec et, contre toute attente, Fillon, l’incarnation de la droite conservatrice “la plus bête du monde”, l’emportait à la faveur d’une autre forme de “révolte électorale” en jouant lui-aussi la carte de l’homme honni des médias. Dès le départ, le nouveau candidat a très mal géré sa victoire, évinçant les sarkozystes de la tête du parti, ne transigeant en rien sur la virulence de son programme que son propre camp qualifie de “radical” et affichant une sympathie déconcertante envers Poutine, en contradiction flagrante avec les orientations impérialistes de l’État français. Le risque étant grand de voir Marine Le Pen l’emporter au second tour de la présidentielle face à une personnalité aussi iconoclaste ; le naufrage de sa candidature, suite à la révélation de ses malversations, semble avoir permis à la bourgeoisie de l’écarter de la course à l’Élysée.
La déconfiture de la droite, le retrait de la candidature de François Hollande et la victoire à la primaire du PS de Benoit Hamon, estampillé “frondeur” et “radical”, ont ouvert la voie au candidat “indépendant”, Emmanuel Macron, présenté comme un homme neuf et peu mêlé aux intrigues politiciennes. En quittant le gouvernement socialiste en 2016, Macron a fini par s’imposer, au gré des événements, comme une alternative crédible aux yeux d’une partie des éléments les plus lucides de la bourgeoisie pour endiguer le populisme. Dans ce qui ressemble de plus en plus à une coalition gauche, centre et droite, un peu comme en Allemagne depuis 2013 avec le cabinet Merkel III, le clan Hollande, une partie significative du centre-droit et même de la droite, tout comme le MEDEF et plusieurs personnalités issues des milieux économiques et intellectuels (Martin Bouygues, Alain Minc, Jacques Attali, etc.) semblent miser tactiquement sur l’ancien banquier d’affaires pour contrer le FN, même si la victoire éventuelle d’un homme sans véritable ancrage dans l’appareil d’État, donc dépendant des sphères aux visions parfois très divergentes qui le soutiennent, ne serait pas sans poser, d’une part, la question de sa capacité à gérer convenablement les affaires de l’État et, d’autre part, celle du risque de voir la dynamique du chacun pour soi s’amplifier davantage.
Sans préjuger du résultat de la prochaine élection, tant la situation semble instable, il apparaît que la bourgeoisie a pleinement conscience que le cirque électoral s’organisant autour de l’alternance des partis traditionnels, la social-démocratie et des conservateurs, est usé et rejeté. Elle cherche donc à s’adapter en tentant de renouveler ses têtes d’affiche avec des personnalités qui prétendent faire de la politique “autrement” et ne pas tremper dans les magouilles d’appareils. Mais cette stratégie, susceptible de fonctionner un certain temps, risque de subir à son tour l’usure rapide du pouvoir et de favoriser les mouvances les plus irrationnelles.
EG, 28 février 2017
1 Voir, notamment “Contribution sur le problème du populisme [2]”, Revue internationale, no 157.
Ces derniers mois ont vu la parution d’études scientifiques alarmistes quant à la destruction accrue de l’environnement, parmi lesquelles celles concernant la menace d’extinctions massives de primates et l’accélération de la fonte des glaces arctiques.
Selon une vaste étude publiée par trente et un primatologues internationaux et portant sur les 504 espèces de primates non-humains recensées sur la planète, “les scientifiques estiment que 60 % des espèces de singes sont en danger d’extinction en raison d’activités humaines, et 75 % des populations accusent déjà un déclin. Quatre espèces de grands singes sur six ne sont plus qu’à un pas de la disparition, selon la dernière mise à jour de l’UICN [Union internationale pour la conservation de la nature], en septembre 2016. [...] En cause, des menaces multiples, dont le poids n’a cessé de s’accroître au fil des années, et qui souvent s’additionnent. Les habitats des singes disparaissent ainsi sous la pression de l’agriculture (qui affecte 76 % des espèces), de l’exploitation forestière (60 %), de l’élevage (31 %), de la construction routière et ferroviaire, des forages pétroliers et gaziers et de l’exploitation minière (de 2 % à 13 %). De plus, la chasse et le braconnage touchent directement 60 % des espèces. A quoi il faut encore ajouter des périls émergents, tels que la pollution et le changement climatique. […] Les primatologues ont, de la même façon, quantifié l’impact des autres activités humaines sur nos parents quadrupèdes. Les chiffres donnent le tournis. L’expansion de l’agriculture industrialisée, de l’exploitation forestière, des mines ou de l’extraction d’hydrocarbures devrait accroître les routes et réseaux de transport de 25 millions de kilomètres d’ici à 2050 dans les zones de forêt tropicale” 1. Si les pressions exercées sur les primates, notamment la déforestation accélérée à l’échelle planétaire, ne cessent pas rapidement, des extinctions massives d’espèces sont ainsi à prévoir d’ici 25 à 50 ans.
Ces mêmes pressions, auxquelles il faut ajouter la dissémination et la prolifération d’espèces invasives, ne se limitent d’ailleurs pas aux seuls singes mais s’exercent aussi sur l’ensemble du monde vivant. “Les populations de vertébrés ont ainsi chuté de 58 % entre 1970 et 2012 […] Si rien ne change, ces populations pourraient avoir diminué en moyenne des deux tiers (67 %) d’ici à 2020, en l’espace d’un demi-siècle seulement” 2. Une autre étude prenant en compte 82 954 espèces animales et végétales révèle ainsi que 29 % d’entre elles sont aujourd’hui menacées.
Les déforestations massives menaçant directement les primates portent aussi une grande part de responsabilité dans le phénomène actuel de réchauffement climatique, s’ajoutant aux effets de la consommation massive d’énergie fossile productrice de gaz à effet de serre. L’exploitation effrénée des hydrocarbures par les entreprises et les États au mépris de l’environnement, de la santé et de la vie humaine est édifiante de la logique capitaliste de profit et des choix industriels des États défendant dans une concurrence exacerbée leurs intérêts nationaux par tous les moyens. Un seul exemple parmi tant d’autres : la politique du “tout diesel” de l’État français qui s’est intensifiée depuis les années 1980 pour favoriser les constructeurs nationaux. Deux voitures sur trois roulent au gazole (62 % en 2013 contre 7 % en 1979) alors qu’il est avéré que les cancers et les maladies respiratoires provoqués par cette pollution aux particules fines sont directement responsables de 386 000 décès prématurés par an dans le pays.
Alors que 2016 a enregistré le troisième record annuel consécutif de chaleur de l’histoire récente de la Terre, la fonte des glaces de la planète s’accélère, notamment aux pôles. En Arctique, à la fin de l’été 2016, la surface mesurée de la banquise était inférieure de plus de moitié à celle mesurée dans les années 1950 ; l’automne suivant, la température de l’air y a atteint – 5 °C, soit 20 °C au-dessus de la température habituellement relevée en cette saison. “Ces hausses de températures ont aussi pour conséquence de faire fondre la calotte glaciaire, c’est-à-dire la couche de glace accumulée sur de la terre. Et de faire monter le niveau des océans. Ces bouleversements thermiques affectent aussi la circulation de l’eau dans l’océan Atlantique et, par conduction, dans les océans Pacifique et Indien. Selon un rapport publié fin novembre par l’Institut de l’environnement de Stockholm sur la résilience dans l’Arctique, ce changement de régime modifierait les températures océaniques à l’échelle mondiale et le climat d’une manière considérable et brutale”” 3.
Outre la calotte glaciaire, en Sibérie, c’est la fonte du pergélisol qui s’avère lourde de menaces. Libérées par le dégel, des bactéries mortelles d’anthrax ont engendré durant l’été 2016 une épidémie pour la première fois depuis 75 ans dans cette région, entraînant la mort d’un enfant de 12 ans et l’infection de 23 autres personnes, et nécessitant le déploiement sur place de l’armée russe afin de circonscrire l’épidémie. La menace, loin de se limiter à l’anthrax, pourrait prendre la forme d’un resurgissement de maladies aujourd’hui disparues comme la variole, ou de l’apparition de nouvelles maladies encore inconnues dues au réveil et à la dissémination de virus géants découverts ces dernières années dans des dépouilles congelées de mammouths.
Ajoutons à ce tableau déjà bien sombre que le réchauffement de l’Arctique amplifie le relargage par les mers et les sols de cette région d’un puissant gaz à effet de serre, le méthane, qui à son tour accélère le processus de réchauffement climatique…
La destruction de l’environnement à l’échelle mondiale a certes pour origine l’action de l’être humain sur la nature. Partant de ce constat, chaque nouvelle étude sur le sujet est immanquablement suivie d’appels à notre prise de conscience et de responsabilité afin que cessent ces graves atteintes aux écosystèmes mondiaux, sous-entendant par-là que tout ceci ne serait que la conséquence de la “folie des hommes”.
L’inconvénient de cette vision des choses est qu’elle élude complètement l’origine commune à tous les facteurs actifs dans la destruction de l’environnement : la recherche effrénée de profit caractéristique du mode de production capitaliste. Outre le fait que pour le capitalisme les ressources naturelles représentent un “don gratuit”, “Le capital abhorre l’absence de profit ou un profit minime, comme la nature a horreur du vide. Que le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10 % d’assurés, et on peut l’employer partout ; 20 %, il s’échauffe ; 50 %, il est d’une témérité folle ; à 100 %, il foule aux pieds toutes les lois humaines ; 300 %, et il n’est pas de crime qu’il n’ose commettre, même au risque de la potence” 4. La soi-disant “folie des hommes” se révèle n’être que la folie du capital et sa soif insatiable de profit maximal. A cette logique implacable à laquelle sont soumis tous les États s’ajoute le cynisme des gouvernements relayé par tous les médias de la bourgeoisie qui cherchent à nous culpabiliser en posant ces problématiques sous l’angle des comportements ou des initiatives individuelles, appelant systématiquement à la “bonne volonté de chacun” pour empêcher la prise de conscience nécessaire de la nature destructrice du système capitaliste.
D’ailleurs, très tôt dans son histoire, le capitalisme a eu un impact majeur sur l’environnement planétaire. Dès le xvie siècle, suivant la découverte de l’Amérique et mû par la “soif sacrilège de l’or”, le capitalisme originaire d’Europe entame sa conquête du globe ; c’est de cette période que date le premier bouleversement d’origine humaine de l’environnement naturel à l’échelle mondiale, concomitant au génocide amérindien. “L’arrivée des Européens dans les Caraïbes en 1492 et la conquête des Amériques a mené au plus grand bouleversement de populations depuis les 13 000 dernières années et au premier réseau commercial global reliant l’Europe, l’Afrique, la Chine et les Amériques, provoquant le mélange de biotopes auparavant séparés [...] Le nouveau monde exporte le maïs, les pommes de terre, le cacao et l’ancien envoie le blé et la canne à sucre. Le cheval, la vache, la chèvre et le cochon débarquent aux Amériques. C’est une réorganisation radicale de la vie sur terre. […] Surtout, les Européens amènent avec eux des microbes inconnus dans le nouveau monde. Résultat : les Américains passent de 54 millions en 1492 à 6 millions en 1650 ! Faute de bras, 65 millions d’hectares de terres agricoles sont abandonnées à la forêt et aux landes. Toute cette végétation stocke le CO2 atmosphérique, réduisant le phénomène d’effet de serre et provoquant un petit âge glaciaire” 5.
Une étape qualitative dans la capacité de nuisance environnementale du capitalisme est atteinte avec la révolution industrielle au xixe siècle, qui marque l’apogée de ce mode de production. Car “en faisant connaître un bond prodigieux aux forces productives, le capitalisme a également provoqué un bond de même échelle aux nuisances qui en résultent et qui affectent maintenant l’ensemble du globe terrestre, le capital ayant conquis ce dernier dans sa totalité. Mais là n’est pas l’explication la plus fondamentale puisque le développement des forces productives n’est pas en soi nécessairement significatif de l’absence de maîtrise de celles-ci. Ce qui, en effet, est essentiellement en cause, c’est la manière dont ces forces productives sont utilisées et gérées par la société. Or justement, le capitalisme se présente comme l’aboutissement d’un processus historique qui consacre le règne de la marchandise, un système de production universelle de marchandises où tout est à vendre. Si la société est plongée dans le chaos par la domination des rapports marchands, qui n’implique pas seulement le strict phénomène de la pollution mais également l’appauvrissement accéléré des ressources de la planète, la vulnérabilité croissante aux calamités dites “naturelles”, etc., c’est pour un ensemble de raisons qui peuvent être résumées de la sorte :
– la division du travail et, plus encore, la production sous le règne de l’argent et du capital divisent l’humanité en une infinité d’unités en concurrence ;
– la finalité n’est pas la production de valeurs d’usage, mais, à travers celles-ci, la production de valeurs d’échange qu’il faut vendre à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences pour l’humanité et la planète, de manière à pouvoir faire du profit” 6.
Avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence au xxe siècle, la perspective d’une destruction irréversible de l’environnement mondial, pouvant à terme rendre la planète hostile à la vie humaine, est désormais envisageable. Jour après jour, les subtils équilibres écologiques de la planète, produits de plus de 3,5 milliards d’années d’évolution, sont un peu plus attaqués par la folie destructrice du capital. Ainsi, selon l’étude publiée par une équipe de 22 chercheurs dans la revue scientifique Nature du 7 juin 2012, “nous approchons à grands pas d’un effondrement imminent et irréversible des écosystèmes, dont les civilisations humaines dépendent. S’ils s’effondrent, notre destin est plus qu’incertain. Parmi les chercheurs, certains avouent être “terrifiés” par leurs conclusions” 7. Autrement dit, le sort que le capitalisme réserve à nos plus proches parents biologiques que sont les singes pourrait n’être que le prodrome de ce qu’il réserverait à l’humanité s’il n’était pas renversé.
Car le seul moyen d’empêcher le capitalisme de continuer à détruire l’environnement planétaire consiste précisément en son renversement révolutionnaire à l’échelle mondiale par l’unique force sociale en mesure de le faire de par sa place dans la société, le prolétariat, et son remplacement par une société mue non par la soif insatiable de profit mais par la satisfaction des besoins humains, dans le respect de la nature et de la vie : le communisme.
DM, 25 février 2017
1 “Les singes pourraient disparaître d’ici vingt-cinq ans à cinquante ans [5]”, Le Monde, 18 janvier 2017.
2 “Plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans [6]”, Le Monde, 27 octobre 2016.
3 “Climat : ainsi fond, fond, fond l’Arctique [7]”, Libération, 9 janvier 2017.
4 T. J. Dunning, cité par Karl Marx dans Le Capital, livre Premier, huitième section, chapitre XXXI : “Genèse du capitaliste industriel”.
5 “Le début de l’Anthropocène remonte à la découverte de l’Amérique [8]”, Science et Avenir, 18 mars 2015.
6 Citation tirée de notre série d’articles “Le monde à la veille d’une catastrophe environnementale”, (I) [9] et (II) [10], Revue internationale nos 135 et 139.
7 “La Terre voit venir le changement d’ère [11]”, Libération, 9 août 2012.
L’image a fait le “buzz” quelques jours sur internet. Alors qu’il s’imagine en terrain conquis en allant – en lever de rideau de son meeting du 26 janvier au soir – à la rencontre de cheminots manifestant à Périgueux contre la suppression de leurs emplois, Jean-Luc Mélenchon se fait interpeller plusieurs fois par des ouvriers refusant la récupération politique de leur mouvement. La dernière invective, évoquant l’absence de respect pour les ouvriers de tous les responsables politiques, de droite comme de gauche, fait sortir le leader de l’autoproclamée “France insoumise” de ses rails : “J’use ma vie à vous défendre ! J’use ma vie !”, faisant de lui… l’autoproclamé défenseur de la classe ouvrière.
Ne nous emballons pas : en fait, le parcours et les positions de Mélenchon font totalement pencher la balance vers une véritable défense du capital national et de sa bourgeoisie.
Né à Tanger d’un père receveur des PTT et d’une mère institutrice, il s’installe en France à 11 ans, dans le Jura. A 17 ans, il est l’un des meneurs du mouvement de son lycée en mai 68 et navigue dans les eaux trotskistes (lambertistes) pendant ses années d’études de philosophie et les débuts de sa carrière d’enseignant et de journaliste.
Puis, comme beaucoup de ses camarades de l’époque, il ne tarde pas à prendre ses distances avec le lambertisme et ne cherche pas à résister aux sirènes d’un Parti socialiste qui, depuis que François Mitterrand en a pris les rênes, rassemble de plus en plus de mouvements et militants de gauche attirés par la perspective de l’exercice des responsabilités démocratiques.
Fini l’espoir du “Grand soir”, place maintenant à l’ambition du pouvoir. A tout juste 25 ans, Mélenchon adhère au PS qu’il ne quittera que 32 ans plus tard, en 2008. Il est élu conseiller général de l’Essonne en 1985 (dont il devient président délégué en 1998), sénateur en 1986 et en 2004, il est nommé ministre délégué en 2000 et pendant deux ans dans le gouvernement de Jospin, avant de devenir député européen en 2009. Une belle carrière politique qui rend difficile de légitimer une proximité avec le monde ouvrier quand on a posé ses fesses aussi longtemps sur le velours des hémicycles et des institutions de la bourgeoisie.
Mais le passé est le passé, nous dira-t-on. Aujourd’hui, Mélenchon n’est plus qu’un “simple” député européen et son projet politique est libéré des contraintes d’un grand parti. En 2008 en effet, Mélenchon claque la porte du parti à la rose et fonde son propre mouvement, le Parti de gauche, avec l’ambition assumée de “rassembler la gauche” et qui lui permet d’obtenir un mandat au parlement européen. En guise de rassemblement, il parviendra à attirer derrière son panache une partie majoritaire d’un PCF touchant le fond des sondages et des résultats électoraux. Du Parti de gauche à la France insoumise en passant par le Front de gauche, Mélenchon a peaufiné son image et lustré son discours. Et pour bien marquer la nouveauté de ses idées, il emprunte à d’autres “troisièmes hommes” le fameux concept de “sixième République”. Jusqu’à rajouter, il y a peu, le “dégagisme” à la française, un néologisme assez mal défini et censé traduire une radicalité massive et populaire (mais surtout démagogique) dont il se proclame lui-même le leader.
Nouvelles ses idées ? Pas vraiment. En fait, il s’agit d’un amas plutôt hétéroclite résultant d’une collecte d’à-peu-près toutes les idées des “anti” et des “sans” de par le monde et qui au final ne forment qu’une resucée de vieux projets politiques qui ont à un moment ou un autre trouvé une place dans un programme politique étiqueté “de gauche” ou “radical” depuis les années 1970. Mais que pouvait-on attendre d’un pur produit de la bourgeoisie, rompu aux méthodes des partis bourgeois et dont le rêve absolu consiste en… une nouvelle constitution ?
On ne pourrait pas commencer le catalogue de ses promesses par autre chose que la refondation du partage des richesses. Vieille revendication de gauche s’il en est. Mais peut-être que notre grand leader populaire voit les choses de façon beaucoup plus radicale : expropriation des capitalistes ? Répartition des richesses à chacun selon ses besoins ? En fait, Mélenchon propose simplement une réforme fiscale et une revalorisation du SMIC. Avec de telles propositions, Mélenchon ne bouleverse pas l’ordre des choses mais, et c’est le plus important pour lui, il s’assure le soutien de la vieille garde gauchiste et stalinienne qui depuis des décennies et à chaque échéance électorale promet de “faire payer les riches”.
Autre mesure centrale dans son programme, l’indépendance économique et politique de la France. Car ne nous y trompons pas, l’internationalisme autoproclamé de Mélenchon n’est que grossier mensonge ! La défense des travailleurs oui, mais des travailleurs français ! La révolution oui, mais la révolution française ! En 2015, il n’hésitait pas à déclarer sur France 3 que “le drapeau tricolore et la Marseillaise sont des symboles révolutionnaires” et confiait en octobre 2016 à un journaliste de RTL qu’il envisageait de ne plus chanter l’Internationale à la fin de ses meetings. Finalement il chante les deux…
Ce qui peut sembler symbolique est au contraire la manifestation de son profond attachement à la nation bourgeoise, qu’il vénère comme tout bourgeois qui se respecte. Son discours sur le contrôle de l’immigration, “le travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place” 1, son ironique rejet de “ceux pour qui il est normal que tout le monde puisse s’établir où il veut, quand il veut. Comme si passeports, visas et frontières n’existaient pas” 2 démontre s’il en était besoin que le projet politique de Mélenchon n’est certainement pas en opposition avec les règles du système, en particulier le caractère central de la nation capitaliste qui encadre l’exploitation de la force de travail.
De même, dans une vision très gaullienne, Mélenchon promet de revoir tous les traités européens et tous les traités de libre-échange pour mieux défendre l’intérêt de la France.
Mélenchon promet aussi plus de “démocratie participative” : une assemblée constituante qui pourrait être en partie formée de “citoyens” tirés au sort, des élus révocables en cours de mandat et un recours au référendum plus fréquent. Des propositions communes à tous les candidats “anti-système” qui draguent ouvertement les nombreux déçus des partis traditionnels. Il ratisse ainsi le plus largement possible en donnant le change à tous les “sans” et les “anti”. Mais pas une seule de ses mesures ne remet en cause l’essentiel : l’exploitation capitaliste. Le vieil argument déjà utilisé par les staliniens et les trotskistes depuis la nuit des temps, selon lequel imposer une répartition plus juste des richesses est en soi une remise en cause du capitalisme, ne tient pas. Le système capitaliste ne peut pas être remis en cause si ce qui le fonde ne l’est pas, c’est-à-dire si le salariat, le profit, la nation et l’État sont non seulement maintenus mais confortés à travers des mesures qui visent à en faire les piliers de la société : revalorisation des salaires pour dynamiser la consommation, imposition plus progressive, démocratie participative et “préférence nationale”.
Le discours peut-être contestataire, conspuant les élites et les “ultra-riches”, il ne peut cacher la réalité : Mélenchon est un pur produit du système capitaliste qu’il prétend rejeter et son radicalisme n’est que le résultat d’une stratégie globale de la bourgeoisie pour faire en sorte que le terrain politique soit le plus possible occupé. En gesticulant sur la gauche du PS, Mélenchon flatte son ego de “leader” en pensant à ses maîtres (Castro, Chavez 3... d’emblématiques apôtres du nationalisme !) et cherche à ramasser derrière des propositions rebattues et inoffensives le maximum de ceux qui tentent de s’interroger sur la perspective que le capitalisme nous propose. Ce n’est pas en comptant sur le genre de propositions avancées par Mélenchon, pas plus que celles de n’importe quel autre candidat, que le prolétariat pourra faire triompher sa propre perspective.
GD, 1er février 2017
1 Déclaration en juillet 2016 au Parlement européen.
2 Le choix de l’insoumission, livre d’entretiens avec Marc Endeweld, journaliste à Marianne, éditions du Seuil, 2016.
3 Voir dans RI no 461 notre article : “Mélenchon, un apôtre du modèle stalinien [13]”.
Toute une campagne médiatique s’est déployée il y a peu de temps autour de la scandaleuse affaire Théo, ce jeune homme interpellé violemment par la police le 2 février à Aulnay-sous-Bois, et sodomisé avec la matraque d’un des policiers. A en croire l’IGPN en charge de l’enquête interne de la police : il s’agissait d’un “accident”, un coup de matraque “malencontreux”… mais en aucun cas d’un viol ! Bref, la faute à “pas de chance”. Une telle hypocrisie ne vient que rajouter à l’ignominie de l’agression elle-même.
Au vu des témoignages, ce jeune homme se serait opposé au contrôle musclé d’un groupe de jeunes par des policiers qui se seraient alors retournés contre lui. Nous savons combien les contrôles et interpellations policières ne se font jamais dans la dentelle : mépris, insultes racistes et humiliations en tout genre sont souvent au rendez-vous. Mais une telle violence dans une simple interpellation témoigne de la banalisation des répressions musclées.
Cette agression a logiquement abouti à une indignation légitime qui a pris la forme de messages de soutien, de témoignages, de rassemblements, mais aussi de confrontations violentes avec les flics. Tout ceci, la classe politique ne pouvait l’ignorer : du président Hollande se rendant au chevet de Théo à la secrétaire d’État à l’Aide aux victimes traitant ces policiers de “délinquants”, en passant par le maire de Nice, Christian Estrosi, parlant de “flics voyous” : tous s’y sont mis pour condamner cette “bavure”.
Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Derrière leur prétendue “solidarité” envers Théo, l’objectif était avant tout de désamorcer les explosions émeutières et les flambées de colère (sur lesquelles a pesé d’ailleurs un certain black-out) pouvant à leur tour entraîner d’autres dérapages. Il s’agissait de préserver l’image de l’État et d’une institution policière mise à mal et de préserver le “bon déroulement” de la campagne électorale déjà largement éclaboussée par d’autres scandales. Mélenchon, soi-disant plus radical que les autres, y allait de son couplet pour défendre l’image des institutions bourgeoise en déclarant que “L’affaire Théo est le scandale de trop : la police doit être républicaine” (sic).
En revanche, l’indignation chez les jeunes lycéens, mobilisés dans la rue et les lycées contre les violences policières au quotidien, est un sincère cri de colère qui n’a aujourd’hui, hélas, pas les moyens d’éviter l’impasse que représente la confrontation directe avec les flics. Ces jeunes dénoncent pourtant, à travers leur mobilisation, les discours officiels selon lesquels il n’y aurait que de simples “brebis galeuses” au sein d’une police essentiellement “au service de la démocratie et du peuple”, nous “protégeant du terrorisme et des attentats”, au point de nous inciter à les applaudir lors des “manifs citoyennes” après les attentats contre Charlie Hebdo !
Mais les faits sont têtus : il ne fait pas bon d’être noir ou d’origine maghrébine et habitant un quartier populaire. Une récente enquête publique confirme d’ailleurs que les contrôles d’identité sont effectivement très ciblés : les jeunes de 18 à 25 ans sont contrôlés sept fois plus que les autres personnes, 80 % des jeunes hommes “perçus comme Noirs ou Arabes” disent avoir été contrôlés ces cinq dernières années, huit sur dix ont été fouillés, sans parler du tutoiement très fréquent, des insultes ou brutalités en tout genre. En clair, le viol de Théo n’est que l’expression spectaculaire et brutale des stigmatisations et de la répression policière permanente. Cette violence policière est en réalité celle de l’État. Un État qui impose son ordre derrière le masque hypocrite de la démocratie et de la république par la force au quotidien, n’en déplaise à Mélenchon qui clame qu’“une autre police est possible”, en tout cas “une autre république”, faute d’un autre monde. Lénine disait déjà contre ce type de discours que “l’État, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe”. Et c’est encore et toujours le cas aujourd’hui.
La récupération de ce mouvement de colère a commencé tout de suite : d’abord en jetant le doute sur la moralité de Théo et sa famille, sur la véracité des faits, en stigmatisant bien sûr les “casseurs” de tous poils qui ne cherchent qu’à se “payer du flic” lors de chaque manif. Ensuite, pour relancer la campagne électorale elle-même, sur le terrain de la sécurité et du retour à une “police de proximité” qui permettrait de “renouer du lien avec les jeunes”. Comme si chez les jeunes, l’enjeu était une simple question de “communication” en lieu et place d’une véritable perspective de vie, professionnelle et sociale, que le capitalisme ne peut leur offrir.
La “police de proximité” n’est qu’un cache-sexe de circonstance que Sarkozy a d’ailleurs jeté aux orties, il y a quelques années, en déclarant aux flics en 2003 : “la police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n’êtes pas des travailleurs sociaux.” Le programme est donc respecté à la lettre, y compris par la gauche au pouvoir. Et cette gauche, si prompte pourtant à s’indigner aujourd’hui, a toujours été capable, dès les années 1980, de “s’adapter” dans la rue en réactivant, par exemple, ses fameuses brigades de police motorisées, dites “voltigeurs”, à l’origine de la mort de Malik Oussekine lors des manifestations étudiantes de 1986 et réapparues dernièrement en 2016 lors des manifestations contre la loi El Khomri.
Comme quoi, il n’y a aucune illusion à se faire sur la bourgeoisie et sa violence institutionnalisée, il y a d’un côté ses beaux discours, la main sur le cœur, et de l’autre, ses actes qui prouvent le contraire. Nous n’avons rien à attendre d’autre de l’État que la terreur, la répression, l’ordre des exploiteurs au quotidien.
Stopio, 2 mars 2017
Élection après élection, gouvernement après gouvernement, depuis des décennies, aux belles promesses d’un avenir meilleur succède une situation sociale toujours plus rude. Et pourtant, les 23 avril et 7 mai prochains, environ 35 millions de Français vont se rendre une nouvelle fois aux urnes pour élire le futur Président de la République. Pourquoi ? Une large partie de ces “citoyens” vont, sans grand enthousiasme, essayer “d’éviter le pire” et de “défendre les acquis démocratiques”, en éprouvant alors la sensation d’avoir accompli leur devoir.
L’extrême-gauche et la gauche se différencient de la droite et de l’extrême-droite tout particulièrement par l’humanisme de leur discours. La solidarité, l’accueil et le partage sont autant de valeurs qui leur sont attribuées. Cette image est d’autant plus tenace qu’est ancré dans les mémoires le passé glorieux de ses partis et militants. La figure de Jean Jaurès, par exemple, entraîne aujourd’hui encore un véritable élan de sympathie. Ainsi, malgré l’expérience de la gauche au pouvoir qui partout dans le monde depuis des décennies rime avec austérité 1, par millions, des ouvriers (salariés, chômeurs, retraités, étudiants précaires) vont régulièrement voter, sans véritable enthousiasme, sans croire à l’embellie, simplement pour éviter le pire, la droite arrogante, sexiste et souvent raciste, et l’extrême droite haineuse. Ce fut ainsi le “Tout sauf Sarkozy !” qui, en tout premier lieu, donna la victoire au socialiste François Hollande en 2007. Seulement, cette illusion d’éviter ainsi le pire ne tient pas face à la véracité des faits historiques. En voici quelques-uns parmi une liste interminable. “Je pense qu’il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là. (…) On les fait parler français, et puis arrive un autre groupe, et il faut tout recommencer. Ça ne s’arrête jamais (…). Donc, il faut à un moment que ça s’arrête.” Le Pen ? Non… Hollande ! 2. Et de joindre le geste à la parole : expulsions, reconduites et blocages à la frontière records, démantèlement de la jungle de Calais et de multiples camps de Roms, traques d’enfants jusque dans les écoles (dont l’affaire Léonarda)3... Autre exemple : sous Hollande, les expulsions locatives ont bondi de plus de 35 % ! Et contrairement à ceux qui prétendent que Hollande a trahi la gauche, sa politique s’inscrit au contraire en parfaite continuité avec l’œuvre de ses prédécesseurs. Les lois de 1998 et 2000 de la socialiste Aubry sur les 35 heures étaient un masque pour généraliser la flexibilité du travail. C’est le socialiste Rocard qui a publié en 1991 le “livre blanc” sur les retraites, véritable bible de tous les gouvernements de droite comme de gauche depuis lors pour justifier la perpétuelle dégradation du niveau des pensions. C’est le même gouvernement qui a institué la Contribution Sociale Généralisée au nom de la “solidarité nationale”. C’est un ministre “communiste” qui a introduit en 1983 le paiement obligatoire d’un forfait hospitalier. La gauche plus sociale et humaine ? Souvenons-nous que c’est Mitterrand qui affichait le pire des cynismes dans sa défense des intérêts de l’impérialisme français en Afrique quand il déclarait, après avoir poussé au déclenchement des massacres au Rwanda en 1994 : “Les génocides dans ces coins-là, ça n’a pas tellement d’importance.” Là encore, Hollande a marché dans les pas (de bottes) de ses illustres prédécesseurs en armant l’Arabie saoudite qui, ces derniers mois, assassine, décapite et lapide la population au Yémen. Et que dire face aux 20 millions de personnes menacées actuellement de mourir de faim en Afrique de l’Est principalement à cause des guerres sordides auxquelles les États-Unis d’Obama et la France de Hollande ont grandement participé ? Décidément non, la gauche n’est pas un “moindre mal”. Ses discours prétendument humanistes ne servent qu’à ensevelir sous un tombereau de mensonges et d’hypocrisie la même barbarie capitaliste que celle de la droite.
Si, de l’extrême-droite à l’extrême- gauche, les différents gouvernements à travers la planète et depuis un siècle ont démontré maintes et maintes fois l’inhumanité de leur politique, demeure une idée chevillée au corps et à l’esprit de chaque “citoyen” : voter c’est défendre et faire vivre la démocratie. Your voice, your vote. Ta voix, ton vote. Ce message est omniprésent. Mais qu’en est-il de la réalité du pouvoir de ce petit bout de papier nommé bulletin de vote ?
La démocratie est une mystification car elle présuppose une humanité unifiée, telle qu’elle n’a jamais existé, que ce soit au cours des dernières 5000 années de société de classes ou durant la société primitive, divisée en tribus et en clans. La cohésion sociale, tout au long de l’Histoire, a été assurée par le pouvoir de la classe dominante et de sa machine d’État, au détriment de la masse impuissante des exploités et des opprimés. Dans une de ses premières expressions, le pouvoir d’État a pris la forme sophistiquée de la démocratie, comme dans la Grèce antique, d’où le mot est originaire. La Cité-État athénienne a pu adopter cette forme de gouvernement grâce à l’accroissement de la richesse apportée par un afflux d’esclaves, en lien avec le pillage impérialiste des pays voisins. Le demos, c’est-à-dire le peuple, de la démocratie grecque, ce n’était pas l’ensemble de la population, mais uniquement les citoyens habitant la polis. La masse des esclaves, qui représentait la majorité de la société, ainsi que les femmes et les étrangers, n’avaient pas droit à la citoyenneté. La démocratie, dans la Grèce antique, c’était l’arme de l’État au bénéfice des propriétaires d’esclaves. La démocratie bourgeoise, par essence, n’en est pas tellement différente. Les régimes parlementaires bourgeois du xixe siècle, excluent ouvertement du droit de vote la classe ouvrière par le régime censitaire (il faut être propriétaire pour pouvoir voter). Et quand le suffrage universel est octroyé à l’ensemble de la société, il reste encore à la bourgeoisie de nombreux moyens pour exclure la classe ouvrière de ses affaires politiques : les nombreux liens qui unissent les partis politiques à la bourgeoisie et à l’État, le système de suffrage direct, qui atomise les classes en des individus isolés et prétendument égaux, le contrôle des médias, et donc des campagnes électorales, par l’État, etc. C’est la raison pour laquelle aucune élection organisée par un État démocratique ne donna jamais une majorité aux Partis des classes exploitées. Bien au contraire ! Pendant la Commune de Paris, par exemple, l’Assemblée nationale élue en 1871 fut surnommée : “la Chambre introuvable”, en référence à la Chambre royaliste de 1815, tant la bourgeoisie n’aurait pu rêver meilleur résultat pour ses intérêts, alors même que Paris et une partie de la France étaient emportées par le torrent révolutionnaire.
La démocratie, quelle que soit la période historique où elle a surgi, a toujours été une méthode de gouvernement assurant la domination violente de la minorité sur la majorité, et non l’inverse, comme son nom le laisse croire. Elle n’a jamais été, et ne pourra jamais être un moyen d’autorégulation et de contrôle par l’ensemble de la société. La démocratie est l’organisation politique la plus sophistiquée d’une classe pour dominer la société :
• Elle permet de façon plus efficace et durable, de résoudre les différends au sein de la classe dominante et d’atténuer les luttes pour le pouvoir.
• Elle donne aux masses exploitées la meilleure illusion que les exploiteurs et l’État dirigent dans l’intérêt de l’ensemble de la population.
• Elle donne aussi aux exploités l’illusion qu’ils peuvent, au moins théoriquement, réaliser leurs intérêts au moyen de l’État tel qu’il existe, sans avoir besoin de le renverser.
• Enfin, pour ce qui concerne le futur, face à la menace que représente le prolétariat révolutionnaire, la démocratie répond au besoin de la bourgeoisie de proposer un avenir mythique et idéal qui ne nécessite pas le renversement de l’ordre établi concrètement. Si la “vraie” démocratie n’a jamais existé nulle part, ce serait, dit la bourgeoisie, parce que l’Homme, cette conception philosophique abstraite, hors du temps et de l’Histoire, n’a pas suffisamment essayé de la mettre en œuvre.
Ce n’est donc pas un hasard si les grandes démocraties sont les plus anciens pays capitalistes, là où la bourgeoisie comme le prolétariat ont tous deux une longue expérience de luttes. Plus la classe ouvrière est forte, plus sa conscience et son organisation sont développées, plus la bourgeoisie a besoin de son arme politique la plus efficace. Si l’arrivée de Hitler au pouvoir fut possible, démocratiquement d’ailleurs et soutenu par tous les grands industriels d’Allemagne, lors des élections de 1933, c’est justement que la classe ouvrière avait été préalablement écrasée physiquement et idéologiquement par la social-démocratie allemande pendant la vague révolutionnaire de 1918-1919. Ce n’est pas le délaissement des urnes par les “citoyens” qui a engendré l’arrivée du nazisme au pouvoir mais la défaite dans le sang de la classe ouvrière, vaincue militairement et politiquement par la très démocratique social-démocratie !
La bourgeoisie fait croire que sa bataille la plus importante et la plus longue sera toujours celle de “la démocratie contre la dictature”. Ainsi, la principale justification de l’impérialisme des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale contre le fascisme, c’est la lutte de la démocratie contre la dictature. Des millions d’êtres humains sont massacrés au nom de la démocratie. Après 1945, la démocratie est le principal thème mobilisateur de la Guerre froide menée contre le bloc impérialiste stalinien par le bloc dirigé par les États-Unis. Des pays entiers ont été ravagés au nom de la lutte contre l’expansion du totalitarisme. Après 1989, l’effondrement du bloc de l’URSS marque le début de toute une série d’aventures militaires colossales menées par les États-Unis pour maintenir leur hégémonie mondiale, sous la bannière de la démocratie et des droits de l’Homme, contre les dictateurs fous (guerre du Golfe, intervention en Yougoslavie) ou contre les terroristes démoniaques (guerre en Afghanistan). Ainsi, durant les conflits impérialistes qui ont ravagé la planète depuis plus d’un siècle, la force des “démocraties libérales” a constamment été de faire croire aux prolétaires qui servaient de chair à canon, qu’en se battant pour la démocratie, ce n’était pas les intérêts d’une fraction capitaliste qu’ils défendaient, mais un idéal de liberté face à la barbarie de systèmes dictatoriaux. Et c’est sans honte, avec le cynisme qui les caractérise, que ces mêmes démocraties ne se sont jamais gênées pour soutenir, utiliser ou même mettre en place telle ou telle dictature lorsque cela correspond à leurs besoins stratégiques. Les exemples ne manquent pas : ainsi les États-Unis en Amérique latine ou bien la France dans la plupart de ses ex-colonies africaines. Cette bataille éternelle de la démocratie contre la dictature est donc un mythe idéologique. Le capitalisme dans son ensemble, quel que soit son masque et son organisation politique, est une dictature, un système d’une minorité privilégiée exploitant l’écrasante majorité de l’humanité.
Il peut rester encore une raison qui pousse, malgré tout, à aller voter : le suffrage universel a été arraché de haute lutte, à travers des combats souvent sanglants, par la classe ouvrière au XIXe siècle : en Angleterre, avec le mouvement chartiste, en Allemagne entre 1848-49, en Belgique et les immenses grèves de 1893, 1902 et 1913... En France, ce n’est qu’après le bain de sang de la Commune de Paris en 1871 que les travailleurs ont obtenu définitivement le suffrage universel. Cette revendication se trouve même dans Le Manifeste communiste écrit par Marx et Engels en 1848. Mais se pose alors une question : pourquoi cette même bourgeoisie qui, au siècle dernier, réprimait violemment les ouvriers qui demandaient le suffrage universel, fait tant d’efforts aujourd’hui pour que le maximum d’entre eux aillent voter ? Pourquoi ces publicités payées par l’État et martelant : “Votez, votez, votez !” sur toutes les chaînes de télévision, dans la presse et les manuels scolaires ? Pourquoi sur tous les plateaux télés, les “abstentionnistes” sont culpabilisés et désignés comme des citoyens irresponsables mettant en péril la démocratie ? Pourquoi cette différence flagrante entre le xixe siècle et les xxe et xxie siècles ? Pour répondre, il est nécessaire de distinguer deux époques du capitalisme : l’ascendance et la décadence. Au xixe siècle, le capitalisme connaît sa phase d’apogée. La production capitaliste se développe à pas de géant. C’est dans cette période de prospérité que la bourgeoisie assoit sa domination politique sur l’ensemble de la société et élimine le pouvoir de l’ancienne classe régnante : la noblesse. Le suffrage universel et le parlement constituent un des moyens les plus importants de lutte de la fraction radicale de la bourgeoisie contre la noblesse et contre les fractions rétrogrades de celle-là. A ce titre, la démocratie bourgeoise et son idéologie libérale représentent une prodigieuse avancée historique par rapport à l’obscurantisme religieux de la société féodale. La lutte que mène le prolétariat, durant cette période, est directement conditionnée par cette situation du capitalisme. En l’absence de crise mortelle de celui-ci, la révolution socialiste n’est pas à l’ordre du jour. Pour le prolétariat, il est question de renforcer alors son unité et sa conscience en combattant pour des réformes durables, pour tenter d’améliorer ses conditions de vie attaquées en permanence. Les syndicats et les partis parlementaires lui permettant de se regrouper indépendamment des partis bourgeois et démocratiques et de faire pression sur l’ordre existant, au besoin en faisant tactiquement alliance avec des fractions radicales de la bourgeoisie, sont les moyens qu’il se donne pour l’obtention de réformes. Le parlement étant le lieu où les différentes fractions de la bourgeoisie s’unissent ou s’affrontent pour gouverner la société, le prolétariat se doit d’y participer, sous conditions, pour tenter d’infléchir son action dans le sens de la défense de ses intérêts. Avec le xxe siècle, le capitalisme entre dans une nouvelle phase : celle de son déclin historique. Le partage du monde est terminé entre les grandes puissances. Chacune d’entre-elles ne peut s’approprier de nouveaux marchés qu’au détriment des autres. Avec l’agonie du capitalisme s’ouvre, comme dit l’Internationale communiste, “l’ère des guerres et des révolutions”. D’un côté, la Première Guerre mondiale éclate. De l’autre, en Russie (1905 et 1917), en Allemagne (1918-1923), en Hongrie (1919), en Italie (1920), le prolétariat fait trembler le vieux monde par une vague révolutionnaire internationale. Pour faire face à ses difficultés croissantes, le capital est contraint de renforcer constamment le pouvoir de son État. De plus en plus, l’État tend à se rendre maître de l’ensemble de la vie sociale en premier lieu dans le domaine économique. Cette évolution du rôle de l’État s’accompagne d’un affaiblissement du rôle du législatif en faveur de l’exécutif. Plus concrètement, comme le dit le deuxième congrès de l’Internationale communiste : “Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du Parlement”. Aujourd’hui, en France, comme ailleurs, il est patent que l’Assemblée nationale n’a plus aucun pouvoir, c’est tout au plus une chambre d’enregistrement : la grande majorité (80 %) des lois qu’elle vote est présentée par le gouvernement et une fois votée cette loi doit être promulguée par le Président de la République et, pour prendre effet, doit encore attendre que soit signé le décret d’application par ce même Président. Ce dernier peut d’ailleurs se passer carrément du parlement pour légiférer en ayant recours aux ordonnances ou encore, en France, à l’aide de l’article 16 de la constitution qui lui octroie les pleins pouvoirs. Ce rôle insignifiant du Parlement se traduit par une participation ridicule des députés à ses séances : la plupart du temps, ils ne sont pas plus d’une vingtaine à suivre ses débats, alors qu’il était, au xixe siècle, le lieu de luttes âpres et enflammées, et de discours parfois brillants, comme ceux de Jean Jaurès en France ou de Karl Liebknecht en Allemagne.
En même temps que s’amenuise la fonction politique effective du parlement, la fonction mystificatrice grandit et la bourgeoisie ne s’y trompe pas qui, dès 1917 en Russie et 1919 en Allemagne, brandit l’assemblée constituante contre la révolution prolétarienne et ses conseils ouvriers. Désormais, la démocratie parlementaire sera le meilleur moyen dont disposera la bourgeoisie pour domestiquer le prolétariat.
La bourgeoisie exerce le pouvoir non dans son ensemble mais en le déléguant à une fraction minoritaire en son sein, regroupée dans les partis politiques. Cela est valable aussi bien dans les démocraties (concurrence entre plusieurs partis) que dans les régimes totalitaires fascistes ou staliniens (parti unique). Ce pouvoir d’une minorité de spécialistes de la politique n’est pas seulement le reflet de la position minoritaire de la bourgeoisie au sein de la société ; il est également nécessaire pour préserver les intérêts généraux du capital national face aux intérêts divergents et concurrents des différentes fractions de cette bourgeoisie. Ce mode de pouvoir par délégation est donc inhérent à la société bourgeoise et se reflète dans chacune de ses institutions et principalement dans le suffrage universel. Celui-ci est même le moyen privilégié par lequel “la population”, en fait la bourgeoise, “confie” le pouvoir à un ou plusieurs partis politiques. Pour l’action révolutionnaire du prolétariat, ce n’est pas à une délégation minoritaire de la classe que revient le rôle d’agir et de prendre le pouvoir mais à l’ensemble de la classe. C’est là la condition indispensable du succès de tout mouvement prolétarien. Le suffrage universel ne peut donc, de quelque façon que ce soit, servir de cadre pour l’engagement révolutionnaire du prolétariat contre l’ordre existant. Loin de favoriser la mobilisation et l’initiative des plus larges masses, il tend au contraire à maintenir leurs illusions et leur passivité. Mai 68, la plus grande grève depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a débouché un mois après sur la plus grande victoire électorale que la droite ait connue en France. La raison de ce décalage réside dans le fait que l’élection d’un député se trouve dans une sphère totalement différente de celle de la lutte de classe. Cette dernière est une action collective, solidaire, où l’ouvrier est accompagné d’autres ouvriers, où les hésitations des uns sont emportées par la résolution des autres, où les intérêts en cause ne sont pas particuliers mais ceux d’une classe. Par contre, le vote fait appel à une notion totalement abstraite, en dehors de cette réalité d’un rapport de forces permanent entre deux classes sociales aux intérêts diamétralement opposés : le citoyen, qui se retrouve seul dans l’isoloir face à un choix pour quelque chose d’extérieur à sa vie quotidienne. C’est le terrain idéal pour la bourgeoisie, celui où la combativité ouvrière n’a aucune possibilité de se manifester réellement. Ce n’est pas par hasard que celle-là fait tant d’efforts pour faire voter. Les résultats électoraux sont justement le terrain où ne s’exprime pas du tout la combativité des masses ouvrières. Au contraire, en France par exemple, la proposition par certains candidats d’une VIe République et d’une nouvelle Constitution pousse à enfermer le raisonnement de l’individu-citoyen dans le cadre étroit des frontières nationales et de la reproduction des rapports sociaux mortifères de concurrence et d’exploitation capitalistes.
La réponse aux contradictions de ce système et aux souffrances croissantes qu’il engendre ne peut être apportée que par la dimension internationale de la lutte du prolétariat et sa pratique mondiale de la solidarité. Afin de libérer la société des conséquences destructrices de la production capitaliste, le communisme doit abolir les classes et la propriété privée, ce qui entraîne un dépérissement de l’État et de la démocratie : “on oublie constamment que la suppression de l’État est aussi la suppression de la démocratie, que l’extinction de l’État est l’extinction de la démocratie. Une telle assertion paraît, à première vue, des plus étranges et inintelligibles ; peut-être certains craindront-ils que nous souhaitions l’avènement d’un ordre social où ne serait pas observé le principe de la soumission de la minorité à la majorité ; car enfin, la démocratie n’est-elle pas la reconnaissance de ce principe ? Non. La démocratie et la soumission de la minorité à la majorité ne sont pas des choses identiques. La démocratie, c’est un État reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c’est une organisation destinée à assurer l’exercice systématique de la violence par une classe contre une autre, par une partie de la population contre l’autre partie. Nous nous assignons comme but final la suppression de l’État, c’est-à-dire de toute violence organisée et systématique, de toute violence exercée sur les hommes en général. Nous n’attendons pas l’avènement d’un ordre social où le principe de soumission de la minorité à la majorité ne serait pas observé. Mais, aspirant au socialisme, nous sommes convaincus que dans son évolution il aboutira au communisme et que, par suite, disparaîtra toute nécessité de recourir en général à la violence contre les hommes, toute nécessité de la soumission d’un homme à un autre, d’une partie de la population à une autre ; car les hommes s’habitueront à observer les conditions de la vies élémentaire en société, sans violence et sans soumission.” (Lénine, L’État et la Révolution). La démocratie ne signifiera plus rien dans une société communiste qui aura remplacé le gouvernement des gens et la gestion capitaliste par “l’administration des choses”, dans un monde qui, contrairement au capitalisme, s’accommode et profite de la diversité des besoins et des capacités des individus.
Sandrine, 3 mars 2017
1 Sur le passage des partis socialistes dans le camp bourgeois dans les années 1910 et celui des partis communistes dans les années 1930, lire nos brochures disponibles sur notre site internet.
2 Propos tenus aux journalistes Davet et Lhomme, le 23 juillet 2014.
3 La gauche du capital a une longue expérience de traitement inhumain et barbare des immigrés. L’ensemble de la social-démocratie européenne a, par exemple, soutenu les décisions “courageuses” du gouvernement socialiste espagnol de Zapatero qui en 2005 avait donné l’ordre de tirer sur les migrants, d’en abandonner dans le désert au Sud d’Oujda, de lancer des coups de filet massifs dans les villes marocaines, de multiplier les vols charter de rapatriement vers le Mali et le Sénégal avec des hommes et des femmes entassés dans des autobus de la mort vers le désert du Sahara. Et il ne s’agit pas là d’une spécialité de la gauche démocratique européenne. Aux États-Unis, si l’annonce de Trump d’expulser sous sa présidence entre 2,5 et 3 millions d’immigrés clandestins a fait scandale, le très populaire Obama a fait expulser en catimini, entre 2009 et 2015, 2,5 millions de “clandestins” !
Les très importantes manifestations qui ont eu lieu depuis janvier en Roumanie contre une réforme du Code pénal menée par le gouvernement social-démocrate pour alléger les peines encourues dans les cas de corruption, proposer une amnistie totale dans les cas de corruption de moins de 200 000 lei (45 000 €) et amnistier d’anciens élus actuellement détenus, sont sans précédent dans ce pays depuis celles qui ont abouti à la déchéance du régime Ceaucescu en 1989. Cet ensemble de lois était en fait taillé “sur mesure” pour amnistier dans les faits, Liviu Dragnea, le président du parti social-démocrate (PSD) au pouvoir, accusé de malversations et d’emplois fictifs portant sur une somme de 100 000 lei.
Le gouvernement a tenté de faire passer ce texte en force par une ordonnance d’urgence dans la nuit du 31 janvier et une heure plus tard, le texte était publié au Journal officiel ! La réponse a été une indignation qui n’a fait qu’enfler le nombre de manifestants : dimanche 22 janvier, 30 000 personnes au moins défilaient à Bucarest, 20 000 dans les autres grandes villes du pays. Le 2 février, 150 000 personnes manifestaient à Bucarest. Le 5 février, c’est presque un demi-million de Roumains qui se trouvaient dans la rue à travers tout le pays, 250 000 rien qu’à Bucarest. “La Roumanie connaît les plus importantes manifestations de masse de son histoire”, titrait Die Welt, le 6 février. Les manifestants ont bravé un thermomètre indiquant – 10 °C. Beaucoup de jeunes de province sont venus manifester dans la capitale en profitant de la gratuité des transports en commun pour les étudiants récemment votée par le gouvernement ! Dans au moins 20 autres villes du pays, il y a eu des manifestations, ce qui montre l’étendue du mécontentement face aux mesures gouvernementales.
Le mépris du gouvernement et du PSD au pouvoir n’a fait qu’accentuer l’indignation des manifestants, Liviu Dragnea qualifiant à la télévision de “Bullshit” ce qui se passait à Bucarest et le Premier ministre Grindeanu affirmant qu’il n’y avait aucune raison pour que le gouvernement démissionne. La question n’est pourtant pas sans enjeu pour la Roumanie, qui souhaite intégrer l’espace Schengen et ne le peut pas pour l’instant du fait d’un rapport défavorable de l’UE sur la corruption dans le pays.
Cependant, le 2 février, le ministre délégué pour le Milieu des affaires démissionnait. Le 8 février, le principal artisan du décret, le ministre de la Justice Florin Iordache, démissionnait à son tour. Le pouvoir ne pouvait que lâcher du lest pour déminer le mécontentement de la population, ce qui s’est avéré insuffisant : le 5 février, le gouvernement retirait les ordonnances incriminées.
En 1990, dans ses Thèses sur la décomposition, le CCI écrivait : “Mais les manifestations de l’absence totale de perspectives de la société actuelle sont encore plus évidentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi :l’incroyable corruption qui croît et prospère dans l’appareil politique, le déferlement de scandales dans la plupart des pays tels le Japon (où il devient de plus en plus difficile de distinguer l’appareil gouvernemental du milieu des gangsters), l’Espagne (où c’est le bras droit du chef du gouvernement socialiste qui, aujourd’hui, est directement en cause), la Belgique, l’Italie, la France (où les députés décident de s’amnistier eux-mêmes pour leurs turpitudes).” La situation de corruption généralisée et impudente que l’on voit en Roumanie n’a en effet rien d’une exception ! Cette multiplication des phénomènes de corruption est une caractéristique de la période de décomposition que connaît la société capitaliste toute entière, et ce n’est donc pas un phénomène lié aux tares particulières de politiciens particulièrement sans scrupules. La corruption est constitutive de la société capitaliste, et la décomposition de ladite société, en exacerbant “la débandade générale au sein même de l’appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, […] constitue […], en réalité, la caricature […] d’un phénomène beaucoup plus général affectant l’ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition” (Thèses sur la décomposition). La bourgeoisie ayant de plus en plus de mal de fédérer ses propres composantes autour d’un projet politique commun, il est logique que de plus en plus de ses membres ne cherchent qu’à trouver leur intérêt personnel dans les affaires de l’État, et rien d’autre !
Cependant, le phénomène de la décomposition de la société capitaliste ne touche pas que la classe dominante, et les manifestations que nous voyons aujourd’hui en Roumanie et ailleurs nous le montrent clairement. Ces manifestations provoquées par une indignation parfaitement légitime contre la corruption habituelle des politiciens dans un pays où le salaire moyen est d’un peu plus de 300 € mensuels ont été une réaction de colère face à une classe politique pourrie. Il faut cependant constater que ces manifestations ont connu des expressions totalement anti-prolétariennes, religieuses, voire purement nationalistes. Le Président de la république Ihoannis avait rejoint la manifestation du 22 janvier, et les manifestants du 5 février à Bucarest ont chanté l’hymne national, ceux de Timisoara ou de Iasi ont entonné en chœur le “notre Père”. À Ploiesti, 3000 manifestants se sont agenouillés devant le siège du PSD pour implorer le gouvernement de retirer son texte. L’un des principaux slogans des manifestations était : “Dragnea, n’oublie pas : Laura t’attend !”. Laura Codruta Kövesi est la cheffe du parquet national anticorruption (DNA). Que les manifestants mettent leurs espoirs de lutte contre les politiciens corrompus dans une des émanations judiciaires de l’État roumain n’est pas la moindre des contradictions de ce mouvement !
Les revendications des manifestants roumains ne demandaient sur le fond rien de plus que le rétablissement du “dialogue démocratique” ; ainsi que le disait un manifestant, le problème pour lui est que les politiciens “ne veulent pas parler au peuple et établir un dialogue”. En fait, le hiatus entre la vie de politicien corrompu et celle de simple citoyen devient si grotesque qu’il en est devenu insupportable pour une grande partie de la population. Mais pour l’instant la classe ouvrière ne voit pas sa perspective propre, et la bourgeoisie peut facilement la faire adhérer à la revendication de “rétablir la démocratie” pour “rapprocher les élus du peuple”. Ce sont de très classiques revendications populistes, et elles n’ont en tout cas rien de révolutionnaire.
Nous voyons aujourd’hui beaucoup de manifestations très importantes à travers le monde : en Corée du Sud contre la corruption de la présidente Park et de sa “gourou” personnelle, en Angleterre contre le Brexit, aux États-Unis contre la politique de Donald Trump, au Brésil contre les scandales Petrobras et Odebrecht… Ces manifestations ont des points communs très forts avec ce qui se passe en Roumanie, une indignation partagée contre les agissements de certains politiciens corrompus ou partisans de mesures dont les manifestants ne veulent pas entendre parler (comme la rupture nationaliste du Brexit, ou les décrets anti-immigration de Trump), une exaspération face à la situation économique qui se dégrade alors que des politiciens piochent allègrement dans les finances étatiques, une volonté de peser politiquement contre les gouvernants, mais aussi de demander aux politiciens “d’écouter” les citoyens et de se conformer fondamentalement à une certaine morale, notamment en faisant la “transparence” sur leurs actes et leurs finances.
Mais derrière ces expressions confuses d’indignation (tout à fait compréhensibles et respectables par ailleurs), il faut se demander quelle perspective il y a pour le prolétariat. Et là, le pot aux roses se dévoile assez vite : dans un article du 4 février 2017, le journal Le Monde nous le dit très clairement : “[…] ce vol organisé par les dépositaires du pouvoir non seulement soustrait des revenus aux gens honnêtes et à l’économie mais, par son mode de fonctionnement, mine la démocratie et la confiance politique.” Ce genre de revendication est pleinement acceptable, non seulement par les fractions bourgeoises les plus susceptibles d’arriver au pouvoir, mais surtout par les fractions populistes les plus réactionnaires, qui demandent ouvertement que les “corrompus” et les “profiteurs” de l’État “dégagent” ; n’est-ce pas le slogan de Trump qui, pendant sa campagne électorale, promettait de “faire le ménage” à Washington ?
Lorsque le prolétariat se laisse embarquer sur ce terrain, il est totalement impuissant. Or ce que l’on voit pour l’instant dans ces mouvements, partout dans le monde, c’est que le prolétariat se retrouve noyé dans un mouvement pour… combattre les effets les plus visibles de la décomposition sociale, qui touche effectivement la bourgeoisie et est à l’origine du développement du populisme dans certaines de ses fractions. Ce n’est aucunement une perspective émancipatrice pour la classe ouvrière, qui doit combattre son ennemi de toujours : la bourgeoisie en tant que classe exploiteuse et dominante, et les rapports de production capitalistes.
Aujourd’hui, la décomposition qui frappe la bourgeoisie et provoque toujours plus de corruption des élus, une idéologie de “retour en arrière” toujours plus réactionnaire, empêche la classe ouvrière de voir où sont ses intérêts réels. Ce n’est qu’en retrouvant le chemin de la lutte de classe, contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail, que la classe ouvrière retrouvera son identité et son véritable combat.
Sven, 22 février 2017
Au début du xxe siècle, au cours de ses plus grandes luttes, le prolétariat s’est donné une nouvelle forme d’organisation adaptée à sa tâche révolutionnaire : les conseils ouvriers (ou soviets).
Les conseils ouvriers se caractérisent par :
– leur constitution sur la base des assemblées générales ouvrières ;
– l’élection et la révocabilité à tout moment des délégués, l’unité entre la prise de décision et l’application de cette décision (non séparation entre “législatif” et “exécutif” ) ;
– leur regroupement et centralisation non sur des bases professionnelles ou industrielles mais sur des bases territoriales (ce ne sont pas les typographes ou les travailleurs du textile qui se regroupent comme dans les syndicats, mais les travailleurs d’une entreprise, d’un quartier, d’une ville, d’une région, etc.).
Cette forme spécifique d’organisation de la classe ouvrière est directement adaptée aux tâches qui attendent le prolétariat dans la révolution.
En premier lieu, il s’agit d’une organisation générale de la classe, regroupant l’ensemble des travailleurs. Auparavant, toutes les formes d’organisations ayant existé, y compris les syndicats, ne regroupaient qu’une partie de la classe. Si cela était suffisant pour que le prolétariat puisse exercer une pression sur le capitalisme afin de défendre au mieux ses intérêts dans le système, c’est seulement en s’organisant en totalité que la classe est en mesure d’accomplir sa tâche historique de destruction du système capitaliste et d’instauration du communisme. Si l’action et le pouvoir d’une partie de la bourgeoisie (ses partis politiques) était possible et même nécessaire dans l’accomplissement de sa révolution, c’est que cette classe elle-même ne constituait qu’une partie infime de la population, qu’elle était une classe exploiteuse, et que par ailleurs, seule une minorité d’elle-même pouvait se hisser au-dessus des conflits d’intérêts qui l’ont toujours traversée du fait des rivalités économiques existant entre ses divers secteurs. Par contre, tant du fait qu’il n’existe pas d’antagonismes ni de rivalités au sein du prolétariat que du fait que la société qu’il est appelé à instaurer abolit toute exploitation et toute division en classes, que le mouvement qu’il conduit est “celui de l’immense majorité au bénéfice de l’immense majorité” (Le Manifeste communiste), seule son organisation générale est en mesure d’accomplir cette tâche historique.
En deuxième lieu, l’élection et la révocabilité à tout moment des différentes charges, expriment le caractère éminemment dynamique du processus révolutionnaire, le perpétuel bouleversement tant de la société que celui qui traverse la classe elle-même, notamment dans le développement de sa conscience : ceux qui avaient été nommés pour telle ou telle tâche, ou parce que leurs positions correspondaient à tel niveau de conscience de la classe ne sont plus nécessairement à leur place lorsque surgissent de nouvelles tâches ou que ce niveau de conscience a évolué. Elles expriment également le rejet par la classe en action de toute spécialisation définitive, de toute division en son sein entre “masses et chefs”, la fonction essentielle de ces derniers (les éléments les plus avancés de la classe ) étant justement de tout faire pour que disparaissent les conditions qui ont provoqué leur apparition : l’hétérogénéité du niveau de conscience dans la classe. Si dans les syndicats, même quand ils étaient encore des organes de la classe ouvrière, il pouvait exister des fonctionnaires permanents, c’était dû au fait que ces organes de défense des intérêts ouvriers dans la société capitaliste portaient en eux certaines des caractéristiques de cette société. De même qu’il utilisait des instruments spécifiquement bourgeois comme le suffrage universel et le Parlement, le prolétariat reproduisait en son propre sein certains traits de son ennemi bourgeois tant qu’il cohabitait avec lui et que l’heure de sa destruction n’avait pas encore sonné. La forme d’organisation statique des syndicats exprimait le mode de lutte de la classe ouvrière lorsque la révolution n’était pas encore possible. La forme d’organisation dynamique des conseils ouvriers est à l’image de la tâche qui est enfin à l’ordre du jour : la révolution communiste. De même, l’unité entre la prise de décision et son application exprime ce même rejet de la part de la classe révolutionnaire de toute spécialisation institutionnalisée, elle traduit le fait que c’est toute la classe qui non seulement prend les décisions essentielles qui la concernent mais aussi participe à l’action de transformation de la société.
En troisième lieu, l’organisation sur une base territoriale et non plus professionnelle ou industrielle exprime la nature différente des tâches prolétariennes. Lorsqu’il s’agissait de faire pression sur un patron ou sur un syndicat patronal en vue d’une augmentation des salaires ou de meilleures conditions de travail, l’organisation par métier ou par branche industrielle avait un sens. Même une organisation aussi archaïque que celle du métier permettait une réelle efficacité des travailleurs contre l’exploitation ; notamment, elle empêchait les patrons de faire appel à d’autres ouvriers d’une profession lorsque certains étaient en grève. La solidarité entre typographes, cigariers ou doreurs sur bronze était un embryon d’une réelle solidarité de classe, une étape dans l’unification de la classe ouvrière en même temps qu’elle pouvait faire reculer les patrons. Même si pesaient sur elle les distinctions et divisions propres à l’économie capitaliste, l’organisation syndicale était donc un moyen réel de lutte dans le système. Par contre, lorsqu’il s’agira non plus de faire reculer tel ou tel secteur du capitalisme, mais de s’affronter à lui en totalité, de le détruire et d’instaurer une autre société, l’organisation spécifique des typographes ou des ouvriers du caoutchouc ne saurait avoir le moindre sens. Pour prendre en main l’ensemble de la société, c’est sur une base territoriale que s’organise la classe ouvrière même si les assemblées de base se tiennent au niveau des entreprises.
Une telle tendance existe déjà à l’heure actuelle dans les luttes de résistance contre l’exploitation qui, loin de se donner une forme syndicale, rejettent cette forme pour s’organiser en assemblées générales souveraines, nommer des comités de grève élus et révocables, briser le carcan professionnel ou industriel pour s’étendre au niveau territorial.
D’une part, cette tendance exprime le fait que, dans sa période de décadence, le capitalisme prenant une forme de plus en plus étatique, l’ancienne distinction entre luttes politiques (qui étaient l’apanage des partis ouvriers du passé) et luttes économiques (dont les syndicats avaient la responsabilité) a aujourd’hui de moins en moins de sens : toute lutte économique sérieuse devient politique en s’affrontant à l’Etat : soit à ses policiers, soit à ses représentants dans l’usine, les syndicats. D’autre part, elle indique la signification profonde des luttes présentes comme préparatifs des affrontements décisifs de la période révolutionnaire : même si c’est un aiguillon économique (la crise, l’aggravation intolérable de l’exploitation) qui jette les ouvriers dans ces affrontements, les tâches qui se présentent à eux sont éminemment politiques : attaque frontale et armée contre l’Etat bourgeois, instauration de la dictature du prolétariat.
La Révolution russe et ses conseils ouvriers il y a un siècle sont toujours une source d’inspiration pour la société actuelle. Lire, débattre et tirer les leçons de cette gigantesque expérience du prolétariat est une absolue nécessité pour l’avenir.
CCI
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri463.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201609/9440/contribution-probleme-du-populisme-juin-2016
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/7/524/elections-2017
[5] https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2017/01/18/la-disparition-des-singes-de-la-planete-est-imminente_5064940_1652692.html
[6] https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2016/10/27/la-moitie-des-vertebres-a-disparu-en-quarante-ans_5020936_1652692.html
[7] https://www.liberation.fr/planete/2017/01/09/climat-ainsi-fond-fond-fond-l-arctique_1540220
[8] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-debut-de-l-anthropocene-remonte-a-la-decouverte-de-l-amerique_15716
[9] https://fr.internationalism.org/rint135/le_monde_a_la_veille_d_une_catastrophe_environnementale.html
[10] https://fr.internationalism.org/rint139/le_monde_a_la_veille_d_une_catastrophe_environnementale_qui_est_responsable.html
[11] https://www.liberation.fr/terre/2012/08/09/la-terre-voit-venir-le-changement-d-ere_838897
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/ecologie
[13] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201611/9461/melenchon-apotre-du-modele-stalinien
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/507/jean-luc-melenchon
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[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/vague-revolutionnaire-1917-1923
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/dictature-du-proletariat