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Révolution Internationale n°453 - juillet-août 2015

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Propagande bourgeoise ou solidarité prolétarienne?

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“À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante” (Marx et Engels, L’Idéologie allemande).

“Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante” (Marx et Engels, Le Manifeste du Parti communiste).

La peur de l’autre, le sentiment d’isolement, l’individualisme et la haine se répandent aujourd’hui comme un poison dans les veines de la société. Cette déliquescence sociale est l’une des manifestations de l’entrée, depuis la fin des années 1980, du capitalisme dans la phase historique ultime de sa décadence : la décomposition. Ce repli généralisé est probablement la plus grande cause de souffrance humaine : face à la crise économique mondiale et ses conséquences, face à la barbarie guerrière et ses horreurs, l’absence de solidarité, la dissolution des rapports sociaux (justement propres à cette société en décomposition) engendrent résignation, crainte et désespoir. Il n’y a rien de pire que de se sentir seul et atomisé.

En réponse, se répand un simulacre de solidarité entretenue par la classe dominante, celle du repli sur la famille, le clan, la communauté culturelle, ethnique ou religieuse, la région, la nation, la “race”, autant d’entités en concurrence, voire en guerre, contre “l’autre” : l’autre famille, clan, communauté, culture, ethnie, religion, région, nation ou “race”. Les causes de cette dynamique marquée par la peur de l’avenir, le no future, sont multiples évidemment.1

Dans ce numéro, nous avons choisi de mettre particulièrement en évidence que l’une des causes essentielles de cette dynamique mortifère est l’action volontaire, consciente et calculée de la bourgeoisie. Son idéologie, sa propagande, ses discours et ses médias aux ordres sont au service d’un objectif caractéristique des classes exploiteuses : “Diviser pour mieux régner”. Il ne faut donc surtout pas sous-estimer les capacités de notre ennemi de classe. La bourgeoisie, en particulier sa partie la plus éduquée et consciente, celle qui se regroupe et s’organise au sein des États, est la classe dominante la plus sournoise et machiavélique de l’Histoire. Elle sait parfaitement que la force du prolétariat réside dans sa capacité à être uni et solidaire. Et puisque “l’un des plus vieux principes de la stratégie militaire est la nécessité de saper la confiance et l’unité de l’armée ennemie”, “la bourgeoisie a toujours compris la nécessité de combattre ces qualités dans le prolétariat”.2 Et en ce début d’été 2015, le battage propagandiste est particulièrement bruyant et... nauséabond.

En Grèce, la classe ouvrière subit les pires affres de la crise économique mondiale. Parallèlement, la bourgeoisie, et ce à l’échelle internationale, exploite la faiblesse actuelle de la combativité et de la conscience ouvrières en n’ayant de cesse de monter les “peuples” les uns contre les autres. Les ailes d’extrême-gauche et d’extrême-droite de l’échiquier politique bourgeois désignent comme responsables de tous les maux le diktat européen, la troïka UE/BCE/FMI et les “tortionnaires allemands” ; leurs discours est ultra-nationaliste, ils en appellent à la révolte du “peuple grec”, du “peuple français”, “espagnol”... En Grèce, la victoire du non au référendum a ainsi été fêtée par des manifestations brandissant massivement le drapeau national grec. Par la voix de ses fractions de gauche, du centre et de droite, cette même classe dominante change de discours et de boucs-émissaires tout en gardant la même logique nationaliste en désignant “l’irresponsabilité traditionnelle des Grecs” et en prétendant que les “contribuables européens” vont devoir payer l’addition du “laxisme” et de “l’égoïsme” helléniques.

Au-delà des difficultés économiques réelles et insolubles à long terme du capitalisme mondial, le cirque médiatique du compte à rebours de la dette grecque, tout comme le référendum de Tsipras, sont eux aussi des pièges idéologiques qui participent à crédibiliser cette propagande. Il s’agit d’ailleurs d’une des forces de la bourgeoisie : parvenir à utiliser ses propres difficultés, sa crise, ses guerres, ses catastrophes, son pourrissement contre son plus grand ennemi, la classe ouvrière.

L’instrumentalisation des actes terroristes les plus barbares en est l’une des meilleures illustrations. Quand les djihadistes abattent, massacrent, découpent, guillotinent et pulvérisent aux quatre coins du globe de pauvres innocents, les médias procèdent à un matraquage destiné à terroriser et exploiter les réactions émotionnelles ainsi suscitées. Les discours politiques utilisent en effet ces actes horribles pour leurs propres intérêts en tournant en boucle autour de la “guerre des civilisations”, de la “nécessaire surveillance et répression”, etc. Ceci, afin de justifier les guerres impérialistes à l’extérieur des frontières et le flicage de la classe ouvrière à l’intérieur.3

Grands événements internationaux ou petits faits divers locaux, partout, la classe dominante occupe le terrain en distillant sa propagande, en suscitant peur, division et méfiance ; son principal souci est d’éviter que les prolétaires pensent par eux-mêmes et discutent entre eux.

En France, le gouvernement socialiste est passé maître dans cet art de désigner telle ou telle partie de la population pour focaliser sur elle toute l’attention et les haines : Roms, homosexuels, chauffeurs clandestins de taxis... les diversions se succèdent et se ressemblent. La politique de Hollande tient en un mot : bouc-émissarisation. Dans les entreprises, ce sont les syndicats qui prennent magistralement le relais de cette même politique d’atomisation. En effet, quand de rares salariés commencent à se poser des questions et à vouloir lutter pour leur dignité, alors les syndicats entrent en scène pour isoler ces luttes dans le carcan corporatiste, sectoriel ou régionaliste tandis que les médias dénoncent, eux, le prétendu “égoïsme” des salariés en lutte. Telle a été par exemple la manœuvre dont ont été victimes les salariés des Hôpitaux de Paris tout au long du mois de juin.4

Pas une dimension de la vie quotidienne n’échappe aux coups de boutoirs idéologiques de la bourgeoisie. Dernier exemple en date, le festival de Cannes et le triomphe du film La loi du marché [2]. Quand un réalisateur et ses acteurs portés par des valeurs humanistes et voulant dénoncer l’esclavage salarié, mais involontairement influencés par l’ambiance et l’idéologie dominante, tombent dans le piège de l’apologie de la révolte individuelle et désespérée, la bourgeoisie s’empresse de braquer sur eux tous ses projecteurs, les applaudit à tout rompre et leur attribue des prix.

Au fond, toute cette énergie déployée par la bourgeoisie et ses États montre aussi une chose : elle connaît la force du prolétariat, elle sait qu’il est son ennemi mortel, un ennemi potentiellement capable de bouleverser la société de fond en comble. Elle a conscience qu’il est une classe portée par la capacité à s’unir, à se solidariser, à s’organiser collectivement et à se battre pour le futur de toute l’humanité. Confiance du prolétariat en lui-même et dans le futur, voilà ce que s’échine à défaire en permanence la bourgeoisie et ses campagnes ! Car au fond, c’est elle qui a le plus peur, peur de la fin de son monde et de ses privilèges.

Il est donc essentiel de ne pas se laisser faire, de se rappeler qui est réellement le prolétariat, ce qu’il est capable de réaliser par sa lutte historique :

“Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, des mouvements de minorités au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité”.

“À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous” (Manifeste Communiste, 1848).

Il n’y a pas de combat plus noble et passionnant.

Claire, 4 juillet 2015


1 Ne pouvant analyser ici de façon exhaustive l’ensemble de ces causes, nous renvoyons nos lecteurs à trois articles fondamentaux de notre organisation disponibles sur notre site Web : "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [3]", Texte d'orientation, 2001 : La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat, 1ère partie [4], et A l'aube du 21e siècle...pourquoi le prolétariat n'a pas encore renverse le capitalisme (I) [5]

2 In "La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat” (CCI, 2003).

3 Lire notre article sur les attentats de la fin juin dans ce numéro.

4 Lire notre article sur les dernières grèves en France

 

Géographique: 

  • Europe [6]
  • Grèce [7]

Personnages: 

  • Tsipras [8]

Rubrique: 

Editorial

70 ans après Hiroshima et Nagasaki

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Il y a 70 ans, le 6 août 1945 à Hiroshima, plus d’une centaine de milliers d’habitants fut atrocement pulvérisée, prise comme cible dans la démonstration grandeur nature de la nouvelle force nucléaire américaine. Selon les chiffres officiels, près de 70 000 personnes périssaient sur le coup et des dizaines de milliers d’autres allaient connaître le même sort dans les jours qui suivirent.1 Trois jours plus tard, le 9 août, c’est au-dessus de Nagasaki qu’une deuxième bombe nucléaire explose, faisant un nombre de victimes tout aussi terrifiant. La barbarie et la souffrance que les populations japonaises ont connues sont à peine concevables.

Ainsi, comme nous pouvions l’écrire en 2005, à l’occasion du 50 anniversaire de cet événement : “Pour justifier un tel crime et répondre au choc légitime provoqué par l’horreur des effets de la bombe, Truman, le président américain qui ordonna l’holocauste nucléaire, ainsi que son complice Winston Churchill répandirent une fable aussi cynique que mensongère. À les en croire, l’emploi de l’arme atomique aurait épargné la vie d’environ un million de vies humaines, pertes qu’aurait selon eux nécessairement entraîné l’invasion du Japon par les troupes US. En somme, malgré les apparences, les bombes qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki et qui continuent encore cinquante ans après à dispenser la mort, seraient des bombes pacifistes ! Or, ce mensonge particulièrement odieux est totalement démenti par de nombreuses études historiques émanant de la bourgeoisie elle-même.”

Lorsqu’on examine la situation militaire du Japon au moment où l’Allemagne capitule, on constate que celui-ci est déjà presque vaincu. L’aviation, arme essentielle de la Seconde Guerre mondiale, y est exsangue, réduite à un petit nombre d’appareils généralement pilotés par une poignée d’adolescents aussi fanatisés qu’inexpérimentés. La marine, tant marchande que militaire, est pratiquement détruite. La défense antiaérienne n’est plus qu’une gigantesque passoire, ce qui explique que les B29 aient pu se livrer à des milliers de raids durant tout le printemps 1945 sans pratiquement essuyer de pertes. Et cela, c’est Churchill lui-même qui le souligne dans le tome 12 de ses mémoires !

Une étude des services secrets américains de 1945, publiée par le New York Times en 1989, révèle que : “Conscient de la défaite, l’empereur du Japon avait décidé dès le 20 juin 1945 de cesser toute hostilité et d’entamer à partir du 11 juillet des pourparlers en vue de la cessation des hostilités”.2 Et puisque dans la société capitaliste le cynisme et le mépris n’ont ni limite ni frontière, on ne saurait manquer de rappeler que les survivants des explosions, les “hibakusha”, n’ont été reconnus comme victimes par l’État qu’à partir des années 20003 !

Concernant les objectifs réels de ces bombardements, voici ce que nous écrivions en 1995 :

“À l’opposé des tombereaux de mensonges colportés depuis 1945 sur la prétendue victoire de la Démocratie synonyme de paix, la seconde boucherie mondiale est à peine terminée que se dessine déjà la nouvelle ligne d’affrontements impérialistes qui va ensanglanter la planète. De la même façon que dans le traité de Versailles de 1919 était inscrite l’inéluctabilité d’une nouvelle guerre mondiale, Yalta contenait la fracture impérialiste majeure entre le grand vainqueur de 1945, les États-Unis, et son challenger russe. Puissance économique mineure, la Russie peut accéder, grâce à la Seconde Guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne peut que menacer la superpuissance américaine. Dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Yalta n’avait fait que sanctionner le rapport de forces existant entre les principaux requins impérialistes qui étaient sortis vainqueurs du plus grand carnage de l’histoire. Ce qu’un rapport de forces avait instauré, un autre pouvait le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable question qui se pose à l’État américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite possible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérialiste du “grand allié russe” !”

C’est sur ce fond de tensions impérialistes exacerbées que débutera, en réalité avant 1945, une véritable course à l’armement nucléaire. Une grande puissance capitaliste digne de ce nom ne pouvait maintenir son rang sur la scène impérialiste et être prise au sérieux par ses rivales qu’en montrant qu’elle possédait ou, mieux encore, qu’elle maîtrisait l’arme nucléaire. Ceci est particulièrement vrai pour les pays “têtes de bloc” que constituaient alors les États-Unis et l’URSS. Rangés derrière l’un ou l’autre, les autres grandes puissances n’avaient qu’à emboîter le pas. Dès 1949, les Russes procèdent aux essais de leur propre bombe. En 1952, c’est au tour des Britanniques. En 1960, la très française “Gerboise bleue” montre à son tour sa puissance nucléaire à Reggane, dans le Sahara algérien. Durant toute cette période, on peut sans exagérer parler de centaines d’essais nucléaires, avec des conséquences sur l’environnement (et parfois sur les populations alentours) que les États se gardent bien d’ébruiter. Outre une course folle entre les États-Unis et l’URSS pour déployer une quantité toujours plus grande de ce type d’armes, des recherches sont menées sans relâche pour accroître leur pouvoir de destruction. Si les bombes d’août 1945 ont été un moment d’intense cruauté dans l’histoire de la barbarie capitaliste, elles sont loin de constituer le point culminant du potentiel destructeur des armes existantes. La barbarie capitaliste n’a pas de limite ! Comme si les centaines de milliers de morts de Hiroshima et Nagasaki n’étaient qu’un avant-goût de ce que le capitalisme décadent était capable de produire, les Américains passèrent à la vitesse supérieure en 1952 avec l’explosion de “Ivy Mike”, la fameuse bombe H d’une puissance de 10,4 mégatonnes, soit six cent fois celle de la bombe d’Hiroshima ! Dans le tableau, on ne peut oublier la “Tsar Bomba” que les Russes firent exploser au-dessus de l’archipel de Nouvelle-­Zemble (Arctique russe) en 1961. Sa puissance de plus de 50 mégatonnes vitrifia littéralement le sol sur un rayon de 25 km et détruisit des maisons de bois à des centaines de kilomètres. L’armée fut satisfaite à l’idée que la chaleur du rayonnement produit puisse provoquer des brûlures au troisième degré dans un rayon de plus de 100 km. D’un point de vue formel, les grandes puissances nucléaires que sont les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France signèrent un pacte de non-prolifération (TNP) en 1968. Ce pacte, sensé freiner la prolifération des armes nucléaires, n’aura qu’un impact très limité. Il est tout aussi hypocrite que les accords de Kyoto contre le réchauffement climatique ! Depuis l’entrée en vigueur du TNP en 1970, il faut ajouter à la liste des pays détenteurs de la bombe : l’Inde, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord, Israël. Plus une liste de pays dont la possession ou non de l’arme fait polémique au sein des différentes fractions de la bourgeoisie. L’Iran, bien entendu, mais également le Brésil soupçonné de développer un programme nucléaire,4 l’Arabie Saoudite, la Syrie dont le réacteur de recherche à Damas fait parler de lui. Bref, il est clair que la “non-prolifération” n’est qu’un vœu pieux essentiellement destiné à masquer la sordide réalité des trafics de matières fissibles. Dans un système basé sur la concurrence et les rapports de forces, l’idée d’un retour à la raison ne peut être qu’une pure mystification. Depuis la fin de la Guerre froide et l’éclatement des blocs en 1990, l’instabilité militaire gagne progressivement toutes les zones de la planète. La situation internationale nous le montre largement au quotidien. C’est un véritable processus de décomposition qui génère toujours plus de barbarie et d’irrationalité. C’est dans ce cadre-là qu’il faut replacer l’annonce de Poutine du 16 juin dernier, selon laquelle “la Russie allait renforcer son arsenal nucléaire avec le déploiement de plus de quarante nouveaux missiles intercontinentaux d’ici à la fin de l’année (...) Cette annonce a été faite sur fond d’aggravation des tensions entre la Russie et les États-Unis, dont les projets de déploiement d’armes lourdes en Europe dévoilés par le New York Times ont provoqué la colère de Moscou”.5 A la veille du 70 anniversaire de l’holocauste nucléaire, une telle déclaration est tout à fait significative de la dynamique putréfiée dans laquelle s’enfonce la société capitaliste.

La classe ouvrière, la seule classe porteuse d’une perspective pour l’avenir de l’humanité, est donc aussi la seule classe capable de mettre un terme à la barbarie guerrière des puissances impérialistes. Le prolétariat ne doit pas se laisser impressionner par l’horreur dont la classe capitaliste est capable et il ne doit pas rester paralysé face aux attaques de cette dernière. Il est vrai que l’atrocité des événements d’août 1945 et de la guerre en général a de quoi faire peur. Et pour cause ! Dans le jeu trouble de la concurrence capitaliste, la bourgeoisie a toujours la volonté d’écraser ses rivaux. Le seul véritable frein à la barbarie est le niveau de conscience de la classe révolutionnaire et sa capacité à s’indigner devant l’horreur d’une société qui se décompose.

Rappelons enfin que l’été 2015 est aussi l’anniversaire, beaucoup plus discret dans les médias bourgeois, des 110 ans de la mutinerie du cuirassé Potemkine (le 27 juin 1905), où les marins russes scandalisés par le mépris des officiers à leur égard et excédés par la guerre avec le Japon allaient tourner leurs armes contre eux et prendre fait et cause pour ce qui fut un des moments héroïques de l’histoire du mouvement ouvrier.6 Ce ne sont pas des larmes de désespoir, mais bien l’indignation et la combativité qui portent en elles la perspective d’une réflexion pour construire la société communiste.

Tim, 2 juillet 2015


1 Au Japon, le “mémorial pour la paix” évoque le chiffre de 140 000 victimes pour Hiroshima.

2 Le Monde diplomatique, août 1990. Pour de plus amples développement dans la dénonciation de cette fable cynique, nous invitons nos lecteurs à lire l’article : 50 ans après : Hiroshima, Nagasaki, ou les mensonges de la bourgeoisie [10], dans la Revue internationale no83.

3 Auparavant, ces victimes ne bénéficiaient donc d’aucune aide de l’État. “En mai 2005, il y avait 266 598 hibakusha reconnus par le gouvernement japonais” (d’après un article du Japan Times du 15 mars 2006, repris sur Wikipédia [11]).

4 Lula signe un accord en 2008 avec l’Argentine pour le développement conjoint d’un programme nucléaire qui n’écarte pas un volet militaire.

5 Le Monde, 16/06/2015.

6 Il est important de rappeler que c’est également le mouvement ouvrier, avec la vague révolutionnaire de 1917, qui mis fin à la première boucherie mondiale du début du XXe siècle.

 

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [12]
  • Hiroshima [13]

Rubrique: 

Conflits impérialistes

Comment gouvernement et syndicats renforcent le sentiment d’impuissance

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5 717 900 ! Tel est le chiffre officiel du nombre de chômeurs en France (DOM compris) pour la fin mai 2015. La barre des 6 millions va bientôt être atteinte ! Gouvernement après gouvernement, la crise économique s’aggrave et le chômage augmente inexorablement. Quant à ceux qui trouvent encore à vendre leur force de travail, à être exploités pour vivre, les conditions de réalisation de la corvée quotidienne sont de plus en plus insoutenables. D’un côté, le gel des salaires, la réduction des effectifs, la pression croissante au nom de la “rentabilité”, la précarisation pour soi ou ses collègues… touchent tous les secteurs, privés comme publics. Mais au fond, cela n’est pas le plus grave, le plus pénible. Ce qui est réellement insupportable est l’ambiance délétère, l’individualisme, la mise en concurrence, les guerres de clans, les ragots au sein même des rangs salariés. Cette atmosphère fait que chacun ressent le fardeau de l’exploitation plus durement encore, sans trouver le réconfort vivifiant de la solidarité, de l’entraide et de la combativité dans le regard de ses collègues qui émanent des luttes ouvrières. Cette atmosphère nauséabonde, le gouvernement et les syndicats œuvrent sans relâche pour la promouvoir et l’entretenir.

De l’art socialiste d’attaquer en divisant...

En matière d’attaques anti-ouvrières et d’austérité, sous le masque hypocrite des “réformes”, la gauche a pu acquérir une solide expérience, en particulier durant les années Mitterrand où elle avait su insuffler ce qu’on avait appelé à l’époque la “rigueur” : c’est-à-dire planifier et orchestrer tout un ensemble de mesures et d’attaques brutales qui ont plongé les salariés dans l’insécurité, le chômage massif et la précarité. Bon nombre des nouveaux barons qui font partie du sérail actuel, comme Fabius et bien d’autres, étaient déjà aux commandes. Ainsi, contrairement à l’image entretenue par les médias durant tout un temps d’un Hollande trop “mou” et “indécis” (souvenons-nous de l’image du “Flamby” colportée par les caricaturistes), la réalité est au contraire celle d’un responsable méthodique soucieux de la compétitivité du capital national, de la productivité du travail, capable de faire passer les mesures de flexibilité (comme par exemple la loi Macron), une dégradation des conditions de travail que Sarkozy lui-même aurait rêvé d’imposer mais qu’il n’aurait pu mettre en place sans risquer une forte mobilisation sociale. Hollande y parvient très bien, c’est d’ailleurs ce qui fait dire à des syndicalistes très médiatisés comme l’ex-urgentiste P. Pelloux, devenu aussi le Monsieur Charlie-hebdo après les derniers attentats à Paris : “nous avons un très grand président” ! Sous son autorité en effet, le gouvernement prend soin de planifier ses attaques, paquets par paquets, secteur par secteur, tout en polarisant à chaque fois l’attention sur une partie particulière de la population ou sur un “problème de société” tout à fait secondaire, ou encore sur des “scandales” liés à des personnalités. Mouvement monté en épingle des “bonnets rouges”, bouc-émissarisation des Roms, focalisation sur les homosexuels... et aujourd’hui mise à l’index des chauffeurs clandestins de taxis. Et chaque fois, après avoir provoqué et agité, ce gouvernement se drape cyniquement et sans vergogne des vertus du héros de la “justice”, du “droit” et de la “cohésion sociale”.

... à l’expertise syndicale d’isoler les luttes

Main dans la main avec le gouvernement, les syndicats participent activement à la division et au pourrissement social. Partout où, face à des attaques insupportables, une volonté de se battre se fait jour, ils interviennent pour isoler la lutte, l’enfermer dans la boîte, l’entreprise, le secteur, la région,... poussent aux revendications spécifiques et encouragent aux actions stériles. Il ne s’agit pas de maladresses, ni de trahison des “centrales syndicales” mais de la fonction même du syndicalisme : encadrer socialement la classe ouvrière de “l’intérieur” afin que surtout les salariés ne réfléchissent pas et ne s’organisent pas par eux-mêmes.

Des exemples de cet émiettement de la lutte ? Prenons pour exemple les seuls derniers quinze jours de juin. Le 14 juin, grève à la raffinerie de La Mède, près de Marseille, à l’appel de la CGT. Le 17 juin, grève à la RATP à l’appel de la CGT, FO et SUD. Le 18 juin, grève à la Bourse de Paris contre une vague de licenciements à l’appel de la CGT et de la CFDT. Le 23 juin, grève des marins d’Eurotunnel à l’appel du Syndicat maritime Nord. Le 25 juin, grève des cheminots à l’appel de la CGT. Les 25 et 26 juin, grève des enseignants des collèges de l’Académie de Lille à l’appel principalement de la FSU et de la CGT. Les 2 et 3 juillet, appel à la grève des contrôleurs aériens à l’appel de la SNCTA et de FO… Et cette liste de grèves orchestrées volontairement sous la houlette syndicale sans aucun lien entre elles est très loin d’être complète. Compte-tenu de l’ampleur de la dégradation continue des conditions de vie et de travail, la colère est forcément très grande dans les rangs ouvriers. Et partout, dans tous les secteurs, toutes les branches, des conflits larvés ou plus ouverts sont présents. Et partout aussi règnent l’isolement et la division que les syndicats orchestrent et planifient savamment. Voici un autre exemple criant, il s’agit des premières lignes d’un article du quotidien régional Sud-Ouest du 29 mai : “Les poubelles qui s’accumulent dans les rues et les lettres dans les centres de tri, les cantines sans cantinières et les transports en commun au ralenti : les mouvements de mécontentement se cristallisent ces jours-ci à Bordeaux. Ce vendredi matin, alors que les employés de Kéolis allaient se réunir, de leur côté, les agents de Bordeaux Métropole investissaient le hall et le parvis de l’Hôtel de Région où devait se discuter le ‘schéma de mutualisation’. De leur côté, écoles et cantines suivaient le mouvement national de grève de la fonction publique.”

“De leur côté”… Tout est là, dans ces trois petits mots... : “de leur côté”. Les syndicats sont passés maîtres dans l’art de diviser. Alors que nous sommes tous touchés, que la seule façon de faire face et d’être fiers de nous-mêmes, dignes, c’est de nous unir, de nous montrer solidaires les uns pour les autres dans la lutte, les syndicats n’ont de cesse de mettre en avant des attaques prétendument “spécifiques”.

Le mouvement syndical de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) est de ce point de vue édifiant. “Les RTT, c’est pour souffler”, “Touche pas à nos RTT !”, “Retrait du plan Hirsch !”… Tous les hôpitaux de Paris ont inscrit ces slogans en gros sur leurs façades. Pendant un mois, de la mi-mai à la mi-juin, l’AP-HP a connu un mouvement de grèves et de manifestations marqué par une forte mobilisation. Il faut dire que les travailleurs de ce secteur, déjà confrontés à des conditions d’exploitation extrêmes, ont dû faire face à une énième attaque inique. Le projet porté par Martin Hirsch, actuel directeur général de l’AP-HP, implique de réduire le temps de travail moyen par jour à 7 heures maximum tout en maintenant la même charge de travail par salarié. Autrement dit, sous couvert d’un “assouplissement des 35 heures”, il s’agit pour l’État de payer moins d’heures pour une quantité de travail constante ; aux salariés de se débrouiller pour “bien faire leur travail” en intensifiant leurs efforts, en ne prenant plus aucune pause, en dépassant toujours plus largement leurs horaires, etc. L’objectif affiché est d’économiser 20 millions d’euros par an. Parallèlement, en ce printemps 2015, Paris a été touché par deux autres vagues de mobilisations : celle des crèches et celle des piscines et infrastructures sportives. Dans les crèches, le manque d’effectif est devenu si dramatique que la santé des salariés surmenés et la sécurité des enfants sont menacées. Depuis le début de l’année, il y a déjà eu quatre journées d’action. Quant aux piscines, la maire de Paris a dû faire face au conflit le plus long qu’ait connu ce secteur : la colère face aux payes misérables des salaires étant très importante. Il n’y a pourtant eu aucune convergence entre ces luttes menées simultanément sur la même ville, parfois dans la même rue. Au contraire, le mouvement le plus important, celui de l’AP-HP, a été poussé vers une fausse radicalisation à travers un enfermement ultra-corporatiste et régionaliste. L’idée était de neutraliser le noyau central du secteur hospitalier pour faire passer l’attaque sur l’ensemble des hôpitaux ensuite. Jamais les syndicats ne proposeront aux grévistes d’aller à la rencontre des autres secteurs (pourtant les grandes concentrations de salariés ne manquent pas dans la capitale), au contraire ils ont orchestré des actions isolées et bidons comme des défilés sous les fenêtres de Monsieur Hirsch !

Les médias relayant allégrement ce mouvement stérile, c’est toute la classe ouvrière qui est touchée par ce type de manœuvre.

Autre exemple significatif, le mouvement de protestation des syndicats de l’Éducation nationale contre la réforme des collèges. L’idée que cette réforme va renforcer “la lutte contre les inégalités” est évidemment un mensonge. L’objectif réel n’est ni plus ni moins que de faire des économies en supprimant des postes et des heures de cours et en réorganisant, sous couvert d’un verbiage pédagogique prétentieux servant d’alibi, tout le travail des équipes d’enseignants de façon à augmenter considérablement et insidieusement leur productivité. Tout cela induira une augmentation des réunions et de la paperasse supplémentaire, permettra des pressions individuelles accrues, un flicage renforcé et une mise en concurrence sournoise entre disciplines et même entre collègues. Le but est de rendre les enseignants plus corvéables, de renforcer leur flexibilité tout en les habituant aux “valeurs” du management et du marketing. Voilà le secret de cette réforme ! Or, que font les syndicats ? Ils s’efforcent de la faire passer en catimini et de glisser systématiquement de façon insidieuse que les salariés sont bien “demandeurs” et qu’ils sont “pour le principe de la réforme”. Ainsi, par exemple, le SNES parle d’un “rendez-vous attendu par les personnels”. Mais pour faire passer la pilule, les syndicats sont obligés d’ajouter un “oui mais” : celui de la possibilité d’adopter un contenu prétendument “différent”. L’essentiel est là, faire accepter de manière scélérate le principe de la réforme (faire des économies) en modifiant éventuellement légèrement l’emballage. Pour ce faire, ils agissent aussi directement sur le terrain en enfermant les plus combatifs sur le seul secteur de l’éducation par des manifestations totalement isolées des salariés des autres secteurs. Toute démarche de lutte collective est écartée au profit de propositions stériles et démoralisantes comme “boycotter les corrections du brevet des collèges” ou autres singeries qui ne peuvent qu’enfermer dans le corporatisme et servir à discréditer les enseignants.

Les difficultés aujourd’hui présentes au sein de notre classe le seront pour longtemps encore. Mais les perspectives de dépassement de ces difficultés sont elles aussi réelles du fait de l’enfoncement du système capitaliste dans une crise historique sans issue. Cette dynamique, dont le cœur sera la réflexion collective et le développement de la conscience, passera nécessairement par la confrontation aux réalités du capitalisme d’État : ses pièges idéologiques (de la droite comme de la gauche ; de l’extrême-droite comme de l’extrême-gauche) et les manœuvres de sabotage des luttes par les syndicats. Alors, l’individualisme, la mise en concurrence, l’esprit délétère que tente de nous imposer en permanence la bourgeoisie feront place à la solidarité, l’entraide, la confiance mutuelle, la combativité. Tout ce qui caractérise notre classe quand elle lutte pour l’avenir, le sien et celui de l’humanité.

Cerise, 6 juillet 2015

Géographique: 

  • France [14]

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [15]

Personnages: 

  • Hirsch [16]

Récent et en cours: 

  • Grève à La MèdeGrève dans les hôpitaux de Paris [17]

Rubrique: 

France

Grèce: Une attaque contre toute la classe ouvrière!

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Le feuilleton à suspense qui dure au moins depuis le dernier cycle des négociations lancées en février dernier occulte en partie une situation économique catastrophique et des conditions de vies devenues dramatiques pour les prolétaires en Grèce. La paupérisation brutale, le chômage de masse et la chute vertigineuse des salaires et des retraites, les retards et les menaces de non-versement, le délabrement brutal des hôpitaux, l’effondrement des soins et des services, le rationnement drastique des derniers médicaments disponibles, la multiplication des suicides et des dépressions, la tension nerveuse, la clochardisation rampante et même la faim suite à la fermeture des banques et au rationnement, tout cela alimente une toile de fond terrible, celle d’un enfoncement du capitalisme dans sa phase ultime de décomposition. Sur fond de crise économique chronique, où pour la première fois un État occidental se retrouve en défaut de paiement, nous assistons à l’exploitation de cet événement transformé de manière indécente en un grand spectacle théâtral aux multiples rebondissements. Nous sommes une énième fois “tenus en haleine” avec cette fameuse “dette grecque” où les rivalités des grandes puissances à son propos se déchaînent et où chaque capital tente de défendre au mieux ses sordides intérêts nationaux. Toutes les chaînes de télévision se sont appliquées à faire durer le suspense autour du “Grexit” jusqu’au moment fatidique, celui de l’heure symbolique qui autrefois effrayait les enfants, celui ou la grande horloge allait sonner minuit : le mardi 30 juin. Et après ? La fée Carabosse grecque allait-elle se transformer en citrouille ? Non ! Le FMI “apprenait” qu’il ne serait pas remboursé des 1,5 milliards d’euros que devait lui verser l’État grec. Un secret de Polichinelle ! Pour pimenter le tout, il fallait aussi la magie d’un autre suspense, celui du référendum initié par le gouvernement Tsipras : les Grecs allaient-ils voter oui ou non ?

Finalement, c’est le non qui l’a emporté dimanche 5 juillet, après une série de sondages soigneusement mis en scène juste avant le scrutin.

Une bourgeoisie préparée face aux événements

Contrairement aux exagérations d’un “vent de panique” parfois évoqué par certains médias pour tenter d’effrayer les populations afin de mieux les asservir et porter les attaques, celle d’une trajectoire possible vers un “terrain inconnu pour la Grèce”, la réalité est plutôt celle d’une dégradation de l’économie grecque déjà exsangue depuis des années, aggravée par les mesures anti-ouvrières du gouvernement Syriza lui-même. Le résultat du référendum ne change donc rien à cela. C’est pour cette raison que le jeu des négociations engagées sur fond de crise entre d’un côté, le FMI, les instances politiques de l’UE, la BCE et de l’autre, le gouvernement grec défendant lui aussi ses intérêts nationaux, relève d’un bras de fer entre voyous qu’accompagne tout un manège politico-médiatique qui dépasse le scénario strictement limité de l’économie. Face à la gravité de la situation, la bourgeoisie a déjà été amenée à s’adapter et à s’organiser en anticipant les difficultés économiques de la Grèce et de la zone euro, comme elle avait été amenée à faire face aux secousses et aux conséquences de la précédente crise financière et bancaire dite des subprimes en 2008. Elle avait su réagir de manière concertée afin d’éviter les pires conséquences de la dégringolade des cours de la bourse. En prenant des mesures au niveau des États et des banques centrales (Banque centrale européenne ou la Banque fédérale américaine), elle soutint les marchés et évita l’assèchement trop brutal des liquidités. De fait, la situation de la Grèce reste parfaitement connue et suivie. Il est évident que les banques (notamment la BCE) et les États ont très largement anticipé pour s’organiser, prendre des mesures face aux difficultés de la Grèce. Tsipras ne voit d’ailleurs dans le résultat du non pas tant une rupture que “le renforcement de notre pouvoir de négociation”.

Le déclin historique du capitalisme a généré depuis un siècle maintenant une tendance universelle au capitalisme d’État, poussant ce dernier à devenir un acteur central au cœur de l’économie. Cette tendance initiée à la fois par les nécessités de faire face aux contradictions croissantes du système et aux besoins de mobilisation pour la guerre totale, s’est accentuée fortement suite au grand krach boursier de 1929 et n’a jamais cessé depuis. Toute une expérience s’est accumulée par la mise en place du keynésianisme et s’est perfectionnée au fur et à mesure des épreuves et des grands soubresauts économiques du xxe siècle. Depuis les années 1980-1990 et la “mondialisation”, des mécanismes toujours plus complexes à l’œuvre et toutes sortes de tricheries avec la loi de la valeur, de palliatifs, ont permis aux États capitalistes les plus puissants de ralentir les effets les plus désastreux de la crise économique et surtout de reporter ses effets les plus dévastateurs sur les États capitalistes rivaux les plus faibles. En quelque sorte, la Grèce est déjà une première périphérie au sein de l’UE. Elle se situe aux marges sud de l’Europe et présente toutes les faiblesses qu’exploitent paradoxalement et de manière hypocrite les États-requins qui se penchent à son chevet. Bien avant le cas de la Grèce, le FMI lui-même avait déjà dû faire face à d’autres situations catastrophiques, comme ce fut le cas au début des années 2000 en Argentine. Ajoutons cependant que le cas de la Grèce, pour préoccupant qu’il soit, ne représente en réalité que 1,8 % du PIB de la zone euro, ce qui limite d’autant les “risques de contagion”. Les banques privées se sont largement délestées par ailleurs de la “dette grecque” au profit de la BCE et des principaux acteurs publics que sont les États. Tout ceci montre que l’enjeu essentiel de la mise en scène possède bien aussi une dimension politique.

Une mise en scène politicienne contre le prolétariat

La principale raison de toute la mascarade médiatique exploitant la gravité de la situation est essentiellement de vouloir mystifier le prolétariat, enfumer les consciences, notamment pour tenter de masquer la nature bourgeoise et nationaliste de Syriza et du gouvernement Tsipras. C’est aussi pour accréditer l’idée d’une possible “alternative” crédible de la “gauche radicale” qui émerge progressivement en Europe (comme Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, le NPA et le Front de gauche en France, etc.). Cela, face à des partis socialistes jugés “traîtres” abandonnant les “valeurs de la gauche”. Le but essentiel est aussi naturellement de faire passer la pilule de l’austérité et des attaques pour tous les ouvriers, et pas seulement en Grèce ! Exposer ainsi au pouvoir une fraction aussi “radicale” que l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois ne peut que porter un discrédit aux idéologies gauchistes nécessaires à l’encadrement politique du prolétariat. D’autant plus que ces idéologies sont relativement affaiblies depuis l’effondrement du mur de Berlin en raison de leur soutien, plusieurs décennies durant, aux régimes staliniens (certes de manière “critique”, mais non moins zélée). Toute la mise en scène, exprimant au passage les points de vue des protagonistes de la négociation en proie à quelques divergences et rivalités politiques bien réelles, n’en a pas moins constitué un soutien pour préserver l’image de gauche radicale de Syriza. Même si cela paraît paradoxal, l’attitude des uns et des autres n’a fait que conforter l’image “d’intransigeance” du gouvernement grec et valoriser sa volonté de “refuser les diktats de Bruxelles” qui se trouvent confortés par la victoire du non. La position très ferme de la Chancelière Angela Merkel, celle du FMI et la volonté de maintenir des négociations plus ouvertes de la part des instances européennes avec une attitude plus “compréhensive” du président Hollande, plus “ouvert à gauche” à l’égard de la Grèce tout en restant “ferme”, permettent en fin de compte de présenter le gouvernement Syriza comme “fidèle au peuple”, refusant de manière catégorique “l’austérité”. In fine, Syriza et Tsipras sont confirmés comme des “héros” et “victimes” de l’ex-Troïka, instance assimilée aux “méchants capitalistes”.1 Ainsi, malgré les attaques brutales et croissantes menées directement par l’État grec, ces dernières apparaissent comme imposées par “l’extérieur”. Le gouvernement grec qui réprime et pressure les prolétaires comme jamais, ce vrai bourreau à la tête de l’État bourgeois, retrouve là un statut de véritable “combattant” tenant tête aux “capitalistes” pour soi-disant atténuer la “souffrance du peuple grec”. Finalement, Syriza, confortée par ce coup de pouce et son “soutien populaire”, bénéficie toujours d’une image “ouvrière”. Et cette mystification est d’autant plus efficace qu’elle est très largement relayée et appuyée par les gauchistes de tous poils en Europe qui applaudissent la victoire du non pour mieux étayer leur discours sur une prétendue alternative possible à l’austérité : “Depuis le 25 janvier 2015 et la victoire électorale de Syriza en Grèce, la troïka UE-BCE-FMI use d’une brutalité inouïe pour faire capituler le gouvernement Tsipras, pour que le choix populaire d’en finir avec l’austérité soit bafoué”2.

Il s’agit en fait d’un véritable piège idéologique qui est en train de se déployer à l’échelle de l’Europe.

Une autre conséquence majeure de toutes ces manipulations idéologiques, c’est l’accentuation des divisions au sein de la classe ouvrière. Tout d’abord, en présentant les prolétaires grecs comme des parias et victimes “à part”, dont le sort est “étranger” aux autres “nantis” en Europe, les médias cherchent à couper les prolétaires grecs de leurs frères de classe. Seuls les ouvriers grecs auraient en fin de compte une “raison valable” de lutter, bien que, par “sagesse”, il leur est grandement recommandé d’accepter de faire les “sacrifices nécessaires” pour “sortir de la crise”. Cette perversion est d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’une dénaturation complète de la solidarité par les gauchistes qui l’ont réduite au simple soutien électoral en faveur du non : “Il faut des mobilisations de solidarité massives, pour que la confiance augmente, pour que le Non gagne en Grèce” (ibid). Telle est la “solidarité” des gauchistes : ni plus ni moins qu’un soutien au gouvernement grec qui défend ses sordides intérêts capitalistes nationaux ! Enfin, par cette idéologie démocratique encadrant et motivant le référendum, les divisions au sein même du prolétariat grec se sont renforcées avec le clivage oui/non, même si le non l’emporte avec une nette majorité.

En fin de compte, comme nous le disions dans un de nos articles précédents, “Que les gauchistes décrivent Syriza comme une sorte d’alternative au capitalisme est totalement frauduleux. Juste avant les élections, un groupe de dix-huit économistes distingués (incluant deux lauréats du Prix Nobel et un ancien membre du Comité de politique monétaire d’Angleterre) a écrit au Financial Times en approuvant des aspects de la politique économique de Syriza (…) Comme le fait remarquer un commentaire sur le site du magazine The New Statesman : “le programme de Syriza (…), c’est de la macro-économie classique. Le parti Syriza a simplement l’intention d’appliquer ce que les manuels suggèrent.” Et donc, suivant les manuels, Syriza a négocié avec les créanciers européens de la Grèce, en premier lieu pour prolonger le plan de sauvetage et ses conditions (...)”.3

Syriza et les gauchistes qui les défendent, la fameuse troïka et consorts, les médias qui les mettent en scène, tous vont continuer leurs mystifications après ce référendum. Ils appartiennent au même monde. Leur monde est celui du capitalisme décadent. Ils sont les commissaires politiques défenseurs de l’État, d’un ordre bourgeois au service de l’exploitation la plus brutale.

WH, 6 juillet 2015


1 L’ex-ministre Varoufakis a même accusé les créanciers d’Athènes de “terrorisme” ! En démissionnant au lendemain du référendum malgré la victoire du “non”, il permet à l’appareil politique de préserver une aile gauche qui, face aux inévitables nouvelles mesures d’austérité du gouvernement Tsipras, pourra faire valoir sa “véritable” radicalité.

2 Dixit le NPA [18].

3 Cf, Grèce: les gauchistes cachent la nature bourgeoise de Syriza [19]

 

Géographique: 

  • Grèce [7]

Personnages: 

  • Tsipras [8]
  • Syriza [20]
  • Podemos [21]
  • NPA [22]
  • Die Linke [23]
  • Varoufakis [24]

Récent et en cours: 

  • Grexit [25]
  • crise grecque [26]
  • référendum grec [27]

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Campagnes idéologiques

La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière

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Pendant la période d’ascendance du capitalisme, le mouvement ouvrier a appuyé de manière critique le combat de la bourgeoisie contre la religion et le clergé tout en conservant son autonomie de classe. La revendication de la séparation de l’Église et de l’État ainsi que la liberté individuelle du culte ont longtemps été au programme des organisations révolutionnaires du xixe siècle.

Mais en devenant un acquis dans la majeure partie des pays centraux du capitalisme, la laïcité s’est transformée en une arme de mystification aux mains de la bourgeoisie. Cet article vise à souligner l’importance de cette question au sein du mouvement révolutionnaire, mais aussi à montrer l’usage qu’en fait la bourgeoisie pour semer la confusion et la division dans les rangs de la classe ouvrière.

Le rapport ambivalent de la bourgeoisie à l’égard de la religion et du clergé

“L’Eglise catholique pouvait être supportée par la société féodale (…) mais elle ne pouvait être tolérée par la démocratie bourgeoise dont les membres égaux devant la fortune et la loi, mais divisés par des intérêts, sont entre eux en perpétuelle guerre industrielle et commerciale et veulent toujours avoir le droit de critiquer les autorités constituées et de les rendre responsables de leurs malchances économiques”.1

Dans la société féodale, l’Église fait corps avec la société toute entière et constitue un rouage de la domination. Rosa Luxemburg a su identifier cette spécificité des structures féodales :

“Dans une monarchie, l’Église, monarchique par essence, comme doctrine autoritaire, entre dans le mécanisme de l’État sans en détruire l’harmonie ; c’est un simple appui, c’est la servante et l’instrument du monarchisme. En ce sens, elle ne constitue pas un pouvoir politique indépendant”.2

Ainsi, la bourgeoisie devait écarter le clergé de l’appareil d’État pour s’émanciper des carcans de l’ancienne société. Le premier assaut de la bourgeoisie fut la Révolution anglaise de 1648 : “à partir de ce moment-là, la bourgeoisie devint un élément modeste, mais officiellement reconnu, des classes dominantes de l’Angleterre, ayant avec les autres fractions un intérêt commun au maintien de la sujétion de la grande masse ouvrière de la nation”.3 Les marchands et manufacturiers anglais soucieux de maintenir leurs ouvriers dans la soumission et l’ignorance découvrirent “les avantages que l’on pouvait tirer de la religion pour agir sur l’esprit de ses inférieurs naturels (…) et pour les rendre dociles aux ordres des maîtres. (…) Bref, la bourgeoisie anglaise avait à prendre sa part dans l’oppression des classes inférieures, de la grande masse productrice de la nation, et un de ses instruments d’oppression fut l’influence de la religion” (idem).

Pour plusieurs raisons, l’offensive de la bourgeoisie anglaise se caractérisait par un penchant religieux :

  • le protestantisme constituait un élément de son émancipation vis-à-vis de la féodalité,
  • elle avait dû partager le pouvoir avec les forces traditionnelles,
  • le matérialisme anglais (développé notamment par Hobbes) prenait la défense de la monarchie et a contraint la bourgeoisie à adhérer aux sectes protestantes.

En revanche, un siècle plus tard, l’instauration de la jeune république bourgeoise des États-Unis d’Amérique affirma la séparation de l’Église et de l’État ainsi que la liberté du culte au sein d’une société quasiment vierge de toute tradition féodale.

La question se posa avec beaucoup plus d’acuité lors de la Révolution française de 1789. En effet, l’inflexibilité de la noblesse et du clergé face à l’affirmation de la bourgeoisie déboucha sur une transformation radicale de la société.4 Friedrich Engels considère qu’elle fut le premier soulèvement de la bourgeoisie qui “rejeta totalement l’accoutrement religieux et livra toutes ses batailles sur le terrain ouvertement politique. (…) La Révolution française fut une rupture complète avec les traditions du passé”.5

Mais 1789 démontre aussi toute l’ambivalence de la bourgeoisie à l’égard de la religion et du clergé. Dans un premier temps, la bourgeoisie souhaita mettre au pas le pouvoir clérical sans le supprimer. Le 12 juillet 1790 fut proclamée la Constitution Civile du clergé. Les membres de l’Église continuaient à être rémunérés par l’État mais étaient choisis par le corps électoral et devaient prêter serment sur la constitution devant des officiers municipaux. La bourgeoisie modérée, favorable au maintien d’une monarchie parlementaire, avait trouvé un compromis salutaire. L’instauration de la République modifia la situation en cela que l’Église et l’État bourgeois républicain sont incompatibles : “adversaire par essence des principes fondamentaux de la République (nomination à l’élection de toutes les autorités de l’État et souveraineté du peuple), étrangère aux pouvoirs bourgeois, d’origine purement profane, portée par son propre esprit et par les liens personnels qui la rattachent à l’aristocratie, à revêtir un caractère féodal, survivance d’un passé monarchique, l’Église catholique devait naturellement, comme organe de l’État, tendre dans la république bourgeoise à l’indépendance politique. La lutte contre le cléricalisme est comme un fil rouge que l’on retrouve au cours de toute l’histoire de la république bourgeoise en France”.6

Dès lors, après le 10 août 1792, la Commune de Paris mit en application les premières mesures anticléricales. La politique de déchristianisation connaît son apogée dans l’an II de la République sous l’impulsion des sans-culottes qui exprimaient les revendications des artisans, des boutiquiers et d’une minorité ouvrière. Cette offensive populaire contre l’un des maîtres de l’ordre féodal prit des formes très radicales : fermeture des Églises, persécutions et massacres de clercs, instauration d’un culte de la Raison reposant sur l’athéisme. Le Comité central des sociétés populaires proposa de supprimer la subvention des cultes par l’État. Mais ces agitations populaires portaient atteinte au bon déroulement de la révolution. La Convention et le Comité de Salut public s’opposèrent à la déchristianisation. Voici ce que pouvait dire Robespierre au club des Jacobins le 28 novembre 1793 : “Nous déjouerons dans leurs marches contre-révolutionnaires ces hommes qui n’ont eu d’autre mérite que celui de se parer d’un zèle anti-religieux... Oui, tous ces hommes faux sont criminels, et nous les punirons malgré leur apparent patriotisme.”

Par la suite, la Convention enveloppa les acquis révolutionnaires d’un voile mystique par l’instauration du culte de “l’Être suprême”. Ce culte déiste visait à développer le civisme et la morale républicaine et ainsi ramener les couches populaires dans la modération. Un calendrier de fêtes républicaines se substitua aux fêtes catholiques. La bourgeoisie réussit à calmer l’ardeur populaire tout en instaurant un État laïque conforme à ses intérêts économiques et idéologiques. Le régime de séparation de l’Église et de l’État fut réglementé le 21 février 1795 : la République ne salarie aucun culte, la loi ne reconnaît aucun ministre, toute manifestation publique, tout signe extérieur sont interdits.7 La laïcité fut ancrée dans la loi dans les années qui suivirent. “À la fin de la période, la baisse de l’influence et du prestige de l’Église catholique était indéniable ; elle se marquait par la misère et la désorganisation d’un clergé divisé, par le recul de la pratique religieuse et les progrès de l’incroyance dans les classes populaires. L’Église et la Révolution, inconciliables sur le plan doctrinal, demeuraient ennemies” (idem).

L’État garantissait la liberté individuelle de la croyance. Tout en étant incapable de dissoudre complètement l’esprit religieux au sein de la société, il prenait rapidement le choix de s’en accommoder en sachant que la religion pouvait être utile pour anesthésier au moins en partie la population. La “religion civique” devenait le credo de la nouvelle classe dominante.

La religion, “opium du peuple”

Avec la stabilisation du processus révolutionnaire, les acquis de 1793 furent donc en partie balayés sous l’Empire : “le besoin de stabilisation sociale, l’attachement de la majeure partie de la nation à la religion traditionnelle rendent compte cependant de la rapidité de la restauration religieuse sous le Consulat.8 Mais, concevant la religion comme un moyen de soumission sociale et l’Église comme un instrument de gouvernement (…) Bonaparte subordonna étroitement l’Église à l’État”.9

Avec l’Empire, le clergé devint un allié aux mains de la bourgeoisie ayant pour fonction de développer une propagande de la soumission, de la souffrance, de la culpabilité et de la résignation. Ainsi, la bourgeoisie a compris très vite l’utilité que pouvait détenir la religion et son administration pour briser l’élan de la classe ouvrière. Le Concordat entre l’Empire et la papauté instaure un système dans lequel le clergé est financé par l’État et se retrouve en totale harmonie avec celui-ci. Cette relation s’affermit au moment du retour de la monarchie en France entre 1815 et 1848.

Face à l’émergence du prolétariat sur la scène politique, la classe dominante rejeta son matérialisme et embrassa plus nettement l’esprit ­religieux : “Les ouvriers de France et d’Allemagne étaient devenus des révoltés. Ils étaient complètement contaminés par le socialisme ; et pour de bonnes raisons : ils n’avaient pas de préjugés sur la légalité des moyens permettant de conquérir le pouvoir. (…) Il ne restait aux bourgeoisies française et allemande, comme dernière ressource, qu’à jeter tout doucement par-dessus bord leur libre pensée, ainsi que le jeune homme, à l’heure du mal de mer, jette à l’eau le cigare avec lequel il se pavanait en s’embarquant : l’un après l’autre, les esprits forts adoptèrent les dehors de la piété, parlèrent avec respect de l’Église, de ses dogmes et de ses rites et en observèrent eux-mêmes le minimum qu’il était impossible d’éviter. La bourgeoisie française fit maigre le vendredi et les bourgeois allemands écoutèrent religieusement le dimanche les interminables sermons protestants. Ils s’étaient fourvoyés avec leur matérialisme. Malheureusement pour eux, ils ne firent cette découverte qu’après avoir travaillé de leur mieux à détruire la religion pour toujours” (idem).

Ainsi, la bourgeoisie n’est pas allée au bout de son entreprise de destruction du pouvoir religieux. Bien au contraire, elle s’est appropriée ce pouvoir. Ce recours à la religion devint plus pressant lors du premier véritable assaut du prolétariat lors des journées de juin 1848. La bourgeoisie répondit par la répression mais aussi par la propagande. Dès lors, le clergé fut utilisé pour distiller au sein du prolétariat les idées de résignation et de soumission afin de saper sa combativité et sa conscience. Le 18 juin 1848, Adolphe Thiers10 écrivait dans l’Écho des instituteurs : “Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : jouis…”

L’Église avait pris parti contre la classe ouvrière en 1848, elle fit de même en 1851 en soutenant le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Là encore, il s’agissait clairement de porter un coup au mouvement révolutionnaire. Des adeptes du catholicisme libéral comme Montalembert le revendiquaient ouvertement : “l’acte du 2 décembre a mis en déroute tous les révolutionnaires, tous les socialistes, tous les bandits de la France et de l’Europe (…) voter contre Louis-Napoléon, c’est donner raison à la révolution socialiste”.11

Dans le monde capitaliste d’alors, le clergé était l’allié indéfectible de la bourgeoisie. Il devint une arme pour tenter de freiner l’élan de la classe ouvrière porteuse d’une nouvelle perspective, celle d’abolir le régime capitaliste et toutes les forces utiles à la conservation de l’ordre social. Le discours religieux avait pour objectif d’endormir la conscience du prolétariat et de la réconcilier avec la réalité misérable dans laquelle devaient vivre tous les exploités. C’est ce que Marx condense dans ce célèbre passage de la Critique de la Philosophie du droit de Hegel : “La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. Elle est l’opium du peuple.”

Ce penchant bourgeois à diffuser l’esprit religieux dans la société n’est pas seulement une offensive stratégique contre la classe ouvrière. Cela s’explique aussi par le fait que cette classe n’est qu’imparfaitement matérialiste. En son sein, réside un fort idéalisme, compte-tenu de son rôle historique limité. En définitive, la bourgeoisie garde une vision largement mystique du monde. Elle s’est émancipée de la religion dans le domaine de la connaissance de la nature par utilitarisme, en vue du développement de la production capitaliste. De par sa nature de classe exploiteuse, la bourgeoisie ne pouvait pas atteindre le même niveau de matérialisme dans les sciences sociales. Les scientifiques et les savants bourgeois étaient incapables de percer les mystères de l’évolution sociale. Paul Lafargue, qui s’est beaucoup intéressé à ce sujet, met bien en évidence cette contradiction : “Même si les savants étaient parvenus à créer dans les milieux bourgeois la conviction que les phénomènes du monde naturel obéissent à la loi de nécessité, de sorte que déterminés par ceux qui les précèdent, ils déterminent ceux qui les suivent, il resterait encore à démontrer que les phénomènes du monde social sont, eux aussi, soumis à la loi de la nécessité. Mais les économistes, les philosophes, les moralistes, les historiens, les sociologues et les politiciens, qui étudient les sociétés humaines et qui, même, ont la prétention de les diriger, ne sont pas parvenus et ne pouvaient pas parvenir à faire naître la conviction que les phénomènes sociaux relèvent de la loi de nécessité, comme les phénomènes naturels ; et c’est parce qu’ils n’ont pu établir cette conviction que la croyance en Dieu est une nécessité pour les cerveaux bourgeois, même les plus cultivés”.12 La science bourgeoise ne pouvait remettre en cause l’élément idéologique servant à légitimer l’exploitation des prolétaires au sein de la société capitaliste. Ce faisant, la classe ouvrière se devait de réagir en donnant ses propres réponses.

(A suivre)
Joffrey


1 Paul Lafargue, Le déterminisme économique de Karl Marx, 1909.

2 Rosa Luxemburg, “Enquête sur l’anticléricalisme et le socialisme”, Le Mouvement socialiste, janvier 1903.

3 F. Engels, Socialisme utopique, socialisme scientifique, Editions sociales, 1973.

4 Contrairement à la noblesse anglaise qui a su faire des compromis et s’intégrer à l’ordre bourgeois.

5 F. Engels, op. cit.

6 Rosa Luxemburg, “Enquête sur le cléricalisme”, janvier 1903.

7 Albert Soboul, Histoire de la Révolution française, Gallimard, 1962.

8 Régime politique qui succède au Directoire et issu du coup d’État du 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte.

9 F. Engels, op. cit.

10 Républicain conservateur, président de la République française à partir d’août 1871. Auparavant, il fut le leader des Versaillais et l’un des instigateurs de la féroce et sanglante répression de la Commune de Paris.

11 L’Univers, 12 décembre 1851.

12 Paul Lafargue, op. cit., dans le chapitre “Origines économiques de la croyance en Dieu chez le bourgeois”.

 

Géographique: 

  • France [14]

Personnages: 

  • Rosa Luxemburg [28]
  • Friedrich Engels [29]
  • Paul Lafargue [30]
  • Napoléon [31]
  • Louis-Napoléon Bonaparte [32]

Evènements historiques: 

  • Révolution française [33]
  • Constitution Civile du clergé [34]
  • Convention [35]
  • Comité de Salut public [36]
  • Concordat [37]

Questions théoriques: 

  • Religion [38]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

Vagues d'attentats : capitalisme et barbarie

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Cinq mois après la tuerie de Charlie hebdo, Yassin Salhi, après la mise en scène répugnante de l’exécution de son patron, tentait de faire exploser une usine en Isère en fonçant avec son véhicule dans des bonbonnes de gaz. Le même jour, sur une plage de la station balnéaire tunisienne de Sousse, un terroriste abattait froidement 39 touristes (deux mois plus tôt, le musée du Bardo, dans la banlieue de Tunis, était déjà le théâtre d’un massacre similaire). Au même instant, une troisième attaque terroriste faisait 27 victimes et plus de 200 blessés dans une mosquée de Koweït-City. Quelques jours plus tard, des attaques à la voiture piégée étaient menées simultanément contre cinq positions de l’armée égyptienne dans le nord du Sinaï. Plusieurs attaques analogues ont eu lieu en Arabie saoudite et au Yémen, ces dernières semaines. Si l’attentat en Isère semble relever de l’initiative spontanée d’un individu vaguement en rapport avec la mouvance djihadiste (Salhi ayant envoyé une photographie de son odieux “exploit” à un certain Yunes-Sébastien qui a rejoint les rangs de l’État islamique en 2014), les massacres de Sousse et du Koweït ont immédiatement été revendiqués par l’État islamique qui sème la terreur dans plusieurs pays arabes.

Un pur produit de la décomposition du capitalisme

Cette vague d’attentats s’inscrit dans la continuité de la période qui s’est ouverte avec ceux du 11 septembre 2001, à New York. La spectaculaire attaque du World Trade Center annonçait alors un enfoncement croissant dans la barbarie. Les récentes tueries de Charlie Hebdo et du supermarché cacher exprimaient quant à elles un pas de plus dans l’irrationalité : il ne s’agissait même pas de représailles ou de pression sur ces autres “machines à tuer” que sont les États, mais de “venger le prophète” pour des dessins ! Si l’attentat en Isère, aussi révoltant que puisse être une exécution à ce point macabre, est loin d’avoir l’ampleur symbolique des attaques de janvier 2015, il n’est pas moins vrai qu’il se situe également dans la continuité de ces derniers ; les motivations djihadistes se mêlant visiblement aux contentieux personnels et à une frustration profonde.1

Mais ce que symbolisent également ces derniers événements, c’est la fréquence accrue et même la banalisation d’une telle barbarie : dans certains pays, comme l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou la Libye, le terrorisme fait presque chaque jour des victimes. Désormais, après les récents attentats en France et au Danemark, il faut s’attendre de l’aveu même de la bourgeoisie, à une recrudescence des attaques terroristes dans les pays centraux du capitalisme. Même si tout cela est forcément utilisé contre la classe ouvrière dans une perspective policière et idéologique, il ne s’agit pas que de mots pour justifier la logique d’un flicage totalitaire. La situation commence à devenir véritablement incontrôlable bien au-delà des frontières où le terrorisme était jusque-là le plus souvent circonscrit.

Cette situation est encore aggravée par le fait que ces attentats, bien que sous l’égide de l’État islamique, ne semblent pas réellement coordonnés. Même s’il y a derrière des réseaux plus ou moins lâches, il s’agit visiblement d’actes individuels ou de groupes isolés qui ont pu surgir spontanément. Ainsi, à la racine de ces actes, il y a clairement l’abrutissement intellectuel et moral, l’obscurantisme, les délires fanatiques et la haine aveugle qui gangrènent la société capitaliste en décomposition. Comme nous l’écrivions dans notre article sur les attentats de Paris, Attentats sanglants à Paris: le terrorisme, une manifestation de la putréfaction de la société bourgeoise [40]: “Aujourd’hui, un peu partout (en Europe aussi et particulièrement en France), de nombreux jeunes sans avenir, au parcours chaotique, humiliés par des échecs successifs, par la misère culturelle et sociale, deviennent les proies faciles des recruteurs sans scrupules (souvent liés à des États ou expressions politiques comme Daesh) qui drainent dans leurs réseaux ces paumés aux conversions aussi inattendues que soudaines, les transformant en des tueurs à gages potentiels ou en chair à canon pour le ‘djihad’. Avec l’absence de perspective propre à la crise actuelle du capitalisme, une crise économique mais aussi sociale, morale et culturelle, avec le pourrissement sur pied de la société qui sue la mort et la destruction par tous les pores, la vie de bon nombre de ces jeunes est devenue à leurs propres yeux sans objet et sans valeur. Elle prend souvent et très rapidement la coloration religieuse d’une soumission aveugle et fanatisée qui inspire toutes sortes de comportements irrationnels et extrêmes, barbares, alimentés par un nihilisme suicidaire puissant. L’horreur de la société capitaliste en décomposition, qui a fabriqué ailleurs des enfants soldats en masse (par exemples en Ouganda, au Congo ou au Tchad particulièrement depuis le début des années 1990), génère maintenant au cœur même de l’Europe de jeunes psychopathes, tueurs professionnels au sang-froid, totalement désensibilisés et capable du pire sans même attendre une rétribution pour cela. Bref, cette société capitaliste en putréfaction, laissée à sa propre dynamique morbide et barbare, ne peut qu’entraîner progressivement toute l’humanité vers le chaos sanglant, la folie meurtrière et la mort. Comme le montre le terrorisme, elle ne cesse de fabriquer toujours plus nombreux des individus totalement désespérés, broyés et capables des pires atrocités ; fondamentalement ces terroristes, elle les façonne à son image. Si de tels ‘monstres’ existent c’est parce que la société capitaliste est devenue “monstrueuse”. Et si tous les jeunes qui sont affectés par cette dérive obscurantiste et nihiliste ne s’enrôlent pas dans le “djihad”, le fait que beaucoup d’entre eux considèrent comme des “héros” ou des “justiciers” ceux qui ont franchi ce pas constitue bien une preuve du caractère de plus en plus massif du désespoir et de la barbarie qui envahit la société”. Car, en effet, la montée en puissance du fanatisme religieux comme celle des populismes, les innombrables massacres perpétrés par des bandes armées fanatisées et mafieuses telles que l’État islamique, Boko Haram, AQMI et consorts, comme la fuite en avant guerrière et incontrôlable des grandes puissances impérialistes, tout cela est l’expression, avec bien d’autres manifestations, du pourrissement sur pied de la société capitaliste, de l’incapacité objective de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective conjuguée aux immenses difficultés que rencontre la classe ouvrière à défendre ouvertement la sienne.

La bourgeoisie instrumentalise les attentats au profit de sa domination de classe

Après les attentats de janvier 2015, les rassemblements gigantesques de solidarité étaient aussitôt récupérés par l’État sous le patronage des “valeurs républicaines” afin de mieux justifier les opérations militaires de l’impérialisme français et les mesures de flicage, tout cela au nom de la “liberté d’expression” et de la “sécurité des Français”. L’exécution perpétrée par Salhi et l’attaque de Sousse, où les touristes occidentaux étaient visés, ont pareillement été l’occasion d’une instrumentalisation sans vergogne par le gouvernement “socialiste”.

Alors que l’intense propagande autour de “l’esprit du 11 janvier”, où le Parti socialiste fit applaudir les forces de répression et vanta “l’unité nationale”, n’a pas complètement levé toute résistance face à l’offensive sécuritaire du gouvernement, l’attentat en Isère permettait de nouveau une même instrumentalisation à des fins idéologiques. Après le déploiement massif et ultra-médiatisé des forces de l’ordre et de l’armée dans les rues, la loi sur le renseignement devait fournir une légitimation “démocratique” au renforcement des mécanismes de surveillance que l’État utilise depuis de nombreuses années. Le critique démocratique ronronnait tranquillement avec, d’un côté, les défenseurs inconditionnels de la loi, de l’autre, ceux qui réclamaient un cadre juridique prétendument plus contraignant afin de protéger les “libertés individuelles”. Seulement, comme la loi sur le renseignement prévoit entre autres choses de prévenir “les atteintes à la forme républicaine des Institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution de groupements dissous”, ou encore la défense “des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la France”, le projet est apparu pour ce qu’il est : la légalisation de la surveillance généralisée et la criminalisation de toute expression de lutte contre la dictature capitaliste. Avec l’attentat de Yassin Salhi, la bourgeoisie a ainsi pu alimenter un peu plus le climat d’anxiété et de suspicion pour faire unanimement acclamer sa loi “difficile mais nécessaire” en jouant sur les émotions.

Cependant, c’est surtout sur le plan impérialiste que la bourgeoisie exploite à fond cette série d’attentats. Paré des hypocrites vertus démocratiques et civilisationnelles, le gouvernement a trouvé une nouvelle occasion à exploiter pour justifier un engagement guerrier plus marqué dans le monde. Que la France ait armé bien des groupes terroristes, qu’elle ait un rôle actif dans les nombreux conflits qui ont plongé la planète dans le chaos et le sang, tout cela est honteusement dissimulé. Ne reste que “la défense de la civilisation contre la sauvagerie terroriste”, c’est-à-dire la défense d’une abominable machine à tuer contre une autre. Ainsi, alors que l’État français s’implique militairement au Moyen-orient, il n’est pas anodin que le Premier ministre socialiste, Manuel Valls, ait repris la théorie des “faucons néo-conservateurs” américains selon laquelle nous assisterions au “choc des civilisations”. Ce mensonge éhonté vise à préparer les esprits aux aventures guerrières présentes et futures, mais en plus, il permet de façon plus immédiate de diviser davantage les ouvriers, en favorisant les replis communautaristes (bref, en stigmatisant ceux qui appartiennent à “l’autre civilisation à combattre”).

Il n’y a aucune illusion à se faire : au nom de la “lutte contre le terrorisme”, l’impérialisme français prépare la répression et sèmera encore la mort dans de nombreuses régions du monde. Seule la classe ouvrière internationale, en jetant tout son poids et sa volonté révolutionnaire dans la balance, pourra offrir une réelle perspective pour l’humanité.

S.W., 4 juillet 2015


1 Et pourtant, ceux qui commettent ces atrocités, ces humains et non ces “monstres” comme se plaisent à les nommer les médias, ont besoin d’être dans un état second pour appuyer sur la détente, comme lors d’un suicide. La mère du gamin-terroriste qui a frappé en Tunisie a ainsi parlé d’un véritable lavage de cerveau qui a poussé son fils à commettre le plus horrible. Un récent reportage sur France 5 soulignait que la plupart de ces meurtriers étaient sous l’emprise d’une drogue appelée “captalon” (ou “pilule de Daesh”). Il s’agit d’une sorte de “pare-balle chimique” qui permet d’aller au combat comme lobotomisé et en se sentant invincible.

 

Géographique: 

  • Tunisie [41]
  • France [14]

Personnages: 

  • Yassin Salhi [42]

Récent et en cours: 

  • Attentats [43]

Rubrique: 

Décomposition du capitalisme

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