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ICConline - décembre 2014

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L’internationalisme prolétarien, seul antidote au poison nationaliste (courrier de lecteur)

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Nous publions, suite à un premier courrier disponible sur le site du CCI,[1] la réponse des "camarades algériens" à notre principale critique qui portait sur la question du nationalisme. Nous saluons cette nouvelle contribution qui prend en compte les arguments avancés pour faire vivre et progresser le débat. Nous pensons que la confrontation des idées au sein du milieu révolutionnaire doit s'établir ainsi, sur des bases franches et directes, sans défense, ni attaque des personnes, afin de permettre une réelle clarification. Cette manière de débattre est vitale et constitue une des dimensions essentielles du combat pour la lutte de classe et le futur révolutionnaire.[2] La démarche des camarades dans cette nouvelle contribution est fructueuse parce qu'elle s'inscrit dans cette tradition en faisant référence à l'expérience du mouvement ouvrier et à l'histoire. Le regard critique qu'ils portent en revenant sans concession sur ce qu'ils reconnaissent comme une erreur de leur part nous conduit à la racine du problème. Comme le reconnaissent les camarades : "Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat". Ni les organisations communistes, ni les révolutionnaires ne sont, selon les termes des camarades, "étanches aux influences de notre société". L'organisation révolutionnaire est un corps étranger au sein du capitalisme, en guerre contre celui-ci. Elle subit de manière constante les pressions et les agressions de l'idéologie dominante.

En tentant d'approfondir la question, les camarades soulignent justement ceci : "nous avons réfléchi profondément à cette question et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires". Le nationalisme a, en effet, toujours été une idéologie étrangère très puissante et aucune organisation, ni aucun militant ne sont immunisés. Mais nous pensons que les camarades, entraînés par la dynamique de leur pertinente réactivité, adoptent une démarche un peu schématique lorsqu'ils affirment ceci : "Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays". Les camarades paraissent un peu prisonniers d'une vision statique et trop catégorique. Si bien des faiblesses ont présidé à l'émergence des trois Internationales ouvrières qui se sont succédées, ces dernières étaient avant tout et dès le départ le produit d'un effort et d'un combat internationaliste du prolétariat. Le fait qu'on puisse considérer que les Internationales n'étaient "pas aussi internationalistes que ça" risque, si on n'y prend pas garde, d'occulter la réalité historique de tout un combat en faveur de l'internationalisme. Le danger serait de rejeter certains apports du passé en projetant sur celui-ci le fruit de ce qui est davantage l'aboutissement d'un processus fait d'expériences organisationnelles que la Gauche communiste, en particulier la Gauche italienne, synthétisa plus tard. Ceci étant, les camarades ont tout à fait raison de souligner la réalité des faiblesses importantes qui pesaient sur les organisations du passé et leurs "partis nationaux" qui "n'étaient pas des sections des Internationales mais indépendants les uns des autres". Mais cela ne doit pas occulter la réalité d'un combat constant en faveur de l'internationalisme, même s'il a surtout été incarné par les minorités les plus claires et les plus déterminées qui se sont élevées contre le poison idéologique du nationalisme.[3] Tout ceci reste naturellement à approfondir. Mais le souci des camarades soulignant que "les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial" est aujourd'hui profondément valable.

La seconde partie de cette contribution revient de façon critique sur la question de la médecine qui avait été abordée pour insister sur le fait que le capitalisme traite les ouvriers comme des objets, comme de simples machines à produire et qu'il faut "réparer". Les camarades ont raison de dire : "Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre". Pour autant, il nous semble réducteur, et même erroné, de considérer que le capitalisme décadent cesse complètement de poursuivre ses avancées scientifiques, y compris sur le plan médical. Les camarades se sont expliqués en soulignant qu'ils avaient "trop exagéré". Nous comprenons ainsi mieux ce qu'ils veulent dire quand ils affirment que "les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine", bien loin de l'approche du célèbre Hippocrate. Les progrès réalisés aujourd'hui témoignent de tout un potentiel et il nous semble peut être plus juste de le considérer comme stérilisé par les limites du mode de production capitaliste. Soumises à la loi du profit, toutes les découvertes les plus impressionnantes sont nécessairement insuffisantes pour guérir les maux toujours croissants et insoutenables générés par la société bourgeoise. Sur ce plan, les camarades ont parfaitement raison. Seul le communisme pourra faire fructifier les connaissances en permettant à la société de réaliser un bond fantastique. C'est ce que suggèrent aussi les camarades avec leurs propres mots de conclusion que nous soutenons aussi. Nous encourageons bien entendu à poursuivre la réflexion et le débat sur ces questions qui touchent à la vie du prolétariat.

RI (décembre 2014)

Courrier de lecteurs

Chers(es) camarades,

Tout d'abord, nous tenons à remercier les camarades du CCI d'avoir publié notre texte. Nous sommes aussi ravis des remarques et critiques qui nous ont été faites et que nous considérons comme importantes.

La première critique sur le nationalisme

La première, la plus importante, celle concernant notre appel aux prolétaires algériens seulement. Ici la critique du CCI est capitale, mais notre geste s'explique facilement.

Paradoxalement, nous sommes profondément internationalistes et internationaux mais comme disait Marx/Engels, nous sommes les produits de notre temps et de notre espace. Malgré notre internationalisme intransigeant, on n'est pas étanche aux influences de notre société, comme disait Hegel : "tu ne peux pas être mieux que ton temps, mais au mieux, tu seras ton temps".

Individuellement, nous ne pouvons échapper à cette loi, le seul moyen d'y échapper c'est une organisation ou un parti. La preuve, nous avons commis une bêtise et on a été vite corrigé par une organisation. Chose qu'un individu peut ne pas remarquer. Nous profitons pour souligner que notre soucis, c'est le prolétariat mondial, et qu'il y a un prolétariat et il est mondial.

Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, …etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat. Les trotskistes algériens (PT et PST) sont des fervents défenseurs du patriotisme économique, on vous laisse imaginer la conception des staliniens algériens. Comme nous sommes un petit groupe, même pas organisé, on tombe facilement dans les limites fixées par le capitalisme. Mais grâce à votre critique, nous avons réfléchi profondément à cette question, et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires.

Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays.

Inconsciemment, les communistes d'alors, même s'ils étaient profondément internationalistes, se sont organisés de manière nationale dans une Internationale. Les partis communistes ou socialistes de cette époque-là étaient des partis nationaux, des partis de telle ou telle nation et ils avaient une liberté vis-à-vis de l'Internationale et surtout, ils n'étaient pas des sections des Internationales mais des partis indépendants les uns des autres.

Seule la Gauche communiste d'Italie avait essayé de corriger ça en se donnant le nom du "Parti Communiste d'Italie" pour signifier que c'est une section locale de la 3ème Internationale, que les staliniens "Gramsci en tête" ont vite changé le nom en "parti communiste italien".

Nous pensons qu'à l'avenir, les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial et non en une Internationale, et que dans chaque pays, il y aura, non pas des partis indépendants les uns des autres mais, des sections locales du parti communiste mondial.

Donc, nous renouvelons cette phrase ; "prolétaires de tous les pays, unissez-vous".

Passons maintenant à la deuxième critique concernant la médecine

Il est vrai que nous avons trop exagéré, peut-être parce que nous sommes algériens ou méditerranéens, en disant que la médecine n'a rien apporté à l'humanité avec l'avènement du capitalisme. Mais ce que nous voulons démontrer à travers les citations, et même la démographie le dit, c'est que, lorsqu'on dit que l'espérance de vie au Moyen-Age était de 40 ans, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes qui vivaient jusqu'à 80 ans et plus, car l'espérance de vie est une moyenne qui va de la naissance, âge 0, jusqu'à la mort.

Nous voulons aussi montrer comment la bourgeoisie se ridiculise en se comparant au Moyen-Age, à l'Antiquité et aux hommes primitifs, alors qu'elle prétend que, grâce à elle, l'humanité a atteint le summum du progrès. Franchement elle ne se ridiculise pas ?

Pourquoi nous avons dit que la médecine n'a rien apporté pour l'humanité ?

Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre.

La médecine d'aujourd'hui a éliminé les maladies des anciens modes de production (les maladies infectieuses, même si certaines maladies reviennent et sévissent encore).

Par contre, concernant les maladies dites de la civilisation que le capitalisme a engendrées, la médecine reste impuissante et les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine.

Il y a 2500 ans, Hippocrate disait dans son article, Des airs, des Eaux et des Lieux : "Le médecin qui fait honneur à sa profession est celui qui tient compte, comme il convient, des saisons de l'année et des maladies qu'elles provoquent ; des états du vent propres à chaque région et de la qualité des eaux ; qui observe soigneusement la ville et ses environs pour voir si l'altitude est faible ou importante, si le climat est chaud ou froid, sec ou humide ; qui, en outre, note le genre de vie et, en particulier, les habitudes alimentaires des habitants, bref toutes les causes qui peuvent entraîner un déséquilibre dans l'économie animale.". Voilà ce que nous appelons médecine. Hippocrate savait que la santé et l'environnement sont liés. Ils forment un tout indissociable. Il y a une interaction entre biologie, écologie, le socio-culturel, les valeurs culturelles, le socio-économique, et le psychologique. Ils forment une chaîne associative complexe.

Mais l'idéologie du progrès dans la société capitaliste a limité la médecine au biologique, aux vaccins pour protéger les populations. On tombe malade puis on nous soigne (s'ils peuvent), le contraire d'Hippocrate. Pour la médecine d'aujourd'hui : "un facteur pathogène, une maladie".

La pensée des médecins d'aujourd'hui est biologique, celle d'Hippocrate est écologique, culturelle, environnementale, socio-culturelle, biologique, psychologique et socio-économique.

La pensée d'Hippocrate a toute son importance aujourd'hui avec l'apparition des maladies dites de civilisation pour ne pas dire les maladies du capitalisme. Mais comme capitalisme et environnement sont incompatibles, alors on est dans le caca.

Aujourd'hui, il y a de plus en plus de maladies qui surgissent et qui touchent une infime partie de la population et qu'on surnomme soit "maladies rares" soit "maladies auto-immunes".

Ces maladies seront les maladies de tout le monde demain. Ce sont des maladies modernes, générées par le capitalisme. Elles vont se généraliser, elles ne seront plus des maladies rares et ce jour-là, le cancer paraîtrait comme un rhume face à ces maladies ou comme un pipi de chat.

C'est en 1992 et face à l'apparition de ces maladies (rares et auto-immunes) et à la progression des maladies dites dégénératives comme le cancer, les dépressions, l'Alzheimer…etc. que l'OMS a recommandé le retour à la conception d'Hippocrate.

Engels avait émis une critique formidable de la ville industrielle, il a su anticiper les dangers de l'urbanisme moderne.

Le désordre et les maladies ont été expliqués par Engels par l'ordre capitaliste. Il a montré les effets néfastes : sur la santé physique (habitat insalubre, distance travail/résidence, fatigue), sur la santé morale (ségrégation, stress, monotonie…), sur la santé sociale (délinquance, violence, vandalisme, alcoolisme…).

Le cadre impersonnel et aride, la laideur, la grande mobilité résidentielle des personnes dans l'habitat insalubre, expliquent la vulnérabilité à la maladie, à la détresse morale et aux troubles psychologiques.

L'aliénation sociale explique la montée des suicides et de la violence contre les personnes.

Les conditions urbaines (manque d'espace, trop de travail, de bruit…) expliquent le stress qui surmène l'organisme et suscite des effets psychologiques qui peuvent engendrer : des ulcères d'estomac, des dépressions, des cancers, des maladies rares et des maladies auto-immunes, etc.

Enfin, dans la ville, il n'y pas de vie socio-affective, les gens sont atomisés, le cadre de vie est impersonnel et aride. L'enfant est à l'école ou à la crèche, l'adulte produit et le vieillard attend la mort dans une maison de retraite.

Seul une société communiste, débarrassée de la logique du profit, peut appliquer les principes d'Hippocrate en les combinant aux avancées de la médecine d'aujourd'hui grâce à la biologie.

Car Capitalisme = Pollution "Des Airs, des Eaux et des Lieux" = Maladies.

Salutations révolutionnaires. Amicalement,

Les camarades algériens, lecteurs de Révolution Internationale (RI)



[1]              Lire : ‘Une dénonciation des dégâts du capitalisme sur la santé des travailleurs [1]’.

[2]             Lire notre article : ‘La culture du débat : une arme de la lutte de classe [2]’, Revue internationale n° 131.

[3]             Lire l'article : ‘La nature de classe de la social-démocratie [3]’, Revue internationale n° 50.

 

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [4]

Rubrique: 

Contributions et témoignages

Massacre d'étudiants au Mexique: le vrai visage du capitalisme pourrissant

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Le 26 septembre dernier, dans l'État de Guerrero au Mexique, situé à environ 400 km au sud de Mexico, des étudiants de l'École Normale d'Ayotzinapa se sont rendus à Iguala, ville distante de 250 km, pour préparer avec d'autres une manifestation devant avoir lieu la semaine suivante, le 2 octobre, en mémoire du massacre des étudiants en 1968 sur la place des Trois-Cultures de la capitale  (Tlatelolco). Cette commémoration se déroulait en parallèle à la mobilisation massive et spontanée des étudiants de l'École Polytechnique qui protestent actuellement contre une réforme du système éducatif qui, entre autres attaques, va les léser particulièrement en rabaissant leur future qualification professionnelle, et donc aussi leur futur salaire, en les faisant passer du statut d'ingénieur à celui de technicien.

Au retour, pour ne pas payer leur déplacement, les jeunes d'Ayotzinapa ont "emprunté" un autobus. Ils ont alors été pris en chasse et mitraillés par la police municipale d'Iguala. Cette fusillade a fait 6 morts parmi les jeunes. Quelques-uns ont pu s'enfuir mais les 43 autres ont été capturés et immédiatement livrés au gang mafieux "Guerreros Unidos"[1], sur ordre téléphonique du maire d'Iguala, membre du PRD[2] et sous le couvert du gouverneur de l'État, lui aussi membre du PRD. Les narcotrafiquants se sont alors chargés de "faire disparaître" les étudiants.

Quelques jours plus tard, à proximité du lieu de la fusillade, un charnier visiblement récent a été découvert, dans une fosse commune contenant une vingtaine de cadavres dont certains étaient calcinés — on avait brûlait vifs les corps — et d'autres étaient affreusement mutilés — la peau de leur visage était arrachée — indiquant que les victimes avaient subi les actes de torture et de barbarie les plus abominables qu'on puisse imaginer. Sous couvert de la longue procédure d'identification des corps, la bourgeoisie parle encore hypocritement de "recherche de disparus" alors que le sort de ces malheureux jeunes prolétaires — ils avaient tous entre 17 et 21 ans — ne fait aucun doute.

Depuis lors, c'est un battage quotidien écœurant et assourdissant : d'un côté le gouvernement Peña Nieto et sa clique au pouvoir (le PRI), comme son allié, le PAN, aux côtés du procureur de la République qui diligente l'enquête ont déclaré vouloir "faire toute la lumière" sur les événements et "châtier les coupables" en se posant comme les vrais et seuls défenseurs de la justice (le supposé chef des "Guerreros Unidos" a d'ailleurs été arrêté une quinzaine de jours plus tard avec un zèle triomphal !) tandis que le maire et le chef de la police locale sont en fuite et qu'une vaste campagne populaire et médiatique a été lancée pour réclamer la démission du gouverneur. D'un autre côté, les partis de gauche[3] y compris le PRD lui-même, les syndicats, les organisations gauchistes et une pléiade d'organisations humanitaires (des Droits de l'Homme aux ONG de tout poil)  qui se sont lancés dans une vaste  campagne de ravalement de façade, du style de l'opération "mains propres" en Italie pour réclamer la destitution de tel ou tel politicien convaincu de liens étroits avec les cartels, de tel ou tel policier corrompu, en profitant de l'indignation et de l'émotion suscitées par cet odieux massacre pour essayer d'entraîner derrière eux les parents des victimes, l'ensemble des étudiants, un maximum de prolétaires et la population en général dans un vaste mouvement pour redorer le blason de l'État et relancer les illusions sur un État propre, impartial, défenseur d'une justice au-dessus des classes et garant d'un "droit du peuple" et des exploités tandis que les dirigeants bourgeois et les médias aux ordres du monde entier font mine de s'indigner en pointant du doigt les "dérives" de leurs congénères mexicains et la collusion maintes fois avérée entre les politiques et les trafiquants de drogues pour mieux masquer le degré de pourriture de leur propre corruption et de leurs propres crimes.

En réalité, cet épisode tragique n'est nullement une manifestation aberrante d'une quelconque "dérive" de la bourgeoisie locale ou nationale mais bien une illustration du franchissement d'un pas supplémentaire dans la décomposition du système capitaliste au niveau mondial qui enfonce toute la société dans une barbarie et un chaos croissants, dans la même spirale que l'exacerbation actuelle des conflits impérialistes entre États qui utilisent et manipulent des milices tortionnaires armées, des bandes terroristes de "fous de Dieu" fanatisés, des hordes de nationalistes ou séparatistes rebelles, etc. Cela traduit une gangstérisation généralisée de l'appareil d'État, de la bourgeoisie et de tous ses représentants. La pègre, les bandes armées mafieuses, les narcotrafiquants sont devenus un bras armé régulier de l'État comme instrument de la violence de sa domination et surtout comme organe de répression sanguinaire des mouvements sociaux, comme la police et l'armée, s'exerçant en particulier contre la classe ouvrière et ses luttes, pour le maintien de l'ordre capitaliste. Il est tout à fait significatif que le narcotrafic ou le trafic d'armes qui ont pris une place prépondérante dans le commerce international et dans les économies nationales, installent des bandes armées de narcotrafiquants comme auxiliaires indispensables de toutes les fractions de la bourgeoisie pour assurer leur pouvoir contre leurs rivaux ou pour exercer une répression impitoyable envers toute tentative jugée susceptible de menacer l'ordre établi.

Mais cette évolution implique aussi le rejet absolu de toute valeur morale. Même dans la pègre et la sphère du grand banditisme, étaient conservées naguère, même sous une forme clanique et totalement réifiée un espèce de "code d'honneur", des tabous moraux. Aujourd'hui, ces éléments ont disparu, ils se sont dissous dans ce processus de décomposition sociale, de putréfaction du capitalisme, dominé par l'intérêt immédiat, le "chacun pour soi", la "guerre de tous contre tous", dans un déchaînement de violence, de terreur et de barbarie sans limites. Cette militarisation sociale, cette "banalisation du mal", selon l'expression de la philosophe Hannah Arendt, tend de plus en plus à échapper au contrôle de la bourgeoisie elle-même et prend un caractère irrationnel de plus en plus prononcé. Sous l'oppression et le conditionnement exercés en permanence par le système, elle tend à s'exprimer par l'explosion brutale de pulsions, de "folies" meurtrières, individuelles ou collectives, dans une barbarie aveugle et poussée à l'extrême, dont le Mexique avec ses milliers de "disparitions", ses centaines de fosses clandestines emplies de cadavres n'est qu'une illustration tragique.

Nous publions ci-dessous la traduction d'un tract réalisé au Mexique, rédigé, diffusé et signé par "des prolétaires communistes internationalistes". Nous partageons leur indignation et saluons leur saine réaction authentiquement prolétarienne et internationaliste ainsi que l'essentiel de leur prise de position politique.

CCI

L'État assassin ! La justice ne peut provenir de l'État !

La façon avec laquelle l'État a assassiné des dizaines de personnes à Igualada est déjà bien connue : la police du "mouvement progressiste" a encerclé et ouvert le feu contre les étudiants de l'École normale d'Ayotzinapa. Le reste de la besogne, qui a consisté à assassiner plus de 40 étudiants, à brûler et dissimuler les cadavres, a été mené à bien par un groupe armé lui aussi lié à l'État : le groupe narco, appuyé par la police de la commune d'Iguala. L'indignation et la rage devant cette atrocité est indescriptible, mais immense est aussi l'hypocrisie de tous les partis, ONG et instances officielles et non officielles de l'État.

"Guerre entre État et narcotrafiquants"ou État toujours plus lié au trafic de drogues ?

L'étroite collaboration entre la police du "Mouvement progressiste" et les groupes armés du trafic de drogues ne signifie pas la "pénétration" du "crime organisé" dans l'État, mais révèle plutôt que la bourgeoisie, engluée dans la décomposition du capitalisme et toujours plus aux prises à des luttes internes, doit toujours plus recourir à une extrême violence et à des pratiques criminelles. Le trafic de drogues n'est pas un secteur séparé de la bourgeoisie et les intérêts du narcotrafic n'ont jamais cessé d'être présents dans l'appareil d'État, cette forme supérieure d'organisation de la classe des capitalistes contre la classe ouvrière.

La presse, une des armes de la bourgeoisie, essaie de renforcer l'idée que les policiers d'Iguala étaient le bras armé des "Guerriers Unis", mais qu'à présent, grâce à l'armée et à la gendarmerie, l'ordre était revenu dans les rues. Prolétaires, souvenons-nous ! L'État est une machine de répression d'une classe, une machine pour soumettre et exploiter une autre classe.

La douleur des familles utilisée dans les conflits entre partis et dans leurs luttes internes

La gauche du capital poursuit une stratégie déterminée à travers les médias : laver l'image du PRD, du PT, de Morena, du "Movimiento ciudadano", en vue des prochaines élections. Alors même que les familles des disparus expriment leur souffrance, ces partis, véritables rouages de l'arsenal assassin de la bourgeoisie, montrent du doigt tel ou tel fonctionnaire, tel ou tel policier, mais se gardent bien de dire que l'État, dont ils font partie, est à l'origine de la barbarie que vivent les exploités jour après jour. Tous les partis qui font partie de l'État (et pas seulement le PRI et le PAN) ainsi que ceux qui aspirent à les rejoindre, tentent d'utiliser à leur profit le mécontentement social tout en le combattant par le sang, la mitraille et la prison quand l'occasion se présente.

Sur quel terrain se placent les fameux "droits de l'homme" ?

Les porte-parole de l'État et leurs officines à visage "démocratique", à la solde du gouvernement ou "indépendants", nous rebattent les oreilles sur les "exécutions illégales" pour inculper tel ou tel fonctionnaire corrompu mais, surtout, pour disculper la bourgeoisie comme classe sociale ayant en charge les tribunaux, l'armée, la police et autres bandes criminelles. Pour ces défenseurs de la loi et de l'ordre bourgeois, il suffirait que les exécutions soient prononcées "dans le cadre de la loi". Ils dissimulent ainsi que la violence et la terreur sont en eux-mêmes la manière brutale dans laquelle l'État garantit le bon fonctionnement des affaires de la bourgeoisie.

Les soi-disant "droits de l'homme" se situent donc sur un terrain que la bourgeoisie contrôle de bout en bout. Peu importe qu'ils soient revendiqués par le corps enseignant, les appareils syndicaux, les prétendus "médias libres" ou les irréprochables normaliens. Il faut rompre avec cette vision bourgeoise des choses ! Pour cela, après les simulacres d' "enquêtes", il est important de prévoir les étapes du scénario gouvernemental afin de maintenir la fausse idée que la justice peut venir de la bourgeoisie.

La comédie des "droits de l'homme" n'a pour but que le renforcement de la domination bourgeoise

L'essentiel pour la classe des capitalistes est de maintenir le "prestige" de l'État. La comédie des commissions d'enquête et des "droits de l'homme" suivra le même chemin que celui qu'a suivi la bourgeoisie tout au long de l'historique de ses entreprises criminelles : enquête — procès — appel — sentences – renforcement de l'État. Rappelons le massacre du village de Dos Erres au Guatemala en décembre 1982[4], où l'armée a assassiné plus de 500 hommes, femmes et enfants, où la conclusion de tout ce cirque bourgeois a été une sentence macabre, une vaste arnaque : un "monument" a été érigé par les assassins pour "maintenir la mémoire", des morceaux de papier au sceau de l'État pour acheter, faire taire et rendre complices les parents, et une loi dite de Réconciliation nationale, avec la participation de toute la faune d'organismes défenseurs des "droits de l'homme" et du gouvernement, autrement dit, une loi pour s'assurer de la soumission des parents des victimes à la collaboration de classes, à l'acceptation des termes imposés par les assassins. Une fumisterie pour permettre de laver les mains rougies de sang de l'État et de la classe qu'il sert : la bourgeoisie.

Une seule justice : lutter pour la destruction du capitalisme ! Rompre avec toute collaboration de classes !

L'enlisement dans la misère et l'existence de la société bourgeoise sont la cause d'une décomposition plus grande du capitalisme, qui menace aussi de détruire avec elle les exploités. Pris dans cette situation, le prolétariat a rencontré d'énormes difficultés pour développer des luttes de ses propres mains, pour les étendre et pour rompre avec tout l'appareil politique du capital, qui ne se limite pas seulement à la "droite", mais qui intègre tous les partis, syndicats officiels ou "indépendants", groupes gauchistes qui maintiennent toute expression de lutte dans le cadre de la vision bourgeoise, enchaînant le prolétariat avec encore plus de puissance : le nationalisme, instrument idéologique sur lequel se fonde toute collaboration avec la bourgeoisie.

C'est cette gauche du capital que la classe ouvrière doit démasquer. Les méthodes menant aux impasses du gauchisme maintiennent isolées les luttes et, pour cela même, toute lutte des travailleurs est facilement soumise à la répression. L'impuissance des étudiants prolétaires à être reconnus comme une partie de la classe ouvrière et pour développer des formes propres de lutte, qui ne les isole pas en les séparant du reste de la classe travailleuse, est un autre obstacle à dépasser.

Le pacifisme social-démocrate et la violence minoritaire ont une même origine : la pensée petite-bourgeoise. La seule façon de faire face à la bourgeoisie est la lutte massive, consciente et organisée du prolétariat

La solidarité prolétarienne n'est pas le suivisme aveugle des manifestations et des mots d'ordre, mais la critique sans concession de tout ce qui empêche le développement de la lutte du prolétariat — comme une seule classe à l'échelle mondiale — contre la bourgeoisie, contre l'État, contre le capital. Il lui est indispensable de retrouver les méthodes de lutte qui lui sont propres, étrangères à la violence minoritaire et à l'organisation autoritaire et militariste. Il ne s'agit pas de savoir si les manifestations sont ou non "pacifiques". Il s'agit de leur contenu : savoir si elles contribuent ou non au développement d'une perspective autonome du prolétariat et à sa généralisation ; et par autonomie nous entendons non l'autonomie régionale du petit-bourgeois, mais l'autonomie du prolétariat face aux autres classes. Il s'agit de récupérer, dans l'histoire et l'expérience mondiale de la classe ouvrière, les formes de lutte et les méthodes qui développent vraiment la solidarité avec le reste de la classe ouvrière, sa réflexion et sa lutte sur un terrain de classe. Il est nécessaire, par conséquent, de rompre avec l'idéologie de la martyrologie et la discipline aveugle que prône la FECSM[5], avec le pacifisme social-démocrate des partis et ONG, avec l'isolement qu'imposent tant les syndicats officiels que les "indépendants" ou ceux "de base", avec la violence minoritaire des groupes qui prétendent donner "l'exemple" avec leurs actions individuelles ou minoritaires à ce qu'ils supposent être "de passifs et obéissants ouvriers", parce que l'origine de toutes ces pratiques est, finalement, dans la pensée petite-bourgeoise et dans le cadre de la gauche du capital.

Si la classe ouvrière ne s'organise pas elle-même, si, dès le départ, ne sont pas critiquées toutes les causes de la barbarie, alors toute l'indignation, toute la rage, toute la douleur, toute la force seront dévoyées vers le renforcement de l'État, vers le renforcement de la bourgeoisie.

La "justice" ne viendra pas de nos bourreaux que sont l'État et les multiples fractions de la bourgeoisie.

Il ne s'agit pas de demander justice à l'État, il faut le détruire !

Nous ne réclamons pas les "droits de l'homme", nous appelons à nous organiser nous-mêmes pour satisfaire nos besoins, contre le capitalisme et tout son appareil de gauche comme de droite !

En tant qu'exploités, la meilleure solidarité commence par nous reconnaître comme faisant partie d'une seule et même classe : le prolétariat.

Prolétarios Comunistas Internacionalistas

Avec très peu de ressources, nous faisons un effort pour développer et faire connaître une perspective prolétarienne. Lis, discute et reproduit ce tract.

Sur la perspective que nous défendons, voir sur Facebook :

Izquierda Comunista no es estalinismo ni trotskismo sino Revolución Mundial[6]



[1]              Un des cartels de la drogue semant la terreur dans toute la région et déjà responsable de milliers de morts dans les règlements de compte entre gangs qui sévit avec encore plus d'intensité depuis 2006 et  l'ère du gouvernement Calderon.

[2]              Partido Revolucionario Democratico, parmi les trois grands partis politiques mexicains, c'est celui qui est réputé le plus a gauche, d'inspiration social-démocrate.

[3]              Outre le PRD, on trouve  Morena (Movimiento Regeneracion Nacional) de Andres Manuel Lopez Obrador, ancien candidat à la présidentielle remplissant comme le Front de gauche de Mélanchon en France ou Die Linke de Lafontaine en Allemagne  une fonction de gauche plus radicale dans l'opposition par rapport au PRD,  le Movimiento Ciutadino (Mouvement des Citoyens), d'étiquette plus libérale ou le gaucho-stalinisant PT qui se distingue seulement par sa phraséologie "anti-impérialiste" c'est-à-dire antiaméricaine plus virulente.

[4]              Ce n'est qu'un exemple parmi les 626 massacres recensés de populations civiles perpétrés par les actions des forces spéciales "anti-insurrectionnelles" (déguisés en geurilleros) qui ont fait plus de 200 000 morts au Guatemala entre 1978 et 1983 (NDLR).

[5]              Federacion de Estudiantes Campesinos de México (Fédération des Étudiants en milieu rural du Mexique), syndicat pour les étudiants de l'École Normale mexicaine qui existe depuis 1935

[6]                La Gauche communiste ne se réclame pas du stalinisme ni du trotskisme mais de la révolution mondiale

 

Géographique: 

  • Mexique [5]

Rubrique: 

Décomposition du capitalisme

Réunion publique à Budapest: comment la classe ouvrière a mis fin à la Première Guerre mondiale

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La librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium a invité le CCI à tenir une discussion publique en septembre 2014 à Budapest, comme nous l'avions déjà fait les années précédentes.1 Le CCI a suggéré, pour cette année, de passer le film disponible sur notre site web : "Comment la classe ouvrière a mis fin à la Première Guerre mondiale".

Il y a 100 ans, la classe ouvrière – trahie par ses organisations, les syndicats et les partis socialistes – fut incapable d'empêcher l'éclatement d'une des guerres les plus terribles de l'histoire. Aujourd'hui, la commémoration de la Première Guerre mondiale est une occasion supplémentaire de propagande nationaliste dans ses versions libérales-démocratiques et très patriotiques, voire populistes. Ce qu'on laisse de côté dans la plupart des expositions, documentaires et articles sur la Première Guerre mondiale, c'est la réalité sur la fin de la guerre et sur les causes de l'armistice. Comme l'illustre le film, la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial est un exemple de "secret à la vue de tous". Le matériel pour le film provient de sources largement disponibles sur Internet ; beaucoup de photos viennent de Wikipedia et la vidéo originale de Youtube. Le fait qu'il y ait eu des grèves, des mutineries et des soulèvements à la fin de la Première Guerre mondiale n'est pas vraiment un secret. Le tourbillon révolutionnaire qui a conduit à l'effondrement de l'empire des Habsbourg et à ce que l'Allemagne se retire de la guerre a entièrement été traité par les historiens bourgeois. Le lien entre ces événements et la Révolution russe est aussi bien connu. Malgré cela, le simple fait qu'il y ait eu une vague mondiale de luttes ouvrières, comme le dit le film, "du Canada à l'Argentine, de la Finlande à l'Australie, de l'Espagne au Japon", et que ces luttes aient été d'une manière ou d'une autre, consciemment ou inconsciemment, inspirées par la prise du pouvoir politique par les ouvriers russes en octobre 1917 ; ce simple fait est encore un secret, un fait que la bourgeoisie mondiale fait toujours très attention de dissimuler. Pourquoi ? Parce que, comme le dit également le film, pendant quelques brèves années, ces luttes ont ébranlé le monde capitaliste jusque dans ses fondations. La bourgeoisie d'aujourd'hui, malgré toutes les difficultés du prolétariat, le manque apparent de luttes, l'avancée de la crise et de la décomposition, a toujours peur de ce que peut inspirer l'exemple de la première vague révolutionnaire.

Après avoir montré le film, nous avons proposé que la discussion ne porte pas que sur les événements historiques mais aussi sur les guerres dans la phase actuelle de l'ordre mondial capitaliste et sur le rôle de la classe ouvrière aujourd'hui. Les thèmes proposés pour le débat qui suivait étaient : nationalisme/internationalisme ; Est-ce qu'une nouvelle guerre mondiale est à l'ordre du jour ? Sommes-nous face à un futur avec moins de guerres ? Quelles sortes de guerres sont menées aujourd'hui ? Quelles ont été les faiblesses de la première vague révolutionnaire de 1917-23 ? Quelles sont les difficultés pour la classe ouvrière et ses militants révolutionnaires aujourd'hui ?

La débat a été, comme toujours à Budapest, très vivant et très imprégné du sérieux de l'audience. Ce n'est pas évident d'assister à une discussion publique sur les perspectives de société sans classe dans un pays dont les habitants ont subi pendant 40 ans un soi-disant socialisme (1949-1989) et dont le gouvernement actuel s'est, et cela depuis longtemps, ouvertement fondé sur le chauvinisme hongrois. S'intéresser à une telle réunion dans ces circonstances politiques générales demande d'avoir une attitude "à contre-courant". La situation économique en Hongrie est pire que dans la plupart des pays antérieurement "socialistes" en Europe de l'Est (Pologne, Pays baltes membres de l'UE, République tchèque, Slovaquie) et la combativité de la classe ouvrière n'est pas plus visible que dans les autres pays. L'assistance était donc plutôt politisée, "éduquée" politiquement et culturellement, au courant de l'histoire du mouvement ouvrier et en recherche de clarification dans un débat ouvert – d'un point de vue prolétarien.

 

Les questions sur la vague révolutionnaire

Les questions posées dans la discussion ont d'abord porté sur les faits historiques et l'évaluation politique des événements : sur le soulèvement de Shanghai en 1927, le conseil ouvrier de Limerick en Irlande en 1920, la République slovaque des Conseils en mai/juin 1919.

Le film dit : "en 1927, plus d'un million d'ouvriers à Shanghai ont déclenché une insurrection armée et ont pris le contrôle de la ville. L'insurrection est de nouveau brutalement écrasée par les nationalistes dans un bain de sang". Un participant voulait en savoir plus sur ces événements. La réponse donnée par le CCI a souligné le caractère de classe authentique de l'insurrection, isolée, mais héroïque, à Shanghai en mars 1927. Ces luttes, qui étaient encore une expression de la vague montante, un "dernier souffle de la révolution mondiale" comme nous le disons dans un article2, se sont déroulées au sein de la vaste étendue de la Chine dont la classe ouvrière passait par une phase de fermentation révolutionnaire. La politique de la faction dominante de Staline en Russie vis-à-vis du Parti Communiste chinois consistait en l'établissement d'un front "anti-impérialiste" avec le Kuomintang3 bourgeois luttant pour la "libération nationale" de la Chine. Sous la pression des staliniens, le PCC a ordonné aux ouvriers de donner leurs armes au Kuomintang qui, par la suite, a assassiné les ouvriers avec ces armes. Le Kuomintang a donc brutalement mis fin à l'émeute ouvrière de Shanghai, après que le PCC a dit aux ouvriers de faire confiance à l'armée nationale du leader du Kuomintang, Chang-Kai-Chek. Ce qui suivit, et que les maoïstes appellent la préparation de la "révolution" de 1949, n'a en fait été qu'une longue guerre entre différentes armées bourgeoises, qui ont conduit à la prise du pouvoir par Mao et le PCC en uniformes militaires.

Un camarade dans l'assistance a posé la question de pourquoi il n'y a rien dans le film sur le soviet de Limerick de l'été 1920. En fait, un film de 23 minutes sur toute la dimension internationale de la vague révolutionnaire ne pouvait être complet, il y a nécessairement beaucoup de luttes qui n'ont pu être citées et beaucoup de questions vitales qui n'ont pu être abordées – un film n'est ni un article ni un livre. Mais il vaudrait certainement le coup de tirer les leçons de l'exemple irlandais d'une lutte ouvrière auto-organisée – et du rôle du nationalisme (IRA, Sinn Fein) dans l'écrasement de ce mouvement.4

On peut dire la même chose à propos du soutien apporté à la république slovaque des conseils en juin 1919 par l'armée rouge hongroise. Ces événements sont bien enregistrés dans les mémoires des gens politisés en Europe centrale de l'Est, mais pas traités en profondeur dans le film. La délégation du CCI ne pouvait faire référence aux événements concrets en Slovaquie en 1919 du fait d'un manque profond de connaissance des faits historiques mais sur l'aspect militaire de la question, elle a insisté sur ce principe : les moyens militaires ne peuvent remplacer la conscience et l'activité propre de la classe ouvrière, comme l'a montré l'échec en 1920 de l'offensive de l'Armée Rouge (russe) en Pologne.

 

La social-démocratie avant 1914.

Une discussion plus longue a tourné autour de la nature de la social-démocratie avant 1914 et pendant la Première Guerre mondiale. Un camarade a résumé une critique faite par plusieurs participants à la position du CCI (présente aussi dans le film) sur la "trahison de la social-démocratie". Le CCI défend la position selon laquelle la plupart des partis membres de la deuxième Internationale ont trahi la classe parce que ces partis ouvriers du XIXe siècle ont déclaré à plusieurs reprises avant 1914 leur attachement au principe de l'internationalisme (défendre la classe et pas l'Etat national). Cependant, la plupart des leaders de la majorité de ces partis ont trahi ce principe en soutenant ouvertement leur bourgeoisie nationale les premiers jours d'août 1914 quand les crédits de guerre ont été votés au parlement et que le désastre a commencé. Contre cette vision des choses, le camarade qui défendait une position divergente, disait que la notion de trahison n'avait pas de sens, parce que la "social-démocratie n'a jamais été pour la révolution". Selon ce raisonnement, les partis de la IIème Internationale étaient des partis ouvriers, mais pas des partis révolutionnaires parce que la classe ouvrière dans cette période d'avant-guerre n'était pas révolutionnaire ; les partis sociaux-démocrates étaient une expression de la faiblesse de la classe à cette époque, et celle-ci n'était pas qu'une victime de la trahison mais y avait pris part. Un autre camarade s'est référé, dans la même discussion, à l'enthousiasme pour la guerre au début de la Première Guerre mondiale et au fait que le SPD (en Allemagne) était déjà lié à l'Etat capitaliste par sa fraction parlementaire importante.

Il y a des aspects différents dans cette discussion. Le CCI défend le cadre général de l'ascendance et de la décadence du capitalisme et de tâches différentes pour les révolutionnaires dans les différentes périodes. Les partis sociaux-démocrates de la période ascendante, qui finit avec la Première Guerre mondiale, luttaient pour des réformes au sein du capitalisme ET pour la révolution, comme Rosa Luxembourg l'a souligné en 1989 dans sa polémique "Réforme sociale ou Révolution ?" contre un camarade du parti, Edouard Bernstein. Les partis ouvriers de cette période comprenaient donc différents courants, depuis les ouvertement réformistes et étatistes jusqu'au courants révolutionnaires comme ceux autour de Luxembourg, Lénine, Pannekoek, Bordiga, etc. En 1914, les dirigeants de la plupart des partis sociaux-démocrates étaient effectivement du côté de la bourgeoisie nationale – et ont ensuite trahi en théorie et en pratique les principes internationalistes des congrès de Bâle et de Stuttgart de la IIe Internationale. Pendant la guerre, les fractions révolutionnaires ont préparé la formation de la IIIe Internationale puisque la seconde s'était effondrée dès le début de la guerre mondiale à cause de la trahison de la plupart de ses partis membres.

Un autre aspect de cette discussion est la question : dans quelle mesure nous considérons-nous nous-mêmes comme faisant partie de la tradition révolutionnaire de la période précédente ? Dans quelle mesure partageons nous un héritage commun de principes et de méthode, de concepts communs ?

Les camarades dans l'assistance qui ne partageaient pas le cadre historique de l'ascendance et de la décadence du capitalisme ont insisté sur le manque de "programme communiste" dans la social-démocratie, disant que même sans la trahison de ses dirigeants, elle aurait été liée au réformisme et à l’Etat capitaliste bourgeois. Mais malgré ce cadre historique différent, il y avait une préoccupation générale dans la discussion de voir la classe ouvrière et son avant-garde révolutionnaire dans leurs rapports mutuels : les faiblesses de la classe en ce qui concerne son auto-organisation, mais aussi les faiblesses théoriques des communistes et des anarchistes internationalistes de cette période.

Un jeune participant, qui se référait à la situation en Hongrie en 1919, a dit que la prise du pouvoir au nom de la classe ouvrière avait été accomplie par les dirigeants sociaux-démocrates et du Parti communiste et pas du fait de l'activité spontanée du prolétariat auro-organisé. Un autre participant à la réunion a souligné le fait que le parti communiste créé en Hongrie à l'automne 1918, était composé de courants très différents (marxistes, syndicalistes, prisonniers de guerre revenant de la Russie révolutionnaire et d'autres) et que son programme était éclectique.

 

Les guerres d'aujourd'hui

et les mouvements de classe

Dans la dernière partie de la discussion, des questions ont été soulevées sur les événements actuels. La plupart des participants au débat semblaient être d'accord pour estimer que le danger de guerre allait croissant aujourd'hui. La spirale de bains de sang qui enfle en Syrie, Irak, et Ukraine est trop évidente. Un participant a dit que la violence et la guerre renforcent leur emprise de la périphérie vers le centre du pouvoir capitaliste. S'il y avait une divergence dans cette partie de la discussion, c'était probablement sur la question de l'irrationalité croissante des guerres de la décomposition d'aujourd'hui, par exemple dans les zones revendiquées par l'État Islamique (EI), d'autres participants ont répondu que même ces guerres profitent à certains capitalistes et même au capitalisme dans son ensemble. Mais là, nous parlons de deux différentes sortes de rationalités : d'un côté, la rationalité du profit pour certains capitalistes particuliers, de l'autre, la rationalité d'une espèce qui a besoin de devenir pleinement humaine.

La dernière question soulevée dans la discussion était : pourquoi les ouvriers n'ont-ils pas rejoint le mouvement Occupy ? Notre réponse a été que même si beaucoup de gens qui se rassemblaient sous cette bannière, en 2011/2013, appartenaient à la classe ouvrière, le mouvement dans son ensemble ne pensait pas à étendre sa lutte à la classe ouvrière, sauf dans quelques cas limités en Espagne et en Californie. La plupart des manifestants Occupy ne se concevaient pas eux-mêmes comme des prolétaires, bien qu'ils l'aient souvent été. La difficulté de la classe à développer une identité de classe avait déjà été un thème de la discussion à Budapest en 2010. C'est une partie de la conscience au sein de la classe qui doit mûrir. Sans cette conscience de lui-même du sujet révolutionnaire, le saut vers une société nouvelle et réellement humaine ne sera pas possible.

Il est intéressant – de toute façon - que dans les discussions à Budapest, une question que nous entendons souvent en Europe de l'Ouest, c'est-à-dire la question de l'existence d'une classe ouvrière, ne soit jamais posée. Là, la nécessité d'une réponse de classe n'est jamais mise en question. Il semble qu'il y ait un concept commun de ce qu'est la classe ouvrière, de ses caractéristiques et de ses responsabilités.

Nous voulons encore remercier la librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium pour l'invitation à mener une discussion publique et l'assistance pour le débat qui ne peuvent que renforcer mutuellement nos forces et nos capacités.

CCI, septembre 2014

  1. 1 Voir, par exemple, notre article de novembre 2010 : Réunion publique à Budapest : crise économique mondiale et perspective de la lutte de classe. [https://fr.internationalism.org/icconline/2010/12/reunion-publique-hongrie] [6]

  1. 2 Chine 1927 : Dernier souffle de la révolution mondiale. [https://en.internationalism.org/icconline/2007/china-march-1927] [7]

3(3) Parti nationaliste chinois

4(4) Le républicanisme irlandais : une arme du capital contre la classe ouvrière. [https://en.internationalism.org/wr/231_ira.htm] [8]

 

Evènements historiques: 

  • Première guerre mondiale [9]

Rubrique: 

Contributions et témoignages

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/node/9158

Links
[1] https://fr.internationalism.org/icconline/201410/9141/denonciation-des-degats-du-capitalisme-sante-des-travailleurs-courrier-lecteur [2] https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [3] https://fr.internationalism.org/french/rinte50/decadence.htm [4] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs [5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique [6] https://fr.internationalism.org/icconline/2010/12/reunion-publique-hongrie] [7] https://en.internationalism.org/icconline/2007/china-march-1927] [8] https://en.internationalism.org/wr/231_ira.htm] [9] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/premiere-guerre-mondiale