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Revue Internationale no 67 - 4e trimestre 1991

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Crise économique : crime, mensonges et misère

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Durant l'année 1991, la crise est passée au second plan des préoccupations, occultée par la guerre dans le Golfe et les massacres qu'elle a causé, par le développement de la guerre civile en Yougoslavie, et évidemment par les événements de l'été en URSS. Cepen­dant, cela ne signifie certainement pas que cet aspect de l'évolution dramatique de la situation internationale soit devenu secon­daire ou, comme voudrait le faire croire la classe dominante, que sur ce plan, les choses, finalement, n'Iraient pas aussi mal que ça. L'économie mondiale s'enfonce dans la récession, et toutes les mesures mises en avant par les différents gouvernements par­viennent de moins en moins à freiner cette plongée irrésistible. La chronique écono­mique de l'été 1991 est, à cet égard, très révélatrice.

La crise financière qui se développe depuis plusieurs années, et dont témoignent les faillites bancaires en série, est particulièrement significative de la crise du capital et des limites des moyens mis en oeuvre pour y remédier. Le développement gigantesque du crédit, c'est-à-dire de l'endettement, a été le moyen essentiel pour maintenir la production à flot en créant des débouchés artificiels et pour entretenir, durant les années 1980, l'illusion de la croissance et du boom économique. Le système financier international, donc les banques, ont été au coeur de ce processus. Elles payent aujourd'hui les pots cassés. Les montagnes de crédits qu'elles ont généreusement octroyé ne sont plus remboursés par des clients insolvables, et leurs bilans qui virent au rouge ont été encore plus gravement dégradés par l'effondrement de la spéculation boursière et immobilière dans laquelle elles s'étaient engouffrées.

Derrière les scandales qui, depuis des mois, secouent le monde bancaire et qui vont en s'accroissant, c'est en fait la réalité du développement de la crise finan­cière et l'annonce d'un prochain séisme de première grandeur au coeur du système financier international qui s'annoncent. Les banques sont au coeur du fonc­tionnement du capitalisme, le symbole même de l'argent, du capital. Elles sont le système sanguin, proche du centre de décision de l'Etat, qui irrigue, en finançant et en permettant l'échange, tout l'organisme capitaliste. La forme scandaleuse que prennent les faillites bancaires n'est pas seulement liée au fait que la classe dominante utilise le scandale pour faire croire à l'exception et, en pointant du doigt a brebis galeuse, veut montrer la "moralité" de ses institutions, elle est surtout le produit du fait que la faillite met à nu le fonctionnement putride du capita­lisme décadent, toutes les activités délictueuses et criminelles qui se déroulent derrière les portes feu­trées des banques dans la course effrénée à la richesse où tous les coups sont permis, alors que les enjeux se chiffrent en milliards.

Le récent scandale de la BCCI qui laisse un trou dont l'estimation varie de 5 à 15 milliards de dollars montre l'envers du décor du monde capitaliste, ce qui se trame et se manigance dans les bureaux confortables des financiers "respectables". Recyclage de l'argent de la drogue, financement et organisation du trafic d'armes à l'échelle internationale, détournement de fonds, gestion des comptes des hommes politiques corrompus, organisation de l'évasion des capitaux, falsification de documents, trafic d'influence, magouilles diverses avec les services secrets et les groupes terroristes, corruption, espionnage indus­triel, et même entretien d'une équipe de tueurs pour "faciliter" ces activités, etc. Une véritable organisa­tion du crime se cachait derrière l'honorable institu­tion bancaire. Mais aussi caricaturale que soit la situation de la BCCI, elle n'est pas une exception, loin de là. Il suffit, pour constater cela, de faire sim­plement l'énumération des scandales bancaires de ces derniers mois : la filiale du Crédit Lyonnais en Hol­lande qui s'acoquine avec un financier italien, Paretti, dont la fortune est d'origine plus que dou­teuse, le fils de Bush, ancien directeur d'une caisse d'épargne en faillite qui passe en procès pour escro­querie ; les plus grandes banques japonaises qui sont prises la main dans le sac pour avoir escroqué les petits épargnants au profit des plus gros clients, tan­dis que le chef de la police japonaise vient de les aver­tir de cesser de faire des affaires avec les parrains de la pègre locale ; Salomon Brothers qui est accusée de trafiquer illégalement sur les bons du trésor; une escroquerie bancaire sur les actions de la bourse de Milan et qui porte sur des centaines de milliards de Lires est dévoilée en Suisse ; des fonctionnaires du ministère des finances de Pologne qui sont renvoyés pour avoir avec l'aide de banques locales, détourné es fonds de l'Etat. Et encore cette liste sur les der­niers mois seulement est-elle loin d'être exhaustive. La crise qui pousse les capitalistes dans une concur­rence effrénée, les pousse aussi, dans la quête avide de capital, à outrepasser leurs propres lois et à se jeter sur les activités les plus profitables, les plus spécula­tives, celles du crime.

Pour une classe décadente qui, dans sa recherche assoiffée du profit, n'hésite pas à développer des acti­vités criminelles vis-à-vis de ses propres lois, le men­songe est une peccadille, surtout s'il est dirigé vers la classe ennemie, le prolétariat. Cacher, masquer la réalité de la crise économique tant que faire se peut, a toujours été un axe essentiel de la propagande bourgeoise. Tous les Etats manipulent a qui mieux mieux les chiffres du chômage et de l'inflation, mais avec la récession qui se développe depuis des années ce sont ceux de la croissance qui sont soumis à une tricherie permanente. Le gouvernement américain est un spé­cialiste en la matière. Depuis des années le même sketch rituel est mis en scène : il annonce des chiffres de croissance optimistes, lance une campagne sur le thème du "tout va bien, la situation s'améliore" pen­dant quelques semaines et trois mois après, publie des chiffres révisés à la baisse qui montrent qu'il n'en a rien été. L'été dernier on a pu assister à une nouvelle répétition de cette manoeuvre : après avoir fêté en juillet, la fin de la récession en divulguant une hausse annuelle du PNB de 0,4 % pour le deuxième trimestre, finalement dans les derniers jours d'août c'est une baisse de -0,1 % qui est annoncée. Après les baisses de -1,6% du 4e trimestre 1990 et de -2,8% au 1er trimestre 1991, cela montre que, contrairement à la propagande de l'été, non seulement l'économie américaine n'est pas sortie de la récession, même en chiffres officiels, mais surtout que toutes les mesures mises en place pour relancer la machine, baisse du taux d'escompte à un niveau très bas pour faciliter le crédit, creusement d'un déficit budgétaire qui va atteindre un nouveau record pour l'année en cours où il devrait avoisiner les 400 milliards de dollars- n'ont pas suffit. La faiblesse de l'amélioration relative de l'économie américaine, plus qu'une source d'espoir pour le futur, comme le désirerait la bourgeoisie, est en fait le signe annonciateur d'une plongée encore plus profonde de la récession dans la période qui vient.

Alors que l'économie américaine continue à battre de l'aile et à s'enfoncer dans le marasme, les deux autres puissances économiques du monde qui semblaient jusque là à l'abri de la récession avec des taux de croissance confortables, commencent à montrer des signes de faiblesse :

- l'Allemagne après une croissance record de 4,8 % en 1990, table pour l'année 1991 sur une croissance en baisse à 3 % malgré la reconstruction de l'Allemagne de l'Est qui tire sa production ;

- au Japon aussi, même si la croissance se maintient à un haut niveau, les signes avant-coureurs d'une baisse future sont là, la consommation intérieure stagne, les importations ont baissé de - 5,4 % au mois de juillet, tandis que le bâtiment est en crise avec un recul de - 21 % des mises en chantiers en juillet 1991 par rapport au même mois de l'année précédente.

Alors que la fuite en avant dans le crédit n'est plus possible, comme le montre la crise du système financier et les faillites bancaires en série, la perspective s'assombrit toujours plus pour l'économie mondiale, les nuages s'accumulent qui annoncent l'orage.

Cette crise qui s'intensifie, les prolétaires n'ont pas besoin d'en lire les nouvelles et les indices dans les journaux pour la constater, ils la vivent dans leur chair. Plus que toute autre question, le développe­ment du chômage a été significatif de l'accélération de la crise ces derniers mois. Depuis le début de l'année pas un jour qui ne passe sans que de nouveaux licenciements ne soient annoncés. Dans tous les pays développés l'accroissement du nombre de chômeurs prend l'allure d'une catastrophe sociale et offre un contraste frappant avec les déclarations faussement rassurantes de nos dirigeants.

De juin 1990 à mai 1991, le nombre de chômeurs est passé officiellement aux USA de 6 580 000 à 8 640 000, une croissance de 30 % ! En Grande-Bretagne, sur la même période, il a grimpé de 1 618 000 à 2 244 000, et depuis le printemps, il croît au rythme de 80 à 90 000 nouveaux demandeurs d'emploi par mois, et l'OCDE prévoit déjà 2 700 000 chômeurs pour la mi-1992. En France, de juillet 1990 à juillet 1992, il est passé de 2 503 000 à 2 703 000. En Allemagne, même si le chô­mage a régressé à l'ouest depuis un an, ce qui est lié à la situation particulière de ce pays dopé par la réuni­fication, à l'est on prévoit un taux de chômage de 30 % dans la période qui vient.

Ce sombre bilan montre ce qui attend les prolétaires du monde entier, car il n'est que provisoire. Avec le développement de la récession mondiale, le pire est à venir. En fait, ce bref survol de l'actualité écono­mique de ces derniers mois montre, sous un éclairage particulièrement cru, ce que le capitalisme a à offrir aux prolétaires et exploités du monde entier : le crime, le mensonge et la misère.

JJ, 02/09/1991

Récent et en cours: 

  • Crise économique [1]

Questions théoriques: 

  • Décadence [2]

Présentation du 9e congres du CCI et résolution sur la situation internationale

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Quelques semaines avant les événements d'URSS, le CCI a tenu son 9e Congrès interna­tional. Comme le lecteur pourra s'en rendre compte en prenant connaissance des docu­ments adoptés à cette réunion que nous publions par la suite, l'éclatement de l'URSS -ainsi que la guerre civile en Yougoslavie -qui s'inscrit complètement dans la dynamique ouverte depuis la disparition du bloc impéria­liste de l'Est, ne nous a pas surpris et est venu illustrer les travaux et les orientations que nous venions tout juste de confirmer à ce congrès. Tout juste de confirmer disions-nous, car, à vrai dire, c'est depuis le tout début de l'explosion du bloc impérialiste de l'Est, en été 1989, que notre organisation a su analyser les grandes tendances de la nou­velle situation historique qui s'ouvrait, et tout spécialement la perspective du chaos et de l'explosion du bloc de l'Est et de l'URSS.

Véritable assemblée générale du CCI, moment privi­légié de sa vie et expression la plus haute de son carac­tère centralisé et international, un congrès doit tirer un bilan du travail accompli dans la période qui le précède, et, sur cette base, définir des orientations d'activités en rapport avec les perspectives qu'il dégage de la situation internationale, spécialement quant au rapport de force entre le capital et le prolé­tariat au niveau mondial. Par conséquent, ce congrès avait pour tâche essentielle la discussion de la validité de nos analyses (en particulier l'analyse générale sur la phase historique de décomposition dans laquelle est entré le capitalisme) et de nos prises de position face aux immenses bouleversements historiques que nous avons vécus depuis la fin 1989 :

- l'effondrement des régimes staliniens,

- la disparition de la configuration impérialiste Est-Ouest issue de 1945, de Yalta,

- face à la situation qui s'en est suivie, la guerre du Golfe qui a vu la destruction de l'Irak et du Koweït,

- le chaos touchant un grand nombre de pays et tout particulièrement les pays de l'Est européen, e recul de la lutte de classe internationale.

La nouvelle situation : une rupture historique et le recul de la lutte de classe

Quel bilan le congrès a-t-il tiré des analyses élaborées et des prises de position du CCI - toutes publiées dans la presse et auxquelles nous allons faire référence -face aux événements gigantesques que nous avons vécus ? Comme le dit la résolution d'activités adoptée :

« Les événements de portée historique qui ont jalonné ces deux années ont mis l'organisation à l'épreuve en lui imposant le réexamen de {ensemble de ses analyses et de son activité à la lueur des nouvelles données de la situation internationale (...) Le critère central pour apprécier le bilan de l'activité du CCI durant ces deux dernières années est nécessairement, vue l'importance des événements, sa capacité à avoir perçu et analysé ce qu'ils signifiaient et impliquaient. »

Que signifiaient ces événements ? Qu'impliquaient-ils ? C'est là-dessus que le congrès a du revenir et se prononcer.

La phase historique de décomposition du capitalisme a l'origine de la disparition du bloc de l'Est et de l'URSS

Dans les conditions dramatiques et catastrophiques de la crise économique ouverte, irréversible du capi­talisme, la bourgeoisie est incapable d'imposer au prolétariat mondial la seule perspective qu'elle puisse offrir à l'humanité : une troisième guerre mondiale aux effets dévastateurs. Mais par ailleurs, le proléta­riat est lui-même incapable pour le moment de déga­ger clairement, ni même de présenter, sa propre pers­pective révolutionnaire de destruction de la société capitaliste. Aucune perspective historique n'ayant réussi à se dégager, la société capitaliste - dont la crise économique, elle, ne s'arrête pas - se trouve dans une impasse et pourrit sur pied tel un fruit non cueilli. C'est ce que nous appelons la nouvelle phase historique de décomposition du capitalisme ("La décomposition, phase ultime du capitalisme", Revue Internationale n° 62, 3e trimestre 1990).

Cette phase de décomposition, de blocage et d'impasse historique, est a l'origine de l'éclatement du bloc impérialiste de l'Est, de PURSS et de la mort du stalinisme que nous avions su entrevoir dès octobre 1989 :

«Dès à présent, le bloc de l'Est nous présente le tableau d'une dislocation croissante. Par exemple, les invec­tives entre l'Allemagne de l'Est et la Hongrie, entre les gouvernements "réformateurs" et les gouvernements "conservateurs", ne sont nullement du cinéma. Elles rendent compte des réels clivages qui sont en train de s'établir entre les différentes bourgeoisies nationales. Dans cette zone, les forces centrifuges sont tellement fortes qu'elles se déchaînent dès qu'on leur en laisse l'occasion. Et aujourd'hui, cette occasion s'alimente des craintes suscitées au sein des partis dirigés par les "conservateurs" que le mouvement parti d'URSS, et qui s'est amplifié en Pologne et en Hongrie, ne vienne, par contagion, les déstabiliser.

C'est un phénomène similaire qu'on retrouve dans les Républiques périphériques de l'URSS. Ces régions sont en quelque sorte des colonies de la Russie tsariste ou même de la Russie stalinienne (par exemple les pays baltes annexés suite au pacte germano-soviétique de 1939). (...) Les mouvements nationalistes qui, à la faveur du relâchement du contrôle central du parti russe, s'y développent aujourd'hui avec près d'un demi-siècle de retard par rapport aux mouvements qui avaient affecté les empires français ou britannique, portent avec eux la dynamique de séparation d'avec la Russie.

En fin de compte, si le pouvoir central de Moscou ne réagissait pas, nous assisterions à un phénomène d'explosion, non seulement du bloc russe, mais égale­ment de sa puissance dominante. Dans une telle dyna­mique, la bourgeoisie russe, qui, aujourd'hui, domine la deuxième puissance mondiale, ne serait plus à la tête que d'une puissance de second plan, bien plus faible que l'Allemagne, par exemple. »

("Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est",  adoptées en Octobre 1989, Revue Internationale n° 60, 1er trimestre 1990).

La décomposition du capitalisme exacerbe encore plus les antagonismes impérialistes, les guerres et le militarisme

Les effets de cette phase historique, dans ce cas l'explosion du bloc de l'Est et de l'URSS, à leur tour, viennent accentuer et renforcer la décomposition de la société. Elle est marquée par l'exacerbation de toutes les caractéristiques du capitalisme décadent, tout particulièrement, la guerre, l'impérialisme, le militarisme (telles que nous les avons mises en évi­dence dans le texte "Militarisme et décomposition" en octobre 1990, Revue Internationale n° 62), le capita­lisme d'Etat, et ce dans un chaos croissant. Voilà ce 3ue nous écrivions au lendemain de la chute du mur e Berlin, alors que la bourgeoisie mondiale chantait à tue-tête les vertus du capitalisme et se vantait d'offrir à l'humanité une ère de paix et de prospérité... ainsi que sa victoire sur le marxisme :

« Cette disparition du bloc de l'Est signifie-t-elle que, désormais, le monde sera dominé par un seul bloc impérialiste ou que le capitalisme ne connaîtra plus d'affrontements impérialistes ? De telles hypothèses seraient tout à fait étrangères au marxisme. (...). Dans la période de décadence du capitalisme, TOUS les Etats sont impérialistes et prennent les dispositions pour assumer cette réalité : économie de guerre, arme­ments, etc. C'est pour cela que l'aggravation de l'économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchire­ments entre ces différents Etats, y compris, et de plus en plus, sur le pian militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchire­ments et antagonismes qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux "partenaires" d'hier (note : nous entendions par là la disparition du bloc de l'Ouest face à la mort subite de son rival oriental), ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s y oppo­ser). En revanche, du fait de la disparition de la disci­pline imposée par la présence des blocs, ces conflits ris­quent d’être plus violents et plus nombreux, en particu­lier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible. »

("Après l'effondrement du bloc de l'Est, décomposi­tion et chaos", Revue Internationale n°61, 2 tri­mestre 1990,).

C'est exactement ce qui allait se réaliser quelques mois plus tard de manière ô combien sanglante avec la guerre du Golfe.

 

L'effondrement du bloc de l'est : une rupture historique dans la situation mondiale

La disparition du bloc impérialiste de l'Est, l'agonie du capitalisme d'Etat stalinien, la guerre impérialiste du Golfe, marquent une rupture nette dans l'évolution historique. En particulier pour la lutte de classe du prolétariat mondial.

La fin des années 1960 avait ouvert une période de développement lent, non linéaire, mais réel, des luttes ouvrières dans le monde entier face aux attaques dues à l'aggravation inexorable de la crise économique : 1968 à 1975 (France, Italie, Pologne, etc.), Pologne 1980, luttes des années 1983-1988 en Europe occidentale. Cette force relative, cette résis­tance de la classe ouvrière mondiale, en empêchant les différentes bourgeoisies nationales d'embrigader l'ensemble du prolétariat, est à l'origine du blocage historique qui a vu le phénomène de la décomposition devenir déterminant dans la vie du capitalisme. L'effondrement des régimes staliniens, qui est à com­prendre dans ce cadre de la décomposition, devait occasionner un profond recul dans la conscience de la classe ouvrière (article de la Revue Internationale n°60, "Des difficultés accrues pour le prolétariat" rédigé en novembre 1989 et la thèse 22 des "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est" déjà citées). Il pesait encore sur la classe ouvrière lorsque la guerre du Golfe est venue à son tour influer sur le rapport de force entre les classes :

«Aujourd'hui, cette prise de conscience continue à être entravée par les séquelles de l'effondrement du stali­nisme et du bloc de t'Est. Le discrédit qu'a subi il y a un an et demi, sous l'effet notamment d'une campagne gigantesque de mensonges, l'idée même de socialisme et de révolution prolétarienne est encore loin d'avoir été surmonté. (...) De même, la crise et la guerre du Golfe, si elles ont eu le mérite de démentir les discours sur la "paix éternelle", ont aussi engendré dans un premier temps un sentiment d'impuissance et une paralysie indiscutable dans les grandes masses ouvrières des pays avancés. »

("Résolution sur la situation internationale" adoptée par le congrès et publiée dans ce numéro).

Est-il besoin de préciser que, depuis notre congrès, l'échec du putsch des "conservateurs" en URSS au mois d'août, la mort du PC stalinien d'URSS, la dis­location de l'URSS, sont l'occasion pour la bourgeoi­sie mondiale de relancer la campagne contre la classe ouvrière sur "la mort du communisme", usant et abu­sant du plus grand mensonge historique de tous les temps qui assimile le capitalisme d'Etat stalinien au communisme. Nul doute que cette campagne ne fait que prolonger un peu plus encore les effets négatifs sur le prolétariat de la putréfaction nauséabonde du stalinisme. Le prolétariat mondial aura payé cher, très, très cher, la contre-révolution stalinienne, dans sa chair et dans son esprit.

Le 9e congrès du CCI s'est prononcé en accord avec cette analyse et avec les différentes prises de position adoptées face aux événements. Il a donc tiré un bilan positif de ses activités sur le plan de l'élaboration théorique et de l'analyse de la situation internatio­nale, ainsi que sur le plan des prises de position.

Bilan des activités

La rupture historique, les événements que nous avons vécus depuis l'effondrement du bloc de l'Est, le recul du prolétariat, ont nécessité une adaptation de notre intervention générale. De ce point de vue aussi, le congrès a tire un bilan positif. L'ensemble de notre intervention a su prendre position de façon militante sur les principales questions posées dans la situation actuelle, en particulier à travers : la mise en lumière de la nouvelle phase historique de décomposition, la gravité des enjeux, l'explication des causes histo­riques et particulières de l'effondrement des régimes staliniens, la dénonciation des campagnes bour­geoises en particulier celle identifiant la révolution russe à la barbarie du stalinisme, identifiant le com­munisme au capitalisme d'Etat stalinien, la dénoncia­tion de la barbarie meurtrière et cynique de la bourgeoisie, de son système et de la "démocratie" durant a guerre du Golfe, etc.

Par ailleurs, avec le recul de la lutte de classe et les circonstances de celui-ci, « l'aspect propagande a lar­gement pris le pas dans notre intervention, avec la presse comme instrument principal de celle-ci (...) Les publications territoriales ont été globalement capables de répondre à l'irruption des événements majeurs, en avançant leur date de parution, par la sor­tie de suppléments quand nécessaire » (Résolution sur les activités). Le CCI, comme un tout uni et centralisé, a diffusé un supplément international à ses publi­cations lors de l'éclatement du bloc de l'Est, et deux tracts internationaux dans les douze pays où il est pré­sent et partout où il pouvait intervenir, dénonçant le conflit impérialiste dans le Golfe lors de son éclate­ment et de sa fin.

Sur le plan de la vie organisationnelle, le CCI a su renforcer ses liens et sa centralisation internationale suivant en cela les orientations tracées par son congrès international précédent. La mobilisation de l'organisation, de tous ses militants, et le resserre­ment des liens entre toutes ses parties et sections terri­toriales, ont constitué une arme fondamentale de l'organisation pour faire face à la nouvelle situation.

Si le congrès a tiré un bilan positif de nos activités, cela ne veut pas dire que nous n'ayons pas manifesté des faiblesses, notamment des retards dans les diffé­rentes presses territoriales, en particulier pour répondre à l'effondrement des régimes staliniens. Ces faiblesses ont résulté fondamentalement de la diffi­culté réelle qu'il y avait pour appréhender dans toute sa mesure l'ampleur de la rupture historique ; pour remettre en cause le cadre d'analyse correspondant à la période précédant la disparition du bloc de l'Est ; pour voir rapidement et comprendre l'éclatement de ce bloc ; pour saisir les répercussions négatives pour la classe ouvrière de l'effondrement du stalinisme ; pour reconnaître le recul de la lutte de classe.

Faire face à l'accélération dramatique de l'histoire

L'histoire s'accélère dramatiquement. Inutile de revenir encore sur les événements et sur le dernier d'entre eux à l'heure où nous écrivons : la fin de l'URSS. Il suffit de lire les journaux, ou de regarder la TV. La bourgeoisie ne peut le cacher. La décomposi­tion de la société capitaliste dans l'impasse histo­rique, est la cause de cette accélération. Elle touche toute la société, toutes les classes, y compris le prolé­tariat. Les caractéristiques du phénomène de la décomposition font que s'exerce sur la classe ouvrière, les organisations révolutionnaires - y inclus bien sûr le CCI - et les militants, une pression particu­lière de l'idéologie petite-bourgeoise qui mine la confiance et la conviction dans la force historique du prolétariat et dans le rôle des organisations politiques révolutionnaires.

La pression de l'idéologie bourgeoisie et petite-bour­geoise gangrenées par la décomposition, et la fuite dans les illusions les plus réactionnaires qu'elle pro­voque, telles le nationalisme, le corporatisme, voire le racisme ; le rejet de grandes masses d'ouvriers dans le chômage, sans perspective de retrouver du travail, ou d'en trouver quand il s'agit des jeunes, la lumpénisation, la marginalisation qui s'ensuit, le désespoir (la chute dans la drogue et dans la délinquance ou la constitution par exemple), et nous en passons, sont es dangers qui menacent de plus en plus violemment et massivement le prolétariat mondial. Ils entravent le développement de sa conscience et de la confiance en sa force révolutionnaire. Cette situation connaît un développement terrible et se révèle dans toute son ampleur dans les pays de l'ex-bloc de l'Est. Le déboussolement, l'aveuglement et le désespoir qui frappent les grandes masses d'ouvriers de ces pays sont particulièrement dramatiques. Nul doute que l'explosion de l'URSS, l'indépendance des répu­bliques et le nationalisme qui va avec, les illusions démocratiques et celles sur la pseudo prospérité des pays occidentaux, vont renforcer encore le désarroi et 'impuissance du  prolétariat dans  cette partie du monde.

Le même type de dangers pèse sur les militants com­munistes et leurs organisations politiques. Les doutes, le scepticisme, la démoralisation, le manque de confiance dans la classe ouvrière vont de pair avec les tentations de fuite dans la "vie privée", dans l'individualisme, dans le rejet, le dénigrement amer et cynique de toute activité militante organisée et collec­tive, ou dans le refus de la théorie, de la réflexion.

De même au plan collectif, du fonctionnement de l'organisation révolutionnaire, le dilettantisme, le laisser-aller, le chacun pour soi, le localisme, repré­sentent eux aussi des dangers autrement plus mena­çants que par le passé sur le fonctionnement même des organisations politiques communistes.

Cette pression s'effectue encore sur le plan théorico-politique. L'absence de perspective historique qui produit cette situation inédite de décomposition du capitalisme, se manifeste dans la déliquescence de la pensée, dans la perte de toute méthode, dans la confusion et le mélange des genres, dans une vision immédiate, a-historique. Pour les organisations communistes, cette pression se traduit dans des ten­dances accrues à une vision immédiate et superficielle, au jour le jour, des événements - ce que nous appelons l'immédiatisme - sans comprendre, ni même bien souvent essayer de voir, l'unité et l'ensemble du processus historique.

Le manque de rigueur dans la pensée, le manque d'intérêt pour la théorie - caractéristiques qui tou­chent l'ensemble de la société capitaliste et qui connaissent un développement effarant - se manifes­tent par une pression à l'abandon de la lecture des ouvrages théoriques et historiques, par l'oubli ou l'ignorance des "classiques du marxisme", de l'histoire du mouvement ouvrier et de la société capitaliste.

Cette pression s'illustre aussi - nous le voyons dans nombre de groupes révolutionnaires - dans la mise en cause des acquis théoriques et politiques du mouve­ment ouvrier, quand ce n'est pas tout simplement -ouvertement ou non - dans le rejet du marxisme.

C'est la raison pour laquelle le 9e congrès a appelé l'ensemble de notre organisation, de ses parties, de ses militants, à renforcer les liens et la centralisation internationale du CCI, à faire preuve de la plus grande vigilance organisationnelle et militante, mais aussi à développer tout particulièrement l'implication et la mobilisation de l'ensemble de nos forces dans la réflexion et l'approfondissement théorique et dans l'élaboration de nos analyses. Ce sont la les condi­tions indispensables pour pouvoir intervenir de la manière la plus adéquate et la plus efficace possible dans la classe ouvrière.

L'intervention dans la période qui vient

Dans cette situation de pression renforcée de la décomposition sur le prolétariat et les révolution­naires, dans cette situation d'accélération terrible de l'histoire, le 9e congrès du CCI a tracé ses perspec­tives d'activités générales, et tout particulièrement ses perspectives d'intervention envers la classe ouvrière et e milieu politique prolétarien.

Bien évidemment, la disparition de l'URSS et l'ignoble campagne de la bourgeoisie contre le com­munisme prolongent les effets du recul subi par le prolétariat depuis maintenant plus de deux ans. Elles renforcent aussi la nécessité pour nous de renforcer la dénonciation du mensonge assimilant le communisme au stalinisme. En s'inscrivant dans le cadre de nos analyses, cet événement ne nous surprend pas et vient confirmer l'orientation de notre intervention que le 9e Congrès avait définie :

«  Notre intervention va être confrontée à la fois à la nécessité d'aider la classe ouvrière à surmonter les séquelles toujours présentes du recul dans sa conscience, consécutif à l'effondrement du bloc de l'Est et à celle de favoriser la décantation de cette même conscience qu a suscité la guerre du Golfe et que ne fera qu'approfondir la menace déplus en plus présente de la guerre. C'est pourquoi l'axe principal de l'intervention est de contribuer du mieux possible à l'approfondissement de la conscience, à travers la dénonciation générale de la bourgeoisie et de son sys­tème, à la mise en relief des enjeux dans la nouvelle situation historique en lien avec la perspective générale du combat de classe.

De ce fait la question de la guerre doit rester un axe de notre intervention. » (Résolution sur les activités).

Car en fait, la classe ouvrière va devoir lutter dans une situation déterminée par le développement du chaos, des guerres et de la crise économique. C'est aussi dans cette situation que va se déployer notre activité et notre intervention.

« Le chaos général qui caractérise la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition, ne pourra être marqué que par un déchaînement de ce qui constitue la caractéristique dominante de la période de décadence: les conflits impérialistes et le militarisme. » (Résolution sur la situation internationale).

Les guerres impérialistes qui vont éclater, même si elles ne prendront pas la forme de guerre mondiale avec deux blocs impérialistes antagoniques - du moins pour le moment -, n'en seront pas moins meurtrières, provoquant des ravages considérables et, combinées aux autres effets de la décomposition, pollution, famines, épidémies, elles peuvent très bien mener à la destruction de l'humanité. En effet, chaque fois plus aigus encore sous les coups redoublés de la crise éco­nomique, les antagonismes impérialistes entre les alliés d'hier dans l'ex-bloc occidental, vont venir entretenir et propager les différents feux guerriers qui éclatent dans la phase de décomposition.

Cette perspective de multiplication de conflits impé­rialistes sanglants et la perspective d'un développe­ ment catastrophique des effets de la décomposition tout particulièrement  dans les pays d'Europe de l'Est  ne sont pas sans conséquences sur la lutte de classe. Nous l'avons dit, le prolétariat subit un recul de sa conscience et de sa combativité. Mais comme classe mondiale, il n'est pas défait et le cours histo­rique reste à des affrontements de classe décisifs. Tout particulièrement, et c'est ce qui est déterminant, la classe ouvrière concentrée et expérimentée d'Europe de l'Ouest n'est pas embrigadée derrière les drapeaux de la bourgeoisie.

«  En réalité, si le désarroi provoqué par les événements du Golfe peut ressembler, en surface, à celui résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, il obéit à une dyna­mique différente :  alors que ce qui vient de l'Est (élimination des restes du stalinisme, affrontements nationalistes, immigration, etc.) ne peut, et pour un bon moment encore, qu 'avoir un impact essentiellement négatif sur la conscience du prolétariat, la présence de plus en plus permanente de la guerre dans la vie de la société  va tendre, au contraire, à réveiller cette conscience. (...). La mise en évidence croissante tant de la faillite irréversible du mode de production capitaliste, y compris et surtout sous sa forme "libérale", que de la nature irrémédiablement guerrière de ce système, vont constituer pour les secteurs centraux du prolétariat un facteur puissant d'usure des illusions issues des événements de la fin 1989. » (idem).

La barbarie guerrière et la multiplication des attaques économiques vont pousser le prolétariat à reprendre le chemin de la lutte, et à prendre conscience des terribles enjeux historiques qui se présentent. C'est à cette perspective que le 9e congrès a voulu préparer le CCI.

 

Appel au milieu politique prolétarien

C'est dans cette situation historique mondiale chaque jour plus dramatique, que le 9e congrès adresse un "Appel au milieu politique prolétarien" (publié dans ce numéro). En effet, malgré les difficultés importantes du milieu politique prolétarien, le CCI doit participer et oeuvrer à la clarification politique et à 1’unification de ce qui constitue l'avant-garde politique du prolétariat. Depuis sa fondation, notre organisation a toujours inscrit cette tâche au sein de ses préoccupations.

« Le CCI qui, par l'importance de sa place dans ce milieu, possède une responsabilité de premier ordre (...), doit savoir mettre à profit toute occasion pour agir dans le sens d'un dépassement de l'actuelle situation (de dispersion et de sectarisme). La guerre du Golfe, qui a provoqué une claire prise de position internationaliste de la part des groupes révolutionnaires, mais de façon très dispersée, et dans une bien moindre mesure l'effondrement du bloc de l'Est, vis-à-vis duquel les groupes ont réaffirmé sa nature capitaliste mais dans un cadre d'analyse aussi insuffisant que confus, fournissent une telle occasion. (...)

Le 9e Congrès du CCI décide d'adresser aux groupes dont l'existence repose sur des bases historiques réelles et à l'exclusion des groupes parasites, un appel mettant en avant la nécessité :

- de prendre conscience de l'importance des enjeux historiques actuels et des positions de classe que par­tagent ces groupes ;

-  de combattre les attitudes marquées par le sectarisme de chapelle (...);

-  d'agir en vue d'un développement des contacts et du débat ouvert à travers la presse (...), l'assistance aux réunions publiques et permanences des groupes du milieu, d éventuelles interventions communes (à tra­vers des tracts par exemple) face à des questions par­ticulièrement importantes. » (Résolution sur le milieu politique prolétarien).

Le 9e congres, moment d'homogénéisation et de renforcement du CCI

C'est un bilan positif que nous tirons de ce congrès. Ce fut un moment d'homogénéisation et de regrou­pement du CCI. Après les faits historiques boulever­sant toute la société capitaliste telle qu'elle était sortie de la 2e Guerre mondiale, il s'agissait de "digérer" ce bouleversement, cette rupture Historique, de vérifier nos analyses, de se regrouper derrière nos perspec­tives, pour affronter l'intense période qui vient.

L'histoire s'accélère et s'accélère encore. Les événe­ments dramatiques se succèdent à une cadence chaque fois plus effrénée. L'immense majorité de la population mondiale vit dans la misère extrême sous a menace mortelle des guerres, des maladies, des catastrophes en tous genres, et de la famine.

Le prolétariat mondial subit les attaques écono­miques redoublées dans une ambiance croissante de décomposition et de guerre. Même si aujourd'hui il subit un recul de sa conscience et aussi de sa combati­vité, il est la seule force capable d'en finir à jamais avec ce cloaque immonde qu'est devenu le capita­lisme en putréfaction. Inévitablement, sous les coups du capital, il va devoir s'affronter implacablement, dans une lutte à mort, à la bourgeoisie mondiale. L'enjeu de cet affrontement terrible et gigantesque ? La destruction du capital, l'instauration du communisme et la survie de l'humanité.

CCI, 01/09/91

9e CONGRES DU CCI

La guerre impérialiste, la crise et les perspectives de la lutte de classe dans la décomposition du capitalisme

Nous publions ci-dessous la résolution sur la situation internationale adoptée par le 9e congrès du CCI. Ce texte constitue la synthèse des deux rapports présentés à ce congrès : sur la situation économique et sur les autres aspects de la situa­tion internationale. Afin de préciser et expliciter certains points de la résolution, nous reproduisons à sa suite des extraits de ce deuxième rapport. Faute de place, les passages retenus ne sont pas toujours articulés entre eux et sont loin de recouvrir l'ensemble des points abordés dans le rapport de même que dans les discussions du congrès. Ces passages ne concernent pas toujours non plus les points les plus importants de la situation internationale, lesquels ont déjà été amplement traités dans d'autres articles de la Revue Internationale. Nous avons plutôt privilégié dans ce choix les questions, également importantes, sur les­quelles le rapport était plus explicite que ces articles.

Résolution sur la situation internationale

Le phénomène d'accélération de l'histoire, déjà iden­tifie par le CCI au début des années 1980, a connu, depuis son dernier congrès, une accentuation consi­dérable. Jamais, depuis la constitution de notre orga­nisation, et même depuis la seconde guerre mondiale, il ne s'était déroulé, et ceci en moins de deux ans, des événements d'une telle importance historique. En quelques mois, c'est toute la configuration du monde, telle qu'elle était sortie de cette guerre, qui s'est trou­vée bouleversée. En fait, l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, qui clôt les années 1980, ouvre la porte à une fin de millénaire dominée par une instabilité et un chaos comme jamais l'humanité n'en a connus. Il appartient aux révolutionnaires, s'ils veulent être en mesure d'assumer leur rôle d'avant-garde du prolétariat mondial, de comprendre pleinement la signification des convulsions que nous venons de connaître afin de dégager la perspective qu'elles annoncent pour l'ensemble de la société et, en pre­mier lieu, pour la classe ouvrière. En particulier, il leur revient de faire ressortir que l'effondrement du bloc de l'Est et la guerre du Golfe constituent des manifestations de l'entrée du système capitaliste dans la phase ultime de sa période de décadence : celle de la décomposition générale de la société.

 

1) Comme il a été mis en évidence dans plusieurs autres textes de l'organisation, la phase de décomposition :

- «constitue l'étape ultime vers laquelle tendent les convulsions phénoménales qui, depuis le début du siècle, à travers une spirale infernale de crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise, ont secoué la société et ses différentes classes (...); elle apparaît [dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme... ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent et même s'approfondissent] comme celle résultant de l'accumulation de toutes ces caractéristiques d'un sys­tème moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire. Concrètement, non seule­ment la nature impérialiste de tous les Etats, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments »

- « est déterminée fondamentalement par des conditions historiques nouvelles, inédites et inattendues : la situation d'impasse momentanée de la société, de "blocage", du fait de la "neutralisation" mutuelle de ses deux classes fondamentales qui empêche chacune d'elles d'apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l’économie capitaliste (...): l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat». ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Revue Internationale, n°62, 3e tri­mestre 1990)

Cette incapacité du mode de production capitaliste à proposer la moindre perspective à la société, en dehors d'une résistance au jour le jour face à l'avancée inéluctable de ses convulsions écono­miques, débouche nécessairement sur des tendances croissantes vers un chaos généralisé, vers une déban­dade des différentes composantes du corps social dans le "chacun pour soi".

En outre, cette phase de décomposition ne débute pas avec sa manifestation la plus spectaculaire : l'effondrement du stalinisme et du bloc de l'Est dans la seconde moitié de 1989. C'est tout au long des années 1980 que le phénomène de décomposition générale de la société prend son essor et imprègne de Façon croissante tous les aspects de la vie sociale.

2) Un événement aussi considérable et inédit que l'effondrement de tout un bloc impérialiste en dehors d'une guerre mondiale ou d'une révolution proléta­rienne, tel qu'on l'a vécu en 1989, ne peut s'expliquer pleinement sans prendre en considération l'entrée du capitalisme décadent dans une phase nouvelle de son existence : la phase de décomposition. Cependant, les particularités de la décomposition ne permettent pas, a elles seules, de comprendre les causes d'un tel évé­nement. Celui-ci trouve ses origines dans l'existence d'un phénomène, le stalinisme, qui ne peut être analysé qu'en faisant intervenir le cadre général de la décadence du mode de production capitaliste et de l'histoire de cette décadence tout au long du 20e siècle :

 

a)  Le stalinisme constitue une manifestation particu­lière de la tendance générale au capitalisme d'Etat qui caractérise justement la décadence capitaliste.

b)  Cependant, et au contraire des manifestations de cette tendance dans la plupart des autres pays (particulièrement les plus avancés), il ne se déve­loppe pas de façon progressive et organique au sein des rouages de la société capitaliste, mais il résulte de circonstances spécifiques et "accidentelles" (si on se place du point de vue de la bourgeoisie) mais qui ne pouvaient se produire que dans la décadence : la révolution prolétarienne momentané­ment victorieuse dans un pays à laquelle fait suite une contre-révolution prise en charge dans ce même pays par l'appareil de l'Etat post-révolution­naire et non par les secteurs classiques de la classe dominante.

c) Ce même caractère "accidentel" se retrouve dans la constitution du bloc dirigé par l'Etat qui a vu naître le stalinisme. En effet, ce sont les circonstances spécifiques de la seconde guerre mondiale (qui constitue justement la manifestation la plus sail­lante à ce jour de la décadence capitaliste) qui ont permis à cet Etat arriéré d'établir sa domination sur une partie du monde avec comme seul instrument la même force brute qu'il utilisait à l'intérieur de ses frontières, ce qui a conduit à la formation d'un bloc impérialiste particulièrement bancal.

Les caractéristiques aberrantes de la forme stali­nienne du capitalisme d'Etat (totale centralisation de l'économie, absence de la sélection du marché élimi­nant les entreprises non rentables, sélection du per­sonnel gérant le capital national sur des critères uni­quement politiques) liées à son origine historique pouvaient être compatibles avec les circonstances de la guerre mondiale. En revanche, elles ont imposé à ce type de régime des limites radicales avec la prolon­gation, sans qu'elle puisse déboucher sur un nouvel holocauste généralise, de la crise ouverte du capita­lisme. Dans une telle situation d'aggravation de la guerre commerciale entre nations, ces caractéris­tiques, en privant l'économie stalinienne de toute compétitivité et d'une quelconque motivation de ses agents, n'ont pu que déboucher sur son implosion.

En ce sens, l'effondrement économique de l'URSS et de ses "satellites", qui est à l'origine de la dislocation du bloc de l'Est, trouve ses racines dans les mêmes conditions historiques qui ont permis l'entrée du capi­talisme dans la phase de décomposition : la prolonga­tion de la crise ouverte alors qu'aucune des deux classes fondamentales de la société ne peut affirmer sa propre perspective. Ainsi, il se confirme que l'effondrement du bloc de l'Est, fait historique le plus important depuis la reprise mondiale des combats de classe à la fin des années 1960, est bien une manifesta­tion, au delà des particularités de ce bloc et de l'URSS, de l'entrée dans la phase ultime de la déca­dence capitaliste, celle de la décomposition.

3) S'il est un domaine où s'est immédiatement confir­mée la tendance au chaos croissant, dont l'éclatement du bloc de l'Est constituait la première grande mani­festation sur la scène mondiale, c'est bien celui des antagonismes impérialistes. La fin du bloc russe était présentée par la bourgeoisie d'Occident comme l'aube d'un "nouvel ordre mondial" censé promouvoir la paix et la prospérité. En moins d'un an, la guerre du Golfe est venue apporter un démenti cinglant à ce mensonge. Elle a mis en évidence la réalité d'un phé­nomène qui, comme le CCI l'avait relevé immédiatement, découlait nécessairement de la disparition du bloc de l'Est : la désagrégation de son rival impéria­liste, le bloc de l’Ouest. Ce phénomène était déjà à l'origine du "hold-up" irakien contre le Koweït en août 1990 : c'est bien parce que le monde avait cessé d'être partagé en deux constellations impérialistes qu'un pays comme l'Irak avait cru possible de faire main basse sur un ex-allié du même bloc. Ce même phénomène a révélé de façon évidente, courant octobre 1990, toute son ampleur avec les diverses ten­tatives des pays européens (notamment la France et l'Allemagne) et du Japon de torpiller, à travers des négociations séparées menées au nom de la libération des otages, la politique américaine dans le Golfe. Cette politique visait à faire de la punition de l'Irak un "exemple" censé décourager toute tentation future d'imiter le comportement de ce pays (et c'est bien en vue de cet "exemple" que les Etats-Unis avaient tout fait, avant le 2 août, pour provoquer et favoriser l'aventure irakienne). Elle s'applique aux pays de la périphérie où le niveau des convulsions constitue un acteur puissant d'impulsion de ce genre d'aventures. Mais elle est loin de se limiter à cet objectif. En réa­lité, son but fondamental est beaucoup plus général : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le "chacun pour soi", il s'agit d'imposer un minimum d'ordre et de discipline, et en premier lieu aux pays les plus importants de l’ex-bloc occidental. C'est bien pour cette raison que ces pays (à l'exception de la Grande-Bretagne gui a choisi depuis longtemps une alliance indéfectible avec l'Oncle Sam) ont fait plus que traîner les pieds pour s'aligner sur la position des Etats-Unis et s’associer à leur effort de guerre. S'ils avaient besoin de la puissance américaine comme gendarme du monde, ils redoutaient qu'un étalage trop important de celle-ci, inévitable lors d'une inter­vention armée directe, ne porte ombrage à leur propre puissance. Et c'est bien ce que les opérations militaires du début de l'année ont clairement mis en évidence : il n'existe aujourd'hui qu'une seule super­puissance ; aucun autre pays ne peut songer à rivaliser militairement avec les Etats-Unis.

4) En fait, il s'agit là de la clé essentielle de la guerre du Golfe et de l'ensemble de la perspective mondiale. Dans un monde où l'impasse économique totale et de plus en plus évidente du mode de production capitaliste ne peut qu'attiser de façon croissante les antago­nismes guerriers entre nations, la disparition des deux blocs issus de la seconde guerre mondiale a mis à l'ordre du jour la tendance à la reconstitution de deux nouveaux blocs militaires, c'est-à-dire de la structure classique que se donnent les principaux Etats, dans la période de décadence, pour "organiser" leurs affrontements armés. Avant même la guerre du Golfe, il était clair qu'aucun des deux seuls prétendants pos­sibles à la direction d'un éventuel nouveau bloc rival de celui qui serait dirigé par les Etats-Unis, le Japon et surtout l'Allemagne, n'était pour le moment en mesure de tenir un tel rang du fait de son extrême fai­blesse militaire. Mais compte tenu de la puissance économique et du dynamisme de ces pays, qui en font déjà des concurrents commerciaux redoutables pour les Etats-Unis, il importait pour cette puissance de prendre les devants face à toute évolution des rap­ports internationaux pouvant s'orienter vers une telle redisposition des forces impérialistes. C'est pour cela que la guerre du Golfe ne saurait être réduite à une "guerre pour le pétrole" ou à une guerre "Nord-Sud". Une telle vision (défendue notamment par les gau­chistes qui l'ont utilisée pour justifier leur soutien à l'impérialisme irakien), ne fait qu'amoindrir son importance et sa signification. Au même titre que l'ensemble des manifestations de la décadence capi­taliste (militarisme, capitalisme d'Etat, crise ouverte, etc.), les antagonismes fondamentaux qui déchirent le monde trouvent leur origine au coeur du capitalisme et opposent nécessairement les puissances qui tien­nent le premier rôle sur la scène mondiale. De ce point de vue, la guerre du Golfe, imposée par les Etats-Unis à leurs alliés, a donné les résultats qu'ils en attendaient : elle a fait la preuve éclatante de l'immense décalage existant entre cette puissance et ses rivaux potentiels. Elle a notamment mis en relief l'incapacité totale des pays européens de mettre en avant une politique extérieure commune indépen­dante qui aurait pu représenter la prémisse politique de la constitution, à terme, d'un "bloc européen" dirigé par l'Allemagne.

5) Cependant, cette réussite immédiate de la politique américaine ne saurait constituer un facteur de stabili­sation durable de la situation mondiale dans la mesure où elle ne pouvait affecter les causes mêmes du chaos dans lequel s'enfonce la société. Si les autres puissances ont du remiser pour un temps leurs ambi­tions, leurs antagonismes de fond avec les Etats-Unis n'ont pas disparu pour autant : c'est bien ce qui se manifeste avec l'hostilité larvée que témoignent des pays comme la France et l'Allemagne vis-à-vis des projets américains de réutilisation des structures de 'OTAN dans le cadre d'une "force de réaction rapide" dont le commandement reviendrait, comme par hasard, au seul allié fiable des Etats-Unis : la Grande-Bretagne. En outre, au Moyen-Orient même, les conséquences de la guerre du Golfe (chaos dans le Koweït "libéré", révoltes des chiites et des kurdes) ont mis en relief que les moyens employés par les Etats-Unis pour imposer leur "nouvel ordre mondial" constituaient des facteurs d'aggravation du désordre. En ce sens, il n'existe pour le capitalisme aucune perspective de modération, encore moins d'élimination, des affrontements militaires. Bien au contraire, le chaos général qui caractérise la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décom­position, ne pourra être marquée que par un déchaî­nement de ce qui constitue la caractéristique domi­nante de la période de décadence : les conflits impé­rialistes et le militarisme. Un déchaînement où, contrairement au passé, et c'est là un indice majeur du pas qualitatif franchi par le capitalisme en putré­faction, ce ne seront plus les puissances les plus mal loties dans le partage impérialiste qui joueront le rôle de "boutefeu", mais bien la puissance qui conserve la position dominante, les Etats-Unis, et dont la préser­vation de cette position la conduira nécessairement à garder ou à prendre de façon croissante l'initiative des affrontements militaires puisque c'est le terrain par excellence où elle peut affirmer sa supériorité. Dans cette situation, et même si les conditions n'étaient plus jamais réunies pour l'établissement d'une nou­velle division du monde en deux blocs impérialistes, c'est-à-dire la prémisse indispensable pour que les affrontements militaires puissent déboucher sur une troisième guerre mondiale, ces affrontements, qui ne pourront que s'amplifier, risquent de provoquer des ravages considérables, y compris, en se combinant avec d'autres calamités propres à la décomposition (pollution, famines, épidémies, etc.), la destruction de l'humanité.

6) La fin de la "guerre froide" et la disparition des blocs n'a donc fait qu'exacerber le déchaînement des antagonismes impérialistes propres à la décadence capitaliste et qu'aggraver de façon qualitativement nouvelle le chaos sanglant dans lequel s'enfonce toute la société. Mais, en même temps qu'il faut souligner l'extrême gravité de la situation présente à l'échelle du monde entier et non seulement de telle ou telle de ses parties, il importe de mettre en évidence que cette gravité n'affecte pas celles-ci de façon immédiatement identique. Il en est ainsi, en premier lieu, du phéno­mène qui se trouve à l'origine de la nouvelle configu­ration de la situation mondiale : la fin du bloc de l'Est et celle du bloc de l'Ouest. Ce ne sont pas là deux phénomènes identiques : en particulier, il n'y a pas eu des processus parallèles d'affaiblissement de chacun des deux blocs impérialistes aboutissant à leur dispa­rition simultanée. L'un des blocs s'est effondré bru­talement sous la pression de la faillite économique totale de sa puissance dominante alors que le leader de l'autre bloc conservait encore l'essentiel de ses capacités. C'est la disparition du premier qui a pro­voqué celle du second, non pas à la suite d un effon­drement interne, mais tout simplement parce qu'il avait perdu sa raison essentielle d'existence. Cette différence permet de comprendre pleinement les caractéristiques présentes des conflits impérialistes : au même titre que le Japon et l'Allemagne au lende­main de la seconde guerre mondiale, l'URSS ne peut plus jouer un rôle de premier plan dans l'arène impé­rialiste mondiale. Désormais, c'est entre les "vainqueurs" de la "guerre froide" que vont se jouer fondamentalement ces antagonismes et c'est pour cela qu'il revient à la puissance dominante du camp victorieux de jouer, pour son compte propre mais aussi pour le compte de l'ensemble du capitalisme, le rôle de "gendarme du monde".

7) D'autre part, cette différence dans les processus de disparition des deux blocs est à l'image de l'évolution de la situation interne dans chacune des composantes de l'un et l'autre : alors que, globalement, les Etats de l’ex-bloc de l'Ouest sont encore capables de contrôler la situation politique et même économique à l'intérieur de leurs frontières, il en est tout autrement des Etats de l'ex-bloc de l'Est ou à régime stalinien. Dès à présent, ces pays nous présentent une carica­ture de ce que la phase de décomposition porte avec elle ; outre le chaos économique on y voit se dévelop­per à une vitesse foudroyante les plaies du capitalisme pourrissant : chômage massif provoquant la lumpénisation de secteurs importants de la classe ouvrière, explosion de la drogue, de la criminalité, de la cor­ruption. Le chaos économique et politique qui se répand dans les pays de l'Est européen frappe en premier lieu celui qui se trouvait à leur tête il y a moins de deux ans, l'URSS. En fait, ce pays a prati­quement cessé d'exister en tant que tel puisque les organes du pouvoir central se révèlent de plus en plus incapables d'exercer leur contrôle sur des parties croissantes du territoire. La seule perspective qui puisse exister pour ce qui fut la deuxième puissance mondiale est celle d'une dislocation sans retour. Une dislocation que la réaction des forces "conservatrices", et particulièrement des organes de sécurité, telle qu'on ra vue dans les pays baltes et en Transcaucasie, ne pourra que retarder quelque peu tout en déchaînant à terme un chaos encore plus considérable en même temps que des bains de sang.

Pour ce qui concerne les ex-démocraties populaires, leur situation, tout en n'atteignant pas le degré de gravité de celle de l'URSS, ne peut que plonger vers un chaos croissant comme le révèlent dès a présent les chiffres catastrophiques de la production (chutant jusqu'à 40 % pour certains pays) et l'instabilité poli­tique qui s'est manifestée ces derniers mois dans pratiquement tous les pays de la région (Bulgarie, Rou­manie, Albanie) et particulièrement en Yougoslavie qui est au bord de l'éclatement.

8) La crise du capitalisme, qui se trouve, en dernière instance, à l'origine de toutes les convulsions que subit le monde à l'heure actuelle, est elle-même aggravée par ces convulsions :

- la guerre au Moyen-Orient, l'accroissement des dépenses militaires qui en résulte, les crédits néces­saires à la reconstruction d'une partie des destruc­tions (pour l'essentiel, un pays comme l'Irak ne pourra jamais surmonter les dommages considé­rables subis durant la guerre), ne peuvent qu'affecter de façon négative la situation économique du monde (contrairement à ce qui fut le cas, par exemple, pour la guerre du Vietnam qui permit, au début des années 1960, de repousser l'entrée en récession de l'économie américaine et mondiale), dans la mesure où l'économie de guerre et l'endettement généralisé constituent, depuis longtemps déjà, des facteurs de premier ordre d’aggravation de la crise ;

- la dislocation du bloc de l'Ouest ne peut que porter un coup mortel à la coordination des politiques éco­nomiques à l'échelle du bloc qui, par le passé, avait permis de ralentir le rythme d’effondrement de l'économie capitaliste ; la perspective est à une guerre commerciale sans merci dans laquelle tous les pays laisseront des plumes ;

- les convulsions dans la zone de l'ancien bloc de l'Est vont également constituer un facteur croissant d'aggravation de la crise mondiale en participant à l'amplification du chaos général, et en particulier, en contraignant les pays occidentaux à consacrer des crédits importants a la limitation de ce chaos (par exemple avec l'envoi d'une "aide humanitaire" desti­née à ralentir les émigrations massives vers l'Occident).

9) Ceci dit, il importe que les révolutionnaires met­tent bien en évidence ce qui constitue le facteur ultime de l'aggravation de la crise :

-  la surproduction généralisée propre à un mode de production qui ne peut créer des débouchés en mesure d'absorber la totalité des marchandises pro­duites, et dont la nouvelle récession ouverte, qui frappe actuellement la plupart des pays avancés, à la suite de la première puissance mondiale, constitue une illustration flagrante ;

-  la fuite effrénée dans l'endettement extérieur et inté­rieur, public et privé, de cette même puissance tout au long des années 1980, qui, si elle a permis de relancer momentanément la production d'un certain nombre de pays, a fait des Etats-Unis de très loin le premier débiteur mondial ;

- l'impossibilité de poursuivre éternellement cette fuite en avant, d'acheter sans payer, de vendre contre des promesses dont il est de plus en plus évi­dent qu'elles ne seront jamais tenues, fuite en avant qui n'a fait que rendre les contradictions encore plus explosives, notamment par une fragilisation crois­sante du système financier international.

La mise en évidence de cette réalité est d'autant plus importante qu'elle constitue un facteur de premier ordre dans la prise de conscience du prolétariat contre les campagnes idéologiques qui se sont déchaînées ces derniers mois, qu'elles aient prétendu "démontrer" que seul le capitalisme "libéral" peut offrir la prospérité aux populations ou que les causes des difficultés économiques sont à imputer aux ambi­tions du "dictateur mégalomane et sanguinaire" Saddam Hussein. Il est donc indispensable que les révolutionnaires soulignent clairement que la réces­sion actuelle, pas plus que celles de 1974-1975 et de 1980-1982, ne résulte des convulsions politiques et guerrières du Moyen-Orient, mais qu'elle avait débuté dès avant la crise du Golfe et qu'elle révèle les contra­dictions fondamentales du mode de production capitaliste.

10) Plus généralement, il importe que les révolution­naires fassent ressortir, de la réalité présente, les élé­ments les plus aptes à favoriser la prise de conscience du prolétariat.

Aujourd'hui, cette prise de conscience continue à être entravée par les séquelles de l'effondrement du stali­nisme et du bloc de l'Est. Le discrédit qu'a subi il y a un an et demi, sous l'effet notamment d'une cam­pagne gigantesque de mensonges, l'idée même de socialisme et de révolution prolétarienne est encore loin d'avoir été surmonté. En outre, l'arrivée massive qui s'annonce d'immigrants originaires d'une Europe de l'Est en plein chaos, ne pourra que créer un sur­croît de désarroi dans la classe ouvrière des deux côtés de feu le "rideau de fer" : parmi les ouvriers qui s'imagineront pouvoir échapper à une misère insup­portable en s'exilant vers l’"Eldorado" occidental et parmi ceux qui auront le sentiment que cette immigra­tion risque de les priver des maigres "acquis" oui leur restent et qui seront, de ce fait, plus vulnérables aux mystifications nationalistes. Et un tel danger sera par­ticulièrement redoutable dans les pays, tel l'Allemagne, qui se retrouveront en première ligne face aux flux d'immigrants.

Cependant, la mise en évidence croissante tant de la faillite irréversible du mode de production capitaliste, y compris et surtout sous sa forme "libérale", que de la nature irrémédiablement guerrière de ce système, vont constituer pour les secteurs centraux du proléta­riat un facteur puissant d'usure des illusions issues des événements de la fin 1989. En particulier, la promesse d'un "ordre mondial de paix", telle qu'elle nous a été faite avec la disparition du bloc russe, a subi en moins d'un an un coup décisif.

11) En fait, la barbarie guerrière dans laquelle se vautre de plus en plus le capitalisme en décomposi­tion va imprimer sa marque de façon croissante dans le processus de développement dans la classe de la conscience des enjeux et des perspectives de son combat. La guerre ne constitue pas en soi et automa­tiquement un facteur de clarification de la conscience du prolétariat. Ainsi, la seconde guerre mondiale a débouché sur un renforcement de l'emprise idéologique de la contre-révolution. De même, la crise et la guerre du Golf, si elles ont eu le mérite de démentir es discours sur "la paix éternelle", ont aussi engendré dans un premier temps un sentiment d'impuissance et une paralysie indiscutable dans les grandes masses ouvrières des pays avancés. Mais les conditions actuelles de développement du combat de la classe ouvrière ne permettront pas que se maintienne de façon durable un tel désarroi :

-parce que le prolétariat d'aujourd'hui, contraire­ment à celui des années 1930 et 1940, s'est dégagé de la contre-révolution, qu'il n'est pas embrigadé, tout au moins ses secteurs décisifs, derrière les drapeaux bourgeois (nationalisme, défense de la "patrie socia­liste , de la démocratie contre le fascisme) ;

- parce que la classe ouvrière des pays centraux n'est pas directement mobilisée dans la guerre, soumise au bâillon que représente l'enrôlement sous l'autorité militaire, ce qui lui laisse beaucoup plus de latitude pour développer une réflexion de fond sur la signification de la barbarie guerrière dont elle sup­porte les effets par un surcroît d'austérité et de misère ;

- parce que l'aggravation considérable, et de plus en plus évidente, de la crise du capitalisme, dont les ouvriers seront évidemment les principales victimes et contre laquelle ils seront contraints de développer leur combativité de classe, développera les condi­tions leur permettant de façon croissante de faire le lien entre la crise capitaliste et la guerre, entre le combat contre celle-ci et les luttes de résistance aux attaques économiques, renforçant leur capacité de se garantir contre les pièges du pacifisme et des idéologies aclassistes.

12) En réalité, si le désarroi provoqué par les événe­ments du Golfe peut ressembler, en surface, à celui résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, il obéit à une dynamique différente : alors que ce qui vient de l'Est (élimination des restes du stalinisme, affronte­ments nationalistes, immigration, etc.) ne peut, et pour un bon moment encore, qu'avoir un impact es­sentiellement négatif sur la conscience du prolétariat, la présence de plus en plus permanente de la guerre dans la vie de la société va tendre, au contraire, à réveiller cette conscience. De même, si l'effondrement du stalinisme n'a eu qu'un impact limité sur la combativité de la classe ouvrière, comme on pouvait déjà le constater au printemps 1990 par une tendance à la reprise des luttes, la crise et la guerre du Golfe, par le sentiment d'impuissance qu'elles ont suscité parmi les ouvriers des principaux pays avancés (qui étaient pratiquement tous impli­qués dans la "coalition") ont d'ores et déjà provoqué un recul important de la combativité, de plus longue durée que celui de l'hiver 1989-90. Cependant, cette pause dans la combativité ouvrière, loin de constituer en soi un obstacle sur le chemin du développement historique des combats de classe, se présente surtout comme un moment de décantation, de réflexion en profondeur de l'ensemble du prolétariat. C'est bien pour cette raison que les appareils de gauche de la bourgeoisie ont tenté déjà depuis plusieurs mois de lancer des mouvements de lutte prématurés afin d'entraver cette réflexion et de semer un surcroît de confusion dans les rangs ouvriers.

13) Si, malgré un désarroi temporaire, le prolétariat mondial détient donc toujours entre ses mains les clés du futur, il importe de souligner que tous ses secteurs ne se trouvent pas au même niveau dans la capacité d'ouvrir une perspective pour l'humanité. En particu­lier, la situation économique et politique qui se développe dans les pays de l'ex-bloc de l'Est témoigne de l'extrême faiblesse politique de la classe ouvrière dans cette partie du monde. Ecrasé par la forme la plus brutale et pernicieuse de la contre-révolution, le stalinisme, ballotté par les illusions démocratiques et syndicalistes, déchiré par les affrontements nationa­listes et entre cliques bourgeoises, le prolétariat de Russie, d'Ukraine, des pays baltes, de Pologne, de Hongrie, etc., se trouve confronté aux pires difficultés pour développer sa conscience de classe. Les luttes que les ouvriers de ces pays seront contraints de mener, face à des attaques économiques sans précé­dent, se heurteront, quand elles ne seront pas direc­tement dévoyées sur un terrain bourgeois tel que le nationalisme (comme ce fut en partie le cas lors de la grève des mineurs en URSS au printemps dernier), à toute la décomposition sociale et politique qui est en train de s'y développer, étouffant de ce fait leur capa­cité à constituer un terreau pour la germination de la conscience. Et il en sera ainsi tant que le prolétariat des grandes métropoles capitalistes, et particulière­ment celles d'Europe occidentale, ne sera pas en mesure de mettre en avant, même de façon embryon­naire, une perspective générale de combat.

14) En réalité, les difficultés considérables affrontées aujourd'hui par les ouvriers des pays de l'Est du fait, notamment, de la décomposition sociale qui se déchaîne dans cette partie du monde, constituent un révélateur de l'impact que la décomposition du capi­talisme exerce sur le développement de la lutte et de la conscience du prolétariat mondial. Par la confusion et les illusions aclassistes qu'un certain nombre d'aspects de la décomposition (tels les désastres éco­logiques, les catastrophes "naturelles", la montée de la criminalité, etc.) provoquent en son sein, par l'attaque contre sa confiance et soi et en son avenir que représente l'atmosphère de désespoir qui envahit la société, par l'obstacle à la solidarité et à l'unification des combats que constitue l'idéologie du "chacun pour soi" aujourd'hui omniprésente, la décomposition croissante de la société, le pourrisse­ment sur pieds du capitalisme, s'inscrivent fondamen­talement comme une difficulté supplémentaire que doit affronter le prolétariat sur le chemin de son émancipation. Mais le fait même :

-  que les formes les plus extrêmes et brutales de la décomposition affectent moins le prolétariat des pays centraux du capitalisme, celui qui sera au coeur de l'affrontement décisif avec la bourgeoisie, que les autres secteurs du prolétariat mondial ;

-  que ce même prolétariat ait réussi dans la plus grande partie des années 1980 à développer ses luttes et sa conscience alors que la décomposition faisait déjà sentir ses effets, ces deux éléments illustrent le fait que la classe ouvrière détient toujours entre ses mains les clés de l'avenir. Et c'est particulièrement vrai dans la mesure où les deux manifestations majeures de la vie du capi­talisme auxquelles elle sera confrontée, la crise économique du mode de production capitaliste et la guerre impérialiste (qui ne sont pas des manifesta­tions typiques de la phase de décomposition, mais appartiennent à la décadence capitaliste), la contraindront à développer ses luttes sur son terrain de classe, à prendre conscience de la faillite de ce sys­tème et de la nécessité de le renverser.

15) La nouvelle étape du processus de maturation de la conscience dans le prolétariat, dont la situation actuelle du capitalisme détermine les prémisses, n'en est, pour le moment, qu'à ses débuts. En particulier, c'est un chemin important que doit parcourir la classe pour se dégager des séquelles du choc provoqué par 'implosion du stalinisme et l'utilisation qu'en a faite la bourgeoisie. De même, ce n'est pas de façon immédiate que l'ensemble du prolétariat sera en mesure de dégager de la barbarie guerrière croissante la perspective historique de ses luttes.

Dans ce processus, les révolutionnaires auront une responsabilité croissante :

-  dans la mise en garde contre l'ensemble des dangers que représente la décomposition, et particulière­ment, il va de soi, le déchaînement de la barbarie guerrière qu'elle porte en elle ;

-  dans la dénonciation de toutes les manoeuvres bour­geoises, dont un des aspects essentiels sera de dissi­muler, ou de dénaturer, le lien fondamental entre la lutte contre les attaques économiques et le combat plus général contre une guerre impérialiste de plus en plus présente dans la vie de la société ;

-  dans la lutte contre les campagnes visant à saper la confiance du prolétariat en lui-même et en son devenir ;

-  dans la mise en avant, contre toutes les mystifica­tions pacifistes ou interclassistes et, plus générale­ment, contre l'ensemble de l'idéologie bourgeoise, de la seule perspective qui puisse s'opposer à l'aggravation de la guerre : le développement et la généralisation du combat de classe contre le capitalisme comme un tout en vue de son renversement et de son remplacement par la société communiste.

CCI, juillet 1991

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [3]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [4]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [5]

Rapport sur la situation internationale (extraits)

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La décomposition de la société capitaliste

(...) Le troisième point qu'il faut faire ressortir (voir dans la résolution la présentation des deux premier)  est la durée du phénomène de la décomposition. Celui-ci a été identifié pour la première fois par le CCI lors des attentats terroristes de Paris, à l'automne 1986. Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il n'ait commencé à se manifester qu'à ce moment-la. En réalité, c'est tout au long des années 1980 que ce phénomène connaît son essor.

Ainsi, le CCI avait déjà implicitement pointé un tel phénomène dans la résolution sur la situation interna­tionale adoptée lors de son 6e congrès, en novembre 1985 (et qui reprenait l'analyse d'un document interne d'octobre 198$). Dans ce document, il était mis en évidence l'aggravation considérable des convulsions politiques des pays de la périphérie qui interdisait de façon croissante aux grandes puissances de s'appuyer sur eux dans les guerres contre le bloc adverse ou dans le "maintien de l'ordre" régional et les contraignait à intervenir de plus en plus directement dans les affron­tements militaires. Un tel constat se basait notam­ment sur la situation au Liban et surtout en Iran. Dans ce dernier pays, en particulier, on relevait déjà une relative nouveauté par rapport aux situations qu'on pouvait rencontrer dans le passé : un pays d'un bloc, et important dans son dispositif militaire, échappait pour l'essentiel à son contrôle sans pour autant tomber, ou même avoir la possibilité de tom­ber, sous la tutelle de l'autre. Cela n'était pas dû à un affaiblissement du bloc dans son ensemble, ni à une option permettant une amélioration de la position du capital national de ce pays, bien au contraire, puisqu'une telle politique devait conduire à une catas­trophe politique et économique. En fait, l'évolution de la situation en Iran ne correspondait à aucune rationalité, même illusoire, du point de vue des inté­rêts du capital national, la meilleure illustration en étant l'accession au pouvoir d'une couche de la société, le clergé, qui n'a jamais eu de compétence pour gérer les affaires économiques et politiques du capitalisme.

Ce phénomène de la montée de l'intégrisme musul­man, et de la victoire politique de celui-ci dans un pays relativement important, était lui-même une des premières manifestations de la phase de décomposi­tion. Cette percée de la religion dans un certain nombre de pays du tiers-monde ne pouvait et ne peut être considérée comme un retour en arrière à Page d'or de l'influence dominante de la religion dans la vie sociale. La roue de l'histoire ne saurait tourner à l'envers. Les pays du tiers-monde, de même qu'un certain nombre de pays de l'ancien bloc de l'Est par­ticulièrement infestés par la religion, ne reviennent pas au féodalisme ; le capital a, depuis longtemps déjà, soumis ces contrées a ses lois non pas, évidem­ment, par un développement significatif des forces productives sur des bases capitalistes, mais par la des­truction irréversible de leur économie "naturelle". Dans ces pays, la poussée de l'intégrisme religieux constitue une manifestation de la décomposition des superstructures idéologiques de la société capitaliste qu'il faut ranger sur le même plan que la montée, dans les pays avancés, du mysticisme et de la drogue.

On peut donc constater que l'entrée du capitalisme décadent dans sa phase de décomposition révèle ses premières manifestations dès la fin des années 70 et prend sa pleine dimension tout au long des années 80 (en ce sens, ces années ont bien été pour le capita­lisme, et aussi pour la classe ouvrière, des années de vérité au cours desquelles l'un et l'autre ont com­mencé à se trouver confrontés à la phase ultime du mode de production capitaliste). C’est un élément important dans la mesure où sa prise en compte conditionne une pleine compréhension, tant du point de vue de leurs causes que de leurs perspectives, des bouleversements qui ont secoué le monde ces deux dernières années. Il conditionne également, comme nous le verrons plus loin, une claire compréhension de la dynamique de la lutte et de la prise de conscience de la classe depuis le début des années 1980.

L'effondrement du bloc de l'est

(...) La tendance historique au capitalisme d'Etat, dont la mise en évidence est la condition élémentaire à la compréhension du stalinisme, connaît ses pre­mières manifestations marquantes non pas dans des secteurs arriérés du capitalisme mais au contraire dans ses secteurs les plus avancés. L'Allemagne de la première guerre mondiale en constituait, pour les révolutionnaires de cette époque (particulièrement pour Lénine), l'exemple typique. Classiquement, la prise en main par l'Etat de l'ensemble de l'économie s'est présentée comme un processus organique du capital national, affectant en premier lieu les secteurs les plus développés de celui-ci et de la bourgeoisie, notamment par une imbrication croissante entre cette dernière et l’appareil d'Etat. Ce caractère organique et généralement progressif (même si dans certains cas, tel le fascisme, il a pu s'accompagner de règle­ments de comptes violents au sein de l'appareil poli­tique bourgeois) du développement du contrôle de la société civile, et particulièrement de l'économie, par l'Etat, a permis de garantir, dans les pays avancés, la pérennité des mécanismes classiques de l'économie capitaliste, et particulièrement la sanction du marché comme stimulant de la compétitivité des entreprises, d'une exploitation "rationnelle" de la force de travail. Il a eu également pour mérite de maintenir en place l'essentiel du personnel économique de la classe dominante permettant au capital national de bénéfi­cier de toute l'expérience de ce personnel.

Tout autre est le processus de développement de la forme stalinienne du capitalisme d'Etat. Ce dévelop­pement n'a rien d'"organique". Il se présente au contraire comme une sorte "d'accident" de l'histoire résultant de la révolution et de la contre-révolution en Russie. Dans la mesure où c'est l'Etat surgi après la révolution qui assume la contre-révolution, c'est à lui qu'il revient de prendre en charge, de façon exclusive, la gestion du capital national abolissant de ce fait les mécanismes du marché intérieur et se privant (pour l'essentiel) des compétences des anciens spécialistes de l'exploitation capitaliste. Les critères d'appartenance à la classe exploiteuse, chargée de diriger la valorisation du capital, ne sont plus d'ordre économique comme dans le capitalisme classique (ce qui permet de sélectionner et de former un personnel compétent pour cette tâche de valorisation) mais d'ordre politique. C'est la place dans la hiérarchie du Parti-Etat, le grade dans la "nomenklatura", qui déterminent fondamentalement l'accession aux responsabilités économiques importantes. La servilité, a ruse, l'absence de scrupules qui constituent les talents essentiels pour l'ascension dans l'appareil du parti ne sont pas nécessairement les plus utiles pour une bonne gestion du capital national, d'autant plus qu'il n'y a pas de sanction du marché pour opérer une sélection et provoquer l'émulation au sein des "responsables" de l'économie. Sur ces bases, l'ensemble du personnel chargé de gérer le capital national est tout sauf motivé par la valorisation de celui-ci, désimplication et cynisme oui se répercutent à tous les niveaux de l'appareil productif, et particu­lièrement chez les ouvriers. Un tel mode de "gestion" du capital, où le "stimulant" principal de la force de travail exploitée est la contrainte policière, peut convenir à une économie relativement arriérée proté­gée par l'autarcie mais ne saurait faire face aux exi­gences du marché mondial. C'est principalement à ce caractère "accidentel" de sa constitution que le capi­talisme d'Etat de modèle stalinien doit son extrême fragilité face à la crise économique ainsi que son effondrement brutal.

Les causes de la faiblesse du bloc de l'Est sont du même ordre. Traditionnellement, les blocs impéria­listes se sont constitués de façon progressive, avec une véritable volonté des bourgeoisies des principaux pays les composant de s'associer, ou tout au moins de se rallier à la puissance dominante, laquelle tirait sa prééminence en premier lieu de son potentiel écono­mique. Il n'en a rien été pour ce qui concerne la constitution du bloc russe. Celui-ci se présente aussi comme une sorte d'accident de l'histoire. En effet, le pays qui se retrouve à sa tête est un pays arriéré sur tous les plans, faiblement industrialisé, moins déve­loppé que beaucoup de ses vassaux et donc nullement qualifie pour tenir ce rang. Il ne doit un tel privilège qu'aux circonstances spécifiques dans lesquelles se termine la seconde guerre mondiale (...). C’est donc contrainte et forcée par la puissance militaire que la bourgeoisie de ces derniers se "rallie" à l'URSS au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et c'est encore, pour l'essentiel, avec cette même puissance militaire que l'URSS maintient son emprise sur ses "alliés" (Hongrie 1956, Tchécoslovaquie 1968) alors même que ceux-ci sont dirigés par des partis stali­niens. Un tel mode de maintien de la cohésion du bloc exprime une extrême faiblesse de celle-ci. C'est bien cette faiblesse considérable qui s'est révélée en 89.

Il importe donc de souligner l'écart qui sépare le capi­tal des pays centraux de celui des pays de l'ex-bloc de l'Est du point de vue de leur capacité de résistance face à la crise. En effet, même si le chaos qui est en train de s'instaurer dans ces derniers indique la ten­dance générale de l'évolution du capitalisme à l'échelle mondiale, il serait erroné de considérer qu'à une brève échéance les pays les plus avancés vont connaître une situation du même type. (...)

Ceci dit, il est clair que la mise en évidence de la fai­blesse particulière du capitalisme d'Etat stalinien ainsi que de l'ancien bloc russe ne permet pas de tout expliquer. En particulier, elle ne permet pas de com­prendre pourquoi c'est à la fin des années 1980, et non au début par exemple, que s'est produit leur effondrement. C'est ici que le cadre de la décomposition se révèle indispensable.

...) L'absence d'une perspective (exceptée celle de sauver les meubles" de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au "sauve qui peut". C'est ce phénomène qui permet en  particulier d'expliquer l'effondrement du stalinisme et de l'ensemble au bloc impérialiste de l'Est. (...) La débandade générale au sein même de l'appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, telles que l'URSS et ses satellites nous en donnent aujourd'hui le spectacle, constitue, en réalité, la caricature (du fait des spécificités des régimes staliniens) d'un phénomène beaucoup plus général affectant l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition.    ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 9, Revue Internationale n°62)

Ainsi l'effondrement du stalinisme est bien une des manifestations de la décomposition. En particulier, il traduit clairement cette donnée essentielle de celle- ci : l'absence totale de perspective pour la société capitaliste. De même, la situation actuelle de l'URSS elle-même (et d'une partie de l'Europe de l'Est) qui est en train de se disloquer sous le coup des mouvements      nationalistes, constitue une autre illustration d'une des conséquences majeures de cette absence de perspective : la tendance à l'éclatement de la vie sociale,         au "chacun pour soi". (...)

 

La nouvelle configuration des conflits impérialistes

Au même titre que pour l'examen de l'effondrement I du stalinisme et du bloc de l'Est, celui de l'évolution des conflits impérialistes doit prendre en compte ce qui relève du cadre général de la décadence et ce qui relève plus particulièrement de la phase de décomposition.  C'est  évidemment vrai pour la guerre du Golfe. (...)

Contrairement à la FECCI, par exemple, qui identifie impérialisme, blocs impérialistes et capitalisme d'État, nous avons mis en relief le fait  que si l'impérialisme (de même que le capitalisme d'Etat) est  une donnée permanente et universelle de la décadence, il n'en est pas de même des blocs impérialistes. C'est pour cela que nous avons pu annoncer que l'effondrement du bloc de l'Est portait avec lui la disparition du bloc occidental tout en prévoyant que la fin des blocs n'augurait nullement une période de paix, bien au contraire.

Ceci dit, il importe de souligner que, même s'il n'y a pas besoin de blocs pour que la guerre puisse se déchaîner, même si la formation de blocs impérialistes ne découle pas automatiquement de l'impérialisme,celui-ci exerce en permanence une    i pression très forte vers cette formation. C'est pour cela que, en janvier 1990, nous écrivions : "La disparition des deux constellations impérialistes qui  étaient sorties de la seconde guerre mondiale porte, avec elle, la tendance à la recomposition de deux nouveaux blocs. " ("Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos", Revue Internationale n°61)

 

C'est un point important pour bien comprendre tous les enjeux de la guerre du Golfe. Si on ne le prend pas en compte, on passe à côté des véritables antagonismes qui sont en cause dans la période présente et qui se trouvaient en toile de fond de cette guerre.

En effet, un des objectifs essentiels de la démonstra­tion de force des Etats-Unis était de prendre immé­diatement les devants, de tirer un coup de semonce face à toute velléité de constitution d'un nouveau bloc impérialiste. Il est évident qu'aujourd'hui les condi­tions n'existent pas pour une telle constitution. (...) Cependant, (...) il importait dès à présent pour la première puissance mondiale -en réalité la seule super-puissance- de barrer le chemin d'une telle perspective afin de dissuader de s'y engager tous les pays qui auraient pu envisager une telle démarche. De façon plus concrète, un certain nombre de secteurs de la bourgeoisie ont pu miser, après l'effondrement du bloc de l'Est, sur un renforcement de la "Communauté européenne" et sur l'instauration d'une force armée de celle-ci, ce qui pourrait à terme constituer les bases d'un éventuel bloc dirigé par l'Allemagne. (...)

La guerre du Golfe a détruit tout espoir pour ceux qui pouvaient miser sur un éventuel futur bloc européen. S'il y a un résultat particulièrement clair de ce conflit, que tous les secteurs de la bourgeoisie ont souligné 'ailleurs, c'est bien la mise en évidence, outre de l'inexistence militaire du Japon et de l'Allemagne, de la totale inexistence politique (sans même parler du militaire) de l'Europe, puisqu'il est apparu pratique­ment autant de positions face à la guerre qu'il y a d'Etats sur ce continent. (...) On peut donc affirmer que, au moins sur le plan de la liquidation de toute velléité de démarche vers la constitution d'un nouveau bloc, l'objectif des Etats-Unis a été atteint, pour le moment, au delà de toute espérance..

La compréhension de cette fonction de la guerre du Golfe comme barrière à la constitution d'un nouveau bloc impérialiste est essentielle face aux interpréta­tions fausses qui ont pu se développer (...). [En parti­culier, il est nécessaire de réfuter la thèse, chère aux gauchistes, qu'il s'agit d'un conflit Nord-Sud, entre pays avancés et pays sous-développés.]

Un conflit entre les pays avancés et les pays arriérés ?

C'est vrai qu'il existe des intérêts communs entre les grandes puissances pour limiter au maximum l'extension du chaos existant dès à présent dans le tiers-monde. D'ailleurs, c'est également une des clés delà guerre du Golfe. La croisade pour "l'ordre mon­dial" et le respect du "droit international" a pu obte­nir (difficilement) l'assentiment de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité et le soutien finan­cier de l'Allemagne et du Japon grâce au chantage exercé par les Etats-Unis sur leurs ex-alliés et sur leur ex-rival.

Mais sur quoi portait ce chantage ? En partie sur des aspects économiques et financiers (attitude dans les négociations sur les tarifs douaniers pour l'Europe et le Japon, montant de l'aide financière consentie à l'URSS). Mais ce n'est là que la partie visible de l'iceberg. En réalité, le marché tel qu'il a été mis en main par les Etats-Unis à ses "alliés", notamment lors de la tournée de Baker en novembre 1990 qui a permis d'obtenir le vote du Conseil de Sécurité en faveur de l'intervention militaire, consistait à reconnaître cette puissance comme gendarme du monde en échange de sa "protection" et de son "aide" en cas de difficultés résultant de l'instabilité mondiale. Pour que la démonstration soit bien probante, les Etats-Unis ont fait comme n'importe quel racketteur : on brise la vitrine du magasin (ici le piège tendu à l'Irak) pour convaincre le boutiquier de l'intérêt qu'il a d'acheter une "protection". Dans le monde chaotique qui sort de la fin de la "guerre froide", les occasions de "désordres" régionaux ne manquent pas : en Afrique, en Indochine, entre l'Inde et le Pakistan ainsi que, avec l'éclatement du bloc de l'Est et de son chef de file, en Asie centrale, en Europe centrale et dans les Balkans. En outre, la prolifération de l'arme nucléaire (qui, à l'heure actuelle, en plus des cinq "grands" membres permanents du Conseil de Sécu­rité, est déjà détenue par des pays comme Israël, l'Inde, le Pakistan, le Brésil, et qui demain sera à la portée de n'importe qui constitue un facteur supplé­mentaire de danger. Les grands pays avancés sont évidemment intéressés à limiter cette instabilité qui menace ce qu'il leur reste de zones d'influence et de marchés. C'est pour cela qu'ils ont fini par se ranger derrière la seule puissance qui ait réellement les moyens de faire la police à l'échelle planétaire, comme elle l'ajustement démontré avec la guerre du Golfe.

Mais "l'ordre mondial" tel qu'il est proposé par le grand gendarme est loin de convenir entièrement aux autres pays puisqu'il est conçu principalement à son avantage et au détriment de leurs intérêts impéria­listes. Dans le chaos qui s'annonce, il appartenait à la bourgeoisie la plus puissante du monde de jouer plei­nement son rôle parce que c'est celle qui a le plus à perdre dans ce chaos et qui seule dispose des moyens de tenter d'y faire barrage. Et c'est ce qu'elle a fait. Mais par la manière employée, par le caractère on ne peut plus spectaculaire et brutal de son action, elle a en même temps signifié qu'elle ne tolérerait pas plus de "désordres" (c’est-à-dire d'empiétements de ses propres intérêts) de la part des pays avancés que de la part de pays comme l'Irak. C'est pour cela que, contrairement à la plupart de ses "alliés" qui pou­vaient miser sur une simple pression économique et politique, la bourgeoisie américaine n'avait d’autre option que la destruction de l'essentiel du potentiel économique et militaire du "fautif (option que ces autres pays ont tenté jusqu'au dernier moment de saboter) ([1] [6]). Avec la méthode classique des gangsters, le parrain a donc "flingué" un truand de seconde zone pour obtenir l'allégeance des autres "caïds". Et pour que la leçon soit bien comprise, que la démonstration ait toute la portée nécessaire, sans commune mesure avec ce qu avait pu représenter l'intervention au Panama, les Etats-Unis n'ont pas choisi n'importe quel "bouc émissaire". Il fallait que "l'ennemi à abattre" présente une certaine crédibilité, qu'il soit puissamment armé et justifie l'énorme déploiement militaire américain, un étalage bien impressionnant de toute la panoplie : satellites espions, Awacs, 6 porte-avions, énormes cuirassés crachant des obus de 1200 kg, missiles de croisière et "patriots", bombes de 7 tonnes, bombes "air-fuel combustible", char Abrams, etc., tout cela servi par près de 600 000 sol­dats. Il fallait en outre que cette intervention concerne une partie du monde ayant une réelle impor­tance stratégique : avec l'opération "Tempête du désert", les Etats-Unis ont bien démontré aux pays d'Europe et au Japon, qui sont les plus tributaires du pétrole du Moyen-Orient, qu'il dépendait de leur bon vouloir que ces pays puissent continuer à disposer de cette matière première indispensable à l'économie et la force militaire.

En fait, la thèse d'une "Sainte-Alliance" des pays avancés contre l'instabilité et le chaos régnant dans le tiers-monde s'apparente à une théorie extrêmement dangereuse, et fermement combattue par le passé par les révolutionnaires, qui est celle du "super-impéria­lisme". Elle se base sur l'hypothèse que les grandes puissances pourraient surmonter, ou au moins conte­nir, leurs antagonismes impérialistes afin d'établir une espèce de "condominium" sur le monde. C'est une thèse qui est démentie par toute l'histoire de l'impérialisme et que la phase de décomposition ne saurait rendre valable. En réalité, depuis qu'existe le capitalisme et particulièrement depuis que ce système a établi sa domination sur l'ensemble du monde, l'ensemble des phénomènes majeurs de son mode de vie ne sont pas partis de sa périphérie pour ensuite gagner son centre mais ont pris au contraire leur essor dans les pays centraux. Il en est ainsi en particulier de l'ensemble des caractéristiques majeures de la déca­dence telles que l'impérialisme, le militarisme et le capitalisme d’Etat dont les premières manifestations majeures ont affecté d'abord essentiellement les pays avancés de la vieille Europe avant qu'ils ne s'étendent par la suite dans le reste du monde pour y prendre des ormes souvent caricaturales. Il en est de même pour la crise ouverte de l'économie capitaliste, notamment celle qui se développe à partir du milieu des années 60, même si ses effets les plus désastreux sont repous­sés pour un temps vers les pays de la périphérie. En fait, comme toutes les sociétés de l'histoire, le capita­lisme ne s'effondre pas à partir de sa périphérie mais à partir de son centre. Et la décomposition ne fait pas exception qui est un phénomène que nous avons iden­tifié d'abord pour les pays avancés même si elle prend dans le tiers-monde ses formes les plus caricaturales.

Les conflits dans la phase de décomposition 

Pour ce qui concerne les antagonismes impérialistes, manifestation typique de la décadence capitaliste et que la décomposition ne peut qu'exacerber, il ne sauraient échapper à la règle. C'est d'abord et fondamentalement à travers les pays centraux du capitalisme qu'ils sont appelés à se déchaîner, même s'ils trouveront dans l'instabilité et le chaos qui déferlent sur les pays de la périphérie un terrain particulièrement propice à leur expression notamment dans la mesure où ils ne peuvent encore s'opposer directement sur un plan militaire aux pays avancés du fait du non embrigadement du prolétariat. Donner crédit à la thèse du "conflit Nord-Sud", ou à une de ses variantes c'est finalement considérer que le capitalisme est capable de surmonter ses contradictions fondamentales. C'est tomber dans la vision réformiste. (....)

Ainsi, comme on l'a vu pour l'effondrement du bloc de l'Est, c'est bien d'abord dans le cadre des caracté­ristiques de la décadence qu'il convient de com­prendre les conflits impérialistes d'aujourd'hui avant que de pouvoir examiner les particularités que la phase de décomposition y introduit. Ces particulari­tés ne sont pas étrangères à la décadence ; c'est au contraire leur exacerbation et leur accumulation à une échelle toujours plus étendue qui introduit dans la vie du capitalisme d aujourd'hui une qualité nouvelle qui constitue justement la différence entre les phases pré­cédentes de la décadence et la phase de décomposition.

La guerre du Golfe illustre bien cette réalité. Elle constitue en particulier une confirmation tout à fait probante du caractère parfaitement irrationnel de la guerre dans la période de décadence. (...)

Cette irrationalité économique de la guerre n'est pas une "découverte" récente du CCI. En particulier, elle était largement traitée dans la Revue Internationale n°52 et n°53 ("Guerre, militarisme et blocs impéria­listes"). En fait, ce n'est même pas une découverte du CCI puisqu'il a plus de 45 ans la Gauche Communiste de France pouvait écrire : "La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue au développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période déca­dente). Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant tou­jours pour le capitalisme la production de la plus-value, mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent." (voir Revue Internationale n°59)

En ce sens, il importe de rejeter toute conception ten­dant à chercher pour la guerre du Golfe clés causes directement économiques, telles le pétrole ou l'ouverture de nouveaux marchés pour les "vainqueurs", etc. Nous avons déjà vu combien était insuffisant l'argument du pétrole : s'il peut effective­ment constituer un élément du chantage des Etats-Unis sur leurs "alliés", la fixation de son prix ou les revenus qu'il représente pour le capital américain ne sauraient motiver une opération militaire d'une telle envergure et d'un tel coût. De même, si évidemment les sociétés américaines se sont taillées la part du lion dans les contrats pour la reconstruction du Koweït, il serait absurde de voir dans la guerre récente un moyen de relancer l'économie des Etats-Unis ou du reste du monde. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les béné­fices que ce pays pourra rapatrier avec ces contrats sont bien en deçà du coût de la guerre, même en comptant les chèques japonais et allemands. Quant à la "relance" économique de l'économie mondiale, il est clair qu'elle n'est pas à l'ordre du jour (...). Comme nous l'avons souligné en de multiples reprises, la guerre et le militarisme ne sont nullement des contrepoisons à la crise capitaliste, mais au contraire des facteurs de premier plan d'aggravation de celle-ci.

En outre, il serait incorrect de présenter l'accentuation des antagonismes impérialistes, dont la guerre du Golfe a constitué, jusqu'à présent, la manifestation la plus évidente, comme le résultat de l'aggravation immédiate de la situation économique, et particulièrement de la récession ouverte qui se développe à l'heure actuelle. S'il est clair que la guerre impérialiste découle, en dernière instance, de l'exacerbation des rivalités économiques entre nations résultant, elles-mêmes, de l'aggravation de la crise du mode de production capitaliste, il ne faut pas établir un lien mécanique entre ces différentes mani­festations de la vie du capitalisme décadent ([2] [7]). En fait, la cause majeure expliquant pourquoi cette guerre s'est déchaînée en 1990-91 est évidemment à rechercher dans la situation créée par l'effondrement du bloc de l'Est. De même dans le futur, le facteur qui va accentuer encore les antagonismes impérialistes ne sera pas constitué par chacune des étapes successives marquant l'évolution de la crise mais bien par le caractère de plus en plus absolu de l'impasse histo­rique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste.

Si la guerre du Golfe constitue une illustration de l'irrationalité d'ensemble du capitalisme décadent, elle comporte cependant un élément supplémentaire et significatif d'irrationalité qui témoigne de l'entrée de ce système dans la phase de décomposition. En effet, les autres guerres de la décadence pouvaient, malgré leur irrationalité de fond, se donner malgré tout des buts apparemment "raisonnables" (comme la recherche d'un "espace vital" pour l'économie alle­mande ou la défense des positions impérialistes des alliés lors de la seconde guerre mondiale). Il n'en est rien pour ce qui concerne la guerre du Golfe. Les objectifs que s'est donnée celle-ci, tant d'un côté comme de l'autre, expriment bien l'impasse totale et désespérée dans laquelle se trouve le capitalisme :

- Du côté irakien, l'invasion du Koweït avait incontes­tablement un objectif économique bien clair : faire main basse sur les richesses considérables de ce pays en espérant que les grandes puissances, comme elle Pavaient fait en de multiples autres reprises, ferme­raient les yeux sur un tel "hold-up". En revanche, les objectifs de la guerre avec les "coalisés", telle qu'elle a été acceptée par les dirigeants irakiens à partir du moment ou ils sont restés sourds à l'ultimatum du 15 janvier 1991, n'avait d'autre but que de "sauver la face" et d'infliger le maximum de pertes à ces ennemis et cela au prix de ravages considérables et insurmon­tables de l'économie nationale.

- Du côté "allié", les avantages économiques obtenus, ou même visés, sont nuls y compris pour le principal vainqueur, les Etats-Unis. L'objectif central de la guerre, pour cette puissance, donner un coup d'arrêt a la tendance au chaos généralisé, même s'il s'habille de grandes phrases sur le "nouvel ordre mondial", ne contient aucune perspective réelle sur le plan de l'amélioration de la situation économique, ni même de la préservation de la situation présente. Les Etats-Unis ne sont pas entrés en guerre, contrairement à la seconde guerre mondiale, pour améliorer, ou même préserver leurs marchés, mais tout simplement pour éviter une amplification trop rapide du chaos poli­tique international qui ne ferait qu'exacerber encore plus les convulsion économiques. Ce faisant, ils ne peuvent faire autre chose qu'accentuer l'instabilité d'une zone de première importance tout en aggravant encore les difficultés de leur propre économie (notamment l'endettement) comme celles de l'économie mondiale. (...)

Par certains côtés, la situation présente des Etats-Unis s'apparente à celle de l'Allemagne avant les deux guerres mondiales. Ce dernier pays, en effet, a essayé de compenser ses désavantages économiques, illus­trés par le fait qu'il ne disposait pas d'empire colonial significatif (en fait bien plus réduit que celui de la Belgique, de la Hollande ou du Portugal avant la première guerre et nul avant la seconde), en boule­versant le partage impérialiste par la force des armes. C'est pour cela que, lors des deux guerres, il a fait figure "d'agresseur" puisque les puissances mieux loties n'étaient pas intéressées à une remise en cause des équilibres. De même, l'atout essentiel dont dis­posent aujourd'hui les Etats-Unis, face à la menace économique constituée par l'Allemagne et le Japon, réside principalement dans sa supériorité militaire écrasante. Tant qu'existait le bloc de l'Est, cette puis­sance pouvait utiliser cette supériorité comme "bouclier" de ses alliés, ce oui lui permettait, en échange, de leur imposer ses "vues" notamment en matière économique. Dans un tel contexte, les Etats-Unis n'avaient pas besoin, à priori, de faire un usage important de leurs armes puisque l'essentiel de la pro­tection accordée à leurs alliés était de nature défen­sive (bien qu'au début des années 1980, les Etats-Unis aient engagé une offensive générale contre le bloc russe). Avec la disparition de la menace russe, "l'obéissance" des autres grands pays avancés n'est plus du tout garantie (c'est bien pour cela que le bloc occidental est désagrégé). Pour obtenir une telle obéissance, les Etats-Unis ont désormais besoin d'adopter une démarche systématiquement offensive sur le plan militaire (comme on l'a vu justement avec la guerre du Golfe) qui s'apparente clone à celle de l'Allemagne par le passé. La différence avec la situa­tion du passé, et elle est de taille, c'est qu'aujourd'hui ce n'est pas une puissance visant à modifier le partage impérialiste qui prend les devants de l'offensive mili­taire, mais au contraire la première puissance mondiale, celle qui pour le moment dispose de la meil­leure part du gâteau.

Cette différence est significative. Le fait qu'à l'heure actuelle, le maintient de "l'ordre mondial", c'est-à-dire, fondamentalement de l'ordre américain, ne passe plus par une attitude "défensive" (qui était celle de l'Entente et des Alliés par le passé) de la puissance dominante mais par un utilisation de plus en plus sys­tématique de l'offensive militaire, et même à des opé­rations de déstabilisation de toute une région afin de mieux s'assurer de la soumission des autres puis­sances, traduit bien le nouveau degré de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le mili­tarisme le plus déchaîné. C'est justement là un des éléments gui distingue la phase de décomposition des phases précédentes de la décadence capitaliste. (...)

Les rapports de force entre prolétariat et bourgeoisie

Le prolétariat dans la décomposition

(...) Il importe d'être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capa­cité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. (...) la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu'en s’aggravant, peut faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre définitivement la perspective du commu­nisme. Il en est ainsi parce que l’empoisonnement de la société que provoque la putréfaction du capitalisme n'épargne aucune de ses composantes, aucune de ses classes, ni même le prolétariat. En particulier, si l'affaiblissement de l'emprise de l'idéologie bourgeoise résultant de l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence était une des conditions de la révolution, le phénomène de décomposition de cette même idéologie, tel qu'il se développe aujourd'hui, se présente essen­tiellement comme un obstacle à la prise de conscience du prolétariat. ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", point 14) (...)

" Tout au long des années 1980, c'est malgré ce poids négatif de la décomposition, systématiquement exploité par la bourgeoisie, que le prolétariat a été en mesure de développer ses luttes face aux conséquences de l'aggravation de la crise" (Revue Internationale n°59, Présentation de la résolution sur la situation interna­tionale du 8e Congrès du CCI)

Jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est, les difficultés résultant du poids de la décomposition n'avaient pas réussi à remettre fondamentalement en cause la dynamique d'ensemble du combat de classe. Mais cet événement allait déterminer une rupture sensible dans cette dynamique. (...)

Dès le mois d'octobre 89, le CCI mettait en évidence les difficultés nouvelles que cet événement historique considérable allait provoquer sur la conscience du prolétariat (voir les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est", Revue Internationale n° 60) (...)

C'est dans ce contexte que la classe ouvrière a reçu un deuxième choc particulièrement brutal : la guerre du Golfe.

L'impact de la guerre du Golfe

(...) la paralysie des luttes ouvrières provoquée par la guerre du Golfe s'est révélée beaucoup plus impor­tante et   durable que celle qui a accompagné l'effondrement du stalinisme. Il en est ainsi parce la classe ouvrière des pays centraux s'est sentie beau­coup plus directement affectée par les événements du Golfe dans lesquels étaient (plus ou moins) directe­ment impliqués ces pays que par ceux de l'Est qui pouvaient apparaître comme quelque peu "extérieurs" (c’est pour cette raison d’ailleurs qu'en Occident il n'y a pas eu de manifestations à propos des événements de l'Est). L'effondrement du stali­nisme, s'il a suscité dans la classe un surcroît d'illusions très dangereuses (illusions démocratiques, croyances en un monde de paix") ainsi qu'un recul considérable de la perspective d'un possible remplacement du capitalisme par une autre société, n'a pas provoqué de sentiment d'inquiétude mais plutôt un sentiment d'euphorie. En revanche, la crise du Golfe et la guerre ouverte ont provoqué parmi des dizaines de millions d'ouvriers une profonde inquiétude qui a fait passer au second plan, de façon bien plus pro­fonde et durable que l'effondrement du bloc de l'Est, les préoccupations liées à la dégradation des condi­tions de vie en même temps qu'elle entraînait un fort sentiment d'impuissance.

Ainsi, au niveau des apparences, la guerre du Golfe a eu un impact encore plus négatif sur la classe ouvrière que l'effondrement du bloc de l'Est. Mais c'est juste­ment la responsabilité des organisations révolution­naires, fraction la plus consciente de la classe, de savoir reconnaître, au delà de ces apparences, les véritables tendances qui travaillent la société en profondeur.

Si on passe en revue la façon dont les principales forces de la bourgeoisie ont manoeuvré pour faire accepter l'intervention militaire au Moyen-Orient à la classe ouvrière des pays centraux on est frappé par leur extrême habileté :

- au début de la crise, lorsque la majorité de la popu­lation, et particulièrement de la classe ouvrière, est réticente face à une telle intervention, les "démocraties" occidentales, avec les Etats-Unis à leur tête, focalisent l'attention sur le "boycott" de l'Irak, alors qu'est acheminé sur place le dispositif militaire le plus considérable depuis la seconde guerre mondiale ;

- en même temps se multiplient les manoeuvres poli­tiques pour faire apparaître Saddam Hussein comme "celui qui veut le guerre" alors qu'on ne lui laisse de toutes façons pas d'autre issue ;

- durant la même période, les mouvements pacifistes se mettent en branle pour canaliser dans une impasse les éléments (et particulièrement les ouvriers) qui refusent de s'associer à la croisade pour le "Droit" ;

- lors du déclenchement de la guerre elle-même, celle-ci est présentée comme une "guerre propre" qui ne fait pas de victimes civiles en Irak ni de pertes parmi les "coalisés" ;

- à la veille de l'offensive terrestre, c'est un son de cloche opposé qui se fait entendre avec toute une insistance sur l'étendue des pertes qu'elle va occa­sionner parmi les coalisés, ce qui permet, avec la rapidité et les faibles pertes de cette offensive, de provoquer un sentiment de soulagement dans les populations (et donc la classe ouvrière) des pays concernés ;

- après la guerre elle-même, l'horrible massacre des kurdes, voulu par les vainqueurs, est exploité pour justifier a posteriori l'intervention militaire contre l'Irak et susciter le sentiment que cette intervention aurait dû se poursuivre jusqu au renversement de Saddam Hussein et la destruction complète de ses forces militaires.

Ces manoeuvres, systématiquement appuyées par les médias aux ordres, ont atteint leur objectif mais leur sophistication prouve à elle seule à quel point la bourgeoisie était consciente qu'elle n'avait pas les coudées franches pour mener sa politique guerrière. En particulier, elle savait pertinemment que si cette politique était indispensable dans la défense de ses intérêts (avec les nuances que nous avons vues suivant les pays) elle pouvait constituer, contrairement à l'effondrement du bloc de l'Est, un facteur non négli­geable de clarification de la conscience du prolétariat. (...)

Au delà des apparences, l'effondrement du bloc de l'Est et la guerre du Golfe (non pas à elle seule mais par ce qu'elle annonce) s'inscrivent dans des dyna­miques opposées du point de vue du processus de prise de conscience dans la classe ouvrière.

(...) Dans le second cas, nous étions confrontés à une réelle inquiétude, à des interrogations en profondeur, faisant suite à l'euphorie qui avait accompagné les événements de l'Est. (...) Et contrairement à ce type d'euphorie, l'inquiétude, si elle peut dans un premier temps provoquer une paralysie de la combativité ouvrière, constitue dans la période historique pré­sente, un puissant stimulant de la réflexion en profondeur.

Il importe donc d'insister sur le fait (...) que les évé­nements de ces deux dernières années ne sauraient en aucune façon remettre en cause le cours historique mis en évidence par le CCI depuis plus de deux décennies. (...)

Le cours historique

Un renversement du cours historique supposerait, en effet, une défaite considérable de la classe ouvrière et la capacité de la bourgeoisie de s'appuyer sur cette défaite pour embrigader la classe ouvrière derrière ses drapeaux idéologiques. Or, tant l'effondrement du bloc de l'Est que la guerre du Golfe ne peuvent être considérés comme des défaites du prolétariat ni des occasions pour la bourgeoisie de l'embrigader.

Le premier événement s'est produit de façon indé­pendante vis-à-vis de l'action de la classe ouvrière (et c'est bien pour cette raison qu'il a provoqué un recul dans le processus de la prise de conscience en son sein). De ce fait, il n'a pu, malgré les difficultés importantes qu'il a fait surgir sur le chemin du prolé­tariat vers les affrontements révolutionnaires, lui faire rebrousser de façon durable ce chemin (c'est ce que nous mettions en évidence il y a un an en signalant la fin de la dynamique de recul). En particulier, pour les secteurs décisifs du prolétariat, il n'y a pas eu de réel embrigadement (et, notamment, pas de manifesta­tions) derrière les mystifications qui ont affaibli sa conscience car "les secteurs de la classe qui se trouvent aujourd'hui en première ligne de ces mystifications, ceux des pays de l'Est, sont relativement périphériques. C'est principalement à cause du "vent d'Est" qui souffle aujourd'hui, et non parce qu'il serait dans "l'oeil du cyclone", que le prolétariat de l'Ouest doit affronter ces difficultés."Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos", Revue Inter­nationale n°61).

Quant au second événement, il constitue fondamen­talement, comme on l'a vu, un antidote contre le poi­son idéologique déversé lors de l'effondrement du stalinisme, venant renforcer les effets salubres de la mise en évidence de la faillite économique du mode de production capitaliste. La guerre du Golfe n'a pu avoir lieu que parce que le prolétariat des pays avan­cés n'a pas trouvé la force de s'y opposer. Mais il ne s'agit pas là d'une défaite directe puisque ses grandes masses n'ont pas eu à être mobilisées dans cette guerre que l'on a confiée uniquement à des profes­sionnels, en insistant d'ailleurs bien fort sur le fait que les ouvriers en uniforme du contingent (là où existe la conscription) n'y seraient pas envoyés. Cette insis­tance, de même que celle sur le faible nombre de tués dans les troupes "coalisées", constitue une des meil­leures preuves de la crainte éprouvée par la bourgeoisie que la guerre ne devienne un facteur de développement des luttes et de la conscience de la classe ouvrière. (...)

Et s'il en est ainsi, c'est que, bien qu'aujourd'hui la guerre impérialiste s'inscrive de plain pied dans la décomposition, elle ne constitue pas une manifesta­tion typique de celle-ci mais le mode de vie même du capitalisme depuis le début de sa décadence. Et c'est bien la décadence qui constitue la condition objective nécessaire au renversement de ce système.

Ceci dit, la décomposition elle-même, bien qu'elle comporte uniquement des conséquences négatives pour la classe ouvrière jusqu'au moment de la période révolutionnaire, ne saurait être invoquée aujourd'hui pour étayer la thèse d'une remise en cause du cours historique. Certes, c'est, comme on l'a vu, un danger extrêmement grave qui menace la classe ouvrière et plus globalement l'humanité puisqu'elle peut conduire à sa destruction. Et ce danger est d'autant plus grave "que si le déchaînement de la guerre mondiale requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie, (...) la décomposition n'a nul besoin d'une telle adhésion pour détruire l'humanité." (Ibid, page 8). Mais, contrairement à la guerre mondiale, les effets de la décomposition (à part, évidemment l'effondrement du stalinisme) sont relativement lents et n'ont pas été capables jusqu'à présent de bloquer le développement des luttes et de la prise de conscience du prolétariat (comme on l'a vu notamment au milieu des années 1980 avec la troisième vague de luttes). En outre, la permanence de la guerre associée à l'effondrement croissant de l'économie capitaliste provoquant nécessairement la riposte et la mobilisa­tion du prolétariat sur son terrain de classe, va consti­tuer un antidote puissant contre les poisons typiques sécrétés par la décomposition. (...)

De même, les combats que le prolétariat devra néces­sairement développer vont constituer un facteur de premier plan, par la solidarité de classe qu'ils sup­posent, de dépassement des tendances à l'atomisation entre ouvriers, au "chacun pour soi", notamment sous sa forme du corporatisme.

Cela ne veut pas dire que, désormais, la décomposi­tion n'exercera plus de pression néfaste sur la classe. Cela signifie tout simplement que cette pression n'a pu jusqu'à présent, et n'est pas près de provoquer une défaite et un embrigadement du prolétariat. C'est pour cela que les révolutionnaires ont la responsabilité de mettre en avant toutes les potentialités de développement des combats et de la conscience que la classe porte en elle. (...)

20/4/1991

 



[1] [8] La fidélité à toute épreuve témoignée par la bourgeoisie britan­nique à l'égard de la politique américaine témoigne à la fois de l'intelligence toute particulière de celle-ci qui a compris que les enjeux sont trop importants pour l'ensemble du capitalisme pour prendre le risque de participer à une aggravation de l'instabilité mondiale en tentant de s'opposer aux Etats-Unis et aussi d'une défense bien comprise de ses intérêts nationaux que, depuis la première guerre mondiale, elle a décidé d'associer fermement à celui de la bourgeoisie américaine qui venait de la supplanter. Par cette fidélité envers la bourgeoisie la plus puissante, la bourgeoisie anglaise s'est en même temps acquise une position de "bras droit", d'"homme de confiance" de celle-ci dont elle attend, en contre­partie des garanties. Une telle alliance présente en outre l'avantage de ne pas risquer d'aboutir à une simple colonisation (comme c'est le cas du Canada) dans la mesure où le "grand frère" est éloigné de près de 5000 kilomètres. Si un pays comme la France ne fait pas montre, en général, de la même docilité envers les Etats-Unis, c'est qu'il n'y a pas de place pour deux "bras-droits" auprès des Etats-Unis. C'est le sens de l'alliance privilégiée de ce pays avec l'Allemagne depuis plus de 30 ans, une alliance qui, avec la montée en puissance de ce grand voisin, risque de devenir un peu pesante, ce qui constitue une entrave supplémentaire à la constitution d'un "bloc européen".

[2] [9] Cela était déjà vrai pour la première guerre mondiale qui ne se déchaîne pas comme conséquence directe de la crise. Il y a effecti­vement, en 1913, une certaine aggravation de la situation écono­mique, mais qui n'est pas sensiblement plus importante que celles de 1900-1903 ou de 1907. En fait, les causes essentielles du déclen­chement de la guerre mondiale, en août 1914, résident dans :

- la fin du partage du monde entre les grandes puissances capi­talistes, dont la crise de Fachoda (où les deux grandes puissances coloniales, la Grande-Bretagne et la France se retrouvent face à face après avoir conquis l'essentiel de l'Afrique), en 1898, constitue une sorte de symbole et qui marque la fin de la période ascendante du capitalisme ;

- l'achèvement des préparatifs militaires et diplomatiques per­mettant la constitution des alliances qui allaient s'affronter ;

- la démobilisation du prolétariat européen sur son terrain de classe face à la menace de guerre mondiale (contrairement à la situation de 1912, lorsque se tient le Congrès de Bâle) et son embri­gadement derrière les drapeaux bourgeois permis, en premier lieu, par la trahison avérée (et vérifiée par les principaux gou­vernements) de la majorité des chefs de la Social-Démocratie.

Ce sont donc principalement des facteurs politiques qui déter­minent, une fois que le capitalisme est entré en décadence, qu'il a fait la preuve qu'il arrivait à une impasse historique, le moment du déclenchement de la guerre.

Le même phénomène se renouvelle lors de la seconde guerre mondiale. Les conditions objectives de celle-ci sont données dès le début des années 30, lorsque ce système, une fois la reconstruction achevée, se retrouve confronté à son impasse. Encore une fois, ce sont principalement des données politiques du même ordre qui font que la guerre n'éclate qu'à la fin de cette décennie.

De même, si la raison majeure qui empêche le capitalisme de déchaîner une troisième guerre mondiale au cours des années 50 réside dans le fait que la reconstruction lui donne momentanément une certaine marge de manoeuvre, il faut également prendre en compte, comme autre facteur, la faiblesse du bloc de l'Est et parti­culièrement de sa puissance dominante. Celle-ci, qui se retrouve dans une situation similaire à celle de l'Allemagne avant les deux guerres mondiales puisqu'elle est la plus mal lotie dans le partage du gâteau impérialiste, fait un certain nombre de tentatives pour améliorer ses positions (blocus de Berlin en 48, guerre de Corée en 52). Mais ces tentatives sont facilement repoussées par les Etats-Unis et leur bloc, ce qui les empêche de constituer les prémisses d'une troisième guerre mondiale.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [4]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [10]
  • Impérialisme [11]

Appel au milieu politique prolétarien

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Avec les violents massacres du Golfe Persique, le capitalisme mondial a jeté son masque et a montré ce que nous réserve son « nouvel ordre mondial » : un avenir fait de chaos, de barbarie et de guerre.

La réalité de la guerre impérialiste, qui a impliqué, même si c'est indirectement, l'ensemble du prolétariat des métropoles impérialistes, a stimulé une décantation salutaire au sein du camp politique prolétarien.

D'un côté, un groupe comme l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI) en Italie, qui s'était spécialisé depuis des années dans le soutien aux « bourgeoisies opprimées », s'est rangé avec armes et bagages dans le camp de l'impérialisme irakien, montrant par là qu'il était complètement étranger et ennemi du camp politique prolétarien.

D'un autre côté, l'ensemble du milieu a su réagir au défi de la guerre, en défendant fermement les deux critères désormais essentiels pour rester solidement à l'intérieur des frontières de l'internationalisme prolétarien :

1) Non à la guerre impérialiste. Aucun soutien à un quelconque camp impérialiste en guerre, même et surtout s'il se proclame « anti‑impérialiste ».

2) Non au pacifisme, le capitalisme c'est la guerre ! Seule la guerre au capitalisme, seule la révolution prolétarienne, peuvent permettre un avenir sans guerre.

En défendant unanimement ces deux places fortes prolétariennes, les groupes internationalistes ont démontré qu'ils étaient dignes des minorités révolutionnaires qui, en pleine Première guerre mondiale, ont fait entendre leur voix contre le massacre impérialiste.

Il y a cependant une différence qui saute aux yeux :

‑ En 1916, les divergences énormes qui existaient entre les différents courants qui s'opposaient à la guerre ne les ont pas empêché de lancer un appel unitaire au prolétariat de tous les pays, avec le fameux manifeste de Zimmerwald, qui a été un rayon de lumière pour des millions de prolétaires qui souffraient et mouraient dans les tranchées.

‑ Aujourd'hui, les groupes internationalistes ont défendu avec les mêmes mots les critères essentiels contre la guerre, démontrant une homogénéité bien plus grande que celle qui existait à Zimmerwald, mais malgré cela ils n'ont pas été capables de parler d'une seule voix, au moins en cette occasion, au prolétariat de tous les pays.

C'est une honte qui pèse sur l'ensemble de l'actuel mouvement communiste et qu'on ne peut absolument pas minimiser. Et qu'on ne vienne pas nous dire que « l'essentiel est qu'on a dit les mêmes choses et que cela est suffisant ». Aujourd'hui, l'hypothèque que le capitalisme en décomposition fait peser sur la classe ouvrière est la perte de son unité de classe, à travers mille affrontements fratricides, des sables du Golfe aux frontières de la Yougoslavie. C'est pour cela que la défense de cette unité est une question de vie ou de mort pour notre classe. Mais quelle espérance pourrait désormais avoir le prolétariat de maintenir cette unité, si son avant‑garde consciente, elle‑même, renonçait à combattre pour son unification ? Qu'on ne vienne pas nous dire non plus que c'est un « embrassons‑nous tous », un « escamotage opportuniste des divergences », un appel à une « unité indifférenciée au mépris des principes ». Rappelons‑nous que ce fut justement la participation aux discussions de Zimmerwald qui a permis aux Bolcheviks de réunir la Gauche de Zimmerwald, embryon de la future Internationale Communiste et de la séparation définitive avec les sociaux‑démocrates. C'est justement parce qu'il existe entre les internationalistes des divergences profondes qui les empêchent de parler toujours d'une même voix, qu'il est nécessaire que ces divergences soient ouvertement discutées entre les révolutionnaires, comme nous l'a enseigné l'exemple des discussions entre Rosa Luxemburg, Lénine et les autres camarades qui nous ont précédés. Enfin, qu'on ne vienne pas nous dire que notre appel est le « classique appel dans le vide », qu'on fait tous les ans « juste pour démontrer que nous ne sommes pas sectaires et que les autres le sont ».

Quand, en 1983, nous nous retournions vers l'ensemble du mouvement prolétarien, celui‑ci était en proie à une crise profonde, illustrée par l'explosion de Programma Comunista. La transformation de son ex‑section algérienne, El Oumami, en groupe nationaliste arabe, est passée quasiment inaperçue dans le climat général d'arriération et de fermeture sectaire. Notre appel à ce moment‑là était une invitation à combattre les tendances alors dominantes dans le milieu.

Aujourd'hui, la situation est différente. À l'intégration définitive de l'OCI dans le camp de la bourgeoisie, a répondu le rejet explicite du soutien aux « bourgeoisies nationales opprimées » par les groupes internationalistes de tradition bordiguiste, rejet qui marque une clarification importante pour l'ensemble du milieu. À la place du total isolement sectaire, nous trouvons aujourd'hui dans les différents groupes une plus grande disposition à exposer leurs critiques réciproques dans la presse ou dans les réunions publiques. Il existe en plus un appel explicite des camarades de Battaglia Comunista à surmonter la dispersion actuelle, appel dont nous partageons en grande partie les arguments et les buts. Il existe enfin ‑ et ce doit être encouragé au maximum ‑ une poussée contre l'isolement sectaire, qui vient d'une nouvelle génération d'éléments que le tremblement de terre de ces deux dernières années pousse vers les positons de la Gauche communiste et qui restent pantois devant l'extrême dispersion dont ils n'arrivent pas à comprendre les raisons politiques.

Nous savons bien que les difficultés sont énormes, et que, pour le moment, la disposition à la discussion ‑ quand elle existe ‑ est très limitée. Il y a ceux qui affirment que le débat doit se cantonner à des groupes qui ne se réclament que de la Gauche communiste d'Italie, excluant donc le CCI. Il y a ceux qui conçoivent le débat exclusivement comme un anéantissement des autres groupes dans leur presse. Il y a ceux qui pensent que le vrai débat ne sera possible que dans une phase pré‑révolutionnaire et il y a ceux qui sont disposés à discuter avec les nouveaux éléments en recherche mais pas avec les « vieux ». Comme on le voit, les racines du sectarisme sont trop profondes pour qu'il soit aujourd'hui possible de faire des propositions trop ambitieuses, tant dans leur contenu (travail à la reconstruction du parti) que dans leur forme (par exemple une conférence internationale). Que faire alors pour dépasser concrètement cet état actuel de dispersion ? Il faut favoriser tout ce qui va dans le sens de la multiplication des contacts et des débats entre internationalistes ([1] [12]). Il ne s'agit pas de cacher les divergences pour rendre possible un « mariage » entre groupes, mais de commencer à exposer et à discuter ouvertement des divergences qui sont à l'origine de l'existence des différents groupes.

Le point de départ, c'est de systématiser la critique réciproque des positions dans la presse. Cela peut paraître une banalité, mais il y a encore des groupes révolutionnaires qui, dans leur presse, font semblant d'être seuls au monde.

Un autre pas qui peut être fait immédiatement, c'est de systématiser la présence et l'intervention aux réunions publiques des autres groupes.

Un pas plus important est la confrontation des positions dans des réunions publiques, convoquées conjointement par plusieurs groupes, face à des événements d'une importance particulière, comme la guerre du Golfe.

Il est clair que tout cela, et en particulier ce dernier point, ne sera pas immédiatement réalisable partout et entre tous les groupes. Même si il n'y a que deux organisations qui réussissent à discuter publiquement de leurs accords et de leurs divergences, ce sera déjà un pas en avant pour le milieu politique internationaliste tout entier, et le CCI appuiera avec conviction de telles initiatives, même s'il n'est pas parmi les participants directs de cette discussion particulière.

Nos propositions peuvent paraître modestes, et en fait elles le sont. Face à des décennies de sectarisme débridé, il est déjà ambitieux de vouloir seulement contribuer à enclencher un processus de confrontation et de regroupement entre internationalistes, mais c'est le seul chemin pour que se fasse le processus de décantation politique et de démarcation programmatique qui conduira les minorités communistes à jouer pleinement leur rôle essentiel dans les batailles de classe qui se préparent.

CCI, juillet 1991



[1] [13] Il est évident que les groupes résidus et organisations de type gauchiste (trotskystes, maoïstes, anarchistes) ne sont pas pour nous des internationalistes. Quant à la myriade de groupuscules qui gravitent en parasites autour des principaux courants du milieu prolétarien, par la dispersion militante et la confusion qu'ils alimentent, ils ne peuvent en rien contribuer dans un tel débat.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [14]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la guerre [15]

Questions théoriques: 

  • Guerre [16]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [17]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/content/revue-internationale-no-67-4e-trimestre-1991

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