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Revue Internationale no 14 - 3e trimestre 1978

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Afrique, contre la marche vers la guerre mondiale : Riposte internationale de la classe ouvrière ! (tract)

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Le capitalisme décadent porte la guerre en ses flancs comme seul aboutissement aux contradictions et déchirements internes du système. Aucun mystère ne voile la nature de la guerre impérialiste à notre époque. L'absence de nouveaux débouchés pour réaliser la plus-value incluse dans les marchandises produites au cours du processus de production, ouvre une crise permanente du système : une lutte acharnée pour la possession des matières première, pour la maîtrise du marché mondial, pour le contrôle des zones militaires stratégiques du globe. Plus l'antagonisme inter-impérialiste s'aggrave avec la crise économique, plus les Etats capitalistes sont amenés à renforcer leur appareil militaire défensif et offensif. Depuis la fin du siècle dernier, le capitalisme est définitivement rentré dans le stade de l'impérialisme et tous les Etats du monde, pour défendre leurs intérêts propres, sont obligés de se mettre sous la tutelle de l'une ou l'autre des deux grandes puissances : les USA et la Russie.

Les guerres restent actuellement localisées mais le théâtre des opérations s'est étendu ces derniers temps depuis l'Indochine, proie entre la Russie et la Chine, elle-même devenue l'interlocuteur privilégié du bloc occidental en Asie, jusqu'au Moyen-Orient, abcès de fixation quasi permanent et maintenant en Afrique qui se déchire en foyers de guerre effectifs ou potentiels : Zaïre, Tchad, Rhodésie, Afrique du Sud, Angola, Ethiopie, Erythrée, Somalie.

Les récents événements au Zaïre constituent le signe le plus marquant du réchauffement des conflits inter impérialistes à l'heure actuelle. Les interventions militaires directes de la France et la Belgique sont motivées par les intérêts économiques et politiques que gardent ces pays face à leurs anciens empires coloniaux, tout comme, les "casques bleus" français au Liban ne sont que l'ancienne armée coloniale déguisée. On serait tenté, si l'on reste à ce niveau seulement de comparer le Zaïre avec des aventures impérialistes des années 60 telles que le Vietnam et d'en conclure que les événements d'aujourd'hui sont moins graves, moins âpres, moins dangereux. Mais on se tromperait lourdement.

En fait, l'intervention au Zaïre comme celle au Tchad fait partie d'une concertation des efforts de tous les pays de l'OTAN pour affronter les poussées du bloc russe. Ce ne sont pas un ou deux pays qui sont en cause mais directement toute la politique des blocs impérialistes. L'impérialisme russe s'acharne à vouloir briser l'emprise du bloc américain sur l'Afrique, après avoir subi l'étau de la "pax americana" au Moyen-Orient. L'impérialisme américain vient de faire une démonstration importante de la rapidité de ses réactions ainsi que de la collaboration au sein de son bloc face aux conflits.

Au moment des événements, tous les pays d'Europe ont donné leur appui à l'intervention au Zaïre et Washington a même prêté certains de ses avions. Le 5 juin, les six pays de l'OTAN se sont réunis à Bruxelles pour étudier la situation en Afrique et plus tard, le 11 juin, les "onze" du bloc américain (y inclus l'Iran, l'Arabie Saoudite, le FMI (Fonds Monétaire International), la Banque mondiale et une commission de la CEE) ont étudié les modalités d'une aide financière pour maintenir à flot l'économie zaïroise, criblée de dettes étrangères de 2,3 milliards de dollars et dont le PNB diminue de 5 % chaque année depuis 1976. Sept pays africains participent à la force chargée de la défense du Shaba; le Maroc fournira l'essentiel des troupes de cette force sans précédent. Même l'Egypte donne son soutien militaire au Zaïre comme au Tchad.

Le renforcement des blocs impérialistes s'accentue de conflit en conflit. Nous voyons aujourd'hui clairement la véracité de notre analyse : "L'économie de guerre à l'époque actuelle n'est pas seule ment mise en place à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle d'un bloc impérialiste. L'incorporation dans un des deux blocs impérialistes -chacun dominé par un capitalisme d'Etat continental et colossal, les USA et la Russie est une nécessité à laquelle même les "grandes puissances anciennement impérialistes comme la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon ne peuvent résister. La tendance dominante de la part des USA et de la Russie est de coordonner, organiser et diriger le potentiel de guerre de leur bloc ("Rapport sur la situation Internationale [1]", Revue Internationale n°11). La bourgeoisie a présenté ce nouveau pas vers la guerre "franche" comme un acte humanitaire" pour "sauver les blancs", tout comme elle a lancé une campagne anti-terroriste pour mieux cacher le renforcement de l'appareil répressif de l'Etat. Les révolutionnaires ont le devoir de prendre une position intransigeante, internationaliste face à toutes les menaces de guerre, à toutes les campagnes idéologiques de la guerre. Et c'est cela que le CCI a fait à travers la déclaration que nous publions ci-dessous, dénonçant les deux camps en présence, dénonçant toute tentative de couvrir la vérité des événements par la mystification des soi-disant "luttes de libération nationale" ou par un appui au bloc russe, supposé "progressiste". Contrairement au PCI (bordiguiste) qui écrit : "les combattants palestiniens, libanais, tchadiens, sahraouis, qui se dressent les armes à la main contre "notre" impérialisme, sont les frères des prolétaires de la métropole dans la lutte contre l'ennemi commun : l'Etat impérialiste français" (Tract du 21 mai 1978, France), le CCI affirme "qu'on ne lutte pas contre l'impérialisme en choisissant l'une ou l'autre des puissances antagonistes. Tous ceux qui tiennent ce langage se font, consciemment ou inconsciemment les rabatteurs de la guerre impérialiste". Les armées palestiniennes, tchadiennes ou katangaises sont des proies de l'impérialisme russe tout en dépendant des intérêts d'une partie de la bourgeoisie locale de la même manière que le corps expéditionnaire du bloc occidental (les légionnaires français, les troupes marocaines et autres) servent l'impérialisme américain tout en défendant les intérêts d'une partie de la bourgeoisie locale. Le prolétariat n'a pas de patrie. Il n'a pas à soutenir de mouvement nationaliste d'aucune sorte, ni au « tiers-monde », ni dans les métropoles. La classe ouvrière vit et agit dans les pays sous-développés ; c'est elle, on effet, qui s'est fait massacrer dans la ville minière de Kolwezi par les armées adverses. La classe ouvrière n'a que faire des alliances avec des mouvements nationalistes. Son seul ennemi, c'est le système capitaliste partout dans le monde.

La situation internationale s'aggrave mais seul le prolétariat peut porter un coup d'arrêt aux forces impérialistes. Au mois de juin 1978, alors que les corps expéditionnaire français et occidentaux font leur sale besogne au Zaïre et au Tchad, 50.000 ouvriers des arsenaux de l'Etat français se sont mis en grève contre leurs conditions d'exploitation. C'est cette voie, cette capacité d'arrêter le bras destructeur du capital qui constitue la seule réponse possible à la crise, à l'OTAN couru ; au C0MEC0N. Il devient chaque jour plus clair que la lutte contre la guerre, c'est la lutte décisive entre le capital et le travail.

La déclaration suivante est publiée dans toute la presse du CCI, dans toutes les langues. Elle a été diffusée en tant que tract au cours des évènements du Zaïre en France et en Belgique.

Ils disent intervenir pour "raisons humanitaires". Ils mentent.

  • Toutes les guerres débutent avec ce prétexte. Les atrocités ? Ils les "oublient" quand elles ne peuvent serviteurs mauvais coups : qu'ont-ils dit du massacre par l'Afrique du Sud de 600 réfugiés en Angola ?
  • "Chevaliers de la civilisation", ces paras, ces légionnaires? Ce sont les troupes les plus brutales et sanguinaires. Eux-mêmes s'en vantent : "On est ici pour casser du katangais".
  • La presse, la télévision, la radio en font trop; elles ne feraient pas tant de bruit si elles n'avaient du mal à remplir leur rôle : tenter de masquer l'évidence ; la seule vraie raison de l'opération Kolwezi : son caractère impérialiste. Et l'ampleur du battage est à la hauteur du l'enjeu en cause, qui n'est pas des moindres : L'INTERVENTION AU ZAÏRE MARQUE UN NOUVEAU PAS DANS L'ESCALADE VERS UNE TROISIEME GUERRE MONDIALE.

Certes, le fait n'est pas nouveau. Depuis la fin de la seconde guerre, les deux blocs impérialistes : USA et ses valets, URSS et ses "frères" n'ont cessé de s'affronter sous couvert de "dé colonisation", "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", "défense de l'intégrité nationale", "lutte pour la démocratie", "lutte pour le socialisme", faisant des zones en conflit des enfers pour les peuples victimes de leur" sollicitude". Et ce fut, par l'envoi massif d'armements les plus meurtriers, ou par l'intervention directe, le quadrillage de la terre saignant de ces massacres : Indochine, Corée, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Vietnam, Biafra, Bengale, Cambodge. Aujourd'hui, l'Afrique est une zone privilégiée de l'échiquier où se joue leur jeu infernal : chacun avance ses pions. Les deux camps sont pour l'heure ainsi tracés : aux couleurs de l'URSS : Angola, Mozambique, Algérie, Libye et Ethiopie. En face, les pièces maîtresses des USA et de ses acolytes anglais, français et belges : Afrique du Sud et Zaïre. Plus le capitalisme mondial s'enfonce dans sa crise économique plus les conflits deviennent nombreux et violents : Rhodésie, Sahara, Ogaden, Erythrée, Tchad, la liste des massacres s'allonge.

Aujourd'hui, l'intervention au Zaïre.

  • Et, parce qu'elle illustre la tendance des conflits à se rapprocher d'un centre vital du capitalisme, l'Europe, dont le Zaïre est le principal réservoir de matières premières et un territoire de pénétration capitaliste de premier ordre.
  • Et, parce qu'elle constitue, malgré les disputes entre les complices français et beiges la réponse d'ensemble du bloc américain au défi lancé par le bloc russe avec sa mainmise sur l'Angola.
  • Et, parce que jamais, ces dernières années, une expédition de ce genre n'a connu une telle ampleur, une telle collaboration des brigands occidentaux dans sa préparation, son exécution, sa justification : avions américains, matériel anglais, troupes belges et françaises, absolution de l'Europe des Neuf et de la Chine dite communiste.
  • Et, parce que la campagne idéologique qui soutient l'offensive militaire est elle aussi sans précédent

par l'ampleur des moyens et l'hystérie des propos. Pour tout cela, l'intervention au Zaïre est une étape fondamentale de cette escalade.

Les autres mensonges de la bourgeoisie

A côté de ceux qui ont patronné cette expédition, certains ne sont pas moins hypocrites :

  • CEUX QUI protestent contre l'intervention, non sur le principe, mois parce qu'elle n'a pas respecté les règles diplomatiques et constitutionnelles : fondamentalement, lis défendent les mêmes intérêts impérialistes de leur capital national.
  • CEUX QUI prônent le simple pacifisme, la pression morale, les conférences internationales l'action de I'ONU et autres sornettes pour que "cessent les guerres".

La guerre n'est pas le fait de quelques gouvernements bellicistes ou mal intentionnés. Elle fait partie du mode de vie même du capitalisme, et particulièrement depuis le début du 20ème siècle. A partir de la première guerre mondiale, ce système ne se survit plus qu'à travers des mutilations successives, qu'à travers un cycle infernal où chaque reconstruction ne fait que préparer une crise encore plus grave que la précédente à laquelle la bourgeoisie no sait apporter qu'une issue guerrière chaque fois plus dévastatrice et meurtrière.

Et, pas plus que celle de 1929, le capitalisme ne peut la foire aboutir qu'à une nouvelle boucherie mondiale.

C'est ce que nous démontre jour après jour la dégradation de la situation économique dans tous les pays du monde, y compris ceux qui se disent socialistes.

C'est ce que "nous démontre l'aggravation constante des conflits sur toute la planète. C'est ce que nous démontre aujourd'hui l'intervention au Zaïre.

Prôner le pacifisme, c'est prôner la passivité et la soumission à cet engrenage. C'est ouvrir la voie à la guerre.

  • CEUX QUI parlant "au nom de la classe ouvrière" ne présentent d'autre alternative aux travail leurs que de soutenir l'autre bloc impérialiste. On ne lutte pas contre l'impérialisme qui, aujourd'hui, est le fait de toutes les nations du mon de, en choisissant l'une ou l'autre des puissances antagonistes. Tous ceux qui tiennent ce langage se font, consciemment ou inconsciemment, les rabatteurs de la guerre impérialiste au même titre que les précédents.

Il n'y a pas d'issue au sein du capitalisme.

Il faut détruire ce système avant qu’il ne détruise l’HUMANITÉ

Une seule force dans la société peut le faire : la classe ouvrière. Elle l'a déjà montré en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne, elle seule petit enrayer et paralyser l'engrenage vers le nouvel holocauste; elle seule a le pouvoir d'abolir l'exploitation, l'oppression, les classes et les nations et d'instaurer une société nouvel le : le socialisme.

Pour cela, elle doit partout engager ou poursuivre l'offensive contre le capitalisme.

Dans les pays où on l'enrôle directement dans le massacre, elle doit dénoncer l'abrutissement du chauvinisme qu'on lui fait subir sous couvert de "libération nationale" et autres mensongeries. La seule réponse possible est celle des ouvriers russes de 1917, des ouvriers allemands de 1918.

  • fraterniser avec les prolétaires en uniforme de l'autre camp,
  • retourner les armes contre ses propres exploiteurs et gouvernements,
  • transformer la guerre impérialiste en guerre civile.

Dans les pays du tiers-monde, terre d'élection des guerres actuelles, le prolétariat a commencé à lutter sur son terrain de classe : pour lui, pas d'autre issue que de poursuivre dans cette voie.

Dans les métropoles du capitalisme et particulièrement en France et on Belgique, celles dont l'impérialisme est aujourd'hui en première ligne, il n'y a pas non plus d'autre voie pour les travailleurs que la reprise des luttes contre l’austérité et les licenciements :

  • parce que l'intervention au Zaïre contre leur niveau de vie font partie d'une même offensive du capital;
  • parce que, qu'ils le veuillent ou non, ils sont déjà obligés dans l'effort de guerre ; c'est leur exploitation qui paie les dépenses militaires croissantes ;
  • parce que leur seule façon de manifester leur internationalisme, leur solidarité avec leurs frères de classe directement touchés par la guerre, c'est de combattre l'ennemi commun qu'ils ont en face d'eux : leur capital national ;
  • parce qu'après les troupes professionnelles, les appelés eux-mêmes seront envoyés à la tuerie; la bourgeoisie ne s'arrêtera pas là : chaque étape franchie dans la préparation de la guerre généralisée ouvre le chemin de la suivante.

Prolétaires de tous les pays,

Votre réponse de classe ne peut attendre. Renouez avec les combats engagés à partir de 1968 et que la bourgeoisie a réussi à épuiser dans les impasses "démocratiques", électorales et syndicales, "de gauche". Faites vôtres les mots d'ordre de votre classe ;

LES PROLETAIRES N'ONT PAS DE PATRIE, PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !

 

20 mai 1978Courant Communiste International

 

Tract diffusé en France et en Belgique et publié dans toutes les revues du CCI.

 


 

"Les cadres pour les nouveaux partis du prolétariat ne peuvent sortir que de la connaissance profonde des causes des défaites. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme.
Tirer le bilan des événements de l’après guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays.
"
BILAN n°1 (novembre 1933)

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Terreur, terrorisme et violence de classe

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Les formidables campagnes idéologiques de la bourgeoisie européenne sur le terrorisme l’affaire Schlayer en Allemagne, affaire Moro en Italie), feuilles de vigne d’un renforcement massif de la terreur et de l’État bourgeois a mis pour un temps au premier plan des préoccupations des révolutionnaires les problèmes de la violence, de la terreur et du terrorisme. Ces question ne son pas nouvelles pour les communistes : depuis des décennies ils ont stigmatisé la barbarie avec laquelle la classe dominante maintient son pouvoir sur la société, avec quelle sauvagerie même les régimes les plus démocratiques se déchaînent à la moindre remise en cause de l’ordre existant. Ils ont su mettre en évidence que ce ne sont pas les piqûres de moustique de quelques éléments désespérés issus de la décomposition des couches petites bourgeoises qui sont visées par les campagnes officielles actuelles mais bien la classe ouvrière dont la révolte nécessairement lente va constituer, lors de son réveil, la seule menace sérieuse pour le capitalisme.

Leur rôle était donc de dénoncer ces campagnes pour ce qu’elles étaient et également mettre en évidence la stupide servilité de groupes gauchistes, comme par exemple certains trotskistes passant leur temps à dénoncer les “Brigades Rouges” parce qu’elles avaient condamné Moro “sans preuves suffisantes” et “sans l’accord de la classe ouvrière”. Mais en même temps qu’ils dénonçaient la terreur bourgeoise, qu’ils affirmaient la nécessité pour la classe ouvrière d’utiliser la violence pour détruire le capitalisme, les révolutionnaires se devaient d’être particulièrement clairs

  • sur la signification réelle du terrorisme;
  • sur la forme que prend la violence de la classe ouvrière dans sa lutte contre la bourgeoisie.

Et c’est ici qu’il faut constater l’existence, au sein même d’organisations défendant des positions de classe, d’un certain nombre de conceptions erronées pour lesquelles violence, terreur et terrorisme sont synonymes et qui considèrent

  • qu’il peut exister un “terrorisme ouvrier”;
  • que face à la terreur blanche de la bourgeoisie, la classe ouvrière doit opposer sa propre “terreur révolutionnaire” qui en constituerait en quelque sorte le symétrique.

C’est probablement le P.C.I. (Parti Communiste International) bordiguiste qui s’est fait l’interprète le plus explicite de ce type de confusion en écrivant, par exemple

“Du stalinisme, ils (les Marchais et les Pelikan) ne rejettent que les aspects révolutionnaires, le parti unique, la dictature, la terreur, qu’il avait hérités de la révolution prolétarienne... “(Programme Communiste N°76, p.87)

Ainsi, pour cette organisation, la terreur, même quand elle est mise en œuvre par le stalinisme, est d’essence révolutionnaire et il existerait une identité entre les méthodes de la révolution prolétarienne et celle de la pire contre-révolution qui se soit abattue sur la classe ouvrière.

Par ailleurs, le P.C.I. a eu tendance, au moment de l’affaire Baader, à présenter les actes terroristes de celui-ci et de ses compagnons, malgré des réserves sur l’impasse que constituent ces actes, comme annonciateurs et exemple de la future violence de la classe ouvrière. C’est ainsi qu’on peut lire dans “ Prolétaire n° 254 :

“C’est avec cet esprit anxieux que nous avons suivi la tragique épopée d’Andréas Baader et de ses compagnons, qui ont participé à ce mouvement, celui de la lente accumulation des pré misses de la reprise prolétarienne...”, et, plus loin :

“La lutte prolétarienne devra connaître d’autres martyrs...”

Enfin, l’idée d’un “terrorisme ouvrier” apparaît nettement dans des passage comme : “ Bref, pour être révolutionnaire, il ne suffit pas de dénoncer la violence et la terreur de l’État bourgeois, il faut encore revendiquer la violence et le terrorisme comme armes indispensables de l’émancipation du prolétariat.” (Prolétaire n°253)

Face à ce type de confusion, le texte qui suit se propose donc d’établir, au delà de simples définitions du dictionnaire et des abus de langage qu’ont pu commettre de façon accidentelle certains révolutionnaires du passé, les différences qui existent, en particulier du point de vue de leur contenu de classe, entre le terrorisme, la terreur cf. la violence, notamment celle que la classe ouvrière sera obligée de mettre en oeuvre pour pouvoir réaliser son émancipation.

  • VIOLENCE DE CLASSE ET PACIFISME

• Reconnaître la lutte de classes c’est accepter d’emblée la violence comme un de ses éléments fondamentaux et inhérents à elle. L’existence de classes signifie que la société se trouve déchirée par des antagonismes d’intérêts, des intérêts irréconciliables. C’est sur la base de ces antagonismes que se constituent les classes. Les rapports sociaux qui s’établissent entre les classes sont donc forcément d’opposition et d’antagonismes, c’est-à-dire, de lutte.

Prétendre le contraire, prétendre qu’on puisse surmonter cet état de fait par la bonne volonté des uns et des autres, par la collaboration et l’harmonie entre les classes, c’est être hors de la réalité, en plein dans l’utopie.

Que les classes exploiteuses professent et diffusent de telles illusions n’a rien de surprenant. Elles sont “naturellement” convaincues qu’il ne peut exister d’autre société, de meilleure société, que celle où elles sont la classe dominante. Cette conviction aveugle et absolue leur est dictée par leurs intérêts et privilèges. Leurs intérêts et privilèges de classe se confondant avec le type de société qu’elles dominent, elles sont donc intéressées à prêcher aux classes dominées et exploitées à renoncer à la lutte, à accepter l’ordre existant; à soumettre à des “lois historiques” qu’elles prétendent être immuable. Ces classes dominantes sont donc à la fois, objectivement bornées et incapables de comprendre le dynamisme de la lutte de classes (des classes opprimées) et subjectivement intéressées, au plus haut degré, à faire renoncer les classes opprimées à toute velléité de lutte, en annihilant leur volonté par toutes sortes de mystifications.

Mais les classes exploiteuses dominantes ne sont pas les seules à avoir une telle attitude vis-à-vis de la lutte de classe. Certains courants ont cru possible d’éviter la lutte de classes en faisant appel à l’intelligence, à la meilleure compréhension, aux hommes de bonne volonté, afin de créer une société harmonieuse, fraternelle et égalitaire. Tels étaient par exemple les utopistes au début du capitalisme. Ces derniers, contrairement à la bourgeoisie et ses idéologues, n’étaient absolument pas intéressés à escamoter la lutte de classes dans l’intérêt du maintien des privilèges des classes dominantes. S’ils passaient à côté de la lutte de classes c’est parce qu’ils ne comprenaient pas les raisons historiques de l’existence de classes. Ils manifestent ainsi une immaturité de la compréhension par rapport à la réalité, de cette réalité où l’existence de la lutte de classes, de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est déjà dans les faits. Tout en manifestant le retard inévitable de la conscience sur l’existence, ils sont une expression de cet effort de prise de conscience, des éléments de ce balbutiement théorique de la classe. C’est pourquoi ils sont, à juste titre, considérés comme les précurseurs du mouvement socialiste, un apport considérable à ce mouvement qui dans son développement trouvera avec le marxisme un fondement scientifique et historique à la lutte de classe du prolétariat.

Il n’en est pas de même en ce qui concerne tous les mouvements humanistes, pacifistes, etc. qui fleurissent depuis la seconde moitié du siècle dernier et qui prétendent ignorer la lutte de classes. Ceux-là ne présentent en rien le moindre apport à l’émancipation de l’humanité. Ils ne sont que l’expression de classes et de couches sociales petites bourgeoises historiquement anachroniques, impuissantes, qui survivent écrasées dans la société moderne, dans la lutte entre le capitalisme et le prolétariat. Leur idéologie a-classiste, inter-classiste, anti-lutte de classes, sont autant de lamentations d’une classe impuissante, condamnée, n’ayant aucun avenir ni dans le capitalisme ni, et encore moins, dans la société que le prolétariat est appelé à instaurer: le socialisme minables et ridicules, leurs idées et comportement politiques, faits de lamentations, de prières et d’illusions absurdes, ne peuvent qu’entraver la marche et la volonté du prolétariat; par contre et pour cette même raison, elles sont grandement utilisables et effectivement utilisées par le capitalisme intéressé à entretenir tout ce qui peut servir d’armes dans la mystification.

L’existence de classes, de la lutte de classe implique nécessairement violence de classe. Vouloir rejeter cette implication, seuls peuvent le faire de lamentables pleurnicheurs ou de fieffés charlatans (c’est nommer la social-démocratie). Sur un plan général, la violence est une caractéristique de la vie et l’accompagne le long de son déroulement. Toute action comporte un certain degré de violence. Le mouvement lui-même est fait de violence puisqu’il est le résultat rupture constante d’équilibre, laquelle découle du choc entre des forces contradictoires. Elle est présente dans le rapport entre les premiers groupements d’hommes ; elle ne s’exprime d’ailleurs pas nécessairement sous forme de violence physique ouverte : fait partie de la violence tout ce qui est imposition, coercition, établissement d’un rapport de force, menace. Est violent ce qui fait appel une agression physique ou physiologique contre d’autres êtres, mais également ce qui impose telle ou telle situation ou décision par le seul fait de disposer des moyens d’une telle agression sans les utiliser effectivement. Mais si la violence sous l’une ou l’autre de ces formes se manifeste dès qu’existe mouvement ou vie, la division de la société en classes en fait un des fondements principaux des rapports sociaux atteignant avec le capitalisme des abîmes infernaux.

Toute exploitation de classe fonde son pouvoir sur la violence et une violence toujours croissante au point de devenir la principale institution de la société. La violence sert de principal pilier, soutenant et assurant tout l’édifice social sans lequel la société s’effondrerait immédiatement. Produit nécessaire de l’exploitation d’une classe par une autre, la violence, organisée, concentrée, institutionnalisée sous sa forme achevée de l’État, devient dialectiquement un facteur, une condition fondamentale de l’existence et de la perpétuation de la société d’exploitation. Face à cette violence de plus en plus sanglante et meurtrière des classes exploiteuses, les classes exploitées et opprimées ne pouvant opposer que leur propre violence si elles veulent se libérer. Faire appel aux sentiments “humanistes” des classes exploiteuses, comme le font les religieux à la Tolstoï et les Gandhi, ou les socialistes en peau de lapin, c’est croire au miracle, c’est demander aux loups de cesser d’être des loups pour se convertir en agneaux, c’est demander à la classe capitaliste de ne plus être une classe capitaliste pour se métamorphoser en classe ouvrière.

La violence de la classe exploiteuse, inhérente à son être ne peut être arrêtée qu’en la brisant par la violence révolutionnaire des classes opprimées. Le comprendre, le prévoir, s’y préparer, l’organiser, c’est non seulement une condition décisive pour la victoire des classes opprimées, mais encore assure cette victoire à moindre frais de souffrance et de durée. N’est par un révolutionnaire celui qui émet le moindre doute, la moindre hésitation à ce sujet.

  • LA VIOLENCE DES CLASSES EXPLOITEUSES ET DOMINANTES : LA TERREUR

Nous avons vu qu’exploitation est inconcevable sans violence, organiquement inséparables l’une de l’autre. Autant la violence peut être conçue hors des rapports d’exploitation, cette dernière (l’exploitation), par contre, n’est réalisable qu’avec et par la violence. Elles sont l’une par rapport à l’autre comme les poumons et l’air, les poumons ne pouvant fonctionner sans oxygène.

Tout comme lors du passage du capitalisme à la phase de l’impérialisme, la violence, combinée à l’exploitation, acquiert une qualité toute nouvelle et particulière. Elle n’est plus un fait accidentel ou secondaire, mais sa présence est devenue un état constant à tous les niveaux de la vie sociale. Elle imprègne tous les rapports, pénètre dans tous les pores du corps social, tant sur le plan général que sur celui dit personnel. Partant de l’exploitation et des besoins de soumettre la classe travailleuse, la violence s’impose de façon massive dans toutes les relations entre les différentes classes et couches de la société, entre les pays industrialisés et les pays sous-développés, entre les pays industrialisés eux-mêmes, entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves, entre les individus, entre les gouvernants et les gouvernés ; elle se spécialise, se structure, se concentre en un corps distinct : I’État, avec ses armées permanentes, sa police, ses prisons, ses lois, ses fonctionnaires et tortionnaires et tend à s’élever au-dessus de la société et la dominer.

Pour les besoins d’assurer l’exploitation de l’homme par l’homme, la violence devient la première activité de la société pour laquelle la société dépense une partie chaque fois plus grande de ses ressources économiques et culturelles. La violence est élevée à l’état de culte, à l’état d’art, à l’état de science. Une science appliquée, non seulement à l’art militaire, à la technique des armements, mais à tous les domaines, à tous les niveaux, à l’organisation des camps de concentration, aux installations de chambres à gaz, à l’art de l’extermination rapide et massive de populations entières, à la création de véritables universités de la torture scientifique, psychologique, où se qualifient une pléiade de tortionnaires diplômés et patentés. Une société qui, non seulement “dégouline de boue et de sang par tous ses pores” corne le constatait Marx, mais qui ne peut plus vivre ni respirer un seul instant hors d’une atmosphère empoisonnée et empestée de cadavres, de mort, de destruction, de massacre, de souffrance et de torture. Dans une telle société, la violence ayant atteint cette Nième puissance, change de qualité, elle devient la Terreur.

Parler de la violence en général, en termes généraux sans se référer aux conditions concrètes, aux périodes historiques, aux classes qui l’exercent, c’est ne rien comprendre à son contenu réel, à ce qui fait d’elle une qualité distincte, spécifique dans les sociétés d’exploitation et le pourquoi de cette modification fondamentale de la violence en terreur, qui ne peut pas être réduite à une simple question de quantité. Ne pas voir cette différence qualitative entre violence et terreur précède de la même démarche que celle qui, traitant de la marchandise, se contenterait de ne voir entre l’antiquité et le capitalisme qu’une simple différence quantitative sans s’apercevoir de la différence essentielle qualitative des deux modes de production fondamentalement distincts qui s’est opérée et qu’elle recouvre.

Au fur et à mesure que la société divisée en classes antagonistes va en se développant, la violence entre les mains de la classe exploiteuse et dominante va aller en prenant de plus en plus un caractère nouveau celui de la terreur. La terreur pas un attribut des classes révolutionnaires au moment d’accomplir leur révolution et pour cet accomplissement. C’est là une vision purement formelle, très superficielle et qui revient à glorifier dans la terreur l’action révolutionnaire par excellence. A ce compte on finit par établir con un axiome “Plus forte est la terreur, plus profonde, plus radicale est la révolution”. Or, ceci est absolument démenti par l’histoire. La bourgeoisie a plus perfectionné et utilisé la terreur le long de son existence qu’au moment de sa révolution (voir l848 et lors de la Commune de Paris en 1871) et la terreur atteint ses sommets au moment justement où le capitalisme entre en décadence. La terreur n’est pas l’expression de la nature et de l’action révolutionnaires de la bourgeoisie au moment de sa révolution, c’est-à-dire liée au fait révolutionnaire, même si dans ces moments elle prend des manifestations spectaculaires ; elle est bien plus l’expression de sa nature de classe exploiteuse qui, comme toutes les classes exploiteuses, ne peut fonder son pouvoir que sur la terreur. Les révolutions qui ont assuré la succession des différentes sociétés d’exploitation de classe, ne sont nullement les progéniteurs de la terreur mais ne font que la transférer en la continuant d’une classe à une autre classe exploiteuse. Ce n’est pas tant contre l’ancienne classe dominante, pour en finir avec elle, mais surtout pour affirmer sa domination sur la société en général contre la classe ouvrière en particulier que la bourgeoisie perfectionne et renforce la terreur. La terreur dans la révolution bourgeoise n’est donc pas une fin mais une continuité parce que la nouvelle société est une continuité de sociétés d’exploitation de l’homme par l’homme. La violence dans les révolutions bourgeoises n’est pas une fin de l’oppression mais la continuité de l’oppression sans fin. C’est pourquoi elle ne peut être que de la terreur.

En résumé, on peut définir la terreur comme la violence spécifique et particulière aux classes exploiteuses et dominantes dans l’histoire qui ne disparaîtra qu’avec elles.

Ses caractéristiques spécifiques sont :

  • 1) être liée organiquement à l’exploitation pour l’imposer ;
  • 2) être le fait d’une classe privilégiée ;
  • 3) être le fait d’une classe minoritaire de la société ;
  • 4) être le fait d’un corps spécialisé, sélectionné étroitement, fermé sur lui-même, tendant à se dégager de tout contrôle de la société ;
  • 5) se reproduire et se perfectionner sans fin et s’étendre à tous les niveaux, à tous les rap ports existants dans la société ;
  • 6) n’avoir d’autre raison d’être que la soumission et l’écrasement de la communauté humaine ;
  • 7) développer des sentiments d’hostilité et de violence entre des groupes sociaux : nationalisme, chauvinisme, racisme et autres monstruosités.
  • 8) développer des sentiments et des comportements d’égoïsmes, d’agressivité sadique, l’esprit de vengeance, une guerre incessante et quotidienne de tous contre tous, plongeant toute la société dans un état de terreur sans fin.
  • LE TERRORISME DES CLASSES ET COUCHES PETITE-BOURGEOISE

Les classes petites-bourgeoises (paysans, artisans, petits commerçants, professions libérales, intellectuels) ne constituent pas des classes fondamentales dans la société. Elles n’ont pas de mode de production particulier à présenter ni aucun projet de société à offrir. Elles ne sont pas des classes historiques dans le sens marxiste du terme. Elles sont par excellence les moins homogènes des classes sociales. sociales dans leurs couches supérieures elles tirent leurs revenus de l’exploitation du travail des autres, et, à ce titre, font partie des privilégiés, elles sont dans leur ensemble soumises à la domination de la classe capitaliste dont elles subissent la rigueur des lois et de l’oppression. Aucun devenir ne se présente à elles comme classes. Dans leurs couches supérieures, le maximum de leurs aspirations est de parvenir à s’intégrer individuellement dans la classe capitaliste. Dans leurs couches inférieures, elles sont destinées implacablement à perdre toute propriété et “indépendance” des moyens de subsistance et à se prolétariser. Dans leur immense masse moyenne, elles sont condamnées à végéter, économiquement et politiquement écrasées par la domination de la classe capitaliste. Leur comportement politique est déterminé par le rapport de force entre les deux classes fondamentales de la société : le capitalisme et le prolétariat. Leur résistance sans espoir aux lois impitoyables du Capital les amène à une vision et un comportement fatalistes et passifs. Leur idéologie est le “sauve-qui-peut” individualiste et, collectivement, les multiples variétés de lamentations plaintives, la recherche de consolations misérables, les impuissants et ridicules sermons pacifistes, humanistes de toutes sortes.

Écrasées matériellement, sans aucun avenir devant elles, végétant dans un présent aux horizons complètement bouchés, piétinant dans une médiocrité quotidienne sans bornes, elles sont dans leur désespoir la proie facile à toutes les mystifications, des plus pacifiques (sectes religieuses, naturistes, anti-violence, anti-bombe atomique, hippies, écologistes, anti-nucléaires, etc.) aux plus sanglants (Cent-noirs, pogromistes, racistes, Ku-Klux-Klan, bandes fascistes, gangsters et mercenaires de tout acabit, etc.). C’est surtout dans ces dernières, les plus sanglantes, qu’elles trouvent la compensation d’une dignité illusoire à leur déchéance réelle que le développement du capitalisme accroît de jour en jour. C’est l’héroïsme de la lâcheté, le courage des poltrons, la gloire de la médiocrité sordide. C’est dans ces rangs que le capitalisme, après les avoir réduites à la déchéance extrême, trouve une réserve inépuisable pour le recrutement de ses héros de la terreur.

S’il est arrivé parfois le long de l’his toire des explosions de colère et de violence de la part de ces classes, ces explosions restaient sporadiques et ne sont jamais allées au delà de jacqueries et révoltes car aucune autre perspective ne s’ouvrait à elles sinon celle d’être écrasées. Dans le capitalisme, ces classes perdent complètement leur indépendance et ne servent que de masse de manoeuvre et d’appui aux affrontements que se livrent les différentes fractions de la classe dominante tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales. Dans des moments de crise révolutionnaire et dans certaines circonstances favorables, le mécontentement profond d’une partie de ces classes pourrait servir de force d’appoint à la lutte du prolétariat.

L’inévitable processus de paupérisation et de prolétarisation des couches inférieures de ces classes, est un chemin extrêmement difficile et douloureux à parcourir et donna naissance à un courant de révolte particulièrement exacerbée. La combativité de ces éléments provenant plus spécialement des artisans et de l’intelligentsia déclassée, repose plus sur leur état d’individus désespérés que sur la lutte classe du prolétariat qu’ils ont beaucoup de mal à intégrer. Ce qui les caractérise fondamentalement c’est : l’individualisme, l’impatience, le scepticisme, la démoralisation, leurs actions qui relèvent plus du suicide spectaculaire que d’un but à atteindre. Ayant perdu “leur passé”, n’ayant aucun avenir devant eux, ils vivent un présent de misère et la révolte exaspérée contre la misère de ce présent ressenti dans l’immédiat et comme un immédiat. Même si en contact avec la classe ouvrière et son devenir historique ils parviennent à s’inspirer d’une façon généralement déformée de ses idéaux, cela dépasse rarement le niveau de la fantaisie et du rêve. Leur véritable vision de la réalité reste le champ réduit et borné de la contingence. L’expression politique de ce courant prend des formes extrêmement variées qui va de la stricte actuation individuelle aux différentes formations de sectes fermées, de conspiration, de complot, de préparation de “coup d’État” minoritaire, d’actions exemplaires et, à l’extrême, le terrorisme.

Ce qui constitue leur unité dans cette diversité c’est leur méconnaissance du déterminisme objectif et historique du mouvement de la lutte de classes, leur méconnaissance du sujet historique de la société moderne, seul capable d’assurer la transformation sociale : le prolétariat.

La persistance des manifestations de ce courant est donnée par la permanence du processus de prolétarisation de ces couches tout le tong de l’histoire du capitalisme. Leurs variétés et diversités sont le produit des situations locales et contingentes. Ce phénomène social accompagne tout au long l’histoire de la formation de la classe prolétarienne et se trouve ainsi mêlé à des degrés divers au mouvement du prolétariat dans lequel ce courant importe des idées et des comportements qu’il charrie et qui sont étrangers à la classe. Cela est vrai tout particulièrement en ce qui concerne le terrorisme.

Il faut absolument insister sur ce point essentiel et ne laisser aucune ambiguïté à ce sujet. Si, à l’aube de sa formation de classe, le prolétariat dans sa tendance à s’organiser ne trouve pas encore sa forme appropriée et utilise le type d’organisation de sociétés conspiratives, secrètes, héritage de la révolution bourgeoise, cela ne change en rien la nature de classe de ces formes, leur inadéquation au contenu nouveau, celui de la lutte de classe du prolétariat. Rapidement le prolétariat sera amené à se dégager de ces formes d’organisations et méthodes d’action et à les rejeter définitivement.

Tout comme pour ce qui concerne l’élaboration théorique et sa phase utopiste, la formation d’organisations politiques de la classe passait inévitablement par la phase de sectes conspiratives. Mais il importe de ne pas alimenter la confusion, ne pas faire de nécessité vertu, ne pas confondre les divers stades du mouvement et savoir distinguer la signification différente et opposé de leur eau manifestation dans des stades différents.

De même que le socialisme utopique se transformera, à un certain stade atteint par le mouvement du prolétariat, d’une grande contribution positive en une entrave au développement ultérieur de ce mouvement, de même et à ce même stade, les sectes conspiratives seront désormais frappées du signe négatif et stérilisant pour le développement ultérieur du mouvement.

Le courant représentant les couches en voie d’une difficile prolétarisation ne saurait désormais être la moindre contribution à un mouvement de classe déjà développé. Non seulement ce courant doit revendiquer le type d’organisation de sectes et de méthodes de conspiration, mais, arrivant avec un retard toujours plus accentué sur le mouvement réel, il est amené dans son exacerbation à pousser cette revendication à outrance, à en faire une caricature, trouvant son expression extrême en préconisant l’action terroriste.

Le terrorisme n’est pas simplement l’action de terreur. C’est là se placer sur un terrain terminologique. Ce que nous voulons faire ressortir et mettre en relief c’est le sens social et la différence que ces termes recouvrent. La terreur est un système de domination, structuré, permanant, des classes exploiteuses. Le terrorisme par contre est une réaction de classe opprimée, mais sans devenir, contre la terreur de la classe opprimante. Ce sont des réactions momentanées, sans continuité, des réactions de vengeance et sans lendemain.

Nous trouvons la description émouvante de ce genre de mouvement dans Panaït Istrati et ses Haïdoucs dans le contexte historique de la Roumanie de la fin du siècle dernier. Nous les retrouvons dans le terrorisme des. narodnikis russes et, aussi différentes qu’elles se présentent, chez les anarchistes et la bande à Bonnot; elles relèvent toujours de la même nature : vengeance des impuissants parce qu’impuissants. Elles ne sont jamais l’annonce d’un nouveau, mais l’expression désespérée d’une fin, de sa propre fin

Réaction impuissante d’une impuissance, le terrorisme n’ébranle pas et ne peut ébranler la terreur de la classe dominante C’est une piqûre de moustique sur la peau d’éléphant. Par contre, il peut être et est souvent exploité par l’État pour justifier et renforcer sa terreur

Il faut absolument dénoncer le mythe qui veut que le terrorisme serve ou puisse servir de détonateur pour déclencher le mouvement de la lutte du prolétariat. Cela serait pour le moins très singulier qu’une classe au devenir historique ait besoin de chercher dans une classe sans devenir l’élément détonateur de sa propre lutte.

Il est absolument absurde de prétendre que le terrorisme des couches les plus radicalisées de la petite-bourgeoisie a le mérite de détruire dans la classe ouvrière les effets de la mystification démocratique, de la légalité bourgeoise, et de lui enseigner la voie indispensable de la violence. Le prolétariat n’a aucune leçon à tirer du terrorisme radical, sinon celle de s’en écarter et de le rejeter, car la violence contenue dans le terrorisme se situe fondamentalement sur le terrain bourgeois de la lutte. La compréhension de la violence nécessaire et indispensable, le prolétariat la tire de son existence propre, de sa lutte, de ses expériences, de ses affrontements avec la classe dominante. C’est une violence de classe qui diffère de nature, de contenu, de forme et de méthodes aussi catégoriquement du terrorisme petit-bourgeois que de la terreur de la classe exploiteuse dominante.

Il est absolument certain que la classe ouvrière manifeste généralement une attitude de solidarité et de sympathie, non pas à l’égard du terrorisme qu’elle condamne en tant qu’idéologie, organisation et méthodes, mais à l’égard des éléments qui s’y livrent. Cela pour des raisons évidentes :

  • 1) parce qu’ils sont en révolte contre l’ordre de terreur existant que le prolétariat se propose de détruire de fond en comble ;
  • 2) parce que comme la classe ouvrière, Ils sont également des victimes de la cruelle exploitation et oppression de la part de l’ennemie mortelle du prolétariat ; la classe capitaliste et son État. Le prolétariat ne peut pas ne pas manifester sa solidarité à ces victimes en essayant de les sauver des mains des bourreaux, de la terreur d’État existante et en s’efforçant de les dégager de l’impasse mortellement dangereuse : le terrorisme, dans lequel ils se sont fourvoyés.
  • LA VIOLENCE DE CLASSE DU PROLETARIAT

• Nous n’avons pas à insister ici sur la nécessaire violence de la lutte de classe du prolétariat. Le faire serait enfoncer des portes ouvertes, car, voilà bientôt deux siècles depuis les Égaux de Babeuf, que la démonstration théorique et dans les faits de sa nécessité et inévitabilité a été apportée. II est aussi vain de répéter à n’en plus pouvoir, en la présentant comme une découverte, cette vérité que toutes les classes sont amenées à user de la violence et aussi le prolétariat. En se contentant d’énoncer ces vérités devenues des banalités, on finit par établir une sorte d’équation vide de tout sens “violence = violence”. On établit ainsi une équivalence, une identité aussi simpliste qu’absurde entre la violence du capital et la violence du prolétariat, et on passe à côté, on escamote leur différence essentielle, l’une étant oppressive et l’autre libératrice.

Dire et redire cette tautologie “violence = violence” et se contenter de démontrer que toutes les classes en usent, pour établir sa nature identique, est aussi intelligent, génial, que de voir une identité entre l’acte du chirurgien faisant une césarienne pour donner naissance à la vie et l’acte de l’assassin éventrant sa victime pour lui donner la mort, par le fait que l’un et l’autre se servent d’instrument qui se ressemblent : le couteau exerçant sur un même objet : le ventre, et une même technique apparemment fort semblable : celle d’ouvrir le ventre.

Ce qui importe au plus haut point ce n’est pas de répéter : violence, violence, mais de souligner fortement leur différence essentielle et dégager le plus clairement possible ce en quoi, pourquoi et comment la violence du prolétariat se distingue et diffère de la terreur et du terrorisme des autres classes.

En établissant une différence entre terrorisme et violence de classe, ce n’est pas pour des raisons de querelles, de terminologie, de répugnance affective au mot de terreur, ni pour des raisons de pudeur de vierges intimidées, mais pour faire ressortir plus clairement la nature de classe différente, le contenu et les formes différentes que le même mot recouvre et estompe. Le vocabulaire retarde sur les faits et souvent aussi le manque de la distinction dans les mots témoigne d’une pensée insuffisamment élaborée et entretient une ambiguïté toujours nocive. Comme exemple on peut citer le mot de “social-démocratie” qui ne correspond en rien à l’essence révolutionnaire et au but d’une société communiste que se propose l’organisation politique du prolétariat. Il en est de même pour le mot “terreur” qu’on trouve parfois dans la littérature socialiste, même chez nos classiques, accolé aux mots “révolutionnaire” et “du prolétariat”. Il faut instamment mettre en garde contre les abus qui consistent à recourir à des citations littérales de phrases, sans les rétablir dans leur contexte, les circonstances dans lesquelles elles étaient écrites, l’adversaire qu’elles visaient au risque de déformer et de trahir la véritable pensée de leurs auteurs, Il faut encore souligner que la plupart du temps ces auteurs, tout en utilisant le mot de terreur prenaient de grandes précautions pour établir la différence de fond et de forme entre celle du prolétariat et celle de la bourgeoisie, entre la Commune de Paris et Versailles, entre la révolution et la contre-révolution dans la guerre civile en Russie. Si nous pensons qu’il est temps de distinguer ces deux termes, c’est pour lever les ambiguïtés que leur identification entretient et surtout, cette ambiguïté qui ne veut voir là qu’une différence de quantité, d’intensité et non de nature de classe.

Et même s’il ne s’agissait strictement que d’un changement de quantité, cela entraînerait pour les marxistes qui se réclament de la méthode dialectique, un changement de qualité.

En répudiant la terreur en faveur de la violence de classe du prolétariat, nous entendons, non seulement exprimer notre répugnance de classe à l’égard du contenu réel d’exploitation et d’oppression qu’est la terreur, mais également en finir avec les finasseries casuistiques et hypocrites sur “la fin justifie les moyens”.

Les apologistes inconditionnels de la terreur, ces calvinistes de la révolution que sont les bordiguistes, dédaignent les questions de formes d’organisation et de moyens. Seul existe pour eux le “but” pour lequel toutes les formes et tous les moyens peuvent être indifféremment utilisés. “La révolution est une question de contenu et non de formes d’organisation”, répètent-ils inlassablement, sauf... sauf... pour ce qui est de la terreur. Sur ce point, on est catégorique “pas de révolution sans terreur”, et n’est pas un révolutionnaire celui qui n’est pas capable de tuer quelques enfants; ici, la terreur, considérée comme moyen devient une condition absolue, un impératif catégorique de la révolution et de son contenue Pourquoi cette exception ? On pourrait aussi à l’inverse, se poser d’autres questions. Si vraiment les questions de moyens et de formes d’organisation sont si importantes pour la révolution prolétarienne, ne serait-il pas possible qu’elle s’accomplisse avec la forme monarchiste ou parlementaire par exemple ? Pourquoi pas ?

La vérité est que vouloir séparer le contenu et les formes, la fin et les moyens, est une pure absurdité. Dans la réalité, contenu et formes sont intrinsèquement liés. Une fin ne contient pas n’importe quels moyens, mais “ moyens propres et les moyens déterminés ne sont valable que pour des fins déterminées. Toute autre approche n’est que de la spéculation sophistique.

Quand nous rejetons la terreur comme mode d’existence de la violence du prolétariat, ce n’est pas pour on ne sait quelle raison morale mais parce que la terreur, comme contenu et méthode, s’oppose par nature au but que se propose et poursuit le prolétariat. Les calvinistes de la révolution croient-Ils vraiment et peuvent-ils nous convaincre que pour atteindre notre but, le communisme, le prolétariat pourrait et devrait recourir aux moyens d’immenses camps de concentration et d’extermination systématique des populations par millions et millions, ou par l’installation d’un immense réseau de chambres à gaz, scientifiquement encore plus perfectionnées que celles de Hitler ? Le génocide fait-il partie du Programme et de la “voie calviniste” du socialisme ? !

Il suffit de rappeler l’énumération que nous avons faite des principales caractéristiques du contenu et des méthodes de la terreur, pour voir au premier coup d’oeil tout l’abîme qui sépare et oppose le prolétariat de celle-là.

  • 1) “être liée organiquement à l’exploitation et pour l’imposer”.

Le prolétariat est une classe exploitée et lutte pour la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme.

  • 2) “être le fait d’une classe privilégiée.”

Le prolétariat n’a aucun privilège et lutte pour la suppression de tout privilège.

  • 3) “être le fait d’une classe minoritaire”.

Le prolétariat représente avec les travailleurs l’immense majorité de la société. D’aucuns voudraient peut-être voir dans cette référence notre “indécrottable penchant pour les principes de la démocratie”, de majorité et minorité, sans prendre garde que ce sont eux qui sont obnubilés par ce problème, en faisant de plus, de la minorité, par horreur viscérale de la majorité, le critère de la vérité révolutionnaire. Le socialisme est irréalisable s’il ne repose pas sur la possibilité historique et ne correspond pas aux intérêts fondamentaux et à la volonté de l’immense majorité de la société. C’est là un des arguments clé de Lénine de “L’État et la Révolution”, et également de Marx affirmant que le prolétariat ne saurait s’émanciper sans émanciper l’humanité toute entière.

  • 4) “être le fait d’un corps spécialisé”...

Le prolétariat a écrit sur son drapeau la destruction de l’armée permanente, de la police, pour l’armement général du peuple et avant tout du prolétariat.

  • “tendant à se dégager de tout contrôle de la société.”

Le prolétariat rejette, comme objectif toute spécialisation, et dans la mesure de l’impossibilité de sa totale réalisation immédiate, l’exigence de sa soumission totale au contrôle de la société.

  • 5) “se reproduire et se perfectionner sans fin”.

Le prolétariat entend, lui, mettre fin à cette reproduction et à ce perfectionnement et s’engage dans cette vole dès le premier jour de sa prise du pouvoir.

  • 6) “n’avoir d’autre raison que dans la soumission et l’écrasement de la communauté humaine”.

Les buts du prolétariat sont diamétralement opposés. Sa raison d’être est celle de la libération et l’épanouissement de la société humaine.

  • 7) “développer les sentiments d’hostilité et de violence entre les groupes sociaux nationalisme, chauvinisme, racisme, etc.”

Le prolétariat supprime tous ces anachronismes historiques devenus des monstruosités et des entraves à l’unification harmonieuse, possible et nécessaire de toute l’humanIté.

  • 8) “développer des sentiments et des comportements d’égoïsme, d’agressivité sadique, d’esprit de vengeance, de guerre incessante et quotidienne de tous contre tous, etc..”

Le prolétariat au contraire développe des sentiments tout nouveaux de solidarité, de vie collective, de fraternité de “tous pour un et un pour tous”, d’une libre association de producteurs, d’une production et consommation socialisées.

Et si l’essence des classes exploiteuses est de : “plonger toute la société dans un état de terreur sans fin”, le prolétariat, lui, fait appel à l’initiative et à la créativité de tous qui dans un enthousiasme général prennent leur vie et leur sort dans leurs propres mains.

La violence de classe du prolétariat ne saurait être la terreur puisque que sa raison d’être est précisément de briser la terreur. C’est jouer sur les mots que de considérer comme la même chose et les confondre en les désignant par les mêmes mots : violence ou terreur, le comportement de l’assassin exhibant son couteau et la main qui l’immobilise et l’empêche de commettre le meurtre. Le prolétariat ne saurait recourir à l’organisation de pogroms, au lynchage, à la création d’École de Torture, aux viols, aux procès de Moscou, comme moyens et méthodes pour la réalisation du socialisme. Ces méthodes, ils les laisse au capitalisme, parce qu’elles font partie de lui, lui sont propres, adaptées à ses buts, et qui portent le nom générique de TERREUR.

  • Ni le terrorisme avant, ni la terreur après la révolution ne sauraient être des armes du prolétariat pour l’émancipation de l’humanité.
M.C.

 

Personnages: 

  • Schlayer [5]
  • Aldo Moro [6]

Evènements historiques: 

  • Terrorisme [7]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [8]
  • Terrorisme [9]

Rubrique: 

Terrorisme

Chômage et lutte de classe

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L'accroissement sans précédant du chômage depuis une dizaine d'années pose et posera de plus en plus directement dans l'organisation de sa lutte, le problème que toute une partie de la classe ou­vrière ne se trouve pas ou plus sur les lieux de production. Ainsi privés d'un des moyens fondamen­taux de lutte que constitue la grève, les chômeurs n'en sont pas pour autant privés de toute possi­bilité de lutter. Au contraire. Le chômage, s'il a d'abord frappé les secteurs faibles, les petites entreprises et les secteurs marginaux de l'économie capitaliste, commence à toucher des pans entiers de la classe ouvrière dans les secteurs les plus concentrés : textile, métallurgie,  construction navale,   etc. Le chômage a commencé par frapper  "sélectivement" la classe ouvrière et a permis à la bourgeoisie de mener son attaque contre les conditions de vie en présentant le chômage comme un pro­blème individuel, et la rigueur catégoriel ou régional. En imprégnant de plus en plus la vie sociale, par l'accroissement de sa durée, par la présence de plus en plus fréquente de chômeurs de plus en plus nombreux dans chaque famille ouvrière -amputant ainsi le salaire qui entretient un nombre crois­sant de personnes-, par la mobilité qu'il provoque, le chômage, en s'étendant, fournit un potentiel d'accroissement de la capacité de la classe ouvrière à appréhender les moyens et les objectifs de la lutte au-delà des  divisions entretenues par le capital. Dans la période actuelle de montée géné­rale des luttes ouvrières, pour la première fois dans l'histoire - si l'on excepte 1848-, la perspec­tive  d’une vague  révolutionnaire telle que Marx l'avait envisagée s'est ouverte : l'assaut de l'Etat bourgeois par le prolétariat se prépare dans une phase de crise économique et d'effondrement relati­vement lent du système capitaliste. La bourgeoisie n'a pas réuni les conditions d'embrigadement et de défaite pour aller directement à sa "solution" à la crise : la guerre généralisée. Une des consé­quences d'une telle situation est l'importance prise par la lutte contre le chômage, la perte direc­te des moyens de subsistance, qui devient un facteur moteur des  affrontements décisifs qui se préparent. En quelque sorte, les chômeurs vont être appelés à agir dans ces combats d'une manière analo­gue à l'action des soldats dans la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre de 1914, dans le sens de la décision, de l'unité et de la généralisation dans l'affrontement avec l'Etat capitaliste. C'est pourquoi, il est  fondamental pour la classe ouvrière de ne pas prêter le flanc aux multiples pièges que la bourgeoisie dresse pour maintenir les chômeurs comme une catégorie distincte et sépa­rés de l'ensemble des ouvriers. Le texte qui suit s'efforce de répondre aux objections couramment mises on avant pour amputer cette unité indispensable de la classe ouvrière d'une partie de ses mem­bres, d'une partie de ses moyens de lutter.

La surproduction générale dans le monde entier qui accompagna les crises du capitalisme, et particulièrement celles de sa phase de décaden­ce, rejette une partie toujours croissante de la classe ouvrière en dehors du processus pro­ductif. Le chômage, dans les moments de crise aigue tels que nous les traversons actuellement est déterminé à  prendre de plus en plus d'am­pleur et à devenir une préoccupation centrale de la classe ouvrière. Il est donc primordial pour une organisation révolutionnaire qui se propose d'intervenir au sein de la classe ou­vrière afin de clarifier les problèmes qui se posent à celle-ci, d'avoir une compréhension claire du problème du chômage au sein de la lutte de classe.

1 - La situation de chômage est  Inscrite néces­sairement dans la condition d'existence de la classe ouvrière. Celle-ci est, en effet, une classe de travailleurs "libres", c'est-à-dire libres de tout lien avec les moyens de produc­tion dont ils sont séparés et qui leur font face comme capital. Cette "liberté" est en  fait la périodes servitudes car les ouvriers ne peu­vent compter, pour à peine survivre, que sur la vente de leur force de travail. La  forme spéci­fique que prend,   dans   le capitalisme, l'associa­tion du travail avec les moyens de production - le salariat - fait de la force de travail une simple marchandise comme les autres, et même la seule marchandise que possèdent les travailleurs en propre. Comme toutes les marchandises, la marchandise force de travail ne trouve à se ven­dre que lorsque le marché est assez large, et puisque la surproduction par rapport aux be­soins du marché est contenue dans le rapport de production capitaliste lui-même, l'emploi temporaire ou définitif d'une partie des forces de travail - c'est-à-dire - le chômage - fait partie intégrante de la condition que le capital impose à la classe ouvrière. En  raison du caractère particulier de la marchandise force de travail - créatrice de valeur - le chômage a même toujours été une condition indispensa­ble au bon fonctionnement de l'économie capi­taliste, en créant d'une part une masse de for­ces de travail disponibles pour pouvoir assu­mer l'élargissement de la production, et en constituant d'autre part une pression constante sur les salaires. Dans la période de déca­dence du capitalisme, le chômage, sous toutes ses formes, prend une ampleur considérable et devient alors une expression de la faillite historique du capital, de l’incapacité de celui-ci à poursuivre le développement des forces pro­ductives.

2 - Puisque le chômage est un aspect de la con­dition ouvrière, les ouvriers chômeurs font tout autant partie de la classe ouvrière que les ouvriers au travail. Si un ouvrier est au chômage, il est potentiellement au travail; s'il travaille, il est potentiellement un chô­meur. La définition de la classe ouvrière comme productrice de plus-value n'est pas une question individuelle, mais ne peut-être considérée que corme une définition sociale, collective, La classe ouvrière n'est pas une simple somme d’individus, même si, au départ, le capital la crée en individus concurrents. Le prolétariat s'exprime bien plutôt dans le dépassement des divisions et de la concurrence entre les individus, pour former une seule collectivité aux intérêts dis­tincts de ceux du reste de la société. La divi­sion des ouvriers en chômeurs et ouvriers au travail ne fait d'eux, pas plus que les autres divi­sions existant entre diverses catégories d'ou­vriers, des classes différentes. Au contraire : ouvriers au chômage et ouvriers au travail possè­dent strictement les mêmes intérêts face au capital. De même, la conscience de classe du pro­létariat n'est pas une somme de consciences indi­viduelles et, si elle tire son origine dans la façon dont les ouvriers sont intégrés à la production capitaliste, elle n'est pas liée de manière immédiate à l'activité de tel ou tel ouvrier et à sa présence ou non sur un lieu de production. La conscience de classe mûrit dans la classe ouvrière, et aussi bien parmi les chômeurs que parmi les ouvriers au travail. Cela est tellement vrai que, bien souvent, les chô­meurs constituent une des parties les plus déci­dées du prolétariat dans une lutte frontale con­tre le capital, car la situation du chômeur concentre toute la misère de la condition ouvrière,

3 - Il est faux de considérer les chômeurs comme une catégorie sociale distincte : les seules di­visions fondamentales que connaît la société sont les divisions en classes et celles-ci sont de déterminées par la position occupée dans la pro­duction. La situation de chômage est liée au tra­vail salarié. Or, la société capitaliste, dans son développement et notamment dans sa tendance au capitalisme d'Etat, a salarié une partie de plus en plus grande de la population, jusqu'à sa­larier parfois l'ensemble de la classe bourgeoi­se elle-même. Une des expressions les plus pures de la décadence du capitalisme consiste en ce que les gestionnaires du capital eux-mêmes, les fonctionnaires d'Etat, les cadres, sont aussi frappés par le chômage. La situation du chômeur n’est donc plus exclusive à l’ouvrier, et c’est pourquoi le groupe de chômeurs ne représente rien en tant que tel; il englobe des ouvriers comme des membres de la bourgeoisie et des cou­ches intermédiaires. C'est pourquoi aussi, en plus du facteur de démoralisation qui pèse sur 'e chômeur du fait de son isolement-, une partie de la masse des chômeurs peut, dans certaines circonstances, être utilisée par la bourgeoise  à des fins contre-révolutionnaires et plus particulièrement dans les périodes où la classe n’offre pas de perspective prolétarienne à la crise du capital.

4 - Partie intégrante de la classe ouvrière, les ouvriers chômeurs doivent s'intégrer à la lutte de leur classe. Cependant, les possibili­tés de lutte qui leur sont offertes sont-, dans un premier temps restreintes. Car, d'une part, ils se retrouvent fortement isolés les uns des autres et, d'autre part, ils ne disposent- pas de moyen d'action pratique, tels que peuvent en disposer les ouvriers dans la production (grève,…). C'est pourquoi les ouvriers chômeurs entrent généralement et massivement en lutte aux moments où la lutte de classe devient assez générale. L'Intégration des chômeurs à la lutte sera alors un facteur important de radicalisation de celle-ci dans la mesure où, plus que tout autre, ils n'ont pas de revendication. immé­diate, de réformes à faire valoir et où ils ten­dront à mener la lutte centre l'ensemble de le société capitaliste. Les modalités pratiques de cette intégration à la lutte générale de la classe et aux conseils ouvriers, nous n'avons pas à les envisager précisément ; l'expérience les donnera et ce n'est pas aux révolutionnaires de planifier les formes d'organisation de la classe. Quand celles-ci naissent, ils doivent les comprendre dans leur liaison avec le contenu de la lutte, mais ils ne peuvent pas les inven­ter à I'avance.

5 - La mise au chômage toujours plus massive de la classe ouvrière, sans perspective réelle de sa réintégration dans la production, a des ef­fets multiples et contradictoires sur l'évolu­tion de la lutte de classe. Dans un premier temps, elle affaiblit la cohésion de la classe, la divisant en ouvriers dans l'usine et hors de l'usine. En plus d'utiliser la menace de chôma­ge et des ouvriers en chômage, comme pression sur les salaires suscitant artificiellement une hostilité opposant les ouvriers au travail et ceux au chômage, le capital s'emploie de toutes ses forces à disperser cette fraction de la classe, à les atomiser, à en faire de sim­ples individus et à les noyer dans"une masse de nécessiteux". Dans un deuxième temps, devant l'impossibilité de réussir pleinement cet ha opé­ration et devant le mécontentement grandissant dos  ouvriers au chômage, rendant nécessaire un meilleur contrôle sur eux, le capital avec tous ses organismes, partis et syndicats, et aidé vo­lontiers par les gauchistes, recherchent les moyens de mieux les encadrer, créant pour cela des. organismes spécialisés, les cloisonnant corme une "classe à part" de déclassés. A cette double opération du capital, de dispersion et d'encadrement, la classe ouvrière ne peut répon­dre que par l'affirmation de son UNITE", du fait de ses intérêts unitaires historiques or Immé­diats, et par son effort constant et inlassa­ble vers son auto-organisation.

6 - La période de décadence, de crise historique générale du système social capitaliste, mettant fin à la possibilité d'un mouvement d'a­mélioration réelle et durable de la condition ouvrière et posant à la classe et sa lutte des objectifs globaux et d'action révolutionnaire, rend inadéquate l'existence de cette organisa­tion spécifique de défense de la condition éco­nomique des ouvriers a u sein du capitalisme qu'étalent autrefois les syndicats, et qui de ce fait, ne peuvent être désormais que des en­traves à la lutte de classe, c'est-à-dire au pro­fit du capitalisme. Cela ne signifie nullement que la classe n'a plus aucune défense à faire valoir pour ses intérêts immédiats, et le besoin de s'organiser pour lutter, cela signifie seule­ment un changement radical de la forme de lutte et de son organisation que la classe se donne né­cessairement : les grèves sauvages, les comités élus par l'ensemble des ouvriers en lutte, les assemblées générales dans les usines, autant de préfigurations et d'annonciations de l'organisa­tion générale unitaire de la classe de demain, les conseils ouvriers, vers laquelle tend la lutte de classe du prolétariat. Ce qui est vrai pour l'ensemble de la classe l'est également pour cette fraction qui se trouve au chômage, c'est-à-dire hors des usines. Comme l'ensemble de la classe, ces masses de mil­lions de chômeurs ont à lutter contre les condi­tions les plus misérables que le capitalisme leur fait subir. De même que ces conditions de misère ne sont pas un fait d'individus, de chômeurs (même si cette misère est plus directement ressentie par des individus), mais fait partie intégrante de la condition imposée à la classe dans son en­semble, de même la lutte des chômeurs est une partie intégrante de la lutte générale de la classe. La lutte de classe pour les salaires n'est pas une somme de luttes de chaque ouvrier contre son exploitation individuelle mais une lutte générale contre l'exploitation par le capital de la force de travail de la classe ouvrière globale. La lut­te des chômeurs contre les misérables allocations de chômage ou contre les loyers, le paiement de services sociaux (gaz, électricité, transport, etc) relève de la même nature que la lutte pour les salaires. S'il est vrai qu'elle n'a pas immé­diatement un visage net, elle ne relève pas moins de la lutte globale contre l'extraction de la plus-value immédiate ou passée, directe ou indi­recte à laquelle est et a été soumise la classe ouvrière.

7 - Il n'est pas exact que les ouvriers au chôma­ge ne peuvent participer à la lutte de classe qu'uniquement au travers de leur participation au soutien des ouvriers au travail (solidarité et soutien de grèves). C'est directement en se défendant pied à pied contre les conditions que le ca­pital leur impose et à la place qu'il leur fait occuper que le lutte des chômeurs est une partie Intégrante de la lutte générale de la classe ou­vrière contre le capital et comme telle doit être soutenue par l'ensemble de la classe.

8 - Il est vrai que la situation où se trouvent les ouvriers au chômage d'être hors des usines, les prive d'une des armes importantes et classi­ques de la lutte de classe - la grève - mais cela ne signifie pas qu'ils sont privés de tout moyen de lutte. En perdant l'usine, les ouvriers au chômage gagnent la rue. C'est par des rassemblements dans la rue, des manifestations, des occu­pations de mairies, bureaux de chômage et autres Institutions publiques que les chômeurs peuvent lutter et ont lutté. Ces luttes ont pris parfois le caractère de véritables émeutes et peuvent devenir le signal et le stimulant d'une lutte généralisée. On commettrait une erreur grave on négligeant de telles possibilités. Dans une certaine mesure, les luttes radicales, éventuelles, des chômeurs peuvent prendre plus facilement et plus rapidement qu'une grève d'ouvriers dans l'usine, le caractère de lutte sociale.

9 - Pour mener la lutte que les conditions leur imposent, les ouvriers au chômage, à l'instar de toute la classe, tendent à se grouper. De par­ leur situation de dispersement, ce besoin de se grouper leur est rendu relativement plus difficile qu'aux ouvriers concentrés sur leur lieu de travail, les usines. Partant des bureaux de chômage où ils. pointent et se retrouvent, de leur quartier où ils se rencontrent, ils finissent par trouver les moyens de se rassembler et de se grouper. Disposant largement de "temps libre", chassés de leur habitat par l'ennui, la misère, le froid souvent, ils recherchent le contact avec les autres, Ils finissent par réclamer et obtenir des locaux publics pour se réunir. Ainsi se créent des lieux permanents de rassemble­ ment où les conversations, réflexions et discussions se transforment en réunions permanentes. Cela constitue un énorme avantage pour l'agitation et la politisation de ces importantes mas­ses ouvrières. Il est de la plus haute importan­ce de contrecarrer les manoeuvres des partis et surtout des syndicats visant à les inféoder et à en faire des appendices des syndicats. Ces rassemblements, quel que soit leur nom : groupe, comité, foyer, etc..., ne sont pas des syndicats ne serait-ce que pour la raison qu'ils ne sont pas structurés sur le même modèle; ils ne connaissent pas de statuts, d'adhésion, de sélection, de carte et de cotisations. Même quand ils se donnent des comités, ceux-ci ne sont pas per­manents et sont constamment sous le contrôle de tous les participants toujours présents, quoti­diennement rassemblés. A bien des égards, ils sont l'équivalent de ce que sont les assemblées générales des ouvriers des usines en lutte, tout comme ses dernières, ils sont menacés et ont à faire face aux manoeuvres des syndicats cherchant à les contrôler, chapeauter, inféoder afin de mieux les stériliser.

10  - Le fait que le mode d'existence de ces groupements . d'ouvriers au chômage ne soit pas le lieu de travail, mais leur habitat, leur quartier, leur commune, ne change rien à leur nature de classe, ni à leur lien social avec l'ensemble des autres membres de la classe. Ces liens indestructibles sont donnés par le fait que ces ouvriers au chômage ont été des ouvriers au travail hier et sont susceptibles de retourner individuellement au tra­vail demain et par le mouvement constant d'ouvrier au travail rejoignant les sans-travail. Si le chômage est un phénomène fixe et Irréversible de la crise, cela ne se rapporte pas à chaque chômeur pris individuellement, mais à la classe dans son ensemble. Ces liens sont encore donnés par la vie commune, de parenté ou d'amitié des ou­vriers au travail et au chômage partageant en com­mun les revenus des uns et des autres.

Et enfin ces liens existent entre les ouvriers ha­bitant le quartier et les ouvriers travaillant dans les usines dans le quartier. La diversité des conditions particulières et circonstanciel­les à l'intérieur de la condition unitaire géné­rale de la classe peut donner naissance a des formes momentanées diversifiées do regroupement des ouvriers sans mettre pour cela en cause leur caractère de classe.

11 - Dans l'organisation unitaire de la classe, qui sera dans la période révolutionnaire l'organisation centralisée des Conseils Ouvriers, Il est impensable l'exclusion de millions d'ou­vriers parce qu'ils sont au chômage. D'une fa­çon ou d'une autre, ils seront nécessairement présents dans cotte organisation unitaire de la classe comme dans ses combats. Rien ne nous permet, même pas l'expérience du passé, de sti­puler d'avance la forme que doit prendre ou prendra cette participation, et à priori procla­mer que ce ne sera pas par des groupements fo­caux de chômeurs. Il en est exactement de même pour les ouvriers au chômage que pour les ouvriers et employés dans de petites entreprises qui, le plus probablement seront appelés à se grouper sur la base des localités de leur lieu de travail pour envoyer leurs délégués au Con­seil Central des conseils de la ville. De toute façon, il serait artificiel et présomptueux de dicter arbitrairement et au préalable les for­mes particulières que peuvent prendre les grou­pements des ouvriers. Il appartient aux révolutionnaires de rester toujours attentifs et vi­gilants afin que toutes ces formations, qui peuvent apparaître, puissent s'intégrer le mieux possible dans l'organisation  unitaire et le combat unitaire de la classe.

12 - Le fait que d'autres éléments provenant de la petite-bourgeoisie et d’autres couches fassent partie également de l'état de chômage, ne modi­fie pas substantiellement le problème du chômage et des chômeurs. Ces éléments sont largement minoritaires dans la masse des chômeurs. Dans un certain sens, la chute de ces éléments ou une partie d'entre eux dans la masse des ouvriers au chômage est en quelque sorte un mode parado­xal de leur prolétarisation. Ce d'où ils vien­nent sociologiquement et ce qu'ils sont en train de devenir diffère grandement. La menta­lité petite-bourgeoise qu'ils apportent avec eux au sein de la masse ouvrière au chômage peut certes avoir une influence néfaste, mais cette influence est  largement limitée et minimi­sée par des facteurs autrement plus importants que sont  la lutte classe et les rapports de force entre prolétariat et bourgeoisie. Il n'y a pas lieu de lui accorder une importance outre mesure. Après tout, nous trouvons un problème similaire quand ces éléments chutent parmi les ouvriers au travail. Tout dépend de  l'état de la classe, de sa conscience et de sa combati­vité, la rendant fort capable de les diriger et de les assimiler. Il en est également ainsi dans une période de guerre où de grandes masses d'ouvriers, au lieu d'être en chômage, se trou­vent métamorphosés en soldats et également mé­langés  avec des éléments provenant d'autres couches. Il serait vain et par ailleurs impos­sible de perdre son temps à vouloir passer un à  un par  le crible de leur origine sociale. Le chômage est et demeure fondamentalement un état imposé à la classe ouvrière et comme tel c'est un problème de la classe ouvrière.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [10]

Questions théoriques: 

  • Décadence [11]

La crise en Russie et en Europe de l’Est (2e Partie)

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Faiblesse et sénilité du capitalisme d’État à l’Est

A sa différence des trotskystes qui recouvrent d'une chasuble d'or le corps nu de l'économie capitaliste à l'Est, des militants de la gauche communiste comme Mattick ou du GLAT[1] [12] reconnaissent la nature réactionnaire du capitalisme d'Etat et ne lui donnent pas un label "progressif" au nom d'une théorie du "troisième système" si chère à SouB et à ses rejetons actuels de Solidarity.
Nous ne pouvons par exemple que souscrire à l'article du GLAT paru dans
Lutte de Classe de janvier 1977 qui affirme clairement "les contra dictions qui précipitent le capitalisme dans la crise ne sont pas le privilège des pays les plus avancés ou des pays sous-développés de la planète. Elles sont inhérentes au capitalisme d'Etat comme le montre l'exemple de l'URSS". Cette prise de position est certainement plus claire que l'assertion gratuite, en contradiction avec la réalité de toujours du capitalisme d'Etat russe, celle de Paul Mattick prétendant que le "capitalisme d'Etat n'est pas "réglé" par la concurrence et  les crises". Non seulement en ne voyant pas le rôle destructeur de la concurrence et des crises à l'intérieur du capitalisme en général mois en niant leurs effets à l'Est en particulier, Mattick ne peut que rejeter toute possibilité objective d'une révolution prolétarienne. C'est pourquoi alors que la bourgeoisie de par le mon de prend de plus en plus des mesures de capitalisme d'Etat en nationalisant des secteurs clefs de l'économie, il est nécessaire d'en définir la nature afin de montrer qu'il ne constitue qu'un palliatif et non une "solution" à la crise générale du capitalisme.

a) Qu'est-ce que le capitalisme d'Etat ?

Le fait que le capitalisme d'Etat ait été souvent assimilé à la Russie et à son bloc, ou à sa variante chinoise, a entretenu longtemps l'Idée que la prise en charge plus ou moins achevée dans l'ensemble de l'économie par l'Etat, était une particularité de ces pays. L'absence apparente, pendant longtemps, des manifestations classiques de la crise : chômage, crise de surproduction, baisse brutale de la production, ont semblé confirmer dette vision fausse "d'un monde à part".

En fait, loin d'être une énigme historique, un tel phénomène s'inscrivait dans l'évolution "naturelle"[2] [13] du capitalisme : "naturelle" dans la sens que ce mode de production était amené à dominer de façon toujours plus violente et totalitaire l'ensemble des rapports sociaux, "naturel le", cette évolution au 19ème siècle qui fait que certaines nations capitalistes, pour des raisons tant historiques que géographiques, avalant depuis des siècles commencé à accumuler le capital, forcé la nature à se plier aux  lois qui l'engendraient et qui le dominaient. Cependant, dès la fin du siècle dernier, l'existence de nations capitalistes toujours plus nombreuses allait donner une place grandissante à l'intervention de l'Etat dans les lois "naturelles" du capitalisme. Que l'ère du libéralisme et de la lutte contre le "moloch-Etat", chère aux théoriciens libéraux du I9ème siècle avait sonné. Engels en était parfaitement conscient lorsqu'il écrivait :

"L'Etat moderne, quelle que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, un Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il s'approprie de forces productives, plus il devient un capitaliste collectif, plus grand est le nombre de citoyens qu'il exploite. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble". (Anti-Dühring)

Cette analyse d'Engels que les trotskystes prennent soin "d'ignorer", est une gifle posthume à leur théorie de "l'Etat ouvrier". Elle est une condamnation sans équivoque de tout "Programme de transition" avec son chapelet de nationalisations et d'expropriation du capital privé. L'Etat est la machine d'exploitation par excellence; quand les "Dühring" modernes, les gauchistes surenchérissent sur les nationalisations de la gauche, ils ne font qu'appeler au renforcement de la machine capitaliste.

Les bordiguistes participent inconsciemment d'une telle vision, lorsqu'ils volent dans  l'Etat surgi des luttes de "libération nationale" un facteur de progrès, celui de la révolution bourgeoise. Ils ne comprennent pas que l'Etat bourgeois surgi des révolutions bourgeoises du passé, ne traduisait un progrès historique que pour au tant qu'il laissait place au libre développement des forces productives, qu'il s'effaçait devant cette nouvelle force historique. Au contraire, l'hypocrisie grandissante de l'Etat capitaliste dès la fin du siècle dernier, loin de traduire un nouvel essor qualitatif des forces productives, reflétait leur compression grandissante dans le cadre national. Deux guerres mondiales ont prouvé que le gonflement de l'Etat était directement proportionnel aux destructions croissantes des forces productives accumulées. Les nouveaux Etats "libérés" qui prennent en charge l'ensemble de la vie sociale, sont non seulement l'aveu de la faiblesse des forces productives qu'ils enserrent dans leur étau mais poussent à son comble l'exploitation et la démoralisation du prolétariat écrasé par une féroce ré pression.

b) Faiblesse du capitalisme d'Etat russe

On commettrait une erreur en limitant aux seuls soi-disant Etats "socialistes" le phénomène du capitalisme d'Etat. D'Internationalisme[3] [14] au CCI, les révolutionnaires n'ont cessé de dé montrer qu'il s'agissait d'un phénomène généralisé au monde entier, se manifestant comme une tendance, mais une tendance jamais achevée compte tenu de l'impossibilité d'absorber totalement les secteurs non capitalistes. C'est pourquoi, il est aussi faux de parler d'un capitalisme d'Etat achevé, économiquement "pur" à l'Est, où pèse encore de tout son poids un secteur agricole faiblement centralisé (kolkhozes, petits lopins de terre) et artisanal que de capitalisme privé "pur" à l'Ouest en raison de la faiblesse relative du secteur étatique. La tendance au capitalisme d'Etat ne dépend pas du pourcentage -qui serait la barre fatidique des 50 %- du secteur économique contrôlé par l'Etat. En définissant l'économie américaine comme "économie mixte" dans Marx et Keynes -diamétralement opposée au système capitaliste d'Etat russe, Mattick perd de vue l'existence de cette tendance générale.

Si certains, comme Mattick, se laissant prendre au piège des apparences, en définissant le capitalisme sous l'aspect de deux forces antagoniques ("d'Etat" et "privé"), c'est qu'ils ne veulent voir que la forme juridique revêtue par le capital. Le capitalisme d'Etat est fondamentalement le résultat de la fusion croissante entre capital et Etat. Cette fusion ne peut être confondue avec la forme juridique qui vient la recouvrir et qui bien souvent n'est que la forme mystifiée de son contenu réel. C'est le degré de concentration et de centralisation du capital au niveau de l'Etat qui détermina la réalité d'une telle fusion. Le capitalisme classique tendait au 19ème siècle à se concentrer de plus en plus internationalement au delà des frontières d'origine. Mais le capitalisme, bien que mondial, ne peut se développer et exister que dans le cadre de la concurrence entre nations capitalistes. C'est pourquoi cette tendance, lorsque se développe l'impérialisme à 1a fin du 19ème siècle, se trouve freinée : la concentration et la centralisation toujours plus grandes du capital, trouvaient comme base l'Etat national, seul en mesure de les soutenir et d'en maintenir l'existence face à d'autres concurrents dans la guerre économique permanente de tous contre tous. La manifestation du capitalisme d'Etat comme tendance, se manifesta pleinement pendant la première guerre mondiale chez tous les belligérants, faibles ou puissants. Bien que faible jusqu'à la crise de 29, la manifestation de cette tendance fut particulièrement frappante dans les grands Etats impérialistes où le capital était déjà parvenu à un haut degré de concentration et centralisation : les USA et l'Allemagne de la première guerre mondiale; cette Allemagne dont Lénine verra le modèle du capitalisme d'Etat pour la Russie. La capacité du capital américain à transformer tout l'appareil productif en économie de guerre lors de la seconde guerre mondiale, a démontré dans les faits combien la puissance même du capitalisme d'Etat était directement conditionnée par la puissance même des soubresauts de l'économie.

Cela ne signifie nullement que le capitalisme d'Etat serait une force supérieure du capitalisme, une "rationalisation du processus de production" (Boukharine, Economique de la Période de Transition). La crise permanente depuis 1914 a montré qu'on ne peut "rationaliser" un système dont le fonctionnement à travers le cycle de guerre crise reconstruction est devenu totalement irrationnel. La "rationalisation" du capitalisme est une contradiction dans les termes. De même, la planification de l'économie par le capitalisme d'Etat ne peut être rien d'autre qu'une planification de l'anarchie croissante, caractéristique même du capitalisme dès ses origines.

Précisément la force du capitalisme d'Etat américain tient dans sa propre capacité de la reporter sur le marché mondial à travers tous ses organismes étatiques (FMI, GATT, BIRD, etc.).

Qu'en est-il du capitalisme d'Etat russe ? En quoi diffère-t-il du capitalisme d'Etat américain ? Comme nous l'avons vu, l'existence du capitalisme privé n'est pas contradictoire avec celle du capital d'Etat et vice-versa. Seuls les staliniens et les trotskystes peuvent aujourd'hui voir dans l'Etat capitaliste américain "un prisonnier des monopoles" affaibli par leur pouvoir occulte. Ces apologistes de la dictature de l'Etat russe ne peuvent comprendre évidemment que la force politique d'un Etat est d'autant plus grande que la base économique qui la sous-tend est large. Comme l'ont montré les marxistes dans le passé, et Engels le premier, le développement des sociétés par actions, puis des cartels et des trusts ne conduisent pas à un affaiblissement de l'Etat mais au contraire aboutît au monopole de l'Etat qui exclue tous les autres qui lui sont alors directement subordonnés.

Si ce processus s'est en quelque sorte accompli progressivement pour les grandes puissances capitalistes (Allemagne, Etats-Unis, Japon), il n'en est pas de même pour la Russie et les pays de l'Est. Ce processus s'est au contraire réalisé par la dépossession violente de la plupart des propriétaires privés, l'Etat devenant seul propriétaire exclusif des moyens de production. L'Etat a pallié la faiblesse congénitale d'une bourgeoisie faible incapable d'opérer la concentration et la centralisation du capital par son incursion despotique dans l'économie. L'Etat s'est alors gonflé démesurément sur une assise économique faible, absorbant la société civile sans vraiment la dominer réellement.

Si, d'une certaine façon, le capitalisme d'Etat prend sa forme la plus achevée en Russie par cette absorption totale de la société civile, par la fusion totale de l'économique et du poli tique, ce n'est qu'au prix d'une anarchie toujours plus grande dans les rapports de production qu'il ne réussit a dominer que formellement. Le gigantesque gaspillage d'une planification anarchique incapable de centraliser et concentrer réellement le capital accumulé, montre que cette fusion du capital et de l'Etat s'est plus réalisée dans le domaine du droit que dans celui des faits.

c) Le mythe de la planification "scientifique"

Les pays de l'Est sont l'illustration de l'irrationalité croissante du système capitaliste dans sa totalité. Le capitalisme, surtout depuis les années 30, a cru qu'il serait possible de développer la production et la consommation de façon régulière et harmonieuse en "décidant" à l'avance les quotas de production. Des méthodes statistiques précises et des bureaux spécialisés de planificateurs permettraient de prévoir l'avenir et d'éviter ainsi les catastrophes brusques comme celle de 29. Tous les plans capitalistes, du plan De Man aux plans staliniens se sont nourris de cette illusion. La guerre devait détruire cette illusion, après qu'en 38 l'ensemble des pays capitalistes des USA à l'URSS, qui avait adopté des méthodes de planification, soit retombé dans la crise. Si l'après-guerre a fait ressurgir à nouveau ce rêve du capitalisme de trouver enfin la pierre philosophale anti-crises, sous la forme des théories "économétriques" à l'ouest et de "calculs scientifiques" à l'est, c'est qu'en réalité l'expansion des marchés reconstruits "planifiait" l'économie. C'est aujourd'hui la crise qui "planifie" l'économie. Nous avons pu le constater dans le précédent article en montrant la chute continuelle des indices de production, reflétant la contradiction grandissante de l'accumulation. La chute du taux de croissance à 3-4% annuel prévue dans les plans annuels des pays du COMECON jusqu'en 1980, montre à l'évidence que les plans sont le reflet passif de la situation. Les planificateurs russes et autres ne peuvent être des agents conscients de la production; ils ne fixent pas la production mais des indices déterminés par la tendance antérieure.

Quel est alors le sens de cette "planification" si elle ne semble avoir aucune réalité apparente ? Le titre de la brochure publiée par l'agence de presse Novosti ("Les grandes options de l'économie nationale de l'URSS pour 1976-80"), nous le donne. Planifier dans le capitalisme d'Etat ne signifie pas atteindre des objectifs certains, mais présenter...des options. Cela signifie que la planification ne trouve son sens non dans des grandeurs mathématiques croissantes mais dans les proportions existant entre secteur des biens de production et secteur des biens de consommation, compte tenu :

  • de la lutte de classe qui empêche de freiner trop brutalement la proportion de ce secteur dans l'ensemble de l'économie ;
  • de la nécessité de renforcer toujours le secteur d'armements et donc le secteur des moyens de production. Ce que le capitalisme d'Etat ne peut obtenir par l'expansion, il l'obtient par les fluctuations de proportion entre les deux secteurs en fixant quelle quantité de capital sera investie prioritairement dans tel ou tel secteur, dans telle ou telle branche d'industrie.

Cela ne signifie en aucun cas que l'anarchie capitaliste est supprimée dans ces secteurs "prioritaires". Bien au contraire, la réalisation des objectifs du plan dans une branche déterminée se fait au prix d'un gaspillage permanent du matériel et des matières premières. Les marchandises produites de qualité médiocre n'ont alors qu'une valeur marchande des plus basses, faute d'être utilisables. Qu'on en juge :

"Dans les autres pays (que l'URSS), la production normalement s'étale sur toute la durée du mois, mais ici elle ne peut commencer que le 15 ou le 20, quand tout le matériel est arrivé. Les usines doivent donc remplir 80 % des exigences du Plan (les quotas) pendant les 10 ou derniers 15 jours. Personne ne se soucie plus de la qualité. Il n'y a plus que la quantité qui compte "L'économie russe se trouve être le domaine par excellence de l'irrationalité du point de vue des lois capitalistes de la division du travail, de la productivité et de  la rentabilité. Une telle situation se reflète dans les déclarations des dirigeants capitalistes russes, qui rituellement préconisent que "dans les entreprises existantes, la production doit s'accroître en règle générale, sans augmentation de la main-d'oeuvre et même en la réduisant. Mais il n'est pas moins important d'améliorer l'organisation du travail, d'éliminer les pertes de temps de travail et d'élever la discipline à la production". (Kossyguine, XXVème congrès du PCUS).

Il faut être M. Mandel pour voir dans l'anarchie permanente des économies d'Europe de l'Est une quelconque "rationalité". Selon lui, à la différence des planifications "occidentales", "la planification soviétique est par contre une planification réelle" (Traité d'Economie Marxiste). Il est vrai que tous les mensonges trotskystes sont permis pour la défense du caractère "socialiste" des "Etats ouvriers".

d) Faiblesse de l'économie capitaliste d'Etat à l'Est

Le seul secteur de l'économie qui garde aujourd'hui un semblant de vitalité reste en Europe de l'Est et plus encore en URSS, celui de l'industrie d'armements, "il est plus facile de produire une bombe atomique ou des isotopes que de produire des transistors ou des médicaments bio chimiques" constatait un physicien russe (cité par Hedrick Smith : les Russes); il est vrai que c'est le seul secteur où la production soit réellement contrôlée; meilleur matériel, plus grande productivité, meilleurs salaires pour stimuler la recherche de la qualité. C'est le seul secteur où la concentration et la centralisation du capital par l'Etat soit une réalité, car elle est une question vitale pour l'existence même du bloc impérialiste russe. Cela est si vrai, que dans les usines travaillant pour le secteur civil, certaines chaînes de montage travaillent pour l'armée avec des pièces de première qualité rigoureusement testées dès leur arrivée dans l'usine à leur transformation par les autorités militaires. Par exemple à la médiocrité proverbiale des automobiles livrées aux particuliers, s'oppose la robustesse des véhicules utilitaires livrés au personnel de l'armée et du parti (cf. Smith, les Russes).

Cette force de l'économie de guerre russe, qu'on put voir s'exercer pendant la seconde guerre mondiale face au capital allemand, ne reflète nullement celle de l'économie globale; elle lui est inversement proportionnelle. Mais pour que l'économie" de guerre soit réelle ment efficace et puisse affronter celle des Etats-Unis, il ne suffit pas que la production d'armements du bloc russe vienne équilibrer celle de l'autre bloc. Le fait que le secteur d'armements russe représente (officiellement) 20 %  du PNB de l'URSS contre 10 %  de celui des Etats-Unis, montre clairement la faiblesse de l'économie soviétique.

Contrairement à une idée reçue, et qui fut en vogue à l'époque de la "réforme Liberman", le capitalisme d'Etat russe ne souffre pas d'hypercentralisation et d'hyper concentration des unités de production. C'est exactement le contraire, l'hypertrophie croissante des bureaux du plan des pays du COMECON,- est précisément le résultat de la faiblesse du soubassement économique ; elle ne peut en aucun cas aller dans le sens d'une plus grande centralisation du capital, car celle ci est fondamentalement "la concentration de capitaux déjà formés, le dépassement de leur autonomie individuelle, l'expropriation du capitaliste par le capitaliste, la transformation de beaucoup de petits capitaux en peu de capitaux déjà existants et fonctionnant" (Marx, Capital volume 1), Les statistiques russes montrent précisément (et cela est valable pour les autres pays du bloc à l'exception de la RDA qui hérite du haut degré de concentration de l'économie d'avant-guerre) que le capitalisme d'Etat est bien sou vent théorique : - au premier janvier 74, l'industrie russe comptait 48 578 entreprises auto nomes étatisées, mais fonctionnant chacune comme un centre d'accumulation propre, avec sa comptabilité propre, son autonomie financière. La part des grosses entreprises demeure faible en dehors des réalisations pilotes comme la pétrochimie et 1'électrométallurgie (Elektrostal à Moscou regroupant 20.000 ouvriers). En 1973, 31 % de la production industrielle était assurée par 1,4 % entreprises, soit 660 ; aux Etats-Unis pour obtenir le même pourcentage, il suffisait de 50 entreprises seulement (Fortune, mai 1974). En dépit de la fameuse constitution des "unions industrielles" censées regrouper les petites entreprises dans des unités plus grandes, dans une branche d'industrie donnée, en 74-75, selon Fortune, 500 entreprises américaines produisaient autant que 5000 entreprises russes !

Mais plus que d'une simple concentration, qui est plus le produit que la condition d'une accumulation élargie, c'est d'une domination purement formelle du travail dont souffrent tous les pays de capitalisme d'Etat à la russe. Il s'agit plus en effet d'une utilisation extensive (en dehors des usines pilotes) de la force de travail reposant sur la quantité de main-d'oeuvre utilisée (ou gaspillée par l'anarchie générale) que d'un essor intensif de la productivité du travail, base même du capitalisme moderne depuis la fin du siècle dernier. Si l'exploitation du prolétariat est tout aussi féroce à l'Est qu'à l'Ouest, elle ne prend pas la même forme. Ce que l'exploitation capitaliste gagne en extension en URSS et dans le C0MEC0N par l'allongement du temps de travail (de 10 à 12 heures de travail par jour), par la mobilisation quantitative de la force de travail, elle le perd en intensité et donc en efficacité du point de vue capitaliste. La forme de salariat existant, le salaire aux pièces (2/3 des ouvriers d'URSS) dominant au 19ème siècle au départ du capitalisme industriel, est typique d'un capital faible et traduit la faiblesse de la productivité du travail. En effet, c'est fondamentalement l'orientation du capital vers l'extraction de la plus-value relative qui a entraîné au siècle dernier le capitalisme sur la voie de sa domination toujours plus totalitaire sur le travail vivant. Ce que le capital russe obtient sur le terrain de la violence terroriste d'Etat au niveau politique, la dictature du capital sur le travail, se situe au niveau formel au ni veau économique. Tel est le cas des sempiternel les mises en garde des capitalistes russes, est-allemands, etc… contre le "laisser-al1er dans le travail". (Comme le remarquait déjà Marx au siècle dernier "la production de la plus-value absolue correspond à la soumission formelle du travail au capital, celle de la plus-value relative correspond à la soumission réelle du travail au capital"(Vlème chapitre du Capital). Reflet de la crise générale du capitalisme de puis 1914, le capitalisme d'Etat russe affronte la crise ouverte dans un état de faiblesse et d'archaïsme qui accroît le décalage existant sur le terrain économique entre les deux blocs antagonistes. Ainsi, le rendement en 75 par habitant en URSS était presque celui d'un pays sous-développé : 25ème rang mondial L'URSS ne participe que pour 4% aux échanges internationaux, soit autant que les Pays-Bas. Alors que la place croissante sur le marché mondial est une question de vie ou de mort pour chaque capital national plongé dans la crise, le COMECON depuis 20 ans ne participe que pour 10 %  du commerce mondial, soit moins même que la RFA. Si l'on ajoute que le secteur agricole mobilise encore entre 20 et 40 % de la population active selon les pays du COMECON, on aura une idée du degré de faillite du capitalisme d'Etat. La faillite générale aujourd'hui du capitalisme est aussi et surtout celle du capitalisme d'Etat, réponse sans issue à la décadence générale, qui fait de l'irrationalité de son fonctionnement la base de son existence.

La fin des illusions
a) L'illusion mercantile

A la fin des années 60, le bloc russe a tenté de "résoudre" sa crise en cherchant à moderniser son appareil de production, de façon à accroître ses possibilités d'exportation sur le marché mondial, compte tenu du caractère limité du marché du C0MEC0N. Les réformes du style Liberman n'avaient pas permis en effet d'enrayer la chute continuelle du taux de profit accumulé dans les entreprises, se manifestant par une baisse continuelle de la rentabilité : celle-ci "passe pour les accumulations monétaires de 45, de 1% en i960 à 71, 7%  en 1973", la baisse tendancielle du taux de profit reprenant en 71 (V. Vassilov, "Rationalité du système économique soviétique").

Au prix d'un endettement considérable, les pays du COMEC0N ont cherché à importer de la technologie et incité les pays industrialisés à installer des usines ultramodernes "clefs en main". Les pays de l'Est avaient l'illusion qu'il suffisait de moderniser pour transformer cette "ruée vers l'Est" du capital occidental en "ruée vers l'Ouest" de leurs marchandises. Dès 75, le monde capitaliste a du déchanter : non seulement l'Ouest a diminué ses exportations de capital vers l'Est pour des raison économiques (insolvabilité grandissante du COMECON) et stratégiques (relance de la guerre froide), mais l'Est a du se résigner à diminuer à son tour ses exportations de marchandises sur les marchés occidentaux. En dépit de l'utilisation du palliatif du dumping, la contraction des échanges et du commerce international est un phénomène irréversible qu'aucune "importation de technologie" ne saurait surmonter. Même des pays orientés pour leurs exportations (Pologne, Hongrie) vers l'Ouest ont dû modifier leurs politiques d'échanges commerciaux en les réorientant vers l'Est. Contrairement à ce qu'affirme le GLAT (Lutte de classe, février 77), la crise actuelle se manifeste bien à l'Est comme le produit de la saturation des marchés, même si celle-ci se concrétise dans ses effets par la chute tendancielle du taux de profit. Il faut être totalement en dehors de la réalité pour affirmer que"l'URSS constitue une preuve expérimentale de l'absurdité (!) de toutes les théories qui cherchent l'origine "de la crise du capitalisme dans une insuffisance de la demande ou toute autre[4] [15] forme de manque de débouchés". Le capitalisme d'Etat dans le bloc russe n'est pas en crise parce qu'il ne produit pas assez de capital accumulé : le capitalisme d'Etat est une gigantesque accumulation de capital constant et de capital variable dévalorisés non seulement par l'anarchie endémique de la production mais par la faiblesse des marchés existants, capables de le réaliser en le valorisant. Le capitalisme à l'Est a eu l'illusion - comme le GLAT - qu'il stagnait parce qu'il ne produisait pas assez de capital (cf. par exemple, le complexe d'usines de camions de la Kama, gigantesque accumulation de capital importé d'occident et gigantesque fiasco après plusieurs années de travaux (routes, bâtiments, etc.). En 75, des 100 000 camions prévus, on ne vit jamais la couleur. Mais la sous-production de capital, c'est-à-dire de marchandises n'est globalement que le corollaire de la surproduction. La sous-production d'un capital national donné est le résultat de la tendance à la surproduction des capitaux plus développés face à la contraction des marchés. Le capital polonais, par exemple, surproduit trop de bateaux par rapport aux capacités d'absorption du marché mondial; il se trouve donc obligé de sous produire par rapport à ses capacités de production. La planification dans les pays de l'Est n'a pas d'autre sens : le capital évite la brutalité de l'effondrement dû à la contraction du marché mondial en adaptant à chaque moment de cet effondrement son appareil produc tif. Seul le socialisme sera en mesure de mettre fin à cette dialectique infernale de la sous et surproduction comme croissance infinie des besoins de l'humanité et donc de la production de biens d'usage capables d'y répondre. Lui seul mettra fin à l'illusion mercantile qui enfonce toujours plus l'humanité dans la barba rie

b) Le renforcement du bloc russe

Si l'accélération brutale de la crise a augmenté

  • comme ailleurs la tendance à l'autarcie des pays du COMECON, elle a entraîné l'essor des échanges au sein du COMECON. Ce que les planificateurs du COMECON appellent pudiquement développement "de la division socialiste internationale du travail" et développement de la "spécialisation", recouvre le renforcement de la domination économique, politique et stratégique du capital russe. Afin de développer et renforcer son économie de guerre face au bloc américain, la Russie a adopté des mesures symétriques.
  • en juillet 1975 à Bucarest, les pays du CAEM (COMECON) ont décidé (sic) que 9 milliards de roubles seraient dépensés en commun de 1976 à 1980 pour mettre en valeur les ressources soviétiques en matières premières" (L'intégration économique à l'Est, Notes et Etudes documentaires, 8 mars 1976). Pour donner une idée de cette exploitation des "pays frères" par la Russie, une telle mesure signifiera que la Tchécoslovaquie devra y consacrer au moins 4% de ses investissements globaux. Ces mesures ratifiées par les différents PC, comme le IXième congrès du SED est-allemand, signifient en clair que la Russie va imposer le rationnement de ses satellites. Alors que les pays du COMECON, telle la Pologne et la Hongrie, avaient réussi à diversifier leurs échanges et donc leur production dans les années 60, chacun se trouve contraint de plus en plus d'accepter la main mise du capital russe sur ses branches d'industrie (multinationales de la chimie en Pologne, etc.) dont le chantage est grand en raison de son monopole des matières premières, pour cela, elle dispose de son FMI, la banque internationale d'investissement qui lui permet à travers le rouble transférable d'être  le véritable bailleur de fonds d'au tant plus que le renchérissement de l'énergie russe (moins chère qu'à l'Ouest ; a considérablement augmenté l'endettement- des pays satellites vis-à-vis de l'URSS.

Ainsi ce que le capitalisme d'Etat russe n'a pu obtenir par une politique de détente avec l'ouest, la modernisation de son appareil productif, il tente de le mettre maintenant en place par la force en faisant reporter sur ses alliés tout le poids de la crise. C'est non seulement la politique Dubcek de pratiquer une politique économique "tous azimuts" qui agonise définitivement avec le retour au bercail des enfants turbulents, Pologne et Hongrie, mais toute l'illusion de la détente et de la "coexistence pacifique" entre les blocs, théorisée jadis par Krhrrouchtchev.

c) La fin de l'illusion du "socialisme à la goulasch" :

Le resurgissement de la lutte de classe dans les années 70 en Pologne, la peur de la contamination de l'insurrection des ouvriers de la Baltique sur le reste des pays du COMECON, avaient poussé la bourgeoisie de ces pays à augmenter le secteur des biens consommés, il est vrai au prix d'un endettement de l'économie par l'importation de biens courants ou par le blocage des prix des produits de base de l'alimentation. La bourgeoisie dans tous ces pays avait alors laissé espérer aux ouvriers que la pénurie des années 50 n'était plus qu'un mauvais souvenir et que l'alliance du coca-cola importé puis fa briqué en Russie avec la goulasch locale allaient amener une élévation sensible du niveau de vie.

La crise, le renforcement du bloc russe par le report de la crise dans tous les pays du COMECON, la place croissante consacrée de nouveau aux investissements dans l'industrie lourde ont modifié la situation. Malgré la crainte éprouvée par la bourgeoisie d'émeutes ouvrières, tous les plans mis en place jusqu'en 1980 prévoient une nette diminution du salaire réel :
 

 

Pologne

Hongrie

RDA

Tchécoslovaquie

1971-1975

7,2%

3,4%

3,7%

3,4%

1976-1980

3-3,4%

2,7-3%

?

2,5-2,8%

(% d'accroissement annuel, source : L'Europe de l'Est en 1976, Notes et Etudes documentaires, 9 septembre 1977).

On sait comment la Pologne a du après les émeutes de Radom et Ursus, revoir sa politique d'attaque du niveau de "vie" des ouvriers en reportant les hausses des produits alimentaires. Il n'en reste pas moins que les deux dernières années ont été des années où l'attaque du capital contre la classe ouvrière s'est fait durement sentir par des hausses répétées des prix. Le poids des sacrifices va désormais se faire plus pesant et particulièrement dans les "démocraties populaires" où la Russie a commencé à exporter les effets de la crise. Cela ne signifie nullement que le capital russe cherche à reporter sa politique d'attaque directe contre "sa" classe ouvrière. Bien au contraire : le développement prodigieux des frais militaires en Russie pour équilibrer l'avance stratégique du bloc américain, de développement d'une politique mondiale agressive vers le Moyen-Orient et l'Afrique en particulier, la nécessité de payer au prix fort le maintien dans son camp de ses lointains alliés (Cuba, Vietnam) pèse de plus en plus lourdement non seulement sur l'ensemble de l'économie du bloc mais sur les épaules de tous les prolétaires du COMECON. La théorie de "l'aristocratie ouvrière" des grands pays impérialistes achetés par leur bourgeoisie, se révèle dans le cas du prolétariat russe comme une sinistre plaisanterie, que seuls de fanatiques tiers-mondistes défenseurs des "petits peuples" pourraient prendre au sérieux.

c) Les contradictions explosives du bloc russe

Le prolétariat des pays de l'Est est peut-être moins que tout autre susceptible d'être embrigadé dans des préparatifs de guerre impérialiste et d'accepter de se sacrifier sur l'autel du "socialisme". Non seulement le prolétariat a connu les réactions les plus féroces d'une bourgeoisie impitoyable quand il s'agit de maintenir en place son système (Hongrie en 1956, Pologne en 1970), mais aussi les attaques du capital contre son niveau de"vie" signifient l'abaisser au-dessous du SMIC dans lequel le capitalisme d'Etat le maintient. Même si le capitalisme d'Etat tente maintenant de constituer des stocks alimentaires en investissant massivement dans l'agriculture (complexes agro-alimentaires), cela ne peut être compris non comme des mesures préventives de famines mais comme la constitution de stocks de réserve pour nourrir les armées qui seraient un jour jetées dans la guerre impérialiste.

D'autre part, pour pouvoir affronter le marché mondial et le bloc américain, le bloc russe devrait :

  • augmenter ses capacités de production et donc accroître le taux d'exploitation des ouvriers (productivité). On "constate en 76 un ralentissement des taux de croissance de la productivité des importations et des investissements" (N.E.D, 9 septembre 77). Cela veut dire que le capital des pays du COMECON est dans l'incapacité de moderniser son appareil productif. Fini le temps de l'importation du capital occidental à haute dose. Pour "rentabiliser" le capital existant -particulièrement vétusté comme le montre la faible rotation du capital fixe - il faudrait en plus de la diminution du salaire réel des ouvriers par la pénurie contrôlée, diminuer le nombre d'ouvriers, ouvrir la voie au chômage. C'est une solution tentante pour le capitalisme des pays de l'Est; mais céder à cette tentation signifierait ouvrir en même temps la vanne des explosions sociales en chaîne, alors que la stabilité fragile de ces pays a reposé depuis la guerre sur leur politique de "plein emploi". La combativité intacte du prolétariat, les réactions de classe qui se sont fait jour en Europe de l'Est, même de façon dispersée, de Radom jusqu'à Karl-Marx-Stadt et au bassin houiller roumain, montrent la fragilité des préparatifs idéologiques à la guerre impérialiste dans le bloc russe. Autrement plus efficace et pernicieuse que la "patrie socialiste", est la campagne Carter des "droits de l'homme" comme instrument de préparation idéologique.

Enfin, le renforcement de la main mise économique sur les pays du bloc n'a renforcé que formellement la cohésion du COMECON. La note à payer présentée par l'impérialisme russe à ses alliés reste trop lourde, les avantages économiques et politiques trop faibles à côté de ceux du bloc américain, pour que soit assurée la stabilité et la solidité du bloc. Comme la montre l'écho rencontré par la campagne Carter dans les "démocraties populaires" (Charte des 77, opposition interne jusque dans le SlD, opposition "démocratique" en Pologne), le renforcement du bloc s'est accompagné aussi du renforcement des for ces centrifuges qui viennent affaiblir la cohésion du bloc.

Alors que les contradictions s'accumulent dans le bloc russe, il appartient aux révolutionnaires d'évaluer le rapport de forces entre les classes, c'est-à-dire les conditions objectives d'éclatement de la révolution mondiale en Europe de l'Est.

IV) CRISE POLITIQUE ET LUTTE DE CLASSE

La mise en place du capitalisme d'Etat en Europe de l'Est a simplifié le cadre politique dans le quel se déroule la vie même du capital. La victoire de l'URSS dans cette partie de l'Europe a entraîné des changements politiques profonds : instauration du parti unique, élimination des partis proaméricains socio-démocrates, libéraux ou paysans. S'il subsiste encore aujourd'hui officiellement d'autres partis à côté du parti étatique, tels le parti paysan polonais ou les partis chrétiens démocrate et libéral démocrate en RDA, c'est uniquement comme succursale du parti Etat; leur existence anachronique reflète en fait non un pluralisme de type occidental, mais la subsistance d'un important secteur paysan, voir confessionnel, sans qu'ils représentent une force d'opposition. Le même phénomène se retrouve en URSS où le parti stalinien russe coexiste avec d'autres partis "communistes" ou "nationaux" (ukrainien, etc.), censés représenter spécifiquement non des groupes sociaux particuliers mais des "nationalités" (géorgiens, arméniens, etc.).

Malgré ces particularités, la mise en place du capitalisme d'Etat sous forme violente dans ces pays, a abouti au parti unique. Ce qui n'a pu être réellement réalisé sur le plan économique, la fusion du capital avec l'Etat, l'a été sur le plan politique. L'existence de tels partis expriment, sous la forme la plus pure, la décadence du mode démocratique de la dictature bourgeoise. Au siècle dernier, la subsistance de classes représentant d'anciens modes de production (noblesse, paysannerie) obligeait la bourgeoisie à coexister, à s'accommoder de ces forces archaïques au sein de l'Etat. La domination progressive de la bourgeoisie sur l'Etat devait éliminer de telles forces ; l'instabilité de la base économique de sa domination avec le déclin de son propre système devait l'amener de plus en plus à enlever le voile des "libertés" recouvrant sa dictature de classe ; le déclin du capitalisme a contraint la bourgeoisie à fusionner totalement avec l'Etat, dernier rempart de sa domination. Cette tendance à la disparition de tout le con tenu formel de la démocratie s'est réalisé là où la classe capitaliste est la plus faible, la moins assise économiquement : dans le tiers-monde et en Europe de l'Est. Le renforcement du totalitarisme de l'Etat à l'Ouest montre qu'une telle tendance est non seulement universelle mais irréversible. Seule la force relative du capitalisme a laissé subsister des partis représentant les couches archaïques du capitalisme dans les pays les plus développés, la démocratie cessant d'être un mécanisme de fonctionnement du capital pour ne plus avoir qu'une simple fonction de mystification, ("libertés démocratiques", élections "libres", etc.). La faiblesse même du capitalisme à l'Est, la faiblesse de la classe bourgeoise constituée inorganiquement dans l'Etat ne lui donne pas les moyens de se payer le luxe de cet opium inefficace pour calmer les souffrances de prolétaires totalement démunis. La classe capitaliste fusionne directement avec la police et l'armée dans l'Etat à travers le parti unique qui apparaît comme son état-major. On ferait une lourde erreur si l'on croyait que la concentration en un tout de la classe capitaliste, sa totale fusion avec l'Etat ont supprimé les contradictions internes de la classe bourgeoise et éliminé toute espèce de crise politique en son sein. Les purges sanglantes au sein des partis staliniens au pouvoir depuis plus de quarante ans, ont montré que le capitalisme d'Etat n'apportait pas une consolidation de la classe dominante. Les épurations, les coups d'Etat, les règlements de compte forment la toile de fond de la vie politique de la bourgeoisie. Les scissions de la classe bourgeoise, ses déchirements en intérêts divergents ne se manifestent plus au travers de partis multiples mais au sein même du parti unique, ce qui a pour effet d'accroître l'instabilité et la fragilité de l'Etat, les événements de 56 en Hongrie en sont l'exemple le plus frappant lors de la scissions du parti en deux, entre la fraction Ralosi et la fraction Nagy. De fait, la crise permanente auquel correspond le capitalisme d'Etat en traîne une crise permanente de la bourgeoisie prisonnière du cadre totalitaire et étouffant qu'elle s'est donnée, le parti unique, pour main tenir sa domination.

La crise ouverte du capitalisme, ses manifestations, n'ont pu que mettre à nu une telle réalité ; élimination de Khroutchev, printemps de Prague, remplacement de Gomulka par Gierek. Si la crise politique tend de plus en plus à s'affirmer au grand jour, sortant du champ clos des affrontements de cliques au sein du parti étatique pour s'étaler sur la place publique, cela tient à l'accumulation grandissante des contradictions au sein de chaque capital national du bloc. L'austérité imposée par le capital russe, non seulement menace la cohésion sociale dans les "démocraties populaires", mais son poids est trop lourd à supporter pour des bourgeoisies congénitalement faibles, qui sans espoir de pou voir trouver des débouchés nécessaires à l'Ouest 53 trouvent néanmoins ramenées vers le bercail du COMECON.

Depuis quelques années, depuis surtout la campagne Carter sur les "droits de l'homme" et à la suite des espoirs nés dans certains cénacles intellectuels des accords d'Helsinki, on a vu apparaître de l'URSS jusqu'en Pologne, RDA, Tchécoslovaquie des groupes d'opposition dans ou en dehors des partis uniques réclamant l'instauration de "libertés démocratiques" et le pluralisme politique. Si en URSS, cette opposition est essentiellement limitée aux cercles intellectuels qui réclament une plus grande liberté de pensée dans leurs travaux, elle se teinte d'opposition nationaliste anti "grand-russien" dans les républiques non russes. Ces deux formes viennent se combiner dans les "démocraties populaires" : les intellectuels réclament des "libertés" soutenus cette fois plus ou moins ouvertement par des fractions de la bourgeoisie souhaitant prendre des distances économiquement et politiquement avec la ruineuse "amitié" de l'ours rus se. Dans un pays comme la Pologne, l'essor de la lutte de classe, l'impossibilité de briser par la force totalitaire de l'Etat le farouche prolétariat polonais, a fait naître une armée de cercles ou groupes d'opposition se proclamant les "défenseurs des ouvriers" tel le KOR de Kuron. Ce sont ces éléments qui font pleurer de joie les trotskystes et autres défenseurs du rétablissement de la "démocratie ouvrière''. Ces bons pèlerins de la "liberté démocratique" vont même jusqu'à affirmer (staliniens et Libertés en Europe de l'Est, Cahier Rouge n°2 "série Pays de l'Est") : "le caractère extraordinairement subversif de la revendication des libertés démocratiques en Europe de l'Est". Subversif ? Laissons parler l'un des représentants du courant "démocratique" Lipinski : "Un système dé pourvu d'un mécanisme d'adaptation continu, un système rigide qui détruit les critiques, qui n'est pas soumis à un contrôle social, qui ne respecte pas les libertés critiques fondamentales, un tel système n'est pas efficace". (Interview du Nouvel Observateur, 15 mai 1976). Main tenir la cohésion, assurer la survie, l'efficacité" du système capitaliste, voilà le programme" subversif" qu'une fois de plus les trotskystes découvrent dans de tels organismes bourgeois. Il est difficile de connaître l'écho de tels groupes chez les ouvriers : inexistant en URSS où l'activité de l'intelligentsia ne rencontre que méfiance, il semble avoir été plus grand spécifiquement en Pologne dans le milieu ouvrier[5] [16]. Cependant de telles tentatives de constituer une opposition ne signifient pas que des "régimes démocratiques" soient à l'ordre du jour en Europe de l'Est. La crise du capitalisme signifie l'accentuation du caractère totalitaire de l'Etat, la mise au pas de l'ensemble de la société. Cette emprise renforcée du capital sur le corps social ne peut se relâcher que momentanément avec l'explosion de conflits sociaux; un tel relâchement n'est alors que temporaire et prépare des mesures totalitaires nouvelles pour briser la résistance du prolétariat. L'opposition "démocratique" en Pologne n'est que le corollaire exact, le complément du renforcement de la dictature de l'Etat capitaliste, concentrée dans le parti unique. Adam Michnik, représentant du KOR, l'avouait cyniquement il y a peu de temps (Esprit, janvier 1977) : "Postuler un renversement révolutionnaire de la dictature du parti, organiser des tentatives dans ce but, serait aussi irréaliste que dangereux". L'emprise grandissante de l'URSS sur ses alliés ne laisse à cette "opposition" pas d'autre choix que d'être l'opposition officieuse du capital d'Etat, dans une acceptation tacite ou résignée du bloc russe constitué.

En dehors de sa fonction de canaliser localement le mécontentement des ouvriers dans des campagnes de signatures contre la répression, les "oppositions démocratiques" ont peu de chance de rencontrer un écho quand elles menacent la domination de l'impérialisme russe et proposent une rupture avec le bloc (Charte des 77 en Tchécoslovaquie). En aucun cas, elles ne pourront se transformer en partis d'opposition ; elles ne pourront que coexister à côté du parti unique aussi longtemps que le capital national et l'URSS le jugeront bon. C'est cette politique que le capital polonais avait mené en 56 ; une fois épuisé le mécontentement ouvrier et stabilisé le pou voir, les groupes d'opposition surgis, disparaissaient avec ou sans répression ouverte. A l'Est pas plus qu'à l'Ouest, le prolétariat n'a de "libertés" à défendre, ni d'amis sur qui compter. La seule liberté que revendique le prolétariat, c'est celle de détruire le capitalisme pourrissant qui l'écrase toujours plus. Le prolétariat prendra les armes à la main la liberté de s'organiser et de lutter pour la destruction du système. Il prendra la liberté d'enlever toute liberté de la classe bourgeoise de l'exploiter Cette vérité du marxisme, martelée incessamment par Lénine face à tous les "démocrates" du prolétariat, est plus que jamais vraie en Europe de l'Est.

De l'insurrection en Saxe et à Berlin en 53, de l’explosion de 56 en Hongrie jusqu'aux chantiers de la Baltique en 71, le prolétariat do l'Europe de l'Est a montré qu'il n'était pas une fraction séparée du prolétariat mondial, mais un de ses détachements. Il a montré par sa combativité et son héroïsme que la possibilité da la révolution prolétarienne n'est plus une utopie cultivée par quelques "archéo-marxistes".

Certes, le prolétariat des pays de l'Est devra franchir de durs obstacles pour retrouver la voie d'Octobre 17 :

  • l'encadrement impitoyable et totalitaire de l'Etat, du capitalisme d'Etat, qui atomise plus qu’ailleurs la classe ouvrière,
  • l'écrasement inouï du prolétariat russe qui a détruit toute continuité organisationnelle avec la vague révolutionnaire des années 20,
  • la difficulté à tirer les leçons de son combat, une fois la lutte retombée en l'absence d'organisations politiques révolutionnaires.

Les surgissements du prolétariat en Europe de l'Est montrent que le prolétariat y a moins de peine à manifester sa combativité et à étendre la lutte de classe qu'en Russie où le degré des affrontements reste beaucoup plus faible et dispersé dans le temps et l'espace (explosions locales totalement isolées), parce que le capitalisme d'Etat dans ces pays seront de plus en plus des zones de faiblesse du capital mondial face au prolétariat mondial.

Cependant, le rôle central du prolétariat ouest-européen dans la lutte de classe internationale, sa concentration, le surgissement depuis le réveil de la lutte de classe en 66 d'organisations politiques sécrétées pour tirer les leçons de son combat, son niveau de conscience historique de classe plus développé, vont être un catalyseur décisif en Europe de l'Est pour transformer cette combativité accumulée depuis 71 en énergie révolutionnaire consciente capable de renverser la dictature de fer du capitalisme au niveau mondial.


[1] [17] GLAT : adresse : Renée TOGNY, B.P 620 09 75421 PARIS CEDEX 09.

[2] [18] Il va de soi qu'aucune isolation d'un phénomène historique n'est "fatale", dans le sens que ce sont les hommes qui font leur propre histoire. C'est plutôt la survie du capitalisme avec l'échec de la vague révolutionnaire de 17-21 qui a donné une réalité à un tel phénomène.

[3] [19] Organe de la Gauche Communiste en France. Voir Bulletin d'Etudes et de Discussions n°9.

[4] [20] Celle-ci ne peut être d'aucun secours pour les pays les plus endettés (Pologne, Hongrie). Cela est si vrai que ces deux derniers, plus la Tchécoslovaquie, ont récemment laissé entendre, officieusement, qu'ils tenaient à recevoir des prêts du FMI, voire à y adhérer. Le FMI l'invention du capital américain, il est inutile de préciser que cela ne serait possible que si ces pays passaient dans ce bloc. Le renforcement du bloc russe sur ses satellites montre qu'un tel projet est une illusion.

[5] [21] Signatures des pétitions du KOR par des milliers d'ouvriers polonais, etc.

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [22]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [10]

Massacre des ouvriers en inde

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Le tract qui suit a été récemment envoyé au CCI d'Inde; il est non signé et de source inconnue. Nous le publions parce qu'il relate un épisode important et tragique de la lutte de classe en Inde, épisode qui apporte des leçons à l'ensemble de la classe ouvrière internationale. Le massacre des ou­vriers de l'usine textile de Swadeshl à Kanpur restera pour longtemps un témoignage brutal de la bar­barie capitaliste et iI rappellera à tous les ouvriers que c'est la seule réponse que peut offrir le capitalisme à l'humanité dans cette époque de déclin de la "civilisation" capitaliste. Le massacre de Kanpur n'est qu'un événement parmi tant d'autres d'une série d'actes brutaux de répres­sion de la part du régime "démocratique" Desai. Ces derniers mois, des ouvriers, des étudiants et des paysans ont été tués lors de manifestations par la police Janata dans toute l'Inde : Utar Pradesh, Madya Pradesh, Tamil, Binar, Punjab etc. Le massacre de Kanpur a aussi bien des ressemblances avec celui des 200 ouvriers de l'usine de sucre "Aztra" en Equateur en octobre dernier. Là, tout comme à Kanpur, l'armée, à défaut de la police, a utilisé la seule politique consistante pour le capital aujourd'hui face à des ouvriers en lutte : la répression cynique et sanglante. Les récents événements du Pérou, du Nicaragua, etc. confirment cette tendance qui accompagne le resurgissement du prolétariat au Tiers-Monde. En Inde, le resurgissement de la classe ouvrière a été annoncé par la grande grève des chemins de fer en 1974 qui n'a pu être écrasée par le régime de Gandhi qu'au prix de la répression la plus massive (25000 ouvriers jetés en prison) et de la collaboration la plus éhontée entre les syndicats et le gouvernement. Le régime Janata a été mis en place en 1976 pour remplacer la "dictature" de Gandhi et contrôler mieux les ouvriers grâce à la promesse de "démocratie" et de "droits humains"; mais à peine le gouvernement Dosai était-!I au pouvoir qu'il se trouvait confronté à une vague de grèves sauvages dans la classe : les dockers do Bombay,  les mineurs dé Rajhara, les fonctionnaires du gouvernement et bien d'autres ont mené des luttes très dures, souvent en dehors du contrôle syndical ; et la plu­part du temps elles ont reçu la même réponse sanglante que la grève de Kampour décrite dans le tract. . Les ouvriers Indiens ont payé avec bien des vies le privilège d'apprendre ce qu'est la réalité cachée derrière la façade de la démocratie Janata : la terreur de l'Etat bourgeois.

Mais le tract contient certaines faiblesses. Inévitables dans un mouvement prolétarien International qui renaît depuis peu. On les trouve quand le tract critique les leaders "révolutionnaires" du mou­vement ouvrier pour leur légalisme et leur collaboration de classé avec le régime Janata. De même, Il ne reconnaît pas que le rôle de division des syndicats est produit du fait qu'ils sont eux-mêmes des organes de répression de l'Etat au sein de la classe ouvrière. En fait, le PC (M) soi-disant "ouvrier" et les autres organisations de gauche du même type sont des partis capitalistes qui soutiennent plei­nement les besoins du capitalisme d'Etat et de l'austérité économique. Ils ne"trahissent" personne, pas plus qu'ils no "collaborent" avec le capitalisme, lis sont une partie do l'appareil politique du capitalisme, tout comme les syndicats. S'ils parlent de "la classe ouvrière", c'est pour mieux la mystifier. Mais dans la vie réelle, lis contribuent à la répression physique du prolétariat en le dupant, en le divisant et en l'Isolant, le tout au nom de "l'Intérêt national". La force du tract se trouve assurément ailleurs, dans sa claire dénonciation du massacre et son Internationalisme : "Ou­vriers du monde entier, unissez-vous !". C'est pourquoi ce tract apporte avec lui un souffle d'air frais depuis le sous-continent Indien, pour servir d'inspiration aux révolutionnaires et à leur classe partout ailleurs.

A une époque où le monde est plus que jamais ravagé par des bains de sang Inter impérialistes tra­vestis dans des "luttes de libération nationale", à une époque où l'on dit aux révolutionnaires dans les pays avancés qu'ils doivent soutenir ces guerres nationales parce que le prolétariat "n'existe pas" dans le tiers-monde, parce quo ces guerres peuvent préparer la voie à un "développement capita­liste progressif", ce tract nous dit très clairement qu'il y a une classe ouvrière dans le tiers-monde, qu'elle a déjà engagé sa lutte autonome et que dans cette lutte, elle s'affronte aux mêmes ennemis que les ouvriers des métropoles : la démocratie, les partis de gauche, les syndicats et, par dessus tout, l'Etat national dont la banqueroute historique dans toutes les parties du monde est clairement mise en relief par son recours à la terreur et au massacre contre le prolétariat.

MASSACRE DES OUVRIERS DE L'ENTREPRISE QUE S'EST-IL EXACTEMENT PASSE A SWAPESHI ? SWADESHI (KANPUR)

- 6 décembre 1977 : Environ mille ouvriers de l'entreprise de coton SwadeshI à Kanpur, encer­cle deux cadres pour exiger le paiement de leurs salaires, impayé depuis 51 jours; ceci se passe à 13h30;

15h30 : d'importants effectifs de  la police ar­mée et de la Provencial Armed Constabulary (PAC) entourent  l'entreprise de toutes parts;

15h50 : la police ouvre  le feu sans sommation;

Vers 17h30 : plus de 150 ouvriers sont morts, des centaines sont blessés et 237 sont arrêtés.

Le 6 décembre 1977, restera dans l'histoire de 13 classe ouvrière comme le MARDI NOIR, le jour où le capital lança une guerre ouverte et armée contre la classe ouvrière, le jour du massacre de sang froid le jour du "Jalianwala Bagh" ouvrier.

On se souviendra du bain de sang; l'entreprise Swadeshi, une des plus grandes entreprises texti­les de l'Inde, où les 8000 ouvriers doivent payer les frais d'une crise dont Ils ne sont pas responsables, étant contraints d'attendre le paiement de leurs salaires.

On retiendra  le nombre, sinon les noms des ou­vriers tués par les balles de la police. Et on se souviendra aussi des noms des meurtriers et avant tout ceux des  leaders et ministres du Par­ti Janata qui ont décidé et justifié  la fusillade.

Rien de tout cela ne sera oublié, parce que le 6 décembre fut le jour du massacre le plus barbare et prémédité d'ouvriers  Indiens, depuis l'indépendance. Le nombre exact d'ouvriers tués ne sera probablement Jamais connu, dans la mesure où les cadavres précipités dans le Gange ou la rivière Betwa ne seront jamais retrouvés et identifiés, non plus que ceux réduits en cendres dans les fours de  l'entreprise. Leur nombre parait être facilement de 200. Tandis que la bureaucratie censurait complètement  l'Information, la presse "Iibre" gardait le silence.

Nous donnons ci-dessous la version de la police et les faits rapportés par ces centaines d'ouvriers, des témoins visibles et quelques journalistes Indépendants.

Le rapport de police : Il a été nécessaire d'ouvrir le feu parce que les ouvriers étalent en train de tuer deux cadres - le directeur de production Sharma et le chef comptable lyenger -et qu'ils ont attaqué rageusement  les policiers qui essayaient d'intervenir. On suppose que le surintendant de police Rei a été assommé.

Les faits : Les cadres ont été encerclés au sein de l'entreprise à côté d'une fontaine, cependant leurs cadavres ont été trouvés dans une petite pièce à l'étage. Les trois ou quatre per sonnes qui ont été vues en train de porter les corps des deux cadres dans les escaliers n'avaient jamais été vus dans l'usine auparavant. Un journal de Kanpur rapporte que l'on a entendu Sharma crier à la police d'arrêter de tirer et que les cadres étaient vivants quand le feu a commencé. Un hebdomadaire a déclaré que les cadres ont été tués par la police après coup pour donner un bon prétexte à leurs orgies de meurtres. Le CID est jusqu'à aujourd'hui Incapable de fournir la moindre preuve de la culpabilité d'ouvriers dans le meurtre des deux cadres. On croit généralement que les deux ca­dres en savaient trop à propos des méfaits de la direction qui avait engagé quelques éléments (les trois ou quatre personnes dont on parlait ci-dessus), et qu'il fallait s'en débarrasser.

D'après le reportage d'un certain nombre de journaux, le surintendant de police Rei  n'était pas sérieusement blessé. Sarin, l'officier de sécurité de l'entreprise a déclaré à un magazine que Rei ‘’est sorti de l'usine sur ses deux jambes et n'était pas porté’’.

Le rapport de police : Le tir a duré "au plus cinq ou dix minutes". Douze ouvriers"seulement" ont été tués et une vingtaine blessés.

Les faits : Les tirs ont commencé à 16h50 et se sont arrêtés aux alentours de 17h30. Au moins 15 ouvriers ont été tués et largement plus de cent blessés. Des propriétaires de petites échoppes en face des portes de l'entreprise, certifient que le tir de la police a duré sans discontinuer jusqu'à 17h30. Les ouvriers qui ont survécu, déclarent qu'ils ont été obligés de porter les cadavres de leurs camarades dans des camions. Ils disent qu'ils ont porté des "quantités de corps".

Cinq semaines après le 6 décembre, les autorités ont enfin commencé 5 verser les payes dues aux ouvriers. 238 ouvriers ne sont jamais venus pour recevoir leurs salaires. Où sont les 220 ouvriers qui manquent, si l'on admet la version officielle de 12 morts ?).

La police a tiré a l'intérieur de l'entreprise et aussi dehors, sans distinction et en toutes directions. Un jeune garçon de huit ans nommé Pappu et un autre de douze ans ont. été tués. Ils étalent tous deux à une bonne centaine de mètres de la porte de l'usine. Des enseignes de magasins et des maisons portent des traces de balles. Une longueur de un kilomètre de route a été complètement bloquée par la police durant trois jours pour effacer les traces de leur sauvagerie. De toute façon, les stores de Arvind Cloth Stores (magasin de vêtements), portent encore des traces de balles. Un corres­pondant de "Aaj", un quotidien de Kanpur a été battu et sa caméra a été détruite alors qu'il essayait de prendre des photos à l'extérieur de l'entreprise, le 6 décembre au soir.

Tout nous amène à la conclusion que les déclarations de police sont fausses et sans fondements et que les tirs n'ont pas été provoqués par les "violences ouvrières". Le feu était aussi "illégal" d'après le India To-Day, un prestigieux magazine peu suspect de sympathies de gauche.

La police n'a jamais envisagé des étapes intermédiaires telles des gaz lacrymogènes, des balles de caoutchouc avant d'ouvrir le feu. Dans le manuel de la barbarie, il n'y a pas de place pour les "détails de procédure".

POURQUOI CE MASSACRE DE SANG FROID DES OUVRIERS A SWADESHI ?

La toile de  fond du massacre est  la crise présente de l'industrie textile en Inde en général, la "solution" particulière recherchée par la direction Jaipuria de Swadeshi avec la sympathie et le soutien à la fois du Congrès et du régime Janata, l'expérience des ouvriers de Kanpur (qui n'est pas unique aux Indes) face aux syndicats, et la tendance récente des ouvriers à l'esprit militant et à l'auto organisation. La période de l'état "d'urgence" fut bien sûr le  feu vert des capitalistes pour "discipliner" les ouvriers et augmenter le taux d'exploitation du travail. Le Jaipuria a fait un pas de plus; depuis août 1975, il verse les salaires des ouvriers avec 45 ou 60 jours de  retard. Tandis que les salaires des ouvriers devenaient ainsi un apport additionnel de capital libre et intéressant pour l'entreprise, atteignant 500 000 ou 600 000  roupies, les ouvriers, eux, étalent obligés de vivre d'emprunt, dont le taux d'Intérêt montait jusqu'à 120 % par an dans la plupart des cas.

Depuis  septembre   Î975, les ouvriers ont dû entourer  la direction, pas moins de six fois, rien que pour obtenir le paiement de leurs salaires longtemps après la date normale de paie. On peut signaler au passage qu'en aucun des cas antérieurs, les ouvriers n'ont tenté de tuer les cadres, même dans les cas où les occupations ont duré 48 ou 50 heures. Au cours de ces tortueuses batailles pour leur simple survie, les ouvriers en sont arrivés à perdre foi dans les appareils de conciliation de l'Etat d'un côté et dans ceux de  "leurs" syndicats qui ont prouvé leur incapacité à sortir du cadre de la "légalité bourgeoise et à porter le mouvement plus loin".

Le plus Important de ces mouvements, fut celui du 26 octobre, avec l'encerclement du secrétaire de l'entreprise, Agarwal. L'occupation a duré 53 heures et ne s'acheva que lorsque les ouvriers eurent obtenu satisfaction pour leurs  revendications. Si l'aspect explicite est la lutte pour des salaires dus, la signification réelle de ces occupations réside dans l'exemple de l'unité de classe des ouvriers et leur combativité militante. Les jours d'occupations, les ouvriers s'armaient de pierres, de briquetons, de barres de fer et surtout de tubes de gaz chlorhydrique. L'entreprise était entourée de toutes parts par les ouvriers empêchant ainsi les forces armées de faire leur travail habituel, de briser l'encerclement. Les ouvriers menaçaient de faire exploser les tubes de gaz si la police faisait  la moindre tentative pour briser l'encerclement. Pendant 53 heures, les forces armées de l'Etat restèrent sans ressources, humiliées et paralysées.

La réponse des syndicats (la plupart des syndicats nationaux en Inde ont une "section" à Swadeshi) à ce degré de combativité de la classe, a été d'appeler les ouvriers à "dénoncer  l'occupation". Les ouvriers de Swadeshi avaient eu plus que leur part de déclarations pathétiques sur les  négociations, l'arbitrage, les compromis, les résolutions et les délégations. Pendant ces événements d'octobre, ils rossèrent les leaders syndicaux et les chassèrent. Il est notable que  les ouvriers, pendant l'occupation, prirent  la production en main, de même que l'organisation de la nourriture, etc. aux occupants de  l'entreprise. Cette victoire des ouvriers de Swadeshi en octobre a constitué un précédent dans le Kanpur.  En  une seule poussée d'activité militante, les ouvriers avaient défié en même temps les capitalistes, l'Etat et leurs "propres" institutions du passé, irrémédiablement responsables du "syndicalisme responsable" et de la  "légalité bourgeoise".

C’est dans cette démonstration de leur capacité d’auto organisation et leur combativité militante que se trouvent les racines réelles du massacre du 6 DECEMBRE.

Le défi de la classe ouvrière avait mis en mouvement l'appareil répressif de l'Etat. Quelques jours après le 26 octobre, le ministre de l'Intérieur et le DIG, police de  l'Uttar Pradesh, dans une interview à la télévision, déclaraient que le gouvernement était prêt à prendre des "mesures  définitives" pour éviter les incidents à Swa­deshi et ceci "à tout prix". Le 29 novembre, un agent provocateur tenta de transformer une querelle mineure entre deux ouvriers en une émeute communale, afin de briser  l'unité ouvrière.  L'occasion  de prendre ces  "mesures  définitives" se présenta enfin qui leur permit de faire une "contre démonstration" pour I’ exemple d'octobre. Certains pensent même que, bien qu'il y ait eu une réelle colère ouvrière qui ait poussé à l'occupation’’ du 6 décembre, cette occupation elle-même pourra bien avoir été échafaudée pour diviser les ouvriers impréparés. A cause d'une  panne d'électricité à Kanpur, seulement mille ouvriers étalent à l'entreprise cet après-midi là sur un total de quatre vingt mille.

Depuis le massacre du 6 décembre, l'usine a subi un "lock-out" illégal qui se perpétue jusqu'à aujourd'hui le 3 mars. Même le ministre "socialiste" Georges Fernandes aurait dit qu'il faudrait encore au moins un ou deux mois avant que l'entreprise ne rouvre. Apres le 15 janvier, le versement des salaires commença en présence de centaine de policiers, armés de mitraillettes, à l’Intérieur de l'entreprise et sur la route principale à l'extérieur. Les salaires payés 90 jours après échéance disparurent dans le gouffre des emprunts passés. La situation des ouvriers et de leurs familles est des plus précaires. Comme on l'a signalé plus haut, 238 ouvriers n'ont pas reparu pour récupérer leurs salaires pour des raisons évidentes. Une commission d'une seule personne nommée par le gouvernement pour enquêter sur les causes du tir, a abouti à la conclusion que celui-ci était justifié. Il y a même une critique au "Dy Magistrate" pour "n'avoir pas ordonné le tir plus tôt". Au même moment, un comité des Droits Civiques a vu le jour à Delhi défiant une fois de plus les affirmations de la bureaucratie. Le premier ministre de l'UP continue à refuser catégoriquement la tenue d'une enquête judiciaire.

LA "DEMOCRATIE" JANATA ET LA CLASSE OUVRIERE

Sans aucun doute, le massacre de Swadeshi n'a pas de parallèle dans l'histoire de la classe ouvrière aux Indes. Mais cette répression san­glante ne doit pas être prise comme un cas unique au Swadeshi. Ce n'est pas non plus l'acte d'un "District Magistrate" à la gâchette facile. Ce n'est que la manifestation la plus crue de l’attitude de plus en plus répressive du régime de Janata à l'égard de la classe ouvrière. Dès qu'il fut installé au pouvoir, il dit explicitement que les occupations ne seraient pas tolérées, que des accords signés pendant des occupations ne seraient pas reconnus, que des mesures énergiques seraient prises pour prévenir de telles actions. Non seulement cela, mais, durant ces onze derniers mois, la police sous les ordres du régime Janata a ouvert le feu, y compris sur des grèves ordinaires et "légales" dans'-la logique de la "légalité bour­geoise". Dilli-Rajharmin (MP), llsccket Bojaro % (Bihar), Sahibabad et Lucknow (UP), Mulund (Maharashtra) en sont quelques exemples. Des tas d'ouvriers y ont perdu la vie et des centaines ont été gravement blessés. Dans les cam­pagnes où le travail agricole est plus ou moins organisé, la machine répressive a été peut-être plus dure. D'après les versions officiellement reconnues, dans le seul Etat de Bihar, la poli­ce a ouvert le feu huit fois sur des agriculteurs et onze y ont perdu la vie. Armés jusqu'aux dents, les propriétaires terriens qui défendent leurs intérêts dans la région ont déclaré une guerre ouverte aux salariés.

C'est une manifestation toujours plus évidente du caractère "démocratique" du régime Janata dont la répression est au maximum, précisément la où le Janata détient le pouvoir. Dans la grè­ve des quatre vingt mille enseignants du secondaire en UP, vingt trois mille ont été emprisonnés alors que quelques cinq mille y perdaient leur emploi. Une loi visant à réprimer le mouvement, "déguisée" en loi s'attaquent aux crimi­nels, est sur le point de passer au Dihar.

Dévoyant la vague de mécontentement do nasse contre le régime du parti "garlbi hatao" ("lutte contre la pauvreté"), le parti Janata se catapulta au pouvoir, se posant on "Parti de la Démocratie". Il fallait donner un sens aux slogans. Le Janata restaura le droit de grève formellement, élimina le "Compulsory Deposit Scheme" et restaura le bonus minimum de 8 1/3 % par an. On pouvait croire que le régime Janata avait des sympathies pour la classe ouvrière aussi longtemps qu'il croyait que les luttes ouvrières pouvaient être réduites à une lutte pour la "démocratie" et se dérouler dans une "ambiance libre" pour son exploitation; aussi longtemps qu'il croyait que la lutte de classe se déroulerait dans le même cadre salarié que pendant "l'état d'urgence". Mais il est de plus en plus clair aujourd'hui que les luttes des ouvriers ne sont pas basées sur tel ou tel aspect de l'esclavage salarié mais contre les fondements mêmes du système salarié. La lutte révolutionnaire de la classe ouvrière ne se fait pas pour la démocratie capitaliste mais pour la fin du capitalisme et de sa forme démocratique, basée sur l'exploitation.

Au fur et à mesure que le caractère de classe du mouvement ouvrier et son fondement révolutionnaire devint explicite, le caractère du régime Janata se révéla; son caractère de classe devint clair aussi. Aussi opposé que le régime Janata ait pu être au "Congress", avec ses slogans sur la démocratie, dans les récentes grèves des employés du gouvernement dans l'Etat du Maharastra, le premier ministre du Janata et le premier ministre du "Congress" ont affronté la lutte du même point de vue et avec une plateforme identique. Tandis que le Janata du Maharastra, les yeux fixés sur les élections à venir, soutenait la grève, son président demandait ouvertement que les ouvriers ayant de "bons" salaires n'aient pas le droit de faire grève. Pour autant que le salaire puisse être bon pour l'esclave du capital.

Aujourd'hui le langage et la politique du Janata changent très rapidement. Aujourd'hui, on entend des discours sur la condamnation des grèves, le maintien de la loi sur la détention préventive, les limitations de salaires, etc.

Pour les "champions de la démocratie", la constitution, la législation et les tribunaux industriels sont les seuls juges valables de la "légitimité" des revendications et des formes des luttes des ouvriers.

Pour la classe ouvrière, toute forme de lutte est "légitime" y compris et en particulier celles qui tendent à mettre fin à la "légitimité" de la société bourgeoise, il est clair aussi, pour la classe ouvrière, que quand elle défend ses intérêts, les champions du capital n'ont pas grand effort à faire pour laisser tomber le masque de la légalité et de la démocratie. Que coûte-t'il aux défenseurs du capital, après tout de refaire des lois dans le "parlement du peuple" ? L'imposition de l'Etat d'urgence, les justifications du maintien de la détention préventive par le Ministère de l'Intérieur, le massacre des ouvriers de Kanpur, l'introduction du "mini-Misa" en MP,  ne sont que quelques exemples des plus récents.

LA "GAUCHE: SOCIALISTE" DU PARTI JANATA

Il est utile de se demander pourquoi la "gau­che" du Janata reste aussi silencieuse que les hommes de  paille de Gandhi, à propos de la tuerie des ouvriers de Swadeshi. La répression de la classe ouvrière et des travailleurs agricoles va sans cesse croissant et les "socialistes-Gandhiens" resteraient silencieux ? Il devient clair aujourd'hui que la gauche du Janata est forcée de jouer le même rôle vis-à-vis des mouvements de la classe ouvrière que les courants "progressistes" et "socialistes" du Congress jouaient hier, agitant les plans de "gauche"pour l'exploitation du travail tandis que la "droite" continue ses manœuvres.

LA GAUCHE "COMMUNISTE"ET LA CLASSE OUVRIERE :

De plus, les choses ne s'arrêtent pas là. Il est des questions qu'il faut adresser aux partis "communistes" officiels eux aussi. En intervenant dans le débat au parlement sur l'incident de Swadeshi, Jyotirmoy Bosu, le PCM a proclamé que cet incident était le résultat d'une conspiration, préparée par les agents provocateurs d'un certain parti politique pour rendre impopulaire le ministre de l'Intérieur et pour battre le premier minis­tre de l'UP dans les prochaines élections (Times of India du 8/12/1977). Selon un ouvrier de Swadeshi, un chef du PCI, Harbans Singh, dans un discours public à Kanpur, a traité les ouvriers de Swadeshi "d'ingrats" (en référence claire aux occupations d'octobre et à la bagarre entre ouvriers et dirigeants syndicaux).

Bien sûr, la bourgeoisie voit toujours la combativité ouvrière comme le résultat d'une conspiration d’éléments « anti sociaux ». Ce chef « révolutionnaire » du mouvement ouvrier défend t-il le même point de vue ? Si les revendications imposées par sa situation et par son expérience de classe, dans le contexte de crise nationale et internationale du capital, requière que la classe ouvrière brise les barrières des formes légales de lutte, pour pouvoir porter la lutte sur son propre terrain de classe, et si les chefs restent enfermés dans la politique du passé, qu'attendent-ils des ouvriers ? Naturellement, aux yeux des chefs réactionnaires, les initiatives de la classe vers son uni­té de classe apparaissent comme "déloyales".

Apparemment, les journaux de ces partis ont dénoncé le massacre de Swadeshi. Mais la question est de savoir ce que valent ces dénonciations et résolutions. N'est-il pas clair que si le traitement odieux que!'Etat a fait subir à une fraction de la classe ouvrière reste sans réponse de la part des ouvriers de Kanpur et du mouvement ouvrier indien, cela ne peut finir qu'en laissant au capital et à ses représentants le rapport de forces décisif ? Combien de temps faudra t’il encore pour comprendre que la plus petite illusion vis-à-vis de n'importe que représentant du capital ne peut avoir que les conséquences les plus désastreuses sur le mouvement de la classe ouvrière ? Dans quel but et pour combien de temps encore parlera-t-on des alliances avec tel ou tel secteur de la bourgeoisie ?

Il n’y a qu'une voie pour la classe ouvrière aujourd'hui. Contre sa division dans des dizaines de syndicats, la constitution de son unité de classe passe par un défi militant au parti du Congres, au régime Janata et à tous les autres représentants de la bourgeoisie. Il est devenu clair, ces derniers mois, mémo si c'est de façon  sporadique, que des fractions de la classe commencent à surgir, conscientes de la tache historique qui Incombe au mouvement ouvrier. La lutte des ouvriers" de Swadeshi à Kan­pur n'était pas le résultat d'une "conspiration" maïs le début de la préparation historique du défi révolutionnaire à tout l'ordre bourgeois. Dans ce sens, il fait partie Intégrante de  la nouvelle phase du mouvement International de la classe ouvrière. Dans la période à venir, seuls pourront jouer un rôle révolutionnaire, ceux qui sauront saisir la dynamique interne et le contenu révolutionnaire des aspirations de la classe ouvrière.

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !

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MAI 68, La reprise de la lutte prolétarienne.

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"Mai 68, premiers signes de la crise et du réveil prolétarien, Mai 78, approfondissement de la crise et montée de la lutte de classe".

Cette formule lapidaire, qui résume à elle seule toute l'évolution de ces dix dernières années, nous permet à la fois d'affirmer notre position et d'infirmer toutes les interprétations, les bavardages de la gauche et des gauchistes sur la signification réelle qu'a recouvert Mai 68. Car Mai 68, loin d'être un accident de l'histoire, une révolte fortuite, est en fait une des premières réactions de la classe ouvrière face à l'apparition de la crise du capitalisme.

LES EVENEMENTS DE MAI 68

Il va 10 ans, le 3 mai, un meeting rassemblant quelques centaines d'étudiants, était organisé dans la cour intérieure de la Sorbonne, à Pa­ris, par l'UNEF (Syndicat étudiant) et le "Mouvement du 22 Mars" (formé à la Faculté de Nanterre quelques semaines avant). Rien de très exaltant dans les discours théorisateurs des "leaders" gauchistes, mais une rumeur persistan­te : "Occident va attaquer". Le mouvement d'ex­trême droite donnait ainsi le prétexte aux for­ces de police de "s'interposer" officiellement entre les manifestants. Il s'agissait surtout de briser l'agitation étudiante, qui, depuis quelques semaines se poursuivait à Nanterre. Simple fait divers du ras-le-bol des étudiants, constitue par des mobiles aussi divers que la contestation du mandarinat universitaire, de la revendication d'une plus grande liberté individuelle et sexuelle dans la vie interne de l'université.

Et pourtant, "l'Impensable est advenu" : pen­dant plusieurs jours, l'agitation va se pour­suivre au Quartier Latin. Elle va monter d'un cran tous les soirs : chaque manifestation, chaque meeting rassemblera un peu plus de mon­de que la veille : dix mille, trente mille, cinquante mille personnes. Les heurts avec les forces do l'ordre sont aussi de plus en plus violents. Dans la rue, de jeunes ouvriers se joignent au combat, et, malgré l'hostilité dé­clarée ouvertement du PCF qui traîna dans la boue les "enragés" et "l'anarchiste allemand" Daniel Cohn-Bendit, la CGT se verra contrainte pour ne pas être débordée complètement de "re­connaître" la grève déclarée spontanément et qui se généralise : dix millions de grévistes secouent la torpeur de la Ve République et marquent d'une manière exceptionnelle le réveil du prolétariat.

En effet, la grève déclenchée le 14 mai à Sud-Aviation et qui s'est étendue spontanément, a pris dès le départ un caractère radical par rap­port à ce qu'avaient été jusque là les "actions" orchestrées par les syndicats. Dans les secteurs essentiels de la métallurgie et des transports, la grève est quasi générale. Les syndicats sont dépassés par une agitation qui se démarque de leur politique traditionnelle et sont débordés par un mouvement qui prend d'emblée un caractè­re illimité et souvent peu précis comme le fait remarquer ICO (Informations et Correspondance Ouvrières) : "A la base, il n'existe en fait au­cune revendication précise. Tout le monde, c'est évident, est pour une augmentation de salaire, le raccourcissement de la semaine de travail. Mais les grévistes, ou du moins la majorité d'entre eux, n'ignorent pas que ces avantages seront précaires, la meilleure preuve c'est qu'ils ne se sont jamais résolus à une action pareille. La vraie raison, toute simple, les panneaux accrochés aux portes de petites usines de la banlieue parisienne la donnent clairement : "Nous en avons assez !" (La grève généralisée en France : mai -Juin 63. N° 72 - juillet 78). Dans les affrontements qui ont eu lieu, un rôle important a été joué par les chômeurs. Ce que la presse bourgeoise appelait les "déclassés". Or, ces "déclassés", ces "dévoyés" sont de purs prolétaires. En effet, ne sont pas seulement prolétaires les ouvriers et les chômeurs ayant déjà travaillé, mais aussi ceux qui n'ont pas encore pu travailler et sont déjà au chômage. Ils sont les purs produits de l'époque de déca­dence du capitalisme : nous voyons dans le chômage massif des jeunes une des limites histori­ques du capitalisme, qui, de par la surproduc­tion généralisée, est devenu Incapable d'inté­grer la génération montante dans le procès de production. Mais ce mouvement déclenché en dehors des syndicats, et dans une certaine mesure contre eux, puisqu'il rompt avec les méthodes de lutte qu'ils préconisent en toute occasion, les syndicats ne vont pas tarder à le reprendre en mains. Dès le vendredi 17 mai, la CGT dif­fuse partout un tract qui précise bien les limi­tes qu'elle entend donner à son action,: d'une part, revendications traditionnelles couplées à la conclusion d'accords de type Matignon garan­tissant l'existence de la section syndicale d'entreprise, d'autre part, changement de gouver­nement, c'est-à-dire, les élections. Méfiants à l'égard du syndicat avant la grève, la dé­clenchant par dessus sa tête, l'étendant de leur propre initiative, les ouvriers ont  pourtant agi pondant la grève comme s'ils trouvaient nor­mal que le syndicat reste charge de la condui­re à son terme.

Pourtant,   la grève générale, malgré ses  limites, a contribué avec un  immense élan à   la reprise mondiale de  la  lutte de classe. Apres une suite ininterrompue de  reculs,  depuis son écrasement après   les événements  révolutionnaires des années 1917-23,   les émeutes de mai-juin 68 constituent un tournant décisif,  non seulement en France, mais encore en Europe et dans  le monde entier où   les grèves ont non seulement ébranlé  le pou­voir on place mais aussi  ce qui   représente son rempart  le plus efficace et  le plus difficile à abattre  :   la gauche et  les syndicats,

UNE CRISE DE LA JEUNESSE ?

La première surprise passée,   la première panique écartée,   la bourgeoisie a pu s'atteler à trouver les explications aux événements qui   remettaient en cause sa quiétude. Il n'est donc pas étonnant que  la gauche ait utilisé  le phénomène de  l'agi­tation étudiante pour exorciser le spectre réel qui se lève devant les yeux de la bourgeoisie apeurée -  le prolétariat - et que  les événements sociaux aient été  limités à   leur aspect de querelle  idéologique entre générations. Mai   68 nous est présenté comme étant  le résultat du désoeu­vrement d'une jeunesse face aux inadaptations créées  par le monde moderne. Ainsi,   le sociolo­gue français Edgar Morin déclarait dans un article publié dans "Le Monde"du 5 juin 68 : "Tout d'abord, c'est un tourbillon où une lutte de classes d'âge a fait rage (jeunes contre gérontes,  jeunes contre société adulte), mais a dé­clenché en même temps  une  lutte de classes, c'est à dire une  révolte des dominés,   les tra­vailleurs. En fait, la lutte jeunes-vieux a dé­clenché par résonance la lutte travaiIleurs-autorité (patronale-étatique)".  Le même type d'explication nous est donné par  le journal   anar­chiste de Liège "Le Libertaire" qui  affirme que : "S'ils  refusent  les structures et  les responsa­bles,  c'est qu'ils se méfient d'un monde adulte où  la démocratie a été bafouée, la révolution trahie. Avec eux,  nous assistons à un  retour ex­traordinaire du socialisme utopique du XIXème siècle."  (n°6, juin 68). Quant au Parti  Communis­te  International, dans son organe "Le Prolétaire" de mai  68, il  mettait en évidence  les causes du mouvement : "Dans ces agitations, se mêlent di­vers motifs, parmi lesquels émergent  la  guerre du Vietnam et la revendication pour le moins ingé­nue  d'une participation directe des étudiants à la "direction de  1'université,  c'est à  dire aux réformes de sa structure."

Parmi les  innombrables analyses qui  ont été pu­bliées sur  les événements de mai 68,  certaines expliquent que  les occupations d'usines qui se sont soudain multipliées à travers   le pays  répondaient à   l'occupation de   la Sorbonne par  les étudiants. Il  y aurait eu de la part des travailleurs en grè­ve une sorte de phénomène de mimétisme à  l'égard des étudiants parisiens,  alors que d'autres comme ICO, mettaient en évidence 1’incompréhension poli­tique de  la Vieme République à l'égard de la jeunes­se : ".., le maillon le plus  faible du capitalisme français, c'est bien en définitive la Jeunesse et  les  problèmes qu'elle se pose et pose à  des classes dirigeantes  incapables même de  les apercevoir,  enfermées qu'elles sont dans une politique où   les promesses tiennent  lieu d'ac­tes et où  l’immobilisme et  le respect des puissances d'argent se parent de  formules dynami­ques."

L'INTEGRATION DE LA CLASSE OUVRIERE

Toutes ces "analyses" ou explications mettent l'accent sur  le  rôle spectaculaire du mouve­ment étudiant et tentent de minimiser  le  rôle de  la classe ouvrière,  allant jusqu'à nier tout rôle révolutionnaire à   la classe ouvrière : "Il  est de première  importance de dire bien haut et avec calme qu'en mai 68, le prolétariat n'était pas 1'avant-garde révolutionnaire de  la société, qu'il n'était que l'arrière-garde muet­te." (Coudray, alias Cardan -Castoriadis- dans "La Brèche"). Ce n'est pas un hasard. La bour­geoisie, avec ses  idéologues attitrés d'une part et avec l'appui des utopistes marginaux d'autre part, a toujours cherché à occulter  la réalité de  l'exploitation capitaliste. Elle a toujours tout mis en oeuvre pour dévier la clas­se ouvrière de sa prise de conscience en distil­lant diverses mystifications qui démobilisent ou démoralisent le prolétariat. Les sources de ces attitudes et de ces explications qui  cher­chent à mettre en évidence  la négation du carac­tère révolutionnaire du prolétariat viennent de l'intelligentsia gauchiste en retraite, pulvé­risée par  le déclin du capitalisme mondial. Dans les années 30 et 40, les sympathisants sta­liniens de "L'Institut de Recherche Sociale" de Francfort (Marcuse, Horkheimer, Adorno) ont com­mencé à édifier l'ossature qu'utilisent aujour­d'hui les théoriciens "radicaux"  récupérés par la bourgeoisie : ces  idéologues prétendaient que  le capitalisme "avancé" ou "moderne" a éli­miné  les différences entre  la base économique de  la société et sa superstructure. Implicite­ment, cette notion signifie que  la classe ou­vrière s'est fait "acheter" par un capitalisme qui ne souffre lui-même d'aucune contradiction économique fondamentale. Il  s'ensuit alors que les contradictions du capitalisme se sont dé­placées de  la base vers  la superstructure. Ainsi, la critique de la vie quotidienne a pris une  importance prépondérante pour ses  idéolo­gues. Marcuse analyse  les divers aspects du phé­nomène des sociétés de consommation en expli­quant que si  le citoyen est désormais assuré du confort,  il  se voit dénié tout droit à l'exerci­ce de sa  liberté et de ses responsabilités,  tou­te possibilité de contestation, en un mot, la quasi totalité de ses dimensions humaines,  d'où le titre de son livre :   "L'Homme Unidimensionnel". La révolte étudiante aux yeux de Marcuse est l'un des premiers signes d'une révolte de   l'hom­me contre ce mécanisme qui le nie puisqu'il lui refuse toute liberté et tout contrôle de ses ac­tes; "cette révolte, souligne-t’i1, n'est pas di­rigée contre  les malheurs que provoque cette so­ciété mais contre ses bénéfices." C'est un phénomène nouveau propre à ce qu'on appelle  la ci­vilisation de  l'opulence. Il  ne faut pas avoir d'illusions mais on ne doit pas être défaitiste non plus.  Il est inutile d'attendre dans un tel débat,  que  les masses viennent se joindre au mouvement, participent au processus. Tout a tou­jours commencé par une poignée d'intellectuels en révolte." Marcuse constate que  la société do consommation se montre particulièrement habille dans  l'art d'intégrer les révoltes. Elle produit des "esclaves" qui  sont d'autant plus as­servis qu'ils n'ont pas conscience d'être op­primés.  La classe ouvrière,  en particulier, n'est plus dans cette optique une  force révo­lutionnaire puisque toutes ses revendications sont acceptées et assimilées par la société. Seuls restent révolutionnaires les intellec­tuels possédant un esprit critique suffisant pour déceler les pièges de la société de 1'opulence et les marginaux qui ne bénéficient pas de ses"bienfaits".

LA REAFFIRMAT ION DE LA NATURE REVOLUTIONNAIRE DU PROLETARIAT

"Le prolétariat est mort. Vive le prolétariat !" scandaient les jeunes marginaux d'Amsterdam. Funérailles prématurées, le mouvement de mai 68 a remis les choses en place rappelant la na­ture réelle du prolétariat : à la conception d'une humanité agissant sous la conduite d'idéaux éternels et inexplicables, le proléta­riat oppose celle des sociétés divisées en classes économiques et évoluant sous la pres­sion dos luttes économiques qui les opposent. Le projet révolutionnaire ne peut être défini que par une classe, c'est-à-dire une partie de la société définie par sa position spécifi­que au sein des rapports de production, cette classe, c'est la classe ouvrière. "L'antagonis­me entre le prolétariat et la bourgeoisie est une lutte de classe à classe, lutte qui portée à sa plus haute expression, est une révolution totale" écrira Marx dans "Misère de la Philoso­phie". La spécificité du prolétariat par rap­port aux autres classes de la société réside dans le fait qu'elle constitue la force vivante du travail  associé. C'est face aux crises économiques de la société que les classes révèlent leur véritable nature historique. De par sa si­tuation de producteur collectif, le prolétariat ne peut envisager, face à une crise économique, de solution individuelle. Situé au coeur même de la production de l'essentiel des richesses de la société, travaillant de façon associée, n'ayant de rapport avec les moyens de produc­tion que de façon collective, le prolétariat industriel est bien la seule classe de la so­ciété à pouvoir comprendre, désirer et réali­ser la collectivisation effective de la pro­duction. L'essence de la vie sociale capita­liste se résume en fait dans la lutte pour la plus-value entre ceux qui la créent et ceux qui la consomment et l'utilisent. Le mo­teur de l'action du prolétariat est ce com­bat contre l'extraction de la plus-value, contre le salariat. Tant que le capital existe, toute l'action du prolétariat est et reste déterminée par l'antagonisme fonda­mental qui le lie à celui-ci. C'est donc à cause des contradictions objectives existant au sein du  système capitaliste et parce qu'elles correspondent au mouvement du prolétariat que le communisme est une possibilité. Ce sont les conditions historiques concrètes qui détermi­nent quelles sont les possibilités réelles dans une période déterminée, bien que la déci­sion entre les diverses possibilités objectives dépend  toujours de la conscience, de la vo­lonté et de l'action des travailleurs.

LE MOUVEMENT ETUDIANT

Il est plus qu'évident que Mai 68 a pu être marqué par une décomposition certaine des va­leurs de l'idéologie dominante, mais cette révolte "culturelle" n'est pas la cause du conflit : Marx nous a montré, en effet, dans son avant-propos à "La critique de l’économie politique" que "le changement dans les fonda­tions économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ces bouleversements. Il faut toujours distinguer deux ordres de cho­ses. Il y a bouleversement matériel des conditions de production économiques. On doit le cons­tater dans l'esprit de rigueur des sciences na­turelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, bref les formes idéologiques dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jus­qu'au bout."

Toutes les manifestations de crise idéologique trouvent leurs racines dans la crise économique et non le contraire. C'est l'état de crise qui peut nous indiquer le cours actuel des choses. Le mouvement étudiant fut donc bien une expres­sion de la décomposition générale de l'idéolo­gie bourgeoise, il fut l'annonciateur d'un mouvement social plus fondamental, mais en raison même de la place de l'université dans un système de production et des éléments qui la composent, celle-ci n'a qu'exceptionnellement un lien avec la lutte de classe. Croire que les émeutes, avec barricades et affrontements entre étudiants et policiers sont une découverte récente, serait faux. L'histoire de toutes les grandes universi­tés européennes est marquée depuis le Moyen-Âge par des incidents violents et une activité poli­tique intense. La grève des cours a été "inventée" il y a huit cents ans. Au XII ième siècle, les étudiants reprochaient à l'enseignement de ne pas avoir évolué depuis Charlemagne, comme les révoltés de 68 dénonçaient une univer­sité encore construite sur le modèle arrêté par Napoléon. Un campus avant la lettre, la cité étudiante de Corbell, qui regroupait hors de Paris 3000 étudiants, a été à l'origine d'un phénomène de contestation en 1104. D'ailleurs quand on regarde ainsi en arrière,  on constate que les étudiants contemporains sont allés moins loin que certains de leurs prédé­cesseurs. En 1893, ceux-ci avaient par exemple, donné l'assaut à la Préfecture de Police. Les étudiants, cependant, ne sont pas une classe, pas même une couche sociale, leur mouvement n'est pas un mouvement de classe. Les reven­dications que posent les étudiants, sont liées à l'existence de la division bourgeoise du tra­vail et de la société capitaliste en général. En outre, ce mouvement n'a nullement une vi­sion historique et économique du développement objectif des contradictions au sein de la socié­té. Pourtant, des étudiants allemands ou fran­çais, ont cru ouvrir la voie des révolutions du XXIème siècle en minant les communes et les barricades du XIXème. La révolte étudiante s'est épuisée à reporter  ses espoirs sur les modèles "radicaux" du capitalisme d'Etat, de Cuba au Chili, de Chine au Portugal, en une longue marche désespérée. Les sectes gauchis­tes préexistantes, trotskystes, maoïstes ou anarchistes, se sont un temps regonflées de militants généreux hier encore anti-autoritaires, mystifiés ou insécurisés par leur impuis­sance à assumer un quelconque débouché à leurs rêves petit-bourgeois. Au bout de l'isolement, au bout du désespoir, les plus marginaux d'en­tre eux auront été jusqu'au terrorisme.

Mal 68 ne fait que montrer l'étroite relation existant entre les conflits sociaux et la dé­gradation économique, entre les décompositions de l'idéologie dominante et cette morne crise économique. En ce sens, mal 68 n'est pas un moment inattendu, une sorte d'accident de l'histoire : les grèves et les émeutes n'ont fait que répondre aux premiers symptômes de  la nou­velle phase de  la crise mondiale du capitalis­me.

LA CRISE OU CAPITALISME

Marx a déjà expliqué que le capitalisme ne pou­vait survivre qu'en détruisant périodiquement l'excès de capital des périodes de surproduction, afin de rajeunir et de connaître de nouveau des taux d'expansion élevés : "Cependant, ces ca­tastrophes qui le régénèrent régulièrement, se répètent à une échelle toujours plus grande et finiront par provoquer son renversement violent," Dans la destruction massive en vue de la recons­truction, le capitalisme découvre une issue dan­gereuse et provisoire, mais momentanément effi­cace pour ses nouveaux problèmes de débouchés. Ainsi, au cours de la première guerre, les des­tructions n'ont pas été "suffisantes" : les opérations militaires n'affectèrent directement qu'un secteur Industriel représentant moins d'un dixième de la production mondiale. L'autodestruction de l'Europe au cours de la première guerre mondiale s'est accompagnée d'une crois­sance de 15 %  de la production américaine. Mais dès 1929, le capitalisme mondial se heurte de nouveau à la crise. Tout comme si la leçon avait été retenue, les destructions de la secon­de guerre sont beaucoup plus importantes en éten­due et en intensité. Et lorsque s'ouvre la pé­riode de reconstruction de la deuxième guerre, il y a donc déjà longtemps que le capitalisme "ne peut plus s'agrandir au moyen de brusques poussées expansionnistes". Depuis des décennies, la productivité du travail s'accroît trop vite pour être contenue dans les rapports de produc­tion capitaliste, il y a déjà trente ans que les assauts répétés et de plus en plus violents des forces productives contre les "barrières qui endiguent leur développement" ravagent sauvagement la société entière, il n'y a que la misère et la barbarie de ces années de dépression crois­sante qui peuvent expliquer I'éblouissement gé­néral par le développement économique qui s'annonce avec la reconstruction.

Cet éblouissement n'a d'ailleurs pas épargné ceux qui se "proposaient d'être le plus haut de­gré do la conscience révolutionnaire", l'Inter­nationale Situationniste : dans un ouvrage pu­blié on 1969, "Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations", l'I.S. écrivait qu'"on ne pouvait observer aucune tendance à la crise économique... L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique... ce qui a été attaqué de front en mai, c'est l'économie capitaliste fonctionnant bien."

Après 1945, l'aide des USA va permettre la re­lance de la production de l'Europe qui paie en partie ses dettes en cédant ses entreprises aux compagnies américaines. Mais après 1955 ? Les USA cessent leur aide "gratuite", la balance commerciale des USA est excédentaire alors que celle de la majorité des autres pays est défici­taire. Les capitaux américains continuent de s'investir plus rapidement en Europe que dans le reste  du monde, ce qui équilibre la balance des paiements de ces pays, mais va bientôt déséquilibrer celle des USA. Cette situation con­duit à un endettement croissant du trésor amé­ricain, puisque les dollars émis et investis en Europe ou dans le reste du monde constituent une dette de celui-ci à l'égard des détenteurs de cette monnaie. A partir des années 60, cette dette extérieure dépasse les réserves d'or du trésor américain, mais cette non couverture du dollar ne suffit pas encore à mettre les USA en difficulté tant que les autres pays sont endet­tés vis-à-vis dos USA. Les USA peuvent donc continuer à s'approprier le capital du reste du monde en payant avec du papier. Cette situation se renverse avec la fin de la reconstruction dans les pays européens. Celle-ci se manifeste par la capacité acquise par les économies européennes de lancer sur le marché international des produits concurrents aux produits améri­cains : vers le milieu des années 60, les balan­ces commerciales de la plupart des anciens pays assistés deviennent positives alors que, après 1964, celle des USA ne cesse de se détériorer. Dès lors que la reconstruction des pays européens est achevée l'appareil productif s'avère pléthori­que et trouve en face d'elle un marché sursatu­ré obligeant les bourgeoisies nationales à ac­croître les conditions d'exploitation de leur prolétariat pour faire face à I'exacerbation de la concurrence internationale.

La France n'échappe pas à cette situation et dans le courant, de l'année 67, la situation économique de la France doit faire face à l'iné­vitable restructuration capitaliste : rationali­sation, productivité améliorée ne peuvent que provoquer un accroissement du chômage. Ainsi, au début de 1968, le nombre de chômeurs complets dépasse les 500 000. Le chômage partiel s'installe dans de nombreuses usines et provoque des réactions parmi les ouvriers. De nombreuses grèves éclatent, grèves limitées et encore enca­drées par les syndicats mais qui manifestent un malaise certain (voir ICO). Car la réces­sion dans l'emploi tombe d'autant plus mal que se présente sur le marché de l'emploi cette génération de l'explosion démographique qui a suivi la fin de la seconde guerre mondiale.

En liaison avec cette situation de chômage, le patronat s'efforce d'abaisser le niveau de vie des ouvriers. Une attaque en règle contre les conditions de vie et de travail est menée par la bourgeoisie et son gouvernement. Et pour­tant, la France, avec ses réserves d'or, occupe encore une place sur l'échiquier mondial, place qui sera, compte tenu du contexte d'essoufflement à l'échelle mondiale, rapidement abandonnée, obligeant la bourgeoisie française à opérer un revirement politique spectaculaire. Ainsi, dans tous les pays industriels, le chômage se développe insensiblement, les perspectives économiques s'assombrissent, la concurrence internationale se fait plus acharnée. La Grande-Bretagne devra procéder, fin 67, à une première dévaluation de la livre afin de rendre ses produits plus compé­titifs. Mais cette mesure sera annulée par la dévaluation successive des monnaies de toute une série d'autres pays. La politique d'austérité imposée par le gouvernement travailliste de l'époque fut particulièrement sévère : ré­duction massive des dépenses publiques, retrait des troupes britanniques de l'Asie, blocage des salaires, premières mesures protectionnistes. Les USA, principale victime de l'offensive eu­ropéenne ne manque pas de réagir sévèrement et, dès le début de janvier 68, des mesures écono­miques sont annoncées par Johnson, alors qu'en mars 68, en réponse aux dévaluations de mon­naies concurrentes, le dollar chute à son tour. Telle est la toile de fond de la situation économique d'avant mai 68. Il ne s'agit pas encore d'une crise économique ouverte, mais seulement des prémisses certaines qu'il fallait entrevoir pour comprendre la situation exacte.

 

LES LEÇONS DE MAI 68

Ainsi, nous pouvons réaffirmer que les événe­ments de mai 68, résultaient de la crise écono­mique du capitalisme. Loin de vouloir faire l'apologie de mai 68, les révolutionnaires doivent pouvoir en tirer les leçons et mettre on évidence les points forts et les points fai­bles. Premier sursaut du prolétariat face au surgissement de la crise, mai 68 ne peut être caractérisé comme moment révolutionnaire; bien des faiblesses subsistaient. Une faiblesse de taille fut I'inexpérience totale du prolétariat. Si la bourgeoisie a trouvé devant elle une dé­termination certaine dans la lutte, due essentiellement à un prolétariat qui n’avait pas connu les défaites de la contre-révolution et I'écrasement de la seconde guerre mondiale, la victoire de la bourgeoisie fut facilitée par l'inexpérience des ouvriers. Le mouvement spon­tané de la classe semble s'être Immobilisé laissant le temps aux syndicats de reprendre les choses en main, laissant le temps à la bourgeoisie, une fois sa peur passée, de pas­ser à l'offensive.

Paradoxalement, en apparence du moins, le moyen de cette reprise en main, ce sont les grévistes eux-mêmes qui l'ont offert en occu­pant les usines. De l'expression maladroite et incomplète d'une radicalisation du mouve­ment ouvrier, les syndicats ont réussi à faire une arme pour la défense pour la défense de l'ordre. Que voulaient les grévistes en oc­cupant les usines ? Obtenir d'abord que la grève soit totale, manifester leur détermina­tion en agissant massivement et donc éviter la dispersion. Utilisant habilement une limi­tation corporative du mouvement, se mani­festant justement par le repli sur l'entrepri­se, les syndicats ont délibérément emprisonné les ouvriers dans l'usine, obtenant ainsi qu'un mouvement quasi-général reste finale­ment cloisonné. Ainsi, la rue demeurait in­terdite à l'ouvrier de même que le contact avec d'autres entreprises.

Cinquante ans de rupture organique avec la vague do luttes des années 20 et l'absence d'un pole révolutionnaire clair et cohérent synthétisant les acquis du passé, ont pesé très lourdement dans la balance du rapport de force.

Malgré toutes les limites de l'action du pro­létariat en mai 68, cette manifestation de la vie prolétarienne a suffi à rendre caduques toutes les théories d'inspiration marcusienne. L'après-mai 68 a vu l'effritement de l'école moderniste en de multiples sectes qui ont re­joint aujourd'hui le néant de leurs élucubrations passées. Cependant les idées réactionnai­res meurent difficilement et la bourgeoisie s'est efforcée, par l'intermédiaire d'une idéo­logie plus appropriée, de poursuivre son oeuvre de mystification. Affirmer froidement que le prolétariat était intégré au capitalis­me devant des ouvriers en grève, n'avait pas beaucoup de portée. Par contre, il fallait poursuivre la tâche de démoralisation, déna­turer le cours historique do l'activité prolé­tarienne, rendre incompréhensible le rapport existant entre la classe ouvrière et son avant-garde.

LES CONFUSIONS D’APRES MAI

 

Alors que les armes fondamentales du prolétariat dans, sa lutte contre le capitalisme sont sa conscience et son organisation, alors que dans l'affrontement décisif contre le capital, la classe ouvrière se dote, comme traduction de cette double nécessité, d'une part d'une organi­sation générale et unitaire, les conseils ou­vriers et, d'autre part, d'organisations poli­tiques, les partis prolétariens, regroupant les éléments les plus avancés de la classe et dont la tache est de généraliser et d'approfondir le processus de prise de conscience dont ils sont une expression, on a vu apparaître et re­fleurir les théories de la méfiance en l'action révolutionnaire du prolétariat : le léninisme et l’autonomistes Pour ces conceptions, l'orga­nisation politique et la classe sont deux enti­tés indépendantes, extérieures l'une à l'autre. Le léninisme déclarant la classe "trade-unioniste" accorde la primauté au parti qui aurait pour fonction essentielle de lutter contre cette autonomie ou cette spontanéité et donc de diriger la classe. Pour les autonomistes, toute tentative d'organisation des éléments les plus conscients distincte de l'organisation unitai­re de la classe, aboutit nécessairement à la constitution d'un organe extérieur à celle-ci et à ses intérêts. Henri Simon, ancien anima­teur d'ICO, exprimait clairement cette position dans une brochure intitulée "Le nouveau mou­vement" : "L'apparition du nouveau mouvement autonome a fait évoluer la notion de parti» Le parti "dirigeant" d'hier, se définissant lui-même comme "avant-garde révolutionnaire", s'identifiait au prolétariat ; cette "frac­tion consciente du prolétariat" devait jouer un rôle déterminant pour élever la "conscien­ce de classe", marque essentielle des prolé­taires constitués en classe. Les héritiers modernes du parti se rendent bien compte de la difficulté de maintenir une telle position ; aussi, chargent-ils le parti ou le groupe d'une "mission" bien précise pour suppléer à ce qu'ils considèrent comme des carences des travailleurs ; d'où le développement des groupes spécialisés dans l'intervention, les liaisons, I'action exemplaire, l'explication théorique, etc. Mais même ces groupes ne peu­vent plus exercer cotte fonction hiérarchique de spécialistes dans le mouvement de lutte. Le nouveau mouvement, celui des travailleurs en lutte, considère tous ces éléments, les anciens groupes comme les nouveaux, en parfaite éga­lité avec ses propres actions. Il prend ce qu'il peut emprunter à ce qui se présente et rejette ce qui ne lui convient pas. Théorie et pratique n'apparaissent plus qu'un seul et mê­me élément du processus révolutionnaire ; aucune ne précède ou ne domine l'autre. Aucun groupe politique n'a donc un rôle essentiel à jouer." (Liaisons N° 26, déc. 1974).

L'autonomie de la classe ouvrière n’a rien à voir avec le rejet de la part des travailleurs des partis et organisations politiques. Elle n'a rien à voir non plus avec l'autonomie de chaque fraction de la classe ouvrière (usines, régions, quartiers, nations...) par rapport aux autres, en un mot, le fédéralisme. Contre ces conceptions, nous affirmons le caractère néces­sairement unitaire, mondial et centralisé du mouvement de la classe ouvrière. De même l'effort incessant de prise do conscience de la classe ouvrière secrète des organisations politiques regroupant ses éléments les plus avancés, lesquelles sont un facteur  actif dans l'appro­fondissement, la généralisation et l'homogénéisation de la conscience au soin de la classe. Si l'autonomie du prolétariat, c'est-à-dire son indépendance vis-à-vis dos autres classes de la société, se manifeste par son organisation pro­pre, générale et unitaire -les conseils ouvriers- elle se manifeste également sur le plan politi­que et programmatique par la lutte contre les Influences idéologiques des autres classes. Les leçons d'un demi siècle d'expériences depuis la vague révolutionnaire des années 1917-23 sont claires. L'organisation unitaire de la classe ne peut exister de façon permanente qu'aux mo­ments des luttes révolutionnaires. Elle regrou­pe alors l'ensemble des travailleurs et consti­tue l'organe de la prise du pouvoir par le pro­létariat. En dehors de telles périodes, dans ses différentes luttes de résistance contre l'exploitation, les organes unitaires que se donne la classe ouvrière, les comités de grè­ves basés sur les assemblées générales, ne peu­vent exister qu'aux moments des luttes elles-mêmes. Par contre, les organisations politiques de la classe peuvent, comme expression d'un ef­fort constant de celle-ci vers sa prise de conscience, exister dans les différentes phases de la lutte. Leur base d'existence est nécessai­rement un programme élaboré et cohérent, fruit de l'ensemble de l'expérience de la classe. Cette problématique est complètement escamotée par le léninisme qui dans l'action du proléta­riat ne volt qu'un moteur : le parti. Parti qui d'ailleurs, indépendamment des circonstances pourrait mettre le prolétariat en mouvement, Krivine, le leader trotskyste, résume assez bien cette vision lorsqu'il écrit : "Pour en rester l'explosion révolutionnaire de mai 68, il ne lui manqua pour réussir que l'existence d'une organisation révolutionnaire bien implantée, reconnue par la masse des travailleurs et en quoi Lénine voyait la condition subjective indispen­sable de la crise révolutionnaire. Une telle or­ganisation aurait fait en sorte que toutes les luttes convergent et s'étendent. Elle aurait avancé des mots d'ordre capables de faire progresser les luttes, comme celui de la grève générale illimitée, entraînant inéluctablement des mots d'ordre de combat pour la prise du pouvoir politique. Si mai 68 n'a pas abouti, n'a été qu'un "répétition générale", c'est précisément parce qu'un tel parti n'existait pas...".

La méme idée se retrouve chez les bordiguistes du PCI qui, dans leur manifeste sur la grève générale diffusé en Juin 68, appellent le prolé­tariat à s'organiser sous la bannière du parti et à créer des syndicats rouges : "Il les pré­parera, sous la direction du parti communiste mondial, en chassant de ses propres rangs les divers prophètes du pacifisme, du réformisme, du démocratisme, en imprégnant les organisa­tions syndicales de l'idéologie communiste pour en faire sa courroie de transmission de l'organe de direction politique, le parti..". Ces idées introduisent au niveau de la lutte du prolétariat une séparation qualitative : la lutte de classe "politique" d'une partie ex­térieure à la lutte "économique" d'autre part. Le passage de l'économique au politique ne pou­vant s'opérer que par la médiation du parti. La lutte du prolétariat ne peut donc relever dans cette optique de l'idéologie et de l'ini­tiative du parti. Il est donc logique pour les défenseurs de cette position que le prolétariat ne se manifeste que lorsque existe le parti : ainsi Battaglia Comunista nie le caractère pro­létarien des grèves en mai-juin parce que le parti n'était pas à leur tête ! (Voir compte-rendu de la Conférence Internationale de Milan en mai 1977, p.59).

Ainsi, entre lutte de classe "économique " et "politique", entre la défense de l'intérêt de classe et la révolution, il n'y a pas de conti­nuité, un même mouvement qui se transforme en se radicalisant, mais intermédiaire obligé du parti. Loin d'envisager le mouvement révolution­naire comme un processus de rupture des formes de l'économie capitaliste, le léninisme les con­sidère comme la base matérielle historique du socialisme, celui-ci est dès lors projette comme leur continuité.

Opposés à cette conception, nous réaffirmons que le prolétariat fait son histoire dans les limi­tes imposées par le développement économique et social, dans une situation donnée, dans des con­ditions déterminées, mais que c'est lui qui le fait, qui la décide par sa praxis qui est le lien dialectique entre le passé et l'avenir, en même temps cause et conséquence du processus historique. Il existe donc une objectivité et une obligation d'agir pour la classe et non un quelconque mouvement idéal. La lutte pour de meilleurs conditions de travail (salaires et du­rée) est une nécessité immédiate pour la classe ouvrière. La lutte du prolétariat, telle que nous la comprenons, est d'abord une lutte de résistance aux effets de l'accumulation du capital, une tentative d'empêcher la dépréciation de la force de travail que le développement capitaliste entraîne avec lui. L'action de résistance con­tre l'exploitation du capital est bien le sou­tien et le moteur de l'action révolutionnaire de la classe révolutionnaire. Mais ce qui donne tou­te son importance à la lutte au delà de la reven­dication, c'est la réalité nouvelle qu'elle eut inaugurer : la résistance à l'exploitation favo­risant au sein du combat de l'association qui met fin momentanément à la division, à l'atomisation, qui annule les effets de la concurrence. C'est la poursuite de cette dynamique propre à la lutte qui ouvre la voie au véritable terrain de l'affrontement qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie et laisse apparaître le fait politique. Il convient donc de prolonger, d'éten­dre, d'organiser ce mouvement réel de résistance afin qu'il devienne un véritable mouvement continu vers le communisme. C'est à cela que s'attachent les organes qui naissent au sein de la classe, agissant de manière collective, pro­voquant l'association des travailleurs, renfor­çant la solidarité, élément combien important de la conscience de classe prolétarienne.

C'est dans ce processus que les révolutionnaires interviennent en clarifiant le sens de la lutte, en indiquant les buts généraux du mouvement, dé­passant par là la revendication parcellaire, en participant dans la lutte à l'organisation de la classe, sous la direction des organes que celle-ci se donne, en défendant les formes d'ac­tion les plus adéquates pour étendre le mouve­ment. En ce sens, si les communistes sont parmi les plus décidés comme le rappelle le Manifeste Communiste, Ils remplissent aussi un rôle déci­sif dans la clarification qu'ils apportent au mouvement, ce qui par contre n'a rien à voir avec le pouvoir de décision, qui pour nous res­te aux mains des organe unitaires de la classe. Les révolutionnaires, produits du mouvement de la classe, on tant qu'éléments les plus conscients -renforçant d'ailleurs leur conscience par  le mouvement de la classe- accélère la maturation de ce mouvement par la clarifica­tion théorique.

Si de la défaite des mouvements prolétariens de la fin des années 60 et du début des années 70 la bourgeoisie a pu reprendre l’initiative au travers des syndicats et des partis de gauche et gauchistes, portant ainsi l’attention sur la "solution" de la bourgeoisie à la crise : une nouvelle guerre mondiale, il n'en reste pas moins que la classe ouvrière n'est pas bat­tue et les mouvements de lutte qui se sont dé­veloppés ces derniers temps un peu partout dans le monde, sont la résultante des perspectives ouvertes par mai 68 : la réponse de la classe ouvrière contre la crise de plus en plus aiguë du capitalisme dont l'approfondissement iné­luctable conduira, au travers des périodes de flux et de reflux à la radicalisation des com­bats prolétariens qui déboucheront sur l'em­brasement révolutionnaire.

F.D.

Géographique: 

  • France [25]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [26]

Approfondir: 

  • Mai 1968 [27]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [28]

Une caricature de parti : le parti bordiguiste (réponse à "Programme Communiste")

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La prise de conscience absolument indispensable à son émancipation, est un processus constant, incessant du prolétariat. Cette prise de conscience lui est dictée par son être social en tant que classe conditionnée historiquement et contenant seule la solution aux contradictions insolubles auxquelles aboutit la société capitaliste, dernière expression des sociétés divisées en classes. De même que la tâche historique d'en finir à tout jamais avec l'existence et l'antagonisme de classe qui déchirent la socié­té humaine sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes, de même la conscience de cette tâche ne saurait être "importée et inculquée" au prolétariat de l'extérieur, mais elle est le produit de son propre être, de sa propre existence, de par sa situation économique, sociale et politique dans la société qui détermine son action pratique et sa lutte historique.

La manifestation de son incessant mouvement vers la prise de conscience est donnée par son effort à s'organiser, et par la formation de groupes politiques en son sein, culminant dans la constitution du parti.

C'est à cette question, la constitution du parti que le n° 76 de mars 78 de Programme Communiste, revue théorique du PC International consacre un très long article : "Sur la voie du Parti com­met et puissant de demain". On doit commencer par constater qu'avec l'emphase coutumière du langage bordiguiste, les tours et les détours à  longueur de pages pour se retrouver au point de départ, l'enfoncement des portes ouvertes et les répétitions d'affirmations qui tiennent lieu d'argumentation, rendent malaisés et plus diffi­ciles à cerner les vrais problèmes en débat. Le procédé qui consiste à démontrer une affirmation en citant ses propres affirmations de la veille, elles-mêmes fondées sur des affirmations anté­rieures - au point de donner le vertige - peut, à ra rigueur, prouver une continuité dans l'af­firmation, mais ne jamais être la démonstration qui fonde sa validité. Dans ces conditions et malgré notre ferme désir de nous en tenir aux affirmations exprimant les positions bordiguistes con­cernant le parti que nous considérons erronées et à combattre, il nous serait Impossible d'évi­ter complètement de nous laisser entraîner, sui­te aux affirmations de l'article, sur bien d'autres considérations.

A PROPOS DE LA FRACTION ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE

Ce ne serait certainement pas le moins surpre­nant pour la majorité des lecteurs de Programma et probablement aussi pour la majorité des propres membres du PCI, d'apprendre brusquement que "malgré ses limites objectives (?), la "Fraction de Gauche à l'étranger" fait partie de l'histoire" ([1] [29]) de la Gauche Italienne et à ce titre devient même "notre Fraction à l'étran­ger entre 1928 et 1940". Sur ce point, Program­ma nous avait habitués plutôt à une grande ré­serve, un lourd silence, sinon carrément à une réprobation de ce que fut la Fraction. Comment autrement comprendre, qu'en 30 ans d'existence, le PCI, qui n'épargne ses efforts de reproduire et republier dans ses journaux, revues théori­ques, brochures et livres, les textes de la Gau­che de 1920-26, n'a jamais trouvé le temps, le moyen, la place de publier un seul texte de la Fraction qui avait publié le "Bulletin d'Infor­mation", la revue "Bilan", le journal "Prometeo" les bulletins "Il Semé" et tant d'autres textes ? Ce n'est tout de même pas par simple hasard qu'on ne trouvera jamais dans Programma ni réfé­rence, ni mention de positions politiques défen­dues par "notre" Fraction, ni jamais citation de Bilan. C'est à ce point, que certains camarades du PCI en ayant vaguement entendu parler, soute­naient que le Parti ne se revendiquait pas plus de l'activité politique de la Fraction que des écrits de Bilan, et que d'autres camarades du même Parti ignoraient jusqu'à leur nom et exis­tence.

Aujourd'hui, on découvre "le mérite de notre Fraction", un mérite II est vrai très limité, tout juste pour lui donner un coup de chapeau. Pourquoi aujourd'hui ? Est-ce parce que le trou  % dans la continuité organique (un mot si appré­cié par le PCI) qui va de 1926 à… 1952, est devenu un peu gênant et qu'il fallait tenter de le boucher tant bien que mal, ou est-ce parce que le CCI en a assez parlé au point qu'il est devenu Impossible de garder plus longtemps le silence ? Et pourquoi situer la Fraction entre 1928 et 1940 alors qu'elle ne s'est dissoute -à tort - qu'en juillet 1945 pour s'intégrer dans le "Parti" enfin reconstitué en Italie, après avoir entre temps dénoncé le Comité Anti-Fascis­te italien de Bruxelles et exclu son promoteur Vercesi, ce même Vercesi qui, sans discussion, sera admis dans le PCI et même dans sa direc­tion ? Est-ce par ignorance ou parce que pen­dant la guerre, la Fraction est allée encore plus loin dans l'orientation dans laquelle Bilan s'était engagé avant la guerre, notamment sur la question russe, sur la question de l'Etat et du parti, ce qui forait apparaître encore plus la distance qui sépare Programma des positions défendues par la Fraction ? D'ailleurs, le "mé­rite" accordé à la Fraction du bout des lèvres est rapidement recouvert par des critiquées d'au­tant plus sévères. "L'impossibilité - écrit Pro­gramme - de briser pour ainsi dire le cercle subjectif (?!) de la contre-révolution, a conduit la Fraction à certains tâchâmes, comme par exem­ple dans la question nationale et coloniale, ou encore à propos do la Russie, non tant dans l'appréciation do ce qu'elle était devenue, que dans la recherche d'une vole différente de colle des bolcheviks dans l'exercice do la dic­tature... une vole qui empêcherait a l'avenir une répétition de la catastrophe do 1926-27; et aussi on un certain sens, dans la question du parti ou de l'Internationale... (la Fraction) attendait elle aussi cette reconstitution (du Parti) du retour en force de grandes masses sur le terrain de l'affrontement direct avec l'enne­mi".

Si le fait de rester fidèles aux fondements révolutionnaires du marxisme dans une période de recul est incontestablement méritoire, le grand mérite de la Fraction, ce qui la distin­gue particulièrement des autres groupes de l'époque, consiste précisément dans ce que l'ar­ticle de Programme appelle "les lâchages". La Fraction soutenait : "les cadres pour les nou­veaux partis du Prolétariat ne peuvent sortir que de la connaissance profonde des causes des défaites. Et cette connaissance ne peut suppor­ter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme." ([2] [30])

Pour des gens pour qui le programme est une don­née "achevée et invariante", qui ont transformé le marxisme en un dogme et Lénine en un prophète intouchable, le fait que la Fraction ait osé (Brrr, à vous donner froid dans le dos !) vou­loir soumettre à l'examen de la réalité, non pas les fondements du marxisme, mais les posi­tions politiques et programmatiques du parti bolchevik et de l'IC, frise les limites du tolérable. Poser dans le cadre de la théorie et du mouvement communiste que le réexamen des posi­tions politiques qui ont présidé à des défaites "ne peut supporter aucun interdit non plus qu'au­cun ostracisme", n'est-ce pas la pire hérésie, un "lâchage" di rait Programme !

Le grand mérite de la Fraction, en plus de sa fidélité au marxisme et de ses prises de posi­tion sur des questions de première importance, contre le front unique réclamé par Trotski, con­tre les fronts populaires, contre l'infâme mys­tification de l'anti-fascisme, contre la colla­boration et le soutien de la guerre d'Espagne; son grand mérite est d'avoir osé rompre avec cette méthode qui avait triomphé dans le mouve­ment où la théorie s'est transformée en dogme et les principes en tabous étouffant toute vie politique. Son mérite est d'avoir convié les ré­volutionnaires aux débats, ce qui l'a menée non à des "lâchages", mais à être apte à apporter une riche et valeureuse contribution à l'oeuvre révolutionnaire.

La Fraction, avec toute sa fermeté dans ses con­victions, avait cette modestie de ne pas préten­dre avoir résolu tous les problèmes et répondu à toutes les questions : "Notre Fraction en abor­dant la publication du présent bulletin, ne croît pas pouvoir présenter des solutions définitives aux problèmes terribles qui se posent aux prolé­tariats de tous les pays"([3] [31]).Et même là où elle était convaincue d'avoir apporté des réponses, ni le n'exigeait pas des autres la reconnaissance, mais les soumettait à leur examen, à la confron­tation, à la discussion : "Elle (la Fraction) n'entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions aux so­lutions qu'elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements, les positions qu'elle défend actuellement aussi bien que les positions poli­tiques contenues dans ses documents de base" ([4] [32]). Et suivant le même esprit elle écrira : "Notre Fraction aurait proféré qu'une telle oeuvre (publication de Bilan) se fît par un organisme international, persuadée comme elle l'est de la nécessité de la confrontation po­litique entre ces groupes capables de repré­senter la classe prolétarienne de plusieurs pays" ([5] [33]).

Pour faire ressortir pleinement toute la dis­tance qui sépare la vision de la Fraction en ce qui concerne les rapports devant exister entre les groupes communistes et celle du par­ti bordiguiste, Il suffit de mettre en parallèle la citation ci-dessus de Bilan avec cette autre de Programme Communiste, de la comparer. Ainsi, parlant de leur propre groupe bombardé du titre Parti, Programme Communiste écrit : "C'est un "noyau de Parti" ? Certainement si on le compare au parti "compact et puissant de demain". Mais c'est un parti. Il ne pourra gran­dir que sur ses propres bases, non pas à tra­vers la "confrontation" (souligné igné par Programme) des points de vue, mais à travers le heurt contre ceux-là mêmes qui paraissent "proches"" ([6] [34]). Comme disait un porte-parole du PCI ré­cemment dans une réunion publique de RI à Paris : "Nous ne venons pas pour discuter ni confronter nos points de vue avec vous mais uniquement pour exposer le notre. Nous venons à votre réunion comme nous allons dans celles du parti stalinien". Une telle attitude, une telle vision ne tient pas de la fermeté des convictions mais de la simple suffisance et de" l'arrogance. Le prétendu "programme achevé et invariant" dont les bordiguistes se disent être les héritiers et les gardiens, ne recouvre rien d'autre qu'une profonde mégalomanie.

Plus un bordiguiste est ébranlé par des doutes et des incompréhensions, moins fermes sont ses convictions et plus II lui est demandé, au sor­tir chaque matin du lit, de s'agenouiller la tête sur le sol, et se frappant la poitrine d'entamer la litanie à l'instar des musulmans : "Dieu, mon dieu est le seul dieu et Mohamed est son prophète" ou encore comme dirait quelque part Bordiga : "Pour être membre du Parti, il n'est pas nécessaire que chacun comprenne et soit convaincu, il suffit qu'il croit et obéisse au Parti".

Il n'est pas question de dire Ici l'histoire de ce que fut la Fraction, ses mérites et ses défauts, la validité de ses positions et de ses erreurs. Comme elle disait elle-même, elle n'a fait souvent que balbutier, maïs sa contribution était d'autant plus énorme, parce qu'elle était un corps politique vivant, osant ouvrir un débat, confronter ses positions, affrontant celles des autres et non cette secte sclérosée et mégalomane qu'est le "Parti" bordiguiste. Ce qui fait, comme on vient de le voir, que la Fraction pouvait se réclamer de la Gauche Italienne, alors que c'est un abus grossier que commet le parti bordiguiste en parlant de "notre Fraction à l'étranger".

LA CONSTITUTION OU PARTI

Le parti indispensable au prolétariat se cons­truit sur le fondement solide d'un programme cohérent, des principes clairs, lui donnant une orientation générale, contenant les réponses les plus élaborées possibles aux problèmes politi­ques qui se posent à la lutte de classe. Cela n'a rien de commun avec le mythique "Programme achevé, Immuable et Invariant" des bordiguistes. "A chaque période, nous verrons que la possibi­lité de la constitution du parti se détermine sur la base de l'expérience précédente et des nouveaux problèmes apparus au prolétariat". ([7] [35])

Ce qui est vrai pour le programme l'est également pour les forces politiques vivantes qui constitu­ent physiquement le parti. Le parti n'est certes pas un conglomérat de toutes sortes de groupes et de tendances politiques hétéroclites. Maïs II n'est pas non plus ce "bloc monolithique" dont se réclament les bordiguistes et qui d'ailleurs n'a jamais existé que dans leurs fantasmes. "A cha­que période où les conditions sont données pour la constitution du parti, le prolétariat peut s'organiser en classe, le parti se fondera sur les deux éléments suivants : 1) la conscience de la position plus avancée que le prolétariat doit occuper, l'intelligence des nouvel les voles à em­prunter) la croissante délimitation des forces pouvant agir pour la révolution prolétarienne" ([8] [36]). Ne vouloir reconnaître, par principe et a prio­ri comme seule force agissant pour la révolu­tion que soi, et rien que sol, relève non pas de la fermeté révolutionnaire maïs d'un esprit de secte.

Relatant les conditions dans lesquelles s'est constituée la 1ère  Internationale, Engels écrit : "Après les expériences et les vicissitudes de la lutte contre le capital, après les succès et sur­tout après les défaites, chacun pouvait se rendre compte qu'il ne suffisait plus de vanter sa méde­cine favorite et qu'il convenait de rechercher une meilleure Intelligence des conditions réelles de l'émancipation ouvrière". ([9] [37])

La réalité n'a rien à voir avec ce miroir devant lequel le "Parti" bordiguiste passe le meilleur de son temps et qui ne lui renvoie que sa propre image. La réalité de la constitution du parti tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier, se présente à la fois comme une convergence et une délimitation croissante des forces pouvant agir pour la révolution, à moins de croire qu'il n'avait jamais existé de parti autre que le parti bordiguiste. Quelques exemples : La Ligue Commu­niste à laquelle se joignent Marx et Engels et leurs amis est l'ancienne Ligue des Justes consti­tuée par plusieurs groupes d'Allemagne, Suisse et France, Belgique et Angleterre avec l'élimination du courant de Weltling. La 1ère Internationale est à la fols l'élimination des socialistes à la Louis Blanc et Mazzinl et la convergence d'autres courants ; la 2ème Internationale est I'élimina­tion dos anarchistes et le regroupement des partis marxistes sociaux-démocrates; la 3ème Internationale est l'élimination des sociaux-démocrates et regroupe les courants révolutionnaires communis­tes ; il en est de même pour la constitution du parti social-démocrate en Allemagne Issu du parti d'Eisenach et de celui de Lassale, de même pour le parti socialiste en France provenant du parti de Guesde et Lafargue et de celui de Jaurès; de même pour la constitution du parti social-démo­crate en Russie, provenant de la convergence de groupes isolés et dispersés à travers toutes les villes et régions de Russie, et l'élimination de la tendance de Struve. On peut continuer ainsi les exemples de constitution du parti dans l'histoire, on trouvera tou­jours ce même mouvement, opérant à la fois sur la base de l'élimination et de la convergence. Le Parti Communiste d'Italie lui-même se consti­tua à partir de la Fraction Abstentionniste de Bordiga et le groupe de Gramsci après l'élimi­nation des maximalistes de Serati.

Il n'y a pas de critères valables dans l'absolu et Identiques à toutes les périodes. Toute la question est de savoir dans chaque période dis­tinguer clairement quels sont les critères poli­tiques pour la convergence des forces et quels sont les critères pour la délimitation. C'est précisément cela que le "Parti" bordiguiste ne sait pas, lui qui s'est constitué sans critères , par l'amalgame des forces : du parti consti­tué dans le nord, des groupes du sud avec des relents de partisans, de la tendance de  Vercesi au Comité Anti-Fasciste de Bruxelles, de la mi­norité exclue de la Fraction en 1936 pour sa participation dans les milices républicaines pendant la guerre d'Espagne et de la Fraction dissoute prématurément en 1945. Comme on volt, Programme Communiste (PC) est particulièrement bien placé pour parler d'Intransigeance, de con­tinuité organique et donner des leçons de ferme té et de pureté révolutionnaires. Dans le déni­grement de tout effort de confrontation et de débats entre les groupes révolutionnaires commu­nistes, il ne s'agit nullement de fermeté de principes ni même de myopie politique, mais tout simplement du souci de défense et de sauvegarde de sa petite chapelle.

D'ailleurs, cette "terrible" Intransigeance pure­ment verbale des bordigulstes contre toute "con­frontation" et à fortiori regroupement, déclaré d'avance et hors de tout critère comme une entre­prise de confusion, varie (excusez pour l'Inva­riance) selon le jour et leurs propres convenan­ces. C'est ainsi qu'en 1949, Ils lancent un "ap­pel pour la réorganisation internationale du mou­vement révolutionnaire marxiste", appel repris en 1952 et Î957, où on peut lire : "En accord avec la position marxiste… les communistes de la Gauche Italienne adressent aujourd'hui un ap­pel aux groupes ouvriers révolutionnaires de tous les pays pour les Inviter, en reprenant un long et difficile chemin, à accomplir un grand effort en vue de se rassembler Internationalement sur une stricte base de classe..." ([10] [38]).

Mais il est Indispensable de savoir distinguer entre le parti bordiguiste et toute autre organi­sation; on commettrait la plus grande erreur en croyant que ce qui est convenable pour le Parti, qui garde en exclusivité un programme achevé et Immuable, puisse être admissible pour une simple organisation mortelle de révolutionnaires. Le Parti a des raisons que la raison ne connaît pas et ne peut pas connaître. Quand les bordiguistes appellent à un "rassemblement International", c'est de l'or pur, mais quand d'autres organisa­tions révolutionnaires appellent à une simple conférence de prise de contact et de discussion, c'est évidemment de la pire m..., du "marchandage de principes" et autre entreprise de confu­sion. N'est-ce pas plutôt parce que les bordi­guistes se sont enfoncés aujourd'hui plus que jamais dans leur sclérose et qu'ils craignent de confronter leurs positions incertaines avec des courants révolutionnaires vivants qui existent et se développent, qu'ils préfèrent se replier sur eux-mêmes et s'Isoler ?

Il n'est pas sans Intérêt de rappeler les critè­res avancés dans cet appel pour le rassemblement et revendiqués à nouveau dans l'article d'aujourd’hui : "Le Parti Communiste Internationaliste propose aux camarades de tous les pays les lignes directrices suivantes :

-  1) Revendication des armes de la révolution : violence, dictature, terreur,

.- 2) Rupture complète avec la tradition des al­liances de guerre, des fronts de partisans et des "libérations nationales",

-   3) Négation historique du pacifisme, du fédé­ralisme entre les Etats et de la "défense natio­nale",

-   4) Condamnation des programmes sociaux communs et des fronts politiques avec les classes non salariées,

-   5) Proclamation du caractère capitaliste de la structure sociale russe. ("Le pouvoir - l'Etat en Russie - est exercé par une coalition, hybri­de et complexe, des intérêts internes des classes petites-bourgeoises, semi bourgeoises et des en­trepreneurs dissimulés, ainsi que des intérêts des classes capitalistes internationales" (???).

-   6) Conclusion : désaveu de tout appui au mili­tarisme impérial russe, défaitisme catégorique contre celui de I'Amérique."

Nous venons de citer les six têtes de chapitres eux-mêmes accompagnes de commentaires les développant, qu'il serait trop long de reproduire ici. Il n'est pas question non plus de discuter ici en détails ces points et leur formulation qui peuvent laisser à désirer, notamment sur la terreur prise comme principe et arme fondamenta­le de la révolution ([11] [39]) ou cette subtile nuance dans la conclusion entre l'attitude à avoir face  l'Amérique (défaitisme) et la Russie (désaveu) ou encore cette curieuse (c'est le moins qu'on puisse dire définition du Pouvoir en Russie qui ne serait pas tout bonnement du capitalisme d'Etat mais une "coalition hybride de classes petites-bourgeoises... et des intérêts capita­listes internationaux". On pourrait également signaler l'absence explicite d'autres points par­mi ces critères, notamment la revendication du caractère prolétarien d'Octobre ou encore la né­cessité du Parti de classe. Ce qui nous intéres­se ici, c'est de souligner que ces critères cons­tituent effectivement une base sérieuse sinon pour un "rassemblement" immédiat, du moins pour une prise de contact et de discussion entre des groupes révolutionnaires existants. Cette démar­che est celle qu'a poursuivie la Fraction autre­fois, celle que nous poursuivons aujourd'hui, celle qui a présidé à la Rencontre Internationa­le de Milan, l'année dernière. Mais les bordiguistes dans les éclipses de leur invariance, n'ont plus besoin aujourd'hui parce qu'ils ont constitué déjà le Parti ("minuscule mais un Parti" quand même !).

Mais cet appel a été déjà signé en son temps par le PCI, demanderont les lecteurs naïfs ? Oui mais, ce n'était encore que le Parti Communiste Internationaliste et pas encore le P.C International, nuance !. Mais ce P.C International fai­sait partie intégrante du P.C internationaliste d'alors, et il prétend même avoir été sa majori­té ? "Oui mais", nous répond-on, il était en train de parachever sa constitution, nuance ! Mais il revendique cet Appel comme texte du Parti d'aujourd'hui ? "Oui... mais", mals-mêe-mêe-mêê-mêe….

A propos, et en passant, peut-on savoir une bonne fois pour toutes, depuis quand existe ce "vaillant minuscule parti" ? Il est de mode au­jourd'hui - on ne sait pas trop pourquoi - d'af­firmer que le Parti a été constitué seulement en 1952 et l'article cité plus haut, Insiste sur cette date ([12] [40]). Cependant, on cite dans l'article cité plus haut des "textes fondamentaux" de 1946 - la plate-forme date, elle, de 1945, d'autres textes aussi fondamentaux de 1948-49-51. Ces textes en question, aussi "fondamentaux" les uns que les autres, émanaient de qui au juste ? D'un Parti, d'un groupe, d'une fraction, d'un noyau, d'un embryon ?

En réalité, le PCI se constitue en 1943 après la chute de Mussolini dans le nord de l'Italie. Il se "reconstitue" une deuxième fois en 1945, à la suite de la "libération" du nord de l'occupation allemande, permettant aux groupes qui se sont constitués entre temps dans le sud de s'intégrer, s'unifier avec l'organisation existante dans le nord. C'est pour s'intégrer à ce Parti que la Fraction Italienne de la Gauche Communiste se prononce dans sa quasi unanimité pour sa propre dissolution. Cette dissolution ainsi que la pro­clamation de la constitution du Parti provoqueront des discussions et polémiques acharnées dans la GCI, ce qui conduira en France à une scission dans la Fraction Française de la Gauche Communiste où seule une minorité adhérera à cette politique et se séparera de la majorité. Celle-ci se prononcera contre la dissolution précipitée de la Fraction Italienne, condamnera catégoriquement et publique­ment comme artificielle et volontariste la procla­mation du Parti en Italie et elle mettra en relief l'opportunisme qui a servi de base politique à ce nouveau Parti ([13] [41]). Fin 1945 se tient le 1er Con­grès de ce Parti (PCI) qui publie une plate-forme politique et nomme une direction centrale du Parti et un Bureau International composé des représentants du PCI et des Fractions française et belge. L'article de Programma se réfère lui-même à "Elé­ments d'orientation marxiste, notre texte de 1946". En 1948, nous avons de nouveau des textes program­matiques du Parti et ainsi de suite. En 1951, écla­te la première crise au sein de ce Parti, qui va se terminer en une scission en deux PCI, chacun revendiquant être la continuité de l'ancien Parti, ce à quoi Programa n'a jamais renoncé.

Aujourd'hui, on Invente une nouvelle date de la constitution du Parti bordiguiste. Pourquoi ? Est-ce parce que ce n'est qu'en 1951 que "notre courant a pu atteindre cette conscience critique, grâce à la continuité de sa bataille pour défendre une "li­gne vraiment générale et non occasionnelle", ce qui lui a permis de se "constituer en conscience criti­que organisée, en corps militant agissant en Parti" ([14] [42]) Mais où étaient donc les bordiguistes avec Bordiga entre 1943/45 et 1951 ? Que devient dans tout ceci le Programme qui reste toujours invaria­ble depuis 1848, l'avalent-ils égaré durant ces an­nées et n'avaient-ils "pu (ainsi) atteindre cette conscience critique" qui leur a permis de constituer le Parti en 1951 ? Mais, n'étaient-ils pas organisés depuis 1943/45 en tant que membres et membres dirigeants du PCI ? Difficile, très difficile de discuter sur une question aussi grave avec des gens qui confondent tous les termes, qui ne savent distinguer et faire  la différence entre  le moment de la gestation et celui de la naissance - qui ne savent pas ce qu'ils sont eux-mêmes et à quel stade ils sont, qui se disent le "Parti" tout en clamant la nécessité de la constitution du Parti, comment prendre au sérieux dos gens qui, selon  les convenances du jour exhibent des actes de naissance datant de 1943, de 1945 ou en encore de 1952 ou bien à une date encore moins déterminée, dans le futur !

Il en est de  la date de la constitution du PCI comme il en est pour la "Fraction’’ Gauche à l'étranger, on s'en revendique ou on  les rejette selon  les convenances du jour. Mais quoiqu'il en soit de la date, pour ce qui est la constitution du Parti "nous pouvons dire d'emblée que ce n'est pas porté par un mouvement ascendant mais au contraire en le précédant de loin". Voilà qui semble clair. La constitution du Parti n'est en rien conditionnée par un mouvement ascendant de la  lutte de classe "mais, au contraire le précède de loin". Maïs, à quoi rime cet empressement d’ajouter aussitôt qu'il s'agit de "préparer le véritable Parti... préparer le Parti  compact et puissant que nous ne sommes pas encore". En som­me un Parti  qui.... prépare  le Parti ! En d'au­tres mots, un Parti qui n'en est pas un ! Mais pourquoi ce parti qui possède un programme ache­vé et invariant, qui a aussi atteint  la consci­ence critique nécessaire et organisée, pourquoi n'est-il pas le "véritable parti" ? Que lui manque t'il donc pour l'être ? Certes, ce n'est pas une question de nombre de militants, mais en écrivant que le "Parti en construction" reconnaissait qu'il était "en train de naître" et non pas achevé justement (parce que) le Parti de classe est toujours en construction depuis son apparition jusqu'à sa disparition"  (souligné dans le texte)  ([15] [43]), on ne fait visiblement que jongler avec des mots pour mieux esquiver la ré­ponse demandée en même temps qu'on escamote la question elle-même. Une chose est de dire que l'ovulation est une condition d'une future naissance, autre chose est de prétendre que l'ovula­tion est l'acte de naissance, le fait même de donner le jour à un être vivant. L'originalité géniale de "Programme" consiste à les identifier à faire de deux choses, une seule et même chose. Avec un tel raisonnement spécieux, on peut dé­montrer n'Importe quoi et mettre facilement Paris en bouteille.  Le besoin d'un développe­ment et d'un renforcement constant d'un parti vraiment existant, ne prouve pas son existence déjà comme  le besoin de développement et ren­forcement de  l'enfant ne prouve pas que l'ovule est déjà un enfant, mais seulement que dans cer­taines conditions précises, il peut le devenir. Les problèmes qui se posent à  'un diffèrent grandement de ceux qui se posent à l'autre.

Toute cette sophistique sur le Parti existant par sa construction constante, et la construc­tion constante par le Parti déjà existant est là pour introduire subrepticement cette autre théo­rie bordiguiste du Parti réel et du Parti formel. Autre sophisme où le Parti réel est un pur fantôme "historique" qui n'a pas nécessairement d'existence dans la réalité et le Parti formel qui  existe lui  effectivement dans la  réalité mais qui ne l'exprime pas forcément. Dans la dia­lectique bordiguiste, le mouvement n'est pas un état de la matière et donc une chose matérielle mais une force métaphysique qui crée la matière. Ainsi, la phrase du Manifeste Communiste "la constitution du prolétariat en classe, donc en Parti" devient dans la  démarche bordiguiste "la constitution du Parti fait du prolétariat une classe", ce qui mène à ces conclusions doubles et contradictoires mais relevant également de la scolastique : ou l'affirmation - contrairement à toute évidence -d'un Parti qui n'aurait jamais cessé d'exister depuis son apparition (disons depuis Babeuf et les chartistes) ou partant de la constatation évidente de non existence du Parti pendant de longues périodes dans l'histoi­re, conclure à la disparition momentanée ou définitive de la classe (Vercesi, Camatte). La seule, constance du bordiguisme est de se mouvoir cons­tamment d'un bout à l'autre dans ce cadre de la démarche scolastique.

On pourrait peut-être pour plus de clarté poser la question d'une autre façon. Les bordiguistes définissent le Parti comme une doctrine, un pro­gramme et une capacité d'intervention pratique, une volonté d'action. Cette définition quelque peu sommaire du Parti est aujourd'hui complétée par cet autre postulat : l'existence du Parti n'est pas liée mais doit au contraire être absolument indépendante des conditions d'une période donnée. Or de ces deux bases qui fondent le Parti : programme et volonté d'action, le pre­mier, le programme, nous dit-on, est achevé et invariant depuis le Manifeste Communiste de 1848. Nous nous trouvons ici devant une contradiction évidente : le Programme en tant qu'essence du Parti, lui, est achevé mais le Parti en tant que matérialisation du Programme, lui, est en perpé­tuelle constitution ! Plus que cela, même, Il disparaît purement et simplement. Comment cela et pourquoi ?

La Ligue Communiste se  dissout et disparaît en 1852. Pourquoi ? Les fondateurs du Programme, Marx et Engels, ont-ils perdu le Programme ? On pourrait peut-être invoquer contre eux  la perte d'une volonté d'action, en se référant à la scis­sion opérée par eux contre la minorité  (Willitch-Schapper} de la Ligue et leur dénonciation de l'ac­tivisme volontariste de cette minorité. Mais ce se serait aller ainsi d'une absurdité à une absurdité encore plus grande ? Que reste t'il alors d'autre pour expliquer cette dissolution qui - n'en déplaise aux bordiguistes - provient d'un profond change­ment intervenu dans la situation ? Engels, qui sait de quoi il parle, explique, en ces termes, la disparition de la Ligue : "L'écrasement de l'in­surrection parisienne  de Juin 1848 - la première grande bataille entre le prolétariat et la bourge­oisie - fit passer à l'arrière plan, de nouveau, et pour un temps, les aspirations sociales et politi­ques de la classe ouvrière européenne....  La classe ouvrière fut réduite à lutter pour avoir, politiquement les coudées franches et à occuper une position à l'extrême gauche de la bourgeoisie radicale. Là où les mouvements prolétariens indépendants ont continué à se manifester, ils ont été impitoyable­ment écrasés... Sitôt  la sentence (du procès des communistes de Cologne - octobre 1852) prononcée, la Ligue fut formellement dissoute par les membres qui subsistaient".   ([16] [44]).

Cette explication ne semble pas convaincre nos bordiguistes qui d'ailleurs doivent la trouver complètement superflue, étant donné que pour eux le Parti ne s'est jamais dissout  réellement puisqu'il continuait à exister en la personne de Marx et Engels. Pour l'affirmer, ils citent par référen­ce une boutade extraite d'une lettre de Marx à Engels, et comme chaque fois que cola leur con­vient, ils transforment un mot, un bout de phra­se et même une boutade dans une lettre, en véri­té absolue, en un principe Invariant et Immuable. ([17] [45]). S’est-il passé quelque chose du point de vue de I'existence du Parti entre la dissolution de la Ligue en 1352 et la naissance de l'Interna­tionale on 1864 ? Pour les bordiguistes, absolument rien; le programme restait Invariant, la vo­lonté d'action était présente, Marx et Engels étaient là et le Parti avec eux. Rien, rien de trop important ne s'était passé, mais telle ne semble pas être l'opinion d'Engels qui écrit : "Lorsque la classe ouvrière européenne eut recou­vré assez de forces pour une nouvelle attaque con­tre la classe dominante, naquit l'Association Internationale des TravaiIleurs".([18] [46]).

Quand Programme écrit dans son article : "Le parti révolutionnaire marxiste n'est pas le produit du mouvement sous son aspect immédiat, c'est-a-dire des phases de montée et de reflux", il ne fait, par incompréhension ou intentionnellement, que fausser le débat en introduisant ce petit mot de produit - souligné dans le texte - . Certes, le besoin d'un parti ne résulte pas de situations particulières mais de la situation générale his­torique de la classe (ceci s'apprend dans le cours élémentaire du marxisme et II n'y a vraiment pas de quoi se vanter de ces hautes connaissances). La controverse ne porte pas là-dessus mais si son existence effective est liée ou non aux vicissi­tudes de la lutte de classe, si des conditions spécifiques sont encore nécessaires pour que les révolutionnaires puissent effectivement - et non en paroles - assumer les fonctions qu'il incombe au Parti d'effectuer. Il ne suffit pas de dire qu'un enfant est un produit humain pour conclure que, de ce fait, les conditions nécessaires à sa vie - air pour respirer, alimentation pour se nourrir, soins en général - lui sont automatique­ment donnés, et sans ces conditions, l'enfant est irrémédiablement condamné à dépérir. Le parti est une intervention efficace, un impact grandissant, une influence effective dans la lutte de classe et cela n'est possible que sous la condition que les luttes de la classe suivent une courbe ascen­dante. C'est là ce qui différencie le Parti et son existence réelle de la Fraction ou du groupe. C'est aussi ce que le PCI n'a pas encore compris et ne veut pas comprendre.

La Ligue des Communistes se constitue avec la mon­tée de la lutte de classe annonçant la vague de luttes révolutionnaires de 1848, de même, comme nous l'avons vu avec Engels, cette même Ligue disparaît avec les défaites et les reflux de la lutte Ceci est un fait non épisodique mais général, vérifiable tout au long du mouvement ouvrier et II ne saurait en être autrement. La 1ère Internatio­nale "naquit lorsque la classe ouvrière eut recou­vre assez de force pour une nouvelle attaque con­tre la classe dominante" (Engels). Et nous pouvons pleinement souscrire aux paroles du Rapporteur du Conseil Général au premier Congrès de l'Interna­tionale répondant aux attaques de la presse bour­geoise : "Ce n'est pas l'Internationale qui dé­clenche les grèves des ouvriers, mais ce sont les grèves des ouvriers qui donnent cette force à l'Internationale". A son tour, tout comme ce fut le cas pour la Ligue des Communistes, l'Interna­tionale ne survivra pas longtemps à la défaite sanglante de la Commune de Paris et succombera peu après, et cela en dépit de la présence en son coin de Marx et Engels et du "programme achevé et invariant".

C'est en vain que l'article, pour démontrer le contraire de ce que nous venons de consta­ter, recourt à la "vérification pratique. .. qu'il existe des aires entières où se sont déroulées des luttes sociales d'une extraordinaire vigueur (telle l'Angleterre ou l'Améri­que du Nord) où le Parti n'a même pas existé". Voilà un argument qui ne prouve rien, si­non qu'il fait le constat qu'il n'y a pas un lien mécanique entre les luttes de la classe et la sécrétion d'un parti en son sein, ou en­core qu'il existe d'autres facteurs qui con­trecarrent le processus de la constitution du parti; qu'il existe en général un décalage en­tre les conditions objectives et les conditions subjectives entre l'être existant et sa prise de conscience. Pour que l'argument ait quelque validité, il aurait fallu nous citer le con­traire, à savoir des exemples où le parti s'est constitué en dehors de pays et de périodes de montée de la lutte de classe du prolétariat. Il n'en existe pas. A moins de nous citer pour unique exemple (ne parlons pas de la IVème In­ternationale des trotskystes) celui du PCI. Mais là c'est une autre histoire, l'histoire de la grenouille qui voulait être aussi grosse que le boeuf. Le PCI n'a jamais été un parti autrement qu'en paroles.

Avec les exemples de la Ligue Communiste et de la 1ère Internationale, les exemples de la nais­sance de la 2ème Internationale et sa mort In­fâme, et encore plus la constitution de la 3ème Internationale et sa fin ignoble, devenue stalinienne, sont là pour nous convaincre définitive­ment de la validité de la thèse défendue par la Fraction Italienne et dont nous nous revendiquons intégralement, à savoir de l'impossibilité de la constitution du parti dans une période de reflux de la lutte de classe ([19] [47]). Toute autre, naturel­lement, est la vision de Programme : la reconsti­tution du parti de classe devait se faire "avant que le prolétariat ne remonte de l'abîme où il était lui aussi tombé. Il faut ajouter que cette renaissance devait nécessairement comme c'est toujours le cas, précéder cette remontée du pro­létariat ([20] [48])."

On comprend que l'article se réfère avec insis­tance au "Que Faire" de Lénine, surtout à la par­tie traitant de la conscience trade-unioniste de la classe ouvrière. Car, à bien regarder ce que sous-entend tout le raisonnement de l'article, n'est pas tant dans la surestimation du rôle du parti et leur propre tendance à la mégalomanie maïs est donné surtout par une criante sous-estimation de la capacité de prise de conscience de la classe, une profonde méfiance à son égard et pour tout dire un mépris à peine voilé de la classe ouvrière et de sa capacité de compréhension.: "S'il ("le futur scientifiquement prévu par le Parti") est certain et inéluctable pour nous matérialistes, ce n'est pas en fonction d'un "mûrissement" au sein de la classe de la conscience de sa mission historique, mais parce qu'elle sera poussée par des déterminations objectives, avant de le savoir, sans le sa­voir à lutter pour le communisme...([21] [49])".

C'est tout au long de l'article qu'on trouve ces compliments méprisants pour la classé ouvrière : une masse brute et abrutie qui agit sans savoir ni comprendre, mais heureusement dirigée par un parti qui comprend tout et est toute compréhen­sion. Qu'il nous soit permis de juxtaposer à cet étouffant mépris le jugement, Ô combien aéré du vieux Engels : "Pour la victoire ultime des principes énonces dans le Manifeste, Marx se fiait uniquement au développement  Intellectuel de la classe ouvrière, tel qu'il devait résulter nécessaire­ment de l'action et de la discussion communes ([22] [50])".

Tout commentaire serait superflu. Poursuivons. Dans la vision bordiguiste, la reconstitution du Parti  - complètement détachée des conditions con­crètes - exige la maturité théorique et la vo­lonté d'action. Aussi I'article porte le jugement suivant sur  la Fraction : "Si elle (la Fraction) n'a pas encore été le Parti mais seulement son prélude, ce n’est pas faute d'activité pra­tique mais plutôt à cause de l'insuffisance du travail théorique." C'est un jugement et il vaut ce qu'il vaut. Mais qu'entend l'article au juste par suffisance du travail  théorique ? La restau­ration, la réappropriation, la conservation du programme achevé et invariant ? Surtout sans re­mise en examen des positions du passé, sans re­cherche de réponses à des problèmes nouveaux. C'est surtout ce travail que  'article reproche à  la Fraction et qu'il considère comme des lâchages graves. Ces conservateurs de musée qui ont hissé à hauteur d'idéal leur propre stérilité, voudraient faire croire que Lénine, tout comme eux, n'a jamais rien fait d'autre que "restaurer" la théorie achevée de Marx. Peut-être voudraient-ils méditer sur ce que Lénine a dit à propos de la théorie ? "Nous autres, nous ne considérons absolument pas !a théorie de Marx comme quelque chose d'achevé et d'intouchable. Nous sommes con­vaincus, au contraire, que cette théorie ne fait que placer les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent (souligné par Lénine) impulser dans tous les sens, s'ils  ne veulent pas rester en dehors  de la vie  ([23] [51])". L'article d'où est tirée cette citation s'intitule précisément "Notre Programme".

Et comment nos pontifes en marxisme mesurent-ils le degré de maturité théorique ? Existe-t-il de telles mesures fixes ? Les mesures, pour ne pas être arbitraires doivent aussi être mesurées et il n'y a pas de meilleure façon de le faire que de vérifier cette maturité théorique dans sa traduction en des positions politiques qu'on dé­fend.

Si c'est là le moyen de mesurer la maturité et si celle-ci est le principal critère pour la cons­titution du Parti, nous pouvons calmement mais avec toute la conviction nécessaire dire que ce n'est pas en 1943, ni en 45 ni surtout en 52 que les bordiguistes auraient dû construire le Parti, mais ils auraient avantageusement dû attendre l'an 2000. Tout le monde y aurait gagné et eux les premiers.

Comment se constituera le Parti compact et puis­sant de demain, on ne peut pas encore le dire mais ce qui est certain aujourd'hui, c'est que le PCI ne l'est pas. Le drame du bordiguisme est de vouloir être ce qu'il n'est pas : le Parti et de ne pas vouloir être ce qu'il  est : un groupe poli­tique. Ainsi, il n'accomplit pas -sauf en paroles les  fonctions du parti  qu'il ne peut accomplir et n'assume pas les tâches, mesquines à ces yeux, d'un vrai groupe politique. Quant à sa maturité politique, à en juger par ses positions, et au rythme où vont les choses, il risque fort de ne jamais y arriver car à chaque pas en avant, il fait deux ou trois pas en arrière.

MX


[1] [52] Programme Communiste n°76,  p.5.

[2] [53] Bilan n°1,   Introduction p.3.

[3] [54] Idem

[4] [55] Idem

[5] [56] Idem

[6] [57] Programme Communiste n°76, p.14.

[7] [58] Bilan n°1, p.15.

[8] [59] Idem

[9] [60] Engels : "Préface à l'édition anglaise du Manifeste Communiste" 1888.

[10] [61] Programme Communiste n°18 et 19 de l'édition française.

[11] [62] Voir notre article "Terreur, terrorisme et Violence de classe" dans ce même numéro de la Revue où ce sujet est amplement développé.

[12] [63] "Le Prolétaire" n°264 du 8/21 avril est plus explicite encore quand il écrit "...ses thèses caractéristiques de 1951 qui constituent son acte de naissance et ses bases d'adhésion".

[13] [64] Voir "L'Etincelle" et "Internationalisme", publications de la Gauche Communiste en France jusqu'à 1952.

[14] [65] "Sur la Vole du Parti Compact et Puissant de Demain".

[15] [66] Idem

[16] [67] Engels   : "Préface à  l'édition anglaise du Manifeste Communiste".

[17] [68] Il est largement temps de mettre fin à cet incroyable abus que certains font de citations, leur faisant dire n’importe quoi. Ceci est particulièrement vrai pour les bordiguistes en ce qui concerne  l'idée du Parti chez Marx. Peut-être ne serait-ce pas inutile de citer à leur attention et soumettre à   leur réflexion en vue d'expliquer cette phrase quelque peu surprenante et énigmatique du Manifeste Communiste : "Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers".

[18] [69] Engels : "Préface à  l'édition anglaise du Manifeste Communiste".

[19] [70] On sait d'ailleurs que Bordlga était plus que récalcitrant à  la proclamation de la constitution du Parti et qu'il a cédé à contrecœur à la pression exercée sur lui de tous côtés, pour s'y associer. Vercesi, à son tour, ne tardera pas longtemps pour remettre publiquement en question  la constitution du Parti. Mais le vin était tiré, il  ne restait plus qu'à le. boire. On trouvera l'écho de ses réticences dans "l'a­vant-projet de déclaration de principe pour le Bureau  International de la (nouvelle) Gauche Communiste  Internationale" qu'il rédige et publie en Belgique à la fin de l'année  1946; on peut y lire : "Le processus de transformation de Fractions en Partis a été déterminé dans ses grandes lignes par  la Gauche Communiste selon le schéma qui affirme que le parti ne peut apparaître que lorsque  les ouvriers ont commencé des mouvements de  lutte qui livrent la matière première pour la prise du pouvoir", (naître que lorsque les ouvriers ont commence des mouvements de lutte qui livrent la matière première pour la prise du pouvoir", (cité dans Programa).

[20] [71] Même article et souligné dans l'original.

[21] [72] Idem, p.17

[22] [73] Engels : "Préface à la réédition allemande du Manifeste Communiste", 1er mai 1890.

[23] [74] Lénine. Article écrit en 1894 pub Mo-en 1925. Œuvres complètes p.190. Traduit de l'édition en espagnol.

 

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [75]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [76]

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