Pour chaque prolétaire, la prise de conscience de l’aggravation,
souvent dramatique, de la crise économique ne passe pas par les
discours idéologiques dont l’abreuvent les médias,
pas plus que par les courbes, les chiffres, les statistiques froides
des spécialistes de l’économie, mais par les problèmes
de survie qu’il subit au quotidien avec ses angoisses du lendemain.
Même hors du cercle familial, il retrouvera chez ses camarades
de travail, ses voisins, ses amis, le reflet de la détérioration
accélérée de ses propres conditions d’existence :
partout les conditions de vie de la classe ouvrière, soumises
à un pilonnage incessant d’attaques depuis des années,
se dégradent mois après mois.
Cette situation n’est pas le résultat d’une politique
particulière d’une équipe gouvernementale de droite
ou de gauche, pas plus qu’elle n’est propre à la France
mais elle est le résultat d’une aggravation de la crise
mondiale du capitalisme, système moribond et sans issue. L’exacerbation
de la concurrence internationale ne laisse pas d’autre choix aux
bourgeoisies nationales que d’attaquer partout plus durement les
conditions de vie de la classe ouvrière. Les ouvriers sont les
premiers touchés par la remise en cause du salaire social, par
les restrictions budgétaires à répétition
et l’intensification de l’exploitation, à travers la
précarisation et la flexibilité accrues de l’emploi.
Chaque prolétaire est victime de la pression grandissante de
l’insécurité des conditions d'existence, du chômage
et des licenciements, comme des restrictions apportées à
l’indemnisation du chômage et de la hausse du coût
de la vie. Derrière les fins de mois impossibles à boucler,
l’endettement croissant, les privations de plus en plus conséquentes,
les difficultés grandissantes à se nourrir, à se
loger, à se soigner décemment, les prolétaires
s’enfoncent dans une paupérisation croissante.
C’est à cette situation que la bourgeoisie voudrait bien
que la classe ouvrière se résigne. Et c’est pour
cela qu’elle ne promet plus la "sortie du tunnel" mais
pousse les ouvriers à s’adapter à des conditions
sociales plus difficiles, à s’habituer à une misère
plus forte. C’est parce qu’en fait la bourgeoisie n’a
aucun remède pour résoudre sa crise, aucun sort meilleur
à apporter aux ouvriers, qu’elle cherche à les entraîner
dans la passivité, pour les paralyser et les dissuader d’entrer
en lutte. Et si la bourgeoisie française se permet, du bout des
lèvres, d’afficher encore avec optimisme une "reprise
sans emplois", en même temps elle s’engage résolument
dans la voie du chantage et de l’intimidation pour accentuer sa
pression, pour imposer la poursuite de ses attaques qui participent
d’une offensive anti-ouvrière générale.
D’ores et déjà, la réduction massive des
budgets sociaux, la poursuite des suppressions des rares subsides que
l’Etat accordait encore aux ouvriers précipitent de plus
en plus de familles ouvrières dans la détresse. Après
le passage en force de la violente attaque sur les retraites en France
en 2003, le gouvernement est parvenu à imposer en souplesse pendant
l’été un train de mesures remettant en cause la Sécurité
Sociale qui donne le cadre pour de futures attaques beaucoup plus lourdes.
C’est en ce sens que, suite à une "indiscrétion"
savamment divulguée par le ministère de l’Economie
et des Finances montrant que, malgré les mesures du plan actuel,
il faudra encore combler un déficit évalué entre
7,5 et 15 milliards d’euros en 2007, le ministre de la Santé,
Douste-Blazy, a posé un jalon pour la prochaine étape
de cette attaque : l’institution d’une franchise sur
les soins médicaux à la charge de chaque assuré
de l’ordre de 100 euros par an.
De plus, les coups portés actuellement aux ouvriers se distinguent
particulièrement dans "la tendance" à l’allongement
de la durée du travail sans compensation salariale imposé
à travers un chantage à la délocalisation et aux
licenciements. Ces attaques viennent donner la dimension réelle
à la flexibilité maximum introduite par les 35 heures.
Il est d’ailleurs significatif que l’Allemagne, premier pays
qui avait eu recours à la semaine de 35 heures (voire de 32 heures
dans le cas de Volkswagen) sert aujourd’hui de modèle pour
imposer des heures supplémentaires sans compensation salariale
avec le même type de chantage (voir l’article sur Daimler-Chrysler
et Siemens en page 3). Ainsi, les 800 salariés de chez Bosch
à Vénissieux ont été contraints en juillet
dernier de signer, le couteau sous la gorge, sous peine de licenciement,
un avenant à leur contrat de travail, les obligeant à
travailler une heure de plus par semaine sans compensation salariale,
avec suppression d’un pont et d’un jour férié,
blocage des salaires, "gel" du plan d’intéressement
des salariés aux bénéfices de l’entreprise
pendant 3 ans et des horaires de nuit majorés de 20% au lieu
de 25%. Et encore, cette clause ne doit permettre de "sauver"que
190 emplois sur les 300 menacés. Dans la foulée, une série
d'entreprises ont repris cette "méthode". Entre autes
exemples :
La loi Aubry sur les 35 heures n’a nullement servi à créer
des emplois durables mais a donné une orientation qui a permis
d’introduire une flexibilité maximum dans les contrats de
travail. Elle avait également permis de développer une
hausse significative des cadences, de rogner sur les pauses tout en
masquant le poids du chômage et son ampleur, contrairement à
l’image mystificatrice avancée depuis des années
par la gauche qui cherche encore à présenter les 35 heures
comme un acquis social et qui tente de se faire mousser en criant à
la remise en cause de sa loi. Martine Aubry elle-même doit reconnaître
que "grâce aux 35 heures, nos entreprises ont gagné
de la flexibilité et du coup ont augmenté leur productivité."
(propos rapportés par Lutte Ouvrière du 9 juillet). L’extension
actuelle de l’attaque correspond au fait que, une fois la flexibilité
maximum introduite par les 35 heures, la bourgeoisie peut maintenant
se permettre de rallonger librement la durée du travail tout
en réduisant les coûts salariaux pour faire face à
la crise. Aujourd’hui, l’évolution de la crise pousse
la bourgeoisie à passer à un autre stade pour augmenter
la compétitivité des entreprises en rognant au maximum
sur les salaires (il s’agit d’ailleurs d’une nouvelle
directive du FMI, évoquée dans Le Nouvel Observateur du
19 juillet). Et le chantage à la délocalisation comme
à l’emploi apparaît donc comme une tendance générale
de l’évolution du capitalisme qui permet de faire baisser
partout le coût de la force de travail. Cette attaque frappe non
seulement les ouvriers des pays les plus développés mais
elle implique aussi une surexploitation renforcée et une misère
accrue pour les prolétaires du tiers-monde. Par ces méthodes,
la bourgeoisie pousse chaque prolétaire à se poser en
concurrent de ses frères de classe.
La dégradation des conditions de travail a entraîné
une augmentation sensible des accidents de travail et des maladies professionnelles
au cours de la dernière décennie. Selon un rapport publié
en 2002 par le Bureau International du Travail (BIT), on dénombrait
270 millions de victimes par an dans le monde en 2000 dont 2 millions
de cas mortels. Cette hausse serait selon lui imputable au fait que
le nombre de cas de cancers et de maladies respiratoires d'origine professionnelle
a fortement progressé. Le rapport notait également que
les arrêts de travail pour troubles respiratoires et musculaires
ainsi que les troubles psychiques (stress, harcèlement, dépressions
nerveuses) avaient explosé. Depuis, si d'autres chiffres n’ont
pas été publiés, il ne fait aucun doute que l’accélération
de la productivité et la logique capitaliste qui poussent à
négliger les normes de sécurité pour produire et
rentabiliser avec un coût de revient le plus bas possible n’ont
pu qu’aggraver cette situation.
La hausse constante du coût de la vie, la flambée du prix
des loyers et des produits de première nécessité,
contribuent également à la détérioration
des conditions d'existence.
L’élargissement de l’Europe ou la mondialisation est
invoquée comme responsable de la crise. L’Union européenne
sert ainsi à désigner de nouveaux boucs-émissaires
comme responsables de la crise. Comme naguère les "Arabes",
ce seraient les Tchèques ou les Polonais qui viendraient "manger
le pain des Français". La réalité, c’est
que la main-d’oeuvre d’Europe de l’Est ou dans les pays
soi-disant "émergents" principalement d’Asie ou
d’Amérique latine est amenée à accepter les
pires conditions de travail pour un salaire de misère incapable
même d’entretenir leur survie, c’est une pression, un
chantage énorme pour faire baisser partout les salaires.
La bourgeoisie a également recours à une série
de pièges idéologiques visant à faire croire qu’une
gestion différente pourrait changer la donne. Les syndicats,
les partis de gauche tout comme Attac mettent le plus souvent possible
l’accent sur la possibilité de trouver des solutions gestionnaires
pour continuer "à produire français" en élaborant
des plans de rechange pour sauver telle ou telle entreprise, ou réduire
le nombre de licenciements, "sauver des emplois" (GIAT-Industries,
Altadis, Alstom, Sony, etc.) qui n’ont d’autre fonction que
de chercher à masquer, auprès des ouvriers, la faillite
ouverte du capitalisme tandis que continuent de plus belle les plans
sociaux ou les fermeture d’entreprises avec ou sans rachat (Tati,
Nestlé-Perrier, Peugeot-Motocycles, etc.).
Les ouvriers sont poussés par ces mêmes syndicats et cette
même gauche à se battre contre la privatisation, pour la
défense du service public. Ceux-ci sont les premiers à
leur faire croire qu’ils doivent se réfugier sous l’aile
protectrice de l’Etat. On tend chaque fois des pièges qui
poussent les ouvriers vers la défense du service public et à
s’en remettre à l’Etat pour se défendre.
C’est non seulement une impasse mais un leurre qui prépare
le terrain à une recrudescence des attaques. On voit aujourd’hui
le résultat des "actions" animées et encouragées
par les syndicats en juin/juillet contre la réforme du statut
des employés d’EDF. Le caractère impopulaire des
coupures de courant à EDF et la paralysie des transports publics
qu’elles ont entraînées (alors que la mobilisation
et les "actions" dans ce secteur ont déjà été
utilisées il y a deux mois pour détourner l’attention
de toute la classe ouvrière des attaques sur la Sécurité
Sociale) resservent encore aujourd’hui à la bourgeoisie.
Elles lui ont permis d'entreprendre une vaste campagne d’intimidation
afin de tenter de dissuader un maximum d’ouvriers d’entrer
en lutte en préparant l’instauration d’un service minimum
dans l’ensemble des services publics.
En fait, non seulement l’Etat est un patron comme les autres mais
c’est aussi souvent l’Etat-patron qui donne le ton au développement
des attaques actuelles. Ainsi, on assiste à l’amputation
du budget et à la réduction des postes dans la fonction
publique (suppression de 8 à 10.000 emplois de fonctionnaires)
soi-disant grâce au non-remplacement d’un départ à
la retraite ou d’une mutation sur deux. La Poste projette de fermer
6.000 bureaux principaux appelés "de plein exercice"
sur 12.000 et de supprimer 60.000 emplois sur 289.000
salariés du secteur (20% des effectifs) d’ici 2012. A la
SNCF, la mise en place des guichets automatiques devrait entraîner
une large réduction des effectifs. D’ores et déjà,
les CDD employés pour aider les voyageurs dans les gares sont
privés de prime quand ils travaillent le week-end.
La classe ouvrière ne peut plus se permettre d’entretenir
la moindre illusion : le capitalisme non seulement est incapable
d’améliorer le sort des prolétaires mais l’avenir
qu’il leur réserve sera pire. Si la classe ouvrière
prêtait l’oreille et se laissait anesthésier par le
matraquage idéologique qui l’invite à toujours plus
de "sacrifices", cela ne constituerait qu’un encouragement
pour la bourgeoisie à taper toujours plus fort et plus violemment.
Seul le développement des luttes et l’union grandissante
des ouvriers peut permettre à la classe ouvrière de résister
et de freiner les attaques de la bourgeoisie. C’est le seul moyen,
pour elle, de prendre confiance en ses propres forces, de s’armer
efficacement pour le développement de ses combats de classe.
La classe ouvrière doit reprendre conscience qu’elle est
la seule classe porteuse d’un avenir pour toute l’humanité
en étant la seule capable d’assumer une transformation radicale
des rapports de production et des rapports sociaux.
Après l’attentat terroriste à Madrid le 11 mars 2004,
qui avait frappé au coeur de la population ouvrière se
rendant au travail, le terrorisme n’a jamais cessé de faire
de nouveaux ravages. En Irak, dans les premiers jours du mois d’août,
ce n’est pas moins de six explosions à la voiture piégée
qui ont frappé la communauté chrétienne à
Bagdad et à Mossoul, faisant au moins 10 morts et plusieurs dizaines
de blessés. Les deux premiers attentats ont visé à
Bagdad une église arménienne, et également une
église d’obédience syriaque, ailleurs c’est
un site chaldéen qui a été visé. En Palestine,
les bombes tombent, tout simplement, sur des maisons habitées
par une population sans ressource déjà réduite
à la misère. En Turquie, le 11 août, des attentats
ont visé des hôtels et un dépôt de gaz. Ceux-ci
ont été revendiqués par un groupe se proclamant "Brigade
Abou-Hafa Al Masri", rapporte le quotidien anglais The Independant.
Cette dernière aurait déclaré sur Internet : "Istanbul
n’est que le début de la guerre sanglante que nous avons
promise aux européens". Quels que soient réellement
les auteurs de ces atrocités à Istanbul, à Bagdad
ou à Madrid, ces attentats sanglants ont été calculés
pour semer la peur et la terreur. Le terrorisme en tant qu’arme
de guerre tend à se généraliser. Hier encore, arme
des Etats impérialistes les plus faibles, tels la Syrie ou la
Libye, il devient aujourd’hui l’apanage guerrier privilégié
de toutes les cliques militaires et autres seigneurs de la guerre qui
tendent à proliférer avec l’affaiblissement accéléré
des Etats nationaux. Cette tendance générale de la société
à la désintégration s’impose comme la réalité
barbare du capitalisme mondial en voie de décomposition.
Sous la direction de l’impérialisme américain, des
leaders politiques et religieux d’Irak se sont réunis le
dimanche 15 août à Bagdad afin de tenir la première
session d’une conférence nationale qui aurait pour objectif
officiel d’organiser la tenue d’élections dans ce pays
à l’horizon 2005. Selon The New York Times : "Les
Américains et l’actuel gouvernement irakien entendaient
démontrer, par cette conférence, que le processus électoral
pouvait suivre son cours en dépit des violences qui secouent
le pays." Cette perspective électoraliste est de fait vouée
à un échec total. Pour preuve, selon le quotidien new-yorkais : "Le
jour d’ouverture de la conférence aura été
davantage marqué par les appels à la fin des combats à
Nadjaf que par les futures élections." En effet, à
peine la conférence commencée, deux obus tombent à
proximité nécessitant de suspendre la rencontre. C’est
depuis le jeudi 5 août dernier, que la violence et le chaos ont
à nouveau connu une forte accélération dans tout
le pays. C’est à cette date que le chef radical chiite Moqtada-Al-Sadr
a déclaré "le Djihad (la guerre sainte) contre l’occupant
américain et les forces britanniques, après que ces derniers
eurent arrêté, la veille, quatre de ses hommes" rapporte
Al Hayat (Courrier International du 6 août). Depuis, l’armée
américaine, avec l’aval du gouverneur de la ville Al Zorfi,
assiège Nadjaf. Au moment où nous écrivons, les
hommes de Moqtada Al Sadr sont retranchés autour du mausolée
de l’Imam Ali, site religieux le plus sacré du chiisme mondial,
obligeant le cheikh Jawad Al-Khalessi imam de la grande mosquée
de Kadimiya à déclarer : "Pas plus ce pseudo-gouverneur,
ancien interprète de l’armée américaine choisi
par sa capacité à obéir aux ordres les plus fous,
que quiconque d’autre y compris les plus hautes autorités
religieuses n’a le droit d’autoriser des infidèles
à entrer au mausolée d’Ali." Les combats se
sont alors étendus également à Kout, Amara, Diwaniyah,
Nassiriyah et Bassorah, ainsi que dans le quartier chiite de Sadr City
à Bagdad. Il y aurait à ce jour plusieurs centaines de
morts du côté des miliciens chiites et deux seulement du
côté américain selon un communiqué de l’armée
américaine. Immédiatement tout le pays s’est couvert
de manifestations pro-Al Sadr et anti-américaine. L’Irak
est ainsi plongé en plein chaos et rien ne pourra l’en sortir.
Pas même l'intervention en personne du chef religieux suprême
de la communauté chiite, Al Sistani, pour appeler à un
cessez-le-feu qui ne peut être que provisoire. Les Etats-Unis
sont entraînés, qu’ils le veuillent ou non, dans une
fuite en avant guerrière, expression de leur incapacité
croissante à contrôler un tant soit peu la situation. Les
Etats-Unis conscients de l’accroissement de la résistance
à leur égard ont cherché, selon une proposition
du secrétaire d'Etat Colin Powell discutée en Arabie Saoudite,
d’impliquer militairement des Etats musulmans dans le bourbier
irakien. Cette tentative qui démontre encore une fois l’impasse
totale dans laquelle se trouve l’impérialisme américain,
est immanquablement vouée à l’échec. Le ministre
égyptien des affaires étrangères n’a pas mis
longtemps pour déclarer que l’Egypte n’enverrait pas
de troupes. Le retrait des troupes américaines de Nadjaf serait
un aveu total d’impuissance de leur part et un encouragement fantastique
à la guerre à leur égard. Par ailleurs, la prise
de Nadjaf et du haut lieu du culte chiite de la ville provoquerait un
véritable séisme dans l’ensemble du monde chiite
et musulman. Ce serait inévitablement un facteur très
important de l’accélération de la contestation américaine,
de la guerre, du chaos, et du terrorisme dans l’ensemble de la
région. Quelle que soit la suite des évènements
liés au siège de Nadjaf, l’impérialisme américain
ne pourra se retrouver que face à une radicalisation encore plus
grande de la violence et de la résistance des Chiites non seulement
en Irak mais, également, dans l’ensemble des pays arabes
où ils sont présents.
Dans ce panier de crabes où chacun ne défend que ses propres
intérêts impérialistes, il est certain que l’Iran
n’est pas étranger ni politiquement, ni militairement à
la révolte chiite en Irak. C’est pour cela que nous avons
vu, ces derniers temps, une série de menaces provenir de Washington
et de l’administration américaine. Colin Powell lui même,
le 1er août dernier, de Bagdad, a accusé l’Iran de
se mêler aux affaires irakiennes. La guerre en Irak ne manque
pas d’affecter ainsi l’ensemble de la région, du Kurdistan
à la Turquie en passant par l’Iran : toute la région
est happée progressivement dans un processus de déstabilisation
et de chaos. En Irak, les Etats-Unis étalent ouvertement aux
yeux du monde entier leur affaiblissement accéléré
en tant que première puissance impérialiste mondiale.
Cet état de fait ne peut que réjouir et renforcer la détermination
de ses principaux concurrents sur l’arène mondiale, tels
la France, l’Allemagne ou même la Russie.
La campagne anti-Iran menée par les Etats-Unis et relayée
par Israël se matérialise également sur la question
de son programme nucléaire. Lors d’une conférence
de presse en août dernier, le ministre de la défense américaine
D.Rumsfeld a déclaré : "L’Iran a été
sur la liste des Etats terroristes pendant plusieurs années et
une des grandes inquiétudes du monde concerne les liens entre
un Etat terroriste qui possède des armes de destruction massive
et des réseaux terroristes. Il est compréhensible que
les nations, non seulement dans la région, mais dans le monde
entier, soient profondément inquiètes." Il est impossible
d ‘exclure la possibilité que dans sa fuite en avant
guerrière, le prochain pas de l’impérialisme américain
puisse se faire en Iran. Même si les Etats-Unis, particulièrement
affaiblis, auraient intérêt dans l’avenir à
s’appuyer sur l’Iran, rejoignant dans cette politique suicidaire
et toujours plus barbare l’Etat israélien, un article du
Sunday Times du 15 juillet cite "des sources israéliennes"
selon lesquelles Israël "a achevé ses répétitions
pour une frappe contre l’Iran" et "ne permettra en aucun
cas que des réacteurs iraniens, notamment celui de Bushehr, en
construction avec l’aide des Russes, atteignent le niveau critique…Dans
le pire des cas, si les efforts internationaux échouent, nous
sommes tout à fait confiants que nous pourrons démolir
d’un coup les aspirations nucléaires des ayatollahs."
Cette politique guerrière de fuite en avant se manifeste également de manière barbare au Moyen-Orient. Une des conséquences majeures du développement du chaos dans cette partie du monde est l’éclatement en cours de l’Autorité palestinienne. Celle-ci a été créé dans la foulée des accords d’Oslo, qui ont accordé en 1993 un embryon d’autonomie aux territoires palestiniens. Elle représentait le socle du futur Etat palestinien, qui devait se concrétiser au bout d’une période transitoire de cinq ans. Cette perspective illusoire d’une stabilisation du Moyen-Orient s’est transformée en une situation radicalement contraire, faite de massacres, d’assassinats, de bombardements et d’attentats permanents, d’où aucun Etat palestinien ne pourra sortir. C’est la décomposition avancée de cette partie du monde, sous la poussée de la politique expansionniste et guerrière d’Israël qui fait perdre à l’Autorité palestinienne ses derniers attributs de puissance. Même si Arafat essaie encore de sauvegarder sa place en tant que président de cette Autorité, cela n’empêche pas ses acolytes de se disputer de plus en plus violemment les attributs du pouvoir. L’Autorité palestinienne, minée par la corruption, laisse ainsi libre cours à ses tensions internes, produit de l’impuissance totale de la bourgeoisie palestinienne. Et même si la "brouille" entre le leader palestinien Yasser Arafat et son premier ministre actuel Ahmed Qorei a pu se résoudre momentanément, rien ne pourra éviter dans l’avenir l’éclatement de l’Autorité palestinienne et la poursuite du développement de bandes armées radicalisées utilisant le désespoir des populations pour se lancer dans des actions terroristes toujours plus suicidaires et aveugles. L’Etat israélien, sous la houlette de l’administration Sharon, ne peut en effet que poursuivre sa politique guerrière visant à écraser toute résistance palestinienne et à poursuivre la colonisation totale de la Cisjordanie. A cet effet, l’Etat israélien continue de manière accélérée la construction du mur autour de la Cisjordanie, transformant cette région en un immense camp de concentration. La contestation de Sharon au sein de son propre parti et son désir d’impliquer la gauche israélienne de S.Perez au gouvernement, tout en traduisant l’affaiblissement de la cohésion de la structure étatique israélienne, ne pèseront d’aucun poids dans la politique guerrière de l’Etat hébreu. Les évènements au Moyen-Orient contiennent tous les ingrédients susceptibles de provoquer une déstabilisation de l’ensemble de la région, de la Jordanie au Liban en passant par l’Egypte et l’ensemble des pays du golfe arabique. Mais encore, l’altercation entre le président de la République française, Jacques Chirac, et Sharon à propos des menaces qui existeraient à l'encontre de la communauté juive en France, démontre que la montée des tensions impérialistes affecte également gravement les relations entre la France et Israël, relayant ainsi les tensions franco-américaines.
L’affaiblissement accéléré des Etats-Unis en tant que première puissance impérialiste du monde ne peut qu’encourager toutes les autres puissances, et en premier lieu la France et l’Allemagne, à défendre leurs propres intérêts, poussant autant que possible les Etats-Unis à s’enliser dans des bourbiers militaires tels que l’Irak actuellement. Cette situation de développement permanent de foyers de guerres, de massacres, de génocides et d’attentats est en elle-même un facteur d’accélération de l’ensemble du chaos mondial et donc de la décomposition de la société capitaliste. Aucun changement d’équipe gouvernementale en Israël, aux Etats-Unis ou ailleurs ne peut modifier une telle perspective. L’arrivée éventuelle de Kerry à la tête du gouvernement américain avec le départ de Bush ne changera fondamentalement en rien cette réalité : la politique impérialiste de fuite en avant des Etats-Unis. "Invoquer l’incompétence de tel ou tel chef d’Etat comme étant la cause des guerres, permet à la bourgeoisie de masquer la réalité, de cacher l’effroyable responsabilité que porte le capitalisme décadent et avec lui l’ensemble de la classe bourgeoise mondiale" ( "Le véritable responsable, c’est le capitalisme", Revue internationale N°115). C’est l’ensemble du capitalisme mondial confronté à l’accélération de sa crise économique qui sombre implacablement dans la décomposition et le chaos.
Tino (26 août)Mi-juillet, Daimler a posé un ultimatum à ses employés de Sindelfingen-Stuttgart (Bade-Würtemberg) : soit ils acceptent de sacrifier certains de leurs "avantages"[1] [5] permettant d’obtenir des réductions de coûts de production, soit la fabrication de la nouvelle Mercedes classe-C sera transférée à Brême et à East London (en Afrique du Sud).
En réponse, le syndicat de la métallurgie IG Metall a appelé, le 15 juillet, à des grèves et des manifestations de protestation des salariés de Daimler. Le syndicat justifiait son «attitude combative» par le fait que l’entreprise avait fait 5,7 milliards d’euros de bénéfices l’an dernier.
Soixante mille ouvriers de chez Daimler, principalement les équipes du matin, se mirent en grève et manifestèrent dans toute l’Allemagne[2] [6] où ils reçurent le soutien des populations locales. La participation des ouvriers à Brême, où pourtant étaient supposés arriver 6000 des emplois pouvant être supprimés à Stuttgart, ne fut ni moins nombreuse ni moins combative qu’ailleurs.
Cette journée d’action a montré une colère considérable, mais aussi de réels sentiments de solidarité dans les rangs ouvriers. Dans les manifestations, les ouvriers ont souvent dénoncé le développement d’un chantage du même type dans d’autres entreprises et les tentatives d’imposer davantage d’heures travaillées sans compensation salariale. Pour eux, l’enjeu était de briser la logique patronale illustrée par l’accord intervenu chez Siemens dans les usines de Bocholt et Kamp-Lindfort impliquant un retour aux 40 heures «en échange» de la non-délocalisation en Hongrie.
Durant cette journée d’action, le gouvernement et les politiciens ont commencé à faire pression sur Daimler pour que la direction arrive à un accord rapidement en faisant un geste de bonne volonté consistant à accepter 10% de diminution des salaires directoriaux. Le mouvement de protestation se poursuivit avec 12.000 ouvriers en grève le 17 juillet à Sindelfingen et des manifestations dans la région de Stuttgart dès le début de la semaine suivante. Des ouvriers d’autres usines de Stuttgart, et même les porte-parole d’une «initiative des ouvriers employés précaires», auraient participé à ces manifestations (bien que nous supposons qu’il se soit agi, pour l’essentiel, de délégués syndicaux).
Des négociations s’ouvrirent le jeudi 24, l’IG Metall «menaçant» d’appeler les 160.000 employés de Daimler à la grève si un accord n’était pas conclu. Il fut signé le vendredi, satisfaisant toutes les exigences de la direction en échange de la «garantie de l’emploi» jusqu’à la fin de 2011.
Il va de soi que les médias, le patronat et les syndicats saluèrent cet accord comme une victoire de la raison et un modèle pour sauver l’emploi en Allemagne. La réaction des ouvriers fut différente, montrant une grande colère. Des ouvriers protestèrent énergiquement contre le fait que le syndicat et le conseil d’usine avaient signé un tel accord en leur nom, ce pour quoi ils n’étaient pas habilités. Mais de telles scènes ne furent évidemment pas montrées aux informations télévisées du soir.
Il est clair que les ouvriers ont subi une défaite et qu’ils savent que les syndicats y sont pour quelque chose. Si, durant le mouvement, il ne semble pas y avoir eu la moindre contestation des syndicats, suite à cette défaite, une première réflexion sur leur rôle est à même de se développer dans un bastion syndical comme Daimler où les ouvriers sont adhérents à l’IG Metall à environ 90%.
Notre section en Allemagne
est intervenue à travers un tract dans ces luttes. Nous en reproduisons
ci-dessous l’essentiel.
(Ici voir ri349/tract_CCI_solidarite.htm [7]
)
[1] [8] La «pause-pipi» de 5 minutes toutes les heures ; la méthode de décompte des heures supplémentaires de nuit, permettant que soit payée une heure de plus que dans les autres usines de Mercedes. De plus, par rapport à leurs collègues de Brême, ils bénéficient de trois jours de congés annuels supplémentaires.
[2] [9] Daimler emploie 160 000 ouvriers dans toute l’Allemagne, dont 41 000 à Sindelfingen et 15 500 à Brême, 20 900 à Untertürkheim, également dans la région de Stuttgart, et 5200 à Düsseldorf.
Le patronat semble avoir obtenu ce qu’il recherchait. Des millions de salariés ont été envoyés en vacances avec la nouvelle que la plus grande compagnie européenne industrielle, sur le site de Mercedes à Stuttgart-Sindelfingen, est en train de faire des économies sur les coûts de production, à hauteur d’un demi-million d’euros, aux dépens de ses employés. On veut nous faire bien savoir que, même là où les entreprises ont fait des profits, les ouvriers sont impuissants face au chantage à la délocalisation de la production et sous la menace de licenciements massifs. Pendant la période des vacances, nous sommes supposés nous résigner devant l’obligation de travailler plus pour des salaires moindres. Précisément au moment où les forces ouvrières sont dispersées pendant les vacances d’été, où, dans l’isolement, le sentiment d’impuissance est particulièrement ressenti, ils veulent nous faire croire qu’une brèche a été ouverte. Une brèche aux dépens des ouvriers qui ne concerne pas que les ouvriers de Daimler-Chrysler, mais tous les esclaves salariés.
Quelques semaines seulement après que le personnel des usines
de Siemens à Bocholt et Kamp-Linfort eût cédé
au chantage le forçant à accepter un retour à la
semaine de 40 heures sans aucune compensation de salaire ; après
la décision prise en Bavière pour allonger la journée
de travail sans compensation salariale, y compris dans le secteur public,
le patronat a commencé à réclamer – selon
les cas – l’allongement de la semaine de travail à
40, 42, voire 50 heures. A Karstadt, par exemple (dans un secteur commercial),
on a dit aux employés : soit vous travaillez 42 heures,
soit 4000 emplois seront supprimés. Que ce soit dans le secteur
de la construction, chez Man ou chez Bosch, partout la même exigence
a été mise en avant.
L’expérience des semaines passées confirme ainsi
ce que de plus en plus de travailleurs commencent à ressentir :
l’économie de marché (avec ou sans le discours «social»)
n’a rien à offrir que la paupérisation, l’insécurité
et la misère sans fin.
En plus de la reconnaissance amère mais nécessaire de
cette réalité, d’autres leçons des conflits
des semaines passées doivent être tirées et assimilées.
Suite aux luttes à Daimler-Chrysler, la classe dominante veut
nous amener à penser que cela ne sert à rien d’opposer
une résistance, que la logique de la compétition capitaliste
s’imposera d’une façon ou d’une autre et qu’il
est donc préférable de se soumettre au point de vue selon
lequel, après tout, les exploiteurs et les exploités sont
dans le même bateau, pour «maintenir l’emploi en Allemagne».
Du point de vue de la classe ouvrière, ce sont des conclusions
tout à fait différentes qui doivent être tirées.
Plus de 60.000 ouvriers de Daimler-Chrysler ont participé
ces dernières semaines à des grèves et à
des actions de protestation. Des ouvriers de Siemens, Porsche, Bosch
et Alcatel ont participé à des manifestations à
Sindelfingen. Ces actions montrent que les ouvriers ont commencé
à reprendre le chemin de la lutte. Face à la perspective
d’une aggravation de la souffrance et de la misère pour
les ouvriers du monde entier dans les années à venir,
le plus important n’est pas que, une fois de plus, les capitalistes
se soient organisés pour imposer leur volonté mais bien
le fait que, cette fois-ci, les attaques n’ont pas été
acceptées passivement.
Daimler-Chrysler a joué consciemment la carte de la division
entre les ouvriers des différentes usines, en menaçant
de suppressions d’emplois les sites de Sidelfingen, Untertürkheim
et Mannheim au profit de celui de Brême avec le déplacement
vers ce dernier, à partir de 2007, de la production des nouveaux
modèles de classe-S. Le fait que les salariés de Brême
aient participé aux manifestations de protestation contre les
baisses de salaires, contre l’allongement du temps de travail et
l’élimination de sites dans le Bade-Würtemberg a certainement
constitué l’élément le plus important de ces
luttes. En faisant en partie échec à la stratégie
du patronat, ceux-ci ont, par leur action, mis en évidence que
la réponse ouvrière à la crise du capitalisme ne
se trouve que dans la solidarité ouvrière. Cette solidarité
est la force qui rend possible la lutte et qui lui donne toute sa signification.
La classe dominante veut nous donner l’impression que la lutte
chez Mercedes ne l’a pas du tout impressionnée. Mais si
l’on examine attentivement les événements des derniers
jours, on s’aperçoit alors que la classe dominante a, en
réalité, été très attentive à
l’expression de la résistance de la classe ouvrière.
Elle craint en effet par-dessus tout que les dépossédés
prennent conscience que la solidarité est non seulement l’arme
la plus efficace au service de la défense de leurs propres intérêts,
mais aussi contient le principe fondamental d’un ordre social supérieur
alternatif à la société actuelle.
Ce n’est pas un hasard si, immédiatement après le
retour aux 40 heures hebdomadaires chez Siemens dans la région
de la Ruhr, un autre défi énorme et public allait être
lancé aux ouvriers de Daimler-Chrysler. Siemens a servi d’avertissement
aux ouvriers : partout où ils seront menacés de fermetures
d’usines, il leur faudra accepter des conditions de travail et
de salaires aggravées, et davantage d’heures de travail.
Chez Mercedes à Stuttgart, il n’était pas question
–pour le moment- de fermer l’usine, celle-ci étant
encore considérée comme efficace et rentable. Daimler-Chrysler
a été choisi pour lancer un second message : l’aggravation
sans limite de l’exploitation ne doit pas seulement s’appliquer
là où l’entreprise ou l’usine est acculée
le dos au mur. Toutes les entreprises sont concernées. Daimler-Chrysler
constitue précisément la vitrine de l’industrie allemande :
la plus grande concentration de la classe ouvrière industrielle
en Allemagne, au cœur du Bade-Würtemberg avec ses centaines
de milliers d’ouvriers de l’industrie. La signification du
message fort et clair des capitalistes est la suivante : si la
fraction de la classe ouvrière la plus forte, connue pour son
expérience de la lutte et sa combativité, ne peut s’opposer
à de telles mesures, alors la classe ouvrière nulle part
ailleurs en Allemagne ne le pourra.
Ce n’est pas un hasard si le patronat a réuni ses forces
dans ce qui est appelé des syndicats d’employeurs. Ceux-ci
leur permettent de coordonner leurs efforts contre la classe ouvrière.
De plus, ces organismes sont intégrés dans l’appareil
d’Etat. Ceci signifie que la stratégie du patronat est liée
à une stratégie globale qui est dirigée par le
gouvernement aux niveaux national et régional, et donc à
la social-démocratie au pouvoir. Au sein de cette stratégie,
une sorte de division du travail s’opère entre le gouvernement
et les entreprises. La plupart des réformes décidées
par le gouvernement fédéral et directement mises en application
par l’Etat sont habituellement programmées durant la première
moitié du mandat. Ainsi, ces deux dernières années
ont vu la mise en place des attaques les plus incroyables contre le
niveau de vie des ouvriers : la «réforme de la santé»,
la législation «Hartz» contre le chômage, «l’assouplissement»
des lois sur la protection des chômeurs, etc. A présent,
dans la période conduisant aux prochaines élections générales,
le SPD n’est pas mécontent de laisser le patronat prendre
l’initiative des attaques, avec l’espoir que la population
continuera à s’identifier avec l’Etat, à aller
voter, et à ne pas perdre totalement confiance dans la social-démocratie.
Il ne faut donc pas être dupe des déclarations du SPD soulignant
ses sympathies avec les ouvriers de Daimler-Chrysler. En réalité,
les attaques actuelles sont directement liées aux «réformes»
du gouvernement fédéral. Ce n’est certainement pas
une coïncidence si l’envoi très médiatisé
d’un nouveau questionnaire aux chômeurs (destiné à
identifier et utiliser leurs ressources financières propres et
celles de leurs familles afin de diminuer leurs allocations) a surgi
au moment même où les attaques contre Daimler se développaient.
La fusion des allocations chômage de longue durée avec
l’aide sociale minimum, ainsi que la surveillance et le contrôle
renforcés des chômeurs, servent à «soulager»
le budget de l’Etat de la charge des plus pauvres parmi les pauvres.
Mais il sert aussi à intensifier l’efficacité de
tous les moyens possibles de chantage contre ceux qui ont encore un
emploi. Pour ceux-ci, il doit être clair que s’ils élèvent
la voix et n’acceptent pas tout ce qu’on leur demande, alors
ils seront eux-mêmes plongés dans une pauvreté sans
fond.
Mais le fait que les attaques du capital ne soient pas acceptées
sans combat est attesté non seulement par les mobilisations à
Daimler, mais aussi par la façon dont la classe bourgeoise y
a réagi. Il est devenu rapidement évident que les politiciens,
les syndicats, le conseil syndical d’usine, mais aussi le patronat,
avaient réalisé que le conflit à Daimler devait
être résolu aussi rapidement que possible. La stratégie
capitaliste fut, au début, orientée de façon à
opposer les ouvriers de Sttutgart à ceux de Brème. La
résistance des ouvriers du Sud-Est de l’Allemagne, plus
confiants en eux-mêmes et immédiatement attaqués,
était attendue. Mais ce qui surprit fut l’enthousiasme avec
lequel les ouvriers de Brème participèrent au mouvement.
Le spectre de la solidarité ouvrière, longtemps considérée
comme morte et enterrée, ou tout au moins déclarée
comme telle, menaçait de revenir. Face à cela, les représentants
du capitalisme devinrent visiblement nerveux.
Aussi, les porte-parole des partis politiques représentés
au parlement –y compris les libéraux du FDP, le parti auto-déclaré
des riches– commencèrent à interpeller la direction
de Daimler-Chrysler pour qu’elle consente à accepter une
diminution de ses appointements. Bien sûr, une telle mesure n’était
que poudre aux yeux. La direction décidant de ses salaires, elle
a toujours le pouvoir de compenser de telles «diminutions».
De plus, ce n’est pas cela qui va aider les ouvriers à payer
l’éducation de leurs enfants ou leur loyer.
Pourquoi les dirigeants politiques ont-ils appelé une direction
patronale à de tels gestes ? Pour propager l’idéologie
du partenariat social, risquant d’être mise à mal
par un conflit social.
C’est pour la même raison que les politiciens ont déchaîné
leurs critiques contre l’arrogance des patrons. Ce qu’il y
a de problématique dans la situation présente où
les patrons assument seuls les attaques, tandis que l’Etat, se
déguisant en force neutre, essaie de rester dans l’ombre,
c’est quand cela devient visible. Des patrons comme Schremp ou
Hubbert n’ont pas la finesse de la social-démocratie quand
il s’agit d’infliger une défaite exemplaire à
la classe ouvrière tout en évitant de trop la provoquer.
La classe dominante redoute par-dessus tout que les ouvriers commencent
à trop penser à leur propre lutte et aux perspectives
de leur vie dans le capitalisme. Dans ce contexte, les critiques faites
par le chancelier Schröder sont significatives : «Mon
avis est de laisser ces problèmes au sein des entreprises, et
d’en parler aussi peu que possible.» (souligné par
nous)
Depuis que le stalinisme s’est effondré –forme de
capitalisme d’Etat particulièrement inefficace, rigide et
hyper réglementée– il a été répété
à satiété qu’il n’y a plus aucune perspective
pour le socialisme et que la lutte des classes et la classe ouvrière
n’existaient plus. Mais rien n’est plus probant que de grandes
luttes de la classe ouvrière pour montrer au monde que, ni la
classe ouvrière, ni la lutte des classes ne sont des choses du
passé.
Nous ne voulons pas surestimer les luttes à Daimler. Elles ne
sont pas suffisantes pour empêcher que soit ouverte une nouvelle
«brèche» capitaliste dans les conditions de vie des
ouvriers. D’abord parce que le conflit est resté essentiellement
limité aux ouvriers de Daimler. Toute l’histoire montre
que seule l’extension de la lutte aux autres fractions de la classe
ouvrière est capable, même temporairement, de faire reculer
la bourgeoisie. De plus, cette lutte n’a, à aucun moment,
commencé à remettre en cause le contrôle syndical.
L’IG Metall et le conseil local d’usine se sont montrés,
une fois encore, maîtres dans l’art de mettre au centre des
questionnements ce qui «distinguait» la situation des ouvriers
de Mercedes de celle d’autres ouvriers : la rentabilité
des uns vue comme leur «propre» problème, les réserves
des carnets de commandes comme l’affaire de chaque usine, l’efficacité
plus prisée des ouvriers métallurgiques du Bade-Würtemberg.
Cela a permis que soit enrayée une solidarité plus active,
plus forte. Les médias, de leur côté, ont enfourché
le même thème en mettant en avant la jalousie existant
à l’encontre des ouvriers de Daimler, présentés
comme étant particulièrement privilégiés.
Il était frappant, par exemple, de voir les médias rendre
compte quotidiennement de la situation à Sindelfingen (où
les passages pour piétons faits de marbre n’ont pas manqué
d’être mentionnés) alors que la situation à
Brême (où les éléments de solidarité
étaient plus explicitement présents) était totalement
passée sous silence.
Bien avant même que ne soient devenues publiques les exigences
de la direction de faire un demi-million d’économies annuelles,
le conseil d’usine avait déjà proposé une
austérité de l’ordre de 180 millions d’euros
par an. Et dès que la direction a accepté la mise en scène
consistant à «participer aux sacrifices», l’IG
Metall et le conseil d’usine ont exprimé un «accord
global» pour un plan satisfaisant en tous points les exigences
de la direction mais présenté comme une victoire pour
les ouvriers puisque permettant prétendument la «garantie
de travail» pour tous.
Ce n’est pas parce qu’ils seraient l’incarnation du diable
que les syndicats divisent les ouvriers et défendent les intérêts
de l’entreprise aux dépens des exploités, mais parce
qu’ils font partie depuis longtemps du capitalisme et sont partie
prenante de sa logique. Cela signifie par contre que la solidarité
ouvrière, l’extension des luttes, ne peuvent être
réalisées que par les ouvriers eux-mêmes. Ceci exige
des assemblées de masse souveraines, un mode de lutte dirigé
vers la participation directe de différents secteurs des ouvriers
au travail et des chômeurs. Cela ne peut être réalisé
qu’en dehors et contre les syndicats.
Nous sommes encore loin d’une telle pratique de lutte autonome
fondée sur la solidarité active. Cependant, déjà
aujourd’hui, sont perceptibles les germes de ces combats futurs.
Les ouvriers de Daimler étaient eux-mêmes tout à
fait conscients qu’ils ne se battaient pas que pour eux-mêmes
mais pour les intérêts de tous les ouvriers. Il est aussi
incontestable que leur lutte – malgré les campagnes haineuses
sur les privilèges accordés à Sindelfingen- a rencontré
la sympathie de la classe ouvrière dans son ensemble, ce qui
ne s’était pas vu depuis la grève de Krupp Rheinhausen
en 1987.
A l’époque, les ouvriers de Krupp avaient commencé
à poser la question de l’extension active de la lutte vers
d’autres secteurs et à remettre en cause le contrôle
syndical sur la lutte. Le fait qu’aujourd’hui ces questions
ne soient pas encore réellement posées montre tout le
terrain que la classe ouvrière a perdu ces quinze dernières
années, en Allemagne comme dans le reste du monde. Mais, d’un
autre côté, des combats comme celui de Krupp, ou celui
des mineurs britanniques, avaient signifié la fin d’une
série de luttes ouvrières qui a duré de 1968 à
1989 et qui a été suivie d’une longue période
de reflux. Les luttes actuelles, au contraire, que ce soit dans le secteur
public en France et en Autriche l’an passé, ou maintenant
à Daimler, sont le début d’une nouvelle série
de luttes sociales importantes. Elles se développeront de façon
plus difficile et plus lente que par le passé. Aujourd’hui,
la crise du capitalisme est beaucoup plus avancée, la barbarie
générale du système beaucoup plus visible, la calamité
menaçante du chômage bien plus omniprésente.
Mais aujourd’hui, bien plus que ce ne fut le cas à Krupp-Rheinhausen,
la grande vague de sympathie pour les ouvriers en lutte qui a gagné
la population est plus directement liée à la reconnaissance,
qui se fait jour progressivement, de la gravité de la situation.
La classe dominante et ses syndicats s’activent à présenter
l’allongement de la durée de travail imposée comme
une mesure temporaire afin de garder des emplois jusqu’à
ce que «la compétitivité ait été retrouvée».
Mais les ouvriers commencent à comprendre que ce qui se passe
est beaucoup plus fondamental que cela. En effet ! Ce sont les
acquis, pas seulement de décennies mais de deux siècles
de luttes ouvrières qui sont menacés d’être
liquidés. Ce qui se passe, c’est que la journée de
travail, comme aux débuts du capitalisme, s’allonge de plus
en plus mais dans les conditions de travail du capitalisme moderne,
avec l’enfer de l’intensification du travail. Il se passe
que, de plus en plus, la force de travail humaine, en tant que source
des richesses de la société, est dépréciée
et est à long terme vouée à disparaître.
Tout cela ne constitue pas le signe de la naissance douloureuse d’un
nouveau système, mais est au contraire l’expression d’un
capitalisme moribond qui est devenu un obstacle au progrès de
l’humanité. A long terme, les efforts incertains d’aujourd’hui
vers une résistance ouvrière, vers le retour à
la solidarité, vont de pair avec une réflexion en profondeur
sur la situation. Ceci peut et doit conduire à remettre en question
ce système barbare, dans la perspective d’un système
social supérieur, socialiste.
Le Soudan en tant qu’Etat national est le produit de la lutte
des puissances coloniales pour se répartir l’Afrique au
19e siècle. C’est l’impérialisme anglais qui
réalisa cette création dans le but, d’une part de
stopper l’avancée de ses rivaux français, allemands,
et italiens, et d’autre part pour asseoir sa domination sur le
Nord, le Centre et l’Est de l’Afrique. Le Soudan a des frontières
avec l’Egypte, la Libye, le Kenya et l’Ouganda, tous ces pays
étaient d’anciennes colonies britanniques. Ce pays avait
également des frontières avec les colonies rivales de
l’Angleterre : le Congo belge, le Tchad sous contrôle
de la France et l’Abyssinie (Ethiopie) gouvernée par l’Italie.
Pour imposer sa loi, l’impérialisme anglais écrasa
sans pitié la population qui s’était soulevée,
comme lors de la bataille d’Omdurman en 1898 quand des rebelles,
armés de façon rudimentaire, furent massacrés par
les armes sorties des dernières technologies de l’impérialisme
britannique «démocratique et civilisateur.»
Dans la redistribution impérialiste qui a suivi la Seconde Guerre
mondiale, l’impérialisme britannique fut obligé d’abandonner
son empire africain. A cette époque, l’Afrique devint l’un
des principaux champs de bataille de la période de la guerre
froide entre le bloc américain et le bloc soviétique.
Le Soudan était pleinement partie prenante de cette situation
surtout à partir des années 1960. Profitant du mécontentement
des fractions nationalistes du Sud, le bloc russe tenta de déstabiliser
les fractions pro-américaines au pouvoir. Ce soutien devint plus
marqué lorsque la partie pro-russe de la bourgeoisie éthiopienne
renversa Haïlé Selassié au début des années
1970. La principale fraction du Sud, l’armée de libération
du peuple soudanais (ALPS) était armée et entraînée
en Ethiopie.
En riposte, les Etats-Unis et le bloc de l’Ouest armèrent
et instruisirent l’Etat soudanais non seulement pour réprimer
l’ALPS mais encore pour soutenir les forces rebelles en Ethiopie.
Dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin,
le gouvernement soudanais essaya de se débarrasser de la tutelle
américaine et de mener sa propre politique impérialiste.
A nouveau aujourd’hui, contrairement à ce que voudrait nous
faire croire la bourgeoisie, ce génocide n’a pas pour cause
essentielle la confrontation entre des groupes ethniques depuis bien
longtemps opposés. On veut nous expliquer que cette guerre oppose
deux tribus principales : d’un côté les négro-africains
(Fours, Zaghawas, etc..) et, de l’autre, des tribus d’origine
arabe en oubliant cyniquement de préciser que ces ethnies sont
entièrement armées et manipulées par différentes
puissances impérialistes, petites et grandes. Cette nouvelle
généralisation des combats se développe en effet
au moment où l’impérialisme américain pensait
avoir réussi à contrôler le Soudan. C’est depuis
l’attentat terroriste de 2001 à New York et dans le cadre
de leur campagne «guerre totale au terrorisme», que les
Etats-Unis ont entrepris de tenter de mettre au pas le gouvernement
central de Khartoum, prétextant pour cela leur lien avec le terrorisme
international. L’impérialisme américain avait notamment
réussi à imposer un cessez-le-feu et à faire signer
«un accord de paix définitif» entre le gouvernement
et le principal mouvement rebelle du Sud-Est (ALPS) de John Garang.
Mais après comme avant le «plan de paix», le gouvernement
et les fractions rebelles s’étaient déjà pleinement
impliqués dans le conflit du Darfour, démontrant ainsi
ouvertement l’incapacité de l’impérialisme américain
d’imposer sa loi au Soudan.
En effet, le Darfour, région de la taille de la France, est
ensanglanté par une guerre opposant une rébellion locale
soutenue par l’ALPS et sans aucun doute le Tchad, aux milices Janjawid
soutenues par le gouvernement de Khartoum. Face à l’échec
de leur politique en direction du gouvernement central, la Maison Blanche
a immédiatement réagi : «le voyage de
C.Powell, le premier d’un haut responsable américain au
Soudan depuis vingt-cinq ans, est intervenu au moment où les
Etats-Unis lançaient un projet de résolution censé
infliger des sanctions aux milices gouvernementales, qui sont accusées
de meurtres et de viols de villageois au cours des seize derniers mois»,
note The Washington Post (Courrier International du 24 août 2004).
Villepin, pour la France, puis Kofi Annan, pour l’ONU, se sont
à leur tour précipités afin d’apporter leur
«bonne parole», ouvrant ainsi la porte à l’envoi
de forces militaires françaises à la frontière
du Tchad et du Soudan. «Malgré la suspicion des pays arabes
autour de l’intervention éventuelle de forces occidentales
dans le Darfour, le Tchad et l’Egypte, deux pays voisins du Soudan
se sont félicités de la décision de la France.»
( Courrier International du 3 août). Quant à la Grande-Bretagne,
ne pouvant rester en dehors de cette vaste foire d’empoigne entre
requins impérialistes, elle s’est déclarée
prête, par l’entremise de son premier ministre Tony Blair
à «envoyer 5000 hommes dans le Darfour si Khartoum le lui
demande. « (Courrier International du 24 août). C’est
bien avec le plus grand cynisme que les grandes puissances impérialistes
du monde, utilisant le sang des populations civiles à travers
des guerres permanentes et des génocides à répétition,
s’affrontent continuellement en Afrique centrale et de l’Est.
Tous les pays y sont aujourd’hui livrés à l’anarchie
et au pillage : Centre-Afrique, RDC, Côte-d’Ivoire,
Ouganda, Burundi, Angola…Les alliances entre Etats autochtones
et autres seigneurs de la guerre s’y modifient perpétuellement
en fonction des offres les plus alléchantes des différentes
grandes puissances : du Tchad d’Idriss Deby aujourd’hui
plutôt soutenu par la France au boucher Kadhafi qui s’est
rapproché ces derniers temps des Etats-Unis. En fin de compte,
au Darfour comme ailleurs en Afrique noire, il y a bien la sale présence
permanente des grands vautours impérialistes dans toutes les
zones en conflits.
Le Soudan se trouve ainsi au milieu d’un affrontement inter-impérialiste
entre bandes armées locales, petits et grands impérialistes
dont la population civile ne pourra que continuer à faire les
frais. Dans une situation où personne ne peut imposer sa loi
et en premier lieu les Etats-Unis, la porte est ouverte aux pires exactions,
au chaos et à l’anarchie. Le Soudan vient à son tour
confirmer que l’affaiblissement accéléré de
l’autorité de la première puissance impérialiste
du monde contribue fortement à l’accélération
à l’échelle de la planète, de conflits qui,
comme sur l’ensemble du continent africain, ne peuvent que concourir
à une décomposition sociale et à une barbarie toujours
plus monstrueuses.
Nous publions ci-dessous
la première partie du compte-rendu d'une réunion publique du Bureau
International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) qui s'est tenue le 15 mai à
Berlin, à laquelle le CCI a participé, et portant sur les causes de la guerre
impérialiste. La seconde partie de ce compte-rendu sera publiée dans le
prochain numéro de RI. Si nous avons pensé nécessaire d'accorder une telle
place pour répercuter les arguments échangés au cours de cette discussion, cela
tient évidemment à l'intérêt du débat qui s'y est déroulé. De plus, cela
permettra utilement à tout élément intéressé de mieux connaître ce qui unit et
ce qui distingue, sur cette question de la guerre, les deux principales
organisations de la Gauche communiste.
Un porte-parole de Battaglia
Comunista[1] [14] a
fait la présentation qui portait sur les fondements de la guerre en Irak et la
politique actuelle des Etats-Unis. Le camarade a développé l’analyse du BIPR,
selon laquelle "la croisade américaine contre le terrorisme" avait
principalement des buts économiques : le renforcement du contrôle
américain sur les réserves de pétrole dans le monde, de façon à consolider
l’hégémonie du dollar sur l’économie mondiale et de récupérer un profit
supplémentaire de la "rente pétrolière". Suite à l’affaiblissement de
leur compétitivité, les Etats-Unis doivent recourir à l’appropriation
parasitaire de la plus-value produite dans le monde entier pour maintenir leur
économie à flot. De plus, il a été dit que des considérations stratégiques
jouent aussi un rôle, souvent en lien avec le contrôle des réserves de pétrole,
visant à séparer la Russie et la Chine l’une de l’autre et des champs
pétrolifères importants, et à faire en sorte que l’Union Européenne reste
faible et divisée.
Cette analyse a suscité différentes réactions de la part des participants à la
réunion publique. Alors qu’un camarade des "amis d’une société sans
classe" (FKG) –qui avait d’abord été un fondateur du groupe
"Aufbrechen"- saluait la capacité du BIPR d’identifier les causes
économiques concrètes de la guerre, le porte-parole du groupe GIS ("Gruppe
Internationale Sozialistinnen") exprimait des doutes sur cette analyse. Il
soulignait que le fait pour les Etats-Unis d'acquérir des liquidités
financières internationales est d’abord et avant tout l’expression d’une
politique classique d’endettement. De plus, il a réaffirmé le point de vue
qu’il avait déjà défendu à la précédente réunion publique du BIPR, à savoir que
les efforts pour dominer militairement les ressources pétrolières ont des buts
plus militaires qu’économiques. Un membre du groupe "International
Communists", pour sa part, relevait qu’il n’y a pas que les Etats-Unis,
mais aussi les autres grandes puissances impérialistes, et en premier lieu les
Etats européens, qui se battent actuellement pour dominer le monde. Il exposait
la thèse selon laquelle, alors que les Etats-Unis mettaient surtout leur
puissance militaire dans la balance, les banques européennes y mettaient
principalement leur pouvoir économique.
Dans sa première contribution à la discussion, le CCI a traité de l’argumentation du BIPR. Selon ces arguments, les Etats-Unis ont dans une grande mesure perdu leur compétitivité sur le marché mondial. De façon à compenser les effets de cet affaiblissement –déficits gigantesques de la balance commerciale et des comptes, dette publique croissante, l’Amérique déclenche la guerre aux quatre coins du monde en vue d’attirer du capital, via le contrôle du pétrole et l’hégémonie du dollar.
Du point de vue du CCI, cette analyse est très dangereuse politiquement parce qu’elle examine les causes de la guerre impérialiste à partir de la situation particulière d’un Etat donné au lieu de le faire à partir du stade de développement et de maturité des contradictions du système capitaliste dans son ensemble. Rien d’étonnant alors à ce que cette analyse soit similaire aux grandes lignes des arguments du camp anti-mondialisation pro-européen, ou des sociaux-démocrates de gauche allemands comme Oskar Lafontaine, qui expliquent l’aiguisement des tensions impérialistes par le caractère soi-disant particulièrement parasitaire de l’économie américaine.
En second lieu, cette analyse est incapable de répondre aux deux questions suivantes :
En réalité, le Bureau International confond ici cause et effet. Ce n'est pas parce qu'elle a perdu de sa compétitivité que l’Amérique s’arme jusqu’aux dents. A l'inverse, c'est cette perte réelle de son avantage dans la concurrence économique qui résulte des efforts qu'elle a consentis dans la course aux armements. Une telle évolution n’est pas, de plus, une spécificité de l’impérialisme américain. Le principal rival de longue date de l’Amérique, l’URSS, s’était déjà écroulée en grande partie pour s’être armée jusqu’à la mort. La vérité, c’est que le gonflement du budget militaire, aux dépens du développement des forces productives, et l’assujettissement progressif de l’économie au militarisme, sont des caractéristiques essentielles du capitalisme pourrissant.
En troisième lieu, il est vrai que dans le capitalisme, crise et guerre sont inséparables. Mais ce lien entre les deux n’est pas celui de la thèse simpliste de la guerre pour le pétrole ou pour l’hégémonie du dollar. Le lien réel entre les deux, on peut le voir, par exemple, dans la constellation qui a conduit à la Première Guerre mondiale. A cette époque, il n’y avait pas de dépression économique comparable à celle qui a éclaté plus tard, en 1929. La crise de 1913 avait encore à la base un caractère de crise cyclique et était en réalité relativement modérée. Il n’y avait pas de crise commerciale, du budget de l’Etat ou de la balance des comptes en Grande-Bretagne, en Allemagne ou chez les autres principaux protagonistes, comparable de quelque façon que ce soit à la crise d’aujourd’hui, il n'y avait pas non plus de turbulences monétaires particulières (à cette époque, l’étalon-or était universellement reconnu). Néanmoins, la première conflagration impérialiste mondiale a eu lieu. Pourquoi ? Quelles sont les lois générales de l’impérialisme qui sont à la base de la guerre moderne ?
Plus un Etat capitaliste est développé, plus la concentration de son capital est puissante, plus grande est sa dépendance vis-à-vis du marché mondial, plus il dépend de l’accès aux ressources du globe, et de sa domination sur elles. C’est pourquoi, à l’époque de l’impérialisme, chaque Etat est contraint d’essayer d’établir une zone d’influence autour de lui. Les grandes puissances considèrent nécessairement que le monde entier est leur zone d’influence –rien de moins ne suffit à sécuriser les fondements de leur existence. Plus la crise économique est forte, plus la bataille pour le marché mondial est forte, et plus ce besoin est ressenti de façon impérieuse.
L’Allemagne a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne en 1914, non pas à cause de sa situation économique immédiate, mais parce que, pour une telle puissance dont le sort dépendait de plus en plus fortement de l’économie mondiale, il n’était plus tolérable que son accès au marché mondial dépende en grande partie du bon vouloir de la Grande-Bretagne, la puissance dominante sur les océans et sur une grande partie des colonies. Cela signifie que la bourgeoisie allemande a choisi d’agir déjà au préalable, de façon à essayer de renverser la situation, avant qu’elle n’empire, comme ce sera le cas en 1929 où elle sera exclue en grande partie du marché mondial par les vieilles puissances coloniales, face à la dépression mondiale. C’est ce qui explique pourquoi, au début du 20e siècle, la guerre mondiale s’est produite avant la crise économique mondiale.
Le fait que les puissances capitalistes entrent de plus en plus brutalement en conflit les unes avec les autres signifie que les guerres impérialistes mènent de façon croissante à la ruine mutuelle des Etats qui participent à ces conflits. Rosa Luxembourg avait déjà souligné cela en 1916 dans sa Brochure de Junius. Mais la dernière guerre en Irak le confirme aussi. L’Irak était autrefois, à la périphérie du capitalisme, une des sources les plus importantes de grands contrats lucratifs pour l’industrie européenne et américaine. Aujourd’hui, non seulement la crise économique du capitalisme, mais surtout les guerres contre l’Iran et l’Amérique, ont complètement ruiné l’Irak. L’économie américaine elle-même subit un nouveau coup du fait des dépenses militaires exorbitantes en Irak. Derrière l’idée que la guerre actuelle a été déclenchée à cause de spéculations monétaires ou d’une prétendue "rente pétrolière" se cache le fait de croire que la guerre est encore lucrative, que le capitalisme est encore un système en expansion. Il n’y a pas que la politique des Etats-Unis mais aussi le terrorisme des Ben Laden et Cie qui a été interprété dans ce sens par le porte-parole de Battaglia qui présente ce dernier comme étant l’expression d’une tentative des "200 familles d’Arabie saoudite" d'acquérir une plus grande part des profits de leur propre production de pétrole.
Après que le BIPR et le CCI aient tous les deux présenté leurs propres points de vue sur les causes de la guerre, un débat intéressant et vivant a eu lieu. On pouvait remarquer que les participants à la réunion étaient très intéressés à mieux connaître les positions des deux organisations présentes de la gauche communiste, insistant pour que les deux groupes se répondent l’un l’autre. Les camarades ne se limitaient pas à poser des questions mais ont porté eux-mêmes des objections et fait des critiques.
Par exemple, un camarade du FKG a accusé le CCI de "basse polémique" sur la base de notre comparaison entre l’analyse du BIPR et celle du mouvement anti-mondialisation. Il a souligné que faire ressortir le rôle d’agresseur des Etats-Unis aujourd’hui n’avait rien de commun avec la minimisation du rôle de l’impérialisme européen faite par ses sympathisants bourgeois. Il a montré, ce qui est correct, que dans le passé aussi, les internationalistes prolétariens avaient analysé le rôle d’Etats particuliers dans le déclenchement des guerres impérialistes, sans pour autant se rendre coupables de concessions à l’égard des rivaux de ces Etats.
Toutefois, la critique faite par le CCI ne concernait pas l’identification des Etats-Unis comme principal fauteur des guerres actuelles, mais concernait le fait que les causes de ces guerres ne se trouvaient pas dans la situation de l’impérialisme dans son ensemble, mais se réduisaient à la situation spécifique des Etats-Unis.
Le porte-parole de Battaglia, pour sa part, ne niait pas du tout la ressemblance entre l’analyse faite par son organisation et celle de différents courants bourgeois. Il donnait pour argument, cependant, que cette analyse, dans les mains du BIPR, s’enracinait dans une vision du monde tout à fait différente, une vision prolétarienne. Ce qui est encore le cas, heureusement. Mais nous maintenons qu’une telle analyse ne peut qu’affaiblir non seulement l’efficacité de notre combat contre l’idéologie de la classe ennemie, mais surtout qu’elle ne peut que saper la fermeté de notre propre point de vue prolétarien.
A notre avis, la ressemblance entre l’analyse du BIPR et le point de vue bourgeois pour l’opinion courante est le résultat du fait que les camarades ont eux-mêmes adopté une approche bourgeoise. C’est cette démarche que nous avons appelé empirisme, et par là nous voulons dire la tendance de fond de la pensée bourgeoise à être entraînée sur de fausses pistes par certains faits particuliers remarquables, au lieu de découvrir, grâce à une approche théorique plus profonde, le lien réel entre les différents faits. Un exemple de cette tendance du BIPR a pu être donné, pendant la discussion, par la façon dont il présentait le fait que, sans l’afflux constant de capital étranger, l’économie américaine s’effondrerait ; pour cette organisation, cela constituerait la preuve que la guerre d’Irak servait à obliger les autres bourgeoisies à prêter de l’argent à l’Amérique. En réponse à cela, nous avons rappelé que ce qui est certain, c’est que sans ces prêts et ces investissements, l’économie des Etats-Unis subiraient un repli ; c’est déjà en soi une obligation suffisante pour faire que les capitalismes japonais et européen continuent à acheter des actions et des bons américains. Ils ne survivraient pas eux-mêmes à un effondrement des Etats-Unis[2] [15].
Dans la seconde partie de cet article sera abordée plus explicitement la question du lien existant entre la crise économique et guerre impérialiste à la lumière de la critique marxiste des fondements mêmes de l'économie capitaliste. En particulier, sera critiquée cette idée défendue par le BIPR selon laquelle "une destruction généralisée ouvrirait la route à une nouvelle phase d’accumulation", autrement dit à une nouvelle phase de prospérité capitaliste.
Welt Revolution[1] [16] Organisation fondatrice, avec la CWO, du BIPR.
[2] [17] Nous pourrions ajouter ici que, malgré leur rivalité avec les Etats-Unis, ses rivaux continueront à placer leurs capitaux dans l’économie la plus stable qui existe, puisque ce pays, dans le futur prévisible, restera, militairement et économiquement, le pays le plus fort du monde.
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[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/59/irak
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/56/moyen-orient
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[5] https://fr.internationalism.org/ri349/greve_Mercedes.htm#_ftn1
[6] https://fr.internationalism.org/ri349/greve_Mercedes.htm#_ftn2
[7] https://fr.internationalism.org/RI349/tract_CCI_solidarite.htm
[8] https://fr.internationalism.org/ri349/greve_Mercedes.htm#_ftnref1
[9] https://fr.internationalism.org/ri349/greve_Mercedes.htm#_ftnref2
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/38/allemagne
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[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/interventions
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[14] https://fr.internationalism.org/ri347/reunion_publique_guerre.htm#_ftn1
[15] https://fr.internationalism.org/ri347/reunion_publique_guerre.htm#_ftn2
[16] https://fr.internationalism.org/ri347/reunion_publique_guerre.htm#_ftnref1
[17] https://fr.internationalism.org/ri347/reunion_publique_guerre.htm#_ftnref2
[18] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques