La bourgeoisie présente à sa façon l'avenir qu’elle nous prépare à l’orée de ce nouveau siècle. Elle affirme que de grands défis attendent l'humanité. Elle prétend qu’une nouvelle ère de prospérité du capitalisme s’est ouverte avec les valeurs de la nouvelle économie, qu’une nouvelle "révolution post-industrielle" est en marche grâce à l'essor et au développement des technologies nouvelles, que l’Internet mis à la portée du grand public préfigure un changement radical des comportements sociaux. Ces promesses s’accompagnent de bobards sur le futur retour au plein-emploi, la résorption du chômage, l’accroissement du temps libre. Bref, ça ira mieux demain. Ce tableau d’un futur presque idyllique ne correspond nullement à la réalité que vivent quotidiennement dans leur chair les ouvriers.
La classe dominante et ses médias nous assurent également que le vingtième siècle a été marqué par la faillite du communisme, qui ne peut être au mieux qu'un idéal utopique et dans la plupart des cas que le masque du pire des totalitarismes. C’est pourquoi elle nous raconte que la classe ouvrière est maintenant devenue une force sociale rétrograde, voire une espèce en voie de disparition et que la lutte de classe est une notion inopérante, ringarde ringarde et dépassée. Elle met donc en avant que le seul facteur porteur d’un progrès social ne pourrait venir que de la défense de la démocratie, de la montée en puissance des revendications et des mobilisations citoyennes, qu’elle nous présente comme un recours contre les excès et les dérives de la "mondialisation".
Tout cela n’est qu'un tissu de mensonges ! Cette propagande n’est qu’une arme que se donne la bourgeoisie pour tenter d’éloigner le prolétariat de la prise de conscience de la force révolutionnaire qu’il représente et le détourner des véritables enjeux de la situation.
Au tournant de ce siècle, les contradictions fondamentales entre le capital et le travail dans les rapports de production, l'antagonisme entre les intérêts de ce système d’exploitation et ceux de la classe ouvrière non seulement sont toujours là mais ne cessent de s’exacerber. Partout, dans le monde, c’est la même paupérisation croissante des prolétaires, sous la pression des attaques frontales, massives, incessantes de la bourgeoisie : productivité accrue, détérioration accélérée des conditions de vie et de travail, blocage ou diminution des salaires, poursuite des licenciements massifs, généralisation de la précarité, attaques contre la protection sociale (retraites, santé).
Non seulement le capitalisme réduit aujourd’hui à la misère une partie de plus en plus large de la population mondiale, mais il constitue une menace pour la survie de toute l’humanité.
C'est une évidence : le monde capitaliste se vautre déjà dans la barbarie. La multiplication des guerres et des foyers de massacres condamne la population de régions entières du globe à être les victimes de la folie meurtrière de l’impérialisme des nations, des plus grandes puissances aux plus petites alors que la sophistication technologique est entièrement mise au service du perfectionnement d’engins de mort toujours plus meurtriers et ravageurs.
C'est la course effrénée aux profits capitalistes qui génère des catastrophes écologiques, des maladies nouvelles ou des empoisonnements de la nourriture de plus en plus nombreux et dont les effets polluants ou toxiques sont irrémédiables. Tous ces éléments sont révélateurs de la faillite du système capitaliste sous toutes ses formes. Il ne peut rien apporter demain que davantage de misère, de guerres, de décomposition sociale. Il porte déjà en lui, à terme, la destruction, la disparition convulsive de l’humanité.
Face à cela, la bourgeoisie cherche à masquer qu'il existe une force sociale porteuse d’un autre avenir pour l'humanité. Seule la classe ouvrière, même si elle n’en a pas clairement conscience aujourd’hui, est capable de s’opposer à cette issue fatale, non pas par la force d’une croyance idéologique, mais parce qu'elle est d’un point de vue historique, la première et la seule classe exploitée qui constitue en même temps une force révolutionnaire. Comme classe exploitée et opprimée et de par la place spécifique qu'elle occupe dans les rapports sociaux de production, elle a les moyens de s’affirmer comme classe révolutionnaire et de renverser le capitalisme. Elle est la productrice essentielle de l’accumulation de la richesse sociale dont le niveau déjà atteint au sein du capitalisme permettrait la redistribution sociale communiste selon le principe de "à chacun selon ses besoins". Seule la classe ouvrière a les moyens d'abolir toutes les formes de propriété, de privilèges et d’exploitation et de réaliser le communisme. Produisant cette richesse de manière associée et collective, étant entièrement dépossédée des moyens de production, elle est contrainte de vendre sa force de travail, elle n’a donc aucun moyen comme classe exploitée de devenir à son tour une classe dominante et exploiteuse sur le terrain économique parce qu’elle n’a aucun intérêt économique particulier à défendre au sein de l’ancienne société. Ses seules forces reposent sur l’existence de l’unité de ses intérêts à l’échelle internationale et sur l’affirmation de sa conscience politique. Elle n’a "à perdre que ses chaînes et un monde à gagner", comme l'affirmait déjà Marx dans Le Manifeste Communiste de 1848.
Aujourd’hui comme au 19e ou au 20e siècle, la classe ouvrière n'a rien à attendre du capitalisme mais elle est nécessairement amenée à se battre de façon unitaire au-delà d’intérêts corporatistes contre les coups que lui porte la bourgeoisie. C’est dans cette lutte qu’elle forgera sa confiance en ses propres forces, en ses propres capacités révolutionnaires. Elle en a les moyens et elle n'a pas d’autre choix. De l'issue de ces combats qui seront le véritable enjeu majeur du 21e siècle dépendent l'avenir et la survie de l'humanité toute entière.
Le sommet de l’Union Européenne à Nice aurait pu passer quasiment inaperçu sans que personne ne s’en inquiète. Ce type de réunions technocratiques autour de thématiques totalement éloignées des préoccupations quotidiennes n’a rien qui puisse en faire l’événement à la une des médias. Ce ne fut pourtant cette fois-ci vraiment pas le cas.
Le mercredi 6 décembre, à la veille du sommet, ce sont déjà environ 70 000 personnes qui se sont retrouvées dans la rue, dont 60 000 derrière les banderoles de la CES (confédération européenne des syndicats, à laquelle appartiennent en France la CFDT et plus récemment la CGT). Sur la base de revendications "constructives" axées sur "l’Europe Sociale", le cortège s’est résumé à une démonstration de force dans le plus grand calme. Les 10 000 manifestants restants, en queue de cortège et membres de syndicats dits "radicaux" et d’organisations "antimondialistes" diverses, attendaient leur heure.
Car c’est en effet le lendemain que les choses se sont gâtées. Pourtant, ce qui impressionne en premier n’est pas le nombre de manifestants (2500 à 3000) mais celui des organisations présentes : "syndicalistes de SUD et de la CGT espagnole (anarcho-syndicaliste), membres d’Attac (…), du DAL (…), de Droits Devant !, de la LCR ou d’Alternative Libertaire, "invisibles" italiens, trotskistes grecs, autonomes allemands, ainsi qu’une kyrielle d’anarchistes et d’écologistes d’obédience diverse auxquels se sont joints de jeunes basques radicaux" (Le Monde du 9 décembre). Tout ce petit monde, qui souvent d’ailleurs ne demande que cela, n’a pas tardé à goûter aux provocations de la police : lacrymogènes sans retenue avant même que le cortège ne se mette en branle, plusieurs dizaines d'arrestations, quelques condamnations sommaires, l’impossibilité de réserver des salles pour les réunions ou l’hébergement, et surtout l’épisode le plus relaté, le blocage à la frontière du train affrété par les "invisibles" italiens, qui s’est soldé par plusieurs échauffourées et quelques blessés. D’autres ont retrouvé leurs voitures renversées à deux pas des cordons de police… Même le Front National a été réveillé afin d’aller manifester face aux gauchistes !
Bref, toute "l’internationale citoyenne" issue des manifestations de Seattle lors du sommet de l’OMC il y a un an s’est retrouvée pour rejouer la même scène. Et, comme à Seattle, elle a été plus que probablement "aidée" par la présence de provocateurs de la police infiltrés dans les manifestations, histoire que le show soit plus spectaculaire. Voilà comment l’eurosommet a servi de prétexte pour faire mousser à nouveau ce mouvement "antimondialisation" qui, de Seattle à Millau et Prague, fait décidément beaucoup parler de lui, de manière largement encouragée par la machine médiatique et étatique.
C'est ainsi que les médiatisations des événements de Nice ne se sont pas privées d'opposer la première manifestation, pacifique procession appelée par les grandes centrales syndicales et dont la massivité n'a ému personne, à la seconde, tellement plus radicale et prête à en découdre avec les forces de l'ordre qui a tout de même réussi à perturber quelque peu la tenue du sommet. Dès les premiers heurts de la seconde, les déclarations affluaient. Lionel Jospin d’abord opérait une distinction entre "les démonstrations des organisations syndicales pacifiques" et l’action "de petits groupes violents qui défigurent les causes qu’ils prétendent défendre" (Le Monde du 9 décembre). Un politologue dira plus tard : "Même s’il y avait 2% de radicaux violents, ils ne peuvent occulter les 98% qui travaillent sur le fond" (Libération de 9 et 10 décembre). Les dirigeants "radicaux" s’y mettent aussi : la Confédération Paysanne de Bové parlera de "minorité minoritaire", SUD de "mômes, âgés de 16 à 20 ans maxi, au discours plutôt minimaliste" (ibid).
D’un côté, on nous présente donc des syndicats organisés, puissants et pacifiques, qui manifestent derrière des revendications "constructives" dans des défilés bien encadrés. De l’autre, des mobilisations de "citoyens", apparemment plus "subversives", incluant des actions moins contrôlables et plus "sauvages", sur un thème faussement radical et fédérateur : "l'anti-mondialisation".
L'agitation antimondialiste passe ainsi pour une "alternative" radicale aux défilés ronronnants et parfaitement institutionnalisés des syndicats. Elle se présente, et on la présente, comme une voie à suivre pour tous ceux qui cherchent à se battre sur un terrain anticapitaliste. Mais cela n'est qu'un leurre, une illusion et un piège.
Nous avons déjà montré comment la focalisation sur la prétendue nouveauté que serait la "mondialisation" est une mystification qui cherche à détourner toute véritable dénonciation du capitalisme. Elle ne fait que masquer l’aggravation de la crise du capitalisme et l’exacerbation de la concurrence entre Etats (dans un marché déjà mondial depuis près d'un siècle !) et partant, des attaques toujours plus dures sur les conditions de vie du prolétariat 1 [2].
Les tenants de l'anti-mondialisation et leurs mobilisations "citoyennes" développent, en vérité, derrière un discours d'apparence radicale, une propagande profondément nationaliste et fondamentalement bourgeoise : la défense de "l'intérêt national" et de l'Etat contre les différents organismes internationaux mis en place par les Etats eux-mêmes, qu'ils aient nom OMC, Union européenne ou FMI. Elles participent pleinement de toutes les assourdissantes campagnes médiatiques à la gloire de la démocratie bourgeoise, en occupant, en leur sein, le créneau de "la base" et des "citoyens", par opposition à celui des partis politiques et du jeu électoral, particulièrement discrédités. Mais elles jouent le même rôle : celui de masquer les antagonismes de classe de la société et de renforcer l'illusion que l'Etat bourgeois pourrait être "au service du peuple", pour peu que les "citoyens" s'en mêlent. Exit la lutte de classe donc au profit de celle de "citoyens" qui, bourgeois et prolétaires confondus, devraient s'unir pour défendre les prérogatives de l'intérêt national (qui ne peut être que l'intérêt du capital national !) et de l'Etat contre tout ce qui peut le "menacer".
En canalisant ceux qui rejettent les syndicats et leur rôle de saboteurs et de tampons sociaux vers la défense de causes aussi étrangères à la classe ouvrière que la défense de la production nationale ou régionale, la revendications d'échanges commerciaux "plus respectueux des intérêts nationaux" ou le respect des prétendues "libertés démocratiques", la bourgeoisie cherche surtout à éviter tout débordement de la combativité ouvrière sur un terrain de classe. S'en remettre aux syndicats ou se placer sur le terrain interclassiste du "combat citoyen", voilà le faux choix qu'on propose aux prolétaires à la recherche d'une perspective. Et la bourgeoisie sait bien que, tant que la réponse ouvrière aux coups de plus en plus durs que la crise du capitalisme impose à ses conditions de vie sera enfermée dans de tels faux choix, elle pourra dormir sur ses deux oreilles.
H (15 décembre 2000)
1 [3] Voir la Revue Internationale n°86, "Derrière la ‘mondialisation’ de l’économie, l’aggravation de la crise du capitalisme [4]" et RI n° 297 et 304.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/cours-historique
[2] https://fr.internationalism.org/ri/308_antinice.htm#sdfootnote1sym
[3] https://fr.internationalism.org/ri/308_antinice.htm#sdfootnote1anc
[4] https://fr.internationalism.org/rinte86/mondialisation.htm
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/forums-sociaux
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anti-globalisation