"On a gagné!", scandait au soir du 29 mai le "peuple de gauche", sur la place de la Bastille. "Cette victoire est avant tout celle des ouvriers, des employés, des jeunes, des sans-emploi (qui ) se sont ainsi rassemblés jusque dans les urnes pour rejeter cette camisole libérale", déclarait Marie-George Buffet, secrétaire nationale de PCF , ajoutant : "Cette victoire s'est construite (…) dans une dynamique de rassemblement populaire qui évoque les grands moments du Front populaire ou de mai 1968" ; "C'est un triomphe de l'Europe des citoyens" proclamait David Assouline, député PS partisan du Non ; "C'est une victoire contre les élites politico-médiatiques", renchérissait Bernard Cassen d'Attac tandis que le trotskiste Besancenot de la LCR évoquait un "mouvement de revanche sociale" ; "C'est un Mai 68 dans les urnes", déclarait même un commentateur européen.
La gauche est en première ligne pour présenter la victoire du Non au référendum sur la Constitution européenne comme "une grande victoire de la classe ouvrière". Mensonge ! Pure escroquerie idéologique ! La classe ouvrière n'a rien gagné. Au contraire, elle a été piégée, poussée hors de son terrain de classe dans une impasse. La bourgeoisie a exploité ses échéances électorales afin de pourrir la conscience ouvrière en profitant des illusions encore très fortes dans les rangs des prolétaires envers la démocratie et le terrain électoral.
Les prolétaires doivent apprendre à tirer les leçons des expériences amères de leurs aînés. Ils doivent se souvenir que ce qui leur a toujours été présentée comme de "grandes victoires ouvrières", a toujours représenté les pires défaites et les plus dangereuses pour leur classe. Ainsi, en 1936, cet avènement du gouvernement de Front populaire encore aujourd'hui présenté comme une "grande victoire" pour les ouvriers, alors que ce gouvernement de Front populaire a permis à la bourgeoisie d'embrigader massivement derrière le drapeau de l’anti-fascisme les ouvriers dans les horreurs et les massacres de la Seconde Guerre mondiale. C'est au nom du grand mensonge du "triomphe de la dictature du prolétariat", "de la victoire du socialisme dans un seul pays"" et des "avancées dans la construction d'une société communiste" que des générations entières de prolétaires ont été entraînés et sacrifiés sur l'autel de la contre-révolution stalinienne pendant plus d'un demi-siècle derrière une idéologie de la "défense de la patrie socialiste", mais aussi exploités, massacrés, déportés, emprisonnés par " la patrie du socialisme". Plus près de nous, ils doivent garder en mémoire l'euphorie trompeuse qui a suivi l'élection de Mitterrand en 1981.
Les prolétaires sont tombés dans le piège qui lui présentait cette consultation électorale comme un enjeu pour elle. Rien n'est plus mensonger. La bourgeoisie exploite aujourd'hui cette situation pour accentuer son avantage et intoxiquer davantage la conscience des ouvriers, en lui faisant croire que le bulletin de vote serait plus efficace que la lutte de classe, même si les effets de cette propagande ne peuvent que s'effacer très rapidement face à la réalité.
L'énorme et incessant battage électoral sur le référendum, matraqué pendant plus de trois mois, n’avait qu’un seul but : faire avaler aux prolétaires le grossier mensonge selon lequel le moyen le plus efficace de faire reculer la bourgeoisie et de faire entendre leur voix, d'exprimer leur ras le bol, n’était pas le développement de la lutte de classe mais le bulletin de vote.
Une campagne idéologique mensongère
De l'extrême droite aux organisations gauchistes, l'incessant battage idéologique, dramatisé à souhait depuis plus de trois mois, ne visait qu'à attirer et à rabattre un maximum de prolétaires sur le terrain électoral.
En effet, la bourgeoisie aura réussi à polariser l'attention des ouvriers, à semer les pires confusions, à brouiller les pistes pour ramener un maximum d'ouvriers sur le terrain électoral. Le référendum était omniprésent dans tous les médias. Il n'était pas possible d'échapper aux virulents débats, aux polémiques enflammées sur les supposés enjeux de ce scrutin. Ce matraquage idéologique tentait de persuader chaque "citoyen", surtout chaque prolétaire, que cette consultation représentait un enjeu absolument crucial et déterminant. Toutes les fractions de la bourgeoisie se sont ainsi félicitées d'avoir pu lancer et animer "un grand débat démocratique" dont le seul résultat aura été de déboussoler, de semer un maximum de confusion et d'illusions dans la tête des ouvriers. Tous les médias et certains responsables politiques l'ont proclamé : "votez oui ou votez non mais votez ! ". Le principal poison idéologique distillé dans cette campagne a été de faire croire que "rien ne serait plus comme avant", que la montée du Non, dopée par le mécontentement social envers le gouvernement, avait contraint la bourgeoisie à mettre la préoccupation sociale au centre de sa campagne. Cela est en partie vrai, mais le seul but de cette manœuvre était de pousser les ouvriers dans le piège démocratique, dans le piège électoral, dans la mesure où, auparavant, cette campagne suscitait à juste titre l'ennui et le désintérêt le plus complet au sein de la classe ouvrière. C'est à partir du moment où la bourgeoisie est parvenue à canaliser le mécontentement social autour du référendum, à faire croire qu'elle pouvait reculer en retirant la directive Bolkestein (le gouvernement cédant même quelques miettes dans les conflits sociaux) qu'elle est parvenue à relancer et à redonner un nouveau souffle à la mystification démocratique et au terrain électoral. Mais, maintenant la bourgeoisie voudrait nous faire croire que dans l'après-référendum, désormais, la parole, la priorité, seront au social. C'est un mensonge. Plus que jamais, l'avenir que nous réserve le capitalisme, c'est l'intensification des attaques anti-ouvrières. Cette propagande idéologique cherche à faire prendre des vessies pour des lanternes, faire croire que la réaction "citoyenne" peut changer le cours du capitalisme, infléchir la bourgeoisie et barrer la route au libéralisme et aux délocalisations. La politique gouvernementale ne va pas changer d'un poil.
Le principal objectif de la bourgeoisie vis-à-vis des prolétaires dans n'importe quelle élection est de les pousser à abandonner le terrain collectif de la lutte de classe pour s'exprimer en tant que "citoyen", atomisés, sans appartenance de classe, dans le bien nommé "isoloir," sur un terrain pourri d'avance et qui n'est nullement le leur, mais celui de la bourgeoisie. Pour la classe ouvrière, le terrain électoral est un piège idéologique destiné à semer les pires confusions et à empêcher le développement de sa conscience de classe.
Les élections ne sont qu'une mystification
Il n'en a pas toujours été ainsi. Au 19e siècle, les ouvriers luttaient et se faisaient tuer pour obtenir le suffrage universel. Aujourd'hui, inversement, ce sont les gouvernements qui mobilisent tous les moyens dont ils disposent pour que le maximum de citoyens aillent voter. Pourquoi ?
Pendant la période d'ascendance du capitalisme, les parlements représentaient le lieu par excellence où les différentes fractions de la bourgeoisie s'affrontaient ou s'unissaient pour défendre leurs intérêts. Malgré les dangers et les illusions que cela pouvait entraîner, les travailleurs, dans une période où la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour, avaient intérêt à intervenir dans ces affrontements entre fractions bourgeoises et, au besoin, soutenir certaines fractions bourgeoises contre d'autres, afin de tenter d'améliorer leur sort dans le système. C'est ainsi que les ouvriers en Angleterre ont obtenu la réduction à 10 heures de leur journée de travail en 1848, que le droit syndical a été reconnu en France en 1884, etc.
Mais la situation est devenue totalement différente depuis le début du 20e siècle. La société capitaliste est entrée dans sa période de crise permanente et de déclin irréversible. Le capitalisme a conquis la planète et le partage du monde entre les grandes puissances est terminé. Chaque puissance impérialiste ne peut s'approprier de nouveaux marchés qu'aux dépens des autres. Ce qui s'ouvre, c'est une nouvelle "ère des guerres et des révolutions", comme le déclarait l'Internationale Communiste en 1919, une ère marquée par les effondrements économiques comme la crise de 1929, les deux guerres mondiales et l'irruption révolutionnaire du prolétariat en 1905 en Russie, de 1917 à 1923 en Russie, Allemagne, Hongrie, Italie. Pour faire face à ses difficultés croissantes, le capital est contraint de renforcer constamment le pouvoir de son Etat. De plus en plus, l'Etat tend à se rendre maître de l'ensemble de la vie sociale et, en premier lieu, dans le domaine économique. Cette évolution du rôle de l'Etat s'accompagne d'un affaiblissement du rôle du législatif en faveur de l'exécutif. Comme le dit le deuxième Congrès de l'Internationale Communiste : "Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du Parlement."
Pour les travailleurs, il ne peut plus être question de s'aménager une place dans le capitalisme mais de le renverser dans la mesure où ce système n'est plus capable de leur octroyer ni réformes durables ni amélioration de leur sort.
Pour la bourgeoisie, le parlement est devenu tout au plus une chambre d'enregistrement de décisions qu’elle prend ailleurs.
Reste un rôle idéologique de l'électoralisme qui reste déterminant . La fonction mystificatrice de l'institution parlementaire existait déjà au 19e siècle mais elle se situait au second plan, derrière sa fonction politique. Aujourd'hui, la mystification est la seule fonction qui reste pour la bourgeoisie : elle a pour but de faire croire que la démocratie est le bien le plus précieux, que l'expression de la souveraineté du peuple, c'est la liberté de choisir ses exploiteurs. La démocratie parlementaire et surtout la mystification de l'idélologie démocratique reste le meilleur moyen d'empoisonner la conscience ouvrière et l'arme idéologique la plus efficace et dangereuse pour domestiquer le prolétariat.
Les attaques antiouvrières n'ont pas cessé au cours de ces derniers mois et dès le lendemain de cette échéance électorale, les prolétaires verront leurs conditions de vie et de travail se détériorer encore plus fortement et rapidement. La bourgeoisie cherche à gagner du temps pour repousser les échéances de confrontations plus massives avec le prolétariat. Elle est amenée de plus en plus à trouver des parades idéologiques et à déployer le maximum d'efforts pour freiner la prise de conscience de la faillite du système capitaliste au sein de la classe ouvrière. Comme nous l'écrivions le mois dernier, "le résultat de ce vote ne changera pas quoi que ce soit à l'intensification des attaques antiouvrières menées par les différentes bourgeoisies nationales, à l'accélération de la dégradation des conditions de vie des prolétaires, aux licenciements, aux délocalisations, à la montée du chômage et de la précarité, à l'amputation de tous les budgets sociaux, au démantèlement accéléré de la protection sociale. Ce sont les produits de la crise et les manifestations de la faillite du système capitaliste au niveau mondial".
Face à l'angoisse de l'avenir qui est au cœur des préoccupations ouvrières actuelles, la réponse n'est ni sur le terrain électoral ni de la démocratie, il est dans le développement de la lutte de classe, le seul terrain sur lequel les ouvriers peuvent répondre aux attaques de la bourgeoisie.
Wim (30 mai)
Il y a 60 ans, le 8 mai 1945, jour même de l'armistice qui signait la victoire pour les Alliés, la "victoire de la liberté et de la démocratie" sur le nazisme, l'Etat français déchaînait ses forces de répression en Algérie, dans le Constantinois, à l'est du pays. La perspective de retrouver un monde en paix était déjà devenue une pure illusion. La barbarie n'était pas morte, elle ne s'était pas éteinte avec la chute du nazisme mais était bel et bien le pain quotidien du monde capitaliste dont les Etats démocratiques, avec leurs appétits impérialistes insatiables, étaient les plus gros consommateurs. En mai 1945, comme dans tout l'empire colonial français, la manifestation pour célébrer "la victoire des forces démocratiques" était précisément d'abord une manifestation pour réclamer du pain, rationné deux fois plus pour les Algériens que pour les Français. Les partis nationalistes qui exploitaient ce mécontentement avaient appelé à cette manifestation, notamment les dirigeants "modérés" des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) de Ferhat Abbas et aussi les nationalistes plus radicaux du Parti Populaire Algérien (PPA) interdit dès 1939 et dont le leader Messali Hadj se trouvait déjà emprisonné. A Sétif, la manifestation rassemblait de 8 à 10 000 personnes. Un drapeau national algérien est brandi malgré l'interdiction d'arborer des banderoles ou des slogans anti-coloniaux, et son porteur est mitraillé sur-le-champ. Cet événement est le point de départ des émeutes. Les tueries s'engagent des deux côtés. Une atroce et sanglante répression s'ensuivit. En deux mois, 102 Européens étaient massacrés. Du côté algérien, le chiffre des morts -même approximatif- n'a jamais pu être établi, les chiffres des historiens variant généralement entre 15 et 45 000 victimes. Déjà, des incidents s'étaient produits à l'occasion des manifestations du 1er mai précédent à Bône, Oran, Alger faisant 4 morts et 13 blessés. Le débarquement anglo-américain et les encouragements des Américains, hostiles à la présence coloniale française, avaient dopé les revendications des leaders nationalistes algériens. Dès février 1943, Ferhat Abbas avait publié un Manifeste du peuple algérien qui réclamait une "Constitution égalitaire entre race et religion pour le peuple algérien". En juin 1943, un additif demandait la création d'un Etat algérien à la fin de la guerre avec participation des leaders nationalistes au gouvernement. Le gouvernement français d'union nationale présidé par de Gaulle envoie des renforts de blindés terrestres, la marine dépêche des croiseurs qui pilonnent les villes côtières (Bejaïa, Kherrata, Djidjelli), l'aviation est utilisée pour l'intérieur du pays : 28 avions effectuent des raids sans relâche et bombardent pendant deux mois les régions de Guelma, de Sétif et de Constantine, détruisant entièrement 44 villages. Dans les villes, plusieurs quartiers populaires particulièrement visés ont été réduits en cendres. A Constantine, à la fin de l'été, la fosse commune se remplit encore de cadavres. La terreur règne sur la région avec multiplication d'opérations et de représailles en tous genres : exécutions de masse, pillages, tortures, maisons incendiées … La police mais aussi des milices civiles de colons participent à activement à la répression. Voilà qui en dit long sur le caractère "libérateur" des alliés et le sens à donner à "la défense de la démocratie et de la civilisation" dont se sont parés ces défenseurs et les champions des libertés démocratiques contre la barbarie nazie.
Le 8 mai dernier, le ministre des Affaires étrangères français, Michel Barnier, évoquait au nom de l'amitié franco-algérienne la nécessité "d'examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour les deux peuples", évoquant les massacres et la répression des émeutes dans l'Est de l'Algérie. Il faisait suite aux propos de l'ambassadeur de France il y a quelques mois qui, lors d'une visite à Sétif, avait parlé d'une "tragédie inexcusable" à propos de cet événement.
L'évocation de cette sorte de "repentance" est aussi hypocrite qu'intéressée. La France, dont les intérêts impérialistes sur le sol africain sont de plus en plus menacés (Côte d'Ivoire, Togo), entend aujourd'hui préserver et resserrer ses liens au Maghreb avec le président Bouteflika dont le régime paraît aujourd'hui un peu plus renforcé et stabilisé, alors que les positions des islamistes se retrouvent considérablement affaiblies dans le pays. Mais surtout, la bourgeoisie se garde bien aujourd'hui encore de rappeler le fait que cette sanglante répression a été assumée par l'ensemble des forces politiques françaises au sein d'un gouvernement d'union nationale et en particulier par les partis de gauche ; comme le "libérateur" de Gaulle, le parti socialiste (à l'époque SFIO) devait pleinement assumer, plus tard, la guerre d'Algérie. D'ailleurs, le gouverneur général de l'Algérie en 1947, Chataigneau qui commandait sur place l'armée de tueurs était présenté comme un socialiste. Mais c'est aussi le PCF qui a loué un rôle de premier plan dans les massacres. Dès le début, dans les colonnes de L'Humanité, le parti stalinien déclarait, au même titre que Chataigneau, que "les auteurs des troubles étaient d'inspiration et de méthodes hitlériennes." Il parlera aussi "de provocation fomentée par les grands trusts et par les fonctionnaires vichystes encore en place". Le porte-parole du PCF, Etienne Fajon, déclarait encore à la tribune de l'assemblée nationale le 11 juillet : "les tueries de Guelma et de Sétif sont la manifestation d'un complot fasciste qui a trouvé des agents dans les milieux nationalistes." Alors que de Gaulle avait demandé "de prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer les agissements d'une minorité d'agitateurs", le bureau politique du PCF publiait un communiqué le 12 mai déclarant : "il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute" au nom de la défense "de la république française, métropole et territoires d'outre-mer, une et indivisible." Dans un tract signé par cinq membres du comité central et distribué sur le sol algérien, il appelle à une chasse aux sorcières et lance de véritables appels au meurtre et aux pogroms en exigeant de "passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute. Il ne s'agit pas de vengeance ni de représailles. Il s'agit de mesures de justice. Il s'agit de mesures de sécurité pour le pays". Ainsi une milice mise sur pied par le PC et la CGT servit d'auxiliaire à la police et à l'armée pour massacrer entre 500 et 700 "rebelles musulmans". Et pour couronner le tout, c'est le ministre stalinien de l'aviation Charles Tillon ("héros de la Résistance" en tant qu'ex-chef des FTP), qui a directement ordonné le bombardement des régions de Sétif et de Guelma.
Le PCF devait d'ailleurs continuer à jouer ce rôle au début de la guerre d'Algérie, notamment lorsqu'il vota le 12 mars 1956 les "pouvoirs spéciaux" au gouvernement du socialiste Guy Mollet qui allait donner les moyens à l'Etat français d'intensifier la guerre sur le sol algérien.
Mais les menées criminelles de l'Etat français "libre" et "démocratique" ne s'arrêtent pas là, elles auront encore l'occasion d'exercer d'autres massacres pour mater plusieurs rébellions nationalistes anti-coloniales dans la seule période de l'immédiate après-guerre à Haïphong en 1946, à Casablanca en 1947, en Côte d'Ivoire en 1949.
Le plus grand massacre, beaucoup moins connu que celui de Sétif eut lieu à partir du 30 mars 1947 à Madagascar, donnant lieu au pires atrocités. Le nombre de victimes de la répression a atteint le chiffre vertigineux de 89 000 morts en vingt et un mois, selon les comptes officiels de l'état-major français. Le 29 mars, près de 2000 insurgés malgaches attaquent un camp militaire de l'armée française, en grande partie composée de tirailleurs sénégalais, à proximité d'un réseau ferroviaire devant servir de relais pour les troupes expédiées en Indochine où la France faisait face à la guérilla du Vietminh. Les insurgés liquident des officiers et bénéficient du soutien d'une bonne partie de la population. En même temps dans le sud du pays, d'autres insurgés s'emparent du terminus côtier de la voie ferrée qui la relie à Fianarantsoa. Le lendemain, la riposte de l'armée est terrible : toute la population malgache du village de Moramanga est massacrée, des centaines de cadavres jonchent le sol, les maisons sont incendiées, le bourg est réduit en cendres. Il n'y a pas un seul survivant. Avec l'arrivée de renforts, c'est toute la région qui fait l'objet de représailles terribles, avec une cruauté effroyable. En trois jours, il y a des milliers de morts. Des prisonniers sont chargés à bord d'avions et lâchés vivants au dessus des villages dissidents comme "bombes démonstratives" pour terroriser les populations locales. A d'autres endroits, les rebelles enfermés dans des caves sont brûlés vifs. A Fianarantsoa, une fausse tentative d'évasion sert de prétexte pour fusiller les insurgés, tout juste faits prisonniers. D'autres sont froidement abattus par centaines dans les prisons ou dans des bâtiments publics. Le cabinet gouvernemental de Ramadier, incluant des ministres socialistes et communistes, vote sans rechigner les crédits permettant le renfort de troupes pour mater l'insurrection : un corps expéditionnaire de 18 000 hommes est levé dès avril, il sera porté ensuite jusqu'à 30 000 soldats. La répression avec tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, viols, pillage, villages incendiés avec femmes, vieillards, enfants brûlés vifs se prolonge pendant 21 mois. C'est d'ailleurs sur ordre du ministre "socialiste" des Colonies, Marius Moutet, que les troupes françaises agissent à Madagascar. Le PCF, quant à lui, se contente de protester contre l'arrestation de trois députés malgaches du MDRM (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache) sans aller jusqu'à démissionner du gouvernement malgré l'ampleur de la répression.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Etat français couvrait ses crimes et la sordide réalité de la défense de son intérêt national sous le masque héroïque et le prestige de la France de la Libération, de la résistance à la barbarie nazie, tout en se faisant publiquement l'apôtre du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à la tribune de l'ONU. Aujourd'hui, l'Etat français et ses dignes représentants de gauche comme de droite peuvent bien se confondre en "excuses" et en "regrets" diplomatiques. Dès que leurs intérêts impérialistes le réclament, les nations arrachent brutalement le masque sous lequel elles se présentent d'ordinaire comme les meilleurs défenseurs de la paix, des droits de l'homme, des libertés démocratiques et étalent cyniquement au grand jour toutes les abominations de la barbarie capitaliste qu'elles sont capables de mettre en œuvre.
W (25 mai)
Au lendemain du lundi de Pentecôte, une propagande nauséabonde a eu lieu à l’échelle internationale pour faire croire à la classe ouvrière qu’elle est constituée d’égoïstes irresponsables. Les ouvriers y sont présentés comme des individus pour qui seul le bonheur personnel et immédiat compte au détriment des autres. La lecture des différents quotidiens de la planète est tout simplement édifiante. "Deux ans après la catastrophe et la honte nationale qu’a connu la France durant l’été 2003, des centaines de Français, qui soutiennent, en paroles, la ‘solidarité avec les personnes âgées, refusent de céder un jour de vacances" (The Independent). "Les Français ignorent la condition malheureuse des personnes âgées pour prendre un jour de vacances" (Daily Telegraph). "La majorité des Français a préféré se distraire en ce jour traditionnellement férié plutôt qu’être solidaire" (Clarin, quotidien argentin). Et les journaux français ne sont pas en reste. Le Monde daté du 14 mai distille le même sentiment de culpabilité : "La grande journée de solidarité prévue lundi 16 mai est devenue un imbroglio politique et social assez caractéristique de l’exception culturelle française. Alors que tout, dans ce dossier, est parti de l’émotion considérable née du décès de 15 000 personnes, essentiellement des personnes âgées, lors de la canicule d’août 2003, tout converge aujourd’hui en une fronde ouverte contre la loi qui institue cette fameuse journée de travail offerte pour lever des fonds destinés aux personnes isolées et aux handicapés. Le grand élan de générosité initial a fait pschitt ."
Ce n’est pas un hasard si la bourgeoisie attaque ainsi idéologiquement la classe ouvrière. Elle tente de détruire ce qu’elle hait et craint le plus, la solidarité prolétarienne. Car justement, depuis quelques années, face aux attaques qui ne cessent de pleuvoir, les ouvriers retrouvent progressivement leur unité, tissent à nouveau peu à peu leurs liens de classe. Les luttes à Opel en Allemagne, la réaction des cheminots après l’agression d’une de leur camarade en France (lire RI n°354 et 355) constituent une petite partie des nombreux éléments qui démontrent cette tendance. Et la bourgeoisie saisira la moindre occasion pour briser cette dynamique, instiller la méfiance et la division dans la classe ouvrière.
La propagande culpabilisatrice menée par la bourgeoisie est un amoncellement de mensonges répugnants. Pourquoi le prolétariat n’a-t-il pas participé pleinement, comme un seul homme, à cette journée censée améliorer la prise en charge des personnes âgées et des handicapés ? Tout simplement parce que cette journée est apparue pour ce qu’elle est, une vaste fumisterie ! La classe ouvrière ressent dans sa chair la dégradation continuelle de ses conditions de vie. La profondeur de la crise économique pousse la bourgeoisie à attaquer sans répit le prolétariat, à intensifier toujours plus son exploitation. Ces dernières années, en diminuant de façon drastique les retraites, l’accès aux soins et les indemnités chômage, la classe dominante a d’ailleurs franchi un nouveau cap, celui de rendre précaire et incertaine la survie même de sa main d’œuvre. La classe ouvrière active, chômeuse ou à la retraite, subit une dramatique paupérisation. C’est tout le sens des 15 000 morts de l’été 2003 !
La suppression d’un jour férié n’a donc rien à voir avec une quelconque solidarité. Au contraire, elle fait partie de ce cortège d’attaques. Son but n’est absolument pas d’améliorer en quoi que ce soit les prises en charges médicalisées des personnes âgées. Aux yeux de la bourgeoisie, la vie d’un retraité n’a aucune valeur puisque celui-ci ne peut plus être exploité. Il est un travailleur hors d’usage, un poids pour le capital. Cette journée supplémentaire de travail ne créera pas un seul lit, pas une seule embauche d’infirmière, d’aide-soignante ou de gérontologue. On peut même être certain que les soins et leur remboursement vont continuer à se dégrader. Certes, ce lundi de Pentecôte non chômé a permis de verser 2 milliards d’euros environ pour cette année 2005 dans une nouvelle caisse tout spécialement constituée, la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie). Mais sur le terrain, cela n’induira en rien une augmentation des crédits. Il est en effet déjà prévu que la Sécurité Sociale diminue ce qu’elle consacre aux personnes âgées et aux handicapés selon le bon vieux principe des vases communicants. Ce qui est versé d’un côté est retiré de l’autre, tout simplement. Plus fort encore. Une partie de l’argent va carrément être placé au lieu de venir combler la pénurie médicale partout criante. Le Secrétaire d’Etat a même eu le culot de justifier cette immense arnaque sans le moindre état d’âme : "Nous avons de l’argent. Au lieu de tout dépenser à mauvais escient (sic !), nous le plaçons. Cela nous rapportera d’ailleurs des intérêts". Ainsi, quand les Chirac, Raffarin et consorts pleurent le cœur sur la main les 15 000 morts et instaurent une journée de ‘solidarité’, le cynisme atteint des profondeurs sans fond ! Et il ne faut pas croire que les partis de gauche, drapés de leurs valeurs humanistes, portent une autre perspective. L’arnaque de Raffarin n’est qu’une resucée de la vignette automobile instituée par le socialiste Guy Mollet en 1956, déjà elle aussi au nom de l’aide aux personnes âgées. Les protestations actuelles du PS ne portent en réalité que sur la forme de l’attaque. Ce que ce groupe déplore, c’est la maladresse du clan chiraquien contre la classe ouvrière. Il est vrai que le Parti Socialiste est passé maître dans l’art de l’esbroufe et de la duperie. Les déclarations de François Hollande en sont un parfait modèle. A grands cris, il juge cette "mesure injuste et imbécile", puis il promet que "si en 2007 nous devions revenir aux responsabilités, nous déciderions de revenir au jour férié", pour enfin proposer ‘sa’ solution "un financement juste […] par le biais de la fiscalité". En d’autres termes, augmenter les impôts, saigner encore un peu plus la classe ouvrière, mais de manière ‘équitable’ !
Finalement, ce qui pourrait apparaître surprenant, c’est le peu de réaction de la classe ouvrière contre cette énième attaque. Il est vrai que la suppression d’un jour férié est sans commune mesure avec l’ampleur de la dégradation des conditions de vie induite par les réformes sur les retraites ou la Sécurité Sociale. Néanmoins, c’est un coup supplémentaire asséné par la bourgeoisie ; cette loi aggrave encore un peu plus les conditions d’exploitation du prolétariat. Il n’y a pourtant eu aucune manifestation réelle, aucune grève significative. Au contraire, ce qui a régné en ce jour de Pentecôte, c’est la division et la cacophonie.
La bourgeoisie a effectivement tout mis en œuvre afin de créer un sentiment de dispersion et d’impuissance chez les ouvriers. Bien sûr, le gouvernement Raffarin avait un intérêt tout particulier à cette dispersion ouvrière. Il n’était pas question pour lui qu’ai lieu une importante manifestation à 15 jours du référendum. Mais il y a une raison bien plus profonde. Face au processus en cours au sein de la classe ouvrière, de la lente mais réelle maturation de sa conscience et de sa combativité, l’ensemble de l’appareil politique de la bourgeoisie s’est saisie de la confusion ponctuelle du prolétariat créée par l’énorme battage médiatique sur le référendum (voir l'article de première page) pour enfoncer un coin. Contre le développement de la solidarité et de la réflexion ouvrière, la classe dominante a exploité une brèche, un moment de déboussolement momentané pour diviser, déboussoler, rajouter un peu de confusion dans la tête des ouvriers. C’est donc main dans la main que le gouvernement, la gauche et les syndicats ont créé un « bordel organisé » en produisant autant de situations différentes qu’il y a de boîtes en France.
D’abord, l’Etat a permis à certains de ses secteurs de ne pas travailler ce jour ou alors en contrepartie de compensations particulières. La Pentecôte a finalement été férié pour la SNCF. Les salariés de la RATP présents ont touché une prime de près de 100 euros. Les conseils généraux d’Ile-de-France, de Champagne-Ardenne, de Picardie, les conseils généraux du Nord, du Pas-de-Calais, du Tarn, des Landes de Seine-et-Marne et des Hautes Pyrénées ont accordé une journée de congé exceptionnelle.
Le message étatique à l’ensemble de la bourgeoisie a donc été fort. Il fallait diviser la classe ouvrière, la diluer dans une multitude de situations particulières. Des grandes entreprises ont ainsi fait ‘cadeau’ de la journée à leur salariés, entre autres : TF1, Shell, Neuf Télécom. D’autres l’ont décomptée comme un jour de RTT : Basf, le siège de Renault, la Société Générale, le Crédit Lyonnais…
Mais le travail n’aurait pas été complet sans l’apport des syndicats. Ils ont effectivement été les premiers acteurs de la confusion sur le terrain. La bourgeoisie française peut encore une fois tirer son chapeau et dire un grand merci à ses chiens de garde. Chaque centrale a proposé des modes d’action différents. La CGT a appelé à des arrêts de travail, FO à des arrêts de travail et à des grèves suivant les situations, l’UNSA a soutenu toute initiative et la CFDT a déclaré la grève anti-constitutionnelle. Et pour finir d’atomiser les ouvriers, "les syndicats, soucieux de garder une dimension festive à leurs manifestations en ce lundi de Pentecôte d’un nouveau genre, avaient appelé à des pique-niques en famille, parties de pêche et autres repas champêtres ‘revendicatifs’" (Le Monde du 17/05/05). Un chef d’œuvre de division syndicale !
Cette journée de Pentecôte laisse un goût amer. Il en ressort un sentiment d’éclatement, une absence de réaction, l’impression de s’être fait avoir sans réagir. C’est le résultat de tout le travail de sape du gouvernement, de la Gauche et des syndicats. Néanmoins, les rancœurs s’accumulent et les attaques qui vont continuer à s’abattre sur une classe ouvrière redressant peu à peu la tête préparent d’importants lendemains de luttes qui porteront bien haut le drapeau de la solidarité prolétarienne.
Pawel (23 mai)
1000 morts ou plus, environ 2000 blessés, des milliers de réfugiés qui ont fui vers le Kirghizstan voisin, c’est l’horrible bilan, connu à ce jour, de la féroce répression menée par l’armée ouzbek contre les émeutes populaires (1), qui ont eu lieu le 13 mai dans plusieurs villes ouzbèkes de la vallée de Ferghana, notamment Andijan, Pakhtabad et Kara Su. L’armée n’a pas hésité à utiliser des blindés, des hélicoptères et à tirer à la mitrailleuse lourde sur une manifestation rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes dont beaucoup de femmes et d’enfants. L’armée a achevé les blessés d’une balle dans la tête et la police politique a procédé à des centaines d’arrestations et de détentions arbitraires. Fidèle aux méthodes staliniennes de sa Russie d’origine, le gouvernement du despote Karimov a tout fait pour falsifier les événements, imposant une véritable chape de plomb sur les médias dés le début des émeutes, puis présentant ce carnage comme la réponse à un soulèvement armé islamiste. C’est cette version que les gouvernements américain, russe, chinois et européens ont cautionnée dans un premier temps, puis de façon plus "critique" lorsque les témoignages de certains rescapés de cette tragédie ont commencé à circuler. C’est avec un cynisme des plus abjects que les grandes démocraties, pour défendre leurs intérêts de brigands impérialistes, soutiennent les exactions que Karimov a perpétrées au nom de la lutte contre le terrorisme, tout en lui demandant d’envisager d’entreprendre quelques réformes démocratiques (2). Feignant l’indignation, comme après chaque massacre engendré par la barbarie du capitalisme, les organisations internationales comme l’ONU, l’OSCE et les multiples ONG réclament une enquête. Face à de tels mensonges et à la propagande bourgeoise qui réduit de tels événements aux affres du terrorisme ou aux comportements sanguinaires du tyran Karimov, il est nécessaire de comprendre que cette sanglante répression s’explique comme étant à la fois le produit de l’héritage du stalinisme, de la tendance à la décomposition de la société capitaliste et du chaos que génère l’exacerbation des tensions militaires entre les différents Etats à l’échelle mondiale et notamment en Asie centrale, qui est une zone stratégique sur ce plan là.
Historiquement, les républiques d’Asie centrale ont été créées par Staline en 1924. Ce "charcutage" était, en fait, exactement semblable à celui auquel avait procédé la France dans ses possessions d’Afrique noire, au fur et à mesure de l’avancement de sa conquête coloniale du 19e siècle. Cette mosaïque artisanale a tenu du fait de la terreur stalinienne exercée sur les populations jusqu’à la dislocation de l’URSS et l’indépendance des républiques d’Asie centrale en 1991. Avec la disparition de ce corset de fer, c’est une véritable boîte de Pandore qui s’est ouverte. La géographie absurde issue de la désagrégation de l’URSS fait que la région la plus riche et la plus peuplée, la vallée du Ferghana, est un lieu de discorde : partagée entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, découpée en d’innombrables enclaves propices aux conflits frontaliers, c’est un foyer permanent de tensions ethniques et religieuses. Cet enchevêtrement ne peut que déboucher sur des conflits comme dans le Caucase. C’est l’exemple en 1990, des violences dans le sud du Kirghizstan, entre Ouzbeks et Kirghizes, faisant des centaines de victimes ou de la guerre civile au Tadjikistan qui a fait 50 000 morts entre 1992 et 1997. A tout moment le risque d’affrontements ethniques est présent, d’autant plus qu’il existe des querelles entre ces trois républiques du Ferghana pour le partage des terres, de l’eau et pour le contrôle des trafics d’armes et de drogues en provenance de l’Afghanistan frontalier. Dans ce contexte chaotique, la guerre en Afghanistan qui a opposé l’alliance du Nord aux talibans a eu des répercussions importantes sur l’Asie centrale, notamment par le développement d’une multitude de groupes islamiques qui vont accentuer les rivalités et tensions entre les différentes républiques et entraîner une partie des populations dans de nouveaux massacres. Cette situation particulièrement dramatique pour les couches populaires est aggravée par la gestion autoritaire de ces Etats car la plupart des dirigeants sont d’anciens apparatchiks staliniens. En Ouzbékistan, c’est le clan familial de Karimov et de ses fidèles qui se sont accaparés les secteurs producteurs de richesses, essentiellement les matières premières, et la corruption y fait figure de loi. La population vit avec 10 à 20 dollars par mois, et le PIB par habitant a chuté de plus de 40% depuis 1998. La population se retrouve ainsi prise en étau, entre le choix de la peste ou du choléra, soutenir les anciens parrains staliniens ou suivre les multiples officines islamistes. Cette paupérisation de la population, sur fond de dislocation des républiques qui composent l’Asie centrale, produit de la décomposition du capitalisme, fait de cette région une véritable poudrière. L’intervention américaine en 2001 en Afghanistan au nom de la guerre contre le terrorisme va constituer un puissant accélérateur de cette déstabilisation, d’autant plus que la préoccupation de l’Oncle Sam n’est pas de ramener la paix dans cette région, mais de défendre son leadership.
"Les Etats-Unis s’installent en Asie centrale avec l’intention d’y rester, non seulement en Afghanistan mais aussi dans deux ex-républiques soviétiques voisines ( le Tadjikistan et l’Ouzbékistan). Ceci suppose une menace claire envers la Chine, la Russie, l’Inde et l’Iran. Mais la portée de l’événement est bien plus profonde : il est un pas dans la création d’un véritable encerclement des puissances européennes -un "remake" de la vieille politique "d’endiguement" déjà employée à l’encontre de l’URSS. Les hautes montagnes d’Asie Centrale permettent le contrôle stratégique du Moyen-orient et de l’approvisionnement en pétrole, élément central de l’économie et de l’action militaire des nations européennes" (Revue Internationale, n°108, novembre 2001).
Ainsi, l’Eurasie est ces dernières années au cœur de la concurrence entre brigands impérialistes. A coups de millions de dollars, les Américains ont installé des bases militaires pour leur intervention vers l’Afghanistan et le contrôle de cette région. ( Selon la presse américaine, la CIA utilise même le savoir-faire ouzbek en matière de torture car elle y transfère par avions spéciaux les "terroristes" arrêtés en Irak et Afghanistan pour les interroger). Face à cette offensive dans son pré-carré, la Russie a renforcé ses propres bases dans la région, notamment au Kirghizistan et au Tadjikistan et la Chine a payé de nouveaux équipements militaires à l’armée kirghize, espérant prochainement prendre pied militairement dans cette zone stratégique. Cette effervescence militaire est loin d’apporter une quelconque stabilité, comme on le voit avec le chaos actuel en Irak et en Afghanistan et la contestation anti-américaine qui ne cesse de croître. Loin de renoncer, les Etats-Unis ne peuvent qu’intensifier leur présence militaire. Cette fuite en avant ne peut qu’être alimentée par les puissances rivales. Pour les populations d’Asie centrale, ces diverses manifestations de la décomposition du capitalisme portent en germe encore plus de barbarie et de chaos, de nouveaux massacres, soit dans des conflits ethniques, militaires soit par la répression sanglante des émeutes sociales, comme on vient de le voir en Ouzbékistan.
Donald (24 mai)
(1) Il semble probable que le déclenchement de ces émeutes est à la fois le produit d’une attaque économique d’envergure du gouvernement (imposition en avril de nouvelles règles contraignantes pour les petits commerçants de rue, alors que le bazar [marché noir] reste le seul poumon économique, le seul lieu d’activité possible pour des millions d’Ouzbeks en quête de subsistance, compte tenu du chômage massif) et en même temps le procès de 23 petits entrepreneurs accusés d’islamisme. La population est descendue dans la rue pour réclamer "justice" et "liberté" avec la présence en son sein de groupes politiques d’opposition au gouvernement, dont certains groupes islamiques.
(2) Si pour l’instant l’administration américaine soutient Karimov, il n’est pas exclu qu’à l’avenir, en fonction de sa capacité à créer une opposition politique à celui-ci, comme elle l’a fait récemment (Georgie, Ukraine, Kirghizstan) elle se débarrasse de cette marionnette stalinienne, ce qui serait plus conforme à la justification de ses interventions militaires actuelles basées sur la liberté et la démocratie pour les peuples encore opprimés.
Nous
avons appris le décès à la suite d'une longue maladie de Mauro Stéfanini,
militant parmi les plus anciens et les plus dévoués de Battaglia Comunista,
lui-même fils d'un vieux militant de la Gauche italienne. Nous tenons à publier
ci-dessous quelques extraits du message de solidarité que le CCI a
immédiatement adressé aux militants du BIPR ainsi que des passages de la
réponse de remerciement que nous a faite un militant du BIPR au nom de son
organisation.
Courrier du CCI
Camarades,
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès du camarade Mauro. (...) Sa vivacité et son contact chaleureux vont manquer aux militants de notre organisation qui le connaissaient personnellement.
Mais il existe deux autres raisons pour lesquelles son décès nous affecte particulièrement.
En premier lieu, nous ressentons la disparition de Mauro comme une perte pour la classe ouvrière. Évidemment, ses qualités personnelles, notamment ses capacités comme orateur et rédacteur y sont pour quelque chose. Mais ce qui pour nous est le plus important, c’est son engagement et son dévouement militant. Un engagement et un dévouement qu’il a maintenus alors que la maladie était en train de gagner le combat.
En second lieu, nous n’oublions pas que Mauro était le fils de Luciano, un membre de la Fraction italienne pour qui notre camarade MC avait une grande estime pour son dévouement, mais aussi pour sa lucidité puisqu’il fut un des premiers au sein de la Fraction à comprendre pleinement les implications de la période historique ouverte par la Première Guerre mondiale sur la question fondamentale de la nature des syndicats.
Une des conséquences de la terrible contre-révolution qui s’est abattue sur la classe ouvrière après l’échec de la révolution mondiale, c’est la presque disparition d’une tradition très vivace dans le mouvement ouvrier du passé : le fait que beaucoup d’enfants (comme les filles de Marx, le fils de Wilhem Liebknecht et beaucoup d'autres encore) reprenaient le flambeau de leurs parents concrétisant ainsi la continuité du combat prolétarien entre les générations. Mauro fut un des très rares à poursuivre cette tradition et c’est un élément supplémentaire de notre sympathie pour lui. (...)
C’est pour cela que vous pouvez croire, camarades du BIPR, en l’absolue sincérité de notre solidarité et de nos salutations communistes.
Réponse du BIPR
Camarades,
Au nom du BIPR, je voudrais vous remercier pour l'expression de votre solidarité à la suite de la perte gravissime du camarade Mauro. Effectivement, comme vous l'avez dit, c'est pour nous une disparition très douloureuse : par ses dons d'humanité, par sa passion et son dévouement envers la cause du prolétariat, Mauro était un camarade comme il est rare d'en trouver. Son être communiste était, si on peut dire,"inscrit" dans ses gènes : non seulement parce qu'il venait d'une famille qui a tant donné à la cause du communisme, mais surtout parce que son esprit se rebellait instinctivement à la moindre manifestation d'oppression et d'injustice. Il ne sera pas facile de combler le vide politique qu'il laisse, il sera impossible de combler le vide humain. (...)
En vous remerciant à nouveau, nous vous adressons nos salutations communistes.
La Chine serait devenue, selon la bourgeoisie, le nouvel atelier du monde. En effet, chaque jour les médias bourgeois nous abreuvent d’images et de reportages sur l’arrivée en masse en France, en Europe et même aux Etats-Unis, de chemises, pantalons et autres vêtements "made in China". Pour les bourgeoisies occidentales, il est sans aucun doute nécessaire de freiner, autant que possible, ce qui est appelé "la déferlante du textile chinois." Mais pour la classe ouvrière, la question est tout autre. Si aujourd’hui, les marchandises asiatiques envahissent les marchés occidentaux, c’est parce que, dans ces régions du monde, le coût dérisoire de la main d’œuvre permet de produire à très bas prix. Menant leur guerre économique, les différentes bourgeoisies nationales sont amenées à exploiter toujours plus férocement les prolétaires. Au nom des exigences de la concurrence, c’est donc dans une spirale de misère et d’exploitation accrues que le capitalisme tente d’entraîner toute la classe ouvrière, partout dans le monde.
La question du textile : une expression de la guerre commerciale
Depuis le début de l’année 2005, 17 000 emplois ont été supprimés dans ce secteur et 14 entreprises fermées aux Etats-Unis. Ceci correspond à une augmentation des importations dans ce pays de 1250% pour les chemises de coton et de 300% pour les sous-vêtements. Le gouvernement américain a alors immédiatement réagi : "En agissant aussi rapidement pour l’imposition de mesures de sauvegarde, le gouvernement américain a envoyé un message fort, pour signifier qu’il comprend la crise véritable que ces flux énormes représentent pour nos travailleurs." (C. Johnson, président de la fédération du textile). En fait, la bourgeoisie américaine, comme la bourgeoisie française d’ailleurs, se moque bien du sort des ouvriers. Ce qui l’inquiète dans la guerre économique qui fait rage actuellement, c’est l’affaiblissement de compétitivité de son capital national. C’est également pour cela que les pays de l’Union Européenne tentent, malgré leurs divisions, de se mettre en ordre de bataille. Le commissaire au commerce européen vient d’annoncer vouloir limiter d’urgence les importations chinoises de tee-shirt et de fils de lin. Il a également demandé à la Chine de prendre elle-même des mesures pour éviter d’avoir recours à l’imposition des clauses de sauvegarde prévues par l’accord sur l’adhésion de la Chine à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Quant à la France, qui reste un producteur important dans le secteur du textile, sa demande est encore plus claire. La bourgeoisie française exige dès aujourd’hui la mise en place de mesures protectionnistes. Il est évident que ce sont plusieurs milliers de licenciements qui sont d’ores et déjà programmés dans ce secteur. La bourgeoisie française voudrait nous faire croire qu’elle souhaite de telles mesures pour protéger les conditions de travail de "ses ouvriers". Elle va parfois même jusqu’à dénoncer la misère des ouvriers chinois, sacrifiés sur l’autel du profit. Ce n’est que pour mieux cacher ses propres attaques, son propre comportement de classe exploiteuse. Car, en réalité, la bourgeoisie mène partout la même politique. Afin de maintenir ses profits, en pleine situation de faillite économique, elle réduit les salaires sur son sol pour exporter et vendre au meilleur prix. Malgré ce que nous disent les altermondialistes ou autres gauchistes, il ne s’agit donc pas d’une politique particulière à tel ou tel Etat libéral. Au sein de ce capitalisme en crise, toutes les nations se livrent une guerre économique sans merci, toutes pressurent la classe ouvrière. Pour chaque pays, il est effectivement vital de se positionner le mieux possible sur le marché international, quelles que soient les conséquences pour les prolétaires.
C’est pour cela que la bourgeoisie chinoise a réagi immédiatement aux mesures protectionnistes préconisées par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le ministre chinois, Bo Xilai, cité par l’agence Nouvelle de Chine à aussitôt fait savoir que "la Chine était fermement opposée aux limitations imposées par d’autres pays." Ce même ministre déclarait le 18 mai dernier : "L’intégration du commerce du textile est un droit important dont jouit la Chine depuis son adhésion à l’OMC. La Chine n’imposera pas elle-même des limites à ses exportations de produits textiles." Le message ne peut pas être plus clairement exprimé. Avec la nouvelle récession dans laquelle nous sommes déjà entrés, aucun pays capitaliste ne fera le moindre cadeau aux autres.
Les délocalisations sont une attaque directe contre la classe ouvrière
Il en va de même par rapport à la question des délocalisations. Une étude commandée par la commission des finances du Sénat, réalisée par le groupe Katalyse, prévoit pour la période 2005-2006 en France "la délocalisation de 202 000 emplois de service". Et il faut ajouter les dizaines de milliers d’emplois liés à la production de marchandises ne nécessitant pas un investissement en capital trop gigantesque, comme les produits de consommation ou d’ameublement. Ce phénomène de délocalisation entamé dans les années 1990 connaît actuellement une accélération bien réelle. Là encore, le seul souci du capitalisme est la rentabilité maximum. Pour la France, comme pour les principaux pays industrialisés d’Europe, les destinations favorites sont, bien entendu, la Chine, l’Inde et maintenant l’Europe de l’Est. La dernière délocalisation d’importance en date est celle de l’ensemble de l’appareil gestionnaire de Philips, le géant de l’électronique, qui doit se transporter à Lodz en Pologne. La confédération de l’industrie britannique, vu le rythme des délocalisations, affirme que, d’ici 10 ans : "Il n’y aura plus d’emploi pour les personnes non qualifiées au Royaume-Uni". Quant au journal The Daily Telegraph, il écrit cyniquement : "Nous devons nous assurer que les gens acquièrent des qualifications. Si vous êtes qualifiés, vous n’avez rien à craindre." Mensonge ! Les licenciements pleuvent actuellement sur tous les secteurs, qu’ils soient de pointe ou non. Les listes de chômage fourmillent de chômeurs surdiplômés.
Non contente d’attaquer ainsi sans arrêt les salaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie utilise encore en permanence la déferlante du textile chinois et la menace à la délocalisation pour effectuer un véritable chantage auprès de toute la classe ouvrière.
La bourgeoisie se sert avec le plus grand cynisme des conditions de vie effroyables que connaissent les ouvriers en Inde, en Chine ou en Europe de l’Est, afin de mettre en avant que, malgré la dégradation du niveau de vie, les ouvriers en France ne sont pas à plaindre. Cela lui permet d’exiger de nouveaux sacrifices sous peine de ne pas pouvoir concurrencer l’Asie ou l’Europe de l’Est. La bourgeoisie poursuit ainsi plusieurs objectifs.
Elle tente de culpabiliser les ouvriers en France qui lutteraient pour être moins attaqués, alors que tant d’autres prolétaires de par le monde vivent dans des conditions encore plus déplorables. Elle essaye également de mettre dans la tête de la classe ouvrière que, si elle n’accepte pas de travailler plus pour moins de salaire, il y aura alors beaucoup plus de délocalisations. Le chômage qui en découlerait ne serait donc plus de la faute de ce capitalisme en faillite, mais de "l’égoïsme" ouvrier.
Enfin, en montrant des ouvriers qui acceptent, dans certains pays, de travailler pratiquement pour rien, sous peine de mourir de faim, eux et leurs familles, elle diffuse de manière sournoise la concurrence et donc la division au sein de la classe ouvrière. Cette politique du bouc émissaire et du chantage est une constante dans la vie de la bourgeoisie. Aujourd’hui ce sont les ouvriers en Chine, en Inde, en Pologne ou en Hongrie qui sont montrés du doigt. Hier, c’était ceux d’Algérie, du Maroc, d’Espagne ou du Portugal qui étaient jetés en pâture à "l’opinion publique". Le prolétariat ne doit pas se faire prendre par ces mensonges idéologiques hideux et nauséabonds. Partout, la classe ouvrière est exploitée. Et elle l’est encore plus férocement dans les régions où elle peut le moins se défendre. C’est dans la reprise actuelle des luttes que la classe ouvrière doit s’affirmer progressivement unie et solidaire, partout dans le monde. La compétitivité des entreprises bourgeoises est le problème du seul capitalisme et en aucune façon du prolétariat.
Les bourgeoisies françaises, anglaises, américaines, allemandes,… veulent diviser le prolétariat, l’attacher à la nation afin de l’entraîner dans sa spirale concurrentielle. Comme l'affirmaient en 1848 Marx et Engels dans Le manifeste communiste, "les prolétaires n’ont pas de patrie", partout ils ont les mêmes intérêts, partout ils subissent la même oppression. Ainsi, ce que les ouvriers du monde entier ne doivent en aucune façon perdre de vue, c'est qu'ils appartiennent tous à la même classe, et que c'est de la solidarité croissante dans leurs rangs qu'ils pourront tirer la force permettant à leurs lutte de faire échec aux attaques de la bourgeoisie.
Tino (25 mai)
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/mystification-parlementaire
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/decadence-du-capitalisme
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/60/russie-caucase-asie-centrale
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decomposition
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/battaglia-comunista
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/62/chine
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie