Pendant plusieurs semaines, tous les États démocratiques, la France en tête, ont apporté leur caution au régime sanguinaire de Ben Ali. Un black-out presque total de l'information a été organisé alors que tous les gouvernements savaient pertinemment ce qui se passait en Tunisie. Tous les medias bourgeois ont justifié la désinformation en faisant croire que le pays était en proie à des émeutes, à une situation "confuse", "chaotique", "difficile à comprendre". Ils nous ont fait croire que personne ne savait ce qui se passait réellement. Mensonges ! La sauvagerie de la répression était connue dans le monde entier. Grâce aux vidéos, aux réseaux Internet utilisés par les jeunes manifestants, aux touristes et aux journalistes qui étaient sur place, l'information n'était pas "totalement verrouillée" comme l'ont affirmé tous les gouvernements et leurs médias aux ordres. C'est de façon délibérée que la loi et l'ordre du silence se sont imposés face aux exactions des assassins à la solde de Ben Ali. C'est de façon délibérée que les grèves, les manifestations de rue, la révolte dans les lycées et les universités ont fait l'objet d'un black out total afin que les prolétaires des pays démocratiques ne puissent pas se sentir concernés par la répression du mouvement et manifester leur solidarité.
Aujourd'hui, après la chute de Ben Ali, les langues se délient enfin et toutes les caméras sont braquées sur la "révolution" en Tunisie. Immédiatement après l'annonce officielle du départ de Ben Ali, pendant que l'état d'urgence est décrété et que l'armée est déployée dans tout le pays, les chaînes de télévision françaises nous ont abreuvés de scènes de la communauté tunisienne en liesse, notamment dans les quartiers de Paris. Alors que pendant plusieurs semaines, rien ne filtrait des manifestations quotidiennes réprimées dans le sang par la police, les images de la foule immense qui a envahi l'avenue Bourguiba à Tunis le 14 janvier sont maintenant largement diffusées et tournent en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Sur les plateaux télé, des personnalités de la classe politique (tel Bertrand Delanoë qui prétend, la main sur le coeur, n'avoir pas été en mesure de dénoncer l'atteinte aux "droits de l'homme"), des journalistes, des spécialistes et autres "envoyés spéciaux" sont invités dans un grand débat "démocratique" sur la situation en Tunisie qui est suivie heure après heure. Et bien sûr, tout ce joli monde prend maintenant hypocritement ses distances avec le régime de Ben Ali et glorifie "le courage et la dignité du peuple tunisien" (selon les propres termes de Barak Obama) qui a pu, "tout seul", se débarrasser du dictateur !
La chute de Ben Ali fait aujourd'hui la Une de tous les quotidiens alors que, pendant près d'un mois, le calvaire de la population tunisienne en proie à une répression féroce n'a pas fait couler beaucoup d'encre. Une telle hypocrisie n'est pas gratuite. Si les médias nous inondent maintenant d'informations en temps réel après plusieurs semaines de black out, ce n'est certainement pas parce que la classe dominante des États démocratiques serait aujourd'hui "aux côtés du peule tunisien", comme l'a affirmé avec un cynisme sans borne le gouvernement français (qui, 3 jours auparavant, se proposait de prêter main forte aux forces de répression de Ben Ali après que l'armée ait décidé de ne pas tirer sur la population !). Si la bourgeoisie des pays démocratiques, avec tout son appareil de manipulation médiatique, retourne aujourd'hui sa veste en encensant la "révolution du peuple tunisien", c'est parce qu'elle y trouve un intérêt évident. La débandade de Ben Ali lui donne une nouvelle opportunité de déchaîner une gigantesque campagne visant à vanter les bienfaits de la "démocratie" et de la mascarade électorale.
Les médias bourgeois continuent à mentir lorsqu'ils montent en épingle aujourd'hui la grève des avocats du 6 janvier que certains présentent comme l'élément moteur de la révolte qui aurait fait tomber la dictature de Ben Ali. Ils mentent lorsqu'ils prétendent que c'est une jeunesse cultivée appartenant à la "classe moyenne" qui a fait tomber le dictateur. Ils mentent lorsqu'ils mettent en avant que la seule aspiration de la classe exploitée et des jeunes générations qui ont été au cœur du mouvement est celle de la liberté d'expression. Ils mentent lorsqu'ils occultent aujourd'hui les raisons profondes de la colère : la misère et le chômage qui touche 55% des jeunes diplômés et ont provoqué plusieurs suicides au début du mouvement. C'est cette réalité, résultant de l'aggravation de la crise économique mondiale, que la campagne médiatique, orchestrée autour de la chute de Ben Ali, s'efforce aujourd'hui de masquer. Le seul objectif de cet engouement des médias pour la "révolution tunisienne" vise à intoxiquer la conscience des exploités, à dévoyer leurs luttes contre la misère et le chômage sur le terrain de la défense de l'État démocratique bourgeois qui n'est rien d'autre que la forme la plus sournoise, la plus hypocrite, de la dictature du capital.
Sofiane (14 janvier)
En juin 2010, le gouvernement Zapatero a réduit les salaires des fonctionnaires de 5%, et c’est maintenant le gouvernement régional de Murcie [Sud-est de l’Espagne] du Parti Populaire [droite] qui les réduit de 7%. Mais les fonctionnaires se sont refusés à avaler la pilule aussi facilement...
Nos camarades du CCI en Espagne ont fait cette prise de position.
Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle tuile ne tombe sur l’ensemble des travailleurs de toutes conditions :
Plus de 17 millions de foyers vont être frappés par l’augmentation du prix de l’électricité de 9,8% , ce qui représente une hausse de ces tarifs de 43% en 3 ans.
À Alboraia et Xátiva (Valence), les mairies ont ouvert un ERE1 de 44 et 60 licenciements, ce qui peut paraître un chiffre symbolique et « local », mais qui ouvre en fait la voie aux extensions des ERE à bien d’autres communes.2
Dans la région de Murcie, le gouvernement régional PP (droite) de Valcarcel annonce une loi, pompeusement dénommée « Mesures extraordinaires pour la 'soutenabilité'3 des Finances Publiques », ce qui veut dire concrètement une réduction mensuelle du salaire des fonctionnaires de 75 € (7% de réduction salariale qui vient s’ajouter à celle de 5% de juin) et une augmentation de l’horaire hebdomadaire de travail entre 3 et 5 heures.
Le contexte actuel dans lequel ces mesures sont prises est celui d’une aggravation de la crise mondiale et sa concrétisation en Espagne dans le contexte d'un déficit public effréné qui s’il est déjà très grave au niveau central, est encore plus dangereux au niveau des régions et des communes. C’est pour cela qu’un nouveau train de mesures de « réajustement » a été entamé dans les administrations régionales et locales. Ainsi, le gouvernement central avait interdit aux gouvernements régionaux de Murcie et de Castille-La Mancha de s’endetter davantage, ce qui a sans doute poussé la région de Murcie à prendre ces mesures.
Les protestations des travailleurs ne se sont pas faites attendre. « Mercredi soir, 10 000 personnes ont encerclé le domicile du président Valcárcel sur la Gran Vía [de la ville de Murcie], qui n’a pas pu assister à une commémoration. Ce même soir, trois dirigeants conservateurs du Parti Populaire furent bousculés et insultés et ont fini par se réfugier dans l’église de Santo Domingo, au centre ville. Les protestations ont continué devant le siège de l’Assemblée Régionale à Carthagène, où 5000 travailleurs ont lancé des œufs contre les députés qui entraient dans le bâtiment, en essayant par la suite d’y entrer aux cris de « Nous sommes la majorité, nous voulons y entrer ». Ils ont été repoussés par la Police nationale, qui a utilisé des matraques et des flash-ball pour empêcher l’assaut de la part des fonctionnaires. Les affrontements se sont soldés avec un travailleur blessé à la tête. La foule portait des pancartes où il était écrit des slogans comme : « Députés, baissez votre propre salaire ! » ou « Valcarcel, minable, baisse ton salaire à toi » (résumé d’agences).
Le 29 décembre, une nouvelle manifestation est partie de la place de la Fuensanta avec 15 000 travailleurs, selon les agences de presse. Les syndicats ont annoncé de nouvelles mobilisations.
Dans la manifestation, un travailleur de la Santé dénonçait le licenciement de 600 intérimaires. Sur une pancarte qu’il tournait vers le public qui regardait sur le trottoir, il avait ajouté : CECI VOUS CONCERNE !. Peut-être parce que c’est bien là un sentiment très répandu, un syndicat, le STERM [Syndicat de l’enseignement], faisait un appel aux « citoyens » pour qu’ils « se mobilisent aussi, parce ce que ce dont on parle c’est de la quantité et de la qualité de l’enseignement, de la santé, de la politique sociale et de l’ensemble du service public de la région de Murcie ».
Est-ce qu’il s’agit d’un problème limité à la région de Murcie ? Est-une affaire qui ne concerne que les fonctionnaires ?
Les syndicats limitent le problème aux gaspillages du dépensier gouvernement murcien qui a rempli la région de lotissements et de terrains de golf. Et c’est ainsi qu’ils ont limité les appels à la mobilisation aux seuls fonctionnaires, comme si les chômeurs, les retraités ou les étudiants n’étaient pas concernés. Cette façon de présenter les chosesr est typique de l’idéologie et de la pratique syndicale avec lesquelles nous devrons rompre.
Face à chaque attaque, les syndicats ne font que répéter que la faute en incombe à tel ou tel gouvernant, tel ou tel parti, telle ou telle région, tel ou tel patron. Ce serait toujours quelque chose de spécifique, de particulier et corporatif, qui n’aurait rien à voir avec l’ensemble des travailleurs et de la population exploitée. Il ne s’agirait pas d’une situation causée par le système capitaliste, mais d’une situation qui pourrait se résoudre à l’intérieur de ce système en changeant de politique ou de politiciens ou en mettant en avant la défense du service public face aux intérêts privés.
Les explications sont aussi fausses que les solutions ! On peut vérifier jour après jour que les problèmes concernent le monde entier et qu’ils ne sont pas la conséquence d’une politique économique donnée, mais qu’ils sont le résultat de toutes les politiques et de tous les gouvernements, ce qui ne peut que nous amener à en déduire qu’ils viennent du système capitaliste mondial lui-même.
De plus, ce raisonnement syndicaliste qui consiste à dire que le problème est celui d’un secteur ou d’une région ou qu’il est dû à tel ou tel personnage particulièrement « mauvais », « incompétent » ou « corrompu », a une conséquence pratique : celle de pousser à lutter dans l’isolement, enfermé dans les murs étanches du secteur ou de la corporation.
On se berce de l’illusion selon laquelle si les fonctionnaires font beaucoup de bruit, sont très radicaux dans leurs actions, s’ils paralysent les administrations, les hôpitaux et les écoles, ils vont obliger le gouvernement ou le patron en place à reculer.
Est-ce que nous avons face à nous seulement le patron X ou le gouvernement régional Y ? Non, absolument pas ! Le gouvernement « bleu » (conservateur) du PP dans la région de Murcie est soutenu par le gouvernement central « rose » (social-démocrate) du PSOE. La représentante du gouvernement central de Murcie, du PSOE, dans un bel étalage d’hypocrisie, s’est permis d’aller à la manifestation du 23 et de mettre la loi sur le dos du « gouvernement dépensier » de Valcarcel. Mais, en même temps, la police, qui dépend de cette déléguée du gouvernement, allait à la manifestation pour défendre le gouvernement régional en tapant brutalement sur les travailleurs. Au-delà des bonnes paroles ou des « critiques » plus ou moins bien ficelées, le gouvernement régional et le gouvernement central sont un seul et même ennemi contre les travailleurs, le PP et le PSOE savent très bien travailler ensemble sur des « affaires d’Etat ». Imposer l’austérité aux travailleurs et réprimer leur lutte est une « affaire d’État » par excellence.
Mais, est-ce que les autres travailleurs vont rester les bras croisés, en regardant comment on impose les baisses de salarie à leurs camarades de Murcie ?
Ce que le gouvernement central ou les gouvernements régionaux imposent à un secteur isolé lui sert de précédent pour finir par l’imposer aux autres. En février, les contrôleurs aériens ont subi une baisse salariales de… 33% ! Cette attaque d'un secteur pointé du doigt et rendu « impopulaire » a servi de levier pour imposer en juin une baisse de 5% aux fonctionnaires et c’est maintenant le 7% imposé au secteur public de la région de Murcie. À la suite de ces expériences, peut-on être sûr que d’autres baisses ne vont pas tomber venant d’autres régions ou d’autres communes ? Est-ce qu’on peut considérer séparément ces baisses salariales et la suppression de l’allocation de 426 € aux chômeurs en fin de droits ?
Si, face à une attaque contre une partie des travailleurs, on se croit à l’abri en pensant « ça ne me concerne pas ! », on ne fait que laisser les mains encore plus libres aux gouvernements et au patronat pour imposer leurs mesures à tout un chacun.
D’abord les contrôleurs aériens, maintenant les fonctionnaires de Murcie, qui va être le suivant ?
Nous sommes tous attaqués : la reforme du code du Travail, les baisses de salaires des fonctionnaires, la suppression des 426 € pour les chômeurs, la prochaine reforme de la retraite et des négociations collectives, les « politiques actives de l’emploi » qui menacent les chômeurs, l’augmentation de l’électricité…
Ce sont là les seules branches mortes qui peuvent sortir d’un tronc pourri : la crise du capitalisme. La seule « solution » pour celui-ci c’est d’essayer de soutirer le maximum en faisant peser sa crise le dos de tous les exploités.
Nous avons besoin de développer un fort et profond sentiment de solidarité : si un secteur ouvrier est attaqué, tous les autres doivent se sentir attaqués. Lorsqu’un secteur est attaqué, nous devons tous développer toutes les actions de lutte à notre portée pour exprimer cette solidarité.
Le gouvernement et ses médias de désinformation racontent toujours la même histoire : il s’agirait de réduire tel ou tel « privilège » de telle ou telle catégorie de travailleurs. Les médias, à plat ventre devant le pouvoir, ne peuvent que nous présenter le monde à l’envers. Rendre encore plus intenables les conditions de travail, rendre les conditions de vie encore plus précaires, moins sures, plus misérables pour tous les travailleurs, ces misérables paillassons appellent ça « réduire les privilèges ». Lorsque le ministre de l’industrie présente l’augmentation de l’électricité comme « renoncer au simple privilège de prendre un café », il ne fait pas seulement acte de démagogie insultante, mais il essaye de cacher la simple et dure réalité : l’augmentation de l’électricité va obliger beaucoup de foyers qui ont déjà des problèmes jusqu’au cou, à renoncer à un repas. Et ces carpettes de la « communication » de « le courage » dudit ministre, comme ils ont salué la virile détermination de Zapatero et de son vice-président pour mater ces « privilégiés » de contrôleurs du ciel.4
Face à de tels tirs de barrage de mesures accompagnées chaque fois d’une campagne médiatique écrasante, chaque lutte des travailleurs doit s’organiser en assemblées ouvertes où puissent participer des travailleurs d’autres secteurs, des chômeurs, des étudiants, des retraités. Des assemblées ouvertes et unitaires pour suivre l’exemple d’autres qui ont pu se dérouler en France ou en Grande-Bretagne.
Chaque manifestation doit s’ouvrir à l’ensemble de la population exploité, doit devenir une tribune où les chômeurs, les immigrés, les étudiants, les retraités et les ouvriers des autres secteurs puissent aussi exprimer leur mécontentement, puissent rechercher et construire leur unité, puissent s’affirmer comme une force sociale d'ensemble face à la déferlante de misère que les gouvernements de toute couleur et quelle que soit son étiquette ont lancé contre tous.
CCI, 31-12-10
1 ERE : « Expediente de Regulación de Empleo », Plan social de restructuration de l’emploi, ou autrement dit en termes moins bureaucratiques « charrette de licenciements »
2 Il y a 17 régions en Espagne (dont Murcie), qui ont plus « d’autonomie » qu’ailleurs et qui se sont surtout endettées sans compter, par le biais, entre autres, d’un réseau insensé de Caisses d’Épargne de toutes sortes, vérolées par les dettes immobilières. Quand aux communes, pour comprendre l’importance de ces « charrettes », il faut savoir qu’elles ont en Espagne plus de poids et sont bien plus étendues qu’en France.
3 Nous nous permettons ce néologisme pour essayer de traduire le jargon administratif.
4 À coté de ceux qui saluent « l’épique présidentialiste » du chef Zapatero, quelqu’un de « capable de prendre des mesures risquées et impopulaires », il arrive que des éditorialistes trouvent que « ça va trop loin », qui « s’indignent » des « exigences des marchés » et du fait que tout tombe sur les mêmes. Il y a même des responsables du PSOE qui « ont des états d’âme », qui se voient en « prostitués » face aux « marchés », parce que, autrement, « ils disparaitraient » (déclarations d’Ibarra, représentant de l’aile gauche du PSOE). On peut rassurer Ibarra : ils ne disparaitront pas tant que le capital aura besoin d’eux, en tant que prostitués ou en tant que chef maquerelle.
Nous venons de recevoir des nouvelles de Corée selon lesquelles huit militants de la "Socialist Workers' League of Korea" (Sanoryun) ont été arrêtés et accusés en vertu de l’infâme "Loi de sécurité nationale".1 Ils sont susceptibles d'être condamnés le 27 janvier.
Il ne fait aucun doute que c'est un procès politique, et une parodie de ce que la classe dirigeante aime à appeler sa "justice". Trois faits en témoignent:
Premièrement, le fait que les tribunaux sud-coréens eux-mêmes aient à deux reprises rejeté les charges de la police contre ceux qui étaient arrêtés.2
Deuxièmement, le fait que les militants soient accusés de "constitution d'un groupe au profit de l'ennemi" (c’est-à-dire de la Corée du Nord), malgré le fait que Oh Se-Cheol et Nam Goong Won, entre autres, étaient signataires de la "Déclaration internationaliste depuis la Corée contre la menace de guerre", d'octobre 2006, qui dénonçait les essais nucléaires en Corée du Nord et déclarait notamment que: "L'Etat capitaliste nord-coréen (...) n'a absolument rien à voir avec la classe ouvrière ou le communisme, et n'est rien d'autre qu'une version extrême et grotesque de la tendance générale du capitalisme décadent vers la barbarie militariste.3
Troisièmement, le discours d'Oh Se-Cheol ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'oppose à TOUTES les formes du capitalisme, y compris le capitalisme d'Etat nord-coréen.
Ces militants sont accusés de rien d'autre que du délit d'opinion d'être des socialistes. En d'autres termes, ils sont accusés d'inciter les travailleurs à défendre eux-mêmes, leurs familles et leurs conditions de vie, et de révéler ouvertement la vraie nature du capitalisme. Les peines requises par le ministère public ne sont qu'un exemple de plus de la répression infligée par la classe dirigeante de la Corée du Sud contre ceux qui osent se mettre en travers de son chemin. Cette répression brutale avait déjà pris pour cible les jeunes mères de la "brigade des poussettes" qui avaient emmené leurs enfants aux manifestations à la chandelle de 2008 et qui, plus tard, avaient été en butte au harcèlement judiciaire et policier.4 Elle avait aussi pris pour cible les travailleurs de Ssangyong qui avaient été passé à tabac par la police anti-émeute qui avait envahi leur usine occupée.5
Face à la perspective de lourdes peines de prison, les militants arrêtés se sont conduits au tribunal avec une dignité exemplaire, et ils ont profité de l'occasion pour exposer clairement la nature politique de ce procès. Nous reproduisons ci-dessous une traduction du dernier discours de Oh Se-Cheol devant le tribunal.
Depuis la provocation du bombardement de Yeonpyeong Island en novembre de l'an dernier, et le meurtre de civils par les canons du régime nord-coréen, les tensions militaires dans la région se sont aggravées. Les Etats-Unis ont répondu par l'envoi d'un porte-avions nucléaire dans la région pour mener des exercices militaires conjoints avec les forces armées sud-coréennes. Dans cette situation, l'affirmation selon laquelle l'humanité est aujourd'hui face au choix entre le socialisme et la barbarie sonne plus vraie que jamais.
La propagande des Etats-Unis et de ses alliés se plaît à dépeindre la Corée du Nord comme un "Etat voyou", dont la clique dirigeante vit dans le luxe grâce à la répression impitoyable de sa population affamée. Cela est certainement vrai. Mais la répression infligée par le gouvernement sud-coréen aux mères, aux enfants, aux travailleurs qui luttent, et maintenant aux militants socialistes montre assez clairement, en dernière analyse, que toute bourgeoisie nationale règne par la peur et la force brutale.
Face à ce constat, nous déclarons notre entière solidarité avec les militants arrêtés, malgré les désaccords politiques que nous pouvons avoir avec eux. Leur lutte est notre lutte. Nous adressons notre plus sincère solidarité à leurs familles et à leurs camarades. Nous serons heureux de transmettre aux camarades les messages de soutien et de solidarité que nous pouvons recevoir à l'adresse suivante: international [@] internationalism.org.6
(Ce qui suit est le texte du discours d'Oh Se-Cheol, traduit par nous du coréen)
Plusieurs théories ont tenté d'expliquer les crises qui ont eu lieu tout au long de l'histoire du capitalisme. Une d'entre elles est la théorie des catastrophes, qui soutient que le capitalisme va s'effondrer de lui-même au moment où les contradictions capitalistes arriveront à leur point le plus élevé, laissant la place à un nouveau millénaire paradisiaque. Cette position extrême, apocalyptique ou anarchique a créé de la confusion et des illusions par rapport à la compréhension des souffrances du prolétariat face à l'oppression et l'exploitation capitalistes. Beaucoup de gens ont été infectés par ce point de vue non-scientifique.
Une autre théorie est celle, optimiste, que la bourgeoisie ne cesse de répandre. Selon cette théorie, le capitalisme a lui-même les moyens de surmonter ses propres contradictions et l'économie réelle fonctionne bien en éliminant la spéculation.
Une position plus raffinée que les deux mentionnées ci-dessus, et qui a fini par l'emporter sur les autres, estime que les crises capitalistes sont périodiques, et que nous devons seulement attendre tranquillement jusqu'à ce que la tempête soit terminée pour aller de nouveau de l'avant.
Une telle position était appropriée pour le capitalisme au 19e siècle : elle ne l'est plus pour les crises capitalistes des 20e et 21e siècles. Les crises capitalistes au 19e siècle ont été des crises appartenant à la phase du capitalisme en expansion illimitée, que Marx dans le Manifeste du Parti Communiste a appelées l'épidémie de la surproduction. Cependant, la tendance à la surproduction débouchant sur la famine, la pauvreté et le chômage n'avait pas pour cause un manque de biens, mais parce qu'il y avait trop de biens, trop d'industrie et trop de ressources. Une autre cause des crises capitalistes est l'anarchie du système capitaliste basée sur la concurrence. Au 19e siècle, les rapports de production capitalistes pouvaient être élargis et approfondis grâce à la conquête de nouvelles zones pour gagner du travail salarié et de nouveaux débouchés pour les produits et ainsi les crises, durant cette période, étaient comprises comme les pulsations d'un coeur en bonne santé.
Au 20e siècle, ce fut la fin de la phase ascendante du capitalisme avec le tournant de la Première Guerre mondiale. A partir de ce moment, les rapports capitalistes de production des matières premières et du travail salarié avaient été élargis à travers toute la planète. En 1919, l'Internationale Communiste a appelé le capitalisme de cette époque comme la période "des guerres ou des révolutions". D'une part, la tendance capitaliste à la surproduction a poussé vers la guerre impérialiste dans le but de s'approprier et de contrôler le marché mondial. D'autre part, à la différence du 19e siècle, cette tendance rend l'économie mondiale dépendante d'une crise semi-permanente qui amène instabilité et destruction.
Une telle contradiction a donné lieu à deux événements historiques, la Première Guerre mondiale et la crise mondiale de 1929 qui ont coûté 20 millions de morts et un taux de chômage de 20 à 30%, ce qui a ouvert la voie, d'un côté, aux soi-disant "pays socialistes" avec le capitalisme d'Etat par la nationalisation de l'économie, et aux pays libéraux, avec une combinaison de bourgeoisie privée et de bureaucratie étatique, de l'autre.
Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme, y compris les soi-disant "pays socialistes", a connu une prospérité extraordinaire résultant de 25 années de reconstruction et de dettes accumulées. Cela a conduit la bureaucratie gouvernementale, les dirigeants syndicaux, les économistes et les soi-disant "marxistes" à déclarer haut et fort que le capitalisme avait définitivement surmonté sa crise économique. Mais la crise a constamment empiré comme le montrent les exemples suivants: la dévaluation de la livre sterling en 1967, la crise du dollar en 1971, le premier choc pétrolier en 1973, la récession économique de 1974-75, la crise d'inflation en 1979, la crise du crédit en 1982 , la crise de Wall Street en 1987, la récession économique en 1989, la déstabilisation des monnaies européennes en 1992-93, la crise des "tigres" et des "dragons" d'Asie en 1997, la crise de la "nouvelle économie" américaine en 2001, la crise des subprimes en 2007, la crise financière de Lehman Brothers, etc., et la crise financière de 2009-2010.
Est-ce là une série de "crises cycliques", une "crise périodique"? Pas du tout! Cela est le résultat de la maladie incurable du capitalisme, de la rareté des marchés par rapport à la capacité de payer, de la baisse du taux de profit. Au moment de la grande dépression mondiale en 1929, le pire ne s'est pas produit à cause d'une gigantesque intervention des Etats. Mais les cas récents de crise financière et économique montrent que le système capitaliste ne peut plus survivre avec l'aide de ces mesures instantanées de renflouement de l'argent des Etats ou des dettes de l'Etat. Le capitalisme est maintenant face à une impasse en raison de l'impossibilité de l'expansion des forces productives. Cependant, le capitalisme est engagé dans une lutte à mort contre cette impasse. Autrement dit, il dépend sans cesse du crédit d'Etat et de l'écoulement de la surproduction par la création de marchés fictifs.
Pendant 40 ans, le capitalisme mondial a échappé à la catastrophe échappant au moyen de crédits immenses. Le crédit pour le capitalisme joue le même rôle que la drogue pour un toxicomane. Finalement ces crédits vont se retrouver comme un fardeau exigeant le sang et la sueur des travailleurs à travers le monde. Ils se traduiront également par la pauvreté des travailleurs à travers le monde, par des guerres impérialistes, et par des catastrophes écologiques.
Le capitalisme est-il en déclin? Oui. Il ne va pas s'écrouler soudainement, mais nous nous trouvons dans une nouvelle étape dans la chute d'un système, la dernière étape dans l'histoire du capitalisme, qui tire à sa fin. Nous devons sérieusement nous rappeler le vieux slogan d'il y a 100 ans: "guerre ou révolution?" Et encore une fois développer la compréhension historique de l'alternative "socialisme ou barbarie" et la pratique du socialisme scientifique. Cela signifie que les socialistes doivent travailler ensemble et s'unir, qu'ils doivent se tenir fermement sur la base du marxisme révolutionnaire. Notre objectif est de vaincre le capitalisme basé sur l'argent, les marchandises, le marché, le travail salarié, et la valeur d'échange, et de construire une société de travail libéré, dans une communauté d'individus libres.
Les analyses marxistes ont confirmé que la crise générale du mode de production capitaliste a déjà atteint son point critique en raison de la baisse du taux de profit et de la saturation des marchés dans le processus de production et de réalisation de la plus-value. Nous nous trouvons face à l'alternative entre le capitalisme, qui signifie la barbarie et le socialisme, le communisme, qui signifie la civilisation.
Premièrement, le système capitaliste arrive au point où il ne peut même plus nourrir les esclaves du travail salarié. Chaque jour, partout dans le monde, cent mille personnes meurent de faim et, toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 5 ans meurt de faim. 842 millions de personnes souffrent de sous-alimentation permanente et un tiers d'une population de 6 milliards se bat chaque jour pour sa survie à cause du renchérissement des denrées alimentaires.
Deuxièmement, le système capitaliste actuel ne peut pas maintenir l'illusion de la prospérité économique.
Les miracles économiques de l'Inde et de la Chine se sont révélés être des illusions. Au cours du premier semestre de 2008, en Chine, 20 millions de travailleurs ont perdu leur emploi et 67.000 entreprises ont fait faillite.
Troisièmement, une catastrophe écologique est attendue. Par rapport au réchauffement de la planète, la température moyenne de la terre a augmenté de 0,6% depuis 1896. Au 20e siècle, l'hémisphère nord a connu le réchauffement le plus grave des 1000 dernières années. Les zones couvertes de neige ont diminué de 10% depuis la fin des années 1960 et la couche de glace au pôle Nord a diminué de 40%. Le niveau moyen des mers a augmenté de 10 à 20% au cours du 20e siècle. Une telle augmentation signifie une augmentation 10 fois supérieure à celle des 3000 dernières années. L'exploitation de la terre au cours des 90 dernières années a pris la forme de la déforestation sauvage, de l'érosion des sols, de la pollution (air, eau), de l'utilisation de produits chimiques et matières radioactives, la destruction des animaux et des plantes, de l'apparition de terribles épidémies. La catastrophe écologique peut être vue sous une forme intégrée et globale. Il est donc impossible de prévoir exactement avec quelle gravité ce problème se développera dans l'avenir.
Comment s'est donc développée l'histoire de la lutte de classe contre la répression et l'exploitation capitalistes?
La lutte de classe existe en permanence, mais elle n'a pas été couronnée de succès. La Première Internationale a échoué en raison de la puissance du capitalisme dans sa période ascendante. La Deuxième Internationale a échoué en raison du nationalisme et de l'abandon de son caractère révolutionnaire. Et la Troisième Internationale a échoué en raison de la contre-révolution stalinienne. En particulier, les courants contre-révolutionnaires ont, depuis 1930, induit en erreur les travailleurs sur la nature du capitalisme d'Etat qu'ils ont appelé le "socialisme". En fin de compte, ils ont joué un rôle de soutien au système capitaliste mondial, dans sa répression et son exploitation du prolétariat mondial par le biais du déguisement de l'affrontement entre deux blocs.
En outre, selon la campagne bourgeoise, la chute du bloc de l'Est et du système stalinien a été une "victoire évidente du capitalisme libéraliste", 'la fin de la lutte de classes" et même la fin de la classe ouvrière elle-même. Une telle campagne a conduit la classe ouvrière à un grave recul au niveau de sa conscience et de sa combativité.
Au cours des années 1990, la classe ouvrière n'a pas complètement renoncé, mais elle n'avait pas le poids ni la capacité correspondant à celles des syndicats qui avaient été les organes de lutte dans une période précédente. Mais les luttes en France et en Autriche contre les attaques sur les retraites ont constitué un point tournant pour la classe ouvrière, depuis 1989, pour reprendre son combat. La lutte ouvrière s'est le plus développée dans les pays centraux: la lutte à Boeing et la grève des transports à New York aux Etats-Unis en 2005, les luttes de Daimler et d'Opel en 2004, celle des médecins, au printemps 2006, la lutte à Telekom en 2007, en Allemagne, la lutte à l'aéroport de Londres en août 2005 en Grande-Bretagne et la lutte anti-CPE en France en 2006. Dans les pays de la périphérie, il y a eu la lutte au printemps 2006 à Dubaï, celle des travailleurs du textile au Bangladesh au printemps 2006, la lutte des travailleurs du textile au printemps 2007 en Egypte.
Entre 2006 et 2008, la lutte de la classe ouvrière mondiale est en expansion dans le monde entier, en Egypte, à Dubaï, en Algérie, au Venezuela, au Pérou, en Turquie, en Grèce, en Finlande, en Bulgarie, en Hongrie, en Russie, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis et en Chine. Comme l'a montré la lutte récente en France contre la réforme des retraites, la lutte de classe doit devenir de plus en plus largement offensive.
Comme montré ci-dessus, la tendance finale de la décadence du capitalisme mondial et la crise qui pèse sur la classe ouvrière ont inévitablement provoqué des luttes ouvrières partout dans le monde, contrairement aux crises que nous avons connues auparavant.
Nous nous trouvons maintenant devant l'alternative, à vivre dans la barbarie, non comme des êtres humains mais comme des animaux ou à vivre heureux dans la liberté, l'égalité et la dignité humaine.
La profondeur et l'importance des contradictions du capitalisme coréen sont plus graves que celles des pays dits avancés. La souffrance des travailleurs coréens semble être beaucoup plus grande que celle des travailleurs dans les pays européens. C'est une question de vie humaine de la classe, qui ne peut se mesurer avec les vaines prétentions du gouvernement coréen de jouer à être l'hôte de la réunion du sommet du G20, ou l'étalage de données quantitatives d'indices économiques.
Le capital est international, de par sa nature. Les différents capitaux nationaux ont toujours été en concurrence et en conflits, mais ils ont collaboré ensemble pour maintenir le système capitaliste, pour cacher ses crises et attaquer les travailleurs en tant qu'êtres humains. Les ouvriers ne se battent pas contre les capitalistes, mais contre le système capitaliste qui n'agit que pour l'augmentation de ses bénéfices et à cause d'une concurrence illimitée.
Historiquement, les marxistes ont toujours lutté aux côtés de la classe ouvrière, qui est maître de l'histoire, en révélant la nature des lois historiques de la société humaine et celle des lois des systèmes sociaux, en montrant l'orientation vers le monde de la véritable vie humaine et en dénonçant les obstacles représentés par des systèmes et des lois inhumaines.
Pour cette raison, ils ont construit des organisations comme les partis et ont participé de façon concrète aux luttes. Au moins depuis la Seconde Guerre mondiale, de telles activités pratiques des marxistes n'ont encore jamais connu de contraintes judiciaires. Leur pensée et leur pratique ont plutôt été très appréciées en tant que contributions au progrès de la société humaine. De tels chefs-d'oeuvre de Marx, comme Le Capital ou Le Manifeste du Parti Communiste, ont été lus aussi largement que la Bible.
Le cas du SWLK est historique, il montre au monde entier la nature barbare de la société coréenne à travers sa répression de la pensée, et serait comme une tache dans l'histoire des procès du socialisme dans le monde. Dans l'avenir, il va y avoir des mouvements socialistes plus ouverts et plus massifs. Les mouvements marxistes seront largement et puissamment développés dans le monde et en Corée. L'appareil judiciaire traitera de cas de violence organisée, mais il ne pourra pas supprimer les mouvements socialistes, les mouvements marxistes, parce qu'ils vont se poursuivre indéfiniment, aussi longtemps que l'humanité et les travailleurs existeront.
Les mouvements socialistes et leur pratique ne peuvent pas être victimes de peines judiciaires. Au contraire, ils doivent être un exemple de respect et de confiance. Voici mes derniers mots:
Abolir la loi de sécurité nationale qui supprime la liberté de pensée, de la science et de l'expression!
Arrêtez la répression par la puissance du capital contre les luttes ouvrières qui sont le véritable acteur de l'histoire!
Travailleurs du monde entier, unissez-vous afin d'abolir le capitalisme et construire une communauté d'individus libres!
1 Oh Se-Cheol, Yang Hyo-sik, Yang Jun-seok, et Choi Young-ik risquent sept ans de prison, et Nam Goong Won, Park Jun-Seon, Jeong Won-Hyung, Oh et Min-Gyu risquent cinq ans. Au pire, la Loi de sécurité nationale prévoit la peine de mort contre les accusés.
2 Voir cet article sur le site anglais du Hankyoreh [3].
3 Voir le texte de la déclaration [4].
5 Voir l'assaut de la police filmé sur YouTube [6].
6 Nous attirons également l'attention de nos lecteurs sur l'initiative de protestation lancée par Loren Goldner [7]. Bien que nous partagions le scepticisme de Loren par rapport à l'efficacité de "l'écriture" dans les "campagnes par e-mail", nous sommes d'accord avec lui sur le fait "qu'une attention internationale portée sur cette affaire pourrait bien avoir un effet sur la condamnation définitive de ces militants exemplaires".
En novembre et décembre 2010, des manifestations contre certains aspects des coupes dans l'éducation ont montré que l'application de mesures d'austérité se trouve confrontée à une certaine résistance en Grande-Bretagne. Nous publions ici des extraits d'un rapport interne de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, adaptés à notre presse publique. C'est une contribution à la large discussion que les événements récents ont provoqué. Nous avons l'intention de publier un texte distinct sur l'intervention du CCI dans le mouvement dans un proche avenir.
Ce slogan a été scandé à l'une des nombreuses manifestations qui ont eu lieu spontanément à travers la Grande-Bretagne, le 24 novembre. Des dizaines de milliers de collégiens, de lycéens (16-18 ans) et d'étudiants en formation continue sont descendus dans la rue pour protester contre les projets du gouvernement de coalition de supprimer « l'Education Maintenance Allowance », un paiement hebdomadaires d'un maximum de 30 £ pour les étudiants les plus pauvres, d'augmenter les frais universitaires de 3000 £ par an à un maximum de 9000 £, de réduire le financement de l'enseignement universitaire de 100 % pour les sciences humaines et jusqu'à 95 % pour le reste. Une partie importante de la jeune génération pense qu'on lui a volé son avenir, et n'est pas disposée à accepter ces mesures passivement.
Cette génération, face à l'aggravation de la crise, est profondément consciente de la nécessité d'acquérir une qualification universitaire ou professionnelle. Ces jeunes sont aussi pleinement conscients de l'alternative, soit devenir l'un des 1 000 000 de moins de 18 ans sans formation, sans allocation ni emploi, que le système abandonne littéralement sans rien (« vous ne pouvez prétendre à aucune prestation tant que vous n'avez pas 18 ans »), soit avoir un travail faiblement rémunéré, sans qualification. On leur a profondément enfoncé cela dans le crâne dès leur plus jeune âge, et tout à coup on leur dit qu'ils n'obtiendront aucune aide au collège et que, s’ils arrivent à l'université, ils seront confrontés à jusqu'à 50.000 £ de dettes, qu'ils auront à rembourser pendant des décennies.
L'attaque sur l'EMA est particulièrement importante pour ce mouvement parce que c'est un élément essentiel du salaire social pour de nombreuses familles ouvrières. Elle sert à payer les déplacements au collège, les livres, le papier et la nourriture, tout au moins en partie. Compte tenu du coût élevé des transports dans les grandes villes et les zones rurales, sa perte aura pour conséquence de restreindre l'accès à l'enseignement supérieur aux étudiants les plus pauvres. Les plus jeunes ont vu cela comme une attaque non seulement contre eux, mais aussi contre leur famille et, dans de nombreux cas, contre toute la classe ouvrière. C'est cette attaque qui a fait que le mouvement s'est tellement étendu dans les villes et villages à travers toute l'Angleterre. Les lycéens les plus âgés et les étudiants en formation continue ont pris possession de la rue là où il n'y a pas d'université. Ces jeunes prolétaires ont été à l'avant-garde de ce mouvement.
Il y a seulement quelques semaines, les médias britanniques se moquaient de la lutte sociale en France, comme étant typique de ces latins au 'sang chaud' qui descendent dans la rue à tout moment. Dans le même temps, ils louaient le 'sens commun', le pragmatisme et la passivité de la classe ouvrière en Grande-Bretagne.
The Independant, 21 octobre 2010
Le 10 Novembre, la vague de protestations des étudiants qui balaie le monde depuis 2006, à travers la France, la Grèce, l'Allemagne, les États-Unis, Puerto Rico et l'Italie, s'est abattue sur les rivages des îles britanniques dans une onde de tempête de combativité parmi les enfants de la classe ouvrière. Le siège spontané du quartier général du Parti Tory, lors de la première manifestation des étudiants contre les attaques sur l'enseignement supérieur, a mis le feu à la poudrière de mécontentement qui couve depuis des années. Encouragé par l'exemple pratique des étudiants refusant d'être parqués dans une vaine manifestation allant des points A à B et, au contraire, prenant les choses en main dans les environs du QG du Parti Tory et, complètement indifférent à la réaction furieuse de la classe dirigeante et de ses médias, le mouvement a connu quatre semaines de manifestations, d'occupations d'écoles, de collèges et d'universités et une défiance de plus en plus ouverte des forces répressives de l'État.
Une marée de combativité ouvrière a traversé le pays, au cours de laquelle les lycéens et les étudiants ont montré leur capacité d'auto-organisation. Dans certains établissements, les élèves ont organisé des réunions pour discuter des attaques : il y a eu des exemples de plusieurs établissements qui ont coordonné leurs actions et des discussions à travers les villes, des manifestations ont été appelées via Facebook, des occupations d'universités ont ouvert leurs discussions à quiconque voulait se joindre à elles, elles ont diffusé leurs discussions par Internet et créé des forums où les gens pouvaient envoyer des messages de solidarité ou entrer en discussion avec elles. A Londres, certains étudiants sont allés à la rencontre des piquets de grève du métro (lesquels, en retour, ont manifesté leur solidarité lors la dernière manifestation à Londres), cependant que les occupants du University College London ont réussi à effectuer le paiement d'un 'salaire minimum' au personnel de nettoyage de l'université , ce qui était une de leurs revendications.
Ces expressions d'auto-organisation n'ont pas été aussi étendues et aussi claires que lors du mouvement anti-CPE en France en 2006 mais elles ont certainement exprimé la même dynamique vers la mobilisation massive d'une génération de jeunes travailleurs pour se défendre.
En l'espace d'un mois, cette explosion de combativité s'est exprimée à travers le siège du QG du Parti Tory. Près de 30 000 lycéens, étudiants et autres manifestants ont ouvertement défié la répression de l'État, à Londres, le 9 décembre. A cette occasion, les manifestants ont réussi à déjouer la présence policière massive pour envahir Parliament Square, dont l'accès était bloqué par des barrières (il est illégal de manifester devant la maison de la démocratie, sans autorisation de la police) afin d'épargner aux députés d'entendre la colère de leurs victimes, alors qu'ils étaient en train de voter ces attaques. Les députés ont entendu plus que leur voix : ils ont aussi entendu les hélicoptères de la police, leurs fourgonnettes, les charges de la police montée, les charges au bâton d'assaut, et la résistance des manifestants que la police a contenue et battue pendant des heures pour avoir eu l'audace de se dresser pour défendre leurs propres intérêts.
La fureur de la classe dirigeante face à ce refus d'être maté par la répression s'est exprimée dans ses médias. Les reportages TV en direct et les bulletins de nouvelles n'avaient aucune prétention à l'objectivité par rapport au fait que ces porte-parole de la classe dirigeante attaquaient les étudiants, les lycéens, leurs parents et d'autres manifestants qui cherchaient à se défendre contre une force de police qui, d'après certains rapports, devait faire en sorte que les participants soient terrorisés au point de ne plus vouloir jamais manifester. Les principaux médias avaient essayé de cacher l'usage des charges à cheval de la police pendant la manifestation du 24 novembre ; et le 9 décembre, seulement deux semaines plus tard, ils montraient ouvertement les charges de la police montée, parfois jusqu'à 15 à la fois, dans la foule. Ils n'ont également pas été tellement discrets pour montrer des policiers en train de frapper des manifestants et n'ont pas été avares d'éloges en défense de la démocratie. Il a été fait le compte exact du nombre de policiers blessés alors que les manifestants blessés n'ont été mentionnés qu'incidemment, ou dans le cadre d'un plaidoyer en faveur d'une démocratie moins répressive.
Hors de Paliament Square, les étudiants, en s'appuyant sur leur expérience précédente où ils avaient été contenus par la police, ont fait éclater leur manifestation en de nombreux petits mouvements qui se sont dirigés dans plusieurs directions. D'après différents rapports, il semble que ces manifestations n'aient pas rencontré beaucoup d'hostilité et même aient souvent été accueillis par les applaudissements des gens sur le trottoir.
C'est l'une de ces manifestations qui a croisé le prince Charles et son épouse dans leur voiture. Leur regard étonné était le miroir de la classe dirigeante : la plèbe se révolte et nous n'avons pas été en mesure de la contrôler.
L'idée qu'il y ait une certaine forme de paix sociale en Grande-Bretagne a été matraquée avec ces étudiants qui ont été sans motif frappés à la tête par l'État. Plus important encore, beaucoup de ceux qui ont participé à ce mouvement ont vu leurs illusions dans la démocratie maltraitées. Ils ont appris que la seule façon d'être entendu est de se dresser, de défier l'État, de ne pas se soumettre.
Dans la suite de l'élection générale de 2010, la bourgeoisie britannique espérait utiliser la coalition des conservateurs et des libéraux-démocrates pour maintenir et renforcer l'attaque idéologique contre la classe ouvrière :
La coalition avec les Libéraux Démocrates visait à contribuer à l'adoucissement de l'image des Tories, à l'enterrement du souvenir de Thatcher et des années 1980.
La formation de la coalition était censée montrer que les politiciens et donc la population peuvent mettre les divergences de côté et s'unir dans l'intérêt commun du pays.
Les mesures d'austérité devaient être acceptées parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire, mais elles devaient être exécutées de façon équitable.
Il n'y a rien d'autre à faire en dehors de faire confiance aux politiciens pour qu'ils règlent les difficultés.
Les événements de ces dernières semaines ont constitué un sérieux défi pour la capacité de la bourgeoisie à maintenir cette offensive idéologique. Le fait que la première manifestation de lutte massive ouverte contre cette coalition s'est concentrée sur le QG des Tories et ait été accompagnée de chants furieux contre la 'racaille Tory' par des milliers de gens qui n'ont jamais connu de gouvernement conservateur a sapé tout espoir que la bourgeoisie a pu avoir de redorer l'image des conservateurs. La haine de la classe ouvrière pour les conservateurs est si profonde qu'elle se transmet de génération en génération. Quant aux libéraux-démocrates comme contrepoids, comme force de modération, cela a été infirmé par le fait que leurs dirigeants ont voté pour ces attaques, après la signature de promesses avant les élections qu'ils n'augmenteraient pas les frais. À certains égards, la direction Lib Dem est encore plus haïe que les conservateurs. Il sera intéressant de voir l'impact des récentes révélations de The Telegraph, dont les reporters infiltrés ont surpris plusieurs députés libéraux-démocrates entrain de faire des commentaires acrimonieux sur leurs partenaires de la coalition.
L'oraison du gouvernement, selon laquelle 'nous sommes tous dans le même bateau' n'est traitée avec rien d'autre que par un mépris général. Ce mouvement a été animé par une haine des riches, profonde, enflammée, qu'ils considèrent comme ayant reçu des milliards de livres en termes de gratifications et d'économies d'impôt, tandis que les étudiants et les lycéens, avec le reste de la classe ouvrière, se voient voler leur avenir. Il n'y a aucune hésitation chez la grande majorité des lycéens et des étudiants en formation continue et chez de nombreux étudiants d'université à se voir eux-mêmes comme partie de la classe ouvrière et à voir ces attaques comme étant contre la classe ouvrière.
L'idée 'd'équité' a été bafouée sans pitié. Les élèves remarquent le fait que les riches s'en tirent en payant le moins d'impôt possible, alors qu'on leur demande à eux de se sacrifier.
De toute évidence, cette rage contre les riches est très importante pour le développement futur d'une conscience de classe plus large et plus profonde. Cependant, elle est en ce moment aussi utilisée comme le portail principal pour la pénétration de l'idéologie bourgeoise dans ce mouvement. Cette colère primale, sans perspective plus large concernant la nature du système, se mélange à un sentiment d'injustice, que les riches devraient payer leur part. Ce qui est plus dangereux c'est que la gauche est entrain d'utiliser l'idée que ces attaques sont tout simplement idéologiques, parce que, prétend-elle, la classe dirigeante pourrait facilement payer pour la formation continue et pour l'EMA, si seulement elle imposait les riches de façon efficace, si seulement elle dépensait de l'argent pour l'éducation et non pour la guerre, et que ce qui arrive est ce à quoi nous devons nous attendre avec les conservateurs. On ne peut pas oublier la puissance de ces illusions idéologiques.
Si, pour le moment, ces illusions constituent un poids sur le mouvement, beaucoup de ceux qui y participent ne se font pas beaucoup d'illusions sur le Parti travailliste. Ils se souviennent que ce sont eux qui ont été les premiers à introduire les frais de scolarité. Et puis le Parti travailliste n'a pas apporté son soutien au mouvement, et il n'a pas dit qu'il supprimerait la hausse des frais s'il était élu.
Le point culminant du mouvement à ce jour, le 9 décembre, a également posé très nettement la question de la démocratie. Jusque-là, il y avait une forte croyance que si ils protestaient avec assez de vigueur, le gouvernement pouvait reculer, mais le résultat du vote a montré qu'il n'était pas en mesure de le faire. Et puis ces illusions dans le caractère raisonnable de la bourgeoisie en ont pris un coup violent, avec les forces de répression qui leur cognaient littéralement sur la tête. Tout cela a beaucoup donné à penser à ceux qui ont participé et au reste de la classe ouvrière.
Un problème majeur pour la classe dirigeante, un manque de contrôle politique sur le mouvement
Depuis son début, ce mouvement a confronté la classe dirigeante à un grand défi : celui des moyens de contenir et de contrôler politiquement le mouvement. Pendant un mois, la classe dirigeante a été confrontée à un mouvement qu'aucune de ses nombreuses forces politiques n'a été en mesure de contenir entièrement ni de contrôler :
Le National Union of Students (NUS), qui a organisé la protestation initiale le 10 novembre, et a mobilisé 50 000 étudiants, a perdu sa capacité d'agir en tant qu'organe principal des étudiants lorsque son chef, Aaron Porter, a dénoncé à maintes reprises l'attaque contre le QG du Parti Tory dans les journaux télévisés. On a eu cette situation ridicule où, lorsqu'il a dénoncé l'attaque de Millbank comme venant d'une minorité violente, la télévision montrait en direct des milliers d'étudiants qui entouraient le bâtiment et le commentateur lui disait « comment pouvez-vous dire cela, lorsque vous regardez ces images? » Après sa performance, le NUS a perdu toute capacité même d'essayer de contrôler la situation et ses militants de base ont dû aller dans le mouvement pour maintenir une certaine forme de crédibilité.
Le NUS n'a pas d'influence chez les lycéens et très peu chez les étudiants en formation continue.
Le Parti travailliste ne pouvait pas contrôler ce mouvement parce qu'il devait dénoncer l'attaque contre le QG des Tories et qu'il avait lui-même introduit les frais de scolarité.
Quant à l'extrême-gauche, aucune des organisations pseudo-révolutionnaires en Grande-Bretagne n'a assez d'influence pour contrôler le mouvement. Le Socialist Worker Party est probablement le plus important, mais son influence a diminué au cours de la dernière décennie. Le Socialist Party (ex-Militant Tendency) a joué un rôle à travers ses militants dans les universités et les lycées, mais il n'a pas d'influence nationale globale. Les gauchistes ont, dans une large mesure, dû se cacher derrière les principaux réseaux 'activistes', comme le Education Activists Network (EAN) et le National Campaign Against Fees and Cuts (NCAFC). Ils ont certainement eu une influence sur le mouvement, mais il est significatif que lors des réunions de ces réseaux, il y a eu un fort reflet de la force réelle du mouvement, par exemple, dans le fait que les organisateurs ont souvent été contraints d'accepter un débat libre et ouvert, contrairement à la lourde mise en scène en scène des réunion traditionnelles des gauchistes. Certaines réunions convoquées par les gauchistes sont encore dénommé 'assemblées' (comme à Brighton, par exemple), ce qui reflète autant un réel désir de nouvelles formes d'auto-organisation que la fonction de récupération des gauchistes.
Les mêmes jours que ces manifestations nationales, il y a eu de nombreuses manifestations locales appelées, via Facebook, par des réunions d'étudiants en formation continue, de lycéens, d'individus, des organes de coordination, comme le réseau qui a été mis en place à Oxford. De plus, ce même jour, des élèves ont spontanément déserté leurs cours : dans un cas, 3 adolescents ont appelé les élèves d'un lycée et 800 d'entre-eux sont sortis et les ont suivis. Dans de nombreux cas, les enseignants ont essayé de verrouiller les enfants ou la police a menacé de les arrêter pour absentéisme scolaire. Cela a conduit à une situation intéressante où dans des grandes villes comme Manchester, la principale manifestation n'a attiré que quelques centaines d'élèves, alors que dans de plus petites villes, le nombre de manifestants était plus important comme, par exemple, à Brighton où le 24 novembre, 2000 élèves ont déserté les cours pour aller manifester. Cette manifestation s'est terminée avec 400 élèves tentant de prendre d'assaut le commissariat central où leurs amis avaient été arrêtés.
Les citations suivantes dans The Guardian et Libcom.org donnent une idée de la nature spontanée de ce mouvement :
«Des centaines d'adolescents sont sortis du lycée Allerton Grange de Leeds pour se joindre à la manifestation. »
« L'action bien planifiée a vu presque toute l'école vide avec des banderoles soigneusement préparées ramassées dans des magasins ».
«Les élèves sont maintenant en route vers le lycée voisin Roundhay pour encourager ses élèves à les rejoindre. Il s'agit de deux lycées très performants dans un quartier particulièrement prospère de Leeds. Les deux établissements remportent régulièrement des places à Oxbridge. »
«Les élèves chantent 'ils disent réduisons, nous disons ripostons ' Deux élèves de 16 ans ont déclaré que l'accent était mis sur la perte de l'allocation d'études. L'un des deux a dit: «sans l'EMA Je ne pourrai jamais aller à l'université. Je veux réaliser mon rêve. » (The Guardian)
«I l y avait une grande énergie. La marche progressait rapidement en cercles toujours plus larges pendant plus de 3 heures d'affilée, en se tenant à l'écart de la police et parfois en en perçant les lignes. Cela a provoqué un vrai chaos dans la circulation et a contribué à empêché la police d'encercler la manifestation avec ses camionnettes pour la contenir. »
« Nous sommes passés par Cabot Circus & le centre commercial et nous nous sommes arrêtés pour une pause rapide au milieu de la zone de shopping, en pensant que c'était un endroit sûr parce qu'ils ne voudraient pas encercler une foule excitée au milieu d'un tas de boutiques de luxe. »
« Il y a eu une brève tentative pour entrer dans une boutique Vodafone. La police a été bombardée de moutarde devant le marché de Noël allemand. Il y a eu deux jolies tentatives pour occuper la maison du conseil municipal et le centre administratif de l'Université de Bristol. Des boules de neige ont été lancées sur les flics et les chevaux (qui ne les aiment vraiment pas). »
« La marche a été encerclée à la fin, à l'université de Bristol, quoiqu'une bonne partie des manifestants ait vu arriver la police et ait évité l'encerclement en sautant à travers des haies. »
« La police montée a fait une charge de cavalerie dans la foule qui avait échappé à l'encerclement. Quelqu'un aurait vraiment pu être blessé. Deux personnes ont été battues par la police en bordure de l'encerclement. Il y a eu 10 arrestations, principalement vers la fin, quand les gens essayaient de sortir de l'encerclement. Je pense que la plupart étaient des lycéens » (Libcom.org, 30/11/10).
Les informations que nous avons sur l'ampleur de ces manifestations locales sont limitées parce que la plupart des médias ont minimisé la participation des élèves. Toutefois, il est clair qu'une importante minorité d'entre-eux ont participé à ces manifestations et, dans de nombreux cas, les ont eux-mêmes organisées.
Ici, il est nécessaire de mentionner l'utilisation d'Internet et des téléphones mobiles dans ce mouvement. La jeune génération a fait un plein usage de ses compétences et de sa connaissance des médias. Facebook a joué un rôle important dans la coordination des luttes ; Twitter a également permis aux gens de rester en contact ; les occupants de l'University College of London ont également mis en place une carte Google, le 9 décembre, qui a montré où la police se trouvait afin que les manifestants puissent l'éviter. Internet a aussi été utilisé pour l'affichage de photos et de vidéos des manifestations, et de la répression policière. Par exemple, des séquences YouTube du 24 novembre ont démenti le fait que la police a nié avoir chargé la foule à cheval, alors qu'une vidéo montrant la police en train de malmener un manifestant dans un fauteuil roulant et de le traîner sur la route était accessible partout dans le monde.
Tout ceci montre que les principaux médias ont été écartés par beaucoup de ceux qui ont participé et qu'ils ont fait leurs propres rapports sur ce qui s'était passé. Les médias traditionnels déforment l'information, mais c'est ce qui a encouragé les jeunes à compter sur leurs propres sources d'information et sur leur propre organisation.
Les difficultés réelles que la bourgeoisie a eu en essayant de faire face à ce mouvement peuvent se résumer dans l'appel que le chef de la police de Bristol a lancé pour que quelqu'un devienne le leader du mouvement :
« M. Jackson a appelé à ce qu'une personne du corps étudiant se présente afin qu'ils puissent mieux coordonner ce qu'il a appelé une 'manifestation sans chef' »(presse locale citée sur Libcom.org).
Le dernier mois a vu une escalade de l'usage de la répression de la part de la classe dirigeante au fur et à mesure que le mouvement se développait. Avec ses organes politiques toujours incapables de contrôler le mouvement, l'État a eu une réponse principale: une répression de plus en plus violente. Certains ont comparé la confrontation entre la police et les étudiants qui a culminé le 9 décembre à l'émeute Poll Tax de 1990. Mais cette comparaison ne tient pas compte de la différence de contexte historique. L'émeute Poll Tax a marqué la fin d'un mouvement et a eu lieu dans une période de recul dans la conscience de classe. Ces récents affrontements entre le mouvement et la police, qui ont eu lieu non seulement à Londres mais aussi dans d'autres villes, se déroulent dans une période de recrudescence internationale des luttes, après cinq années d'attaques de plus en plus draconiennes sur la classe ouvrière. Et surtout c'est le premier mouvement étendu en Grande-Bretagne, mobilisant des dizaines de milliers de jeunes prolétaires et d'autres depuis la réapparition des luttes en 2003.
Il n'y a pas eu de confrontation entre les classes aussi radicale en Grande-Bretagne depuis le milieu des années 1980 avec les luttes des mineurs et des imprimeurs. La bourgeoisie a passé le dernier quart du siècle à se vanter de sa capacité d'amener la 'paix sociale’ et de connaître un très faible niveau de lutte de classe. Au cours de ces dernières semaines, la guerre de classe a été placée au premier plan de l'attention des travailleurs.
Le siège et l'attaque su QG du Parti Tory Partie n'a été la cause de presque aucune violence contre la police et de seulement quelques bris de fenêtres. Lorsque quelqu'un a lancé un extincteur d'incendie du toit de l'immeuble, celui-ci a été condamné par la foule aux cris de 'arrête de jeter, merde!'
Une faible présence policière a suffi pour arrêter une invasion massive de l'édifice. Deux semaines plus tard, ces mêmes élèves se sont trouvé confrontés à des charges répétées de la police montée et à de coups de matraque de la part d'une police en tenue anti-émeute .
La progression de l'usage de la violence pure de l'État contre ceux qui, dans de nombreux cas, étaient des jeunes ,montre sa préoccupation. La manifestation du 24 novembre a été témoin de l'utilisation par la police du 'kettling', qui consiste essentiellement dans le piégeage dans des zones confinées des manifestants en bloquant tous les moyens de sortie. Cette méthode avait été utilisée lors de la manifestation du G20 en 2009 et avait été critiquée, même par une partie de la bourgeoisie parce que contre-productive, dans la mesure où elle alimentait la colère. Elle a été plus largement utilisée, lors de la manifestation du 30 novembre et enfin le 9 décembre, où la politique du 'kettling' a été systématiquement pratiquée. Autour du Parlement, il semblerait que la police ait pratiqué cette technique en cercles concentriques, de telle sorte que si vous pouviez sortir d'un cercle, vous vous retrouviez dans un autre. Cela a été démontré à la fin de la manifestation quand la police a 'libéré' ceux qui avaient été pris au piège pendant des heures à l'extérieur du Parlement, qui se sont retrouvés à nouveau piégé sur le pont de Westminster pendant plusieurs heures dans le froid glacial et entassés comme du bétail.
Parallèlement au 'kettling', il y a eu une utilisation croissante de la violence. Avant la manifestation du 9 décembre, il y avait eu des affrontements entre la police et certains de ceux qui étaient pris au piège, alors qu'ils cherchaient désespérément à s'échapper. Par ailleurs, il y a eu des incidents où l'on a vu des manifestants battus par la police, mais cela a généralement été caché par les médias. Le 9 décembre cependant, les médias ont montré ouvertement la charge des chevaux dans la foule, la police anti-émeute matraquant les gens, etc. évidemment dans la vision d'une police qui devait se protéger. Mais le message était très clair : si vous protestez vous serez face à toute la force de l'État. Les journaux télévisés, sur un ton quasi hystérique, affirmaient clairement que c'était la police qui 'défendait' le droit démocratique de 'manifester pacifiquement', que la violence était dûe à une petite minorité, etc. Par rapport aux personnes sur le terrain, la police a dit que si elle était aussi violente, c'était dans le but de décourager les gens de fréquenter des futures manifestations.
ll est clair que, le 9 décembre, certains éléments devaient être prêts à affronter la police, mais la grande majorité était venue pour montrer sa détermination à exprimer sa colère face à ces attaques, malgré la répression croissante. Les jeunes manifestants ont très vite appris à ne pas se laisser encercler, comme cela s'était produit lors de la manifestation du 24 novembre, mais la police les a encerclés de façon systématique et a commencé à les attaquer. Dans de nombreux cas, ils se sont retrouvés en une foule compacte, ce qui rendait très difficile d'échapper aux accusations de la police alors qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de se battre ou bien d'être piétinés par les chevaux ou battus par la police. Même dans une telle situation, de nombreux manifestants ont été en mesure de voir au-delà de la violence immédiate:
« Nous nous couchons tous, les uns contre les autres, les chevaux au dessus de nous, des coups de matraque qui vont pleuvoir sur nos têtes et nos épaules. J'ai vraiment peur d'être sur le point de mourir, et je commence à pianoter le numéro de mes parents sur mon portable pour leur envoyer un message d'amour. »
«Au dessus de moi, une jolie blonde de dix-sept ans pleure, des larmes coulent sur son visage tuméfié et elle crie contre les abus de la police. Les manifestants commencent à crier 'honte à vous!', Mais même dans le feu de la bataille, ces jeunes gens ne tardent pas à se rappeler ce qui est réellement en jeu dans ce mouvement. «Nous nous battons pour vos enfants! » chantent-ils, devant les flics en ligne. «Nous nous battons pour vos jobs!" (New Statesman).
Les télévisions et les couvertures des magazines montrent des jeunes masqués affrontant la police , mais la majorité est démasquée et tente désespérément de se défendre.
Dans ce chaos, la jeunesse a toujours affiché son esprit vibrant. Certains, à l'instar des étudiants italiens, avaient un bouclier fait à la maison, en forme de livre, avec Marx sur le devant, ou avec des titres comme Le Meilleur Des Mondes, Dans la dèche à Paris et à Londres, et Dialectique Négative d'Adorno. Ce dernier a apparemment joué un rôle majeur lorsqu'un gendarme à cheval a été désarçonné !
(The really open university)
Il était évident que l'État allait gagner dans une telle confrontation, mais le résultat à long terme de cette répression va être extrêmement important. L'idée d'un État et d'une coalition étant en quelque sorte 'gentils et équitables' s'est envolée par la fenêtre. Des milliers de jeunes et de moins jeunes ont vécu la violence de l'État ou ont vu leurs amis et des membres de leur famille non seulement attaqués, mais traités comme des criminels. La police prenait en permanence des vidéos de la manifestation ; même dans les petites villes, elle a photographié les participants, souvent ouvertement en allant au milieu de ceux qui étaient encerclés pour les photographier. Une génération entière a vu que la seule réponse de l'État à leur demande d'être écouté était la violence. Les implications de cette situation sont encore visibles.
Ce mouvement a montré les premiers pas dans le dépassement de la démoralisation infligée au prolétariat en Grande-Bretagne, avec l'écrasement des mineurs, des imprimeurs et autres travailleurs dans les années 1980. Une génération de jeunes prolétaires s'est levée et il faudra compter avec elle. De nombreux travailleurs plus âgés ont vu ce mouvement avec admiration et avec un sentiment de 'enfin, nous ripostons!'. La question de la violence a pris une nouvelle dimension. Pendant des années, les médias ont présenté la population, c'est à dire la classe ouvrière, comme étant passive. Au début du mouvement, les médias ont pu trouver des étudiants prêts à critiquer le recours à la violence, mais, après les affrontements du 9 décembre, Newsnight a été incapable de trouver un étudiant prêt à critiquer l'usage de la violence de leur côté : au lieu de cela, les étudiants demandaient aux divers journalistes pourquoi ils ne dénonçaient pas la violence de la police? Les tentatives de l'État pour présenter le programme d'austérité comme 'juste' et équitablement réparti dans la société ont été considérées comme frauduleuses, et la seule réponse à la protestation a été la montée de la violence et de la répression. Ce dernier mois a laissé la classe ouvrière avec matière à réfléchir.
Bien que l'adoption le 9 décembre de la loi augmentant les frais de scolarité et le début de la période des vacances de Noël, aient inévitablement produit une pause dans le mouvement, beaucoup d'étudiants se sont engagés à le poursuivre en janvier. Nous constatons déjà une radicalisation dans le ton des syndicats, par exemple dans un article écrit par Len McCluskey, secrétaire général du syndicat du secteur public Unite, à la rubrique 'votre tribune' de The Guardian du 20 Décembre écrit ceci :
«Les étudiants de Grande-Bretagne ont certainement mis le mouvement syndical sur la sellette. Leurs protestations massives contre l'augmentation des frais de scolarité ont rafraîchi les partis politiques dont une centaine de débats, de conférences et de résolutions n'avaient abouti à rien.... Les syndicats ont aussi besoin de leur tendre la main. Les étudiants doivent savoir que nous sommes de leur côté. Nous devons condamner sans équivoque le comportement de la police dans les récentes manifestations. Le 'kettling', le matraquage et les charges de la police montée contre les adolescents n'ont pas leur place dans notre société.
Il est ironique que les jeunes aient été rejetés comme étant apathique et indifférent à la politique, pour que, dès qu'ils se révèlent en nombre, ils sont traités comme 'l'ennemi intérieur', d'une manière familière pour ceux d'entre nous qui ont passé les années 1970 et 1980 sur les lignes du piquet de grève.
"Et nous devons travailler en étroite collaboration avec nos collectivités qui sont les premières victimes de l'attaque. C'est pourquoi Unite a accepté de soutenir la vaste Coalition de la Résistance créée le mois dernier, qui regroupe, partout dans le pays, les syndicats et les associations locales anti-réduction.
"La manifestation du TUC, le 26 mars, sera un jalon essentiel dans l'élaboration de notre résistance, pour donner aux membres des syndicats la confiance pour faire grève pour la défense des emplois et des services ».
Le même jour, le site Web de The Guardian annonce que Unite et un autre syndicat important du secteur public, le GMB, vont soutenir la prochaine journée d'action demandée par le NCAFC et l'EAN pour le 29 janvier.
Au même moment, le leader du syndicat RMT, Bob Crow, parle de la nécessité de « l'action industrielle, de la désobéissance civile et de millions de gens dans la rue » pour redorer le profil de la gauche et des syndicats, pour mieux les aider dans leur tentative de récupérer un mouvement contre les attaques d'austérité.
La perspective est à de plus vastes et de plus larges confrontations de classe. La bourgeoisie prépare maintenant son appareil syndical pour prendre en charge la situation, mais il n'est pas garanti à l'avance qu'ils vont réussir.
World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne (23 décembre 2010)
Depuis plusieurs semaines, on assiste en Tunisie à un soulèvement contre la misère et le chômage qui frappe particulièrement la jeunesse. Aux quatre coins du pays, des manifestations de rue, des rassemblements, des grèves ont surgi spontanément pour protester contre le régime de Ben Ali. Les manifestants réclament du pain, du travail pour les jeunes et le droit de vivre dignement. Face à cette révolte des exploités et de la jeunesse privée d'avenir, la classe dominante a répondu par le plomb et la mitraille. Ce sont nos frères de classe et ce sont leurs enfants qui se font massacrer dans les manifestations et dont le sang coule aujourd'hui en Tunisie comme en Algérie ! Les tueurs et leurs commanditaires à la tête de l'État tunisien ou algérien dévoilent dans toute son horreur le vrai visage de nos exploiteurs et de la domination de système capitaliste sur toute la surface de la terre. Ces assassins ne se contentent pas de nous faire mourir de misère et de faim, ils ne se contentent pas de pousser au suicide des dizaines de jeunes réduits au désespoir, non ils nous tuent aussi en tirant à balles réelles sur les manifestants ! Les unités de police déployées à Thala, Sidi Bouzid, Tunis et surtout Kasserine n'ont pas hésité à tirer dans la foule et à assassiner froidement hommes, femmes et enfants, faisant plusieurs dizaines de morts depuis le début des affrontements. Face à ce carnage, la bourgeoisie des pays "démocratiques", et notamment l'État français, fidèle allié de Ben Ali, n'a pas levé le petit doigt pour condamner la barbarie du régime et exiger l'arrêt de la répression. Rien d'étonnant à cela. Tous les gouvernements, tous les États sont complices ! Toute la bourgeoisie mondiale est une classe d'affameurs et d'assassins !
Tout a commencé le vendredi 17 décembre, au centre du pays, suite à l'immolation par le feu d'un jeune chômeur diplômé de 26 ans, Mohamed Bouazizi, à qui la police municipale de Sidi Bouzid avait confisqué son seul gagne-pain, sa charrette de fruits et légumes. Immédiatement, un vaste mouvement de solidarité et d'indignation s'est développé dans la région. Dès le 19 décembre, des manifestations totalement pacifiques contre le chômage, contre la misère et la vie chère (les protestataires brandissent des baguettes de pain !), surgissent. Immédiatement, le gouvernement répond par la répression, ce qui ne fait qu'accentuer la colère de la population.
Une grève des soins non urgents de deux jours a été entamée le 22 décembre par les médecins universitaires pour protester contre leur manque de moyens et la dégradation de leurs conditions de travail. Elle a gagné tous les centres hospitalo-universitaires du pays. Le 22 décembre également, un autre jeune, Houcine Neji, se suicide sous les yeux de la foule, à Menzel Bouzaiane, en s'accrochant à une ligne de haute tension : "je ne veux plus de la misère et du chômage", crie-t-il. D'autres suicides vont renforcer encore l'indignation et la colère. Le 24 décembre, la police tue par balles un jeune manifestant de 18 ans, Mohamed Ammari. Un autre manifestant, Chawki Hidri, grièvement blessé décédera le 1er janvier. Aujourd'hui le bilan provisoire est d'au moins 65 tués par balles !
Face à la répression, très vite, le mouvement s'étend à tout le pays. Des chômeurs diplômés manifestent les 25 et 26 décembre au centre de Tunis. Des rassemblements et des manifestations de solidarité se développent dans tout le pays : Sfax, Kairouan, Thala, Bizerte, Sousse, Meknessi, Regueb, Souk Jedid, Ben Gardane, Medenine, Siliana… Malgré la répression, malgré l'absence de liberté d'expression, des manifestants brandissent des pancartes : "Aujourd'hui, nous n'avons plus peur !".
Les 27 et 28 décembre, ce sont les avocats qui se joignent au mouvement de solidarité avec la population de Sidi Bouzid. Face à la répression qui s'abat sur les avocats, avec des arrestations et des passages à tabac, une grève générale des avocats est appelée pour le 6 janvier. Des mouvements de grèves touchent également les journalistes de Tunis et les enseignants de Bizerte. Comme l'indique Jeune Afrique daté du 9 janvier, les mouvements sociaux de protestation et de rassemblement dans la rue sont totalement spontanés et échappent au téléguidage ou au contrôle des organisations politiques et syndicales : "La première certitude est que le mouvement de protestation est avant tout social et spontané. C'est ce que confirment des sources crédibles." 'Aucun parti, aucun mouvement ne peut prétendre qu'il fait bouger la rue ou qu'il est capable de l'arrêter', déclare-t-on à la section régionale de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT)".
Un black-out total de l'information est organisé. Dans la région de Sidi Bouzid, plusieurs localités sont placées sous couvre-feu et l'armée est mobilisée. A Menzel Bouzaiane, les blessés ne peuvent pas être transportés, la population a du mal à s'approvisionner et les écoles servent à loger les renforts de police.
Pour tenter de ramener le calme, Ben Ali sort de son silence et fait une déclaration publique de 13 minutes dans laquelle il promet de créer 300 000 emplois en 2011-12 et la libération de tous les manifestants, excepté ceux qui ont commis des actes de vandalisme. Il limoge le ministre de l'Intérieur, utilisé comme fusible et dénonce en même temps "l'instrumentalisation politique" du mouvement et l'action d'une minorité d'"extrêmistes" et de "terroristes" qui cherchent à nuire aux intérêts du pays.
Ce discours provocateur, criminalisant le mouvement, ne pouvait que galvaniser encore la colère de la population, et particulièrement des jeunes. Dès le 3 janvier, les lycéens se mobilisent et utilisent les téléphones portables et les réseaux Internet, notamment Facebook et Twitter, pour appeler à une grève générale des lycéens. Ces derniers manifestent les 3 et 4 janvier et sont rejoints par les diplômés chômeurs à Thala. Les jeunes manifestants font face aux matraques et aux gaz lacrymogènes des forces de répression. Au cours des affrontements, le siège du gouvernement est envahi et le local du parti au pouvoir incendié. L'appel à la grève nationale des lycéens, relayé par les réseaux Internet, est suivi dans plusieurs villes. A Tunis, Sidi Bouzid, Sfax, Bizerte, Grombalia, Jbeniana, Sousse, les lycéens ont rejoint les chômeurs. Des rassemblements de solidarité ont également eu lieu à Hammamet et Kasserine.
Au même moment, en Algérie, le mardi 4 janvier à Koléa, une petite ville à l’ouest de la capitale algérienne, toute une masse de chômeurs, d’ouvriers excédés et en colère descendent à leur tour dans la rue. Le même jour, les dockers du port d’Alger entrent en grève, pour protester contre un accord entre la société de gestion portuaire et le syndicat amputant le paiement des heures supplémentaires de nuit. Les grévistes refusent de donner suite à l’appel pour la suspension de la grève lancé par les représentants syndicaux. Là aussi la colère gronde ; pour ces ouvriers ayant un salaire de misère, se nourrir eux et leurs familles est une préoccupation quotidienne au même titre que les jeunes sans travail de Tunis ou d’Alger. Le 5, le mouvement de révolte se propage en Algérie notamment sur le littoral et en Kabylie (Oran, Tipaza, Bejaïa, ...) autour des mêmes revendications sociales face au chômage endémique des jeunes et à la pénurie de logements qui les poussent à rester chez leurs parents et à s'entasser dans des taudis (dans les faubourgs d'Alger pullulent des cités-dortoirs datant de années 1950 qui ressemblent à des bidonvilles contraignant les jeunes à squatter des terrains de jeu d'où ils se font régulièrement expulser par les charges musclées des forces de police). La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre. Les forces de répression et l’armée ont immédiatement frappé et frappé fort. Rien que dans le quartier de Bab el Oued à Alger, les blessés se comptent par centaines. Mais là aussi la répression féroce de l’État algérien contribue à accroître la colère. En quelques jours, les manifestations gagnent vingt départements (wilayas). Le bilan officiel fait état de trois morts (à M'Silla, Tipaza et Boumerdès). Chez les manifestants la rage est là. "Nous n’en pouvons plus, nous n’en voulons plus." "Nous n’avons plus rien à perdre." Voilà les cris que l’on entend le plus souvent dans les rues d’Algérie. Ces émeutes ont pour détonateur immédiat la nouvelle augmentation brutale des prix d'aliments de première nécessité, annoncée le 1er janvier dernier : les prix des céréales ont augmenté de 30%, l’huile de 20% et le sucre lui a connu une envolée de 80% ! Après 5 jours de répression et de calomnies déversées sur le mouvement, Bouteflika amorce une marche arrière pour faire baisser la tension : il promet une détaxation sur les produits ayant subi une forte augmentation.
En Tunisie, le 5 janvier, à l'occasion des funérailles du jeune marchand de légumes qui s'est suicidé à Sidi Bouzid le 17 décembre, la colère est à son comble. Une foule de 5000 personnes a défilé derrière le cortège funèbre en criant son indignation : "Nous te pleurons aujourd'hui, nous ferons pleurer ceux qui ont causé ta mort !". Le défilé prend la tournure d'une manifestation. La foule scande des slogans contre la cherté de la vie "qui a conduit Mohamed au suicide" et crie "Honte au gouvernement !". Le soir même, la police procède à des arrestations musclées de manifestants à Jbedania et Thala. Des jeunes sont arrêtés et pourchassés par la police en armes.
Le 6 janvier, la grève générale des avocats est suivie à 95%. Partout, dans les localités du centre, du sud et de l'ouest du pays, des grèves, des manifestations de rue, des affrontements avec la police ont lieu et l'agitation gagne même les villes du littoral Est, plus riches.
La police se déploie devant tous les lycées et toutes les universités du pays. A Sfax, Jbeniana, Tajerouine, Siliana, Makhter, Tela, des manifestations de lycéens, étudiants, habitants sont brutalement dispersées par la police. A Sousse, la faculté de Sciences Humaines est prise d'assaut par les forces de l'ordre qui procèdent à des arrestations d'étudiants. Le gouvernement décide la fermeture de tous les lycées et de toutes les universités.
Face à la répression du mouvement, le 7 janvier, dans les villes de Regueb et Saida proches de Sidi Bouzid, des affrontements entre manifestants et police font 6 blessés. Des manifestants lancent des projectiles sur un poste de sécurité et la police tire sur la foule. Trois jeunes sont grièvement blessés.
Le 8 janvier, le syndicat officiel UGTT sort enfin de son silence, mais ne dénonce pas la répression. Son Secrétaire général, Abid Brigui, se contente de déclarer, sous la pression de la base, qu'il soutient les "revendications légitimes des populations de Sidi Bouzid et des régions de l'intérieur du pays". "Nous ne pouvons pas être en dehors de ce mouvement. Nous ne pouvons que nous ranger du côté des droits des nécessiteux et des demandeurs d'emploi". Face à la violence de la répression, il déclare timidement : "il est contre nature de condamner ce mouvement. Il n'est pas normal d'y répondre par des balles". Mais il ne lance aucun appel à la mobilisation générale de tous les travailleurs, aucun appel à l'arrêt immédiat de la répression qui s'est déchainée avec une violence accrue au cours du week-end des 8 et 9 janvier.
A Kasserine, Thala et Regueb, la répression des manifestations tourne au massacre. La police tire froidement sur la foule, faisant plus de 25 morts par balles. Dans la ville de Kasserine terrorisée par les exactions de la police qui a même tiré sur les cortèges funèbres, l'armée, divisée non seulement refuse de tirer sur la population mais s'interposée pour assurer sa protection contre la police anti-émeute. Pour sa part, le chef d'état-major de l'armée de terre est limogé pour avoir donné l'ordre de ne pas tirer sur les manifestants. D'ailleurs, si l'armée a été déployée dans les principales villes pour protéger les bâtiments publics, elle est mise à l'écart des opérations de répression directe, y compris dans la capitale d'où elle a fini par se retirer. Face au bain de sang, le personnel hospitalier de la région, bien que débordé par les urgences, débraye en signe de protestation.
Depuis le week-end sanglant des 8 et 9 janvier, la colère a gagné la capitale. Le 12 janvier, des émeutes explosent dans la banlieue de Tunis. La répression fera 8 morts dont un jeune tué d'une balle dans la tête. Le gouvernement impose le couvre feu. La capitale est aujourd'hui quadrillée par les forces de sécurité et le syndicat officiel UGTT a fini par appeler à une grève générale de 2 heures pour le vendredi 14. Malgré le couvre-feu et le déploiement des forces de répression dans la capitale, des affrontements se sont poursuivis en plein cœur de Tunis et partout des portraits de Ben Ali sont brûlés. Le 13 janvier, la révolte gagne les stations balnéaires du littoral et notamment la grande station touristique de Hammamet où les magasins sont pillés et les portraits de Ben Ali déchirés tandis que des affrontements entre manifestants et police se poursuivent au cœur de la capitale. Face au risque de basculement du pays dans le chaos, face à la menace d'une grève générale, et sous la pression de la "communauté internationale", notamment de l'État français qui, pour la première fois, commence à "condamner" Ben Ali, celui-ci finit par lâcher du lest. Il déclare à la population le soir du 12 janvier 13 janvier : "Je vous ai compris" et il affirme qu'il ne se représentera pas aux prochaines élections... prévues en 2014 ! Il promet une baisse du prix du sucre, du lait, du pain et demande enfin aux forces de l'ordre de ne plus tirer à balles réelles en affirmant qu'"il y a eu des erreurs et des morts pour rien".
Face à la sauvagerie de la répression, tous les gouvernements "démocratiques" se sont contentés pendant plusieurs semaines d'affirmer leur "préoccupation" en appelant au "calme" et au "dialogue". Au nom du respect de l'indépendance de la Tunisie et de la non ingérence dans les affaires intérieures du pays, aucun n'a condamné les violences policières et le massacre perpétré par les sbires aux ordres de Ben Ali, même si en toute hypocrisie, la plupart déplorent "un usage excessif du recours à la force". Après le week-end sanglant des 8 et 9 janvier, l'État français a même ouvertement apporté son soutien à ce dictateur sanguinaire. Après avoir "déploré" hypocritement les violences, Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères a proposé l'aide "sécuritaire" de la France aux forces de répression de l'État tunisien dans son discours à l'Assemble nationale le 12 janvier : "Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce pays".
Le "savoir-faire" des forces de sécurité françaises, on a vu ce que cela signifie lors des bavures policières qui ont provoqué la mort par électrocution de deux adolescents poursuivis par des flics en 2005 et qui ont constitué l'élément majeur du déclenchement des émeutes des banlieues. Ce "savoir-faire", on l'a encore vu à l'œuvre dans le mouvement de la jeunesse contre le CPE où la brigade anti-émeutes a envahi certaines universités avec des chiens pour terroriser les étudiants en lutte contre la perspective du chômage et de la précarité. Ce savoir-faire "sécuritaire" de nos bons flics français s'est dévoilé aussi dans les tirs de flash ball qui ont blessé plusieurs lycéens lors des manifestations contre la LRU en 2007. Et plus récemment, dans le mouvement contre la réforme des retraites, la répression qui s'est abattue notamment à Lyon contre des jeunes manifestants ont encore montré l'efficacité des forces de "sécurité" de l'État démocratique.français ! Des centaines de jeunes ont déjà été condamnés à de lourdes peines de prison ou sont menacés de l'être. Bien sûr, les États "démocratiques" ont plus de retenue et ne tirent pas aujourd'hui à balles réelles sur les manifestants, mais ce n'est certainement pas parce qu'ils seraient plus "civilisés", moins barbares ou plus "respectueux des droits de l'homme et de la liberté d'expression", mais parce que la classe ouvrière de ces pays est plus forte, a une longue expérience de luttes et n'est pas prête à accepter un tel degré de répression.
Quant à la criminalisation des mouvements sociaux permettant de justifier la répression, le gouvernement de Ben Ali n'a rien à envier à son complice français qui a été le premier à dénoncer les étudiants en 2006, de même que les travailleurs de la SNCF et de la RATP (en lutte pour la défenses des régimes spéciaux des retraites) en 2007, comme des "terroristes".
Il est clair que la seule chose qui "préoccupe" tant la classe dominante de tous les pays, c'est le renforcement "efficace" de l'État policier destiné au maintien de l'ordre capitaliste, un ordre social qui n'a aucun avenir à offrir aux jeunes générations. Partout dans le monde, face la crise insurmontable du capitalisme, cet "ordre" ne peut engendrer que toujours plus de misère, de chômage et, finalement, de répression.
La complicité évidente de toute la bourgeoisie mondiale révèle que c'est bien tout le système capitaliste qui est responsable du bain de sang en Tunisie, et pas seulement le régime corrompu de Ben Ali. L'État tunisien n'est qu'une caricature de l'État capitaliste !
Bien que la Tunisie soit dominée par un régime totalitaire gangréné par la corruption, la situation sociale dans ce pays n'est pas une exception. En Tunisie, comme partout, la jeunesse est confrontée au même problème : l'absence de perspective. Cette révolte "populaire" se rattache au combat général de la classe ouvrière et de ses jeunes générations contre le capitalisme. Elle s'inscrit dans la continuité des luttes qui se sont déroulées depuis 2006, en France, en Grèce, en Turquie, en Italie en Angleterre où toutes les générations se sont retrouvées dans une immense vague de protestation contre la dégradation des conditions de vie, la misère, le chômage des jeunes et la répression. Le fait que la révolte sociale ait été marquée par un vaste mouvement de solidarité dès les événement du 17 décembre, montre que, malgré toutes les difficultés de la lutte de classe en Tunisie ou en Algérie, malgré le poids des illusions démocratiques lié à l'inexpérience et la chape de plomb de ces régimes qui exposent les prolétaires à l'isolement et aux bains de sang, cette révolte contre le chômage et la vie chère appartient au combat de la classe ouvrière mondiale.
La conspiration du silence qui a entouré ces événements ne vient d'ailleurs pas que de la censure de ces régimes. Elle a été partiellement rompue par l'activité d'une jeunesse qui a su activer ses réseaux Internet, Twitter ou Facebook comme arme de combat, comme moyen de communication et d'échange pour montrer et dénoncer la répression assurant ainsi un lien entre eux mais aussi avec leur famille ou amis en dehors du pays, notamment en Europe. Mais les médias de la bourgeoisie ont partout contribué à instaurer un black-out, en particulier par rapport aux luttes ouvrières qui ont inévitablement accompagné ce mouvement et dont les échos ne sont parvenus que de manière très fragmentaires 1.
Ces médias ont également, comme lors de chaque lutte de la classe ouvrière, tout fait pour déformer et discréditer cette révolte contre la misère et la terreur capitaliste en la présentant à l'extérieur comme un remake des émeutes dans les banlieues en France, comme l'œuvre d'une bande de "casseurs" irresponsables et de pillards, là encore en toute complicité avec le gouvernement de Ben Ali, alors que de nombreux manifestants ont dénoncé les pillages comme étant l'œuvre des flics cagoulés destinée à discréditer le mouvement. Les vidéos amateurs des jeunes ont également montré des policiers en civil qui ont cassé des vitrines à Kasserine le 8 janvier pour servir de prétexte à la terrible répression qu'ils ont déchaînée dans cette ville.
Face à la barbarie capitaliste, face à la loi du silence et du mensonge, la classe ouvrière de tous les pays doit manifester sa solidarité envers ses frères de classe en Tunisie et en Algérie. Et cette solidarité ne peut s'affirmer que par le développement de ses luttes contre toutes les attaques du capital dans tous les pays, contre cette classe d'exploiteurs, d'affameurs et d'assassins qui ne peut maintenir ses privilèges qu'en continuant à plonger l'humanité dans le gouffre de la misère. Ce n'est qu'en développant massivement ses luttes, en développant sa solidarité et son unité internationale que la classe ouvrière, notamment dans les pays "démocratiques" les plus industrialisés, pourra offrir une perspective d'avenir à la société.
Ce n'est qu'en refusant de faire les frais de la faillite du capitalisme partout dans le monde, que la classe exploitée pourra mettre un terme à la misère et à la terreur de la classe exploiteuse en renversant le capitalisme et en construisant une autre société basée sur la satisfaction des besoins de toute l'humanité et non sur le profit et l'exploitation.
Solidarité avec nos frères de classe au Maghreb !
Solidarité avec les jeunes générations de prolétaires partout où elles luttent contre un avenir bouché !
Pour en finir avec le chômage, la misère et la mitraille, il faut en finir avec le capitalisme !
WM (13 janvier 2011)
1 Pour mémoire, rappelons qu'en Tunisie en 2008, la région des mines de phosphates de Gafsa avait été le coeur d'une épreuve de force avec le pouvoir durement réprimée et qu'en Algérie, en janvier 2010, 5000 grévistes de la SNVI et d'autres entreprises avaient tenté, malgré l'intervention brutale des forces de l'ordre, de se rassembler pour étendre et unifier leur lutte au centre d'une zone industrielle rassemblant 50 000 ouvriers dans la région de Rouiba aux portes d'Alger
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[3] https://english.hani.co.kr/arti/english_edition/e_national/324965.html
[4] https://fr.internationalism.org/ri374/coree.html
[5] https://english.hani.co.kr/arti/english_edition/english_editorials/318725.html
[6] https://www.youtube.com/watch?v=F025_4hRLlU
[7] https://libcom.org/forums/organise/korean-militants-facing-prison-08012011
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/232/coree
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/oh-se-cheol
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/nam-goong-won
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/repression-coree-du-sud
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe