Nous venons de recevoir deux documents de nos camarades de la Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, du Costa Rica, un groupe qui participe activement au débat et à la collaboration internationale entre groupes prolétariens.
Le premier document est une prise de position sur la répression qui s’abat à la fois sur les ouvriers, les étudiants et tous les laissés-pour-compte de la part d’un Etat qui se vente d’être « le plus démocratique » et de constituer une « exception » dans cette région centre-américaine si agitée. En réalité, comme nos camarades le démontrent, au Costa Rica, la dictature capitaliste s’exerce avec autant de brutalité que dans d’autres pays de plus « mauvaise réputation ».
Le deuxième document représente les Positions de Base de la LECO qui nous semblent concrétiser un effort de réflexion et de synthèse qui pourrait servir à d’autres groupes et collectifs internationalistes de par le monde. De la Déclaration de nos camarades le passage suivant est à souligner : « À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour développer un débat internationaliste. »
CCI 26-5-10
Pendant ces dernières semaines, nous avons constaté que le gouvernement du Costa Rica a utilisé la répression pour intimider toutes les manifestations ouvrières qui se sont déroulées. Ceci fait partie d’une dynamique générale propre au capitalisme qui, poussé par la crise endémique qui le ronge, cherche à faire porter le poids de la crise sur le dos des travailleurs. Son but est d'empêcher la classe ouvrière de prendre confiance en elle-même et de la maintenir désunie.
La répression et les menaces sont les instruments majeurs de la démocratie, qui est comme une décoration avec laquelle la bourgeoisie essaye d'enrober ses massacres. Le gouvernement annonce qu’il ne tolérera pas le moindre incident du genre « blocage des routes », ni, comme ceux qui nous gouvernent le déclarent toujours, que la paix soit altérée. A travers ce discours, il se prépare à réprimer n’importe quelle lutte qui essaye de s'opposer aux plans de « réajustement » du pouvoir face à la crise. C’est la seule dynamique qu’ils connaissent, que ce soit le gouvernement précédent d’Arias ou l’actuel de Chinchilla ou n’importe quel autre fraction susceptible de parvenir au pouvoir. Voilà la seule dynamique qui prévaut actuellement dans tous les pays de la planète.
On a vu la provocation de la police quand elle a pénétré dans les campus universitaires et qu'elle a fini par charger les étudiants. On a vu les arrestations par milliers lors des manifestations à Puerto Limón [Port principal du Costa Rica sur l’Atlantique]. Et enfin, les étudiants et d’autres manifestants ont été frappés avec brutalité au cours de la marche de protestation qui s’est déroulée le jour de la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président de la République.
Ces événements sont la face cachée de la démocratie. Le capitalisme a utilisé le discours démocratique pour, dans des périodes de « tranquillité », organiser des défilés et des fêtes, et, au moment des conflits, réprimer brutalement.
La brutalité de la police dans ce pays est bien connue, le discours sur le pays « de la paix »1 ne sert qu’à alimenter le nationalisme et les discours de la bourgeoisie et de ses laquais. La répression se vit quotidiennement au Costa Rica, répression qui s'exerce sur les vendeurs à la sauvette comme sur les travailleurs précaires, sur les exploités comme sur les laissés-pour-compte.
Le discours officiel est celui de renforcer la police contre le trafic de drogue, contre le terrorisme. Mais ce n’est qu’un prétexte pour une militarisation de la société comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial.
Le prolétariat doit rejeter cette militarisation, cette répression dont le but principal est celui de diviser et d’utiliser tous les moyens pour que la classe ouvrière n’arrive pas à prendre conscience et agisse en conséquence. La classe ouvrière commence à perdre sa confiance en la démocratie, elle commence à s’éveiller en voyant son vrai visage, celui de la guerre, la misère et la répression. La situation du capitalisme ne fera qu’empirer et il n’y a que les méthodes de guerre dont dispose la bourgeoisie pour essayer de freiner sa chute au niveau mondial.
Liga por la Emancipación de la Clase Obrera
Mai 2010
emancipació[email protected] [1]
https://internacionalismo-leco.blogspot.com/ [2]
La Ligue pour l’émancipation de la classe ouvrière est un groupe marxiste qui se revendique de l’internationalisme prolétarien.
Nous considérons la classe ouvrière comme la seule capable de faire la révolution et de guider l’ensemble des exploités. La classe ouvrière est composée essentiellement de ceux qui vivent de leur salaire et des chômeurs, de tous ceux qui subissent dans leur chair les calamités de l’exploitation.
Nous considérons que le capitalisme, de la même manière que les systèmes d’exploitation qui l’ont précédé, a vécu une période d’ascendance et une période de décadence. La décadence a obligé le prolétariat à mettre en avant une nouvelle tactique, face à une nouvelle réalité historique où les méthodes de lutte du passé ont été dépassées.
Nous nous réclamons des apports de la Gauche communiste qui est restée fidèle à l’internationalisme prolétarien au milieu d’une période de persécution et, surtout, de détournement de la lutte communiste.
Nous considérons que le prolétariat ne doit défendre aucun drapeau national, nous pensons qu’il n’y a rien de progressiste dans aucune lutte nationale dans la période historique actuelle.
Nous considérons que les syndicats ne sont plus des outils de la lutte prolétarienne depuis que le capitalisme est entré en décadence.
De la même manière que pour les syndicats, la lutte parlementaire est depuis l’entrée en décadence du capitalisme, un terrain totalement contrôlé par la bourgeoisie où aucun intérêt prolétarien ne peut y être défendu, même pas une participation critique.
Nous ne croyons pas du tout dans les « Etats ouvriers » comme les appellent les trotskistes. Nous considérons que des pays comme Cuba, la Chine etc. sont et ont toujours été aussi capitalistes que le reste, que le patron soit l’État ne change rien au rapport d’exploitation.
Nous pensons que les conseils ouvriers sont les organes de lutte et d’organisation de la classe, mais en attendant que ce soit la classe elle-même qui puisse les instaurer, celle-ci s’organise en assemblées ouvertes de travailleurs, qui puissent intégrer des travailleurs d’autres branches, des étudiants, des chômeurs. C’est ainsi que la classe ouvrière a pu agir lors de certaines luttes, ces derniers temps de reprise de la lutte de classe.
À l’origine, la LECO défendait des positions trotskistes, mais nous avons commencé à nous opposer à la position pro-parlementaire et pro-syndicale du trotskisme, à son activisme et, en général, au programme défendu par la prétendue « Quatrième Internationale » que nous avons considéré comme un programme social-démocrate. Nous sommes arrivés à prendre contact avec des camarades d’autres pays, comme ceux du CCI, avec des positions similaires aux nôtres, de sorte que nous avons pu ainsi clarifier nos positions. À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour un débat internationaliste, parce que la classe ouvrière a commencé à reprendre ses forces et parce que des éléments et des groupes surgissent dans différents lieux qui se donnent pour tâche de se rapproprier la théorie et le combat révolutionnaires. Nous pensons que, malgré les positions différentes qu’on peut avoir par rapport à d’autres regroupements prolétariens et internationalistes, on peut toujours mener des débats qui vont dans le sens du développement de la conscience au sein de notre classe.
1 Des discours qui font sans doute référence au fait que le Costa Rica se vante d'être le seul pays au monde à ne pas avoir officiellement d’armée (NdT)
Vendredi 5 février a eu lieu la deuxième réunion publique du CCI dans la ville de Quito, sur le sujet : « Qu’est-ce le marxisme ? » C’est un sujet qui préoccupe les camarades qui réfléchissent sur la perspective que le capitalisme peut nous offrir et sur la question de savoir s’il existe une alternative révolutionnaire :
- Est-ce que la théorie marxiste permet de mener une critique et une réflexion pour mettre en avant une perspective révolutionnaire ?
- Est-ce une arme de combat ?
- Les principes défendus par le marxisme, sur la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, sur la perspective du communisme, sur l’internationalisme, etc., peuvent-ils être les bases pour le développement d’un processus révolutionnaire et pour intervenir en son sein ?
La bourgeoisie est consciente du fait que le marxisme suscite l’intérêt de ces minorités, expression de l’effort de la classe ouvrière pour comprendre la situation et organiser sa lutte ; ainsi, elle fait tout son possible pour qu’on parle de Marx et de ses œuvres comme d’un sujet sans lien avec la lutte de la classe ouvrière, comme l’œuvre d’un « économiste » dans le meilleur des cas et, dans le pire, comme celle d’un visionnaire doctrinaire.
Le public présent à la réunion a été l’expression de l’intérêt que celle-ci suscitait. Y sont venus des camarades qui connaissent bien nos positions et d’autres qui les entendaient pour la première fois. Il y avait des sympathisants du milieu anarchiste et aussi des militants de la cause indigéniste en Équateur. Sur notre invitation expresse, une délégation du Noyau Prolétarien au Pérou (NPP) est aussi venue ; et, enfin, quelques éléments du groupe qui nous avait envoyé sur notre site Web le texte « La réforme n’est pas la révolution », les Comunistas Integrales (communistes intégraux).
Le débat fut très animé et fraternel. Pratiquement tous les présents sont intervenus pour présenter leurs positions et soutenir ou réfuter ce qui était affirmé dans d’autres interventions. Les réunions de débat au sein de notre classe ne doivent surtout pas être comme ces conférences universitaires ou leurs prétendus « colloques » auxquels on nous a habitués, où un conférencier ne fait qu’un monologue pendant toute la réunion, et à la fin on permet qu’on pose quelques questions qui servent d’excuses pour finir le monologue. Il n’y a pas là de débat qui vaille, mais la répétition jusqu’à la nausée des positions d’un intellectuel ou d’un parti politique. Pour qu’une véritable discussion puisse avoir lieu, il faut que la confrontation de positions, l’argumentation, la réflexion, avec la participation active des présents, puisse se développer.
Les communistes intégraux, au début de la réunion, ont exprimé certains préjugés sur le supposé dogmatisme et l’étroitesse d’esprit de beaucoup de groupes qui se revendiquent du « marxisme »[1] [5]; mais la réunion a fini par les gagner au débat et ces camarades ont écouté et argumenté et, à la suite de la rencontre, ils ont continué avec les autres à discuter dans une ambiance fraternelle lors d’un repas avec beaucoup de présents.
La délégation du NPP, tel qu’eux-mêmes l’ont dit, a eu autant d’impact sur la réunion qu’ils ont été « impactés » par elle. La présence de camarades d’un autre pays, venus expressément débattre avec les minorités qui surgissent en Équateur, leur volonté d’argumenter et de transmettre leur propre expérience, démontraient dans la pratique de ce que veut dire débat international, et regroupement des minorités que la classe fait naître.
La discussion a fait ressortir plusieurs sujets :
Les camarades qui étaient intervenus dans les questions indigénistes ont, d’emblée, proposé qu’il fallait aborder les questions en partant de la situation en Équateur, qu’il fallait être plus concrets : « Nous sommes venus à la recherche de perspectives…Il vaut mieux voir les choses depuis l’Équateur pour pouvoir ainsi parler du marxisme : quelles sont les luttes qui se déroulent et se sont déroulées en Équateur ?»
Cette proposition a déchaîné un véritable flot d’interventions en défense de l’internationalisme comme un principe de base du prolétariat. Personne ne niait la nécessité d’être concrets et d’analyser la lutte de classe en Équateur, mais on a insisté sur la nécessité de l’aborder à partir d’une analyse internationale du rapport des forces entre les classes.
Il a été dit qu’une des plus grandes erreurs des années passées avait consisté à considérer la situation en Amérique latine avec un prisme régional, ce qui avait conduit à « l’anti-impérialisme » et à la guérilla, etc., alors que les minorités qui surgissent à l’heure actuelle le font en tant qu’expression de la classe ouvrière, en se basant sur une vision internationaliste.
Ce sont ces camarades eux-mêmes qui ont nié défendre le nationalisme, mais ils ont insisté sur leurs préoccupations concernant la question de quoi faire dans l’immédiat, montrant ainsi qu’ils cherchaient à prendre vraiment une position sur le terrain prolétarien, défendant l’internationalisme, sans renoncer à débattre sur ses convictions : « Je ne défends pas le nationalisme, c’est partout qu’il y a de la souffrance. Mais nous voudrions que les choses soient vues à partir de nous-mêmes, non pas à partir d’une putain de critique, mais à partir de la pratique concrète ».
Il s’est faite alors une critique de l’immédiatisme qui, sous l’apparence d’être « concret et efficace », conduit en réalité vers des choix politiques de la bourgeoisie, parce que ce qui est pratique et concret dans le totalitarisme étatique, c’est l’occupation de tout le terrain par les forces de la bourgeoisie. Une réflexion et une intervention internationalistes n’excluent pas du tout les pratiques concrètes d’être partie prenante dans les luttes et dans la dénonciation des manœuvres de la bourgeoisie, mais elles partent d’une analyse du rapport de force entre les classes et de la perspective.
Les conclusions ont mis également en avant la défense de l’internationalisme : « On a mis en avant le caractère international et révolutionnaire du prolétariat, sujet de la lutte révolutionnaire et porteur de la conscience de classe nécessaire à la révolution ». Les camarades qui avaient posé la question « nationale » n’avaient jamais entendu parler du marxisme et de l’internationalisme qu’à travers les voix de leurs plus grands ennemis : les staliniens, les maoïstes et les gauchistes de tout poil. Aussi, à la fin, ceux-là et tous les autres participants ont exprimé leur volonté passionnée de mieux connaître les positions et la méthode de la Gauche communiste.
Il y a eu des interventions avec des points de vue divers qui ont posé la question sur quelle position prendre face à la lutte des indigènes, ou celle des femmes : quelques unes des femmes présentes à la réunion avaient participé auparavant à des mouvements féministes ; d’un autre coté, les interventions des Communistes Intégraux avaient tendance à considérer comme prolétariens toute couche ou secteur social, et même des individus isolés qui manifesteraient leur opposition au capitalisme.
Mais tel que le Manifeste Communiste le dit et beaucoup d’interventions ont repris, de toutes les classes et couches qui s’opposent au capitalisme, seul le prolétariat est révolutionnaire, et ceci non pas par le caprice d’un tel ou tel autre, ni à cause d’une quelconque vision messianique de notre classe, mais par son rôle bien concret dans le processus de production ; il a été dit que d’autres secteurs tels que les petits propriétaires peuvent être aussi opprimés par les grands capitaux, mais leur lutte contre ceux-ci n’est que l’expression de la concurrence capitaliste ; ou les paysans qui résistent pour ne pas devenir des prolétaires, ou les indigènes qui vivent dans des communautés marginalisées..., leurs luttes ne se posent pas en termes de confrontation et de dépassement du capitalisme, mais d’une tentative de s’en isoler, quand ce n’est pas de s’y intégrer pleinement.
Lors de cette réunion, plusieurs personnes ont donc défendu la position comme quoi seul le prolétariat, qui est une classe résultant du développement historique (une classe qui concrétise le travail associé et la nature sociale de l’humanité et dont l’exploitation est la négation de toute humanité, qui transforme les être humains en marchandise), en revendiquant ses nécessités humaines, nie les rapports marchands, par conséquent, il nie l’appropriation du travail d’autrui et la propriété privée des moyens de production pour ouvrir la voie à leur appropriation collective sociale. Seule la lutte du prolétariat porte en elle une alternative au mode de production capitaliste.
Pour toutes ces mêmes raisons, on a affirmé que la lutte ouvrière englobe également la lutte contre toute forme d’oppression et d’aliénation. Dans ce sens, la lutte partielle contre l’oppression des femmes ou contre l’aliénation religieuse, ne met pas en question la cause matérielle, réelle, de ces aliénations ; c’est une lutte idéologique, sur le terrain de la conscience personnelle ; tandis que la lutte révolutionnaire du prolétariat affronte les causes, dans la pratique, de ces oppressions.
« Cette propriété privée matérielle, immédiatement sensible, est l'expression matérielle sensible de la vie humaine aliénée. Son mouvement - la production et la consommation - est la révélation sensible du mouvement de toute la production passée, c'est-à-dire qu'il est la réalisation ou la réalité de l'homme. La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi générale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliénation religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle - sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspects. »
«...or celle-ci [l'émancipation universelle de l'homme] y est incluse parce que tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport ». (K. Marx, Manuscrits de 1844, économie politique et philosophie)
Beaucoup de camarades ont exprimé simplement et avec clarté comment ils comprenaient ces questions aussi compliquées en apparence. En fait, on pourrait affirmer que ce fut là l’un des points forts de la réunion : la majorité des participants ont exprimé leur confiance dans le prolétariat et dans sa nature révolutionnaire.
Nous ne pouvons pas ne pas citer quelques-unes des interventions [2] [6], telles que celle-ci : « J’ai fini par m’identifier avec le prolétariat, ainsi que les gens de ma famille, même ceux qui font des études, ils sont tous des salariés. Je n’ai que ma ’main-d’œuvre’ pour gagner ma vie. Le marxisme n’exclut pas, il exprime la totalité de la transformation, les enfants des indiens deviennent des salariés quand ils viennent en ville et même dans la campagne il y a des salariés. Des prolétaires, il y en a partout dans le monde, ils sortent de leur communauté et se prolétarisent et ils n’ont rien d’autre. Je suis ici pour la transformation du tout, non pas pour des revendications partielles, mais pour changer le monde. C’est pour ça que je suis ici. ».
D’autres interventions ont insisté sur ces questions :
« C’est à partir du moment où nous nous reconnaissons en tant qu’exploités que nous pouvons lutter. Ce débat et la souffrance que nous endurons, voilà ce qui nous amène à nous reconnaître et à lutter en tant qu’être conscients. Je défends le marxisme, parce que c’est la critique de l’expérience.»;
« Les stratégies basées sur les ethnies sont faites pour nous nier, ce sont de fausses identités ».
Le NPP contribua en apportant sa propre expérience : « Nous n’avons pas pu défendre ici nos positions, nous avons besoin de plus de temps pour les exposer. Nous sommes une même classe qui lutte. Nous avons été trompés par le maoïsme, par Mariátegui. Il y a des entraves comme la race, l’indien, la femme. Nous voulons réaliser un travail pour changer le système et pour cela nous devons voir la réalité en face. Il faut rompre avec tous les groupes qui ont trahi.»
Les conclusions sont aussi allées dans ce même sens :
« La discussion conclut qu’il est nécessaire de regarder les choses d’un point de vue propre à la classe ouvrière, qui reprenne l’expérience de sa trajectoire historique des luttes, qui analyse la réalité pour aller dans le sens du changement que nous voulons. Nous et quelques autres camarades appelons ce point de vue « marxisme », d’autres préfèrent l’appeler « théorie révolutionnaire. » [3] [7]
Les préventions des Comunistas Integrales (CI) face au prétendu dogmatisme sous lequel se présentait la réunion (et en général les positions du CCI) ont entraîné que celle-ci a débuté avec une intervention liminaire des CI qui consistait dans la lecture d’un article du numéro 2 de leur publication Cuadernos de la negación [4] [8] (éditée en Argentine): « ¿Comunismo? ¿Anarquía? » (Communisme ? Anarchie ?)
Les parties de la critique qui ont été reprises par la suite dans la discussion ont été celles qui font référence aux différents « ismes » qui ont fait du marxisme une idéologie « de gauche », alors qu’il est une arme de la lutte révolutionnaire, et à la question du communisme « intégral ».
En fait, cette intervention provoqua une certaine perplexité chez les présents à la réunion. Alors qu’elle se présentait formellement comme une critique radicale, une espèce de déclaration qui devrait servir pour bien séparer le terrain de la réunion et le terrain où se situaient les Communistes Intégraux, en réalité cette déclaration dirigeait ses tirs contre des positions qui non seulement n’ont jamais été celles du CCI mais qui, évidemment, n’ont pas été du tout mises en avant dans la présentation, et au contraire y ont été combattues expressément : « Le marxisme n’est pas une simple analyse économique, ce à quoi le ‘marxisme universitaire’ et la majorité des auteurs bourgeois essayent de le réduire... Le marxisme n’est pas non plus une doctrine qui a réponse à tout. Il ne prétend pas pontifier sur tout du ciel et de la terre. C’est ça que veulent nous ‘vendre’ les régimes staliniens des Staline, Mao, Castro, etc., qui imposent un ‘marxisme’ au nom duquel ils dictent tout ce qu’on doit faire depuis le lever jusqu’au coucher, pour mieux nous soumettre avec leur main de fer à leur régime d’exploitation... Le marxisme n’a rien à voir avec ces idéologies de capitalisme d’État, avec ce nationalisme, ce contrôle et cette manipulation des masses défendus par ces organisations de gauche et d’extrême gauche qui exhibent jusqu’à la nausée leur étiquette ‘marxiste’ sans avoir vraiment lu la moindre ligne de Marx ».[5] [9]
Ce n’était donc pas contre le CCI, ni contre cette réunion publique qu’il fallait tirer et blesser à mort. Il ne nous reste qu’à dire la fameuse expression : « les morts que vous tuez jouissent d’une bonne santé ».[6] [10]
On s’est aussi référé au communisme comme combat permanent dans la pratique, comme « mouvement réel », ce qui signifie aussi combat « intégral » contre tous les aspects de l’exploitation.
Face à cela, la discussion a mis en avant que le communisme en tant que combat permanent dans la pratique est considéré, notamment par certaines tendances du milieu anarchiste, comme s’il s’agissait d’une attitude personnelle qui part de la vie de chacun et qui se pose en tant que recherche d’une vie quotidienne libérée qui irait du rejet de l’exploitation (et par conséquent du travail salarié) jusqu’à la « libération » de l’aliénation dans les relations sociales, en passant par une lutte quotidienne faite de sabotages de banques ou de firmes commerciales, etc.
Il y a eu pas mal d’interventions qui ont argumenté sur le fait que le marxisme se conçoit aussi comme un mouvement réel et permanent, mais dans un sens différent. Dès que Marx et Engels ont adhéré au combat du prolétariat, ils ont posé clairement cette question. Ils ont mis en avant lors de certaines participations au mouvement ouvrier que, de fait, leur évolution de la démocratie radicale jusqu’à la lutte de la classe ouvrière vers le communisme ne fut pas du tout un geste romantique ou idéaliste, mais quelque chose de profondément matérialiste, le résultat de la compréhension du fait que seule la lutte de la classe ouvrière pouvait mettre en avant une perspective communiste.
«Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. Du reste, la masse d'ouvriers qui ne sont qu'ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d'existence, et non plus à titre temporaire. Le prolétariat ne peut donc exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence "historique universelle" » [7] [11] (Souligné par nous)
Ces camarades ont dit qu’ils comprenaient et partageaient la nature historique et mondiale de la lutte révolutionnaire. Certes, cette lutte doit se concrétiser dans des combats politiques, des grèves, des manifestations, dans des discussions et dans la réflexion, mais si on perd de vue cette unité entre lutte immédiate et lutte historique, les deux finissent par être opposées, tombant d’un coté dans le « réformisme » pour lequel « le mouvement est tout, le but n’est rien » ou, de l’autre coté, dans l’utopisme, pour lequel le communisme n’est qu’une chimère.
L’autre question qui se dégage de ce qui est dit précédemment et qui a été aussi discutée dans cette réunion, c’est que la lutte révolutionnaire est collective, une lutte de classe ; et qu’il est vrai que dans la lutte du prolétariat pour ses besoins immédiats, c’est toujours en germe que se trouve la perspective révolutionnaire, parce que c’est une lutte associée, collective et solidaire. Par contre, si on conçoit cela pour chaque prolétaire pris individuellement, sur le terrain où chacun est une victime de la pression de l’idéologie bourgeoise, sur le terrain de la concurrence, alors cette lutte pour les besoins immédiats, pour « se débrouiller », ne conduit pas à la lutte révolutionnaire, mais souvent à l’idée de « se chercher son petit nid » au sein du capitalisme. Aussi, tout le long du débat, on a mis en avant que le fait de se vouer à la lutte pour le communisme ne signifie pas du tout faire un sacrifice, mais, au contraire, essayer de mener la vie la plus humaine possible, en combattant contre l’aliénation ; mais cela ne signifie pas du tout que l’on puisse mener une vie facile dans le capitalisme, et le meilleur exemple c’est Marx lui-même [8] [12].
Par rapport au communisme « intégral », il faut dire que le marxisme n’a jamais tourné le dos à aucun problème humain. Ainsi que la présentation l’a dit : « Le marxisme ne se limite pas du tout, ni à la politique, ni à l’économie. Marx fit sienne la sentence du dramaturge romain Térence, esclave affranchi : ’rien de ce qui est humain m’est étranger’. Et cela, non pas pour établir des lois, des doctrines ou des règlements pour enchaîner les exploités, mais pour les inciter à la réflexion, à la recherche, à trouver leurs critères propres, autant collectifs qu’individuels ».[9] [13]
Mais le marxisme, ainsi que différentes interventions l’ont mis en avant, ne part pas des besoins, ou des problèmes concrets tels qu’ils se posent au sein de la vie aliénée du capitalisme, parce que dans ce cadre, ils sont complètement déformés, mais il part de la critique radicale du capitalisme, de la lutte révolutionnaire, pour comprendre dans ce cadre les besoins humains.
Une autre question qui a été posée par une intervention des Communistes Intégraux, étant donnée la présence d’éléments anarchistes, a été celle du marxisme-anarchisme. Le sujet a été largement traité : il a été affirmé que le prolétariat n’est pas nécessairement marxiste par nature et que, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’anarchisme a exprimé à différentes occasions le choix politique de larges secteurs de la classe ouvrière.
On a surtout mentionné l’exemple de la 1ère Internationale, où le courant proudhonien représentait une tradition historique dans le mouvement ouvrier, reliée à ses origines. Il a été dit aussi que face à la Première Guerre mondiale, malgré le fait que des minorités telles que Kropotkine et ceux qui signèrent le Manifeste des 16 aient soutenu la guerre, de même que certains courants anarcho-syndicalistes comme la CGT (qui se sont ainsi joints à l’ignominie de la trahison de la social-démocratie), une majorité de groupes anarchistes dénoncèrent la nature impérialiste de cette guerre et se sont impliqués dans la lutte révolutionnaire, tels que la CNT espagnole ou la FORA argentine, etc.
De fait, aussi bien en Allemagne qu’en Russie ou en Hongrie, des fractions anarchistes se sont jointes à la formation du parti révolutionnaire et la CNT elle-même participa à la Troisième Internationale.
On a conclu en disant que la différence essentielle entre l’anarchisme internationaliste [10] [14] et le marxisme n’est pas dans leur nature de classe, mais dans la méthode pour analyser et intervenir dans la réalité. Sur ces différences de méthode, nous, qui défendons le marxisme, considérons que celui-ci se construit sur une analyse matérialiste historique, dialectique, qui envisage les conditions de la révolution en fonction de l’évolution des contradictions du capitalisme et les conditions subjectives de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière, tandis que l’anarchisme considère que la révolution est possible toujours et en toute circonstance et qu’il suffit de la volonté d’action [11] [15].
Sur ce point, le NPP a fait aussi une contribution remarquable : « Nous luttons tous pour le communisme, cependant, oui, le programme, qui est historique, est fondamental. Le capitalisme est toujours, dans son essence, le même depuis qu’il a surgi, mais il y a eu des étapes différentes et une condition pour en finir c’est sa décadence. Je vous invite à étudier, à comprendre, et examiner le programme. Nous, au Pérou, soumettons tout à la critique, nous nous méfions de tout, nous étudions à partir de l’histoire. Il faut débattre, il faut lutter en tant que classe pour le communisme. »
S’il y a déjà quelque chose à bien remarquer de cette réunion riche en débats, c’est justement cela : la volonté de discuter, d’y participer. Il y a eu, comme quelqu’un l’a dit, « une véritable déferlante de participations et de réflexions enthousiasmantes et profondes ». Personne ne voulait partir et arrêter la discussion. On a invité les présents à une journée de discussion pour le lendemain et la plupart d’entre nous sommes allés manger ensemble dans une ambiance fraternelle de partage et de débat. Certains camarades qui n’on pas pu rester, ont voulu exprimer qu’ils se sont sentis à l’aise dans la discussion, et qu’ils reviendraient. Personne ne s’est senti gêné pour exprimer ses préoccupations telles qu’elles se présentaient et c’est ainsi, de la manière la plus simple souvent, que des sujets très profonds ont pu être traités. Cette humilité, animée en même temps de courage et de volonté d’aller au cœur des questions, ce qui est le propre du prolétariat, a créé un moment enthousiasmant de vie collective. C’est ainsi que le NPP l’a exprimé : « Nous sommes impressionnés et nous porterons ce débat à nos camarades. Il faut renforcer les liens entre les minorités pour la révolution. C’est en tant que prolétaires que nous sommes venus du Pérou.»
On a essayé de refléter cet état d’esprit dans des conclusions de la réunion qui sont tout juste une ébauche de ce qui s’est réellement passé, mais du moins elles ont servi à ce que tous les participants s’y sentent représentés :
- « Il est à remarquer à quel point le débat est un instrument du prolétariat sur son chemin vers la clarification, le développement et le renforcement de sa conscience de classe nécessaire pour l’assaut révolutionnaire et le triomphe de la perspective communiste »,
- « Il est à souligner le fait que cette réunion a été fortement marquée par un intérêt spécifiquement prolétarien : celui de réfléchir sur la réalité en vue d’une transformation sociale qui, pour tous les présents, apparaît comme une nécessité évidente »,
- « Nous affirmons le besoin pour nous, prolétaires, du débat, de la clarification et de l’approfondissement, lesquels ne peuvent être que le résultat d’une action collective, le besoin du développement d’un milieu de discussion réellement collectif, fraternel, honnête et engagé pour la transformation de la société. Autrement dit, notre réflexion a comme point de départ la conviction militante de la lutte ».
Sans le moindre doute, cette réunion a répondu à toutes ces attentes.
CCI, 8 mars 2010
[1] [16] Ceci est quelque part compréhensible si l’on considère que les groupes staliniens et trotskistes et leur satellites gauchistes se plaisent à se nommer « marxistes », alors qu’en vérité ils défendent, avec un style d’opposition « radical », des alternatives à l’intérieur de l’État bourgeois. En ceci, ils représentent tout ce contre quoi Marx et les courants qui sont restés fidèles à ses apports ont toujours lutté.
[2] [17] Ce compte-rendu a été fait à partir des notes prises lors de cette réunion publique. Il se peut donc qu’il y ait des imprécisions.
[3] [18] Cette déclaration finale correspond aux concordances auxquelles on est arrivés à la suite du débat sur marxisme et anarchisme dont nous parlons plus loin.
[4] [19] Cahiers de la Négation. On peut trouver cette revue sur le Web, https://negacion.entodaspartes.net/ [20]
[5] [21] Il s’agit d’une citation tirée d’une présentation écrite pour être lue. Certains camarades nous ont demandé qu’on la publie en tant qu’article ; mais pour qu’elle soit compréhensible il faudrait l’adapter ; pour le moment, nous espérons que ces extraits pourront faire l’affaire…
[6] [22] Cette phrase a été attribuée à la pièce Don Juan Tenorio de l’auteur romantique espagnol Zorrilla. En fait, elle ne figure pas comme telle dans l’original. Il y a toute une polémique savante pour savoir s’il s’agit d’une « interprétation » de l’œuvre ou si ça appartient à une autre.
[7] [23] L’idéologie allemande (1845-46). https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm [24]
[8] [25] Marx a subi pendant toute sa vie une situation économiquement précaire, de bannissement et parfois même de grande misère.
[9] [26] Voir note 2.
[10] [27] Nous employons ce terme générique pour nous référer aux courants et aux groupes anarchistes qui sont restés fidèles au prolétariat ; il y a aussi et il y a eu des groupes anarchistes qui n’ont jamais été une expression ouvrière.
[11] [28] Tout le long de la discussion, les Comunistas Integrales ont mis en avant le fait que pour eux la question de la période de transition du capitalisme au communisme était une divergence importante. Pour eux, le développement des forces productives que le capitalisme a atteint permettrait, juste après la révolution, l’existence d’une société d’abondance sans qu’une période de transition soit nécessaire. Cette réunion n’était pas le lieu pour discuter de ces questions, et, par conséquent, ce compte-rendu non plus. Pour connaître notre position sur la période de transition, voit la Revue Internationale nº 11, https://fr.internationalism.org/node/1813 [29]
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[2] https://internacionalismo-leco.blogspot.com/
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
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[7] https://es.internationalism.org/#_ftn3#_ftn3
[8] https://es.internationalism.org/#_ftn4#_ftn4
[9] https://es.internationalism.org/#_ftn5#_ftn5
[10] https://es.internationalism.org/#_ftn6#_ftn6
[11] https://es.internationalism.org/#_ftn7#_ftn7
[12] https://es.internationalism.org/#_ftn8#_ftn8
[13] https://es.internationalism.org/#_ftn9#_ftn9
[14] https://es.internationalism.org/#_ftn10#_ftn10
[15] https://es.internationalism.org/#_ftn11#_ftn11
[16] https://es.internationalism.org/#_ftnref1#_ftnref1
[17] https://es.internationalism.org/#_ftnref2#_ftnref2
[18] https://es.internationalism.org/#_ftnref3#_ftnref3
[19] https://es.internationalism.org/#_ftnref4#_ftnref4
[20] https://negacion.entodaspartes.net/
[21] https://es.internationalism.org/#_ftnref5#_ftnref5
[22] https://es.internationalism.org/#_ftnref6#_ftnref6
[23] https://es.internationalism.org/#_ftnref7#_ftnref7
[24] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm
[25] https://es.internationalism.org/#_ftnref8#_ftnref8
[26] https://es.internationalism.org/#_ftnref9#_ftnref9
[27] https://es.internationalism.org/#_ftnref10#_ftnref10
[28] https://es.internationalism.org/#_ftnref11#_ftnref11
[29] https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-11-4e-trimestre-1977
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques