Nous venons de recevoir deux documents de nos camarades de la Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, du Costa Rica, un groupe qui participe activement au débat et à la collaboration internationale entre groupes prolétariens.
Le premier document est une prise de position sur la répression qui s’abat à la fois sur les ouvriers, les étudiants et tous les laissés-pour-compte de la part d’un Etat qui se vente d’être « le plus démocratique » et de constituer une « exception » dans cette région centre-américaine si agitée. En réalité, comme nos camarades le démontrent, au Costa Rica, la dictature capitaliste s’exerce avec autant de brutalité que dans d’autres pays de plus « mauvaise réputation ».
Le deuxième document représente les Positions de Base de la LECO qui nous semblent concrétiser un effort de réflexion et de synthèse qui pourrait servir à d’autres groupes et collectifs internationalistes de par le monde. De la Déclaration de nos camarades le passage suivant est à souligner : « À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour développer un débat internationaliste. »
CCI 26-5-10
Pendant ces dernières semaines, nous avons constaté que le gouvernement du Costa Rica a utilisé la répression pour intimider toutes les manifestations ouvrières qui se sont déroulées. Ceci fait partie d’une dynamique générale propre au capitalisme qui, poussé par la crise endémique qui le ronge, cherche à faire porter le poids de la crise sur le dos des travailleurs. Son but est d'empêcher la classe ouvrière de prendre confiance en elle-même et de la maintenir désunie.
La répression et les menaces sont les instruments majeurs de la démocratie, qui est comme une décoration avec laquelle la bourgeoisie essaye d'enrober ses massacres. Le gouvernement annonce qu’il ne tolérera pas le moindre incident du genre « blocage des routes », ni, comme ceux qui nous gouvernent le déclarent toujours, que la paix soit altérée. A travers ce discours, il se prépare à réprimer n’importe quelle lutte qui essaye de s'opposer aux plans de « réajustement » du pouvoir face à la crise. C’est la seule dynamique qu’ils connaissent, que ce soit le gouvernement précédent d’Arias ou l’actuel de Chinchilla ou n’importe quel autre fraction susceptible de parvenir au pouvoir. Voilà la seule dynamique qui prévaut actuellement dans tous les pays de la planète.
On a vu la provocation de la police quand elle a pénétré dans les campus universitaires et qu'elle a fini par charger les étudiants. On a vu les arrestations par milliers lors des manifestations à Puerto Limón [Port principal du Costa Rica sur l’Atlantique]. Et enfin, les étudiants et d’autres manifestants ont été frappés avec brutalité au cours de la marche de protestation qui s’est déroulée le jour de la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président de la République.
Ces événements sont la face cachée de la démocratie. Le capitalisme a utilisé le discours démocratique pour, dans des périodes de « tranquillité », organiser des défilés et des fêtes, et, au moment des conflits, réprimer brutalement.
La brutalité de la police dans ce pays est bien connue, le discours sur le pays « de la paix »1 ne sert qu’à alimenter le nationalisme et les discours de la bourgeoisie et de ses laquais. La répression se vit quotidiennement au Costa Rica, répression qui s'exerce sur les vendeurs à la sauvette comme sur les travailleurs précaires, sur les exploités comme sur les laissés-pour-compte.
Le discours officiel est celui de renforcer la police contre le trafic de drogue, contre le terrorisme. Mais ce n’est qu’un prétexte pour une militarisation de la société comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial.
Le prolétariat doit rejeter cette militarisation, cette répression dont le but principal est celui de diviser et d’utiliser tous les moyens pour que la classe ouvrière n’arrive pas à prendre conscience et agisse en conséquence. La classe ouvrière commence à perdre sa confiance en la démocratie, elle commence à s’éveiller en voyant son vrai visage, celui de la guerre, la misère et la répression. La situation du capitalisme ne fera qu’empirer et il n’y a que les méthodes de guerre dont dispose la bourgeoisie pour essayer de freiner sa chute au niveau mondial.
Liga por la Emancipación de la Clase Obrera
Mai 2010
emancipació[email protected] [1]
https://internacionalismo-leco.blogspot.com/ [2]
La Ligue pour l’émancipation de la classe ouvrière est un groupe marxiste qui se revendique de l’internationalisme prolétarien.
Nous considérons la classe ouvrière comme la seule capable de faire la révolution et de guider l’ensemble des exploités. La classe ouvrière est composée essentiellement de ceux qui vivent de leur salaire et des chômeurs, de tous ceux qui subissent dans leur chair les calamités de l’exploitation.
Nous considérons que le capitalisme, de la même manière que les systèmes d’exploitation qui l’ont précédé, a vécu une période d’ascendance et une période de décadence. La décadence a obligé le prolétariat à mettre en avant une nouvelle tactique, face à une nouvelle réalité historique où les méthodes de lutte du passé ont été dépassées.
Nous nous réclamons des apports de la Gauche communiste qui est restée fidèle à l’internationalisme prolétarien au milieu d’une période de persécution et, surtout, de détournement de la lutte communiste.
Nous considérons que le prolétariat ne doit défendre aucun drapeau national, nous pensons qu’il n’y a rien de progressiste dans aucune lutte nationale dans la période historique actuelle.
Nous considérons que les syndicats ne sont plus des outils de la lutte prolétarienne depuis que le capitalisme est entré en décadence.
De la même manière que pour les syndicats, la lutte parlementaire est depuis l’entrée en décadence du capitalisme, un terrain totalement contrôlé par la bourgeoisie où aucun intérêt prolétarien ne peut y être défendu, même pas une participation critique.
Nous ne croyons pas du tout dans les « Etats ouvriers » comme les appellent les trotskistes. Nous considérons que des pays comme Cuba, la Chine etc. sont et ont toujours été aussi capitalistes que le reste, que le patron soit l’État ne change rien au rapport d’exploitation.
Nous pensons que les conseils ouvriers sont les organes de lutte et d’organisation de la classe, mais en attendant que ce soit la classe elle-même qui puisse les instaurer, celle-ci s’organise en assemblées ouvertes de travailleurs, qui puissent intégrer des travailleurs d’autres branches, des étudiants, des chômeurs. C’est ainsi que la classe ouvrière a pu agir lors de certaines luttes, ces derniers temps de reprise de la lutte de classe.
À l’origine, la LECO défendait des positions trotskistes, mais nous avons commencé à nous opposer à la position pro-parlementaire et pro-syndicale du trotskisme, à son activisme et, en général, au programme défendu par la prétendue « Quatrième Internationale » que nous avons considéré comme un programme social-démocrate. Nous sommes arrivés à prendre contact avec des camarades d’autres pays, comme ceux du CCI, avec des positions similaires aux nôtres, de sorte que nous avons pu ainsi clarifier nos positions. À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour un débat internationaliste, parce que la classe ouvrière a commencé à reprendre ses forces et parce que des éléments et des groupes surgissent dans différents lieux qui se donnent pour tâche de se rapproprier la théorie et le combat révolutionnaires. Nous pensons que, malgré les positions différentes qu’on peut avoir par rapport à d’autres regroupements prolétariens et internationalistes, on peut toujours mener des débats qui vont dans le sens du développement de la conscience au sein de notre classe.
1 Des discours qui font sans doute référence au fait que le Costa Rica se vante d'être le seul pays au monde à ne pas avoir officiellement d’armée (NdT)
Vendredi 5 février a eu lieu la deuxième réunion publique du CCI dans la ville de Quito, sur le sujet : « Qu’est-ce le marxisme ? » C’est un sujet qui préoccupe les camarades qui réfléchissent sur la perspective que le capitalisme peut nous offrir et sur la question de savoir s’il existe une alternative révolutionnaire :
- Est-ce que la théorie marxiste permet de mener une critique et une réflexion pour mettre en avant une perspective révolutionnaire ?
- Est-ce une arme de combat ?
- Les principes défendus par le marxisme, sur la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, sur la perspective du communisme, sur l’internationalisme, etc., peuvent-ils être les bases pour le développement d’un processus révolutionnaire et pour intervenir en son sein ?
La bourgeoisie est consciente du fait que le marxisme suscite l’intérêt de ces minorités, expression de l’effort de la classe ouvrière pour comprendre la situation et organiser sa lutte ; ainsi, elle fait tout son possible pour qu’on parle de Marx et de ses œuvres comme d’un sujet sans lien avec la lutte de la classe ouvrière, comme l’œuvre d’un « économiste » dans le meilleur des cas et, dans le pire, comme celle d’un visionnaire doctrinaire.
Le public présent à la réunion a été l’expression de l’intérêt que celle-ci suscitait. Y sont venus des camarades qui connaissent bien nos positions et d’autres qui les entendaient pour la première fois. Il y avait des sympathisants du milieu anarchiste et aussi des militants de la cause indigéniste en Équateur. Sur notre invitation expresse, une délégation du Noyau Prolétarien au Pérou (NPP) est aussi venue ; et, enfin, quelques éléments du groupe qui nous avait envoyé sur notre site Web le texte « La réforme n’est pas la révolution », les Comunistas Integrales (communistes intégraux).
Le débat fut très animé et fraternel. Pratiquement tous les présents sont intervenus pour présenter leurs positions et soutenir ou réfuter ce qui était affirmé dans d’autres interventions. Les réunions de débat au sein de notre classe ne doivent surtout pas être comme ces conférences universitaires ou leurs prétendus « colloques » auxquels on nous a habitués, où un conférencier ne fait qu’un monologue pendant toute la réunion, et à la fin on permet qu’on pose quelques questions qui servent d’excuses pour finir le monologue. Il n’y a pas là de débat qui vaille, mais la répétition jusqu’à la nausée des positions d’un intellectuel ou d’un parti politique. Pour qu’une véritable discussion puisse avoir lieu, il faut que la confrontation de positions, l’argumentation, la réflexion, avec la participation active des présents, puisse se développer.
Les communistes intégraux, au début de la réunion, ont exprimé certains préjugés sur le supposé dogmatisme et l’étroitesse d’esprit de beaucoup de groupes qui se revendiquent du « marxisme »[1] [5]; mais la réunion a fini par les gagner au débat et ces camarades ont écouté et argumenté et, à la suite de la rencontre, ils ont continué avec les autres à discuter dans une ambiance fraternelle lors d’un repas avec beaucoup de présents.
La délégation du NPP, tel qu’eux-mêmes l’ont dit, a eu autant d’impact sur la réunion qu’ils ont été « impactés » par elle. La présence de camarades d’un autre pays, venus expressément débattre avec les minorités qui surgissent en Équateur, leur volonté d’argumenter et de transmettre leur propre expérience, démontraient dans la pratique de ce que veut dire débat international, et regroupement des minorités que la classe fait naître.
La discussion a fait ressortir plusieurs sujets :
Les camarades qui étaient intervenus dans les questions indigénistes ont, d’emblée, proposé qu’il fallait aborder les questions en partant de la situation en Équateur, qu’il fallait être plus concrets : « Nous sommes venus à la recherche de perspectives…Il vaut mieux voir les choses depuis l’Équateur pour pouvoir ainsi parler du marxisme : quelles sont les luttes qui se déroulent et se sont déroulées en Équateur ?»
Cette proposition a déchaîné un véritable flot d’interventions en défense de l’internationalisme comme un principe de base du prolétariat. Personne ne niait la nécessité d’être concrets et d’analyser la lutte de classe en Équateur, mais on a insisté sur la nécessité de l’aborder à partir d’une analyse internationale du rapport des forces entre les classes.
Il a été dit qu’une des plus grandes erreurs des années passées avait consisté à considérer la situation en Amérique latine avec un prisme régional, ce qui avait conduit à « l’anti-impérialisme » et à la guérilla, etc., alors que les minorités qui surgissent à l’heure actuelle le font en tant qu’expression de la classe ouvrière, en se basant sur une vision internationaliste.
Ce sont ces camarades eux-mêmes qui ont nié défendre le nationalisme, mais ils ont insisté sur leurs préoccupations concernant la question de quoi faire dans l’immédiat, montrant ainsi qu’ils cherchaient à prendre vraiment une position sur le terrain prolétarien, défendant l’internationalisme, sans renoncer à débattre sur ses convictions : « Je ne défends pas le nationalisme, c’est partout qu’il y a de la souffrance. Mais nous voudrions que les choses soient vues à partir de nous-mêmes, non pas à partir d’une putain de critique, mais à partir de la pratique concrète ».
Il s’est faite alors une critique de l’immédiatisme qui, sous l’apparence d’être « concret et efficace », conduit en réalité vers des choix politiques de la bourgeoisie, parce que ce qui est pratique et concret dans le totalitarisme étatique, c’est l’occupation de tout le terrain par les forces de la bourgeoisie. Une réflexion et une intervention internationalistes n’excluent pas du tout les pratiques concrètes d’être partie prenante dans les luttes et dans la dénonciation des manœuvres de la bourgeoisie, mais elles partent d’une analyse du rapport de force entre les classes et de la perspective.
Les conclusions ont mis également en avant la défense de l’internationalisme : « On a mis en avant le caractère international et révolutionnaire du prolétariat, sujet de la lutte révolutionnaire et porteur de la conscience de classe nécessaire à la révolution ». Les camarades qui avaient posé la question « nationale » n’avaient jamais entendu parler du marxisme et de l’internationalisme qu’à travers les voix de leurs plus grands ennemis : les staliniens, les maoïstes et les gauchistes de tout poil. Aussi, à la fin, ceux-là et tous les autres participants ont exprimé leur volonté passionnée de mieux connaître les positions et la méthode de la Gauche communiste.
Il y a eu des interventions avec des points de vue divers qui ont posé la question sur quelle position prendre face à la lutte des indigènes, ou celle des femmes : quelques unes des femmes présentes à la réunion avaient participé auparavant à des mouvements féministes ; d’un autre coté, les interventions des Communistes Intégraux avaient tendance à considérer comme prolétariens toute couche ou secteur social, et même des individus isolés qui manifesteraient leur opposition au capitalisme.
Mais tel que le Manifeste Communiste le dit et beaucoup d’interventions ont repris, de toutes les classes et couches qui s’opposent au capitalisme, seul le prolétariat est révolutionnaire, et ceci non pas par le caprice d’un tel ou tel autre, ni à cause d’une quelconque vision messianique de notre classe, mais par son rôle bien concret dans le processus de production ; il a été dit que d’autres secteurs tels que les petits propriétaires peuvent être aussi opprimés par les grands capitaux, mais leur lutte contre ceux-ci n’est que l’expression de la concurrence capitaliste ; ou les paysans qui résistent pour ne pas devenir des prolétaires, ou les indigènes qui vivent dans des communautés marginalisées..., leurs luttes ne se posent pas en termes de confrontation et de dépassement du capitalisme, mais d’une tentative de s’en isoler, quand ce n’est pas de s’y intégrer pleinement.
Lors de cette réunion, plusieurs personnes ont donc défendu la position comme quoi seul le prolétariat, qui est une classe résultant du développement historique (une classe qui concrétise le travail associé et la nature sociale de l’humanité et dont l’exploitation est la négation de toute humanité, qui transforme les être humains en marchandise), en revendiquant ses nécessités humaines, nie les rapports marchands, par conséquent, il nie l’appropriation du travail d’autrui et la propriété privée des moyens de production pour ouvrir la voie à leur appropriation collective sociale. Seule la lutte du prolétariat porte en elle une alternative au mode de production capitaliste.
Pour toutes ces mêmes raisons, on a affirmé que la lutte ouvrière englobe également la lutte contre toute forme d’oppression et d’aliénation. Dans ce sens, la lutte partielle contre l’oppression des femmes ou contre l’aliénation religieuse, ne met pas en question la cause matérielle, réelle, de ces aliénations ; c’est une lutte idéologique, sur le terrain de la conscience personnelle ; tandis que la lutte révolutionnaire du prolétariat affronte les causes, dans la pratique, de ces oppressions.
« Cette propriété privée matérielle, immédiatement sensible, est l'expression matérielle sensible de la vie humaine aliénée. Son mouvement - la production et la consommation - est la révélation sensible du mouvement de toute la production passée, c'est-à-dire qu'il est la réalisation ou la réalité de l'homme. La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi générale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliénation religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle - sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspects. »
«...or celle-ci [l'émancipation universelle de l'homme] y est incluse parce que tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport ». (K. Marx, Manuscrits de 1844, économie politique et philosophie)
Beaucoup de camarades ont exprimé simplement et avec clarté comment ils comprenaient ces questions aussi compliquées en apparence. En fait, on pourrait affirmer que ce fut là l’un des points forts de la réunion : la majorité des participants ont exprimé leur confiance dans le prolétariat et dans sa nature révolutionnaire.
Nous ne pouvons pas ne pas citer quelques-unes des interventions [2] [6], telles que celle-ci : « J’ai fini par m’identifier avec le prolétariat, ainsi que les gens de ma famille, même ceux qui font des études, ils sont tous des salariés. Je n’ai que ma ’main-d’œuvre’ pour gagner ma vie. Le marxisme n’exclut pas, il exprime la totalité de la transformation, les enfants des indiens deviennent des salariés quand ils viennent en ville et même dans la campagne il y a des salariés. Des prolétaires, il y en a partout dans le monde, ils sortent de leur communauté et se prolétarisent et ils n’ont rien d’autre. Je suis ici pour la transformation du tout, non pas pour des revendications partielles, mais pour changer le monde. C’est pour ça que je suis ici. ».
D’autres interventions ont insisté sur ces questions :
« C’est à partir du moment où nous nous reconnaissons en tant qu’exploités que nous pouvons lutter. Ce débat et la souffrance que nous endurons, voilà ce qui nous amène à nous reconnaître et à lutter en tant qu’être conscients. Je défends le marxisme, parce que c’est la critique de l’expérience.»;
« Les stratégies basées sur les ethnies sont faites pour nous nier, ce sont de fausses identités ».
Le NPP contribua en apportant sa propre expérience : « Nous n’avons pas pu défendre ici nos positions, nous avons besoin de plus de temps pour les exposer. Nous sommes une même classe qui lutte. Nous avons été trompés par le maoïsme, par Mariátegui. Il y a des entraves comme la race, l’indien, la femme. Nous voulons réaliser un travail pour changer le système et pour cela nous devons voir la réalité en face. Il faut rompre avec tous les groupes qui ont trahi.»
Les conclusions sont aussi allées dans ce même sens :
« La discussion conclut qu’il est nécessaire de regarder les choses d’un point de vue propre à la classe ouvrière, qui reprenne l’expérience de sa trajectoire historique des luttes, qui analyse la réalité pour aller dans le sens du changement que nous voulons. Nous et quelques autres camarades appelons ce point de vue « marxisme », d’autres préfèrent l’appeler « théorie révolutionnaire. » [3] [7]
Les préventions des Comunistas Integrales (CI) face au prétendu dogmatisme sous lequel se présentait la réunion (et en général les positions du CCI) ont entraîné que celle-ci a débuté avec une intervention liminaire des CI qui consistait dans la lecture d’un article du numéro 2 de leur publication Cuadernos de la negación [4] [8] (éditée en Argentine): « ¿Comunismo? ¿Anarquía? » (Communisme ? Anarchie ?)
Les parties de la critique qui ont été reprises par la suite dans la discussion ont été celles qui font référence aux différents « ismes » qui ont fait du marxisme une idéologie « de gauche », alors qu’il est une arme de la lutte révolutionnaire, et à la question du communisme « intégral ».
En fait, cette intervention provoqua une certaine perplexité chez les présents à la réunion. Alors qu’elle se présentait formellement comme une critique radicale, une espèce de déclaration qui devrait servir pour bien séparer le terrain de la réunion et le terrain où se situaient les Communistes Intégraux, en réalité cette déclaration dirigeait ses tirs contre des positions qui non seulement n’ont jamais été celles du CCI mais qui, évidemment, n’ont pas été du tout mises en avant dans la présentation, et au contraire y ont été combattues expressément : « Le marxisme n’est pas une simple analyse économique, ce à quoi le ‘marxisme universitaire’ et la majorité des auteurs bourgeois essayent de le réduire... Le marxisme n’est pas non plus une doctrine qui a réponse à tout. Il ne prétend pas pontifier sur tout du ciel et de la terre. C’est ça que veulent nous ‘vendre’ les régimes staliniens des Staline, Mao, Castro, etc., qui imposent un ‘marxisme’ au nom duquel ils dictent tout ce qu’on doit faire depuis le lever jusqu’au coucher, pour mieux nous soumettre avec leur main de fer à leur régime d’exploitation... Le marxisme n’a rien à voir avec ces idéologies de capitalisme d’État, avec ce nationalisme, ce contrôle et cette manipulation des masses défendus par ces organisations de gauche et d’extrême gauche qui exhibent jusqu’à la nausée leur étiquette ‘marxiste’ sans avoir vraiment lu la moindre ligne de Marx ».[5] [9]
Ce n’était donc pas contre le CCI, ni contre cette réunion publique qu’il fallait tirer et blesser à mort. Il ne nous reste qu’à dire la fameuse expression : « les morts que vous tuez jouissent d’une bonne santé ».[6] [10]
On s’est aussi référé au communisme comme combat permanent dans la pratique, comme « mouvement réel », ce qui signifie aussi combat « intégral » contre tous les aspects de l’exploitation.
Face à cela, la discussion a mis en avant que le communisme en tant que combat permanent dans la pratique est considéré, notamment par certaines tendances du milieu anarchiste, comme s’il s’agissait d’une attitude personnelle qui part de la vie de chacun et qui se pose en tant que recherche d’une vie quotidienne libérée qui irait du rejet de l’exploitation (et par conséquent du travail salarié) jusqu’à la « libération » de l’aliénation dans les relations sociales, en passant par une lutte quotidienne faite de sabotages de banques ou de firmes commerciales, etc.
Il y a eu pas mal d’interventions qui ont argumenté sur le fait que le marxisme se conçoit aussi comme un mouvement réel et permanent, mais dans un sens différent. Dès que Marx et Engels ont adhéré au combat du prolétariat, ils ont posé clairement cette question. Ils ont mis en avant lors de certaines participations au mouvement ouvrier que, de fait, leur évolution de la démocratie radicale jusqu’à la lutte de la classe ouvrière vers le communisme ne fut pas du tout un geste romantique ou idéaliste, mais quelque chose de profondément matérialiste, le résultat de la compréhension du fait que seule la lutte de la classe ouvrière pouvait mettre en avant une perspective communiste.
«Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. Du reste, la masse d'ouvriers qui ne sont qu'ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d'existence, et non plus à titre temporaire. Le prolétariat ne peut donc exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence "historique universelle" » [7] [11] (Souligné par nous)
Ces camarades ont dit qu’ils comprenaient et partageaient la nature historique et mondiale de la lutte révolutionnaire. Certes, cette lutte doit se concrétiser dans des combats politiques, des grèves, des manifestations, dans des discussions et dans la réflexion, mais si on perd de vue cette unité entre lutte immédiate et lutte historique, les deux finissent par être opposées, tombant d’un coté dans le « réformisme » pour lequel « le mouvement est tout, le but n’est rien » ou, de l’autre coté, dans l’utopisme, pour lequel le communisme n’est qu’une chimère.
L’autre question qui se dégage de ce qui est dit précédemment et qui a été aussi discutée dans cette réunion, c’est que la lutte révolutionnaire est collective, une lutte de classe ; et qu’il est vrai que dans la lutte du prolétariat pour ses besoins immédiats, c’est toujours en germe que se trouve la perspective révolutionnaire, parce que c’est une lutte associée, collective et solidaire. Par contre, si on conçoit cela pour chaque prolétaire pris individuellement, sur le terrain où chacun est une victime de la pression de l’idéologie bourgeoise, sur le terrain de la concurrence, alors cette lutte pour les besoins immédiats, pour « se débrouiller », ne conduit pas à la lutte révolutionnaire, mais souvent à l’idée de « se chercher son petit nid » au sein du capitalisme. Aussi, tout le long du débat, on a mis en avant que le fait de se vouer à la lutte pour le communisme ne signifie pas du tout faire un sacrifice, mais, au contraire, essayer de mener la vie la plus humaine possible, en combattant contre l’aliénation ; mais cela ne signifie pas du tout que l’on puisse mener une vie facile dans le capitalisme, et le meilleur exemple c’est Marx lui-même [8] [12].
Par rapport au communisme « intégral », il faut dire que le marxisme n’a jamais tourné le dos à aucun problème humain. Ainsi que la présentation l’a dit : « Le marxisme ne se limite pas du tout, ni à la politique, ni à l’économie. Marx fit sienne la sentence du dramaturge romain Térence, esclave affranchi : ’rien de ce qui est humain m’est étranger’. Et cela, non pas pour établir des lois, des doctrines ou des règlements pour enchaîner les exploités, mais pour les inciter à la réflexion, à la recherche, à trouver leurs critères propres, autant collectifs qu’individuels ».[9] [13]
Mais le marxisme, ainsi que différentes interventions l’ont mis en avant, ne part pas des besoins, ou des problèmes concrets tels qu’ils se posent au sein de la vie aliénée du capitalisme, parce que dans ce cadre, ils sont complètement déformés, mais il part de la critique radicale du capitalisme, de la lutte révolutionnaire, pour comprendre dans ce cadre les besoins humains.
Une autre question qui a été posée par une intervention des Communistes Intégraux, étant donnée la présence d’éléments anarchistes, a été celle du marxisme-anarchisme. Le sujet a été largement traité : il a été affirmé que le prolétariat n’est pas nécessairement marxiste par nature et que, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’anarchisme a exprimé à différentes occasions le choix politique de larges secteurs de la classe ouvrière.
On a surtout mentionné l’exemple de la 1ère Internationale, où le courant proudhonien représentait une tradition historique dans le mouvement ouvrier, reliée à ses origines. Il a été dit aussi que face à la Première Guerre mondiale, malgré le fait que des minorités telles que Kropotkine et ceux qui signèrent le Manifeste des 16 aient soutenu la guerre, de même que certains courants anarcho-syndicalistes comme la CGT (qui se sont ainsi joints à l’ignominie de la trahison de la social-démocratie), une majorité de groupes anarchistes dénoncèrent la nature impérialiste de cette guerre et se sont impliqués dans la lutte révolutionnaire, tels que la CNT espagnole ou la FORA argentine, etc.
De fait, aussi bien en Allemagne qu’en Russie ou en Hongrie, des fractions anarchistes se sont jointes à la formation du parti révolutionnaire et la CNT elle-même participa à la Troisième Internationale.
On a conclu en disant que la différence essentielle entre l’anarchisme internationaliste [10] [14] et le marxisme n’est pas dans leur nature de classe, mais dans la méthode pour analyser et intervenir dans la réalité. Sur ces différences de méthode, nous, qui défendons le marxisme, considérons que celui-ci se construit sur une analyse matérialiste historique, dialectique, qui envisage les conditions de la révolution en fonction de l’évolution des contradictions du capitalisme et les conditions subjectives de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière, tandis que l’anarchisme considère que la révolution est possible toujours et en toute circonstance et qu’il suffit de la volonté d’action [11] [15].
Sur ce point, le NPP a fait aussi une contribution remarquable : « Nous luttons tous pour le communisme, cependant, oui, le programme, qui est historique, est fondamental. Le capitalisme est toujours, dans son essence, le même depuis qu’il a surgi, mais il y a eu des étapes différentes et une condition pour en finir c’est sa décadence. Je vous invite à étudier, à comprendre, et examiner le programme. Nous, au Pérou, soumettons tout à la critique, nous nous méfions de tout, nous étudions à partir de l’histoire. Il faut débattre, il faut lutter en tant que classe pour le communisme. »
S’il y a déjà quelque chose à bien remarquer de cette réunion riche en débats, c’est justement cela : la volonté de discuter, d’y participer. Il y a eu, comme quelqu’un l’a dit, « une véritable déferlante de participations et de réflexions enthousiasmantes et profondes ». Personne ne voulait partir et arrêter la discussion. On a invité les présents à une journée de discussion pour le lendemain et la plupart d’entre nous sommes allés manger ensemble dans une ambiance fraternelle de partage et de débat. Certains camarades qui n’on pas pu rester, ont voulu exprimer qu’ils se sont sentis à l’aise dans la discussion, et qu’ils reviendraient. Personne ne s’est senti gêné pour exprimer ses préoccupations telles qu’elles se présentaient et c’est ainsi, de la manière la plus simple souvent, que des sujets très profonds ont pu être traités. Cette humilité, animée en même temps de courage et de volonté d’aller au cœur des questions, ce qui est le propre du prolétariat, a créé un moment enthousiasmant de vie collective. C’est ainsi que le NPP l’a exprimé : « Nous sommes impressionnés et nous porterons ce débat à nos camarades. Il faut renforcer les liens entre les minorités pour la révolution. C’est en tant que prolétaires que nous sommes venus du Pérou.»
On a essayé de refléter cet état d’esprit dans des conclusions de la réunion qui sont tout juste une ébauche de ce qui s’est réellement passé, mais du moins elles ont servi à ce que tous les participants s’y sentent représentés :
- « Il est à remarquer à quel point le débat est un instrument du prolétariat sur son chemin vers la clarification, le développement et le renforcement de sa conscience de classe nécessaire pour l’assaut révolutionnaire et le triomphe de la perspective communiste »,
- « Il est à souligner le fait que cette réunion a été fortement marquée par un intérêt spécifiquement prolétarien : celui de réfléchir sur la réalité en vue d’une transformation sociale qui, pour tous les présents, apparaît comme une nécessité évidente »,
- « Nous affirmons le besoin pour nous, prolétaires, du débat, de la clarification et de l’approfondissement, lesquels ne peuvent être que le résultat d’une action collective, le besoin du développement d’un milieu de discussion réellement collectif, fraternel, honnête et engagé pour la transformation de la société. Autrement dit, notre réflexion a comme point de départ la conviction militante de la lutte ».
Sans le moindre doute, cette réunion a répondu à toutes ces attentes.
CCI, 8 mars 2010
[1] [16] Ceci est quelque part compréhensible si l’on considère que les groupes staliniens et trotskistes et leur satellites gauchistes se plaisent à se nommer « marxistes », alors qu’en vérité ils défendent, avec un style d’opposition « radical », des alternatives à l’intérieur de l’État bourgeois. En ceci, ils représentent tout ce contre quoi Marx et les courants qui sont restés fidèles à ses apports ont toujours lutté.
[2] [17] Ce compte-rendu a été fait à partir des notes prises lors de cette réunion publique. Il se peut donc qu’il y ait des imprécisions.
[3] [18] Cette déclaration finale correspond aux concordances auxquelles on est arrivés à la suite du débat sur marxisme et anarchisme dont nous parlons plus loin.
[4] [19] Cahiers de la Négation. On peut trouver cette revue sur le Web, https://negacion.entodaspartes.net/ [20]
[5] [21] Il s’agit d’une citation tirée d’une présentation écrite pour être lue. Certains camarades nous ont demandé qu’on la publie en tant qu’article ; mais pour qu’elle soit compréhensible il faudrait l’adapter ; pour le moment, nous espérons que ces extraits pourront faire l’affaire…
[6] [22] Cette phrase a été attribuée à la pièce Don Juan Tenorio de l’auteur romantique espagnol Zorrilla. En fait, elle ne figure pas comme telle dans l’original. Il y a toute une polémique savante pour savoir s’il s’agit d’une « interprétation » de l’œuvre ou si ça appartient à une autre.
[7] [23] L’idéologie allemande (1845-46). https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm [24]
[8] [25] Marx a subi pendant toute sa vie une situation économiquement précaire, de bannissement et parfois même de grande misère.
[9] [26] Voir note 2.
[10] [27] Nous employons ce terme générique pour nous référer aux courants et aux groupes anarchistes qui sont restés fidèles au prolétariat ; il y a aussi et il y a eu des groupes anarchistes qui n’ont jamais été une expression ouvrière.
[11] [28] Tout le long de la discussion, les Comunistas Integrales ont mis en avant le fait que pour eux la question de la période de transition du capitalisme au communisme était une divergence importante. Pour eux, le développement des forces productives que le capitalisme a atteint permettrait, juste après la révolution, l’existence d’une société d’abondance sans qu’une période de transition soit nécessaire. Cette réunion n’était pas le lieu pour discuter de ces questions, et, par conséquent, ce compte-rendu non plus. Pour connaître notre position sur la période de transition, voit la Revue Internationale nº 11, https://fr.internationalism.org/node/1813 [29]
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de Communist Internationalist, organe de presse du CCI en Inde.
Deux cent cinquante mille travailleurs du jute, dans la région de Calcutta, sont entrés en grève début décembre 2009 pour obtenir de meilleurs salaires, le même statut à durée indéterminée que celui du plus grand nombre de travailleurs sous contrat, des prestations de retraite et d'autres questions liées à leurs conditions de vie et de travail. Avant tout, ils se sont mis en grève pour obtenir leurs arriérés de salaire, pour contraindre les patrons à leur octroyer une assurance-santé, des fonds de prévoyance et pour supprimer des amputations qui avaient été prélevées sur leurs salaires avec l'accord du gouvernement. Le 12 février 2010, après deux mois de grève, la cabale des syndicats a ordonné aux travailleurs de retourner au travail sans qu'ils aient pu obtenir des concessions du patronat. De plus, ce recul a ouvert la voie à d'autres attaques contre la classe ouvrière.
Cette grève des travailleurs du jute n'est pas la première. Ces derniers se sont souvent mis en grève. Il y a eu des grèves importantes en 2002, en 2004, une grève de 63 jours en 2007 et 18 jours de grève en 2008. La plupart des efforts des travailleurs pour résister aux attaques ou obtenir quelques concessions ont été déjouées par les patrons et les syndicats.
Les origines de ces efforts désespérés des travailleurs du jute de se battre encore et encore se trouvent dans leurs dures conditions de travail et dans les efforts des syndicats staliniens et des autres syndicats et partis pour utiliser la violence et la répression contre les travailleurs. La plupart des usines de jute sont ainsi confrontées à des troubles sociaux récurrents.
Les travailleurs du jute ont des salaires extrêmement bas. Même les travailleurs en contrat à durée indéterminée obtiennent seulement autour de 7000 roupies (150 $) par mois. Dans chaque usine, plus d'un tiers des travailleurs sont temporaires ou contractuels et reçoivent moins de la moitié du salaire des travailleurs en contrat à durée indéterminée, soit environ 100 roupies (2.2 $) par jour. De plus, ces travailleurs sous contrat sont payés uniquement les jours où ils travaillent. La plupart de ces travailleurs temporaires ont passé toute leur vie active dans la même usine, sans jamais obtenir un contrat à durée indéterminée, puisque cela ne convient pas aux patrons. Souvent, les travailleurs, permanents et temporaires, ne reçoivent pas le paiement intégral de leur salaire et de leurs primes tous les mois. Lorsque les retards de salaires et d'indemnités s'accumulent ceux-ci ne sont parfois pas payés pendant des années. Même les déductions légales du salaire des travailleurs que les patrons font pour l'assurance maladie et les fonds de prévoyance ne sont parfois pas déposées auprès des autorités compétentes. Même lorsque les conventions collectives ont été signées, celles-ci ne sont pas honorées par les patrons. Les employeurs ont purement et simplement recours au lock-out et au non-paiement des salaires pour contraindre les ouvriers à être plus productifs. Les patrons ont pu agir ainsi en toute impunité en raison de la collusion avec le gouvernement du Front de Gauche, les syndicats staliniens et les autres syndicats. Le gouvernement, qui est partie prenante de la plupart des accords, refuse d'appliquer sa propre législation du travail.
Cela a donné naissance à une colère profonde des ouvriers du jute à l'égard des syndicats qui, à plusieurs reprises, s’est traduite par des grèves. L'une des expressions les plus radicales de cette colère a été la lutte des travailleurs du jute aux usines de Victoria et de Kanoria à Calcutta au début des années 1990. A cette époque, les ouvriers en grève ont attaqué et détruit les bureaux des syndicats de gauche comme de droite et agressé leurs dirigeants syndicaux. Les travailleurs de Kanoria ont boycotté tous les syndicats existants et occupé l'usine pendant plusieurs jours.
Mais le Bengale occidental a longtemps été aussi une jungle gauchiste qui n'a pas seulement été gérée pendant 30 ans par des hyènes staliniennes mais qui a de nombreux partis gauchistes, groupes, ONG et « intellectuels » d'opposition. Les efforts des travailleurs des usines Victoria et Kanoria pour défier les syndicats ont été rapidement dévoyés par ces gauchistes d'opposition et diverses autres personnes qui ont démobilisé les travailleurs avec des slogans mystificateurs. Cela a été une tragédie permanente pour les travailleurs du jute au Bengale Occidental et cela souligne la nécessité du développement d’un courant prolétarien au milieu des luttes ouvrières.
Une vingtaine de fédérations syndicales ont été contraintes d'appeler à la grève actuelle le 14 décembre 2009 sous la pression grandissante des travailleurs du jute après l'échec de cinq cycles de négociations tripartites impliquant les dirigeants de la section du Bengale occidental du Parti Communiste d'Inde (Marxiste) [CPI(M)], leaders du Front de Gauche actuellement au gouvernement. Les travailleurs en grève, non seulement exigeaient de meilleurs salaires, mais surtout les arriérés de salaires et le dépôt des cotisations déduites de leur salaire depuis longtemps. En moyenne, les arriérés dus à un travailleur vont jusqu'à 37 000 roupies ce qui équivaut à six mois de salaire. Une telle retenue à la source est purement du vol. En outre, en raison du non enregistrement des cotisations, les travailleurs se voient souvent refuser les soins de santé et les prestations de retraite.
Comme la grève se poursuivait, l'Etat du Bengale et le gouvernement central ont été soumis à la pression des employeurs pour qu'ils interviennent. D'après Business Standard, les groupes d'affaires ont craint que la grève puisse entraîner un regain de combativité dans d'autres secteurs ouvriers qui avaient été touchés par la dégradation de l'économie de l'Inde. En outre, les patrons perdaient de l'argent. Selon Business Standard, du 16 février 2010, la grève de 61 jours a eu un coût total de 22 milliards de roupies (475 millions de $ US).
Le gouvernement à New Delhi, le gouvernement de l'Etat dirigé par le CPI(M), les autres partis politiques et les syndicats ont collaboré pour saper la grève.
Comme dans un spectacle, tous les partis politiques ont joué à soutenir les travailleurs en grève tout en conseillant en même temps aux syndicats de les contrôler de sorte que les travailleurs restent dans des limites revendicatives 'raisonnables'. Le Premier Ministre du Bengale occidental, Buddadeb Battacharjee, dont le parti contrôle le plus important syndicat des travailleurs du jute, le syndicat Bengal Chatkal Mazdoor (BCMU), a conseillé à Gobinda Guha, leader du BCMU, ne pas reprendre l'ensemble des revendications des travailleurs. Guha lui-même déclaré à la presse: « Le Premier Ministre a écouté nos revendications lorsque nous l'avons rencontré et a dit qu'il serait difficile de tout obtenir ... »
Le parti politique qui a conseillé à ses syndicats d'agir en tant que briseurs de grève contre les ouvriers grévistes était le Trinamul Congress (TMC), bien qu'il se soit pendant longtemps revendiqué comme l'adversaire de la politique libérale du CPI(M). Le TMC a proclamé qu'il ne souscrivait pas aux méthodes « d'interruptions du travail ». Son leader, Mamata Banerjee, essaie déjà de recruter des briseurs de grève pour son parti en sollicitant de l'argent des grandes entreprises.
Le rôle des syndicats devient évident lorsqu'une lutte ouvrière se généralise. On les voit empêcher les contacts entre travailleurs de différentes usines, falsifier leurs revendications, faire usage du mensonge et de la calomnie pour faire retourner les ouvriers au travail.
La grève actuelle, malgré la colère bouillonnante des travailleurs, a été contrôlée dès le début par les syndicats. En outre, les syndicats ont réussi à maintenir les travailleurs du jute isolés des autres travailleurs de Calcutta et à les amener à être passifs en leur promettant qu'eux, les syndicats, allaient négocier pour que leurs revendications soient satisfaites.
En réalité, les accords conclus entre les patrons, les syndicats et le gouvernement ont été une totale capitulation sous tous les aspects. Non seulement les travailleurs ont obtenu une augmentation de salaire dérisoire, mais même sur leurs arriérés de salaires impayés, il leur a été proposé un rattrapage sous la forme de versements échelonnés sur plusieurs mois. Enfin, une partie de leur salaire actuel, consistant en une prime de "vie chère", ne sera pas versée sur leur salaire mensuel, mais seulement sur une base trimestrielle.
En outre, les syndicats ont convenu d'appliquer une clause de non-grève pour les trois prochaines années. M. Guha, le leader de BCMU, a déclaré aux médias : « Il n'y aura pas de grève dans les trois prochaines années. » Cette garantie donne aux employeurs les mains libres pour porter de nouvelles attaques sur les emplois, les salaires et les conditions de vie des travailleurs du jute.
Cette trahison des syndicats a laissé les travailleurs, qui n'avaient rien obtenu pendant cette période de grève, emplis de frustration et de colère.
Quelques jours après la fin de la grève, cette colère a explosé chez les travailleurs qui ont violemment attaqué les syndicats et les patrons.
Le jeudi 4 mars, l'une des usines de jute Jagaddal Jute Mill dans le district North 24 - Parganas a commencé une nouvelle offensive contre les travailleurs. Elle a essayé de transférer le travail accompli par les travailleurs permanents vers des travailleurs contractuels. Les travailleurs ont résisté spontanément, en ignorant les dirigeants syndicaux locaux et ont mis en échec la tentative des patrons. Pour intimider et écraser les travailleurs et introduire plus de coups de canif dans les contrats de travail, le lendemain matin, alors que les travailleurs arrivaient pour le poste du matin à 6h, la direction a fermé les grilles devant les travailleurs et a déclaré la suspension du travail.
Cela a provoqué une onde de choc et de colère parmi les milliers de travailleurs employés par Jagaddal Jute Mill qui étaient restés sans salaire tout au long de la période de grève qui venait de prendre fin. Sans attendre les syndicats et sans rien leur demander, les travailleurs ont décidé de partir en manifestation pour protester contre cette attaque par les patrons. Ils ont exigé que la suspension soit immédiatement retirée et que les travailleurs soient autorisés à se rendre au travail.
Pendant cette période, un travailleur de 56 ans, Biswanath Sahu, est mort d’une crise cardiaque à la suite du choc moral reçu. Cela a naturellement rendu les travailleurs furieux au point qu'ils s'en sont pris à un directeur. Mais la colère principale des travailleurs a été à l'encontre des syndicats. Ils étaient convaincus que les deux syndicats de l'usine, CITU et INTUC, étaient de connivence avec les patrons dans cette dernière attaque à leur encontre et dans la fermeture de l'usine. Les ouvriers en colère ont saccagé les bureaux de CITU et d’INTUC. Ils ont attaqué la maison de M. Singh Barma, leader du syndicat INTUC. Le leader du syndicat CITU, M. Omprakash Rajvar, a été frappé pour avoir défendu la direction. Plus tard, les dirigeants syndicaux et le directeur du personnel n'ont été sauvés de la colère des travailleurs que grâce à l'arrivée d'un important contingent de policiers qui a violemment réprimé les ouvriers à coups de matraques.
Bien que nous croyions que cette violence n'a pas fait avancer la lutte de la classe ouvrière, il ne fait aucun doute que la violence de masse qui s'est manifestée à Jagaddal Jute Mill a exprimé la colère des travailleurs contre les patrons et les trahisons des syndicats.
L'industrie du jute a déjà été en difficulté et maintenant, comme tous les autres secteurs, elle ne peut échapper à l'impact de l'intensification de la crise mondiale. Les propriétaires d'usines sont déterminés, non seulement à maintenir leurs profits, mais à les accroître constamment et ils ne peuvent y parvenir que par une exploitation intensifiée et des attaques sur les conditions de vie et de travail des ouvriers. Les travailleurs du jute ont une très longue tradition de lutte. Ils ont souvent mené des luttes combatives et héroïques. Mais comme le montrent leur grève récente et les nombreuses grèves précédentes, les travailleurs du jute ne peuvent se défendre et faire avancer leurs luttes qu'en s'unissant à d'autres travailleurs appartenant à d'autres secteurs et industries. En outre, leur méfiance à l'égard des syndicats ne peut pas se limiter à la passivité ou prendre la forme d'une violence anarchique. Ils doivent développer une conscience claire du rôle perfide des syndicats et essayer de prendre leurs luttes hors du contrôle des syndicats et dans leurs propres mains. C'est la seule façon d'aller de l'avant.
Nero (2 mai 2010)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Depuis la débâcle des élections présidentielles de 2000, qui ont vu l'entrée en fonction de la souvent incompétente et maladroitement belliqueuse administration Bush, Internationalism a régulièrement souligné la difficulté croissante de la classe capitaliste américaine à manipuler son appareil électoral afin de parvenir à un résultat politique optimal pour servir les intérêts de l'ensemble du capital national.
Toutefois, avec l'élection de Barack Obama en 2008, la bourgeoisie américaine semblait enfin avoir rejeté les années Bush loin derrière elle. La nouvelle administration était censée relancer la confiance dans le processus démocratique et électoral, redonner vie à la réputation des États-Unis dans l'arène mondiale et adopter une politique et une législation qui permettent de résoudre les problèmes urgents auxquels est confronté le capital national, que l'administration Bush avait soit ignorés, soit bâclés.
Pourtant, même avant la victoire électorale d'Obama, un nouveau mouvement politique a commencé à émerger, déterminé à faire dérailler son élection et à entraver ou à démolir son administration s'il prenait le pouvoir. Ce mouvement a évolué aujourd'hui sous la forme d'un parti politique soi-disant "alternatif'' : le dénommé "Tea Party". Dans cet article, nous traiterons successivement de l'apparition de ce phénomène au cours de la campagne présidentielle puis au cours de la première année de l'administration Obama et, enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions préliminaires sur l'importance de ce mouvement dans la vie de la bourgeoisie américaine.
A l'origine, émanant de la frange la plus à droite du spectre politique américain (comme les groupes blancs de milices racistes, les activistes anti-impôts hyper-liberaux, les diverses composantes du fondamentalisme chrétien, les activistes anti-immigration et diverses variantes d'autres mouvements d'extrême droite), des rumeurs calomnieuses – qui se sont propagées via les radios de droite et Internet - commencent à circuler pendant la campagne présidentielle, selon lesquelles Obama était en réalité un agent des musulmans, envoyé pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et entraîner subrepticement la capitulation de l'Amérique devant les terroristes. D'autres rumeurs tout aussi ridicules affirmaient que l'élection d'Obama en tant que président était illégitime car en réalité il serait né en Indonésie, violant l'exigence de la Constitution selon laquelle le président doit être un citoyen américain 'de naissance'. Ces proclamations bizarres de la frange d'extrême droite commencent à exercer un sérieux poids dans la campagne électorale de 2008, dans la mesure où le Parti Républicain encourage tacitement ces rumeurs avec la pleine coopération de médias à scandale. Malgré l'évidence qu'Obama était né à Hawaï et les nombreuses déclarations visant à réaffirmer sa foi chrétienne, les sondages d'opinion effectués dans le mois précédant l'élection ont toujours montré qu'un pourcentage significatif de l'électorat croyait qu'Obama était vraiment musulman ou une personne née à l'étranger et donc inéligible à la présidence.
Comme la campagne électorale de 2008, qui s'était échauffée au cours de l'été, retombait, le candidat de la droite républicaine, John McCain, et sa colistière Sarah Palin, gouverneur ultra-libéral de l'Alaska – une débutante souvent politiquement peu fiable – ont redonné vie à ces proclamations, ce qui a immédiatement orienté la campagne électorale vers une succession de coups bas polémiques. A partir de l'été jusqu'à l'élection en novembre, la ligne officielle républicaine a attaqué Obama en tant que 'socialiste' et 'marxiste' qui, pendant ses activités quotidiennes 'd'activiste communautaire' dans les zones urbaines de Chicago, s'était associé à des terroristes de la Nouvelle Gauche. Juste au moment où le système bancaire américain s'effondrait dans le sillage de la débâcle du marché immobilier et des 'subprimes', la campagne présidentielle était définie par le Parti Républicain comme une tentative de Barack Obama de se faire le promoteur d'un 'gouvernement fortement socialiste'!
Cependant, Obama a toujours bénéficié du soutien d'une fraction déterminée très importante de la classe dirigeante américaine, qui avait reconnu l'impérieuse nécessité d'une rupture avec l'ère Bush. Cette fraction a été aidée dans ses efforts pour gagner de nombreux éléments plus incertains par le quasi-effondrement du système bancaire américain, à peine quelques semaines avant l'élection. Cela a changé le débat dans la campagne, donnant à Obama l'élan ultime pour remporter l'élection. Ce canard boiteux, l'administration Bush, avait orchestré un renflouement massif de Wall Street et des banques par le gouvernement fédéral, qui avait prévenu un résultat catastrophique sur le court terme. Cependant, ce renflouement s'était avéré extrêmement impopulaire auprès du grand public et un thème 'Wall Street contre Main Street' est apparu dans la campagne présidentielle, ce qui a donné un avantage certain au démocrate Obama (en dépit, d'ailleurs, de son soutien ouvert au renflouement). Face à la prise de conscience qu'une crise économique aux proportions incalculables les attendait, de nombreux citoyens - qui, autrement, auraient pu soutenir McCain et Palin pour des motifs culturels et sociaux – se sont pincés le nez et ont décidé de voter pour le démocrate et pour qu'il soit bientôt le premier président 'Afro-Américain'.
Pendant que les fractions dominantes de la bourgeoisie célébraient la victoire d'Obama en novembre et son intention déclarée de résoudre de nombreux problèmes urgents auxquels était confronté l'Etat américain (comme par exemple le système de soins et de santé qui a des coûts élevés pour de moins bons résultats par rapport aux autre pays industrialisés), la droite complotait son prochain renversement. Quelques semaines après son investiture est apparu un nouveau défi pour Obama et les démocrates, né sur le fumier idéologique des arguments mensongers de la propagande anti-Obama déversés pendant la campagne présidentielle : le dénommé 'Tea Party'.
Le Tea Party se vante de son appel 'populaire' pour s'opposer ouvertement au renflouement de Wall Street et punir les banquiers avides tout en luttant en même temps contre la croissance du gouvernement fédéral, qui crée des dépenses à des fins électoralistes et augmente les impôts, et de s'opposer au « socialisme » et au « marxisme » de la nouvelle administration Obama. Sous l'impulsion des radios de droite et de la 'blogosphère' Internet, et même avec la légitimité accordée par les politiciens républicains, y compris Sarah Palin, le Tea Party s'est transformé au cours de la dernière année en une force politique sérieuse de la politique américaine.
Il a été dit que son idéologie a joué un rôle majeur dans la victoire des républicains dans la course sénatoriale au Massachusetts en février 2010, qui a vu le siège occupé depuis longtemps par Edward 'Ted' Kennedy passer dans des mains républicaines, ce qui a coûté aux démocrates la majorité au Sénat américain. De même, les candidats de la droite républicaine ont récupéré ses thèmes idéologiques dans la perspective des élections au Congrès en 2010. Quelques candidats inspirés par le Tea Party ont lancé des défis préliminaires pour déloger des républicains bien établis, y compris le candidat aux présidentielles de 2008, John McCain.
Cependant, le mouvement Tea Party est des plus célèbres aujourd'hui pour le rôle de premier plan qu'il a joué dans la politique et le cirque médiatique autour des efforts d'Obama sur la « réforme » des soins de santé, qui a dominé la politique intérieure américaine pendant des mois. Le Tea Party a été à l'initiative des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays, pour protester contre ce qu'il considère comme une 'prise de contrôle par le gouvernement' des soins de santé énoncés dans le plan d'Obama pour contraindre tout le monde à acheter une assurance de santé privée, ayant un but lucratif pour les compagnies d'assurance et un coût global, qui, selon eux, aggravera la dette nationale. Ces manifestations sont souvent couvertes de slogans provocateurs dénonçant « l’Obamanisme » et attisant la peur de la législation qui serait censée créer des « panneaux de la mort », qui permettraient aux bureaucrates du gouvernement de décider quand il faut « tirer la chasse d'eau » sur des personnes âgées et sur des malades en phase terminale. Face à la pression de la base de l'aile droite du parti maintenant dominé par l'idéologie Tea Party, les congressistes et les sénateurs républicains ont repris de nombreux slogans du Tea Party, qui désignent la législation de la « réforme » des soins de santé comme 'la perte de la liberté' en Amérique.
Maintenant que la législation sur la santé a été adoptée, les républicains s'engagent à la faire abroger à la première occasion, tandis que la base activiste du Tea Party adresse des menaces de mort aux membres démocrates du Congrès, fracasse les fenêtres du bureau du Parti Démocrate et fait le vœu de « résister » à une législation qu'elle appelle une « atteinte à la liberté » par « tous les moyens nécessaires ». Pendant ce temps, les dirigeants démocrates protestent contre le « déclin du sens civique » dans la politique, condamnent leurs collègues républicains pour n'avoir pas suffisamment dénoncé la rhétorique dangereuse de la droite, et expriment leurs craintes pour leur propre sécurité. La politique intérieure américaine a pris, ces jours-ci, un virage particulièrement brutal et hideux, retournant aux pires moments des années 1960-70. Bien que ne s'attendant pas ouvertement à la réapparition du fascisme dans un avenir proche, un député démocrate a prédit un virage dangereux dans la politique américaine, et il pense que les démocrates devraient essayer de faire passer la « réforme » sur l'immigration de la même manière qu'ils ont fait la législation sur les soins de santé1.
Ainsi, quelle signification devraient donner la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires à l'évolution tourmentée du Tea Party et de son idéologie particulièrement éclectique et souvent contradictoire ?
Une analyse beaucoup plus approfondie est nécessaire pour bien comprendre l'évolution de la politique américaine, dans quelle mesure la décomposition a infesté la vie politique de la bourgeoisie et les effets complexes des campagnes idéologiques bourgeoises sur le mécontentement et la résistance de la classe ouvrière. Toutefois, il est possible d'offrir une analyse préliminaire du phénomène Tea Party d'une perspective politique prolétarienne et d'en tirer certaines implications par rapport à la lutte ouvrière contre le capital.
Le Tea Party reflète une décomposition bien réelle de l'idéologie bourgeoise confrontée à une incapacité croissante de cette classe à gérer ses propres affaires politiques. Confronté sur sa droite au Tea Party et à l'infiltration dans ses rangs de nombreux activistes de ce parti, le Parti Républicain est de plus en plus l'expression d'une idéologie d'extrême-droite qui cherche à ôter toute sa force au gouvernement fédéral en ramenant le pouvoir au niveau de chaque Etat. Cette idéologie est fermement opposée à la politique économique keynésienne pour répondre à la crise, y compris à l'extension des prestations de chômage pour les travailleurs licenciés.
Bien que cette idéologie ait une longue histoire dans la vie de la bourgeoisie américaine qui remonte à la guerre de Sécession et au débat sur l'esclavage (ou même plus loin puisque l'accent sur 'les droits des Etats' remonte à la fondation de la République), aujourd'hui elle est totalement incompatible avec le rôle des Etats-Unis en tant que seule superpuissance impérialiste restante et les besoins de l'Etat national pour mettre en œuvre une politique visant à gérer l'approfondissement toujours croissant de la crise économique2. Bien que cette idéologie ait pu auparavant être déployée de façon stratégique par des éléments du Parti Républicain pour atteindre des objectifs politiques immédiats, sans intention de les mener jusqu'à leur conclusion, cette idéologie de droite assume de façon croissante son caractère propre et autonome, malgré les besoins pratiques immédiats de l'Etat national.
Dans une certaine mesure, la politique intérieure américaine est de plus « idéologisée » de telle sorte qu'elle a une incidence négative sur la capacité de l'Etat à gérer efficacement les intérêts du capital national. Cela reflète à la fois la difficulté, qui va en s'approfondissant, de l'Etat américain sur la scène internationale et l'aggravation de la décomposition sociale qui se révèle dans le « chacun pour soi » de la vie sociale et politique et l'épanouissement des idéologies rétrogrades illustré par la droite chrétienne et le mouvement Tea Party3.
Malgré la réalité d'un Tea Party comme force politique et son infiltration dans les rangs du Parti Républicain, la bourgeoisie américaine - à travers son appareil médiatique - est parfaitement capable d'exploiter ce mouvement de plusieurs façons pour désamorcer le mécontentement de la classe ouvrière par rapport à la crise économique. Tout d'abord, les images permanentes des médias montrant des rassemblements de supporters enragés du Tea Party qui arborent fièrement des T-shirts et des pancartes agrémentés de phrases hautes en couleur, comme «le Marxisme est une Obamanation » et « je n'ai pas voté pour le socialisme », sont dans la simple continuité de la longue campagne idéologique contre le marxisme, le communisme et le mouvement ouvrier qui ont été identifiés une fois pour toutes avec le totalitarisme stalinien. Aujourd'hui, la campagne identifie le marxisme avec la politique keynésienne capitaliste d'Etat d’Obama. L'objectif est ici d'associer la politique prolétarienne avec le capitalisme d'Etat et les cadeaux d'entreprises pour détourner la classe ouvrière de son propre terrain de classe et vers une attaque simpliste contre « l'Etat » au nom d'une mythique « liberté » primordiale américaine, faisant référence à la proclamation d’Indépendance de 1776.
Deuxièmement, et de façon complémentaire par rapport à l'objectif premier, la campagne médiatique autour du Tea Party cherche à attiser la peur chez ceux qui rejettent cette idéologie, mais qui restent en colère et préoccupés par la crise économique. Le but ici est d'enrôler ces travailleurs autour d'une défense de l'Etat fédéral, d'une politique autour du capitalisme d'Etat, d'une idéologie démocratique et d'une défense de l'administration Obama, soi-disant menacée par une tendance de plus en plus agressive, raciste et tout à fait irrationnelle et proto-fasciste au sein du Tea Party.
Bref, que celui-ci soit présenté comme une grande menace ou une force positive pour la liberté, les travailleurs vont être appelés à prendre parti dans une lutte de plus en plus acharnée entre des factions de la bourgeoisie qui, en termes historiques, sont également anti-ouvrières et réactionnaires. Il s'agit d'un piège dangereux qui ne peut être désamorcé par les travailleurs que s'ils développent leurs luttes4.
Avec son individualisme fervent, son opposition au bien-être social et aux immigrés, l'idéologie du Tea Party constitue essentiellement un rejet de la solidarité sociale, qui est le sang de la vie de la classe ouvrière qui combat sur son propre terrain de classe, pour la défense de ses propres conditions de vie et de travail5. Cela seul peut fournir l'antidote nécessaire à tous les poisons idéologiques émanant de ce système social à l'agonie.
Henk (10 avril)
1 House Democratic Majority Whip, James Clyburn (Democrat, South Carolina) on 'Hardball With Chris Matthews' MSNBC. 24 mars 2009.
2 Bien que l'on pourrait faire valoir que l'argumentation républicaine au sujet de la dette nationale reflète une prise de conscience croissante bien réelle au sein de la bourgeoisie que la tactique keynésienne, si elle peut apporter un soulagement à court terme, ne fait que creuser un tombeau encore plus profond pour l'économie nationale sur le long terme.
3 Il faut faire attention de ne pas exagérer ce phénomène. Malgré le fait que pas un seul républicain n'a voté pour la législation, l'Etat a encore été capable de faire passer la 'réforme' des soins de santé par d'autres procédures parlementaires, en évitant la perspective d'une obstruction républicaine au Sénat. En outre, malgré l'opposition du sénateur républicain Jim Bunning, particulièrement rétif, du Kentucky, l'État a trouvé un moyen de faire passer une série d'extensions 'miraculeuses' de dernière minute de prestations chômage (chargées évidemment sur la carte nationale de crédit !).
4 Ironie du sort, malgré le vitriol qu'ils ont déversé sur le 'socialisme' et la 'prise en charge des soins de santé par le gouvernement', de nombreux partisans du Tea Party ont bénéficié d'une couverture par l'assurance-maladie, ce qui a conduit à la vision bizarre de manifestants arborant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Gouvernement, bas les pattes de mon assurance-maladie ! »
5 En conséquence, une grande partie de la campagne médiatique concernant le Tea Party est d'identifier la solidarité sociale, la compassion et l'empathie pour les autres avec l'État, comme si seul un Etat fort pouvait garantir ces valeurs contre la menace émanant d'une droite de plus en plus belliqueuse et sociopathe.
Dans le premier article [34] que nous avons publié sur la lutte de Tekel, nous avons donné un compte-rendu de son évolution jusqu'au 20 janvier. Dans cet article, nous allons continuer à partir de là où nous nous sommes arrêtés, et essayer de rendre compte de ce qui s'est passé à partir de l'établissement du camp des travailleurs de Tekel dans le centre d'Ankara, jusqu'au 2 mars, lorsque les travailleurs ont quitté Ankara. Ce qui constitue un épisode historique important pour l'ensemble de la classe ouvrière. Nous remercions très chaleureusement les travailleurs de Tekel pour avoir rendu possible la rédaction de cet article en nous expliquant ce qu'ils ont vécu, leurs expériences et leurs pensées et avoir permis à ces expériences d'éclairer à la fois la route du futur développement de la lutte de Tekel et de celui des luttes à venir de notre classe.
Nous avions conclu notre premier article en mettant en évidence les efforts des travailleurs pour former un comité. Du début de la lutte jusqu’au 20 janvier, il y avait eu quatre ou cinq tentatives pour former un comité, et il y a eu autant de tentatives dans le processus qui a suivi. D’un autre côté, il n'était pas possible pour ces comités de commencer à fonctionner. À l'heure actuelle, il existe un groupe d'ouvriers combatifs de chaque ville, régulièrement en contact entre eux et discutant sans cesse sur la façon de faire aller la lutte de l'avant. Cependant, ce groupe n'a pas encore réussi à devenir un comité officiel reconnu par tous les travailleurs.
Un des premiers problèmes que nous pouvons mettre en évidence pour tenter d'expliquer les raisons de cette situation est le manque de communication entre les travailleurs. Certes, ces derniers sont toujours ensemble et ils discutent en permanence, mais d’un autre côté ils n'ont pas été en mesure d'établir un organe, comme une assemblée générale, qui leur permettrait de se réunir et de discuter tous ensemble de manière organisée. Comme nous allons essayer de l'expliquer plus loin dans l'article, le fait que les travailleurs de chaque ville aient dressé chacun leurs propres tentes et aient passé la plupart de leur temps à l'intérieur de ces tentes a également contribué à ce problème. On pourrait dire que cette séparation physique a bloqué la communication. Un problème général plus important a été que la majorité des travailleurs n'ont pas voulu mettre en place une alternative aux appareils syndicaux ou ont hésité à le faire. Beaucoup de syndicalistes ont été respectés pour la seule raison qu'ils étaient des syndicalistes. Leurs discours ont été préférés à ceux des ouvriers les plus combatifs et les plus déterminés. Cela a conduit à un très grave problème qui a consisté dans le fait que les ouvriers n'ont pas réussi à mettre en oeuvre leurs propres décisions. La dépendance psychologique des travailleurs à l'égard des responsables syndicaux a empêché l'émergence de comités de travailleurs en dehors des syndicats.
Ce qu'un camarade ouvrier d'Adıyaman nous a dit confirme cette observation : « Si les questions avaient été discutées dans les tentes, et que chaque tente avait envoyé quelques personnes, le comité se serait formé de lui-même. Dans une telle situation, personne n'aurait pu s'y opposer. Cela aurait été impossible. Nous avons essayé de mettre cette question en avant, mais sans grand succès: peu de personnes croyaient qu'il était nécessaire de s'unir. Le manque de communication a été un gros problème, par exemple, il aurait dû y avoir une tente pour centraliser les communications dès que les tentes ont été dressées. Si nous avions fait cela, le comité se serait lui aussi créé. »
En général, les ouvriers expriment ouvertement leur manque de confiance envers les syndicats, mais leurs hésitations empêchent qu'une alternative au syndicalisme se construise. Bien que cela semble être une situation contradictoire, cela montre en fait que le syndicat a toujours une influence sérieuse sur les travailleurs. Les travailleurs, même s'ils n'ont pas confiance dans les syndicats, continuent à s'accrocher à eux et à penser qu'ils peuvent faire entendre leur voix en leur sein.
Quant aux responsables syndicaux, ils sont, évidemment, très troublés par la mention même du mot comité. Ils sont bien conscients du fait que si un comité se mettait en place, ils perdraient tout contrôle, et la masse des ouvriers ne serait plus entre leurs mains. Pourtant, ce n'est pas une question réglée pour les ouvriers. Les tentatives pour former le comité se poursuivent, malgré les problèmes que cela pose aux travailleurs et malgré que cela soit très inquiétant pour les dirigeants syndicaux.
Si nous revenons à la façon avec laquelle les événements se sont déroulés, le 14 janvier, presque tous les travailleurs de Tekel et leur famille de presque toutes les villes ayant une usine Tekel se sont réunis à Ankara pour un sit-in d'une durée de trois jours. Les travailleurs ont allumé des feux pour se réchauffer au cours des nuits. Le troisième jour, il y a eu de fortes pluies. Les travailleurs ont dû tendre des bâches de nylon au-dessus des rues dans lesquelles ils dormaient. C'est ainsi qu'a vu le jour la ville des tentes ouvrières au centre d’Ankara. La mise en place des tentes s'est faite de façon très spontanée, comme dans beaucoup d'autres aspects de la lutte. En fait, les travailleurs avaient demandé une tente de lutte pour être installés devant le siège de Türk-Is, ce qui a été l'une des revendications qui se sont développées avec les efforts initiaux pour former un comité, mais le syndicat avait fait obstacle à cette initiative. Les tentes ont été finalement mises en place, mais parce que les conditions météorologiques les ont rendues nécessaires. Une fois les tentes montées, le syndicat a donné son appui. La raison pour laquelle les tentes ont été séparées en fonction des villes d'où provenaient les ouvriers était que ces derniers voulaient empêcher des policiers en civil ou des provocateurs de s'infiltrer dans les tentes, et de se prémunir contre une dispersion possible en permettant à chacun de contrôler les entrées. À cause du froid, il a été amené des feuilles de nylon supplémentaires. Parce que les feux qu'ils avaient allumés à l'extérieur produisaient beaucoup de suie et de fumée, les ouvriers ont dû apporter des poêles. Finalement, il y a eu une vivante, respirante ville de tentes au milieu d'Ankara.
Le 17 janvier, après le sit-in, il y avait eu une manifestation massive des travailleurs de Tekel avec beaucoup de personnes de différentes villes qui étaient venues pour les soutenir. Les ouvriers de Tekel, conscients qu'ils ne pouvaient gagner que par une extension de la lutte, ont poussé la Confédération syndicale Türk-Is à déclarer une grève générale. Les ouvriers, à la suite du discours de Mustafa Kumlu, le président de Türk-Is, qui n'avait même pas mentionné la grève générale, ont d'abord occupé la tribune où les syndicalistes s'adressaient à plus de cent mille manifestants, puis ils ont occupé le siège de Türk-Is. Cela a amené Mustafa Turkel, le président de Tek-Gida Is, le syndicat de Tekel, de prendre ses distances par rapport à Kumlu et à se plaindre de la façon avec laquelle il était isolé au sein de Türk-Is, et de ce que les autres syndicats au sein de la confédération, ainsi que les autres confédérations, n'avaient pas apporté le moindre soutien.
D'après le calendrier, une grève de la faim de trois jours devait faire suite à cette manifestation. Après ces trois jours de grève de la faim, une grève de la faim illimitée devait commencer. Malgré le fait qu'ils pensaient que la grève de la faim était le dernier des chemins à prendre, les grévistes disaient que dans cette situation, leurs cadavres auraient plus de valeur que leur vie, que la rémunération que leur famille recevrait s'ils mouraient serait plus élevée que le salaire auquel ils étaient condamnés. Ceci n'était pas une idée extrême développée par une seule personne. Il s'agissait de la seule réponse possible pour quiconque se souciait de ce que les ouvriers en grève de la faim obtiendraient pour les travailleurs. D'autre part, alors que ce que les travailleurs disaient là-dessus était une réalité, cet argument n'a pas réussi à réfuter l'idée que la grève de la faim n'était pas la meilleure façon d'agir. Le 19 janvier, une grève de la faim avec un nombre de participants limité à 140 a commencé.
Dans les jours suivants, Türk-Is et les confédérations syndicales gauchistes, la KESK et la DISK, ont annoncé leur plan d'action conjoint. La décision de commencer à travailler une heure plus tard le 22 a été prise, et un plan pour organiser les démonstrations quotidiennes de soutien et les manifestations a été mis en avant. Le 21, Türk-Is, la KESK, la DISK ainsi que les confédérations plus à droite Kamu-Sen, MEMUR-Sen et Hak-Is se sont réunies et ont annoncé que si le gouvernement ne résolvait pas la question le 26, ils utiliseraient 'le pouvoir issu de la production' et annonceraient la date de la grève de solidarité qu'ils organiseraient. Le Premier ministre Erdogan a invité Kumlu, le président de Türk-Is, à une réunion le jour même. Après la réunion, le gouvernement a mandaté Mehmet Simsek, ministre des Finances, pour trouver une solution nouvelle. Simsek n'était autre que l'homme qui avait dit: «Si notre gouvernement a commis une erreur, c'est d'avoir été trop compatissant envers nos ouvriers qui vont perdre leur emploi en raison de la privatisation». Il déclare maintenant qu'il souhaiterait rencontrer à nouveau la délégation de Türk-Is une fois qu'il aurait trouvé la nouvelle solution. Ce processus devait prendre cinq journées. Face à cette situation incertaine et tenant compte des suggestions des médecins, les travailleurs ont mis fin à la grève de la faim qui durait depuis trois jours. Le 26, arriva la réponse négative du gouvernement. La série de négociations devait se poursuivre jusqu'au 1er février. Ce fut, à bien des égards, une politique de blocage. En fin de compte, le gouvernement n'a pas remplacé le 4-C1, mais lui a apporté certains aménagements. Le temps maximal du travail, qui avait été précédemment porté à 11 mois, serait maintenant mieux payé, l'indemnité d'ancienneté était donnée ainsi que le droit à 22 journées de vacances. Les travailleurs ont répondu en disant « Nous ne voulons pas d'un 4-C maquillé. »
Comme les négociations n'ont pas apporté de résultat, la grève de la faim a repris le 2 février. Les six confédérations syndicales, Türk-Is, Hak-Is, DISK, MEMUR-Sen, Kamu-Sen et KESK, se sont réunies à nouveau, et ont déclaré «une action générale dans laquelle ils utiliseraient leur pouvoir issu de la production ». Cette décision n'a bien sûr pas été prise en raison de l'initiative des syndicats eux-mêmes, mais en raison de la pression venant des travailleurs. Les travailleurs ont montré à quel point ils étaient déterminés à s'engager dans une grève générale lors de la manifestation du 17 janvier, en occupant à la fois la tribune et le siège du Türk-Is. Ils ont aussi tenté d'abattre les portes de l'immeuble. Les travailleurs ont réclamé pendant trois heures la démission de Kumlu, et Mustafa Turkel a été contraint de faire un discours très critique à l'égard de Türk-Is, appelant les autres syndicats à prendre une décision en faveur d'une action générale. La décision des syndicats était donc très clairement le résultat de la pression provenant de la base. Les syndicats avaient fait de leur mieux pour retarder les travailleurs avec les négociations. Maintenant, les confédérations devaient finalement déclarer la grève générale.
Faisant suite à cette décision, Erdogan, après avoir dit que les manifestations des travailleurs avaient « dépassé leur objectif », a déclaré: «Eh bien, excusez-nous. Nous avons fait le maximum de ce qui devait être fait. Cela s'est transformé en une campagne ouverte contre le gouvernement, plutôt que de demander plus de droits. Nous sommes dépositaires. Nous sommes les dépositaires de l'argent des orphelins nouveau-nés» et il a ajouté que les salaires des travailleurs de Tekel avaient été payés, que l'indemnité d'ancienneté était désormais sur leur compte en banque, et que s'ils reprenaient le travail dans le mois, ils pourraient commencer à travailler conformément à la législation du 'personnel temporaire', en d'autres termes sous le régime du 4-C. Le délai d'application du travail dans les conditions du 4-C était donc raccourci. Il s'agissait d'une menace de chômage à peine voilée à l'encontre des travailleurs. Cela ne voulait pas dire qu'Erdogan hésitait à faire des menaces ouvertes. Après avoir déclaré que la manifestation ouvrière en face de Türk-Is était illégale et après l'avoir définie comme une occupation, il a déclaré: «Nous allons faire preuve de patience jusqu'à la fin du mois. Par la suite, nous prendrons toutes les mesures légales. (...) Parce que cet événement est devenu un abus manifeste de la part de groupes idéologiques et d'extrémistes. Regardez leurs bannières. Regardez leurs slogans. Ils utilisent un ton effronté et impudent, prenant pour cible moi-même et mon parti. Les travailleurs sont manipulés ». Le gouverneur d'Ankara, Kemal Onal a décidé de sauter dans le train en marche à la suite de ces déclarations. Il a proféré lui-même une menace : juste avant l'action de solidarité générale organisée au nom des travailleurs de Tekel, il a déclaré qu'elle était illégale pour les travailleurs et les fonctionnaires travaillant dans les entreprises. Des plaintes devaient être portées contre tous ceux qui y participeraient.
D'un autre côté, le fait que les syndicats aient déclaré une grève générale ne signifie pas qu'ils n'avaient pas l’intention d'aller dans un sens opposé à celui de la grève générale et de construire une barrière contre elle. Beaucoup de syndicats pro-gouvernementaux au sein de la confédération Türk-Is étaient opposés à la décision de grève générale. Les confédérations MEMUR-Sen et Hak-Is ont décidé à la dernière minute de ne pas y participer. Quant à Türk-Is dans son ensemble, il n'a décidé que de participer aux manifestations d'Ankara décidées par les responsables syndicaux. Il s'en est suivi que la base qui voulait participer était bloquée, et que les travailleurs de différents secteurs et villes n'ont pas pu se réunir. Il y avait peut-être 30 à 40 000 manifestants ce jour-là, mais ce nombre aurait pu être bien au-dessus de 100 000. Les syndicats ont tenté de limiter le nombre. La participation à la grève des autres syndicats n'était pas, elle non plus, au niveau souhaité. Bien qu'il ne faille pas la généraliser par rapport à l'ensemble de la classe, la participation des ouvriers de Tekel était d'environ 90%, soit environ 9 000 sur les 10 857 employés. Ce même jour, il y a eu des manifestations en soutien aux travailleurs de Tekel dans d'autres villes.
Ce n'était pas une véritable grève générale. Elle était trop limitée, trop insuffisante. La puissance de la grève générale vient de la menace d'arrêter la vie elle-même en utilisant la puissance de production qu’ont les travailleurs. Or, le 4 février, il n'était pas vraiment possible, pour quelqu'un qui n'avait pas été averti par les syndicats, de se rendre compte qu'il y avait effectivement une grève qui se déroulait. Cela avait été au moins partiellement reconnu, même par certains présidents de la confédération. Sami Evren, le président de la KESK, a déclaré : «Le mouvement commencé par les travailleurs de Tekel s'est transformé en une manifestation de grande solidarité dans toute la Turquie. Il était socialisé. Tel est le succès du mouvement, mais le fait d'utiliser le pouvoir provenant de la production a conduit aussi à des échecs dans certains endroits. Il y a eu ici des insuffisances et cela doit être reconnu. » Le président du DISK, Suleyman Celebi, a également proclamé : « Il y a eu des actions de débrayage dans 81 villes. Il est vrai que ces actions à Istanbul et Ankara ont été en dessous de ce qu'on attendait, mais on ne peut pas dire que cela ait affecte le succès général de l'action de solidarité ».
Le même jour, le gouvernement prenait des contre-mesures. La nouvelle loi sur l'emploi du « personnel temporaire », le 4-C, était publiée au Journal Officiel. Le nombre des employés concernés par le 4-C était annoncé : 36 215 pour l'année 2010. Tekel était incluse dans la loi. Cette loi non seulement abolit le droit des travailleurs à se faire payer par l'assurance chômage pendant huit mois, mais elle vise aussi à faire travailler les ouvriers pour un salaire très bas sous la menace du chômage. Le 16 février, Tek Gida-Is portait plainte contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C. Si la loi était annulée, les travailleurs de Tekel seraient en mesure d'obtenir leurs indemnités de chômage pendant huit mois, soit le double du salaire minimum, et le 4-C pourrait être appliqué à la fin de cette période. La majorité des ouvriers qui, jusqu'au 4 février, poussait à la grève générale, était maintenant dans l'attente de la décision des tribunaux.
Ce qui a poussé les ouvriers à continuer la lutte jusqu'au 4 février a été la tentative de pousser les confédérations à déclarer la grève générale, afin d'élargir la lutte. Le fait que ces attentes ne se soient pas concrétisées, qu'il n'y aurait pas de véritable grève générale, a changé le cours de la lutte. Maintenant, l'accent était mis sur la période d'un mois imposée pour la mise en application du 4-C. Lorsque la mise en avant du caractère légal prend le dessus, cela signifie en général que la lutte s'affaiblit. L'exemple de Tekel n'a pas fait exception. Le rôle des syndicats, à la fois par rapport à l'affaiblissement de la lutte et à la focalisation sur le processus légal, ne peut pas être sous-estimé. Pour le dire crûment, les travailleurs étaient devenus un problème pour eux. Ils pensaient que le meilleur moyen était de les renvoyer chez eux, de mettre sur les rails la procédure juridique et c'est ce à quoi ils ont travaillé. De toutes façons, ce processus d'attente signifiait aussi pour les travailleurs une prise de risque. Après tout, ils étaient menacés par le chômage et poussés vers l'acceptation du 4-C, mais il y avait aussi une limite fixée pour tout cela. Ils perdraient la possibilité de l'application du 4-C dans le délai d'un mois. Quant aux syndicalistes, alors que la plupart ne pouvaient pas défendre ouvertement le 4-C, ils disaient des choses comme «Nous ne pouvons ni vous dire de l'appliquer, ni de ne pas l'appliquer ». Il a même couru le bruit que certains syndicalistes auraient dit «La mise en application du 4-C est la chose la plus logique à faire ». Bien sûr, ils ne pouvaient pas oser dire ces choses lorsque les ouvriers combatifs se trouvaient à proximité, car ils savaient que cela se serait traduit par une vigilante argumentation à leur encontre, ce qui les aurait finalement obligés à fuir.
La question qui a dominé les jours suivants a été celle de l'indemnité d'ancienneté des travailleurs déposée sur leur compte bancaire, et la question de savoir si les travailleurs allaient ou non l'utiliser. Erdogan a déclaré : «Les travailleurs ont obtenu leur compensation, ceux qui sont restés ici ne sont pas des travailleurs». Toutefois, les ouvriers en lutte avaient décidé de ne pas retirer leur rémunération puisque faire cela signifierait d'une certaine façon accepter le 4-C. Cependant, parce que certains avaient des dettes, il y a eu des déductions automatiques sur leur compte bancaire qui donnaient l'impression que les travailleurs utilisaient leur compensation, ce qui était une ruse de la part du gouvernement pour discréditer les travailleurs. Il s'est passé la chose suivante : le gouvernement, par l'intermédiaire du Ministère des Finances, a donné l'ordre à l'administration de la Vakif Bank General d'ouvrir un nouveau compte au nom des travailleurs. La banque, sans en informer les travailleurs, a retiré 25 TL (TL: Livre Turque, ndt) à chaque travailleur, et transféré l'équivalent sur ce compte, ce qui donnait à croire que les travailleurs avaient utilisé leur indemnité. Après cela, les syndicats ont déposé une nouvelle action en justice par rapport à cette question.
Les travailleurs ont commencé une grève de la faim de trois jours, le 2 février. La grève de la faim était finie le 5 février. Toutefois, le jour où la grève de la faim se finissait, 100 ouvriers de Tekel lançaient une grève de la faim illimitée. Le président de Tek Gida-Is, Mustafa Turkel, annonçait que la grève de la faim illimitée était terminée le 11 février. Il a également appelé les 16 travailleurs qui poursuivaient la grève de la faim malgré la décision des syndicats à l'arrêter. Ensuite, il a réitéré son appel directement auprès de ces travailleurs, mais il a reçu comme réponse de la part d'un gréviste déterminé qu'ils allaient poursuivre leur grève de la faim de par leur propre volonté. Ce même ouvrier combatif a été appelé à l'extérieur par un autre travailleur qui affirmait qu'il voulait lui parler. Lorsque le gréviste de la faim est sorti il lui a été demandé d'arrêter sa grève et il a été attaqué. Le travailleur qui l'agressait était une personne connue pour avoir défendu les syndicats contre d'autres camarades ouvriers et était considéré comme un élément déséquilibré. Depuis, nous n'avons pas eu d'information détaillée sur cet événement, nous n'avons aucune prétention de pouvoir connaître les liens possibles de l'attaquant. Il est possible qu'il s'agisse d'une initiative de la direction syndicale pour pousser ce travailleur à cette attaque contre le camarade qui faisait la grève de la faim. Cependant, indépendamment du fait de savoir s'il a été recruté par la direction syndicale pour réduire au silence ce gréviste de la faim dissident, ou qu'il ait agi ainsi pour faire de la lèche auprès des syndicalistes, le syndicat en est responsable directement ou indirectement. Car si n’importe quel ouvrier peut attaquer un camarade en grève de la faim dans le but de faire de la lèche auprès des syndicats, la raison en est que la bureaucratie syndicale a des intérêts séparés et opposés à ceux des ouvriers, et cela signifierait qu'il aurait tenté de se faire bien voir auprès des syndicalistes en servant leurs intérêts. Cet exemple montre ouvertement, alors que la question principale pour les travailleurs en lutte est celle de savoir comment nous pouvons gagner la lutte, que les syndicats poursuivent des intérêts bureaucratiques et agendas politiques totalement étrangers. Cette situation, loin d'être surprenante, est importante dans le sens où elle constitue un exemple frappant de la nature contre-révolutionnaire des syndicats aujourd'hui.
En tout cas, à la suite de cet événement, les négociations avec M. Erdogan se poursuivent. Etant donné qu'un compromis n'a pas été réalisé à la suite de ces négociations, Hak-Is a cessé d'agir conjointement avec les autres confédérations. Le 12 février, Türk-Is, Kamu-Sen, KESK et DISK se sont réunis à nouveau. Lors de cette réunion, il a été décidé de poursuivre les négociations avec le gouvernement, d'intenter un procès pour obtenir que le 4-C soit annulé et que les organisations locales des confédérations viennent à Ankara et restent avec les travailleurs de Tekel en face de Türk-Is pendant la nuit du 20 février. Le 16, les confédérations ont annoncé leur plan d'action commun : le 18 février, des banderoles disant : «La lutte des travailleurs de Tekel est notre lutte» et «Non au travail dangereux et non réglementé » devaient être placées dans tous les bureaux des syndicats des quatre confédérations. Le 19 février, il devait y avoir d'autres sit-in et des communiqués de presse dans toutes les villes et le 20, une manifestation de solidarité à Ankara. Ceux qui venaient de l'extérieur de la ville devaient se réunir sur la place Kolej, marcher vers la place Sakarya et rester toute la nuit avec les travailleurs de Tekel.
Les ouvriers de Tekel venant d'Adana ont lancé l'appel suivant pour la manifestation du 20 février, soulignant l'importance de l'extension de la lutte : «Nous voulons que tous ceux qui sont contre cet ordre mauvais en Turquie soutiennent notre mouvement. Ce n'est plus seulement par rapport à nous. Cela concerne la majorité, les opprimés. Nous espérons fermement que nous allons gagner. Nous avons allumé un feu, et la population doit poursuivre à partir de ce que nous avons fait. C'est notre avenir, l'avenir de nos enfants que nous défendons, l'avenir de la classe ouvrière en Turquie. Nous avons montré la direction, c'est à eux de finir. Nous ne devons pas sortir d'ici sans avoir ce que nous méritons, mais la population doit se réveiller et nous soutenir, avec leur famille, leurs enfants, avec tout le monde ».
Le 11 février, Tek-Gida-Is a déclaré la fin de la grève de la faim, mais 16 travailleurs ont continué. Le 12 février, un travailleur a été hospitalisé, et cinq travailleurs de plus ont rejoint la grève de la faim à la suite de cet évènement. Ces travailleurs ont terminé leur grève de la faim en déclarant qu'ils avaient «fini la grève de la faim de par leur propre volonté, et n'hésiteraient pas à recommencer si ils le jugeaient nécessaire».
La manifestation de solidarité a eu lieu le 20 février, avec la participation des syndicats, des partis politiques et des organisations de masse. Les travailleurs de l'entreprise de logistique Balnak qui avaient perdu leur emploi à peu près à la même époque où commençait la lutte de Tekel étaient également présents. Comme prévu, tous se sont réunis sur la place Kolej le matin et ont marché jusqu'à la place Sakarya, pleine de manifestants. C'était devenu un véritable carnaval, et les manifestants ont complètement changé l’aspect de la place. D'un autre côté, les travailleurs étaient en général encore dans leur tente quand les manifestants se sont trouvés sur la place. Il y a toujours eu de la circulation entre ces deux endroits très proches, mais la séparation est restée. Plus tard dans la nuit, les gens étaient fatigués, et les rues étaient pleines de manifestants qui dormaient dans des cartons. Le lendemain, un rassemblement a eu lieu et la manifestation s'est terminée avec un communiqué de presse. Ensuite, ceux qui étaient venus de l'extérieur de la ville ont commencé à rentrer chez eux. Cette manifestation a été importante dans la mesure où elle a donné un coup de pouce au moral des travailleurs de Tekel, et où elle a exprimé la solidarité de classe. Toutefois, à cause de la décision des syndicats de n'envoyer que des fonctionnaires, le nombre des travailleurs venant d'autres secteurs a été faible, mais la plupart des travailleurs de Tekel qui n'étaient pas à ce moment à Ankara se sont rassemblés dans la ville. Malgré tous ces aspects négatifs, le fait d'avoir été soutenu a beaucoup compté pour les travailleurs. Les ouvriers dans les tentes auxquels nous avons rendu visite dans la nuit avaient en général un sentiment positif par rapport à la manifestation et disaient qu'elle leur avait donné le moral.
Le 23 février, les quatre confédérations se sont à nouveau rassemblées. Elles ont pris la décision d'organiser une autre action générale le 26 mai dans le cas où le gouvernement ne ferait aucune concession. Planifier une action générale trois mois plus tard n'était rien moins que se moquer ouvertement des ouvriers. La décision était déjà sur Internet avant d'être annoncée. Ceux qui l'avaient lue informaient les autres, ceux qui ne pouvaient pas croire ce qu'ils avaient entendu allaient vérifier eux-mêmes. Personne ne voulait croire cette nouvelle. Les représentants des différentes branches n'avaient pas été informés de la décision, disaient que la nouvelle était fausse, et ils réagissaient vivement à l'égard de ceux qui les questionnaient à ce sujet. Après l'annonce, les travailleurs se sont réunis et ont commencé à crier des slogans contre Türk-Is et Kumlu. A ce moment critique, Turkel a montré ouvertement son vrai visage. Il a crié aux ouvriers: «Si vous continuez à crier, Kumlu démissionnera, je démissionnerai ensuite ». Cela ne posait pas vraiment beaucoup de problèmes aux ouvriers.
Mustafa Turkel, le président de Tek Gida-Is, démissionna de son poste de secrétaire général qu'il occupait au sein de la confédération de Türk-Is le 24 février. Il a annoncé qu'il allait donner toutes les explications nécessaires sur les raisons de sa démission le 2 mars. C’était aussi la dernière date possible pour que les travailleurs appliquent le 4-C, selon le gouvernement, et aussi la date où le gouvernement avait menacé les ouvriers de détruire la ville de tentes. Turkel n'a pas vu la nécessité d'expliquer aux travailleurs pourquoi il avait démissionné. En ne donnant aucune explication, il sapait ouvertement la lutte des ouvriers de Tekel qui durait depuis plus de deux mois. Pourquoi quelqu'un qui a démissionné refuse-t-il d'expliquer pourquoi il a démissionné ? Qu'est-ce que cela signifie, disparaître dans une ambiance où le gouvernement menaçait les travailleurs à la fois de les mettre au chômage et de les attaquer ? Serait-il exagéré de dire qu'il attendait le 2 mars pour partir, pour que les eaux soient à nouveau claires ?
Cette situation d'incertitude a naturellement conduit à des confusions par rapport à la démission de Turkel. Il pourrait avoir démissionné parce que les travailleurs avaient demandé la démission de Kumlu, mais aussi parce qu'il n'avait pas de soutien au sein de Türk-Is. Les travailleurs envisageaient les deux possibilités. Un travailleur de Tekel de Adıyaman a évalué la situation comme suit: « Cela peut être interprété de deux manières. Si cela se produit comme la presse l'a présenté, si le président de Tek-Gida-Is a démissionné en réaction contre les travailleurs, je pense que c'est erroné. Il ne peut pas se payer un tel luxe. Personne n'a le droit de saboter ce processus. Nous avons lutté pendant 71 jours. Il y aura certainement ceux, parmi les 12 mille travailleurs, qui ne pourront pas contrôler leurs nerfs et qui réagiront. D'autre part, Turkel a démissionné de son poste de Secrétaire général de Türk-Is, non pas de sa position en tant que président de Tek-Gida-Is. Je pense que cette démission peut aussi être une réaction contre les décisions prises hier par les confédérations. Si tel est le cas, s'il s'agit d'une réaction contre Türk-Is ou les autres confédérations disant : 'vous nous laissez seuls', alors nous embrasserons notre président de tout notre cœur. Je ne veux pas croire qu'il a démissionné par réaction contre les travailleurs, comme cela a été présenté dans la presse. Je tiens à penser qu'il s'est agi d'une réaction contre la bureaucratie de Türk-Is. Je ne pense pas que les réactions affichées à son encontre par quelques camarades représentent le sentiment général. Il n'aurait pas démissionné à cause du slogan 'Turkel démission' crié par quelques-uns. Il pourrait y avoir d'autres raisons. Dès le début, nous avons réagi par rapport à Kumlu, pour sa relation étroite avec le gouvernement et son manque de sincérité. Mais nous croyons en Turkel depuis le début. Nous devrions attendre l'explication du président. » Un travailleur Tekel d'Istanbul a évalué la situation comme ceci: « Nous sommes une famille. Il peut y avoir des débats entre nous. S'il a démissionné à cause des réactions des travailleurs, il n'a pas fait le bon choix. S'il l'a fait en réaction à la bureaucratie de Türk-Is, il a eu raison. S'il l'a fait à cause de la réaction des travailleurs, ce n'était rien qu'un prétexte pour s'enfuir. Il n'a pas le droit de quitter les travailleurs et de prendre la fuite. Mais qu'il reste ou qu'il parte, la lutte va se poursuivre. En fait, il nous a menacé pendant chacun des 71 jours, comme un mari menace sa femme. Mais nous sommes restés patients, indivisibles. Maintenant, une telle réaction contre les travailleurs est, d'après moi, une excuse pour s'enfuir, si bien sûr il a démissionné à cause de cela. On n'a pas le droit de dire 'je ne jouerai plus', comme un gamin. En tant que travailleurs, tout ce que nous voulons c'est qu'ils accomplissent leur devoir syndical et non pas qu'ils nous grondent. Il était tout naturel pour nous de réagir contre les décisions des confédérations, et je pense vraiment que cela incluait tous les travailleurs, que cette réaction a été commune à tous les travailleurs. Les réunions ouvrières devaient avoir lieu dans la matinée. Pourtant, il a été dit que Turkel avait une réunion urgente, et que les réunions des travailleurs devaient être reportées l'après-midi. Un peu plus tard sa démission a été annoncée. Où Turkel est-il allé? A qui a-t-il parlé? Qu'est-ce qui s'est passé à cette réunion? Nous ne le savons pas. » Turkel avait déjà dit qu'il était opposé à la réaction des travailleurs à l'encontre de Kumlu, et qu'il démissionnerait au cas où l'incident se renouvellerait. Les syndicalistes pensaient que la démission de Turkel avait été causée par la réaction des travailleurs. À la suite de cela, Mustafa Akyurek, le Secrétaire Général pour l'Education de Tek Gida-Is, a dit que les déclarations selon lesquelles la décision de démissionner de Turkel était due à son désaccord avec la bureaucratie de Türk-Is étaient fausses, et que cette décision était motivée par les réactions des ouvriers.
Le 23 février, treize travailleurs sont morts dans une mine de Balikesir à cause d'un coup de grisou. C'était le troisième meurtre sur un lieu de travail qui avait eu lieu en raison de l'insécurité des conditions de travail depuis 2006. Avant la mort de ces 13 ouvriers, dix-sept avaient été tués dans une explosion précédente, et trois dans la première. Les travailleurs de Tekel qui en ont entendu parler ont ressenti une grande douleur. Leurs frères de classe défunts avaient déjà été soumis à l'insécurité des conditions de travail. Maintenant, c'était eux que le gouvernement tentait de soumettre aux mêmes conditions. Il était impossible de ne pas ressentir cette colère et cette douleur de classe. Un ouvrier d'Adiyaman explique ce qui s'est passé de la façon suivante: « Pour ce qui est de ressentir ce que les défunts étaient pour nous, pour ce qui est de faire preuve de solidarité, il y avait une participation de 100%. Tout le monde la ressentait cette douleur. Nous avons préparé des bannières, des rubans noirs, nous avons fait un communiqué de presse. C'était très important pour la solidarité de classe ». Les mineurs ont été commémorés lors de la désormais régulière et quotidienne manifestation nocturne à la torche et il y a eu une minute de silence en l'honneur des mineurs décédés. La proclamation « longue vie à la solidarité de classe » est devenue le slogan de la journée.
Le lendemain matin, le 25, les travailleurs se sont encore réveillés avec une autre mauvaise nouvelle. Un camarade de Tekel, Hamdullah Uysal, avait été tué à Ankara dans un accident de la circulation.
Hamdullah Uysal, né à Amasya, avait travaillé en tant qu'ouvrier de Tekel à Samsun. Il avait 39 ans et avait deux enfants, l'un d'entre eux handicapé. Il avait participé à la grève de la faim. Les ouvriers de Tekel avaient subi d'autres pertes pendant la lutte, certains avaient des mères ou des pères et d’autres des enfants qui sont décédés, mais c'était la première fois qu'un travailleur de Tekel décédait pendant la lutte. Hamdullah Uysal était un ouvrier combatif qui s'était impliqué dans la lutte depuis le début. Il était allé à Ankara dès le début de la lutte et il n'était retourné que deux fois dans sa ville natale. Les ouvriers le considéraient comme un martyr de la guerre de classe. La façon dont l'accident s'était produit avait aussi entraîné la colère de classe des travailleurs. Uysal avait été touché par une jeep conduite par un conducteur ivre à 5h30 du matin en allant à la prière matinale. Il y avait de la colère contre cette personne et la classe qu'elle représentait. Les travailleurs faisaient référence au meurtrier comme 'un type riche avec une jeep'.
Parce que les ouvriers voyaient Uysal comme un martyr de la lutte et parce qu'ils estimaient que la ville de tentes en face de Türk-Is était comme leur maison à eux tous, ils ont voulu faire ses funérailles dans la ville de tentes, y faire une cérémonie, puis envoyer Uysal chez lui. Ils ont parlé à la femme de Uysal, qui a déclaré : «La rue en face de l'immeuble de Türk-Is était comme sa maison, la tente en face de Türk-Is était sa maison, il aurait voulu cela. Faisons la cérémonie devant Türk-Is et puis envoyons-le chez lui ».
Ainsi, 400 à 500 travailleurs se sont rendus à l'institut médico-légal à Kecioren, où le corps de Uysal avait été déposé. En fait, tout le monde voulait y aller, mais les ouvriers ont décidé de limiter le nombre afin de ne pas laisser les tentes inoccupées, car le gouvernement n'arrêtait pas de cracher ses menaces de détruire les tentes. Les travailleurs craignaient que le gouvernement puisse attaquer et détruire les tentes aussitôt qu'ils auraient quitté la place Sakarya. Ainsi, certains ont dû rester et attendre en face de Türk-Is que le corps y soit transporté.
Les travailleurs de Tekel qui sont allés à l'institut médico-légal ont tenté de prendre le corps. Ils ont dû attendre pendant des heures, et se sont entendus dire que le frère et l'oncle de Uysal viendraient chercher son corps. En fin de compte, un parent de Uysal qui était lui-même un travailleur de Tekel est venu, mais le corps ne lui a pas été donné, à lui non plus. Finalement, un 'oncle' est apparu, qui prétendait être le mari de la tante d'Uysal. L'institut a déclaré que le corps devait lui être donné. Les ouvriers qui savaient que les corps ne sont remis qu'à la plus proche famille n'ont pas gobé cette histoire 'd'oncle'. En fait, ils soupçonnaient que 'l'oncle' pouvait être un flic en civil. Leurs soupçons ont été confirmés lorsque cet 'oncle' a dû finalement admettre qu'il était bien un policier infiltré. Aussi, les travailleurs ont commencé à insister pour récupérer le corps. La police ne le leur permettait toujours pas. Ils ont attendu pendant des heures et ils ont aussi tenté l'impossible pour appeler la famille d'Uysal, mais en vain. Enfin la famille d'Hamdullah Uysal est arrivée, et aussitôt la police d'Ankara et le gouverneur les a mis sous pression. La police d'Ankara qui les a arrêtés sur la route a tenté de contraindre la famille de signer un document reconnaissant que le corps serait transporté à la maison d'Uysal sans qu'il y ait une cérémonie à Ankara. La pression a continué à se faire ressentir à l'institut. Enfin, la famille a dû céder et accepter de conduire le corps à la maison sans cérémonie à Ankara.
Pendant ce temps, les travailleurs qui attendaient devant l'institut médico-légal se sont entendus dire qu'on leur donnerait le corps. Aussi, les travailleurs sont entrés dans l'ambulance qui transportait le corps de Uysal. Toutefois, un groupe qui s'était rendu compte que l'ambulance prenait une direction différente de celle qui était prévue a immédiatement bloqué la route. La police est alors arrivée pour se mettre entre les travailleurs qui étaient restés à l'arrière et ceux qui essayaient d'arrêter l'ambulance. Les travailleurs qui étaient restés à l'arrière ont essayé de venir en aide à ceux qui étaient devant l'ambulance, mais la police les a attaqués avec des gaz lacrymogènes et les a dispersés, puis elle a formé une seconde barricade. La police a alors attaqué le petit groupe qui bloquait la route à l'ambulance et les expulsa tous. Ils ne voulaient pas lâcher ces ouvriers. Le plus grand groupe de travailleurs a cependant réussi à se rassembler de nouveau et a commencé à essayer de s'unir avec leurs camarades, mais sans succès, et la police a fini par réussir à s'emparer de l'ambulance en attaquant férocement les travailleurs.
Pendant ce temps, les ouvriers qui attendaient en face de Türk-Is ont essayé d'aller à Mithat Pasha Street et de déposer des fleurs là où il était mort, mais la police les en a empêchés. Elle a aussi dispersé les travailleurs qui s'étaient réunis sur la place Sakarya pour aider leurs camarades à l'institut médico-légal. En face de la barricade de la police, dans la rue Mithat Pacha, les travailleurs criaient «Vous avez peur de nos morts». Des slogans tels que «Tayyip l'assassin» et «L'assassin AKP doit répondre devant les travailleurs » ont également été criés. Malgré tous les efforts de la police, un groupe de travailleurs a réussi à déposer des fleurs à l’endroit où Hamdullah Uysal avait été tué.
Les travailleurs de retour de l'institut médico-légal sont allés directement à Mithat Pasha Street. La police a formé encore une autre barricade afin d'empêcher les travailleurs de traverser massivement la rue. Les travailleurs sont cependant parvenus à franchir le barrage et ont commencé un sit-in dans la rue. Les travailleurs qui étaient en face de Türk-Is ont aussi commencé à venir. Ils ont tous ensemble participé à un long sit-in de 20 à 25 minutes, criant des slogans à la mémoire de Hamdullah Uysal. La police a encerclé les travailleurs au cours de cette manifestation. Finalement, les travailleurs sont retournés dans leurs tentes.
Le syndicat n'a jamais, pendant tout ce temps, pris position au côté des travailleurs. Il était absent lorsque la police a attaqué les travailleurs qui étaient en face de l'institut médico-légal. Lorsque les travailleurs en face de Türk-Is ont voulu aller aider leurs camarades, les syndicalistes ont seulement essayé de les calmer et de les faire rentrer dans leur tente.
La mort de Hamdullah Uysal a montré une fois de plus à quel point les forces de l'ordre avaient peur des travailleurs. La police et le gouverneur avaient fait de leur mieux pour empêcher les ouvriers de faire leurs adieux à leur camarade décédé, mais leurs efforts ont été vains. Les ouvriers réussissant à percer le barrage de police et faisant un sit-in dans la rue où Uysal était mort, bloquant tout le trafic dans la rue, même pendant seulement 20 à 25 minutes, fut peut-être le plus bel hommage des ouvriers de Tekel à leur camarade décédé.
La mort de Uysal a bouleversé les ouvriers de Tekel, mais elle a également aidé ceux qui étaient encore dans leur ville de résidence à comprendre la gravité de ce qui se passait. Une des choses que Hamdullah Uysal nous a laissé a été son appel à l'extension de la lutte au reste de la classe: «Ici, tout ce qui est gagné par la classe ouvrière sera une boussole pour les mouvements de la classe ouvrière de demain et d'après-demain. Joignez-vous à notre lutte, sauvez votre avenir. »
Le lendemain, 25 travailleurs de Tekel se sont rendus au siège de l'AKP à Ankara. Ils sont entrés dans le bâtiment avec l'intention d'y accrocher une bannière avec une photo de Hamdullah. Les forces de sécurité privées ainsi que la police ont attaqué les ouvriers dans le bâtiment. Cela a cependant poussé le groupe de travailleurs rassemblés à l'extérieur à aller à l'intérieur, mais eux aussi ont été attaqués et beaucoup de travailleurs ont été blessés. 19 travailleurs ont été placés en détention. Les slogans « AKP assassin, Tayip assassin » ont fusé et les travailleurs ont expliqué comment le gouvernement était responsable de la mort de Hamdullah Uysal. Ceux qui étaient restés à l'arrière ont bloqué les véhicules de police qui venaient d'embarquer des ouvriers en criant :
« Tekel est partout, la lutte est partout », « La répression ne peut pas nous décourager ». Malheureusement, ils n'ont pas réussi à empêcher leurs collègues d'être embarqués.
Apprenant la nouvelle que certains travailleurs avaient été placés en garde à vue, un groupe d'ouvrières de la tente d'Izmir est allé au quartier général de la police. Les ouvriers avaient été placés en garde à vue sous le prétexte qu'ils avaient été repérés dans l'immeuble. Un autre groupe de travailleurs qui était en face de Türk-Is a fait pression sur les syndicats pour qu'ils envoient leurs avocats. L'événement avait eu lieu en l'absence de toute initiative syndicale, mais sous la pression ouvrière, ils ont fini par aller au QG de la police avec leurs avocats. Le lendemain, les travailleurs ont attendu devant le palais de justice de 10h à 21h jusqu'à ce que leurs camarades soient libérés. Les travailleurs sont restés en garde à vue pendant environ 40 heures. 15 travailleurs ont été libérés dans l'après-midi. Quatre autres, qui avaient été accusés de «dégradation de biens publics et de désobéissance à un officier de police », ont eu un procès et ont été libérés le soir même. Ils sont retournés dans la ville de tentes avec leurs camarades et des sympathisants qui les avaient attendus.
Le 1er mars, le tribunal a tranché en faveur de la poursuite intentée contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C pour les travailleurs de Tekel. Les ouvriers ont célébré la décision. Trois à quatre jours auparavant, les ouvriers combatifs avaient essayé de mettre en garde les autres en leur expliquant qu'il ne s'agissait pas d'une victoire, mais leur mise en garde ne fut pas écoutée. Ce faux sentiment de victoire devait saboter, dès le jour suivant, l'unité ouvrière.
Le 2 mars, Mustafa Turkel annonçait que les manifestations d'Ankara étaient terminées, il appelait au démontage des tentes et annonçait un retour fixé au 1er avril. Cela a divisé les ouvriers entre ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat de mettre fin à la lutte et ceux qui ne s’y opposaient pas. Ceux qui s'opposaient à ce démontage ont scandé des slogans comme « Les tentes sont notre honneur. Nous ne vous laisserons pas toucher à notre honneur». Les autres répondaient en criant «Turkel est notre honneur ». Ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat et ceux qui la soutenaient étaient maintenant opposés les uns aux autres. Quelques tentes avaient été démontées avant même que le discours de Turkel ne soit terminé. Il n'a été laissé aucun temps aux ouvriers pour qu'ils puissent avoir une discussion générale. Aussi, les travailleurs qui s'opposaient à la décision du syndicat ont discuté entre eux et ont décidé d'agir autour d'une autre stratégie. Le syndicat cherchait l’opposition entre les travailleurs qui refusaient la décision et ceux qui lui étaient favorables et à isoler ceux qui s’opposaient à lui, en essayant de les pousser hors du processus. Le syndicat avait l'intention de mettre les ouvriers fauteurs de trouble en dehors de la manifestation du 1er avril, de les isoler des autres travailleurs et de prendre le reste des travailleurs complètement sous son contrôle. Toutefois, les ouvriers combatifs ne sont pas tombés dans le piège du syndicat et, afin d'éviter d'être repoussés par leurs camarades, ils ont arrêté de s'opposer à la décision du syndicat. Ceux qui s'opposaient à la décision de démonter les tentes étaient majoritaires dans les tentes de Adiyaman, Izmir, Istanbul et Diyarbakir. Ils ont accepté la décision après en avoir discuté entre eux.
En fait, les syndicats avaient prévu bien à l'avance de faire démonter les tentes : ils avaient fait une propagande dans ce sens pendant environ 20 jours. Les représentants syndicaux avaient fait des discours dans les tentes pour tenter de convaincre les gens de les démonter. Le jour où les travailleurs attendaient devant le palais de justice pour leurs camarades placés en garde à vue, les syndicats avaient fait des réunions de section, et avaient avancé l'idée de démonter les tentes. Tout ce travail a été payant pour eux : lorsque la décision a finalement été annoncée, elle a été soutenue par la majorité. Un des camarades ouvriers à qui nous avions parlé avant que les tentes ne soient démontées, quand on lui a demandé s'il s'attendait à une attaque de la police, nous avait répondu qu'il n'y aurait pas besoin d'une attaque, puisque les syndicats avaient de toutes façons tout pris en charge. Cela montre en soi à quel point les syndicats et le gouvernement ont ouvertement coopéré. Mais malheureusement, les syndicats ont semblé pour beaucoup de gens être du côté des travailleurs. C'était pour ainsi dire une attaque sournoise. Parmi les ouvriers heureux et tristes à la suite du démontage de la ville de tentes, certains étaient en colère. L'un d'entre eux à qui nous avons parlé a résumé la situation en disant que tout commence avec le syndicat qui embrouille les choses et tout finit de même.
La lutte de Tekel a été comme un long cri qui a mis un terme au silence de la classe ouvrière en Turquie depuis le début des années 90. La lutte a également mis en avant une méthode de lutte entièrement nouvelle. La formation d'une ville de tentes, avec des ouvriers en lutte y vivant les 24 heures de la journée a été quelque chose de complètement nouveau. Comme nous l'avons souligné au début de l'article, cela avait des aspects positifs. Cela a permis aux ouvriers de développer l'auto-organisation entre eux. Mais cela a aussi eu des effets négatifs. Après un certain temps, les tentes ont conduit à un certain alanguissement. Cette langueur a emprisonné dans les tentes la plupart des travailleurs. Le problème du manque de communication des ouvriers entre eux s'est manifesté. De toute façon, avec ses aspects positifs et négatifs, les tentes ont été une expression de la lutte, et en sont aussi devenues le symbole.
La fin de la ville de tentes ne veut pas dire, pour les ouvriers militants, l'arrêt de la lutte. Un groupe, composé de quelques ouvriers de chaque ville, a décidé de rester en contact et de coordonner la poursuite de la lutte dans les villes au cours du mois suivant. Organiser le retour à Ankara le 1er avril, maintenir la question au chaud et rendre visite aux travailleurs d'autres luttes a constitué la stratégie des ouvriers combatifs depuis la fin de la ville de tentes. Alors que le démontage des tentes semblait être la défaite de la lutte, le fait que les ouvriers combatifs de Tekel aient commencé à travailler à une unification des luttes actuelles et à l'extension de la lutte au reste de la classe peut conduire à des développements très importants non seulement pour les ouvriers de Tekel mais aussi pour toutes les luttes de classe en Turquie en général.
Sude (31 mai)
1Sur la loi du 4-C, voir notre article précédent [34].
Links
[1] mailto:emancipació[email protected]
[2] https://internacionalismo-leco.blogspot.com/
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[5] https://es.internationalism.org/#_ftn1#_ftn1
[6] https://es.internationalism.org/#_ftn2#_ftn2
[7] https://es.internationalism.org/#_ftn3#_ftn3
[8] https://es.internationalism.org/#_ftn4#_ftn4
[9] https://es.internationalism.org/#_ftn5#_ftn5
[10] https://es.internationalism.org/#_ftn6#_ftn6
[11] https://es.internationalism.org/#_ftn7#_ftn7
[12] https://es.internationalism.org/#_ftn8#_ftn8
[13] https://es.internationalism.org/#_ftn9#_ftn9
[14] https://es.internationalism.org/#_ftn10#_ftn10
[15] https://es.internationalism.org/#_ftn11#_ftn11
[16] https://es.internationalism.org/#_ftnref1#_ftnref1
[17] https://es.internationalism.org/#_ftnref2#_ftnref2
[18] https://es.internationalism.org/#_ftnref3#_ftnref3
[19] https://es.internationalism.org/#_ftnref4#_ftnref4
[20] https://negacion.entodaspartes.net/
[21] https://es.internationalism.org/#_ftnref5#_ftnref5
[22] https://es.internationalism.org/#_ftnref6#_ftnref6
[23] https://es.internationalism.org/#_ftnref7#_ftnref7
[24] https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm
[25] https://es.internationalism.org/#_ftnref8#_ftnref8
[26] https://es.internationalism.org/#_ftnref9#_ftnref9
[27] https://es.internationalism.org/#_ftnref10#_ftnref10
[28] https://es.internationalism.org/#_ftnref11#_ftnref11
[29] https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-11-4e-trimestre-1977
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[31] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/61/inde
[32] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[33] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
[34] https://fr.internationalism.org/content/9723/turquie-solidarite-resistance-des-ouvriers-tekel-contre-gouvernement-et-syndicats
[35] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/257/turquie