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ICConline - mai 2010

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Des étudiants californiens combattent les plans d’austérité

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Nous publions ci-dessous de larges extraits de la traduction d'un article [1] réalisé par Internationalism, section du CCI aux États-Unis, et diffusé sur notre site en anglais le 18 avril.

Le 4 mars 2010, après des mois de restrictions budgétaires draconiennes et de congés imposés dans le système d'enseignement supérieur à travers les États-Unis, diverses organisations, y compris un certain nombre d'organisations gauchistes, mais aussi anarchistes, ont appelé à une journée nationale d’action. Le slogan adopté était « sauvez l'éducation », une façon trompeuse de définir les questions en jeu, car il est utilisé pour maintenir le mouvement étudiant dans l'illusion du réformisme démocratique et aussi pour caractériser les coupes dans l'éducation publique comme  « spécifiques » à ce secteur, comme si c'était le seul soumis à des attaques. C'est pourquoi il y a souvent une mauvaise définition de la question, comme si l’éducation était victime d’une émasculation politique. En fait, la crise de l'éducation est une conséquence directe de l'aggravation de la crise généralisée du capitalisme et la lutte des étudiants doit être comprise dans ce contexte. Le positionnement correct du mouvement étudiant dans un conflit de classe plus large est essentiel pour comprendre le dynamisme de la lutte alors que les contradictions du capitalisme s’exacerbent. Il est également important de comprendre les faiblesses, les limites, mais aussi les potentialités du mouvement étudiant, si l’on veut que ce potentiel se concrétise au maximum.

Le contexte : la crise économique

Personne ne sera surpris d’apprendre que la Californie est le théâtre des actions les plus nombreuses, les plus populaires et les plus préparées du mouvement étudiant. La Californie est le siège de trois systèmes d'enseignement supérieur : University of California (UC), California State University (CSU) et California Community College (CCC), le CCC étant le plus grand système d'enseignement supérieur au monde. Ces trois systèmes englobent respectivement 160 000, 433 000 et 3 000 000 d’étudiants, soit environ 10% de l’ensemble de la population de la Californie. La grave crise financière de l'État, avec un déficit de 20 milliards de dollars, a entraîné des restrictions que le gouvernement tente désespérément de conjurer en ne remboursant pas ses prêts. La situation en Californie est si grave que les grands dirigeants financiers, comme le directeur de la banque JP Morgan Chase, ont caractérisé la situation budgétaire de la Californie comme étant pire que celle de la Grèce. Cette situation a conduit « L'État du Soleil Brillant » à faire subir aux trois systèmes d'enseignement supérieur des réductions drastiques de plus en plus importantes. Pour l'année scolaire 2009-2010, il y a eu une réduction budgétaire totale de 1,7 milliard de dollars répartie de façon à peu près égale entre les trois systèmes, chacun d’entre eux devant trouver sa propre façon de s'y adapter. UC et la CSU ont augmenté leurs frais de scolarité de 30% et ont institué des réductions de salaires et de congés pour leurs employés, tandis que les campus du CCC ont réduit leur nombre de classes, au point que les étudiants ne peuvent pas s'inscrire dans les classes nécessaires au transfert ou à l'obtention d’un diplôme.

Cette situation est particulièrement toxique lorsqu'elle se combine avec la dette qui pèse souvent sur les diplômés de ces systèmes d'enseignement supérieur. La California Postsecondary Education Commission, une institution fédérale, a déclaré en 2007 que « la hausse des frais de scolarité et le coût élevé de la vie mettent la pression sur les familles à faible revenu et sur celles à revenu moyen, ce qui pousse les élèves et les parents à contracter des dettes importantes. » Il est à noter que ceci a été écrit en 2007, avant la crise financière, alors que depuis l’économie dégringole en spirale. Au moment du rapport, les dettes moyennes pour les diplômés des systèmes d'enseignement supérieur de Californie étaient de 12 459 $ pour une scolarité sur quatre années et de 9 214 $ pour une scolarité sur deux années. Ce n'est toutefois pas la fin de l'histoire, dans la mesure où, souvent, ces prêts sont encore aggravés par les prêts des parents des étudiants du premier cycle (PLUS), qui sont souscrits pour payer l'éducation de leurs enfants et qui se montaient respectivement en moyenne à 12 066 $ et 12 742 $. Cela permet de mieux percevoir le poids de la dette pour une multitude d'élèves dans le système éducatif de Californie.

C'est dans ce cadre que la nature de classe des attaques à l’encontre de l'éducation commence à prendre forme. La hausse du coût de l'éducation, qui se manifeste dans les fractions les plus vulnérables de la population étudiante comme le fardeau d’une dette croissante et les restrictions budgétaires aggravées par cette hausse forment le cadre des agressions généralisées et directes à l’encontre du niveau de vie de la classe ouvrière. Pour beaucoup, l’éducation fonctionnait comme un moyen de parvenir à une meilleure situation matérielle et le système public d'éducation en Californie fut jadis l'un des plus accessibles. Le mécanisme de la dette étudiante est utilisé pour incorporer la population étudiante dans l'appareil d'État et pour dissuader de prendre des mesures radicales. À bien des égards, les prêts aux étudiants d'aujourd'hui relèguent la condition d'étudiant à une forme moderne d'esclavage de la dette et cette condition tend à encourager la docilité. Alors que la crise du capitalisme s'approfondit, c'est la classe ouvrière qui est invitée à supporter le poids de ces mesures d'austérité pour résister à la tempête de la crise capitaliste. Cette opération se trouve répétée dans l’ensemble de l'économie. Comme la réalité de la crise assombrit les lunettes habituellement teintés de rose des économistes, même des plus optimistes, de la bourgeoisie, la classe ouvrière est de nouveau appelée à subir la force de la récession à travers des licenciements, des mises en congés, des réductions de salaire, et des suppressions de salaire social, comme l’illustre l’assaut actuel sur l'éducation publique.

Cette situation ne se limite pas aux États-Unis. Les mesures d'austérité sont annoncées dans tout le monde industrialisé. L'attaque de l'éducation en Californie est en lien direct avec les attaques portées contre la classe ouvrière à l'échelle mondiale..

Faiblesses et potentialités du mouvement étudiant

Le mouvement étudiant de Californie se comprend mieux non pas comme une entité en soi mais comme une constellation de mouvements. Bien qu'il existe de nombreuses idées présentes dans le mouvement étudiant, la plupart des étudiants organisateurs sont inévitablement inexpérimentés et souvent leurs actions font le jeu des syndicats. Avec les restrictions budgétaires qui affectent directement les travailleurs, sur chaque campus séparément, les syndicats sont dans une position de force pour maintenir une influence solidement établie. Les étudiants sont mobilisés par les syndicats, souvent par groupes sur le campus, pour promouvoir une soi-disant solidarité « ouvrier-étudiant » et sont ensuite canalisés dans des actions visant à promouvoir le jeu syndical - d'où le slogan populaire dans les manifestations d'étudiants « Nous avons le pouvoir / Quel pouvoir? / Le pouvoir du syndicat ! » Au-delà de manifestations symboliques et inoffensives sur les campus isolés, les syndicats et leurs alliés dans la population étudiante font aussi la promotion de l'idéologie électoraliste qui invite les élèves à écrire à leurs députés à Sacramento et à faire pression pour une suppression des restrictions budgétaires. Ces demandes qui sont souvent formulées à partir d’une conception mystifiée de l'université et à travers la promotion de l'appareil syndical, empêchent la prise de conscience de la nature de classe de la crise elle-même. Les étudiants ignorent aussi bien le fait que l'État de Californie est tout simplement incapable de fournir le moindre financement dans le contexte d'un déficit massif et que le rétablissement des budgets des différents systèmes d'enseignement supérieur nécessiterait de l'État des réductions dans d'autres secteurs prétendument au service de la population : il n’y a rien à espérer du cadre étroit du chauvinisme syndical. Semblant se détacher de ce cadre, il y a un camp constitué de leaders étudiants qui appellent à une responsabilisation des syndicats, mais à travers l'utilisation d'une rhétorique très idéologiquement raciste qui vise en réalité à remplacer la classe par la race. Lors d'une récente réunion de défenseurs de cette idée,, l'un d'eux a parlé de « recadrer le débat afin de comprendre que l'idéologie anti-noir a créé du capital ». L'accent est celui d’une rhétorique "anti-noir", mais développée dans le cadre d’une hiérarchie des opprimés, elle est présentée comme une forme d'analyse de la crise de l'éducation, comme une « crise raciale ». Ce cadre est incroyablement réactionnaire et il aggrave les divisions au sein du mouvement étudiant selon des critères raciaux. Ce groupe est numériquement marginal, mais il est influent, dans sa capacité à exploiter les divisions encouragées par la classe dirigeante depuis plus d'un siècle.

Il y a cependant des étudiants qui s’en libèrent et reconnaissent cette dichotomie comme deux manifestations bourgeoises qui se disputent les restes d'un système malade... Ces étudiants fonctionnent en suivant une ligne de valeurs largement communiste-libertaire et leur faveur va à une variété de tactiques souvent décriées par les syndicats et leurs partisans comme étant trop "incendiaires". Les tactiques de lutte populaire qu’ils préconisent sont l’occupation de bâtiments et diverses formes de protestations conflictuelles comme le blocage des autoroutes. Un slogan adopté dans ce camp est « tout occuper, ne rien demander », et ils sont fortement influencés par le situationnisme. Ils s'inspirent également dans une certaine mesure des luttes étudiantes grecques dans ce qu’ils décrivent comme leur assaut contre la « marchandisation de la vie » (bien que, si l'on considère que les étudiants grecs se sont également décrits comme appartenant à la «génération 400 euros », nous ne pouvons que nous demander quel accès aux «marchandises» les étudiants de Californie ont vraiment !) Théoriquement, ce regroupement est le plus susceptible d’avoir compris la crise de l'éducation comme faisant partie de la crise permanente du capitalisme. La base de leur slogan est que le capital ne peut pas se permettre la moindre concession, la moindre réforme, et qu’il reste donc à prendre en charge ce qui existe et à le réorienter pour une utilisation par tous. Ce groupe, bien que très habile à faire sa publicité, est encore une très petite fraction au sein du mouvement étudiant.

Ces divisions sont profondes et sont un gros handicap pour la dynamique portée par le mouvement étudiant. Une forme populaire d'organisation apparue sur les campus est constituée par des assemblées générales à la composition variée. Dépendant souvent entièrement de qui les a réunies, elles sont dominées par l'un des camps présentés ci-dessus et il devient très difficile d’aller de l’avant en présentant une opinion dissidente. C'est encore dû à l'inexpérience des nombreux étudiants qui se sont impliqués dans ce mouvement, ce qui permet aux bureaucrates syndicaux les plus expérimentés et à leurs partisans de transformer ces espaces en des plates-formes pour leurs organisations.

Toutefois, de nombreux étudiants sont de plus en plus conscients de la présence d’éléments opportunistes au sein du mouvement. Comme les contradictions de la démocratie capitaliste sont progressivement démasquées par l'arrogance de ses représentants et par leur incapacité à faire la moindre concession, une grande partie de la discussion au sein des assemblées générales les plus libres s’est orientée vers les idées concernant la solidarité étudiants-travailleurs par-delà les syndicats et la législation. Une certaine ambivalence existe toujours sur la question des grèves et sur celle d’un engagement plus militant dans la classe ouvrière, mais il y a une augmentation notable de la radicalisation de la population étudiante depuis le 4 mars.

Il y a un intérêt accru pour toucher non seulement les travailleurs mais aussi les élèves et leurs enseignants des lycées et collèges. Le succès arraché avec le rassemblement du 4 mars à Oakland où plus de 1000 étudiants sont sortis de leurs écoles et ont participé à un rassemblement - de nombreux orateurs n’avaient encore jamais parlé devant un public, mais de façon vraiment encore enfantine, ils gueulaient dans des porte-voix des slogans contre la casse du système d'éducation public. Il y a beaucoup d'énergie potentielle au sein du mouvement étudiant en Californie parce que, malgré les efforts de ceux qui cherchent à masquer la nature de classe de la crise, il y a un nombre croissant d’étudiants qui rejette l'ensemble de ce discours et cherche d'autres explications. Il y a une compréhension croissante que le problème auquel sont confrontés les étudiants n'est pas un problème de mauvaise gestion, mais de profonde crise du système de production qui affecte le monde entier.

AS (5 avril)

Géographique: 

  • Etats-Unis [2]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

Le mécontentement des ouvriers britanniques paralysé par des manœuvres juridiques et syndicales

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La classe dirigeante, confrontée à une crise économique insondable, attaque de plus en plus brutalement les exploités.

Tous les partis politiques capitalistes conviennent que la seule façon de faire face au fardeau de la dette du Royaume-Uni est de procéder à des coupes sans précédent dans les services publics. Dans leurs efforts pour extraire la dernière goutte de profit de la force de travail des ouvriers, les patrons ont partout recours à l'intimidation. Cela est d'autant plus évident lorsque les travailleurs montrent qu’ils sont disposés à résister à l'attaque sur leurs conditions de vie et de travail.

Les mesures anti-grèves

Face à la menace d'une grève du rail à l'échelle nationale contre le projet de supprimer les emplois de 1500 travailleurs d'entretien des voies ferrées, Network Rail s’est mis d’accord avec les tribunaux pour déclarer que le scrutin en faveur de la grève était illégal. Aujourd’hui, ceci devient de plus en plus une réplique classique aux prochaines grèves nationales, surtout quand elles surviennent dans les secteurs économiques clé. La grève de British Airways (BA), prévue initialement à Noël, a elle aussi été retardée après que la Cour suprême eut trouvé des irrégularités dans la procédure de vote. Etant donné que de telles irrégularités peuvent être découvertes dans pratiquement n'importe quel vote de grève, l'utilisation des injonctions pour interdire la grève érode progressivement toute possibilité d'action de grève légale -en particulier parce qu'un autre facteur est pris en compte dans la décision du tribunal : l'impact ‘négatif’ pour "l'intérêt public" de la grève des chemins de fer.

Le bulletin de vote a été initialement rendu obligatoire par les lois ‘antisyndicales’ introduites dans les années 1980 sous le dernier gouvernement conservateur. Leur but essentiel était d'empêcher les travailleurs de prendre la décision de faire grève dans les réunions massives, où la solidarité de classe est la plus forte, de faire du vote de la grève un choix purement individuel, comme le vote aux élections, et d'amener des retards interminables qui peuvent saper la volonté de combattre des ouvriers. Tout comme les règles qui interdisent les piquets de grève et les grèves de solidarité, ces lois rendent déjà pratiquement impossible à toute forme efficace d’action de classe d’être dans la légalité. Mais loin d'être ‘antisyndical’, l’objectif de cette législation a toujours été de renforcer la capacité de la machine syndicale à contrôler les actions non-officielles et l'auto-organisation des travailleurs au niveau de l'atelier et de la rue. Maintenant, des restrictions légales similaires sont imposées même à des grèves syndicales officielles au niveau national. Face à la crise, la très démocratique classe dirigeante ne fait même plus semblant de prétendre que les syndicats sont indépendants. Ils se voient de plus en plus attribuer le même rôle que celui des syndicats des régimes staliniens ou fascistes comme étant ouvertement chargés de faire respecter l’ordre et la discipline au travail. L'acceptation par le syndicat RMT de ce cadre juridique s’est manifestée dans le fait qu’il a immédiatement annulé la grève.

Le harcèlement moral à British Airways

A BA, la majorité du personnel de cabine (hôtesses de l’air et stewards) est entrée dans une deuxième semaine de grève pour s’opposer au harcèlement moral et à l’intransigeance de la direction. BA a dépouillé de leurs « avantages voyage » 2000 membres du personnel de cabine en grève, « avantages » dont ils ont énormément besoin pour travailler, et a supprimé près de quinze jours de paye au personnel des vols long-courrier afin de les pousser à ne pas s’engager dans la grève. BA a aussi imposé un règlement disciplinaire qui empêche le personnel de cabine de communiquer avec les autres travailleurs ou avec les passagers, d'organiser des forums de discussion sur Internet ou même de faire une plaisanterie sous peine de licenciement ou de suspension. La plus grande crainte de BA est que le personnel de cabine étende la lutte à d'autres secteurs tels que celui des bagagistes ou des pilotes. Il a ainsi encouragé de façon inédite les actions pour briser la grève, surtout parmi les pilotes qui se sont vus « offrir » une formation comme personnel de cabine temporaire.

BA a aussi essayé de supprimer certains « privilèges » pour les cadres syndicaux, tels que des bureaux pour les délégués syndicaux et des congés pour activités syndicales. Cela a permis au syndicat Unite de présenter la lutte comme étant contre des tactiques ‘antisyndicales’. Les travailleurs de BA sont appelés à défendre leur droit démocratique de s'organiser en syndicats. Bob Crow, le leader de l'aile gauche du RMT, va dans le même sens après l'injonction : «Ce jugement ... tord les lois antisyndicales encore davantage en faveur des patrons" (The Guardian, 2 avril). Pour le RMT, la décision du tribunal était «une attaque contre l’ensemble du mouvement syndical» (ibid.). L'appel à défendre les syndicats contre cette attaque se trouve répétée à longueur de colonnes dans la presse de gauche.

Mais les syndicats sont-ils réellement en train de défendre les travailleurs ?

En apparence, les luttes actuelles semblent être un exemple de syndicats combatifs menant la lutte contre des patrons intransigeants. Le syndicat Unite, avec sa filiale personnel de cabine BASSA, a tenté de susciter le soutien du syndicat US Teamsters et il a levé un trésor de guerre de 700.000 £, en imposant un prélèvement de 2% aux membres de Unite pour soutenir cette grève. Mais en y regardant mieux, on s’aperçoit que BASSA a déjà dit très clairement, alors qu’on le consultait, qu'il était prêt à accepter des réductions de salaires « afin de sauver des emplois ». Le directeur général de BA depuis 2005, Willie Walsh (personnalité irlandaise du monde des affaires surnommé «  Willie le sabreur » - NDT), a déclaré tout net qu’il était en guerre et serait inflexible avec le personnel de cabine avec pour objectif de faire payer la récession actuelle aux travailleurs de BA. La réponse des syndicats de BA a été de concéder immédiatement une réduction des salaires. Ainsi, on a vu l'image écœurante de piquets de grève portant des pancartes syndicales officielles disant « nous avons accepté une réduction des salaires ».

Il ne fait aucun doute qu'il existe une réelle volonté chez les travailleurs de l'équipage de cabine de lutter contre ces attaques : lors d'une réunion massive, plus de 80% d'entre eux ont voté pour la grève. Toutefois, à moins que les travailleurs soient en mesure de dépasser les limites de la présente action et d’étendre la grève à d'autres travailleurs de BA et au-delà, il y a un réel danger qu’ils soient broyés dans une grève de longue haleine stérile similaire à celle récente chez les travailleurs des postes. Après que le Communication Workers Union (CWU - syndicat des postiers) ait épuisé les postiers dans une série de grèves qui étaient strictement divisées région par région et catégorie par catégorie, et isolées dans le secteur postal, l'accord final convenu entre le CWU et Royal Mail donne plus de raisons de douter que les syndicats offrent véritablement aux travailleurs les moyens de défense contre les attaques des patrons.

Les postiers recevront une augmentation de salaire de 6,9% sur trois ans, un versement totalisant 1400 £ lorsque toutes les modifications adoptées auront été apportées, et une semaine de 39 heures de travail. Tous les postiers savent qu’avec l'inflation (qui est appelée à s’aggraver encore plus), il s'agit clairement d'une diminution de salaire sur trois ans. En échange, le CWU a accepté le plan de modernisation à grande échelle mis en avant par Royal Mail, qui verra le nombre de postiers travaillant à plein temps réduit de 75%, les autres travaillant à temps partiel. L'introduction de nouvelles machines de tri qui a été au cœur du différend a entraîné d'importantes réductions d'emplois. La réponse du CWU a été de faire l’éloge du règlement en disant qu'il s'agissait d'une « bonne affaire pour ses membres, en particulier dans le climat financier actuel » Un représentant du CWU a également poursuivi en disant que « de nombreux travailleurs, en particulier dans le secteur public, sont confrontés à des gel des salaires, à des licenciements et même, dans le cas des membres de Unite à la British Airways, à la perspective de réductions de salaires. Nous pensons que l'opération envisagée pour nos membres de Royal Mail est comparativement très avantageuse » (BBC News, 23/3/10).

La nécessité pour les travailleurs de s'organiser eux-mêmes

Compte tenu du fait que les grèves légales sont de plus en plus impossibles, les travailleurs seront de plus en plus confrontés à des campagnes pour qu’ils entrent dans l’enceinte des tribunaux sur le terrain procédurier, afin de rétablir le « droit démocratique de grève » à travers les syndicats. Ces campagnes rendront certainement difficile pour les travailleurs de prendre conscience du rôle véritable et de la nature des syndicats. En fait, la tendance pour les syndicats à devenir des rouages de l'Etat capitaliste remonte à loin et est irréversible. C'est cette réalité fondamentale qui, maintes et maintes fois, conduit les syndicats à diviser les luttes des travailleurs et à la fin à vendre des négociations pourries. Étouffer la lutte de classe et imposer l'austérité est devenu la tâche principale des syndicats dans la période du capitalisme d'Etat. Mais le grand avantage de la démocratie comme forme de domination de la bourgeoisie, c'est qu'il peut permettre un certain degré d'indépendance de l'appareil syndical, ce qui est vital pour entretenir l'illusion chez les travailleurs qu'il s'agit de leur propre organisation. Dans les régimes staliniens et fascistes, les travailleurs ont peu d'illusions sur les syndicats officiels et sont souvent contraints de prendre la lutte directement dans leurs propres mains. Un exemple excellent est donné par les assemblées de masse et les comités de grève révocables, qui sont apparus spontanément en Pologne pendant la grève de masse de 1980. En détruisant l’illusion que les travailleurs peuvent utiliser les syndicats existants pour organiser une résistance efficace, la bourgeoisie court le risque que les travailleurs des pays démocratiques en viennent à la conclusion que la seule façon d'avancer est de prendre les choses en mains, de défier la loi et les syndicats, et de s’auto-organiser pour mener et généraliser la lutte.

Melmoth / Amos, le 3 avril

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [4]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

Prise de position d'un groupe communiste libertaire sur les évènements en Grèce

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Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position sur les événements en Grèce de Proles and Poor’s Credit Rating Agency (Agence de Notation de Crédit pour les prolos et les Pauvres), un groupe se revendiquant du « Communisme Libertaire »1.

 Ce texte rédigé le 14 mars a conservé toute son actualité. Tout ce qu'il contient s'est même amplifié. Aujourd'hui, la crise et les attaques frappent encore plus fort. La colère légitime est même en train d'exploser. En tirant des leçons de la lutte de janvier-février-mars 2010, en tentant de repérer les pièges tendus par la bourgeoisie, l'analyse de ce groupe communiste libertaire nous semble constituer une source d'information et de réflexion.

Nous partageons en effet l'essentiel de cette prise de position en particulier :

  • sa dénonciation du rôle de « saboteur de la lutte » du Parti Communiste et des syndicats GSEE et ADEDY,

  • la nécessité pour les ouvriers de développer une lutte autonome qui demeure entre leurs mains

  • la réaffirmation, avec leurs propres mots, que la classe ouvrière n'a pas de patrie, qu'elle mène un seul et même combat dans tous les pays et qu'il faut rejeter toute division nationale comme un piège mortel,

  • et la perspective historique d'un affrontement contre le capital et son plus haut représentant, l'État.

 Néanmoins, nous devons signaler deux points de désaccords qui appartiennent au débat :

  • Les camarades du Proles and Poor’s Credit Rating Agency, s'ils décrivent parfaitement les actes de sabotage de la lutte de certains syndicats, semblent penser que les ouvriers peuvent construire d'autres syndicats, véritablement révolutionnaires. Pour le CCI, ce sont tous les syndicats, petits ou grands, « réformistes » ou « radicaux », qui constituent une entrave à la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-même.

  • Une certaine attirance pour les attaques des vitrines de banques ou des commerces, pour les affrontements violents avec les forces de l'ordre bourgeois, transparaît de ce texte. Il est évident que ces actes, comme la violence des luttes en Grèce en général, témoignent du niveau de colère du prolétariat face aux attaques ignobles du capital. Il est aussi tout à fait évident que le développement des combats ouvriers signifiera dans l'avenir un affrontement de plus en plus direct, et parfois violent, avec l'Etat et son bras armé. Cela dit, de nombreux affrontements avec les « flics » (comme le disent ces camarades dans leur texte) et des actions de caillassages ou autres incendies de « symboles » (les banques, les commerces, …), sous leur apparente radicalité, sont souvent contre-productifs pour la lutte ouvrière2. D'ailleurs, la bourgeoisie, régulièrement, n'hésite pas à embaucher de faux-casseurs pour pourrir un mouvement en le faisant déraper dans la violence, qui plus est, en la médiatisant jusqu'à l'overdose pour faire peur et décourager la majorité des ouvriers à rejoindre la lutte3.

Il ne reste plus qu'une seule chose à faire: régler nos comptes avec le capital et son État

Dans un climat de terrorisme financier qui a été orchestrée depuis quelques mois par les médias, l'état d'urgence a été déclaré en Grèce, dans un effort du capital international et de l'État grec pour transformer le pays en un laboratoire d'un nouveau choc politique. La « dette publique » colossale et la « faillite imminente du pays » sont les expressions utilisées pour essayer de terroriser et discipliner le prolétariat et légitimer la diminution des salaires (direct et indirect) et donc mettre un frein à ses attentes et à ses exigences d’une façon exemplairement néolibérale pour respecter des proportions internationales.

Les mobilisations ont été plutôt tièdes à ce jour et elles ne correspondent certainement pas à la situation critique et à la férocité de ces mesures. Il existe un sentiment généralisé d'impuissance et de paralysie, mais aussi de colère qui ne peut trouver un débouché adéquat. Certes, il y a un mécontentement réel par rapport à la politique de choc que le gouvernement de PASOK met en place (réductions de salaires, réductions sur les allocations, augmentation des impôts directs et indirects, augmentation de l'âge de la retraite, intensification des contrôles de police, etc.). On peut relever ce mécontentement dans les conversations quotidiennes sur les lieux de travail ; toutefois, face à la dictature de l'économie et à l'omnipotence des « marchés », c’est un silence fragile qui prévaut. Le mantra « unité nationale » est une des armes favorites du gouvernement...

Les confédérations syndicales, la GSEE (l'organisation cadre des syndicats du secteur privé) et ADEDY, sont entièrement contrôlées par le gouvernement socialiste et font de leur mieux pour éviter une véritable résistance face à l'offensive actuelle. Le 10 février, il y a eu la première grève appelée par ADEDY avec une participation relativement faible des grévistes du secteur public. Nous allons essayer de donner ci-dessous une description de la manifestation à Athènes du 24 février lors de la première grève générale contre les mesures d'austérité qui a été appelée par la GSEE et ADEDY. Selon les estimations, il y a eu 2 millions à 2,5 millions de grévistes. Dans certains secteurs (ports, chantiers navals, raffineries de pétrole, industrie de la construction, banques et entreprises de service public), la participation variait entre 70% et 100%. Dans le secteur public (éducation, santé, services publics et ministères, bureaux de poste) la participation était plus faible et se situait entre 20% et 50%.

 Cette manifestation a présenté deux caractéristiques principales. La première a été la participation notable de nombreux immigrants non seulement « sous le commandement » des organisations de gauche, mais aussi dispersés dans le corps de la manif. La deuxième caractéristique a été le combat de rue qui a eu lieu entre la police anti-émeute et des manifestants qui ne provenaient pas nécessairement du milieu anti-autoritaire-anarchiste. Dans de nombreux cas, ça a été un combat rapproché, car le gouvernement socialiste avait ordonné à la police anti-émeute d'utiliser moins de gaz lacrymogènes. Il y a eu des bris de devantures de banques, des pillages de commerces (librairies, grands magasins, supermarchés et cafés) et, bien que non généralisé, ils ont certainement donné un ton très différent de ce à quoi on pourrait habituellement s’attendre de la part de grèves et manifestations organisées par les deux syndicats GSEE-ADEDY. Un incident à la fin de la manif peut peut-être mieux exprimer ce changement de climat : comme les manifestants descendaient vers l’avenue Panepistimiou et Kolonaki, un quartier chic en plein cœur d'Athènes, ils ont vu qu’à l’intérieur de « Zonar’s », un café bourgeois traditionnel et très cher, des clients tirés à quatre épingles entrain de boire du champagne (!) et jouissant de leurs coûteuses boissons aromatisées. La foule en colère a envahi le café, brisé les vitres et, très vite, les pâtisseries ont été réparties entre eux à un prix beaucoup plus abordable !

Ces caractéristiques, à notre avis, montrent l'impact considérable de la révolte de décembre 2008 sur la manière de protester. Une approbation générale des actes de violence contre les flics et les institutions capitalistes comme les banques et les magasins était évidente lors de la manifestation. En fait, il y a eu de nombreux cas où les manifestants ont attaqué les flics pour les empêcher d'arrêter les « fauteurs de trouble ».

Enfin, il convient de mentionner un mouvement spectaculaire de la part du Parti Communiste (en fait, son front ouvrier appelés PAME) à la veille de la grève : ils ont squatté le bâtiment de la Bourse, tôt le matin, avec une bannière surréaliste et plutôt incompréhensible disant en anglais « La crise paie la ploutocratie ». Leur objectif était, d’après ce qu’ils disaient, de « montrer aux inspecteurs de la Commission européenne, à la Banque Centrale Européenne et au FMI où est l'argent » - comme s'ils ne le savaient pas.

Le 3 mars, le gouvernement socialiste a annoncé les nouvelles mesures pour le « salut de la nation », incluant une réduction de 30% des 13e et 14e mois de salaires des travailleurs du secteur public, une baisse de 12% des subventions salariales, une augmentation de la taxe sur l'essence, l'alcool et le tabac, ainsi qu’une réduction des dépenses de l'éducation et de la santé. Une fois de plus, l'initiative de la grève du 5 mars. ADEDY et GSEE ont suivi avec un arrêt de travail de 3 heures, tandis que d'autres syndicats (ceux des enseignants du primaire et du secondaire, et des transports publics) appelaient à une grève d’une journée. La manifestation de PAME a rassemblé autour de 10 000 personnes et s'est terminée avant que l'autre n’ait commencé. Les anti-autoritaires et les jeunes avaient une présence plus visible et l'atmosphère était tendue dès le début à la place Syntagma, près du Parlement, où le Parti Socialiste allait voter en faveur de nouvelles mesures.

Après un certain temps, le leader de la GSEE, Panagopoulos, a fait l'erreur d'essayer de parler à la foule avec pour seul résultat de voir quelques yaourts atterrir sur lui, puis un peu d'eau et de café et, enfin, des coups de poing. Il a été chassé et battu jusqu’à l'entrée du Parlement, puis protégé par la police anti-émeute. Bientôt une foule en colère se réunissait juste au pied de l'immeuble. Les gardes folkloriques du Parlement ont dû partir immédiatement et certains combats ont commencé opposant la population prise de rage et les escadrons anti-émeutes. Lorsque Glezos, un vieux membre de SYRIZ, âgé de 88 ans, un symbole de la résistance nationale contre l'occupation nazie, a tenté d'empêcher la police anti-émeute d'arrêter un jeune homme, il a été battu et aspergé au visage et alors les combats avec la police se sont généralisés. Environ trois cents personnes ou plus lançaient des pierres sur la police (surtout des anti-autoritaires, mais pas seulement eux) et les autres sont restés un certain temps, criant et proférant des jurons jusqu'à ce que la police anti-émeute ait fait une attaque massive pour essayer de disperser la foule. Un incident rafraîchissant s'est produit lorsque certaines personnes se sont emparées des micros de la Confédération et ont scandé des slogans contre l'esclavage salarié et les flics qui pouvaient être entendus sur toute la place dans les nuages de gaz lacrymogène. La manifestation a alors commencé à marcher vers le ministère du Travail, ce qui a été critiqué par de nombreux manifestants comme étant un effort de la part des syndicalistes pour relâcher la tension à proximité du Parlement. Cependant, les esprits étaient encore très échauffés et quand la manifestation eut atteint le bâtiment du Conseil d'État, des manifestants ont attaqué la brigade anti-émeute qui le gardait. Bientôt une foule énorme a commencé à jeter sur eux des pierres et divers objets, les chassant à l'intérieur du bâtiment. L'un d'eux, cependant, n'a pas réussi à entrer et a été capturé et presque lynché par la population en colère. L'incident, qui montre à la fois une acceptation de l'escalade de la violence, même de la part de gens qui habituellement réagissent différemment et une haine croissante contre la police, en particulier en ce moment, a duré un certain temps parce que les escadrons de soutien anti-émeute n'ont pas pu s'approcher à proximité à cause de l'intervention des travailleurs licenciés de la compagnie Olympic Airways. Ces travailleurs, peu de temps après les nouvelles mesures, ont annoncées, l'occupation de la Comptabilité Générale de l'État dans l'avenue Panepistimiou et ils ont bloqué le trafic jusqu'au 12 mars avec des voitures et des poubelles.

La conjoncture actuelle constitue un terrain idéal pour les activités du PC puisque la propagande du gouvernement lui-même et des grands médias sur l'imposition présumée de mesures sévères de la part de l'Union Européenne, des marchés internationaux et des spéculateurs, semble confirmer sa rhétorique sur « la sortie de la zone Euro » et la « résistance aux monopoles et au grand capital », qu'il ne cesse de répéter avec une dévotion toute religieuse depuis les années 1980. En tant que l'un des principaux représentants politiques de la classe ouvrière (en tant que classe du mode de production et de communication capitaliste) à l'intérieur de l'État grec et de ses institutions, le PC revendique la création d'une économie nationaliste 'populaire' dans laquelle la classe ouvrière apprécierait les mérites d'un capitalisme social-démocrate au parfum de stalinisme. En fait, les actions du PC assurent l'enfermement des luttes sociales dans les limites des institutions capitalistes et, qui plus est, dans les plus fétichisées d'entre elles, les élections et le Parlement, puisque, pour le PC, voter pour le parti et s'organiser en son sein constitue le point culminant de la lutte des classes.

La caractéristique la plus marquante de l'activisme du PC reste la séparation complète de la mobilisation de son organe syndical (PAME) du reste des prolétaires qui luttent. Les manifestations organisées par le PAME et le PC ne se font jamais avec les manifestations appelées par les autres syndicats ouvriers et les organisations étudiantes. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir exactement ce qui se passe dans les appareils du PC comme du PAME en raison de leur mode d'organisation totalement secret, l'expérience que nous avons de notre participation dans les assemblées syndicales montre qu'ils exercent un contrôle total sur leur base. Nous sommes certains que les actions sont décidées par la direction du parti sans la moindre participation aux décisions de la base.

Il faut admettre que le niveau d'activité de la classe est faible : il n'y a pas plus de grèves de longue durée organisées simultanément dans de nombreux secteurs que de manifestations massives et combatives au quotidien. Dans ce contexte, les activités du PAME (occupations de bâtiments publics comme le Ministère de l'Économie et la bourse, des manifestations et des rassemblements massifs qui ne sont plus habituels pour le PC depuis au moins le milieu des années 2000) semblent impressionnantes, surtout quand ils réussissent les premiers à appeler à une grève ou à une manifestation obligeant GSEE et ADEDY à les suivre. Il est possible que derrière cette stratégie se trouve un plan pour diviser GSEE et ADEDY et créer une troisième confédération syndicale « indépendante ». Bien sûr, cela va sans dire que si la situation devient incontrôlable en allant au-delà de quelques grèves de 24 heures sur une base hebdomadaire, c'est-à-dire que, si les grèves de longue durée sort accompagnée d'une présence permanente du prolétariat et de l'activité militante dans la rues, le PC aura à nouveau à assumer le rôle de la police en sapant les grèves qu'il ne contrôle pas, en appelant ses membres à sortir dans la rue et en essayant de réprimer violemment toute activité radicale. Après tout, c'est sa pratique habituelle depuis la chute de la dictature, et ils ont fait exactement de même au cours de la rébellion de décembre 2008.

Le 5 mars, GSEE et ADEDY ont appelé à une autre grève de 24 heures le jeudi 11 mars, en réponse à un climat de mécontentement général encore passif devant les mesures d'austérité annoncées, en essayant de conserver un grain de légitimité. Il n'existe pas de chiffres précis disponibles pour connaître le niveau de participation à la grève, mais nous pouvons dire avec certitude qu'il a été plus élevé que le précédent (GSEE fait valoir que la participation à la grève a atteint 90%). Cela a également été prouvé par le nombre de manifestants qui était presque le double de celui de la manifestation du 24 février. Selon nos estimations, environ 100 000 personnes ont participé à deux manifestations du PAME et de GSEE-ADEDY (PAME , conformément à sa pratique habituelle, a organisé une manifestation distincte), même si les médias estiment ce nombre à environ 25 000. La composition de la foule était également légèrement différente, car il y avait plus d'étudiants universitaires, quelques élèves du secondaire et plus de jeunes travailleurs, tandis que les immigrants étaient cette fois absents. En outre, un grand nombre de manifestants dispersés dans la manifestation, venant de la quasi-totalité du milieu anti-autoritaire a participé à la manifestation de GSEE-ADEDY.

Une autre caractéristique distinctive de la manifestation a été la tactique différente de la police beaucoup plus offensive. Plus de cinq mille flics ont tenté d'empêcher une escalade de la violence prolétarienne en suivant de près la manifestation sur ses deux côtés. Leur objectif a été atteint dans une certaine mesure, car relativement moins de gens ne venant pas du milieu anarchiste-anti-autoritaire ont soutenu les combats de rues ou participé activement dans des affrontements avec la police. En outre, il convient de noter que cette fois la direction des confédérations syndicales n'ont pas simplement coopéré ouvertement avec la police mais ont donné des ordres spécifiques aux escadrons anti-émeutes pour arrêter les manifestants sur l'avenue Patision afin de prendre la tête de la manifestation et éviter d'éventuels conflits avec la base et une répétition des événements de vendredi dernier, où ils ont été accueillis par les huées qu'ils méritaient.

La composition de ces dernières manifestations est différente de celles de 2008 décembre, comme on pouvait s'y attendre. Les élèves du secondaire ne se sont pas du tout montrés, du moins d'une façon reconnaissable, à l'exception de quelques unes dans la dernière manifestation, mais les étudiants étaient présents dans les deux dernières manifestations étant donné qu'il y avait de plus en plus d'appels à des assemblées générales. En général, mis à part les étudiants, les précaires et le « lumpen », les éléments marginaux de la classe qui constituent la présence dominante dans les émeutes n'étaient naturellement pas présents, puisque la question, du moins pour le moment, est le terrorisme financier imposée par les mesures d'austérité qui menacent les travailleurs qui ont des emplois plus stables et plus à perdre. Aussi, ce qui demande quelque explication c'est plutôt l'inertie qu'a montré cette partie du prolétariat puisque ses mobilisations n'ont pas constitué jusqu'à présent un mouvement, ni n'ont été à la hauteur de la situation critique actuelle. Les grèves ont été appelées par les dirigeants des confédérations syndicales. Même là où les syndicats du premier degré ont appelé à une grève, aucune assemblées extraordinaires massive ne l'a précédée, ce qui signifie que la base n'a rien organisé. L'influence destructrice et paralysante des syndicalistes socialistes et le contrôle qu'ils ont encore sur les syndicats est encore le principal obstacle ce qui peut être illustré par l'exemple suivant. Les employés de l'Imprimerie Nationale occupaient le 5 mars le local parce que les nouvelles mesures prévoyaient une réduction de 30% supplémentaires du revenu des employés du Ministère de l'Intérieur. L'occupation était cependant fermée à toute personne qui « n'était pas employée au Ministère », et des camarades qui ont essayé de leur rendre visite nous ont dit qu'ils ont été effectivement expulsés. Les cadres du syndicat socialiste qui contrôlent le syndicat ont décidé à la hâte de mettre fin à l'occupation, sans même poser la question à l'assemblée avec l'argument que le gouvernement avait 'promis' de supprimer la réglementation particulière, une décision qui a été accueillie avec colère, mais qui n'a pas été annulée. L'occupation de la Comptabilité Générale de l'État par les travailleurs mis à pied d'Olympic Airways a eu la même triste conclusion. Ils sont pour la plupart des techniciens qui n'ont pas été payés depuis maintenant 3 mois après la privatisation d'Olympic Airways, ou bien des ouvriers licenciés à qui on avait promis d'être transférés sur d'autres lieux de travail. Le premier jour de l'occupation, ils ont gardé un cadre dirigeant en otage pendant plusieurs heures et le soir même, ils ont battu et chassé une escouade anti-émeute. Bien qu'ils aient été ouverts à la discussion et qu'ils semblaient déterminés à maintenir le blocus aussi longtemps que nécessaire, puisque, d'après leurs propres mots, ils n'avaient « rien à perdre », ils n'ont laissé entrer personne dans le bâtiment occupé. Après une occupation de 10 jours, leurs représentants socialiste (et de droite) ont décidé d'accepter la « promesse » du gouvernement de former un comité spécial pour examiner la question ! Dans ce cas, les syndicalistes socialistes ont agi comme courroie transmission des menaces du gouvernement contre les travailleurs et de celles du ministère public de les faire arrêter.

Comme nous l'avions déjà noté l'an dernier par rapport à l'incapacité de la rébellion de décembre 2008 de s'étendre aux lieux de travail, le manque de formes autonomes d'organisation et de nouveaux contenus de la lutte au-delà des exigences syndicaliste semblent peser lourdement sur les épaules des prolétaires dans une ère de terrorisme de la dette publique. Qui plus est, les limites de cette rébellion avec son caractère minoritaire sont encore plus évidentes aujourd'hui, et bientôt ceux qui en étaient restés en dehors découvriront probablement qu'il leur faudra en commencer une nouvelle pour se sortir de ce pétrin.

 Proles and Poor's Credit Rating Agency, alias TPTG (le 14 mars)

 

1 Ce texte est disponible en anglais sur notre site [5] depuis le 5 avril 2010. Notre section en Grande-Bretagne a d'ailleurs déjà publié une prise de position de ce groupe lors des mouvements en Grèce de décembre 2008 dans le n°328 de World Revolution.

2 Ce que démontre tragiquement l’incendie de la banque Marfin à la suite de d’un jet de cocktail Molotov qui a tué trois de nos frères de classe, lors de la manifestation du 5 mai, alors que la direction avait interdit à ses employés de participer à la grève générale sous peine de licenciement et les avait enfermés dans des locaux non sécurisés. Voir le témoignage d’un employé de la banque sur le lien web en anglais. Ce texte a été également traduit en français sur le forum de la CNT-AIT [6].

 3 Sur ces deux points, le syndicalisme et la violence prolétarienne, pour mieux connaître la position du CCI, nous conseillons la lecture de notre brochure "Les syndicats contre la classe ouvrière [7]"' ou notre article "Dans quel camps sont les syndicats ? [8]" et notre texte "Terreur, terrorisme et violence de classe [9]".

Géographique: 

  • Grèce [10]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

Courants politiques: 

  • L'anarchisme Internationaliste [11]

« Guayana est une poudrière »: le prolétariat à la recherche de son identité de classe à travers la lutte

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« Guayana (1) est une poudrière » : cette phrase est souvent répétée par les représentants de la bourgeoisie, dirigeants de partis politiques et syndicaux, qu’ils soient membres de l’opposition ou favorables au gouvernement Chavez ; c’est ainsi que les uns comme les autres parlent des luttes et mobilisations que mène la classe ouvrière à Ciudad Guayana (connue aussi comme la « Zone du fer »), exprimant le profond mécontentement vécu par la classe ouvrière vénézuélienne à cause des attaques répétées contre ses conditions de vie.

Pourquoi cette inquiétude de la bourgeoisie et de ses garde-chiourmes, les syndicats ?

La région de Ciudad Guayana est une de plus grandes concentrations ouvrières du pays, avec plus de cent mille ouvriers qui travaillent dans les « Entreprises de base » (2qui produisent et traitent le fer, l’acier et l’aluminium ; il faut y ajouter un nombre important de travailleurs de PME sous-traitantes de ces grandes entreprises.

L’ensemble de la bourgeoisie vénézuélienne sait bien que Guayana est une zone à surveiller de près. Depuis les années 1960, le prolétariat guyanais a souvent montré sa combativité ; une des luttes les plus significatives eut lieu à la fin des années 1960, quand les travailleurs de l'aciérie SIDOR (Sidérurgies de l'Orénoque, une des plus importantes d'Amérique latine à cette époque) s’affrontèrent à l'État et à la principale centrale syndicale, la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). A cette occasion, les travailleurs du fer, très en colère, parcoururent les six cent kilomètres qui séparent Guayana de Caracas pour protester face au siège de la CTV, dont les installations furent incendiées par les grévistes.

Le gouvernement de Chavez lui-même a fait directement l’expérience de cette combativité ouvrière en mai 2001, quand les mêmes travailleurs de SIDOR ont fait grève pendant 21 jours (3) pour affronter les patrons qui se refusaient à discuter les nouvelles conventions collectives. Cette situation a obligé le syndicat de l'aciérie SUTISS (4) et la CTV à unir leurs efforts pour que le conflit ne s’étende pas à d’autres entreprises de la région. L’impact du conflit fut tel que Chavez lui-même, pour montrer la face « ouvrière » de son gouvernement, n’eût d’autre recours que de se féliciter du succès de la grève.

A partir de 2002, tant à Guayana qu’au niveau national, le prolétariat a été infiltré progressivement par les réseaux de la bipolarisation politicienne du pays, grâce en partie à l'action des syndicats contrôlés par la CTV qui s'opposaient à Chavez, ainsi que par les syndicats qui soutenaient le projet chaviste (parmi eux les tendances trotskistes) et qui commençaient à se renforcer. La bourgeoisie a ainsi imposé une paix sociale, en amenant le prolétariat sur un terrain complètement étranger à celui de ses intérêts, en créant la division dans ses rangs et en affaiblissant la solidarité ouvrière.

Mais à partir de 2007, en même temps que les travailleurs du secteur pétrolier, le prolétariat de Guayana reprend les luttes, montrant les tentatives du prolétariat vénézuélien de retrouver son identité de classe à travers les luttes menées sur le terrain de ses propres revendications. Devant l'essor des luttes ouvrières, le gouvernement Chavez, appuyé par les syndicats, décrète à grands renforts de propagande la nationalisation de SIDOR en mars 2008. Le piège de la nationalisation, bien qu'il ait amoindri les mobilisations ouvrières pendant quelques mois, n'a toutefois pas mis un frein au mécontentement des travailleurs : ils maintiennent la pression lors de la signature des conventions collectives. Les travailleurs précarisés des entreprises de sous-traitance de l'aciérie se sont mobilisés pour rejoindre les rangs des travailleurs en CDI en lutte, mettant en avant des expressions de solidarité entre travailleurs fixes et précaires. Ces expressions de solidarité ont été immédiatement attaquées et fragilisées par le gouvernement et les syndicats. Des retraités de SIDOR, ainsi que des travailleurs des entreprises de l'aluminium, des mines de fer et du secteur électrique se sont ainsi mobilisés à plusieurs reprises en 2008, pour exiger la satisfaction de revendications et le paiement de salaires non versés (5).

Mais c’est en 2009 que les luttes manifestèrent le plus de virulence :

– en juillet, les travailleurs du secteur de l’aluminium ont lancé des mobilisations qui se sont prolongées pendant une semaine ; ils exigeaient le paiement de primes particulières de compensation, un important solde habituellement attribué aux travailleurs en milieu d'année. Le gouvernement a proposé de fractionner le paiement en plusieurs fois, provoquant la colère des travailleurs qui se sont mobilisés en assiégeant les bureaux de la CVG (Corporation vénézuélienne de Guayana), obligeant le gouvernement à payer ces intérêts en deux fois seulement ;

– quelques jours après cette mobilisation, le décès d'un travailleur de SIDOR lors d’un accident de travail a provoqué une grève de 24 heures dans les aciéries. Les travailleurs ont exigé des investissements majeurs de l’entreprise parce que l'accident était dû à un défaut de maintenance des installations ;

– ce même mois, les travailleurs de SIDOR se sont mobilisés dans la rue à Ciudad Guayana pour exiger le paiement de primes d’intéressement aux profits de l'entreprise, prime que reçoivent les travailleurs vers le milieu d'année et que l'entreprise n’avait pas répercutée sur les feuilles de paie ;

– en août, a commencé une grève à Ferrominera Orinoco (entreprise d’extraction de minerai de fer) qui s’est étendue durant seize jours à Ciudad Piar. La lutte s’est fortement implantée dans la colline San Isidro, où les travailleurs sont restés fermes sur leurs revendications de primes rétroactives et de renforcement de la sécurité, avantages contractuels concédés dans une convention collective récemment signée. Pendant seize jours, le gouvernement et la direction de l'entreprise ont maintenu un « black out » sur la grève. Un mois après furent incarcérés le secrétaire général du syndicat de Ferrominera et dix travailleurs ;

– en octobre, furent arrêtés plusieurs travailleurs et dirigeants syndicaux de la CVG, alors qu’ils manifestaient devant le ministère les Entreprises de base de Rodolfo Sanz, exigeant l'approvisionnement en bleus de travail et d’autres revendications contractuelles ;

– en décembre, les travailleurs de SIDOR ont lancé une grève de huit heures pour protester contre le retard du paiement des primes de fin d'année. Les travailleurs des Entreprises de base Carbonorca, Bauxilum et Alcasa ont aussi revendiqué contre le retard dans le paiement du salaire et des primes ;

– les coopérateurs de Ferrominera Orinoco et de Bauxilum ont manifesté toute l’année 2009, ainsi que les travailleurs précaires de Matesi, entreprise nationalisée par l'État vers le milieu de 2009.

Face à ces mobilisations ouvrières, qui ne purent être calmées ni par les bureaucrates du gouvernement ni par les syndicats, Chavez a dû jouer lui-même le pompier social : en mars 2009, depuis Ciudad Piar, il a fustigé les travailleurs des Entreprises de base en les accusant de vouloir « s’enrichir » et « d'être privilégiés », essayant de les discréditer aux yeux des autres travailleurs et aux habitants de la région, dans l'intention de les démoraliser comme il l'avait fait avec les pétroliers en 2002 (6). Mais cette menace n'a pas arrêté les manifestations, il a donc dû retourner à Guayana deux mois plus tard, cette fois « en faisant l'éloge » des travailleurs, tentant de les gagner au soutien du « Plan Guyane socialiste », qui prétend sortir de la crise les entreprises de la région.

La crise du capitalisme, contre laquelle Chavez a dit que le Venezuela était « blindé », a mis l'État dans une situation difficile, parce que la baisse des prix des matières premières qui a été observée à partir de 2008 a limité les recettes et a montré une réalité qu'on essayait de dissimuler : les Entreprises de base sont pratiquement en faillite, elles sont une lourde charge pour l'État à cause de la baisse de productivité provoquée par l'obsolescence et le manque d’entretien des infrastructures industrielles. Comme il fallait s’y attendre, ce sont les travailleurs qui héritent des pires conséquences de cette situation à cause du refus de l'État de revoir les conventions collectives qui régissent des salaires et les primes, à cause du retard dans le paiement des salaires y compris les menaces de licenciements. Tout comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial, le gouvernement utilise la crise pour attaquer les conditions de vie des ouvriers et précariser leur force de travail. Enfin a été instauré depuis fin 2009 le rationnement dans les services d'électricité, afin de limiter la production de fer et d’aluminium, poussant une partie du personnel à prendre des congés forcés à cause des mesures de mise au chômage technique et créant une situation d’angoisse et d’insécurité parmi les ouvriers. Pressé par les mobilisations ouvrières, l'État a été forcé de renégocier quelques conventions collectives, mais le retard dans l'accomplissement des paiements est fréquent, ce qui est à son tour une source permanente de mécontentement dans la classe ouvrière.

On observe que la crise mondiale du capitalisme et ses effets au Venezuela sont devenus un facteur qui accélère les luttes ouvrières, puisqu'il réduit les recettes de l'État et par conséquent la marge de manœuvre de la bourgeoisie nationale, qui essaie inéluctablement de faire porter le poids de la crise sur le dos des prolétaires. Les syndicats des entreprises de Guayana, dans leur majorité pro-gouvernementaux, perdent rapidement leur crédibilité parmi les travailleurs. Les tentatives de retourner les masses de la région contre ces travailleurs (à travers les Conseils communaux) ont été un échec, ces masses étant dans leur majorité constituées par des familles d’ouvriers dont la survie dépend précisément de ceux qui, pour la plupart, travaillent précisément dans les Entreprises de base. A cause de la forte concentration ouvrière et de la résistance des prolétaires, il n’est pas facile pour la bourgeoisie de recourir au chômage massif, celui-ci pouvant provoquer une explosion ouvrière et des révoltes populaires.

Cette situation a provoqué une sorte d'impasse dans la région, où la bourgeoisie est incapable d’appliquer ses plans selon son bon vouloir et où le prolétariat n'a pas pour l’instant la force de s’imposer à l'État. C'est pourquoi Guayana est une « cocotte-minute » qui peut éclater à tout moment.

Le piège du contrôle ouvrier

Guayana a été un laboratoire pour le chavisme, dans son intention de précariser la force de travail dans toute la région, vieille aspiration de la bourgeoisie vénézuélienne. Après avoir progressivement rogné sur les conditions de travail des travailleurs du secteur pétrolier, la bourgeoisie doit le faire à présent avec les travailleurs de la « Zone du fer » qui, selon elle, font partie « de l'aristocratie ouvrière » héritée des gouvernements sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui précédèrent celui de Chavez.

Au cours des années 90, on a voulu faire d'ALCASA (usine productrice d'aluminium) la première grande entreprise cogérée, qui servirait de modèle pour le reste des entreprises du pays. Le but réellement poursuivi était de précariser les conditions de travail des travailleurs de l'aluminium, en leur faisant accepter les prétendues « valeurs du socialisme », c'est-à-dire travailler plus et gagner moins ; quelque chose s’apparentant à « l’émulation socialiste » promue par les bourgeoisies des pays de l'ex-bloc « socialiste », dont le principal chantre à Cuba fût Che Guevara (7). Mais les ouvriers d'ALCASA n'ont pas avalé cette histoire, n'ont pas accepté la détérioration de leurs conditions de vie et la perte des acquis sociaux : la cogestion dans l'aluminium a tout simplement été un échec.

Le gouvernement tente de faire quelque chose de semblable avec le plan « Guayana socialiste », qui se base fondamentalement sur « le contrôle ouvrier de la production » par le biais des prétendus Conseils de travailleurs (8). Face à la crise des Entreprises de base, le chavisme emprunte le mot d’ordre trotskiste de « contrôle ouvrier », qui convient ponctuellement très bien à la bourgeoisie parce qu'il fait accepter aux travailleurs la dégradation de leurs conditions de travail pour tenter de sauver les entreprises. C’est ainsi que le Plan propose l'abolition « de la recherche d'une maximisation du profit individuel au niveau personnel… ». Ceux qui mènent ce processus sont le PSUV et les syndicats d’entreprises, qui tous adhèrent au projet chaviste.

Les syndicats trotskistes, à présent dissidents du chavisme, dénoncent ce Plan qui ne serait pas un « authentique contrôle ouvrier », l'État étant encore le patron. Ils contribuent en ce sens à tromper les travailleurs en continuant à défendre les intérêts du capital national, en leur proposant de sauver les entreprises à travers un « véritable » contrôle ouvrier des industries, c'est-à-dire par une véritable auto-exploitation des ouvriers eux-mêmes, dans laquelle les bureaucrates de l'État seraient remplacés par des ouvriers (de préférence bien évidemment de tendance trotskiste).

Mais les travailleurs n’avalent pas non plus facilement ces contes de fée : après qu’ait été promulgué le Plan en juin dernier, ils ont poursuivi les luttes et les mobilisations pour des revendications salariales. Cette situation a forcé l'État à signer quelques conventions collectives, et les syndicats pro-gouvernementaux ont tenté de dévoyer le mécontentement ouvrier vers une lutte contre la bureaucratie, qui selon eux « empêche la participation ouvrière ». Ils ont même soutenu des actions promues par des syndicats dissidents pour ne pas se décrédibiliser ! Ce contexte a été propice à des tendances syndicales « antichavistes », comme celle des trotskistes de CCURA (9), qui se présentent devant les ouvriers comme des syndicats non alignés derrière le gouvernement ou l'opposition. Leur action, et celle du syndicalisme tant chaviste que contrôlé par l'opposition, contribue à créer une situation de confusion, de division et d’absence de perspectives au sein de l'important bastion prolétarien de Guayana : il s’avère évident qu’ils font ensemble du bon boulot dans l’intérêt du capital national.

Le prolétariat de Guayana : un « os dur à ronger »

Devant l’obstination des ouvriers à continuer de lutter pour la défense de leurs propres intérêts, le gouvernement a continué à criminaliser les luttes, à incarcérer temporairement les travailleurs, à les menacer de licenciements, quand il ne recourt pas à la répression ouverte. Ces actions de l'État, accompagnées par l'action syndicale, ont fait que les manifestations ont diminué début 2010. On vit cependant en Guayana une situation tendue, de calme précaire, qui peut à tout moment exploser.

Les attaques de la bourgeoisie vénézuélienne contre le travail poussent le prolétariat de Guayana à se poser la question sur son terrain de classe, montrant qu’il n'est pas disposé à être passivement sacrifié sur l’autel du projet bourgeois « du Socialisme du xxie  siècle ». Il semble que le prolétariat retrouve sa combativité avec l'accélération de la crise économique.

Le prolétariat de Guayana, ainsi que l'ensemble de la classe ouvrière, n'a pas d’autre choix : soit il continue sa lutte contre les attaques du capital (étatique ou privé), ou celui-ci s’impose avec la précarisation du travail et la paupérisation des travailleurs et de leurs familles. L'action des syndicats (ces faux amis, authentiques défenseurs du capital national), le corporatisme, le coopérativisme, le contrôle ouvrier et la cogestion, qui enferme les ouvriers dans « leur » entreprise, est un obstacle à la lutte, la déviant en dehors du terrain ouvrier. La riposte à ces obstacles que sèment la bourgeoisie, la lutte ouvrière elle-même, donne les moyens pour leur résister : assemblées générales où s’expriment tous les ouvriers, extension des luttes et recherche de la solidarité de classe non seulement dans les entreprises de Guayana mais au niveau national, et aussi international.

En Guayana sont réunies les conditions pour que soit développée et fortifiée la solidarité entre les travailleurs et la population, puisque la majorité des habitants ont des parents qui travaillent dans les entreprises de la région. Si malgré le harcèlement du gouvernement, des partis et des syndicats de toutes tendances, le prolétariat de Guayana parvient à se maintenir sur le pied de guerre en montrant sa force et en s’exprimant comme une classe unie, il sera un exemple pour les prolétaires du reste du pays. Ses luttes seront ainsi reliées et intégrées à celles qu’entame le prolétariat mondial en Grèce, en Espagne, en France et autres pays.

La tâche des minorités les plus politisées de la classe est d'intervenir de toutes leurs forces dans le processus de luttes entamé par le prolétariat en Guayana et dans tout le pays. Leur tâche est de dénoncer et de démonter les pièges et obstacles placés par la bourgeoisie sur le chemin du développement de la conscience de la classe ouvrière, en soulignant que le prolétariat guayanais et vénézuélien n'est pas seul dans cette lutte, qu’il fait partie du mouvement encore naissant qu’entame le prolétariat au niveau mondial.

Internacionalismo (6 mars 2010)

 

1 L’agglomération de Ciudad-Guayana est située dans l’état de Bolivar au Venezuela, avec une population proche du million d’habitants dont une grande partie est formée de familles ouvrières.

2 Il s’agit de grandes industries de base regroupées dans la CVG, un conglomérat d’État.

3 A cette époque, la participation du capital étatique dans l’aciérie était minoritaire, la majorité étant entre les mains du capital privé du consortium argentin Tchint.

4 Syndicat unique des travailleurs de l’industrie sidérurgique et similaires (SUTISS) alors contrôlé par le parti de centre-gauche la Cause R.

5 Voir l’article « L’Etat de Chavez attaque les travailleurs du fer [12] ».

6 Chavez ne put cacher alors sa colère contre les travailleurs : « Nous allons en profiter pour nettoyer les entreprises de la CVG. S’ils menacent de s’arrêter, qu’ils le fassent, je verrai alors ce que moi j’ai à faire ! J’ai déjà connu la grève de Pdvsa… celui qui fait grève dans une entreprise d’Etat s’en prend directement au chef de l’Etat » (Correo del Caroní, 07-03-2009).

 

7 Ce n’est pas par hasard si une des Missions du gouvernement se nomme « Che Guevara ». Comme elle le prêche sur son site internet, elle offre « un programme intégral de formation et de qualification dans des métiers productifs, destiné à impulser la transformation du modèle économique capitaliste en modèle socialiste ».

8 Organes institutionnalisés par le chavisme dans la classe ouvrière, soi-disant « inspirés » par le modèle des soviets russes !

9 Voir l’article “Venezuela – Courrier des lecteurs: Les travailleurs entrent en lutte, les syndicats la sabotent”, Internacionalismo no 58, avril 2010.

Géographique: 

  • Vénézuela [13]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/node/4208

Links
[1] https://en.internationalism.org/inter/154/california-students [2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis [3] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe [4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne [5] https://en.internationalism.org/wr/2010/333/greece [6] http://cnt.ait.caen.free.fr/forum/viewtopic.php?f=13&t=6236#p42325 [7] https://fr.internationalism.org/brochures/syndicats [8] https://fr.internationalism.org/ri394/dans_quel_camp_sont_les_syndicats.html [9] https://fr.internationalism.org/french/rint/14-terrorisme [10] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/295/grece [11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste [12] https://es.internationalism.org/node/2230 [13] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/54/venezuela